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Bleuet fané de M@xime1086



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» Auteur : M@xime1086 - Voir le profil
» Créé le 05/02/2017 à 07:59
» Dernière mise à jour le 08/02/2017 à 07:22

» Mots-clés :   Drame   Kanto   Présence de personnages de l'animé   Romance   Slice of life

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41.— REMETTRE LES PIEDS DANS UN GOUFFRE & RENDRE LES COUPS
Allait-elle vraiment suivre Sacha dans son nouveau périple ? Le laisser lui, l'arène, ses soeurs ? Ondine avait mis tant d'efforts à monter son gymnase qu'il n'osait pas y croire. Violette avait exagéré. Ce n'était pas possible autrement.

Lorsqu'il rentra à la maison, moitié éperdu, moitié sonné par la nouvelle, elle n'y était pas. La maison était déserte. Comme d'habitude. Il était huit heures passées. L'arène fermait ses portes à sept heures. Que faisait-elle ? Planifiait-elle son plan de faux-fuyant avec Sacha ? Continuerait-elle encore de lui cacher ce dessein ? S'enfuirait-elle comme une voleuse, sans rien lui avouer ?
Il redoutait qu'un matin le lit soit vide, qu'elle soit partie pour de bon. Il voulait comprendre.

Otaquin, lui aussi, devint maussade. Ils étaient comme deux âmes en peine. Gary attendit une heure. Puis c'en fut assez ; il mit sur le dos une redingote bleue et sortit. Il n'avait envie que d'une seule chose. La même chose qu'il y a cinq ans. Dans les rues presque désertes d'Azuria, il revivait ses instants d'errance avec une douloureuse lucidité. Tout était de nouveau réuni. Ondine était Linda. Linda était Ondine. Il fuyait sa demeure devenue insupportable, comme il y a cinq ans. Cette fois il le savait : Narcisse ne le sauverait pas.

Il remonta le col de son manteau pour ne plus subir les morsures du froid. Il se mit à pleuvoir. Déjà, les trottoirs étaient trempés par les averses des jours précédents. Il trouva refuge dans un bar. Devant la porte il avait hésité, recevant toute la pluie sur son front soucieux. D'un pas décidé, il pénétra dans l'antre de tous les excès.

Il prit place au comptoir, parmi les consommateurs. Des verres et des pintes vides traînaient en attendant que le serveur les range et les lave. Derrière, dans la grande salle aussi agitée qu'une boîte de nuit, des danseurs gesticulaient.
Le serveur, un grand dadais, le dévisagea, attendant de prendre sa commande.

« Un whisky. »

Parmi la réserve d'alcool, le serveur puisa dans une bouteille aux couleurs ambrées. Il versa le contenu dans un verre scintillant sous les feux des lampes suspendues. Tandis que le liquide laissait courir une délicate harmonie de notes, Gary eut l'évocation d'un poème qu'il avait appris étant plus jeune et qui s'alliait à la mélodie de l'alcool. Au milieu du vacarme, il récita les vers qui lui semblaient familiers car le sujet, c'était lui.

[size=4]Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. »[/size]*

Les vers avaient soulagé sa poitrine. Il prit le temps d'inspecter sous toutes les coutures ce qui se trouvait à présent sous son nez. Il déglutit plusieurs fois avant de porter à sa bouche, presque solennellement, le verre. Il avala le contenu d'un trait.

Sa gorge brûla. Un feu qu'il n'avait pas envie d'éteindre le poussa à avaler un second puis un troisième verre. La tête lui tournait. N'en pouvant plus de la musique ni de la chaleur étouffante, il paya et s'extirpa avec beaucoup de mal du bar. Les clients qui dansaient bloquaient la sortie.

Une fois dehors, l'air frais le fouetta. La différence de température entre l'alcool qui prolongeait son travail et la brise nocturne le rendit tout patraque. Ses joues se teintèrent de rouge. Le whisky lui chauffait le front que la pluie tentait de laver à grandes eaux.

