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Apocalyptica de Drayker



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» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 22/10/2017 à 18:16
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 17:56

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre -02 : Envers et contre tout
Les crocs de Fenrir se plantèrent dans le mollet de Will, stoppant sa chute.

Le temps sembla se figer.

Le cœur battant la chamade, le détective resta suspendu au-dessus du vide, tête en bas, les yeux rivés sur la mer de nuages qui l’appelait, plusieurs centaines de mètres sous lui.

Le vent rugissait à ses oreilles, le rendant complètement sourd, et le sang lui montait à la tête. La folie de la situation le percuta de tout son poids, et il éclata de rire, stupéfait d’être encore en vie.

Et soudain, Fenrir le tira en arrière, et Will s’écrasa sur la plate-forme de maintenance, ensanglanté et sonné.

Le détective ne sut jamais par quel miracle il eut la présence d’esprit de ne pas se reposer là. A cette altitude, le froid était tel, et la teneur en oxygène si basse, qu’il savait qu’il ne pourrait pas garder connaissance très longtemps.

Les yeux embués par le vent, il ignora la douleur de son mollet mordu par Fenrir et se mit à genoux, s’agrippant aux rails qui bordaient la plate-forme pour ne pas être emporté par le vent. Loin devant lui, il aperçut le sas de maintenance qui permettait d’accéder à la Chancellerie. Au-dessus de lui, sur la passerelle, il entendit le vacarme des bruits de pas des Résistants qui se faisaient massacrer, courant en direction de l’entrée de l’immeuble pour échapper aux drones et se jeter dans la gueule des Elitiens.

Fenrir lui donna un coup de museau dans le dos, et Will jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. L’Arcanin, les griffes plantées dans la plate-forme, lui aboya dessus tandis que le vent malmenait sa crinière.

Déjà, son attention déclinait, et Will sentait son esprit s’embrumer. Poussé par Fenrir, il se mit à progresser vers le sas, rampant plus qu’autre chose. La passerelle tanguait lorsque les bourrasques s’intensifiaient, et le détective comprit pourquoi les ouvriers ne sortaient jamais sans harnais pour s’accrocher aux rails de sécurité.

Il y avait quelque chose d’irréel à progresser ainsi, rampant sur une passerelle suspendue à plusieurs kilomètres au-dessus du sol, tandis que l’enfer se déchaînait au-dessus de soi. S’il n’avait pas été sur le point de s’évanouir, Will se serait probablement arrêté pour savourer l’ironie du moment.

Le manque d’oxygène se fit rapidement ressentir, et le détective sentit son cœur s’emballer, cherchant à compenser en envoyant le sang circuler à toute vitesse dans ses artères. Son souffle s’accéléra, malgré l’effort physique quasi-inexistant. Ses lèvres commencèrent à bleuir et ses ongles également, mais sa vision déclinait trop pour qu’il s’en rende compte.

Un voile gris commençait à flotter devant ses yeux lorsqu’il atteignit enfin le sas. C’était une simple porte circulaire d’un mètre cinquante de diamètre, munie d’une poignée que Will eut un mal fou à saisir. Déployant le peu de force qu’il lui restait, il tira sur la lourde porte de métal, qui s’ouvrit en grinçant. Epuisé, il eut à peine la force de se hisser à l’intérieur avant de s’effondrer sur le sol. Il entendit Fenrir se contorsionner pour le suivre, puis prendre la poignée entre ses crocs et refermer la porte du mieux qu’il le pouvait. Le mécanisme de fermeture s’enclencha, et un bruit hydraulique se fit entendre alors que la pressurisation de l’habitacle commençait.

La dernière chose que Will ressentit avant de perdre connaissance fut le contact doux de la fourrure de l’Arcanin, qui s’allongeait près de lui pour que le feu qui brûle en lui réchauffe l’humain.

~*~
La porte du wagon s’ouvrit, et un contrôleur entra d’un air stressé, parcourant rapidement l’allée. A l’instant où il apparut, les passagers qui ne somnolaient pas à cause de la chaleur l’assaillirent de questions :

« Pourquoi est-ce qu’on n’est toujours pas repartis ? »

« Est-ce que je serai remboursé ? »

« Quand est-ce que vous allez réparer la climatisation ? »


L’homme, assez jeune, n’en menait pas large, et se contenta de rassurer vaguement les voyageurs avant de s’éclipser vers le prochain wagon. Lina tendit l’oreille et, au vu des éclats de voix qui retentirent dans le compartiment d’après, comprit que le même manège devait se répéter dans chaque wagon que le contrôleur franchissait.