Il erra, passant ses mains mouillées sur son visage pour se rafraîchir. Il n'avait plus les idées claires. Il imaginait Ondine à table avec Sacha, déjeunant tels deux amants. Ne le comblait-il pas assez pour qu'elle aille voir ailleurs ?

Malgré les yeux qui lui piquaient à cause du froid et de l'alcool qui cheminait de ses lèvres pour monter jusqu'à son front, il n'avait pas envie de pleurer. L'incompréhension, la colère mais aussi une rancune sourde se bagarraient pour dominer.

Il avait assez perdu de temps. Qu'est-ce que cela lui apportait d'aller boire, de vagabonder comme ça ? Cela n'allait pas lui ramener sa femme.
Il traversa un axe autoroutier par l'intermédiaire d'un pont. Le ruban de voitures suivait la route, la lumière des phares projetée devant leur ombre mouvante. Gary observa le ballet ordonné des silhouettes bourrues qui avançaient sans fin, suivant une ligne toute tracée. Persuadées qu'elles ne se perdraient jamais. Il les envia, ces voitures et ces conducteurs qui savaient où aller. Même en plein brouillard.

Soudain, une fumée blanche et dense enveloppa le pont tout entier. Gary fit quelques pas, perturbé par cette brume arrivée à l'improviste. Il chercha un appui avec ses mains tâtonnantes puis sentit le métal froid de la rambarde. Il la serra aussi fort qu'il put. Soudain, plié en deux, il sentit monter en lui quelque chose qui voulait sortir.

Il se redressa, ouvrit les bras comme pour recevoir dans une étreinte une personne qu'il n'avait pas vue depuis longtemps. Un cri sortit de ses entrailles. Le démon qui s'exprimait. Le cri déchira la fumée qui peu à peu s'estompa, laissant l'horizon de nouveau pur. Il se sentit libéré, purgé. Sa tête ne bourdonnait plus ; ses gestes fébriles redevinrent assurés. Sa démarche maladroite fut remplacée par celle d'un jeune homme ayant repris les rênes de son corps. Il avait retrouvé pleine possession de ses moyens.

Il n'avait pas envie de se jeter du pont. Cela n'aurait rien résolu.
Il rebroussa chemin, voulut rentrer à la maison. Maintenant Ondine devait l'attendre. Il regarda l'heure sur sa montre. Dix heures et demie. Le froid s'installait durablement dans les rues.
Sa poitrine devint aussi chaude que l'avait été sa bouche. Il ouvrit le col de son manteau, se sentant étouffé. Les morsures glaciales ne lui faisaient plus rien. Il était comme immunisé. Avoir poussé sa colère et sa rancœur à se soulager l'avait galvanisé.

• • • • • • • • • •
Une fois rentré, Ondine se précipita devant lui.

« Où étais-tu ? Je me suis inquiétée ! Tu as laissé ton portable ici, je n'ai pas pu t'appeler.
- Qu'est-ce que ça peut faire ? répondit-il durement. »

Il accrocha son manteau ; Ondine vint vers lui mais il la repoussa.

Hurts - Stay
« Mais tu as bu ? cria-t-elle entre étonnement et inquiétude.
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? hurla-t-il plus fort. »

Elle ne le reconnaissait plus. Il avait les yeux rouges, le regard aussi vif qu'effrayant. Elle recula.

« Qu'est-ce qu'il se passe entre Sacha et toi ? demanda-t-il enfin d'une voix incroyablement calme. Dis-moi ! »

La question lui fit perdre les moyens. Elle dévia son regard puis répondit après une longue inspiration.

« Il ne se passe rien. C'est un ami, rien de plus. C'est toi que j'aime ! fit-elle, éperdue, s'approchant de lui.
- Si tu m'aimes alors pourquoi tu passes tout ton temps avec lui ? Je suis moins intéressant que lui ?
- Pas du tout ! Je veux juste... profiter de sa présence avant qu'il ne reparte. »

Il ouvrit les bras comme pour prendre à parti les meubles qui les entourait.

« De toute façon tu vas le rejoindre sur les routes, ça je l'avais bien compris. Quand est-ce que tu comptais me mettre au courant ? Au moment de claquer la porte ? Si c'est seulement de l'amitié, pourquoi m'avoir caché ce voyage ! Répond ! »

Il levait les bras, l'effrayait par des gestes violents.

« Je comptais t'en parler... Mais je voulais être sûre qu'il soit réalisable. Ça ne durera que quelques jours. Sacha compte aller à Alola très bientôt. »

Il ouvrit de grands yeux, suspendant ses mouvements. Ses bras se figèrent le long de son corps. Son souffle reprit un rythme normal. Les forces l'abandonnèrent au prix d'un grand effort physique qu'il n'avait pas cru fournir aussi vite.

« Quelques jours ? articula-t-il, incrédule.
- Oui. Tu ne croyais quand même pas que j'allais partir rejoindre Sacha à Alola ? Les voyages sont terminés pour moi. »

Elle voulut ajouter : "il a Séréna". En songeant à l'artiste, elle se sentit aussi blasée que l'était son mari. Elle eut comme un picotement au niveau de la poitrine.

« J'ai envie de rester avec toi. Ne doute pas de mon amour.
- Violette... C'est elle qui m'a... »

Il était complètement perdu et se laissa enlacer. Pendant l'étreinte, Ondine songeait à ce que sa sœur avait fait. Elle avait monté Gary contre elle et dans son malheur il était retombé dans un abîme. Un abîme qu'il pensait avoir scellé cette nuit d'hiver.
Ondine comprit la portée de ce qu'avait fait son compagnon en plongeant dans ce gouffre.

« Arrête de le voir, je suis malheureux sans toi.
- Arrêter de le voir ? répéta-t-elle en reculant pour le dévisager. Mais pourquoi ? Il ne se passe rien entre nous ! Violette t'a menti ! »

Ce n'était pas seulement sa sœur qui avait mis le feu aux poudres. Le tas de paille, prêt à s'incendier, était déjà debout depuis des mois. Violette n'avait été que l'allumette.

« Je suis fatigué de t'attendre le soir, de ne plus rien faire avec toi. Suis-je ton mari ou bien est-ce Sacha qui l'est ? »

Ses yeux devinrent plus rouges. Ses joues se mouillèrent de larmes. Son front se crispa.

Elle ne l'avait jamais vu dans un état pareil. Il était d'abord rentré en crachant sa colère puis s'était mit à pleurer, laissant sa tristesse déborder.
Il lui avait confié les effets qu'avait l'alcool sur son organisme. Son comportement devenait aléatoire et pouvait basculer de la peine à la rage.

Ondine prit conscience qu'elle avait joué avec lui jusqu'à le rendre malheureux. Elle n'avait pas réalisé que ses absences chagrinaient son mari. Ce n'était pas une excuse de se répéter qu'elle n'avait pas l'habitude de vivre avec un homme.
Violette jouait avec les hommes comme elle-même jouait avec le sien. Cela lui parut ignoble. Etaient-elles aussi différentes qu'elle voulait le croire ? Finalement, peut-être que non.

Voir l'homme qu'elle aimait pleurer, brisant la solide carapace pour montrer ses faiblesses, lui déchira l'âme.

« Je t'aime, je t'aime. Tu es l'homme de ma vie. Jamais je n'irais voir ailleurs, lui souffla-t-elle en prenant dans ses mains son visage bouleversé. »

Il leva les yeux, plongea son visage dans le cou de sa femme. Elle le serra plus fort.
Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes. Elle l'embrassa tendrement sur ses joues arrosées de larmes, sur la bouche, enfin partout où elle lisait de la tristesse.