Cela faisait près de deux heures qu’ils étaient arrêtés, et ils n’avaient pas eu la moindre annonce – sauf pour les avertir de la panne du système de climatisation du train, une nouvelle dramatique étant donné qu’ils étaient à l’arrêt en plein désert.

Anastasia, assommée par la chaleur, somnolait sur la banquette, mais Lina, elle, sentait le stress monter. Elle avait tenté d’envoyer un texto au Rex pour l’avertir, mais le réseau téléphonique était à nouveau en rade, ce qui n’avait pas contribué à calmer les esprits. Et le visage décomposé du contrôleur, incapable de répondre aux inquiétudes des passagers, avait rendu l’atmosphère encore plus tendue.

La jeune fille avait rapidement été convaincue que cet incident était similaire à la panne générale qui avait eu lieu la veille, et qui avait aussi immobilisé les trains et déconnectés tous les téléphones du réseau. Mais qu’est-ce qui se passait ?

Quelqu’un avait suggéré une tempête solaire. Un autre passager parlait d’interférences magnétiques. Lina n’en savait rien et n’y connaissait rien – mais elle était sûre d’une chose : au rythme où les esprits s’échauffaient, ils allaient devoir repartir rapidement s’ils ne voulaient pas que la situation ne dégénère.

~*~
Will reprit connaissance alors que la langue râpeuse de Fenrir lui léchait le visage. Hagard, il grogna un vague « Arrête ça » à l’attention de son Pokémon et se redressa péniblement, regardant autour de lui.

Il était toujours dans le sas. Face à lui, une porte identique à celle qui menait à l’extérieur. Cette dernière avait été refermée par Fenrir, et, abrité du froid et du vent, Will put reprendre ses esprits et faire le point sur la situation.

A l’étroit à cause de l’imposant Arcanin qui prenait toute la place, le détective rampa jusqu’à la porte intérieure et enclencha le levier d’ouverture. La plaque de métal gronda et s’ouvrit, dévoilant une sorte de salle de maintenance aux murs de laquelle étaient accrochées plusieurs combinaisons pressurisées, ainsi que des harnais. De nombreux outils de réparation et de maintenance étaient rangés dans des étagères, et au vu du désordre qui régnait, il était évident que les ouvriers avaient abandonné leur poste dans l’urgence lorsque les combats avaient commencé.

La douleur se rappela soudain à Will, qui grommela. Il était blessé.

Son mollet, où Fenrir avait planté ses crocs en le sauvant de sa chute, saignait légèrement, mais sans gravité pour l’instant. En revanche, la balle qui l’avait touché au flanc l’inquiétait plus. Son imperméable était maculé de sang, et l’ex-Elitien le jeta avant de relever son T-shirt pour examiner la plaie.

La plaie était sale. La balle avait pénétré la chair sous les côtes flottantes, manquant probablement le foie de très peu. Le manque d’oxygène et l’adrénaline l’avaient empêché de ressentir la douleur, mais à présent qu’il voyait son sang se déverser sur le sol de la Chancellerie, Will prenait conscience de la gravité de son état.

En toutes autres circonstances, le détective serait allé immédiatement à l’hôpital.

Mais il avait abandonné l’idée de survivre à cette folie depuis un moment. Il devait retrouver Tia. S’il parvenait à stopper le saignement, il tiendrait suffisamment longtemps pour gravir les étages de la Chancellerie et atteindre Taylor – c’était probablement dans son bureau que les Elitiens avaient dû emmener Tia.

Fort heureusement pour lui, la balle n’était pas rentrée profondément dans la chair, et ses organes ne devaient pas être touchés. De ses doigts, le détective fourragea dans son flanc, le visage déformé par la douleur, et parvint à extraire la balle. Après avoir cherché en vain un point de compression pour endiguer le saignement, Will, les mains pleines de sang, poussa un juron et avisa un morceau de métal sur une étagère.

Fenrir, qui avait grogné pendant toute l’opération, suivit son regard et gronda encore plus fort.

« J’ai pas le choix. » se justifia l’homme, les dents serrées.

En se tenant le flanc, il fouilla brièvement parmi les étagères et parvint à dénicher des gants ignifugés. Ôtant son T-shirt, il attrapa la barre de métal et s’assit en la tendant à Fenrir.

« Chauffe-ça à blanc, mon vieux, tu veux bien ? »

N’importe quelle personne formée à la survie savait que la cautérisation causait plus de mal que de bien, qu’elle augmentait les risques d’infection et qu’elle n’était absolument pas une solution. Mais Will ne réfléchissait plus qu’à court terme. Il fallait qu’il retrouve Tia.

Rechignant, Fenrir s’approcha malgré tout et s’accroupit près du morceau de métal. Will entendit le feu qui brûlait en lui gronder et s’attiser, et quelques secondes plus tard, l’Arcanin ouvrit la gueule et le brasier se déversa sur le tison, qui changea rapidement de couleur pour devenir blanc.

Sentant son cœur battre à rompre dans sa poitrine, Will noua son T-shirt en boule et mordit fermement dedans avant d’appliquer le morceau de métal chauffé à blanc sur son flanc.

Fenrir gémit tandis que les hurlements étouffés du détective emplissaient l’air en même temps que l’odeur de chair brûlée.

~*~
« Lina, j’ai soif… marmonna Anastasia d’un ton plaintif.
- Ça va aller, chérie, sourit sa jumelle. Je vais te chercher à boire. Tu bouges pas, d’accord ?
- D’accord. »

Elle reposa sa tête contre la vitre, seul moyen pour elle de retrouver un peu de fraîcheur, tandis que Lina se redressait.

La jeune fille quitta l’habitacle et commença à remonter de compartiment en compartiment, à la recherche du wagon-bar. Ils devaient probablement avoir de l’eau fraîche là-bas – peut-être même que vu les circonstances exceptionnelles, elle parviendrait à convaincre le personnel de bord de ne pas la faire payer.

Hélas, ses espoirs se dissipèrent bien rapidement lorsqu’elle entendit le brouhaha qui provenait du wagon-bar. A travers la vitre de la porte y menant, elle aperçut le monde qui s’amassait près du comptoir en se bousculant pour avoir à boire. Un homme en uniforme, débordé, s’efforçait de calmer les ardeurs de la foule grognarde qui commençait à s’énerver. Lina pénétra dans le wagon et entendit alors le problème :

« On va distribuer des bouteilles d’eau équitablement à tous les passagers ! s’efforçait d’expliquer l’employé au comptoir. Une par personne !
- Mais je peux payer ! Donnez-moi votre stock ! s’énervait un type richement vêtu. J’en veux une dizaine !
- Et moi aussi ! renchérit une femme plus loin.
- Je ne peux pas ! On n’en aurait plus assez pour les autres passagers ! se défendit le barman.
- Tant pis pour ceux qui ne peuvent pas payer ! » rugit alors quelqu’un.

La foule approuva à cors et à cris, et Lina grimaça. Soudain, l’homme le plus proche du barman attrapa ce dernier par le col, se penchant au-dessus du comptoir :

« Ecoute-moi bien, merdeux. Vingt pour cent de cette compagnie m’appartient, et j’exige que tu me donnes ces bouteilles immédiatement. Je n’en ai rien à faire qu’il n’en reste plus pour les autres. Sers-moi maintenant, ou je t’assure que je mets un terme à ta carrière.
- Je… Je ne peux pas… On doit…
- Alors je me servirai sans toi ! » grogna l’homme en le repoussant violemment.

Soudain, une déflagration déchira l’air. Tous les regards se tournèrent vers Lina, qui pointait son revolver vers le plafond, le canon encore fumant. Un silence de mort tomba sur le wagon.

« Bien, grogna Lina. Est-ce qu’il y a encore quelqu’un qui s’oppose à ce que chaque passager reçoive sa bouteille d’eau ? »

Le barman lui lança un regard reconnaissant – alors qu’il aurait probablement dû sonner l’alarme et prévenir les contrôleurs qu’un passager était armé.

Personne n’osa répondre à Lina.

Quelques minutes plus tard, elle revint auprès de sa sœur avec deux bouteilles d’eau.

~*~
Lorsque Will reprit connaissance, il mit plusieurs secondes à comprendre où il était. Avisant le tison froid à côté de lui et Fenrir qui le regardait d’un air inquiet, le détective comprit qu’il avait dû tourner de l’œil pendant la cautérisation.

En grognant de douleur, il avisa sa plaie boursoufflée au flanc et soupira. Au moins, ça ne saignait plus.

« Ok… Ok, Fenrir, on peut repartir. » grommela-t-il en se redressant.

L’Arcanin s’approcha en le regardant tituber avec méfiance. L’espace d’un instant, Will crut qu’il ne parviendrait pas à rester debout, mais ses jambes tinrent bon. Il renfila son T-shirt maculé de sang, s’essuya brièvement les mains avec ce qu’il restait de son imperméable, et se mit en route.

Il connaissait la Chancellerie. Lors de la prise d’otage huit ans plus tôt, les Elitiens avaient étudié la topographie de l’immeuble afin de prendre l’avantage sur les ravisseurs. Will n’avait jamais oublié cette journée qui l’avait hanté toute sa vie – mais aujourd’hui, ses souvenirs allaient être utiles.

En fouillant dans sa mémoire, l’ex-Elitien essaya de se remémorer la configuration des lieux.

La Chancellerie était un immeuble à part : ridiculement haut, il accueillait les plus éminents politiciens et aristocrates d’Algosya, voire du monde. Les salles de réunions, de conférence et de banquet étaient légion – et pour veiller au confort de tout ce petit monde, il fallait quantité d’ouvriers, de cuisiniers et de serveurs.

Tous ces agents de l’ombre allaient et venaient au sein d’un circuit parallèle qui parcourait tous les étages. Couloirs entre les murs, cuisines habilement masquées par l’architecture, monte-charges cachés dans les angles… Tout avait été mis en place pour que les travailleurs -pour la plupart originaires de la ville basse- puissent opérer sans déranger les politiciens.

Et c’était ce circuit de l’ombre que Will comptait utiliser pour atteindre le sommet.

« Il va falloir que je te fasse rentrer dans la Pokéball, Fenrir, lança-t-il. Il faut qu’on arrive là-haut sans se faire voir. »

L’Arcanin gronda mais ne broncha pas outre mesure. Alors, Will le fit réintégrer la sphère blanche et rouge, puis se mit en route.

La pièce où il se trouvait était probablement aux environs de l’étage 70.

Le bureau du Chancelier était au sommet de l’immeuble, à l’étage 203.

Il était hors de question de prendre les escaliers.

En se tenant le flanc, Will poussa la porte de sortie de la pièce de maintenance et se retrouva dans un couloir étroit. Tendant l’oreille, il chercha à savoir comment s’était terminé le combat sur la passerelle. Il lui sembla entendre des voix au-dessus de lui, mais impossible de dire s’il s’agissait de Résistants ou d’Elitiens.

Ralenti par son mollet blessé, le détective parvint finalement à un monte-charge. C’était une simple ouverture dans le mur, une plaque de métal que l’on soulevait et qui donnait sur un conduit à peine assez grand pour qu’un homme y passe.

Will jeta un coup d’œil au panneau de commandes. Le chariot circulait entre différentes cuisines, dont la plus haute semblait se trouver à l’étage 92. C’était toujours ça de pris.

Il écrasa le bouton et appela le monte-charge. Le système pneumatique se mit en branle dans un bruissement discret, au grand soulagement du détective, qui craignait que le bruit du mécanisme n’alerte les Elitiens – il présumait que c’était eux qui étaient sortis vainqueurs de la fusillade.

Le monte-charge arriva quelques dizaines de secondes plus tard. En apercevant la simple plaque, Will se demanda si elle supporterait son poids. Malgré tout, il se contorsionna pour rentrer dans le conduit et écrasa le bouton du dernier étage, manquant de se faire arracher la main alors que la porte se refermait.

L’ascension fut une torture. Coincé dans le conduit, Will se demanda ce qu’il ferait si quelqu’un se rendait compte que le monte-charge était en cours d’utilisation alors que la Chancellerie était censée avoir été évacuée. Si un Elitien arrêtait le mécanisme et décidait de jeter un œil à ce qui se trouvait à l’intérieur du conduit.

Au fur et à mesure qu’il grimpait dans les étages, Will entendit clairement des éclats de voix, des bruits de lutte et des tirs. Certains Résistants semblaient avoir survécu, et ils commençaient à grimper dans les étages, affrontant les Elitiens qui, si le détective se fiait à son audition, étaient repoussés dans les étages supérieurs petit à petit.

Le temps pressait. Le chaos était en train d’envahir la Chancellerie et se propageait lentement vers le sommet. Tia était-elle déjà là-haut ? Combien de temps était-il resté inconscient ? Etait-elle encore en vie ? Et où était Riviera ? Que préparait-il ?

Le monte-charge s’immobilisa soudain, et Will se demanda s’il était arrivé. Avisant la trappe devant lui, il l’ouvrit d’un coup de pied et sortit du conduit en ignorant la douleur de son flanc.

Il se retrouva dans une cuisine carrelée de blanc. De nombreux plans de travail métalliques trônaient sous des hottes éteintes, et ça et là, des légumes à moitié coupés trahissaient la précipitation avec laquelle tout le monde avait abandonné son poste.

Sans vraiment savoir où il allait, Will boitilla jusqu’à une porte et l’ouvrit d’un coup d’épaule. Il avait recommencé à saigner.

Il débarqua dans une salle de conférence richement meublée. Une immense table rectangulaire trônait en son centre, autour de laquelle étaient alignées des dizaines de fauteuils de velours. A travers la baie vitrée qui illuminait la salle, Will aperçut le soleil qui commençait à décliner lentement vers la mer de nuages.

Et soudain, il les entendit. Les bruits de voix. Quelqu’un arrivait.

Sans perdre un instant, Will se réfugia sous la table, grimaçant alors que son flanc l’élançait douloureusement. La porte s’ouvrit, et deux paires de bottes entrèrent. Des Elitiens.

« Il devrait être dans le coin. Krusig dit que le monte-charge s’est arrêté à cet étage.
- Va vérifier la cuisine, je m’occupe de l’autre pièce. »

Les bruits de pas s’éloignèrent, et le détective vit une paire de bottes quitter la pièce. L’autre, en revanche, se dirigea vers la cuisine d’où Will venait, mais s’arrêta près de la porte. L’ex-Elitien vit les bottes s’arrêter, puis se retourner.

Soudain, le détective aperçut les traces de sang par terre. Merde !

Avec vivacité, il sortit de sa cachette et se redressa, pointant son arme sur l’Elitien. Ce dernier fut plus rapide que lui, mais ne tira pas.

Face à face, séparés par la table, les deux hommes se reconnurent.

« Adrien… ? bafouilla Will, stupéfait.
- Bon sang, Stelmar, qu’est-ce que tu fous là ? »

Adrien Lacroy, son ancien collègue que Will n’avait pas revu depuis son rendez-vous au Commissariat, le détailla de haut en bas. L’espace d’un instant, les deux hommes se tinrent mutuellement en joue, sans savoir s’ils étaient dans des camps opposés ou non.

Et puis, Lacroy baissa son arme, et la tension retomba.

« T’es blessé, Stelmar, lança-t-il.
- Ça attendra. Il faut que je trouve Tia, grommela Will en se tenant le flanc.
- Alors c’est vrai, ce qu’a dit Riviera ? T’es de la Résistance ?
- Ecoute, Adrien, on n’a pas le temps. T’as pas idée du merdier dans lequel on est.
- Pas idée ? grogna Lacroy. Les Résistants ont foutu la ville à feu et à sang. Ils sont en train de remonter vers le sommet de la Chancellerie, ça fait deux jours que je campe ici pour empêcher ces foutus terroristes de buter Taylor, et tu penses que je suis pas conscient du merdier dans lequel on est ? »

Will s’apprêtait à lâcher une réplique cinglante, mais s’interrompit. Les traits de Lacroy étaient tirés par la fatigue, l’anxiété prolongée et le stress de la situation. Ils étaient tous les deux à cran.

« Ecoute, il faut que je retrouve Tia. Elle est en danger de mort.
- En danger ? Elle était en danger quand vous la reteniez prisonnière ! grommela Lacroy.
- Elle a fondé la Résistance, Adrien ! pesta Will. Elle n’était pas prisonnière ! »

Son ancien collègue ouvrit des yeux ronds.

« Ah ouais ? Et sa disparition à la surface, elle vient d’où ?
- Riviera est aussi un des chefs de la Résistance, expliqua brièvement Will. Sauf qu’il a essayé de faire assassiner tous les autres pour être le seul à la tête du mouvement et pouvoir renverser Taylor. C’est pour ça qu’il faut que je retrouve Tia. Tu sais où elle est ?
- Je… Quoi ? Riviera est un…
- Tu sais où est Tia ? » insista Will en guettant la porte par laquelle le second Elitien avait disparu.

Visiblement secoué, Lacroy se prit l’arête du nez entre l’index et le pouce, soufflant.

« Riviera a dit qu’il voulait l’emmener lui-même à Taylor… La mettre en sécurité…
- Merde ! Et vous l’avez cru ?
- Tu penses qu’il… qu’il va la tuer ?
- A ton avis, pourquoi tu crois qu’il a dit qu’il voulait l’escorter lui-même ? grogna Will.
- C’est ce que la fille Taylor a dit… C’est ce que la fille Taylor a essayé de nous dire, mais elle était complètement psychotique, en train d’hurler après qu’on ait ordonné aux drones de vous tirer dessus, alors personne ne l’a écoutée. »

Will le vit remettre les pièces du puzzle en place. Petit à petit, Lacroy comprenait que les Elitiens avaient été manipulés. Mais il n’allait pas assez vite.

« Il faut que je les retrouve, le pressa Will. Il faut que tu m’aides, Adrien. J’ai besoin de toi. »

Le détective vit son ancien collègue -et ami- hésiter, puis acquiescer. En l’espace d’un instant, sa formation reprit le dessus, et Lacroy se recomposa.

« Ok. Je sais comment on va faire. Joue le jeu, d’accord ?
- Joue le jeu ? De quoi tu…
- LÂCHE TON ARME, ENFOIRE ! » hurla soudain Lacroy en le mettant en joue.

Will sursauta, surpris par ce soudain revirement d’attitude. La porte de la pièce par laquelle avait disparu l’autre Elitien s’ouvrit brutalement, et le détective le vit sortir, arme au poing avant de le mettre en joue.

« Il était planqué sous la table, lança Lacroy à son collègue. Lâche ton arme, j’ai dit ! »

L’ex-Elitien obéit docilement, comprenant soudain où Adrien voulait en venir.

« Passe-lui les menottes. » ordonna Lacroy au second Elitien.

Ce dernier acquiesça et s’approcha lentement de Will, qui leva les mains aussi haut que son flanc blessé le lui permettait. Le collègue de Lacroy, un grand gaillard au teint sombre, lui passa alors les menottes.

« On en fait quoi ? demanda-t-il d’une voix rauque.
- Je vais l’emmener à Riviera, répondit Lacroy avec autorité. Il voudra sûrement l’interroger. Les talkies sont toujours hors service ?
- Ouais. Pas moyen de communiquer avec ceux d’en bas.
- Alors redescends et fais ton rapport à Krusig. Il va avoir besoin de tout le monde pour empêcher les Résistants de monter.
- Tu es sûr que t’auras pas besoin d’aide avec lui ?
- T’as vu son état ? Il tient à peine debout. Ça va aller.»

L’Elitien opina du chef, convaincu.

« Ok. Profites-en pour dire à Riviera que les drones sont en rade. »

Il s’éloigna sous le regard de Will et Lacroy, et disparut par la porte que les deux Elitiens avaient empruntée au moment où le détective se cachait sous la table.

Lacroy, prudent, alla vérifier que son collègue n’écoutait pas derrière la porte, puis revint.

« T’as pas intérêt à m’avoir menti, Stelmar, parce que je prends de gros risques, souffla-t-il.
- Je ne mens pas.
- Je te crois. Ça va aller, ta blessure ?
- Il va bien falloir, grommela Will. Tu sais où est Riviera ?
- S’il compte vraiment exécuter la fille Taylor, il ira forcément au 202. C’est le seul étage où il n’y a pas de caméras, en plus du bureau du Chancelier au 203.
- Comment on y va ?
- Par l’ascenseur officiel. Allez, viens. Et ferme-la si on croise quelqu’un. T’es mon prisonnier. »

~*~
« Lina, il fait chaud… soupira Anastasia.
- Tiens, prends ma bouteille. »

Elle tendit son eau à sa jumelle, qui avait déjà fini sa portion depuis longtemps.

Cela faisait plusieurs heures qu’ils étaient à l’arrêt. Le réseau téléphonique n’était toujours pas revenu, et les contrôleurs n’avaient fait aucune annonce. Apparemment, les haut-parleurs du train étaient hors service, et les passagers étaient si remontés que le personnel n’osait plus circuler dans les wagons.

« Tu m’as poussée ! » s’écria soudain une femme, debout dans l’allée.

Son mari, debout à côté d’elle, se défendit en vain :

« Mais non ! Je ne t’ai pas touchée !
- J’ai senti une secousse, je te dis ! Tu m’as bousculée !
- Mais puisque je te dis que non ! »

Lina leva les yeux au ciel. Les richous.

« On pourrait peut-être atteindre Salmyre à pieds, suggéra soudain un passager.
- Vous savez à combien de temps on est de Salmyre ? grogna un autre.
- Non. Quelques heures, tout au plus, non ?
- Quelques heures dans le sable et sous le cagnard, ça devient tout de suite beaucoup plus long, objecta Lina.
- Je ne vais pas marcher dans le désert, pas sous ce soleil ! s’offensa une bourgeoise. C’est hors de question ! »

Lina regarda Anastasia qui somnolait sur la banquette, assommée par la chaleur. Elle non plus ne tiendrait pas dix minutes sous le soleil cuisant du désert.

Non, elles allaient devoir attendre.

~*~
Will et Lacroy manquèrent d’être plaqués contre les parois de l’ascenseur alors que la Chancellerie toute entière gémissait. La secousse ne dura qu’un instant, mais l’immeuble était suffisamment haut pour qu’ils la ressentent largement.

« C’était quoi, ça ?
- J’en sais rien. Une explosion ? suggéra Will.
- Sûrement. Me dis pas que les Résistants ont osé faire péter une bombe… Pas à cette altitude.
- Possible, si. Il faut qu’on se magne. »

A l’instant où il prononçait ces mots, la cabine d’ascenseur s’immobilisa et les portes s’ouvrirent.

Lacroy et Will -qui avait été débarrassé de ses menottes dès qu’ils avaient été à l’abri- émergèrent dans le hall où, huit ans plus tôt, la fusillade qui avait coûté la vie de Diane avait retenti.

Le 202ème étage de la Chancellerie était situé au sommet de la flèche qui constituait le toit de l’immeuble – en conséquence de quoi, il était le plus petit, à l’exception du bureau du Chancelier lui-même qui se trouvait juste au-dessus.

Will regarda autour de lui. Le hall était désert.

« La salle de conférence, suggéra Lacroy. La salle où les preneurs d’otage s’étaient retranchés. »

Le détective opina. Riviera n’aurait certainement pas résisté à l’envie d’emmener Tia là-bas avant de l’exécuter. Le côté mélodramatique lui aurait trop plu.

En se tenant le flanc, Will se traîna jusqu’à l’immense double-porte qui marquait l’entrée de la salle de conférence, devancé par son ancien collègue. De l’autre côté, il lui semblait entendre des voix.

Naturellement, les deux anciens collègues et amis se positionnèrent de part et d’autre de la porte, exactement comme ils l’avaient fait huit ans plus tôt. Instinctivement, tous deux cessèrent de parler et basculèrent sur les signes militaires, comme à l’époque où ils étaient membres de la brigade d’intervention.

Lacroy lui indiqua qu’il comptait enfoncer la porte, et Will acquiesça.

Après un rapide décompte, les deux hommes se placèrent face à l’ouverture, et l’ouvrirent d’un violent coup de pied.

La salle était un assez grand amphithéâtre, qui s’étendait en arc de cercle autour d’une estrade au centre duquel Tia était assise à genoux, un chiffon dans la bouche. En voyant les deux hommes entrer, elle essaya d’hurler, manquant de s’étouffer. Ses yeux paniqués étaient rivés sur un coin de la pièce, et Will suivit son regard.

Riviera les avait attendus.

L’Officier renégat jaillit de derrière un siège et fit feu. Will et Lacroy se jetèrent à couvert derrière l’estrade, et ce dernier répliqua immédiatement. Le détective, meurtrit par sa blessure, ne put retenir un cri de douleur.

« Vous vous liguez avec des terroristes, Lacroy ? » cria Riviera depuis sa cachette.

L’intéressé jeta un coup d’œil à Will puis indiqua Tia. Le détective comprit et se mit à ramper vers la jeune femme, qui, ligotée, essayait de se mettre à l’abri derrière l’estrade. Ignorant la douleur dans son flanc et son mollet, l’ex-Elitien atteignit la fille du Chancelier et la tira à couvert avant de lui retirer son bâillon.

Tia aspira goulument l’air :

« Je pensais que tu étais mort… souffla-t-elle.
- Pas passé loin. » répliqua Will en dénouant rapidement ses liens.

Nouvel échange de tir entre Lacroy et Riviera, puis le calme revint.

« Vous n’avez aucune idée de ce qui se prépare ! rugit l’Officier, furieux. Aucune idée ! Ce que je fais, je le fais pour nous !
- Il est au courant pour le projet Apocalyptica, murmura Tia. Il est resté me parler d’une sorte de clé, d’une sécurité, comme s’il s’attendait à ce que je voie de quoi il parle. Quand il a compris que je n’y connaissais rien, il s’est décidé à me tuer, mais on a entendu l’ascenseur s’ouvrir.
- Reste à l’abri. » ordonna Will avant de revenir vers Lacroy.

Ce dernier se tenait à couvert, allongé derrière l’estrade, attendant que Riviera sorte de sa cachette.

« Faut le faire parler, souffla le détective en revenant près de son collègue.
- Fais-le. Je le cueille dès qu’il sort. »

Will acquiesça puis releva le menton vers les rangs supérieurs de l’amphithéâtre :

« Qu’est-ce que vous voulez, Frank ? Pourquoi est-ce que vous avez fait tout ça ?
- Parce qu’il va tous nous condamner ! cria Riviera. Taylor va tous nous faire tuer, ou pire ! Et il faut bien que quelqu’un l’en empêche !
- Qu’est-ce que va faire mon père ? s’écria Tia. Dites-le nous ! On peut l’arrêter !
- L’arrêter ? Toi ? C’est à cause de toi que tout ça est arrivé, petite conne ! »

Tout se déroula très vite. Riviera sortit de sa cachette et mit la jeune femme en joue, déterminé à mener son projet jusqu’au bout. Mais Riviera n’était pas un agent de terrain.

Lacroy tira le premier. L’Officier hurla, touché, puis répliqua. Will fut percuté par Tia qui le plaqua au sol, le mettant à l’abri des balles.

Quelques secondes plus tard, le calme retomba. Un calme plat.

Un calme morbide.

En se redressant péniblement, Will aperçut Lacroy qui gisait dans une mare de sang, touché en pleine tête.

« NON ! » rugit le détective.

Il tourna la tête vers les marches de l’amphithéâtre, prêt à vider son chargeur sur Riviera, mais ce dernier gisait inerte dans l’escalier.

Will rampa jusqu’à son ancien ami et collègue, s’agenouilla et l’attrapa par les épaules, le secouant comme s’il espérait que le trou rouge dans sa tempe ne l’avait pas tué. L’espace d’un instant, l’absurdité de toutes les morts de la journée le percuta d’un coup, il se demanda soudain au nom de quelle folie ils avaient accompli tout ceci.

« Il faut qu’on y aille, Will. » murmura Tia dans son dos.

Le détective ne répondit pas, fixant Lacroy d’un regard vide. Ils s’étaient perdus de vue pendant toute ces années, et voilà qu’il venait de lui sauver la vie, là où tout avait commencé.

« Will ! Il faut qu’on y aille ! Il faut qu’on aille voir mon père ! »

La fille du Chancelier posa une main sur son épaule, l’arrachant à ses lamentations. La réalité l’aspira, et Will se redressa, s’appuyant sur Tia qui peinait à soutenir son poids.

« Ça va aller… souffla la jeune femme en l’aidant à tenir debout. Ça va aller. Je suis là. On est presque au bout.
- Il ne méritait pas ça. » grogna Will d’une voix rauque.

L’adrénaline était retombée, sa blessure au flanc s’était rouverte et il tenait à peine debout. Son arme lui paraissait incroyablement lourde.

« Je sais, murmura Tia en lui caressant la joue. Je sais. C’est à nous de faire en sorte qu’il ne soit pas mort pour rien. C’est à nous de mettre un terme à tout ça, d’accord ? Tous les deux. »

Will la regarda longuement, étudiant le visage tuméfié de la jeune femme. Ses yeux brillaient de détermination.

Alors, il acquiesça, et tous deux quittèrent l’amphithéâtre, appuyés l’un contre l’autre, ensanglantés, épuisés, traumatisés mais prêts à en découdre.