« Allez, viens, allons dormir. Viens. »

Elle le tira par le bras jusqu'à la chambre. Ils se couchèrent, silencieux, l'un contre l'autre. Leurs corps mais aussi leurs pensées se liaient, indéfectibles. Il l'embrassait avec effusion, avide de l'avoir à nouveau tout à lui. Ondine, affectueuse, retrouvait un mari qu'elle avait délaissé depuis des semaines. Chacun de leurs gestes trahissait une envie d'aller plus loin. Ils avaient été pourtant l'un à côté de l'autre pendant des mois sans ne plus se toucher. Comme s'ils étaient partis en voyage chacun de leur côté et venaient de défaire leur valise au pied du lit.

Ils firent l'amour. Les verres de whisky n'entachèrent pas ce moment intime ; ils en avaient tout deux envie. Comme un engrenage qui repartait après une pause, tout leur revint. Les moindres gestes, les plus fortes sensations ne furent pas brouillées par les effluves de l'alcool. Une sorte de vigueur et de complicité retrouvées les plongea dans une torpeur qui les berça jusqu'au lendemain.

• • • • • • • • • •
Le départ était imminent. Avant de partir, Ondine voulait s'expliquer avec sa sœur. Gary s'était remis doucement de cette soirée que lui avait gâchée la fausse annonce de Violette. La rouquine redoutait qu'il ne se remette à boire malgré le fait qu'elle lui ait répété maintes et maintes fois qu'il ne se passait jamais rien entre elle et Sacha. Il ne serait décidément rassuré que lorsque le dresseur du Bourg-Palette reprendrait son sac à dos et quitterait pendant des mois la région.

Elle avait hésité jusqu'au dernier moment de repousser ou d'annuler ce court séjour en pleine nature avec Sacha et Pierre. Cela lui tenait à cœur de reprendre même pour deux ou trois jours la route qu'ils avaient empruntée il y a des années. Parfois il est bon de revivre les douceurs du quotidien passé. Elle ne pouvait faire ça qu'avec les deux seules personnes avec qui elle eut jamais voyagé. Le charme n'aurait pas opéré si Gary lui avait proposé de venir avec eux.

Ondine arriva à la salle de spectacle où s'entraînaient les Pokémon ainsi que les danseuses. Violette se tenait à côté du bassin, examinant d'une mine sévère ses employés. Parfois elle interrompait les répétitions quand elle relevait une faute qu'il fallait corriger.
Comme elle s'y était attendue, sa cadette lui rendit visite. Tout se déroulait comme dans son plan.

« J'aimerais te parler. Seule à seule. »

A la manière d'une innocente qu'on emmène à l'échafaud, Violette suivit sa sœur.

« Pourquoi as-tu menti à Gary ? dit-elle tout de go, une fois isolées.
- Je n'ai pas menti ! Tu ne repars pas sur les routes avec Sacha finalement ? »

Ondine s'approcha plus près de sa sœur, ne supportant plus sa comédie.

« Arrête ce petit jeu ! »

La championne saisit les épaules de son aînée et la secoua si fort que Violette se retrouva au sol. Cette dernière, d'abord sous le choc, pouffa de rire avant de se relever. Elle poussa Ondine d'un grand geste ; la rouquine perdit l'équilibre et tomba à son tour. Elle se retrouva dans une corbeille où les costumes des danseuses s'entassaient dans l'attente d'être emmenés à la teinturerie.

Ondine eut du mal à se dépêtrer de tous ces longs tissus pailletés si bien que Violette en profita pour se jeter sur elle. Elles se battirent mais l'aînée fit bien attention de ne pas blesser sa sœur. Ondine, colérique, fit le maximum pour repousser sa sœur à coups de pied et à coups de poing. La cadette, bien plus sportive et endurante que son aînée, réussit à la repousser par terre pour finalement s'extraire du grand panier.

Violette resta au sol longtemps après le départ d'Ondine. Elle savoura ce qui, après les amuse-gueules, serait le plat principal de sa machination.

* ("L'âme du Vin", Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal)