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Codélia Network - Tome 1 : La justicière virtuelle de Kazumari



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Informations

» Auteur : Kazumari - Voir le profil
» Créé le 13/03/2019 à 13:03
» Dernière mise à jour le 15/02/2023 à 17:26

» Mots-clés :   Action   Aventure   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Bonus : Cyber-Hunter Legacy (2045 A.D.)
- Je vous dépose où, ma petite dame ?

- Au siège du Codélia Network Industries, je vous prie.

Charlotte Linday prit place à l'arrière du taxi, déposant son haut-de-forme noir à côté d'elle pendant que le véhicule démarrait. Son regard plongé à travers la vitre de la portière, qui laissait défiler les différentes rues, elle se demandait bien ce qui pouvait se passer au sein du Réseau Codélia pour que le CNI lui-même en vienne à lui demander ses services. Depuis le début de sa carrière de chasseur de primes virtuel, la société ne l'avait jamais contactée.

D'apparence mature pour son âge, Charlotte était une fille de quinze ans et pourtant déjà dans la vie active. Elle ne ressemblait pas aux autres enfants après tout, elle faisait partie du clan Linday, famille aristocratique disposant d'un fort pouvoir à travers la mégapole d'Ebravia. Même si après les événements de l'année précédente, Charlotte ne se considérait plus vraiment comme un membre de la famille, ayant choisi de suivre sa propre voie.

- Désolé si je vous parais indiscret, intervint le chauffeur du taxi, l'extirpant de ses pensées. Mais votre visage me dit quelque chose…

- Vous m'avez peut-être déjà observée à la télé, mon brave, répondit simplement Charlotte. Vous n'êtes pas le premier à me faire la remarque... et certainement pas le dernier.

L'homme n'insista pas, reportant son attention vers l'avant, ce qui l'arrangea beaucoup. Même si elle ne s'en offusquait pas, l'aspect médiatique autour de sa famille jusqu'à la mort de son père l'avait toujours beaucoup dérangée. Maintenant qu'elle avait perdu contact avec ses frères et sœurs, elle pouvait se concentrer sur son propre avenir sans se soucier d'apparaître à la télévision ou dans des galas de charité. Cela ne faisait qu'un an, bientôt les gens ne la reconnaîtraient plus.

Après, elle ne faisait pas non plus d'efforts pour se fondre dans la masse. Son apparence physique n'avait rien d'extraordinaire, Charlotte disposait d'une chevelure brune mi-longue s'arrêtant au niveau de ses épaules, d'une taille normale pour une fille de son âge et d'une silhouette fine. Ses yeux d'un azur brillant étaient d'ailleurs la partie favorite de son anatomie. En revanche, concernant son aspect vestimentaire, difficile de faire moins discret.

En dehors de son haut-de-forme noir signature, qu'elle portait systématiquement à chaque fois qu'elle quittait son domicile, Charlotte possédait un amour inconditionnel pour les robes, possédant une garde-robe d'une taille colossale. Elle en portait d'ailleurs une en vue de son rendez-vous au Codélia Network Industries, d'un blanc cassé qui lui plaisait bien, et que des filles de condition normale ne pourraient clairement pas s'offrir même dans leurs rêves les plus fous.

Au bout d'un certain temps sur les routes, Charlotte finit enfin par apercevoir l'immeuble de la fameuse entreprise, facilement reconnaissable grâce à l'immense logo incrusté sur les vitres supérieures. Même si la famille Linday disposait d'une part des chiffres d'affaires du CNI, la jeune fille n'y avait jamais mis les pieds avant aujourd'hui. Et l'ironie de la situation restait qu'elle ne s'y rendait pas en tant que Linday mais en tant que Mirage.

- Et nous sommes arrivés, ma petite dame !

L'aristocrate attrapa son chapeau posé sur la banquette et le replaça sur sa tête avant d'ouvrir la portière arrière du véhicule. Charlotte remercia le conducteur pour le voyage et lui laissa son pourboire. Comme elle n'avait pas de monnaie sur elle, la jeune fille laissa malgré elle davantage que le montant demandé mais ne se souciait pas vraiment de recevoir la différence. Certes sa fortune de Linday n'existait plus mais depuis la création de Mirage, elle gagnait tout de même très bien sa vie.

Alors qu'elle traversait le parking pour rejoindre l'accueil de l'entreprise, Charlotte entendit la sonnerie de son téléphone portable retentir à travers son sac à main. Comme il s'agissait de son téléphone privé, dont seules les personnes de confiance disposaient du numéro, elle ne doutait pas vraiment de la personne cherchant à entrer en contact avec elle. Voir le nom de « Mister Phoenix » s'afficher sur l'écran ne fut qu'une simple confirmation.

- Phoenix, tu pourrais me rappeler dans une heure ou deux ? demanda-t-elle en acceptant l'appel. J'ai un rendez-vous au CNI, je suis déjà sur place, je n'ai pas le temps pour une conversation de robotique.

- C'est justement pour ça que je t'appelle, Marie. Il se peut que ta visite au CNI soit…

- Je raccroche Phoenix, soupira l'aristocrate. Je suis devant l'entrée du CNI et comme j'ai dû prendre un taxi pour venir, je vais finir par être en retard. Tu m'expliqueras tout plus tard. Et arrête avec ton Marie, je t'ai déjà dit que je préférais Charlotte.

Mister Phoenix adorait l'appeler à toute heure de la journée, parfois même au beau milieu de la nuit, pour discuter de ses projets tordus de robotique. Directeur de Phoenix System, entreprise très prolifique dans le domaine, il fut dans le temps un vieil ami du père de Charlotte, jusqu'au décès de ce dernier. Elle-même intéressée par la robotique, la jeune fille lui rendait très souvent visite. C'était même Mister Phoenix qui l'avait conseillé après avoir perdu sa fortune.

Elle était consciente qu'il travaillait actuellement sur un projet d'androïde ultra-perfectionné. Une fois, il l'avait contacté juste pour lui annoncer fièrement que son bijou pouvait à présent marcher dix mètres en ligne droite sans tomber. Persuadée que l'appel d'aujourd'hui serait encore peu captivant, elle préférait faire passer son propre travail en priorité. Si ce rendez-vous lui permettait d'obtenir un partenariat solide avec le CNI, elle ne souhaitait pas laisser passer cette chance.

Ressentant très peu de remords après lui avoir raccroché au nez, Charlotte rangea son téléphone là où il se trouvait initialement avant de poursuivre sa traversée du parking. Elle ne tarda pas à franchir l'entrée du bâtiment et se dirigea aussitôt vers l'accueil, où un secrétaire d'une trentaine d'années semblait captivé par le contenu de l'ordinateur lui faisant face. Ce dernier leva les yeux vers la nouvelle venue, qui retirait à nouveau son haut-de-forme pour ne pas attraper chaud.

- La raison de votre venue ? demanda-t-il sur un ton sec.

- J'ai rendez-vous avec monsieur Edouard Keyton, chef de la Sécurité chez vous, se justifia Charlotte, tentant de rester cordiale face à une telle attitude.

- Et vous avez une preuve de ce rendez-vous ?

- Une... une preuve ?

L'aristocrate ne comprenait pas bien où cet homme à lunettes mal rasé voulait en venir. Quelle preuve ? Edouard Keyton l'avait contacté sur le Réseau Codélia, lui proposant une mission en échange d'une rencontre dans le monde réel. Consciente de l'opportunité, elle avait immédiatement accepté et son interlocuteur lui avait simplement dit de passer au siège du CNI, lui donnant un jour et une heure où il serait disponible pour discuter avec elle.

La jeune fille comprenait très bien que le Codélia Network Industries était une entreprise massive au sein d'Ebravia et qu'on ne lui permettrait pas de progresser dans l'immeuble sans une raison bien précise. Les gardes musclés qui se tenaient droit devant la porte d'entrée et l'ascenseur en étaient la preuve. Edouard Keyton n'avait-il pas prévenu l'accueil qu'une fille allait passer dans la journée pour le rencontrer ? Peut-être était-il trop occupé.

- Si vous n'avez pas une preuve concrète que vous devez rencontrer monsieur Keyton, je vais devoir vous demander de partir, madame.

- Est-ce que vous savez au moins à qui vous vous adressez ? questionna Charlotte, perdant lentement son sang-froid. Je suis Marie-Anne Charlotte Geneviève Linday de Fravière. Si vous ne me laissez pas aller à mon rendez-vous avec Edouard Keyton, je peux vous garantir que je vais racheter cet endroit et le faire fermer. Vous imaginez le chaos dans Ebravia si le Réseau Codélia disparaissait subitement ?

La jeune fille n'aimait pas du tout user de son nom afin d'obtenir plus aisément des privilèges, elle qui avait pris le soin de couper les ponts avec ce qui restait de sa famille. Mais comme l'entourloupe organisée par son frère aîné pour récolter l'héritage de leur défunt père n'avait pas été rendue publique, tout le monde pensait encore que tous les enfants du chancelier Linday disposaient chacun de leur propre fortune. Charlotte espérait simplement que son bluff fonctionnerait auprès de ce secrétaire méprisable.

Il afficha un léger sourire qui semblait presque signifier qu'il était au courant de sa situation financière actuelle et que racheter le CNI, entreprise coûtant certainement plusieurs centaines de milliards de Pokédollars, serait au-dessus de ses moyens. Nul doute que la menace avait échoué mais avant que le secrétaire eut le temps d'appeler la sécurité pour disposer de Charlotte, un homme sortit de la cage d'ascenseur située à l'arrière de la salle d'accueil et se dirigea aussitôt vers eux.

- Laissez, elle est avec moi, déclara le nouveau venu en levant la main.

Charlotte plissa les yeux pour lire le nom de l'homme sur le badge situé au niveau de sa poitrine. Le fameux Edouard Keyton qui l'avait contacté précédemment sur le réseau. Dans la vingtaine, une chevelure verte soigneusement coiffée et portant un costume-cravate digne de son rang, il transpirait le professionnalisme malgré son jeune âge. Le secrétaire, appréciant visiblement l'action d'éjecter les intrus de l'immeuble, sembla déçu de ne pas réussir à y parvenir cette fois-ci.

Edouard Keyton, après lui avoir serré la main, invita la demoiselle à l'accompagner jusqu'à l'ascenseur afin qu'ils puissent rejoindre ensemble son bureau. Pour Charlotte, sa première rencontre avec une nouvelle personne était toujours importante. Son opinion du chef de la Sécurité était pour le moment positive, ce dernier semblait trop absorbé par son travail pour se rappeler de sourire mais en dehors de ça, il ne paraissait pas méchant.

- Veuillez excuser l'attitude de notre secrètaire, madame. Comme notre entreprise se doit d'avoir une sécurité hors norme, il est terrifié à l'idée de laisser des gens rentrer, même sur rendez-vous. En temps normal, son collègue est là pour le surveiller mais il est malade aujourd'hui, expliqua Edouard en appuyant sur le bouton de l'étage d'arrivée.

- Il n'y a aucun problème, assura Charlotte, toujours un peu amère, affichant un sourire légèrement forcé.

- En tout cas, je n'aurais jamais pensé que Mirage puisse être en réalité Marie-Anne de la famille Linday. Henry m'a beaucoup parlé de vous.

- Qu'est-ce que Henry a à voir là-dedans ? interrogea-t-elle, grimaçant à l'idée d'être appelée par son premier prénom.

Alors qu'ils gravissaient les étages, elle apprit de la bouche d'Edouard que l'un de ses deux frères travaillait à présent pour le compte du CNI, en tant qu'assistant-chef de la Sécurité. Comme la jeune fille avait coupé les ponts avec tout le monde, elle ne s'en serait jamais douté. Si son autre frère Archibald, celui qui était la cause de l'entourloupe, était médiatiquement exposé en tant qu'homme politique, elle ignorait toujours ce qu'il advenait de sa sœur Hildegarde.

Lorsque le chancelier Linday s'était éteint l'année précédente à cause d'une maladie grave, son testament indiquait que la fortune familiale devait être partagée équitablement entre ses quatre enfants, Charlotte, Hildegarde, Henry et Archibald. Ce dernier ne l'a pas entendu de cette oreille et a joué sur les magouilles pour s'assurer que l'intégralité de la fortune lui reviendrait, ruinant le reste de sa famille dans le processus. Sur les conseils de Mister Phoenix, Charlotte s'était tournée vers le Réseau Codélia afin de survivre.

Si initialement son objectif fut de devenir encore plus riche que son frère afin de l'humilier publiquement, elle évolua rapidement en commençant sa carrière de chasseur de primes virtuel. Elle gagnait très bien sa vie mais ne s'intéressait même plus à sa famille. Elle se plaisait dans ce qu'elle faisait et cela lui suffisait amplement. Même ruinée, elle avait pu se concevoir une nouvelle fortune non négligeable en l'espace d'un an de carrière malgré son jeune âge.

- Je suis tenu au secret professionnel en vous invitant aujourd'hui pour cette entrevue. Je ne peux pas révéler votre véritable identité à qui que ce soit. Pas même à mon bras-droit, votre frère. En revanche, si vous souhaitez aller le voir de vous-même, je ne vous retiendrai pas, indiqua calmement Edouard alors qu'ils quittaient l'ascenseur.

- Tout ira bien, monsieur Keyton. Je n'ai pas spécialement envie de lui rendre visite, avoua Charlotte. Contentons-nous de cette mission pour laquelle je me suis déplacée.



***


Charlotte put noter que le bureau d'Edouard Keyton était nettement mieux rangé que le sien. Tout objet se trouvait à la place qui lui convenait, aucun papier ne traînait sur le sol, tous les livres de sa bibliothèque privée étaient classés par ordre alphabétique, même le bureau en lui-même transpirait la propreté et le soin. Nul doute que le chef de la Sécurité était un homme un peu maniaque sur les bords. En pénétrant dans la pièce, la chasseuse de primes virtuel nota la présence d'un petit Pachirisu couché dans un coin.

Le Pokémon Electrique, très discret, grignotait de la nourriture dans une gamelle que son dresseur avait préparé spécialement pour lui. Alors qu'elle refermait la porte, Charlotte jeta un bref coup d'oeil à son sac à main en cuir, où était rangée la Pokéball de son fidèle partenaire Kravarech, songeant à le faire sortir. Se rappelant qu'il était bien plus grand qu'un simple Pachirisu, elle changea aussitôt d'avis et prit place sur le siège qu'Edouard lui montrait.

- Venons-en aux faits. Si vous m'avez demandé de venir, c'est pour que j'effectue une mission dans le Réseau Codélia en tant que Mirage, je me trompe ? interrogea calmement Charlotte en posant son haut-de-forme signature sur ses genoux.

- En effet. Une anomalie est survenue il y a quelques jours là-bas et comme elle ne se corrige pas d'elle-même, nous ne pouvons pas l'ignorer plus longtemps, expliqua le chef de la Sécurité. Avant de vous expliquer la situation, je tiens à vous prévenir d'une chose.

- Il y a un problème ?

- Vous êtes à vrai dire la deuxième chasseuse de primes à laquelle je m'adresse, avoua Edouard en joignant ses mains au dessus de son bureau. Comprenez que je suis nouveau à ce poste et je n'aimerais pas qu'une anomalie déplaisante en vienne à me coûter mon travail. Cette mission a déjà été confiée à quelqu'un d'autre que j'ai invité ici il y a deux jours.

La demoiselle grimaça intérieurement, en tâchant de ne pas le montrer. Voilà qui n'allait pas lui faciliter la tâche. La compétition parmi les chasseurs de primes était rude, chacun souhaitant obtenir sa prime sans avoir à la partager avec quelqu'un d'autre. Charlotte ne souhaitait pas devoir tirer un trait sur un quelconque partenariat avec le Codélia Network Industries parce que cette mission serait accomplie par une autre personne.

Jugeant qu'il serait impoli de sa part de poser la question aussi vite, elle décida d'attendre la fin de cette entrevue avant de demander à quel chasseur de primes cette opération avait également été donnée. Si elle le connaissait, elle pourrait peut-être mettre en place une stratégie pour l'induire en erreur et avoir le pactole pour elle seule. Malheureusement, elle doutait que le CNI ait fait appel à un débutant, son adversaire serait certainement expérimenté.

- En m'adressant à deux chasseurs de primes, j'augmente tout simplement mes chances de réussite. Je ne sais pas comment vous opérez mais vous pourrez vous allier si vous le souhaitez ou bien agir chacun de votre côté. La prime sera divisée en deux si vous l'effectuez ensemble, cela va de soi.

- Nous verrons bien une fois que j'en saurais davantage sur la situation, souffla-t-elle en commençant à se balancer sur sa chaise. Quelle est donc cette opération ?

Edouard attrapa l'un des trois ordinateurs portables rangés dans son immense mallette et l'ouvrit pour le présenter à son interlocutrice. Sur l'écran était affiché une carte de la cité Codélienne où tous les utilisateurs se connectaient pour participer à des événements, s'affronter au cours de batailles sur le circuit Haute-Vitesse ou tout simplement se rencontrer. Charlotte nota la présence d'un point rouge clignotant sur la carte, au niveau du secteur industriel bêta.

Le chef de la Sécurité lui indiqua que ce fameux point rouge représentait l'anomalie du Réseau Codélia, se déplaçant en temps réel et rendant impossible de le localiser avec précision. En effet, la jeune fille put remarquer que le problème venait de se déplacer de quelques centaines de mètres en l'espace d'une poignée de secondes. Ne parvenant pas à cerner ce que pouvait bien être cette anomalie, elle préféra demander aussitôt des compléments d'information.

- A vrai dire, nous ne savons pas encore réellement de quoi il s'agît. Votre collègue déjà au courant de la situation n'a pas encore réussi à le coincer et à déterminer sa nature. Croyez-moi que si j'avais pu vous renseigner, je l'aurais fait immédiatement. Tout ce que je peux vous dire, c'est que sa signature de données est la même que celle d'un avatar. En revanche, il ne s'agit pas d'un utilisateur connecté sur le réseau par le biais d'une Codéwatch.

- Dans ce cas, qu'est-ce que ça peut bien être ? demanda la jeune fille, perplexe.

- Notre seule hypothèse pour le moment est qu'il s'agit d'un programme néfaste, ou bien d'un virus, répondit le chef de Sécurité. Il aurait pris l'apparence d'un avatar pour se fondre dans la masse. Si cette théorie est exacte, cela rendra la tâche plus compliquée. Le différencier d'un simple utilisateur ne serait pas possible au premier coup d’œil.

Charlotte se doutait bien qu'une mission offerte par le Codélia Network Industries serait différente de toutes celles qu'elle avait pu effectuer pour le moment. Jusqu'ici, ses clients s'étaient contentés de lui demander de collecter un maximum d'informations sur un utilisateur précis, ou bien de défaire des commerces illégaux effectués par le biais de la dimension numérique. Charlotte avait même déjà accepté une demande de la police par le passé.

Éliminer un virus qui pouvait se mélanger aux personnes utilisant régulièrement le Réseau Codélia ne serait pas une mince affaire, elle comprenait maintenant mieux pourquoi Edouard avait tenu à faire appel à plusieurs personnes pour venir à bout de ce problème. En tant que chef de la Sécurité, il serait problématique pour lui qu'un virus se balade dans la nature trop longtemps. Charlotte ne savait pas encore comment elle allait s'y prendre mais elle était douée pour trouver rapidement des pistes.

- La prime sera de deux millions de Pokédollars si vous parvenez à venir à bout de l'anomalie, annonça Edouard. Acceptez-vous cette mission, Marie-Anne ?

- Ce n'est pas tous les jours que l'on me propose une telle somme, déclara-t-elle, reposant les quatre pieds de sa chaise sur le sol, tentant d'ignorer son premier prénom à nouveau. Bien entendu que je vais m'occuper de ce programme néfaste. Vous avez pris une bonne décision en faisant appel aux services de Mirage, monsieur Keyton !



***


- Bloody Braxter ?

Le briefing de la mission terminé, Edouard Keyton raccompagnait son invitée à l'entrée de l'immeuble. Sur le chemin, Charlotte en profita pour poser la question qui lui brûlait les lèvres, celle au sujet de l'autre cyber-chasseur qui était également dans le coup. Maintenant qu'elle avait accepté la mission, elle souhaitait connaître l'identité de son rival. Peu importe qui elle avait en face, elle doutait de former une alliance, à la conséquence de diviser la prime par deux.

Apprendre qu'il s'agissait de Bloody Braxter n'arrangeait pas vraiment ses affaires. Très réputé dans le milieu des chasseurs de primes, il en était l'un des piliers. Les soupçons de Charlotte, comme quoi le CNI aurait forcément fait appel à quelqu'un d'expérimenté, s'en étaient aussitôt retrouvés vérifiés. Bloody Braxter était un homme déterminé, qui ne reculait devant rien ni personne pour accomplir ses missions. En tant que Mirage, elle avait échoué contre lui à maintes reprises.

- Cela veut dire que Braxter s'est présenté ici il y a deux jours et que vous connaissez donc sa véritable identité ? demanda Charlotte, dont la curiosité prenait très vite le dessus quand il s'agissait du boulot. Vous n'auriez pas une piste pour m'aiguiller ?

- Comme je vous l'ai dit, je suis tenu au secret professionnel quand je fais appel à des cyber-chasseurs pour le compte du CNI, rappela Edouard en lâchant un sourire navré. Je ne peux donc rien vous dire sur lui tout comme je ne divulguerai rien à votre sujet.

- C'est bien dommage ça…

Comprenant qu'elle ne pourrait pas soutirer des informations au chef de la Sécurité, Charlotte préféra ne pas insister davantage. Bloody Braxter était bien trop soigneux dans son travail pour que son identité tombe aussi facilement, la seule façon de le découvrir serait sur un coup de chance. Et la jeune fille ne pourrait pas attendre que ce coup de chance tombe avant que son rival ne mette la main sur le programme défectueux qui se baladait sur le Codélia.

Charlotte ne savait pas encore comment elle allait s'y prendre pour coincer cette anomalie, surtout si elle était sous la forme d'un avatar parfaitement identique aux autres. Edouard Keyton lui avait fourni un utilitaire qui lui permettrait de la traquer mais comme son emplacement changeait très fréquemment, la tâche n'en serait pas plus aisée. L'aristocrate jugea que la meilleure solution pour le moment était de rendre visite à son ami Phoenix pour lui demander conseil.

- Je vous souhaite bon courage dans l'opération. N'hésitez pas à me contacter par le Réseau Codélia si vous avez le moindre souci, je tâcherai de vous aider dans la mesure de mes possibilités, déclara le chef de la Sécurité en lui tendant sa main, alors qu'ils atteignaient l'entrée du parking.

- Je n'y manquerai pas, assura Charlotte en acceptant de la serrer. En attendant, je ferai mon possible pour faire en sorte que vous gardiez votre emploi.

Quand son interlocutrice prit congé pour retourner dans les locaux du CNI, la demoiselle commença sa traversée du parking tout en attrapant le téléphone portable rangé dans son sac à main. Mister Phoenix avait souhaité lui parler avant son entrevue, probablement au sujet de son dernier projet d'androïde en date. Comme elle lui avait méchamment raccroché au nez, elle le rappela afin de se faire pardonner et entendre les dernières prouesses du projet de robotique.

- C'est Charlotte, dit-elle dans l'appareil après avoir composé le numéro. Navrée pour tout à l'heure. Je peux passer à Phoenix System ?

- Je t'y emmène si tu veux, ma chère Marie.

S'apprêtant encore à rétorquer qu'elle n'aimait pas être appelé par son prénom de naissance, Charlotte se stoppa net en entendant le bruit d'un moteur de véhicule. En levant les yeux, elle put apercevoir la limousine privée de Mister Phoenix, reconnaissable entre mille à cause de sa couleur violette. Songeant qu'elle n'aurait pas besoin d'appeler un taxi, elle raccrocha avant de s'approcher du véhicule et d'en ouvrir l'une des portières.

Mister Phoenix se trouvait là, assis sur la banquette arrière. Là où Charlotte faisait tout de même des efforts, très infimes, pour tenter de se fondre dans la masse, son ami n'en faisait pas le moindre. Son costume cravate violet étincelait comme s'il sortait de la machine à laver, ses cheveux stylisés étaient de la même couleur, coiffés à la perfection. Sans parler de ses lunettes de soleil dont les verres étaient teintés de sa couleur favorite, il ne s'en séparait sous aucun prétexte.

Dans la trentaine, Phoenix avait été élu l'homme le plus charmeur dix années consécutives dans Playboy Magazine. Il empilait les trophées sur son bureau, appelant ceci sa plus grande fierté. Mais malgré son côté charmeur et tombeur, il demeurait un expert dans le domaine de la robotique, ayant fait de son entreprise la numéro un dans le domaine, incomparable à toute autre. Depuis toute petite, Charlotte adorait passer du temps en sa compagnie, observant ses différents projets parfois révolutionnaires, parfois saugrenus.

Refermant la portière de l'imposant véhicule derrière elle, la demoiselle prit place à côté de Phoenix, posant comme à son habitude son fidèle haut-de-forme sur ses genoux. Très excitée par son entrevue avec le Codélia Network Industries, Charlotte avait bien entendu mis son ami au courant. Ce dernier était le seul, avec maintenant Edouard Keyton tenu au secret professionnel, à connaître la véritable identité de la cyber-chasseuse Mirage.

- Tu tenais tant que ça à me montrer ta dernière trouvaille avec ton projet... Yrmémachinchose ? demanda Charlotte, amusée, alors que la limousine démarrait.

- Yrmésis, ma chère Marie, rectifia Mister Phoenix. Le projet Yrmesis ira loin, je peux te le garantir. Mais pour le moment, je voulais simplement te…

- Charlotte, mon cher Phoenix, grinça-t-elle entre ses dents. Cela ne me dérange pas que nous allions à Phoenix System pour que tu me montres, je risque d'avoir besoin de ton aide pour accomplir ma mission de toute façon. Mais tu veux pas qu'on s'arrête avant ? Je meurs de faim et il y a une pizzeria qui a ouvert pas très loin d'ici.



***


La grande avenue du secteur quatre était populaire lorsqu'il s'agissait du Réseau Codélia. Même si des écrans géants étaient disséminés un peu partout à travers les immeubles d'Ebravia, c'était là que les regroupements les plus massifs se produisaient pendant les événements importants de l'espace virtuel. Il valait donc mieux éviter d'habiter dans le coin un soir de finale de Festival Numérique si l'on voulait dormir la nuit.

Les restaurateurs avaient très bien cerné le phénomène et s'installaient ici, comprenant que les spectateurs seraient plus à l'aise assis avec un bon repas pour assister aux formidables combats sur les circuits Haute-Vitesse. Lorsqu'elle n'était pas en mission dans la dimension numérique, Charlotte aimait se perdre dans cette immense avenue et tester un à un chacun des restaurants, snacks et fast-food qui ouvrait en permanence. Sa dernière cible en date étant la nouvelle pizzeria.

Sous la forme d'un petit camion, le principal avantage de ce nouvel établissement était la mobilité. Lorsque le Festival Numérique battait son plein, le propriétaire pouvait s'installer là pendant la durée de la compétition. Autrement, il traversait Ebravia, allant de secteurs en secteurs pour vendre ses bonnes pizzas et faire connaître ses produits. Et il fallait reconnaître que cela fonctionnait. Les quarts de finale de l'édition actuelle du festival battaient leur plein et les clients ne manquaient pas à l'appel.

Les deux margaritas commandées à la main, Charlotte alla rapidement s'asseoir à la petite table où Mister Phoenix avait pris place en l'attendant. Ce dernier observait d'un œil distrait le match de quart de finale qui voyait s'opposer Meijin et Skadia, l'actuelle détentrice du titre. Le premier, réputé pour amener malgré lui les matchs de phase finale jusqu'à la mort subite, n'avait pas manqué à la règle aujourd'hui non plus. Phoenix reporta son attention vers son amie alors qu'elle s'asseyait.

- On va pouvoir parler de ton Yrmétruc, souffla-t-elle. Alors, qu'est-ce qui s'est passé dernièrement ? Il a su construire des phrases ? Marcher sans se prendre les murs ? Dis-moi tout, mon cher Phoenix.

- C'est différent cette fois-ci, admit Phoenix, bien déterminé à ne pas retirer ses lunettes de soleil même pendant le repas. En vérité, cela fait déjà quelques jours que je suis dans cette situation mais je n'ai pas pris la peine de t'en parler. C'est quand même plus intéressant de converser à propos de mes réussites que... mes échecs. N'est-ce pas ?

- Un échec ? Toi ? Alors là, j'ai très envie d'en savoir plus, s'étonna Charlotte en attrapant une part de pizza.

Depuis toute petite qu'elle le connaissait, l'aristocrate avait toujours considéré Phoenix comme un expert indétrônable en matière de robotique. Il avait réussi ses études d'une main de maître avec des résultats fantastiques, avait obtenu une place de choix dans la société de son père dont il avait aussitôt hérité à l'âge de seulement vingt-trois ans. Et de nos jours, Phoenix System demeurait encore la référence en la matière. Tout réussissait à son ami, au point où elle était persuadée qu'il ne pouvait pas connaître l'échec.

- Pour être franc, je pensais être arrivé à terme du projet Yrmesis, il y a un peu moins d'une semaine. Le prototype semblant être enfin prêt à l'emploi. Je te l'avais déjà montré, tu te souviens ?

- Ah oui, c'était cette fille adolescente. Comment tu l'avais appelé déjà ? interrogea-t-elle, ne parvenant jamais à retenir les noms de code que Phoenix donnait à ses machines.

- Androïde Yrmesis Autonome, en d'autres termes, A.Y.A., rappela-t-il après avoir avalé une bouchée de son repas. Nom de code 13-09-12-01-14-09. Maintenant que je lui ai inséré un disque dur avec suffisamment de données pour qu'elle puisse communiquer et comprendre notre langue, je pensais pouvoir effectuer quelques essais. Mais ça a mal tourné…

Charlotte manqua d'avoir le vertige suite à une telle suite de chiffres sans cohérence aucune. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi son camarade trouvait des appellations aussi tordues alors qu'un simple Y1 pour rappeler à Yrmesis aurait fait le même travail. Mais elle préféra se retenir et ne pas en faire la remarque à voix haute, écoutant la suite du récit de Mister Phoenix. Et ce qu'elle apprit en suivant se révéla fort surprenant.

Tandis qu'en arrière plan, le Lugulabre de Meijin avait failli mettre fin à la mort subite du match de quart de finale, le directeur de la société de robotique poursuivit son histoire. Après avoir manqué d'assommer son créateur, A.Y.A. s'était aussitôt dirigé vers l'ordinateur le plus proche et y avait branché son propre système d'exploitation. Rien de bien choquant pour Charlotte jusqu'à ce qu'elle apprenne que l'androïde était connecté depuis presque quatre jours sur l'ordinateur et qu'elle avait finalement rejoint le Réseau Codélia.

- Tu es en train de me dire que ton Yrmétruc se trouve depuis un bon moment sur le Réseau Codélia de manière complètement illégale ? balbutia-t-elle en manquant de s'étouffer avec sa pizza.

Charlotte fit aussitôt le lien avec son entrevue avec le chef de la Sécurité. Sa cible au cours de la mission était une entité qui ne s'était pas connectée grâce à la Codéwatch, l'appareil en forme de montre qui permettait aux utilisateurs de passer l'univers virtuel au réel. Cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Après tout, un simple humain, même le plus formidable des hackeurs, ne pourrait pas voyager jusqu'à la dimension numérique.

La brunette comprenait mieux à présent pourquoi Phoenix avait cherché à la joindre juste avant son rendez-vous avec Edouard Keyton. Même si l'homme tout de violet vêtu avait préféré garder le silence ces derniers jours par honte de son échec, il avait tout de même préféré la mettre au courant avant qu'elle ne reçoive sa mission. Pour que le CNI en vienne à demander de l'aide à des cyber-chasseurs, cela ne pouvait être que de la faute d'A.Y.A.

- Mais c'est génial si tout est de ta faute ! s'exclama Charlotte, un grand sourire traversant ses lèvres. Vu que la source de l'anomalie se trouve à Phoenix System, on pourra plus efficacement tracer son signal depuis là-bas. Cela va grandement me faciliter la tâche.

- Par simple curiosité, quel est l'intitulé exact de ta mission ? demanda-t-il alors, croisant ses jambes sous la table. Dois-tu éliminer l'anomalie ? Ou alors une simple déconnexion suffira ?

- Du moment que je la fais disparaître... je suppose qu'une déconnexion peut largement suffire, répondit la jeune fille après un bref instant de réflexion. Si je ne la fais pas disparaître du Réseau Codélia, cela risque d'entraîner des complications pour l'équipe de la sécurité.

Mister Phoenix lâcha un soupir de soulagement. Il ne souhaitait pas endommager A.Y.A., sa plus belle réussite jusqu'à aujourd'hui. Il s'agissait de la principale raison pour laquelle il n'avait pas débranché le câble d'alimentation avec lequel son androïde avait relié son système d'exploitation à un ordinateur. Il n'y avait sûrement que quelques réglages à faire pour que son projet se comporte docilement, il ne souhaitait pas devoir repartir de zéro à cause d'une simple erreur, surtout s'il pouvait l'éviter.

Charlotte, quant à elle, était également soulagée à l'idée d'avoir sa première piste dans cette affaire. Certes il s'agissait d'un simple coup de chance, mais si Mister Phoenix n'avait pas été la source du problème, il l'aurait aidé à capturer l'anomalie de toute façon. Maintenant, elle était confiante à l'idée d'accomplir la mission du CNI avant Bloody Braxter, afin de faire suffisamment bonne impression auprès du CNI et obtenir un partenariat sympathique.

- Bloody Braxter ? Il est également sur le coup ?

- Hélas... il fallait s'attendre à ce que le CNI fasse appel au meilleur. Si on ne se dépêche pas, il finira bien par détruire A.Y.A. avant que nous ne puissions la déconnecter de force. Il piétine depuis deux jours mais Braxter est bien connu pour toujours réussir ses missions avec efficacité.

Une nouvelle qui ne réjouissait pas du tout Mister Phoenix. Contrairement à Mirage, il n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer Bloody Braxter par le passé mais il le connaissait toutefois de réputation. Doué, efficace, dangereux et prêt à tout. Tant de manières de décrire cet homme qui n'hésiterait pas une seule seconde avant de détruire la conscience d'A.Y.A. qui se baladait en ce moment sur le Réseau Codélia. Fermant le carton de sa boîte à pizzas, alors qu'il ne l'avait pas encore terminée, il se leva subitement.

Comprenant qu'elle aussi allait devoir terminer son repas dans la limousine, Charlotte ne tarda pas à quitter la table à son tour. La demoiselle comprenait l'inquiétude de Phoenix vis-à-vis de son androïde mais doutait que Braxter parvienne subitement à éliminer A.Y.A. et son signal impossible à quadriller. Un rapide coup d’œil à l'écran géant lui appris que Meijin venait de remporter la victoire contre la championne en titre du Festival Numérique et que le match de quart de finale suivant allait commencer d'ici peu.



***


Le ventre bien rempli, les deux compères quittèrent la cage d'ascenseur menant aux quartiers privés de Mister Phoenix. L'entreprise lui appartenant, l'homme fan du violet s'était réservé un étage tout entier pour son bureau et ses différents ateliers de mécanique. Même si aucun de ses assistants ne l'avait encore appelé pour lui annoncer une mauvaise nouvelle, le directeur ressentait une importante tension depuis que Charlotte lui avait appris l'implication de Bloody Braxter dans l'histoire.

La jeune fille était consciente qu'elle aurait peut-être dû tenir sa langue à ce sujet pour éviter d'inquiéter inutilement son ami. Elle savait pertinemment que Mister Phoenix était passionné par son travail et ses machines. Rien que ses nombreux appels à la demoiselle concernant l'avancée du projet Yrmesis était la preuve de son enthousiasme. Elle comptait faire de son mieux pour empêcher Braxter de réussir la mission, ce qui lui permettrait de protéger A.Y.A. tout en empochant l'intégralité de la prime.

Ouvrant la porte de son laboratoire privilégié, Charlotte put constater avec un certain amusement qu'il était toujours aussi mal rangé. Des feuilles avec des schémas et croquis traînaient dans les moindres recoins de la pièce sans parler des nombreuses pièces détachées. La suie provoquée par les explosions et dysfonctionnements des appareils testés n'était jamais nettoyée, le parfait contraste avec l'apparence de Mister Phoenix, toujours étincelant dans son costume.

- Alors c'est ça la fameuse A.Y.A. ? constata Charlotte en pénétrant dans la salle.

La dernière fois qu'elle avait eu l'occasion d'apercevoir le petit bijou de Phoenix, il était encore sous la forme d'un exosquelette d'acier. Mais maintenant, A.Y.A. ressemblait à un véritable être humain, si l'on ne prêtait pas attention au trou béant qui remplaçait sa main droite. Des fils de couleurs différentes en sortant pour se brancher sur l'unité centrale de l'ordinateur. Les yeux fermés, l'androïde semblait dormir debout en face de l'appareil.

Des cheveux noirs synthétiques tombant jusqu'au bas du dos se trouvaient à présent sur le crâne du robot. Charlotte ne prêta pas attention au fait qu'il était entièrement dépourvu de vêtements et que Mister Phoenix avait bien entendu pris la peine de modeler son corps comme celui d'une véritable fille. Si l'on se fiait à sa simple apparence sans prendre en compte sa véritable nature, A.Y.A. donnait l'impression d'être une adolescente proche de la majorité.

- Elle est comme ça depuis environ quatre jours, expliqua Phoenix en s'asseyant sur le siège de l'ordinateur voisin. Je sais très bien que j'aurais dû t'en parler plus tôt mais je pensais pouvoir régler cette histoire par mes propres moyens sans qu'A.Y.A. ne subisse de séquelles.

- Maintenant que je suis là, nous allons pouvoir nous occuper de cette histoire ! s'exclama Charlotte. Je vais me connecter sur le Réseau Codélia pendant que tu tenteras de quadriller son signal. Il va falloir que nous soyons efficaces, Bloody Braxter est certainement sur place en ce moment même et je suis prête à parier qu'il n'acceptera pas l'alliance lui non plus.

Acquiesçant d'un signe de tête, le directeur de Phoenix System invita aussitôt son amie à prendre un autre des fauteuils présents dans la pièce afin qu'elle puisse être dans une bonne position. Après tout, son corps de chair et de sang allait demeurer dans le monde réel pendant toute la durée de la connexion de Mirage sur la dimension numérique. Autant éviter de futurs problèmes de dos inutiles, surtout vu le jeune âge de Charlotte.

- Je compte sur toi ma chère Marie, sois gentille avec A.Y.A. quand tu seras en sa compagnie. Elle doit être perdue. La pauvre, rester dans le Codélia pendant quatre jours sans connaissance aucune…

- Je vais faire de mon mieux...



***


- A.Y.A. se trouve actuellement à l'autre bout de la cité Codélienne. Le problème, c'est que le temps que tu t'y rendes, elle sera déjà partie ailleurs. Elle semble être en constant déplacement, le seul moyen serait de deviner sa trajectoire pour la coincer.

- Je te laisse t'en occuper Phoenix, préviens-moi quand tu auras du nouveau.

Ne sachant pas vraiment où commencer, Charlotte avait pris la décision de se connecter dans l'une des avenues les plus fréquentées de la ville numérique. Là où dans la vie de tous les jours, la demoiselle tentait tant bien que mal de se fondre dans la masse malgré ses tenues extravagantes, elle n'avait clairement fait aucun effort concernant l'apparence de son avatar. Mais au sein du Réseau Codélia, les avatars les plus voyants étaient limite ceux qui passaient le plus inaperçus.

Mirage était en effet tout sauf un Mirage. Charlotte avait troqué sa chevelure brune pour une orange, bien plus flamboyante, qui tombaient dans son dos. Ses yeux azurs devenaient jaunes et comme si cela ne suffisait pas, elle avait ajouté deux oreilles de renard sur sa tête. Sa tenue vestimentaire rouge composé d'un kimono rouge et blanc accompagné par une veste aux manches assez imposantes rappelait beaucoup ses vêtements du monde réel.

- Le Codélia est moins bondé en semaine d'habitude, soupira-t-elle en tentant malgré elle de traverser l'avenue sans entrer en collision avec un autre utilisateur. Je comprends mieux comment A.Y.A. s'y prend pour ne pas se faire coincer…

- C'est les quarts de finale du Festival Numérique aujourd'hui, souviens-toi. Et ils ne sont pas encore terminés malheureusement, tu vas devoir faire avec.

Créer un avatar ne permettait pas de modifier sa taille mais Charlotte en avait quand même profité pour modifier sa silhouette trop fine. Ses bras et ses jambes paraissaient moins maigres que sur son véritable corps. On ne pouvait pas ressentir la fatigue dans la dimension numérique ce qui rendait cette modification corporelle complètement esthétique mais avec son emploi du temps chargé, la rejetée de la famille Linday n'avait aucune intention de se mettre au sport.

Même si la compétition mensuelle était en cours de diffusion et que la majorité des utilisateurs n'avaient pas eu la chance d'obtenir un ticket dans le grand stade de la ville, Mirage trouvait tout de même que cet attroupement était bien trop supérieur à la normale. Et elle ne tarda pas à en déterminer la cause. Après avoir remporté son match, Meijin s'était fait attraper par une horde de fans hystériques et se retrouvait maintenant coincé dans une séance de dédicaces.

Mirage ne s'intéressait pas vraiment aux stars de la plate-forme, ce n'était pas ça qui allait ramener l'argent au bercail. Même avant de devenir une cyber-chasseuse, elle ne s'était servie de son compte sur le Réseau Codélia que de façon ponctuelle. Son rang au classement général n'était de toute manière pas assez élevé pour qu'elle puisse être sélectionnée au Festival Numérique. Et le faire monter était à présent le dernier de ses soucis, elle s'en sortait très bien avec son rang à six chiffres.

- C'est impraticable Phoenix, je vais passer par une ruelle pour aller ailleurs, déclara-t-elle, devant se contorsionner pour avancer. Tu peux me dire si Bloody Braxter est connecté, tiens ? Il ne faudrait pas qu'il parvienne à coincer A.Y.A. avant nous…



***


Alors qu'elle faisait son détour pour échapper à la foule, Mister Phoenix ne tarda pas à lui confirmer la présence de son collègue chasseur de primes. Pire, il se trouvait à proximité. Mirage n'avait pas spécialement envie de le croiser pour le moment. Même si Bloody Braxter était réputé pour son honneur, elle préférait éviter de prendre le risque d'être déconnectée par un programme néfaste de sa part qui bloquerait sa Codéwatch pendant une durée non négligeable.

D'autant plus que malgré son talent dans le métier, Charlotte ne s'y connaissait pas vraiment en informatique, s'étant contentée d'en apprendre plus sur la robotique. Contrairement à elle, le directeur de Phoenix était à l'aise dans les deux domaines. C'était l'une des nombreuses raisons pour laquelle son aide était précieuse lors des missions les plus compliquées. La demoiselle n'avait jamais trouvé le temps ni le courage de se plonger dans le hacking et la programmation, elle trouvait cela bien trop compliqué.

- En revanche, je ne vais pas pouvoir quadriller le signal d'A.Y.A. tout en surveillant les agissements de Braxter. Je te conseille donc de rester sur tes gardes, informa Phoenix.

- Prudence a toujours été mon deuxième prénom, t'inquiète pas pour ça.

- Ah bon ? J'aurais juré que ton deuxième prénom était Charlotte, ma petite Marie.

Mirage ne jugea pas utile de répondre. Elle se doutait bien que Phoenix l'appelait par son premier prénom, ou du moins une partie, uniquement pour la taquiner. C'était bien d'en avoir une confirmation. Autant être appelée Marie-Anne par des étrangers ne lui plaisait pas, autant elle parvenait tout de même à faire une exception pour son ami de longue date. Elle aurait tout de même préféré que le directeur de la société de robotique l'appelle Charlotte.

Continuant sa traversée de la ruelle, bien moins envahie par les utilisateurs que les grandes avenues de la cité Codélienne, la cyber-chasseusse attendait patiemment que son camarade termine sa partie du travail concernant la position d'A.Y.A.. Il s'agissait là d'une course contre la montre. Bloody Braxter était déjà sur le coup depuis deux jours et tout comme elle, devait avoir reçu les utilitaires pour localiser l'anomalie de la part d'Edouard Keyton.

Sa main caressant l'une des Pokéball accrochées à sa ceinture, Mirage songea à faire sortir son fidèle Kravarech pour qu'il puisse partir de son côté et tenter de retrouver Braxter afin de le surveiller. Elle se ravisa toutefois rapidement. Son rival la connaissait bien et saurait immédiatement que le Pokémon Simulalge lui appartenait. Il avait une expérience considérable dans le milieu et n'était pas né de la dernière pluie après tout.

- Je ferais mieux de repartir rapidement dans les avenues principales, quitte à devoir esquiver les fans tarés de Meijin, souffla-t-elle, l'atmosphère pesant de cette ruelle déserte commençant à l'affecter. J'ai un mauvais pressentiment.

- Tu ne crois pas si bien dire ma chérie !

Le cœur de Mirage manqua un battement alors qu'elle levait les yeux vers les toits des maisons l'entourant. Bloody Braxter se trouvait bien là, tranquillement posé pour l'observer. Et Mirage ne doutait pas qu'il devait l'avoir trouvée depuis plusieurs minutes. Mister Phoenix étant bien trop occupé par la position d'A.Y.A., il n'avait pas pu la prévenir à temps. A la vue de son rival, la jeune fille passa par différentes émotions négatives qu'elle fit de son mieux pour dissimuler.

- Quelle bonne surprise, Braxter ! s'exclama-t-elle avec un sourire tellement forcé que cela en devenait ridicule. Qu'est-ce que tu fais dans le coin ?

Sans répondre immédiatement, le chasseur de primes se leva, attrapa un grappin dans sa poche et tira en direction de Mirage, qui esquiva la cible par réflexe. Plantée dans le mur de la maison d'en face, Bloody Braxter put s'en servir pour descendre et se placer à proximité de sa camarade. Cette dernière aurait beaucoup donné pour ne pas avoir à le rencontrer pendant cette mission afin qu'elle se passe tranquillement. Et Phoenix qui ne disait toujours rien.

Un cow-boy, tel était le premier terme qui venait à l'esprit lorsqu'on observait Bloody Braxter. Un homme de grande taille et mince, plutôt bien bâti. Ses cheveux bruns dépassaient légèrement de son chapeau et il possédait une barbe mince le long de sa mâchoire. A sa façon de s'exprimer, Mirage aurait tendance à lui donner environ le même âge que Mister Phoenix, vers la trentaine. Les petites rides autour de ses yeux allaient en ce sens.

La jeune fille se demandait parfois si Braxter ne s'était pas contenté de reproduire sa véritable apparence alors qu'il avait la possibilité de se rajeunir. Même sa tenue était classique, une simple chemise blanche supportée par un grand manteau noir qui tombaient jusqu'à ses genoux. Il portait également différents accessoires tels que des fusils ou le grappin utilisé précédemment, certains étant uniquement là pour l'aspect esthétique. Les armes à feu n'existaient pas vraiment au sein du Réseau Codélia après tout.

- Allons allons, ne fais pas la surprise Mirage. Tu étais parfaitement au courant que j'étais invité à la fête, non ? Monsieur Keyton du CNI t'en aura parlé. En tout cas, il m'a aussitôt mis au courant de ta participation après que tu aies quitté son bureau, déclara-t-il, amusé tout en ramenant son grappin jusqu'à lui.

- On ne peut rien te cacher je suppose... soupira la demoiselle en stoppant son affreux sourire. Tu me surveilles depuis longtemps comme ça ? J'avoue que je n'aime pas l'idée d'avoir un stalker…

- Je suis dur en affaires. Et un peu égoïste sur les bords, je n'ai pas vraiment l'intention de collaborer et partager la prime offerte avec quelqu'un d'autre. Il est donc primordial, afin d'assurer la réussite de cette mission, que je m'occupe... d'évincer tout obstacle, si tu vois ce que je veux dire.

La rejetée de la famille Linday déglutit avec difficulté. Elle savait que Bloody Braxter ne reculait devant rien pour accomplir ses objectifs mais de là à éliminer quelqu'un, cela allait trop loin. Les avatars du Réseau Codélia étaient conçus pour être résistants à la douleur et aux chocs, notamment immunisés aux attaques Pokémon, mais ne demeuraient pas indestructibles pour autant. Des dommages trop importants pouvaient entraîner des répercussions sur le véritable corps de l'utilisateur.

Chasseur de primes ou pas, les agressions envers d'autres avatars étaient sévèrement prohibés. Son rival ne prendrait pas le risque d'être banni, juste pour quelques millions de Pokédollars. Cela mettrait un terme définitif à sa carrière. En guise d'autodéfense, Mirage posa la main sur le couteau attaché à sa ceinture, juste à côté de ses Pokéball. Certes, l'objet était là d'un point de vue esthétique mais pouvait parfaitement servir dans le cadre de l'autodéfense.

- Tu es vraiment sûr de vouloir en arriver là ? demanda-t-elle, n'osant pas se retourner pour faire face à son collègue. Je suis certaine que nous pouvons trouver un terrain d'entente pour qu'aucun d'entre nous ne soit blessé.

- Blessé ? Qu'est-ce que tu racontes, Miry ? Moi je te parle d'un combat Pokémon !

Pensant avoir mal entendu, Mirage se retourna à toute vitesse, la main toujours posée sur son arme contondante. Et elle put se rendre compte que Bloody Braxter venait de prendre une Pokéball. Son sourire moqueur indiqua que ce quiproquo était clairement intentionnel et la demoiselle se sentit très stupide d'être tombée dans le panneau. Pourtant, elle devait avoir l'habitude des coups fourrés de son collègue depuis un an qu'elle était dans le milieu.

- Un combat Pokémon alors ? Pourquoi donc, Braxter ? Tu penses pouvoir attirer cette anomalie pendant que nous nous affronterons sur un circuit Haute-Vitesse ?

- Oh non, c'était simplement un combat où nous mettrions en jeu notre implication dans cette opération. Le perdant se retire et laisse le gagnant éliminer le problème et récupérer toute la prime, se justifia calmement Bloody Braxter, sûr de lui. Et nul besoin de le faire sur le circuit Haute-Vitesse, je te rappelle que les quarts de finale du Festival Numérique sont toujours en cours, nous n'y avons pas accès. La ruelle est suffisamment grande pour que nous combattions ici.

Les affrontements Haute-Vitesse étaient la fierté de la dimension numérique et contribuaient grandement à sa popularité toujours grandissante. Mais effectuer des batailles classiques, où les deux dresseurs restaient les deux pieds sur terre l'un face à l'autre, restaient possibles. Généralement c'étaient les utilisateurs un peu effrayés par les circuits qui préféraient y participer et leur fréquence diminuait toujours plus, depuis l'introduction de la Haute-Vitesse il y avait environ sept ans.

Mirage n'avait encore jamais eu l'occasion de batailler contre Bloody Braxter. En réalité, elle ne connaissait même pas son niveau dans le domaine et se rendait compte qu'elle ignorait bon nombre de choses au sujet de celui qui fut autrefois son instructeur. Il était vrai que le chasseur de primes ne parlait pas du tout de sa vie privée et ne laissait aucun indice qui permettrait de remonter jusqu'à sa véritable identité. Un homme bien mystérieux.

- Tu vas vraiment te retirer de la mission si je remporte la victoire ? demanda-t-elle, souhaitant rester méfiante. Cela ne te ressemble pas vraiment de laisser passer une telle occasion d'amasser de l'argent. Surtout que l'on parle de plusieurs millions de Pokédollars…

- Je pense que ta présence sur les lieux sera bien plus gênante si je ne me débarrasse pas de toi rapidement, avoua son interlocuteur. Le temps c'est de l'argent comme on dit. Je ne vais pas me permettre de laisser cette anomalie s’aggraver avec le temps au point de faire renvoyer notre employeur.

Charlotte Linday se rappela alors que son adversaire disposait de moins d'informations qu'elle concernant la situation. Pour lui, le problème devait certainement toujours être une espèce de virus néfaste alors que la réalité était ailleurs. Aucun risque de propagation lorsque l'anomalie était en réalité un utilisateur illégal parfaitement inoffensif. Mais ce n'était clairement pas elle qui allait lui parler de l'implication de Phoenix System dans cette affaire.



***


- J'ai enfin réussi à quadriller le signal d'A.Y.A., ce sera plus simple désormais pour nous de la tracer pour la capturer. Elle devrait passer approximativement au niveau de ton point d'ici une dizaine de minutes, je compte sur toi !

Les propos de Mister Phoenix ne pouvant pas être entendus par Bloody Braxter, Mirage évita de lui répondre directement à voix haute pour ne pas éveiller les soupçons. Cette situation ne lui plaisait pas vraiment. Maintenant qu'elle pouvait à présent coincer l'androïde qui se baladait illégalement sur le réseau, elle se retrouvait à effectuer un combat Pokémon où elle mettait toute la prime de la mission en jeu. Et elle ne pourrait pas contourner la condition si elle perdait au risque de détruire toute sa crédibilité.

En revanche, si Bloody Braxter avait posé ses conditions concernant l'issue de la rencontre, il n'avait rien dit au sujet d'une interruption. Charlotte comptait donc miser dessus pour se tirer d'affaire. Quand A.Y.A. se trouverait à proximité, elle allait faire en sorte de disparaître rapidement pour lui courir après. L'objectif n'était donc pas ici de vaincre son rival mais simplement de faire durer la rencontre suffisamment longtemps jusqu'à ce que l'anomalie se présente.

- Je ne savais pas que tu appréciais autant les combats Pokémon, en voilà une bonne surprise ! déclara-t-elle en laissant sortir son Kravarech à l'air libre. Moi qui pensais que tu étais juste doué pour les coups fourrés, j'en apprends tous les jours davantage à ton sujet.

- Tu ignores beaucoup de choses à mon sujet, ma chérie. Un véritable chasseur de primes sait garder son identité secrète et laisser planer le doute, avoua-t-il, toujours le sourire aux lèvres. L'idée que Mirage puisse être le dernier rejeton du chancelier Linday ne m'avait même pas traversé l'esprit, je dois l'admettre.

Décidément, Bloody Braxter était doué pour jouer avec le cœur de son interlocutrice. A croire qu'il souhaitait lui donner une crise cardiaque simplement pour l'évincer de l'opération. Le visage relativement sûr d'elle de la demoiselle se décomposa rapidement suite à ces derniers mots. Comment le cyber-chasseur pouvait avoir déterminé son identité ? Elle qui faisait tant d'efforts pour que le mystère reste entier. Décidément, il avait toujours un temps d'avance.

Mister Phoenix lui confirma immédiatement que les logs de connexion de Mirage étaient tous supprimés régulièrement et qu'il était impossible de les récupérer pour déterminer son identité. Cela ne voulait dire qu'une seule chose, Bloody Braxter était passé par des moyens détournés pour déceler la vérité. Et elle aurait beaucoup donné pour savoir comment il s'y était pris et surtout, depuis combien de temps il disposait de cette information.

- Allons bon, ne fais pas cette tête. Tu es bien Marie-Anne Linday, n'est-ce pas ? Ce n'est pas la peine de le cacher, tu sais ?

- Charlotte Linday, grinça Mirage entre ses dents. Je peux savoir comment tu t'y es pris ? Mon log de connexion est vierge et c'est le seul moyen connu pour hacker des informations sur les utilisateurs ? demanda-t-elle, bien déterminée à découvrir le fin mot de l'histoire.

- Un véritable cyber-chasseur ne révèle pas ses secrets enfin. Disons simplement que la prochaine fois que tu auras un rendez-vous dans le monde réel en tant que Mirage, il faudra penser à apporter un petit brouilleur avec toi. Je te laisse déduire le reste toute seule.

Les yeux de Mirage ne tardèrent pas à s'illuminer face à cette remarque, qui lui permettait d'obtenir des réponses à certaines de ses questions. Bloody Braxter avait simplement déterminé son identité lors de son entrevue avec Edouard Keyton dans la matinée. Comme le cyber-chasseur savait qu'au moins un autre de ses collègues participerait à l'opération, il avait installé un tout petit appareil indétectable dans le bureau du chef de la Sécurité afin de pouvoir écouter les conversations.

Une erreur de débutant. Charlotte s'était tout simplement fait avoir par une simple erreur de débutant. Et le sourire radieux de Bloody Braxter en disait long, il n'était pas peu fier d'avoir réussi à percer le secret de Mirage. Pour les chasseurs de primes, la véritable identité était le bien le plus précieux que l'on conservait en toute circonstances. Le fait que quelqu'un connaisse à présent le lien entre Marie-Anne Linday et Mirage pouvait grandement nuire à ses affaires.

- Je n'ai pas l'intention de mettre un terme à la carrière de Mirage ma petite chérie, avoua le cow-boy en attrapant à son tour une Pokéball. Cette information sera conservée par mes soins, je n'ai pas d'intérêt à aller le crier sur les toits. Mais ça peut toujours être sympa comme moyen de pression un de ses quatre, tu ne penses pas ?

- Effectivement... marmonna-t-elle, bien déterminée à se démener pour découvrir à son tour la véritable identité de Bloody Braxter. Heureusement que l'on peut régler cette affaire par un combat Pokémon, je n'aurais pas aimé devoir chercher un véritable travail ou faire pression auprès du CNI pour me créer un nouveau compte. Je sais très bien que les double-comptes sont interdits…

Un Maracachi ne tarda pas à faire son apparition dans la ruelle. C'était bien la première fois que Mirage le voyait et elle ne pouvait pas juger de ses aptitudes d'un simple coup d'oeil. Bloody Braxter était-il un dresseur talentueux ou simplement sûr de lui ? Elle n'avait pas cette réponse. Elle-même ne se considérait pas vraiment dans le haut du panier. Son Kravarech savait se défendre mais de là à pouvoir se battre contre des pointures du Codélia tels que Meijin ou Skadia, il y avait des limites.

La présence de son rival chasseur l'empêchait de converser convenablement avec Mister Phoenix. Elle aurait bien aimé lui dire d'analyser tout ce qu'elle pouvait au sujet de Bloody Braxter afin de trouver le moindre indice sur sa véritable identité. Elle était contrainte de jeter l'éponge à ce sujet pour le moment mais ne manquerait pas de travailler d'arrache-pied pour le coincer après cette mission. Pour le moment, elle devait résister à ce Maracachi jusqu'au passage d'A.Y.A. et cela n'allait déjà pas être une mince affaire.



***


- Tu veux bien répéter ?

- Est-ce que tu peux me prêter environ cent millions de Pokédollars... s'il te plaît ? Promis je te les rends dès que possible !

- Allons Marie, j'ai beau être ton ami, ce n'est pas vraiment courtois de débarquer dans mon entreprise pour me demander un emprunt à neuf chiffres.

Son père maintenant enterré et son testament mis en marche, son frère Archibald était parvenu à s'accaparer le butin de façon tout à fait légale, ruinant le reste de sa famille. Certes, Charlotte avait des réserves qui lui permettraient de vivre pendant encore quelques temps mais elle voulait penser à l'avenir. A quatorze ans, elle avait déjà arrêté ses études et ne disposait pas de la moindre formation pour travailler. Faire partie de la famille Linday ne changerait rien à son CV.

Désespérée, elle avait fini par se tourner vers son ami Mister Phoenix, avec qui elle aimait bien passer du temps depuis qu'elle était toute petite, ce dernier lui ayant enseigné quelques bases de robotique. Elle se disait qu'avec cent millions de Pokédollars, elle aurait une base suffisamment solide pour trouver un moyen de devenir plus riche que son frère et lui clouer le bec. Mais visiblement, le directeur de Phoenix System n'était pas emballé par une telle transaction.

- Qu'est-ce que tu feras quand tu deviendras plus riche que ton frère ? demanda Phoenix, perplexe, en joignant ses mains sur le bureau. Tu comptes récupérer ta part du testament ? Ce n'est pas vraiment comme ça que ça marche, Marie. A mon avis, tu devrais revoir ton ambition à la baisse, trouver un simple boulot et faire ta vie comme tout le monde.

- Sans aucune formation, je ne risque pas d'être embauchée quelque part... souffla Charlotte, l'air dépité.

- Marie... je t'ai enseigné des bases de robotique parce que ça avait l'air de vraiment t'intéresser. Certes, tu n'as pas d'études et cela ne voudra rien dire pour un employeur... sauf si je suis l'employeur, bien entendu.

Même à son jeune âge, l'idée d'avoir un supérieur hiérarchique à qui elle devrait obéir la rendait malade. Et le fait que cela puisse être une vieille connaissance n'y changeait rien. La proposition de Mister Phoenix lui permettrait certainement de sortir de l'embarras et obtenir une situation stable. Mais il n'y avait rien à faire, ce n'était pas la voie qu'elle voulait prendre. Son passé de femme riche aristocrate l'influençait peut-être mais elle se sentait tout de même vouée à quelque chose de plus grand qu'être simple employé.

L'homme violet cernait très bien le problème de son amie mais n'avait pas vraiment d'autre alternative à lui proposer. Lui offrir une place à Phoenix System était déjà très généreux de sa part, il ne pouvait pas vraiment aller plus loin. A moins bien sûr que Marie-Anne Linday se dirige vers le Réseau Codélia, un phénomène de mode toujours plus grandissant depuis plus d'une décennie. Il y avait clairement moyen pour elle de faire fortune dessus.

- Tu utilises le Réseau Codélia, Marie ? questionna-t-il soudainement.

- Le machin virtuel où les gens s'affrontent avec des Pokémon ? Non, pas vraiment…

- Des tournois très compétitifs sont régulièrement organisés dessus, parfois avec du vrai argent à la clé. Sans parler de toutes les magouilles qui se font dans l'ombre sans que le Codélia Network Industries ne soit au courant. Ils sont nombreux ceux qui sont devenus millionnaires juste en utilisant la plateforme…

D'abord intéressée, Charlotte fut déçue presque aussitôt. Elle n'était pas douée pour les combats Pokémon. Certes, son Kravarech se défendait correctement mais elle ne s'était jamais attardée sur son entraînement. Si pour devenir riche, elle devait combattre des pointures de la plateforme, elle ne ferait pas long feu. Certes, cela pouvait se révéler séduisant mais être un champion des affrontements Pokémon n'était pas donné à tout le monde. En revanche, la deuxième partie des propos de Phoenix avait attiré son attention.

- Comment ça, des magouilles ? Y a des gens qui sont payés pour mettre à mal des magouilles ?

- Euh... il me semble que oui, répondit Phoenix, surpris par l'excitation soudaine de son interlocutrice. On appelle ça des cyber-chasseurs, si je ne me trompe pas. Des mercenaires qui acceptent tout type de demande concernant le Codélia.

- Des cyber-chasseurs…




***


- Et bien, Mirage, nota Bloody Braxter. Tu m'as l'air bien distraite... devoir te retirer de cette mission ma foi très bien payée n'a pas l'air de trop t'effrayer à ce que je vois…

Décidément, la jeune fille choisissait toujours les pires moments pour ressasser son passé compliqué. Pourquoi donc devait-elle repenser à ses débuts dans le monde des cyber-chasseurs à ce moment précis ? Peut-être parce que Bloody Braxter était lié à cette histoire après tout. Si l'année précédente, il n'avait pas été l'une des références dans le milieu, peut-être que sa situation actuelle en tant que Mirage aurait été bien différente.

Malgré l'avantage évident de Kravarech sur Maracachi lorsque l'on s'attardait uniquement sur leur compatibilité des types, ce n'était pourtant pas lui qui s'en sortait le mieux en ce moment. Comme le partenaire de Charlotte ne se trouvait pas dans son élément, il était bien moins performant qu'à l'accoutumée. Ce n'était que dans le milieu marin que ses talents ressortaient le mieux. Bloody Braxter le savait et s'en amusait.

- Rien de spécial, je repensais juste à notre première rencontre, avoua Mirage, conservant son calme. Quand on y pense, cela fait déjà une année entière.

- Un mystérieux utilisateur du nom de Mirage, dont le compte avait été créé le jour-même, qui m'envoie un message privé pour me demander de lui enseigner l'art des chasseurs de primes. Il y a de quoi être suspicieux, surtout quand on voit que la demande provient d'un espèce d'hybride humain-renard portant des vêtements voyants. Mais bon, tu avais des arguments très convaincants.

Par arguments très convaincants, Bloody Braxter sous-entendait l'intégralité des économies restantes de Charlotte à l'époque, à savoir presque un million de Pokédollars. Pour quelqu'un comme le cow-boy, qui avait une relation très particulière avec l'argent, il n'en fallait pas plus pour accepter de prendre une élève avec lui. Même si le concept d'élèves dans le monde des cyber-chasseurs avait de quoi surprendre mais Charlotte n'aurait jamais su comment démarrer sans aide.

Et pourtant, cette collaboration n'avait pas duré très longtemps. Au bout de seulement un mois, la rejetée de la famille Linday avait très bien cerné sa nouvelle profession et en avait profité pour mettre un couteau dans le dos à Bloody Braxter pendant une mission afin de récupérer l'intégralité de la prime. Ce dernier ne lui en avait jamais voulu, elle s'était simplement montré plus maligne que lui cette fois-là. Le monde des cyber-chasseurs était un lieu impitoyable, il était le premier à le savoir.

- En tout cas, je me suis promis ce jour-là que je n'allais clairement pas accepter d'autres demandes dans ce genre, même grassement payées, révéla-t-il en redressant légèrement son chapeau iconique. Ce serait contre-productif pour mes affaires si je commençais à avoir trop de rivaux.

- Ce serait bien dommage en effet, approuva Mirage, de son habituel sourire forcé. Le grand Bloody Braxter se retrouvant au chômage à cause d'une surpopulation de chasseurs qu'il aurait lui-même formés. En voilà une histoire amusante.

Gagner du temps. C'était là le principal objectif de la demoiselle en poursuivant cette conversation. Cela permettait de retarder l'avancée du combat, le temps que les dresseurs donnent leurs directives suivantes. Charlotte n'avait aucune intention de vaincre Bloody Braxter, simplement de gagner du temps jusqu'à ce que le signal d'A.Y.A. passe à proximité afin qu'elle puisse l'intercepter. En revanche si Kravarech perdait avant que cela ne se produise, la situation deviendrait compliquée.

Elle n'aurait su dire si son collègue cyber-chasseur avait deviné la supercherie. Braxter n'était pas né de la dernière pluie et disposait d'une grande expérience dans l'art du mensonge mais même malgré ça, il ne pouvait pas savoir qu'elle possédait d'autres moyens de localiser A.Y.A.. Le fait que cette anomalie soit reliée à Phoenix System n'était pas un secret bien répandu. Après tout, Mister Phoenix n'avait pas encore fait de déclarations publiques au sujet du projet Yrmesis.

Mister Phoenix la tenait régulièrement informée de la position d'A.Y.A. et du temps qu'il restait avant de pouvoir passer à l'action. Il pouvait converser librement sans être entendu par le vieux roublard mais hélas, l'inverse n'était pas vrai. Si Charlotte parlait à voix haute ou ouvrait son menu pour saisir un message sur le clavier, Bloody Braxter aurait vite fait de découvrir qu'elle disposait d'un contact à l'extérieur. Et déjà qu'il avait découvert la véritable identité de Mirage, il serait dangereux qu'il en apprenne davantage.

- Tu ne tenterais pas de me faire mourir d'ennui pour gagner le combat plus facilement, j'espère ? demanda subitement le trentenaire. Ce ne serait pas très loyal tu sais…

Comprenant qu'elle ne pourrait pas continuer à tourner autour du pot, elle décida de reprendre le combat. Mister Phoenix lui avait confirmé qu'il ne restait qu'une poignée de minutes, il suffisait simplement que son Kravarech tienne le coup. Charlotte ordonna donc à son partenaire de repartir à l'attaque grâce à un Hydroqueue que Maracachi esquiva avec aisance. La demoiselle lâcha une légère grimace très discrète, elle ne parvenait pas à toucher le Pokémon Plante.

Si l'équipier de Bloody Braxter avait une grande qualité, c'était son impressionnante agilité. Les Maracachi n'étaient pas connus pour être spécialement rapides mais celui-ci se plaçait toujours au bon endroit pour esquiver les offensives et préparer les contre-attaques. Le cow-boy, contrairement à Mirage, n'avait pas négligé l'entraînement de ses Pokémon. Dans le cadre de missions sur le Réseau Codélia, savoir se battre était toujours un plus.

- Et bien et bien, tu n'as toujours pas fait de progrès de ce côté-là à ce que je vois, nota Bloody Braxter alors que Maracachi frappait violemment son adversaire avec un Eco-Sphère. Ma chère Mirage, tu risques de perdre des affaires précieuses si tu ne sais pas combattre correctement. Nous sommes sur le Réseau Codélia, petite. Les affrontements sont la loi ici.

- Et moi, je vois que tu aimes toujours autant me sermonner, soupira-t-elle, bien qu'elle savait pertinemment au fond d'elle-même que son ancien mentor disait la vérité.

- Ce n'est pas un secret pour beaucoup de cyber-chasseurs que je t'ai pris sur mon aile quand tu as démarré. Je vais me faire une sale réputation si tu n'es pas fichue de faire ton travail correctement ma chérie. Je n'aimerais pas perdre des contrats par ta faute, j'aime beaucoup trop l'argent pour ça.

Mirage se rendait bien compte que la situation allait mal tourner pour elle. Bloody Braxter la menait à la baguette depuis le début de l'affrontement et gagner du temps par le dialogue n'allait plus être possible. Elle ne savait plus où donner de la tête, son mentor connaissait toutes les capacités de Kravarech et avait visiblement déjà trouvé des contres pour chacune d'entre elles. Et à son niveau actuel, elle ne pouvait pas mettre en place des stratégies inhabituelles pour se tirer d'affaire.

- Il reste une petite minute, tu ferais mieux de te préparer. A.Y.A. semble se déplacer sur les toits à grande vitesse, tu n'auras pas d'autre chance de l'intercepter pour le moment, il faudra quadriller à nouveau le signal si tu te rates.

Mirage dût se contenir pour ne pas exprimer ouvertement son soulagement. Décidément le temps passait plus vite qu'elle ne le pensait. Tout comme Bloody Braxter, elle disposait d'outils tels que les grappins pour se déplacer plus rapidement. Elle n'aurait pas le temps d'entrer à l'intérieur du centre commercial le plus proche et de prendre l'ascenseur pour atteindre le toit avant de revenir dans cette zone. Le tout serait de l'attraper discrètement sans attirer l'attention de son camarade.

- On dirait bien que ce match est très serré, déclara-t-elle subitement, tentant de dévier l'attention de Braxter sur son visage pour qu'il ne suive pas le mouvement de sa main droite. Mais je ne compte pas…

- Tu peux arrêter ton manège Mirage, je savais très bien que l'anomalie passerait par ici ! coupa-t-il en attrapant son grappin le premier et en tirant en direction du toit.

Son expression se décomposant rapidement, Mirage ne fut pas en mesure de réagir immédiatement. Avec les moyens offerts par Edouard Keyton, il était possible de localiser A.Y.A. en temps réel. Mais comme elle se déplaçait très rapidement, déterminer sa trajectoire ne l’était pas. Dans son cas, elle en était capable parce que Mister Phoenix se trouvait en compagnie de l'androïde rebelle dans le monde réel afin de quadriller son signal.

Visiblement habitué à ce genre de manœuvres effectués à grande vitesse, Bloody Braxter fut capable de rappeler son Maracachi à l'intérieur de sa Pokéball alors que ses deux pieds quittaient le sol. Moins expérimentée, Mirage perdit du temps bêtement à ce stade-là et arriva sur les toits de la cité Codélienne avec une vingtaine de secondes de retard. Et cette vingtaine de secondes pouvait lui coûter du tort si son mentor décidait d'éliminer l'avatar d'A.Y.A. sans sourciller.

Quelque chose ne tournait pas rond, le vieux roublard avait-il obtenu des informations sur le projet Yrmesis d'une manière une autre ? Comme Mister Phoenix attendait de disposer d'un prototype fonctionnel avant d'annoncer publiquement la chose lors d'une conférence de presse, seulement un nombre très limité de personnes devait être au courant de l'existence d'A.Y.A.. Quand elle sortirait du Réseau Codélia, elle demanderait à Phoenix de lui en dire plus à ce sujet.



***


- Braxter, lâche-la !

- S'il efface l'avatar d'A.Y.A. Dans le Réseau Codélia, cela la ramènerait sûrement dans le monde réel mais je suis persuadé qu'elle subirait des dommages internes sur son système principal. Je vais la faire se déconnecter de force mais fait en sorte de rester à proximité et de contrer Braxter, indiqua Mister Phoenix, un stress perceptible dans son ton.

En arrivant sur les toits, Mirage put constater que Braxter venait de bloquer A.Y.A. au sol grâce à une prise pour l'empêcher de se mouvoir. Il venait d'attraper l'un de ses fusils personnels intégrés à son avatar, dont il ne servait jamais en temps normal. Blesser les autres utilisateurs était prohibé sur le Réseau Codélia mais son âme de cow-boy le poussait à toujours conserver des armes à feu virtuelles. Elles ne pouvaient pas endommager les avatars sur de simples tirs mais en abusant sur la gâchette, cela finirait par fonctionner.

L'avatar d'A.Y.A. ne comportait pas le moindre changement par rapport à l'apparence de l'androïde dans le monde réel. La même chevelure noire longue, le même visage et la même taille. L'absence de vêtements était notable également mais en tant qu'anomalie, le CNI ne pouvait pas la bannir pour faute grave à ce sujet. Le prototype du projet Yrmesis n'avait aucune expression sur son visage, qui se frottait contre les tuiles virtuelles du toit.

Elle ne cherchait même pas à se débattre, comme si elle comprenait que lutter contre l'emprise de Bloody Braxter se révélerait inutile. Charlotte ne se sentait pas bien rien qu'à l'idée que son ancien mentor allait devoir tirer facilement une centaine de coups de feu avec son arme pour que cela ait le moindre effet. A.Y.A. avait-elle compris ce qui l'attendait ? Phoenix mettrait probablement des semaines entières à restaurer son système principal, si toutefois cela était possible.

- Mirage tu ferais mieux de t'éloigner, grinça Bloody Braxter en changeant sa cible de la tempe d'A.Y.A. vers la poitrine de son ancienne élève. Nul doute qu'Edouard Keyton nous surveille. Si cette anomalie disparaît alors que nous sommes ensemble, il divisera la prime en deux et je refuse de partager avec toi.

- Je n'ai pas l'intention de te laisser... commença-t-elle.

- Moi... chercher... comprendre... humains... intervint alors une voix féminine complètement dénuée de nuances de ton.

Stoppant leur conversation, Mirage et Bloody Braxter se tournèrent aussitôt la tête vers A.Y.A. clouée sur le sol par ce dernier. Avant de se connecter au Réseau Codélia, Mister Phoenix avait prévenu la demoiselle que l'androïde rebelle disposait d'un dictionnaire intégré dans sa base de données. L'homme violet avait sûrement jugé que cela suffirait pour les tests et n'avait pas jugé utile d'insérer des notes pour apprendre à construire des phrases.

Charlotte se rendit alors compte d'un détail auquel elle n'avait jamais pensé jusqu'ici. Pourquoi donc A.Y.A. avait échappé au contrôle de Mister Phoenix et demeurait sur le Réseau Codélia depuis plusieurs jours ? Elle n'avait pas pris la peine de se poser la question jusqu'alors, mettant ça sur le compte d'un dysfonctionnement de son système. Chercher à comprendre les humains, qu'est-ce qui ne tournait pas rond avec ce robot ?

- Tiens tiens, on dirait que le problème est assez intelligent pour parler, nota Bloody Braxter, amusé en renforçant sa prise sur A.Y.A..

- Attends, tu ne veux pas écouter ce qu'elle peut nous dire ? intervint Mirage en faisant un pas en avant.

- L'écouter n'amènera pas l'argent Mirage, tu es encore bien trop douce pour ce métier, protesta le vieux roublard en rapprochant son arme de la tempe de sa cible.

- Vouloir... intégration... moi... humanité…

Le visage fermé, le cow-boy ne semblait même pas écouter ce qu'A.Y.A. cherchait à dire. De par son jeune âge, Mirage n'était pas aussi insensible et montrait plus facilement ses émotions. Juste avec cet alignement de mots, elle parvenait à cerner les raisons qui avaient poussé l'androïde à fausser compagnie à Mister Phoenix et à se réfugier dans la dimension numérique. Elle préférait tout de même effectuer cette mission en douceur en forçant la déconnexion plutôt que par la manière brutale.

Profitant d'un temps mort de Bloody Braxter, elle se jeta sur lui pour le pousser et libérer A.Y.A. de son étreinte. Cette dernière n'eut toutefois pas le temps de s'enfuir bien loin car Mister Phoenix avait terminé de scanner le code source de son avatar pour forcer une déconnexion immédiate. Lorsque le cow-boy jeta Mirage au sol pour récupérer son ennemie dans son champ de vision, il se rendit compte qu'il était déjà bien trop tard et que sa prime complète venait de lui passer sous le nez.

La jeune fille ne savait pas vraiment pourquoi elle avait commis un acte aussi irréfléchi. Avait-elle eu peur pour sa prime ? Pour le corps robotique d'A.Y.A. qui risquait d'être endommagé ? Ou souhaitait-elle simplement en apprendre plus sur les véritables objectifs de l'androïde en faussant compagnie à son créateur ? Elle n'aurait su le dire, peut-être s'agissait-il tout simplement d'un mélange de ces trois raisons. Tout comme son ancien mentor, elle était toutefois mécontente à l'idée de partager sa prime.

- Tu es une vraie plaie, ma petite, soupira-t-il en s'asseyant. Mais d'un autre côté, cela me fait plaisir. Je t'ai formé comme il le fallait après tout. Cela ne m'enchante guère de devoir partager mais c'est le jeu. La prochaine fois que nous serons assignés sur une même mission par contre, je peux te garantir que ça ne se passera pas de la même manière.

- Effectivement, approuva Mirage en prenant place à côté de lui. Comme la prochaine fois, je prendrais l'intégralité de la prime, on aura une issue différente. Ravie de voir que nous sommes sur la même longueur d'onde, Braxter.

Même si cela faisait un bon moment qu'ils ne travaillaient plus ensemble, leur relation ne changeait pas au final. Une succession de remarques ironiques et une rivalité cordiale. Certes, elle ne lui avouerait jamais la vérité mais Mirage était contente d'avoir porté son choix sur lui à l'époque. Elle ne serait certainement pas devenue une bonne cyber-chasseuse sous la tutelle de quelqu'un d'autre. Il ne lui restait plus qu'à régler son souci de combat Pokémon afin de gagner en efficacité.

Comme il connaissait à présent sa véritable identité, Mirage comptait bien mettre les bouchées doubles pour découvrir celle de Bloody Braxter. Et elle avait son premier indice, le fait que ce dernier ait pu quadriller le signal alors que seul un connaisseur du projet Yrmesis en était capable. Peut-être s'agissait-il d'un piège, Mirage trouvant cette preuve un peu trop évidente mais c'était sa seule piste d'exploitation pour le moment. Elle comptait bien sonner un jour à la porte de son ancien mentor dans le monde réel.



***


Le lendemain de l'opération concernant A.Y.A., Charlotte Linday s'était rendue comme convenu au siège du Codélia Network Industries afin de recevoir sa récompense. Ce ne fut pas spécialement une alliance avec Bloody Braxter mais c'était la combinaison de leurs actions qui avait permis de faire disparaître l'anomalie de la dimension numérique. De ce fait, la prime proposée par Edouard Keyton était divisée en deux et le mentor comme l'élève en avait reçu une part.

Toujours déterminée à découvrir la véritable identité de Bloody Braxter, Charlotte avait initialement songé à utiliser la même entourloupe que lui en déposant un micro dans le bureau du chef de la Sécurité. Mais tout comme son mentor fut le premier à recevoir la mission, il fut le premier à recevoir sa prime. De ce fait, ce plan ne pouvait pas fonctionner. Elle avait donc décidé de se rabattre sur son plan B, à savoir exploiter la possible erreur de Bloody Braxter lors de la mission.

Quadriller le signal libéré par A.Y.A. sur le Réseau Codélia relevait de l'impossible sans connaître sa véritable nature. Par conséquent, son ancien mentor était au courant du projet Yrmesis de Mister Phoenix, même s'il n'en avait pas parlé ouvertement. Charlotte savait pertinemment que son ami n'avait pas encore fait de conférences de presse concernant ses androïdes, attendant d'avoir un prototype stable pour le faire. Elle décida donc de lui demander qui, en dehors de lui, connaissait l'existence d'A.Y.A..

La réponse du directeur d'entreprise fut sans appel, il n'y avait que lui et son équipe personnelle qui avaient travaillé sur A.Y.A. depuis des mois. Perplexe, la demoiselle s'était ensuite renseignée sur le personnel de Phoenix System pour en avoir le cœur net sur cette histoire. Cette dernière était intimement persuadée que son ancien mentor était en réalité un employé de la société de la robotique qui travaillait directement sous les ordres de Mister Phoenix.

- Ce coquin de Phoenix a une quinzaine de personnes sous ses ordres, il va falloir procéder par élimination... soupira Charlotte.

Ses difficultés financières loin derrière elle depuis qu'elle avait pris son envol en tant que cyber-chasseuse, la jeune fille possédait maintenant son propre domicile. Toujours dans la simplicité, elle s'était contentée d'un seize pièces au beau milieu du quartier le plus riche de tout Ebravia. Une demeure bien trop grande pour Charlotte seule, qui n'avait clairement pas besoin de trois salles de bain, quatre chambres, trois cuisines alors qu'elle n'avait que quinze ans.

La chambre personnelle de la demoiselle, dont la superficie pouvait dépasser celles de maisons modestes, était remplie de tableaux hors de prix, de meubles en or massif et d'une garde-robe immense remplie d'une collection de robes que beaucoup de femmes tueraient pour obtenir. Sans parler de son armoire à hauts-de-forme, elle en avait un pour chaque jour du mois et changeait régulièrement pour son plus grand plaisir.

Étrangement, elle n'avait pas jugé utile d'investir dans du matériel technologique de pointe. Malgré sa nature dépensière, Charlotte surfait sur le web avec un simple ordinateur portable, qui n'était même pas doté du dernier système d'exploitation en date. Elle avait beau être une cyber-chasseuse, la pauvre demeurait à la traîne concernant tout ce qui touchait au domaine informatique. Elle se demandait vraiment comment Phoenix s'y prenait pour être doué à la fois avec les ordinateurs et les robots.

- Cela ne peut être que celui-ci !

Mister Phoenix lui avait donné l'accès à la liste du personnel impliqué dans le projet Yrmesis. Par le biais du processus d'élimination, Charlotte réduisait le nombre de possibilités concernant la véritable identité de Bloody Braxter. Même s'il était tout à fait possible de créer un avatar du sexe opposé, elle doutait fortement que son ancien mentor soit une femme dans la vie de tous les jours. Amusée à cette éventualité, elle préféra toutefois ne pas mettre de côté cette hypothèse.

Ce fut la donnée de la taille qui permit à Charlotte de se décoincer dans ses recherches. Il n'était pas possible de la modifier entre le corps réel et celui de l'avatar. Une simple recherche sur le site officiel du Réseau Codélia lui permit d'apprendre que Bloody Braxter mesurait cent quatre-vingt cinq centimètres. Un seul des quinze participants au projet Yrmesis mesurait exactement cette taille, ce qui rassura la demoiselle qui n'avait pas d'autres données qui lui permettraient de trancher en cas de multiples choix.

- Alfred Derran... trente-cinq ans, employé de Phoenix System depuis sept ans. Je vais aller lui rendre une petite visite. J'espère que c'est vraiment Bloody Braxter sinon je vais vraiment avoir l'air stupide…



***


Charlotte sentit une certaine pression monter en elle alors qu'elle pressait la sonnette du cinq, avenue des lauriers du quartier sept d'Ebravia. Pour avoir côtoyé Bloody Braxter de près pendant une certaine période, elle savait que le vieux roublard appréciait de prendre quelques jours de tranquillité après une mission bien payée. De plus, la demoiselle connaissait l'emploi du temps des employés de Phoenix System pour ne pas se déplacer à la mauvaise période.

La jeune fille ajusta son haut-de-forme de travers et s'assura que sa robe blanche du jour n'avait pas finie salie par le trajet, s'étant déplacée par le biais d'un taxi. Commençant à imaginer le pire, Charlotte songeait que le raisonnement entrepris pour relier cet Alfred Derran à Bloody Braxter était peut-être trop soudain. Et si leur taille identique n'était finalement qu'une simple coïncidence ? Dans ce cas-là, elle allait déranger un homme normal pendant ses moments de repos.

Après une minute, pensant qu'elle avait mal appuyé sur la sonnette, elle s'apprêtait à la presser de nouveau lorsque la porte s'ouvrit, faisant apparaître un homme sur le seuil. Charlotte l'identifia aussitôt par rapport à la photo qu'elle avait étudié la veille, il s'agissait bien d'Alfred Derran. Un trentenaire brun à la barbe mal rasée dont le visage commençait à laisser apparaître les marques du temps. Ayant quitté son travail depuis seulement une heure, il n'avait pas encore retiré sa blouse couverte de suie de Phoenix System.

- Vous désirez ? demanda-t-il calmement sans cligner des yeux.

- Euh... comment vous dire que…

Malgré toutes ses précautions, Charlotte avait oublié un simple détail. Dans la situation où cet homme n'était pas Bloody Braxter, elle ne pouvait pas se permettre de parler ouvertement de Bloody Braxter ou de Mirage sous peine de révéler des informations capitales. Rapidement embarrassée et incapable de poursuivre sa phrase, son visage vira au rouge. Un silence pesant s'installa rapidement entre eux et Charlotte doutait de plus en plus chaque seconde de ses capacités d'enquêteuse.

- Vous êtes bien la fille Linday, je me trompe ? demanda alors Alfred.

- Euh oui... balbutia-t-elle, comptant tirer parti de cette chance pour recréer une nouvelle conversation. En fait, je suis venue vous voir pour parler de…

- On va pouvoir arrêter ce petit jeu, Marie-Anne, coupa son interlocuteur, ses lèvres s'étirant pour former un sourire bien familier. Entre à l'intérieur, ce sera plus pratique pour discuter.

Alors qu'une brise de vent soudaine la forçait à maintenir son chapeau pour qu'il ne s'envole pas, son bras redescendit lentement au moment où elle assimilait ces dernières paroles. Elle ne s'était pas trompée, l'homme qui se trouvait en face d'elle était bel et bien son ancien mentor et désormais rival. Alors qu'il s'écartait pour la laisser entrer, Charlotte remarqua aussitôt l'absence de son haut-de-forme sur son crâne et retourna la tête pour le voir s'éloigner à cause du vent qui gagnait en puissance. Alfred lâcha un autre sourire en la voyant courir après son accessoire.

- Décidément, elle est exactement la même dans le monde réel que sur le Réseau Codélia…

L'incident résolu, Charlotte put enfin pénétrer à l'intérieur de la demeure de son collègue. Et la première chose qu'elle put noter fut la différence qui semblait les séparer dans leur manière de gérer leur fortune. Pourtant, contrairement à elle, Bloody Braxter devait s'enrichir encore plus par le biais de cette double vie. Avant cette mission concernant A.Y.A., jamais Charlotte n'aurait songé qu'il puisse avoir un travail dans le monde réel alors que le métier de cyber-chasseur pouvait rapporter des millions.

L'habitation d'Alfed Derran ne laissait pas supposer qu'elle abritait un multi-millionnaire, tous les meubles semblaient vieux et en mauvais état. Le plancher en bois craquait souvent sous le poids des chaussures à talons de la demoiselle. Si cette dernière était acheteuse compulsive, Bloody Braxter semblait au contraire conserver son argent. La jeune fille se demanda s'il y avait une raison particulière derrière ce choix mais n'oserait pas le lui demander directement.

- Je parie que tu es surpris de me voir ici, pas vrai ? Vu que tu as décelé mon identité avec aisance, tu ne t'attendais pas à ce que j'en fasse de même, hein ? interrogea Charlotte en s'asseyant sur un des fauteuils du salon.

- Ne monte pas sur tes grands chevaux Mirage. Je ne suis pas du tout surpris que tu me rendes visite. C'est même le contraire... j'aurais été déçu de ne pas te voir à ma porte.

Alfred apporta du thé, que son invitée accepta volontiers. Elle ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir avec sa remarque mais nota qu'il l'appelait par son pseudonyme alors qu'ils se trouvaient dans le monde réel. Cela ne la dérangeait pas outre-mesure, au moins elle n'aurait pas à grincer des dents à l'idée d'être constamment appelée Marie-Anne. Alors que Charlotte remplissait sa tasse du liquide, son mentor prenait place sur le fauteuil situé en face du sien.

- Que veux-tu dire par là ?

- Allons allons, je pensais que tu commençais à me connaître depuis le temps. Le domaine des cyber-chasseurs n'est qu'un terrain de jeu, souffla-t-il. Lorsque j'ai déposé un micro dans le bureau d'Edouard Keyton, je ne savais pas encore qui seraient mes possibles rivaux sur la mission, cet Edouard n'a pas pris la peine de m'en parler. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant qu'il s’agirait de mon ancienne élève et qu'en plus, elle était en réalité le quatrième enfant du chancelier Linday.

- Cela ne répond pas à ma…

- Mirage, Mirage... tu n'arriveras à rien dans la vie si tu ne laisses pas les personnes finir leurs discours, tu sais ? reprit calmement Alfred en se servant à son tour une tasse de café. En tant que membre de l'équipe personnelle de Mister Phoenix, je te voyais souvent lui rendre visite. Bien sûr, je n'aurais jamais pu savoir que tu étais Mirage à ce moment-là mais j'ai rapidement connecté les morceaux ensemble par la suite. Je me doutais bien que vous seriez en collaboration pendant la mission.

Il révéla que durant leur affrontement, lorsqu'il s'était clairement montré en mesure de quadriller le signal d'A.Y.A. ce que seuls ceux dans la confidence du projet Yrmesis auraient été capables, c'était tout simplement pour lui envoyer un signe. Comme lui-même avait trouvé sa véritable identité, il lui avait laissé une chance et une seule d'en faire de même avec la sienne. Voilà la raison pour laquelle il aurait été déçu de ne pas la voir arriver peu de temps après la fin de la mission.

Charlotte comprit alors que depuis le début, son mentor avait au moins dix coups d'avance sur elle. Bloody Braxter avait parfaitement compris qu'elle chercherait à se venger en le perçant à jour et lui avait laissé une ouverture pour le faire en espérant qu'elle parviendrait à la saisir. Vraiment, ce monde de missions pour les cyber-chasseurs n'était qu'un simple jeu pour lui. Rien ne l'avait forcé à faire volontairement une telle erreur qui mettrait fin à son anonymat absolu.

La demoiselle comprit que malgré sa réputation qui avait permis qu'Edouard Keyton fasse appel à ses services pour une mission capitale, elle avait encore bien du chemin à parcourir. L'adage disait que l'élève finissait par surpasser le maître mais dans le cas présent, ce n'était pas encore le cas. Charlotte ne s'en offusquait pas. A vrai dire, elle se serait bien ennuyée en se retrouvant seule au sommet de la pyramide des meilleurs. L'adversité rendait la profession amusante après tout.

- On a beau s'être partagés la prime pour cette opération, j'ai la méchante impression d'avoir été vaincue à plate couture, admit Charlotte, souriante, tout en déposant sa tasse de thé sur la table basse la séparant de son interlocuteur.

- Tu me l'as déjà mis à l'envers une fois par le passé, ma petite, rappela tranquillement Alfred sans la moindre animosité. Je ne me fais jamais avoir deux fois, c'est ma règle. Ton cher professeur est encore loin de la retraite, il continuera de te mettre des bâtons dans les roues.

- Je ne compte pas me laisser faire. Un jour viendra où tu devras admettre que je suis meilleure que toi, papy Braxter.

La brunette n'entendit pas immédiatement la sonnerie de son téléphone portable qui retentissait à l'intérieur de son sac à dos. Ce ne fut que lorsqu'un léger silence s'installa qu'elle y prêta enfin attention. Comme peu de personnes connaissaient son véritable numéro, les clients faisant appel à ses services par le biais du Réseau Codélia, elle ne doutait pas qu'il s'agisse de Mister Phoenix. Attrapant son sac, elle se leva du fauteuil et s'éloigna du salon pour prendre l'appel.



***


Retournant dans le couloir où se trouvait l'entrée de la demeure, Charlotte passa devant une photo encadrée posée sur une petite commode, auquel elle n'avait pas prêté attention lors du premier passage. Alfred Derran y figurait, en compagnie d'une femme et d'une petite fille, tous les trois tout sourire. Elle ne put toutefois pas s'attarder davantage dessus, attrapant son téléphone qui laissait toujours échapper un morceau de musique classique. Comme elle s'y attendait, elle fut aussitôt accueillie par Phoenix.

- Ah Marie tu décroches enfin, je commençais à m'inquiéter ! Tu es occupée ?

- Effectivement, j'étais occupée. Mais si tu m'appelles, je suppose qu'il a dû se passer quelque chose. C'est en rapport avec A.Y.A. je me doute ?

- En effet ! Et cela me met vraiment dans l'embarras.

Mister Phoenix commença alors à lui raconter tout ce qui s'était passé depuis la fin de l'opération. Après avoir déconnecté de force A.Y.A. du Réseau Codélia, il avait aussitôt retiré son système d'exploitation pour qu'elle ne puisse pas faire une mutinerie et blesser quelqu'un dans l'entreprise. Par la suite, le directeur avait pris la décision de faire nuit blanche et rester dans ses locaux pour étudier le pourquoi du comment concernant le comportement étrange de son androïde.

Quelque peu étourdie, Charlotte avait oubliée de reporter à son ami les quelques mots prononcés par A.Y.A. lorsqu'elle l'avait rencontré. Certes, cette dernière ne pouvait pas construire des phrases mais de ce qu'elle avait pu cerner, sa raison principale pour rester ancrée à l'intérieur du Réseau Codélia fut d'observer les humains... et essayer de les comprendre. Et pourtant A.Y.A. n'avait qu'un simple dictionnaire dans sa base de données. Certains mystères ne disposaient tout simplement pas d'explications logiques.

- Du coup, où est le problème ?

- Après avoir passé la nuit à effectuer des maintenances sur A.Y.A., j'ai fini par réactiver son système d'exploitation tout à l'heure et... ça ne s'est pas très bien passé... elle a pris la fuite.

- Comment ça, pris la fuite ? balbutia Charlotte, interloquée, manquant de faire tomber son téléphone.

Mister Phoenix lui expliqua qu'elle lui avait simplement donné un coup au visage, l'étourdissant pendant quelques secondes qui lui furent largement suffisantes pour quitter le laboratoire et se jeter sur les escaliers. Même si le directeur avait activé l'alarme et le système de sécurité du bâtiment, l'androïde fut le plus malin et déjoua tous ce qui se mit en travers de sa route. A l'heure actuelle, l'homme adorateur du violet ne savait pas où se trouvait la représentante du projet Yrmesis.

Pensant que Mister Phoenix allait effectuer une réinitialisation complète d'A.Y.A., elle s'attendait à ce que les lubies de cette dernière concernant les êtres humains disparaissent au même moment. Jamais elle n'aurait cru que l'androïde se rebellait à nouveau contre son « père » en allant jusqu'à disparaître physiquement plutôt que de se réfugier dans le Réseau Codélia. Malgré elle amusée par la situation, la demoiselle ne put s'empêcher de penser que Phoenix avait mis au point une bien étrange personne.

- Tu ne peux pas quadriller son signal pour déterminer sa position ? demanda Charlotte, perplexe. Qu'elle soit dans le Réseau Codélia ou dans le monde réel ne change rien, non ? En plus, elle ne peut pas se déplacer aussi vite avec son véritable corps de métal.

- J'ai déjà essayé hélas mais je pense qu'on peut carrément oublier cela. Je n'arrive plus à capter le moindre signal de sa part et cela ne peut signifier qu'une seule chose. A.Y.A. a délibéré effacé son disque dur ainsi que sa boîte noire. Elle n'a donc plus aucun souvenir de moi ou de sa fuite de Phoenix System. Et encore moins de sa rencontre avec toi et Bloody Braxter…

- Tu es donc en train de me dire que ta boîte de conserve se trouve actuellement dans la nature et qu'on ne pourra certainement jamais la retrouver ?

- Je pensais qu'elle finira par revenir d'elle-même mais en ayant effacé toutes les données la concernant dans son système interne, c'est effectivement le cas. Mais A.Y.A. n'est pas opérationnelle à cent pour cent, elle nécessite des maintenances régulières, au moins à un rythme bimensuel, afin de continuer à fonctionner correctement. Elle ne pourra pas survivre en autonomie à Ebravia. Je garde espoir que d'ici deux mois maximum, quelqu'un l'aura retrouvé inanimée et songera à me contacter…

Charlotte percevait nettement la déception dans la voix de son ami. Le projet d'androïde sur lequel il avait passé des mois entiers dans le plus grand secret venait de s'envoler et les chances qu'il remette un jour les mains sur A.Y.A. approchaient le zéro absolu. Ce n'était pas encore aujourd'hui que Phoenix System pourrait mettre en place un système de robots intelligents à la demande, il allait devoir repartir des fondations pour faire renaître le projet Yrmesis.

La rejetée de la famille Linday ne s'inquiétait toutefois pas pour Phoenix. Ce dernier était habitué à l'échec lors de la création de ses inventions. La persévérance était une qualité nécessaire pour effectuer un métier comme le sien. Charlotte ne doutait pas que d'ici quelques années, il lui présente un tout nouveau type d'androïde encore plus performant qu'A.Y.A.. Elle espérait que contrairement à la première version qui souhaitait simplement observer les humains, celle-ci ne chercherait pas à les anéantir.



***


Environ quatre années et demi s'étaient écoulées depuis la mission concernant le prototype du projet Yrmesis. Charlotte Linday, maintenant proche de la vingtaine, avait poursuivi sa carrière dans le monde des cyber-chasseurs, sa carrière ne faisant que croître avec le temps. Mirage était devenue une référence dans le milieu, le CNI faisant appel à elle très régulièrement lorsque des problèmes survenaient, sans parler de clients individuels à forte cagnotte.

Avoir appris leurs véritables identités mutuelles n'avait en aucun cas brisé sa rivalité avec Bloody Braxter, ce dernier lui mettant toujours autant de bâtons dans les rues. Quelques mois après leur fatidique rencontre, il avait par ailleurs démissionné de son emploi à Phoenix System afin de se consacrer pleinement à sa passion dans le domaine virtuel. Charlotte lui rendait parfois visite pendant son temps libre afin de prendre le thé et discuter de sujets allant au-delà de leur métier.

Charlotte n'avait pas vraiment changé en sortant de l'adolescence, que ce soit au niveau de sa personnalité ou de sa garde-robe. Ses robes extravagantes continuaient d'attirer l'attention sur elle peu importe où elle se rendait et elle devait constamment acheter de nouvelles armoires sous peine de ne pas pouvoir contenir sa collection grandissante de hauts-de-forme. Avoir acquis de l'expérience dans sa profession n'avait clairement pas arrangé ses tares du monde réel.

- La même chose que d'habitude, je suppose ?

- En effet, mon brave ! confirma Charlotte avec le sourire. Je vois que vous avez bonne mémoire.

- Vous venez manger dans mon établissement quatre fois par semaine madame Linday. A force, je commence à m'habituer à votre présence.

Cette pizzeria ayant ouvert dans les alentours de l'opération concernant A.Y.A., celle où Mister Phoenix et Charlotte avaient déjeuné le jour où elle avait reçu sa mission, était devenu son lieu préféré. Si Charlotte nécessitait des taxis pour se déplacer à travers Ebravia, ne se préoccupant pas d'obtenir son permis de conduire, elle se révélait également très mauvaise en cuisine. De ce fait, elle mangeait très régulièrement des margaritas chez Virgil.

Le pizzaïolo était un homme d'une sympathie rare, toujours le sourire aux lèvres et adorant discuter avec ses clients pendant la préparation des pizzas. Dans la trentaine, il arborait une chevelure noire dissimulée par une casquette bleue marine. Virgil était par ailleurs de très grande taille au point où il devait souvent baisser ses genoux pour ne pas forcer ses interlocuteurs à trop lever la tête pour garder le contact. Charlotte l'appréciait et lui laissait souvent des pourboires allant jusqu'au triple du prix de ses commandes.

- Alors ? Vous avez un pronostic pour le vainqueur du match qui va débuter d'ici cinq minutes ? questionna Virgil avec enthousiasme alors que sa client s'accoudait au comptoir en attendant son repas.

- Je n'ai pas trop suivi l'activité de l'édition actuelle à vrai dire, admit la demoiselle. C'est les demi-finales aujourd'hui non ?

- En effet, confirma le cuisinier. Mais cela a beau être les demi-finales, il est fort probable que le gagnant du match de ce soir soit le grand vainqueur de l'édition. Meijin et Elkira, encore ces deux-là.

Si Charlotte connaissait au moins Meijin, qui était un habitué du Réseau Codélia depuis déjà un bon paquet d'années, elle ne connaissait toutefois pas son adversaire. Elkira avait en effet surgi de nulle part quelques mois auparavant, se hissant rapidement en troisième position du classement général, juste derrière Meijin lui-même ainsi que Cataclysme, le champion incontesté. Une fille bien mystérieuse qui ne donnait jamais d'interviews et que personne ne semblait voir en dehors des éditions du Festival Numérique.

Comme à son habitude, Mister Phoenix l'appelait toujours au moment les moins opportuns. Entendant son téléphone sonner dans son sac, Charlotte indiqua au pizzaïolo qu'elle s'éloignait une petite minute le temps de prendre un appel. Son collègue roboticien était rapidement passé à autre chose après l'échec du projet Yrmesis et avait continué de faire de son entreprise la référence dans le domaine. Il travaillait notamment en secret sur un nouveau type d'androïde mais la demoiselle savait qu'il n'avançait pas bien vite.

- Que me vaux l'honneur de cet appel, Phoenix ? Je m'apprêtais à manger, tu sais... demanda-t-elle en tenant son haut-de-forme de sa main disponible pour éviter qu'il ne s'envole.

- Ma chère Marie, je voulais simplement savoir si tu pouvais me rendre un petit service. Rien de bien méchant ni d'urgent, tu pourras le faire après ta pizza.

Charlotte ne préféra pas relever le fait que son ami avait deviné tout seul qu'elle se trouvait à l'avenue où était installé le camion de Virgil. Elle demanda plutôt davantage d'informations concernant ce service et Phoenix ne tarda pas à lui expliquer la situation. Apparemment, l'homme proche de la quarantaine venait de recevoir un signal de détresse provenant de l'une de ses machines. Quelque chose de peu commun, même si la plupart des appareils de Phoenix System étaient dotés de cette fonctionnalité.

Même s'il s'agissait certainement d'un client ayant appuyé sur le mauvais bouton de son robot ménager, Mister Phoenix préférait au moins s'en assurer. Très occupé pour le reste de la journée, il n'était pas en mesure de se déplacer jusqu'à l'adresse dont provenait le signal. Et c'était donc là que Charlotte entrait en jeu. Comme la demoiselle n'avait pas de mission particulière sur le Réseau Codélia aujourd'hui, elle pourrait aller jeter un coup d’œil afin d'avoir le fin mot de l'histoire.

- C'est très gentil de ta part Marie, je vais t'envoyer les coordonnées de la source. Contente-toi juste de me confirmer la nature du signal, je ne t'en demande pas plus.

- Combien de fois devrais-je te rappeler de m'appeler Char…

Mais Phoenix raccrocha avant qu'elle n'ait eu le temps de terminer sa phrase. La brunette soupira. Malgré les années qui défilaient, elle continuait toujours de le réprimander à ce sujet sans aucune amélioration. Le prénom de Marie-Anne continuerait de la poursuivre et elle ne pouvait rien y faire. Si le roboticien ne faisait ça que pour la taquiner, elle restait reconnue médiatiquement sous son premier patronyme qu'elle souhaitait enterrer au profit de Charlotte.

Rangeant son téléphone à son emplacement initial, la brunette retourna à proximité du camion de Virgil, qui devait avoir bien avancé sur sa commande. Travaillant toujours avec efficacité et passion peu importe le nombre de clients qui attendaient, elle ne fut même pas surprise de voir que sa margarita était déjà prête et posée sur le comptoir, n'attendant plus que l'arrivée de sa cliente. Entendant son estomac crier famine, Charlotte en oublia presque la requête de Mister Phoenix.

- Et bien, madame Linday. Le temps que vous vous éloigniez, il s'en est passé des choses, déclara Virgil après avoir pris la commande d'un autre client.

- Comment ça ? interrogea la demoiselle, attrapant le petit carton contenant son repas.

- Il semblerait qu'Elkira ne soit pas montrée pour le match de la demi-finale... elle ne serait pas du tout connectée sur le Réseau Codélia d'après le reportage de Shironeko. Par conséquent, Meijin s'est retrouvé en finale par défaut. Moi qui m'attendait à du spectacle ce soir, je suis un peu déçu. J'espère au moins que cela ne va pas jouer sur ma clientèle…

Voilà qui n'était pas commun. Même éloignée de l'actualité concernant la dimension virtuelle, Charlotte aurait apprécié de savourer sa pizza devant un match de haut prestige. Elle allait devoir se contenter de l'émission de Shironeko programmée d'urgence pour remplacer l'affrontement. Mais à cause de l'appel de Phoenix, elle ne comptait pas vraiment s'attarder. Le soleil se coucherait d'ici une ou deux heures et elle ne tenait pas à traîner dans les rues d'Ebravia en pleine nuit.



***


Charlotte remercia le chauffeur du taxi alors qu'elle descendait du véhicule. Comme elle l'avait prédit, le soleil déclinait déjà l'horizon, le ciel passant rapidement de l'azur à l'orangé. La cyber-chasseuse se trouvait très proche du point où le signal de détresse avait été activé, dans un secteur moins habité d'Ebravia. Les habitations étaient moins nombreuses et plus espacées et l'avenue principale se retrouvait divisée en deux par un pont, surplombant une petite rivière.

A cette heure avancée de la journée où les personnes terminaient de travailler et regagnaient leurs demeures, Charlotte songea que sa tâche allait s'en retrouver facilitée. D'après les informations que lui avait délivré Mister Phoenix par message, le signal provenait de l'extérieur, à proximité du fameux pont. Malgré les lampadaires environnants qui commençaient à s'allumer, la brunette ne parvenait pas à noter la présence d'une machine provenant de Phoenix System.

La seule hypothèse qui lui vint fut que la machine ménagère, si toutefois l'origine du problème venait bien de là, s'était réfugiée sous le pont. Décidant d'en avoir le cœur net, et jugeant qu'elle rentrerait chez elle si jamais cette théorie se révélait fausse, elle se dirigea lentement vers les escaliers les plus proches permettant de passer au niveau inférieur. Malgré elle, Charlotte sentit une certaine appréhension monter en elle. Se promener dans des quartiers qu'elle ne connaissait pas bien à cette heure-ci la dérangeait.

- Monsieur le robot de Phoenix System ? Vous êtes là ? demanda-t-elle avec peu de conviction une fois arrivée au pied des escaliers.

Aucune réponse, elle souffla du nez. Remerciant le seigneur d'avoir fait cesser cette brise de vent frais, elle ouvrit de nouveau son sac pour attraper son téléphone. A une telle proximité du ruisseau, Charlotte n'aurait pas apprécié de perdre l'un de ses hauts-de-forme fétiches, même si elle en possédait de centaines. La zone située juste en dessous du pont étant très mal éclairée et ne permettant pas d'observer grand chose, elle comptait utiliser la lumière de son appareil pour vérifier si quelque chose se trouvait bien là.

- Décidément, j'accepte bien trop facilement les demandes de Phoenix parfois, je devrais lui demander une prime en échange... marmonna-t-elle en marchant avec prudence. Il va falloir que j'apprenne à... par les apôtres d’Arceus, qu'est-ce que c'est que ça ?

Une personne se trouvait bien là, dissimulée en partie par l'obscurité dominante sous la passerelle. Et cette personne-là semblait allongée sur le sol dans une position très étrange. Restant à distance, Charlotte put noter qu'aucun mouvement n'était perceptible et que pire, l'inconnu avait de parties de son corps démembrées et éparpillées autour de lui. Même sans parvenir à voir le sang, le cerveau de la jeune fille commençait déjà à imaginer le pire et son estomac lui répondit aussitôt en se contractant à toute vitesse.

Phoenix allait avoir de ses nouvelles après une histoire pareille. La brunette était cyber-chasseuse et non policière. L'idée de se retrouver en présence d'un cadavre la dérangeait, rien que les voir dans les séries de fiction à la télévision pouvait la rendre malade. Afin de s'assurer que ce macchabée n'avait aucun lien avec le signal perçu par son ami, elle s'approcha très lentement. Mais d'un autre côté, elle ne souhaitait pas s'attarder, de peur que quelqu'un ne passe dans le coin et la prenne pour une meurtrière.

- Attends une minute…

Maintenant qu'elle se trouvait davantage à proximité, elle remarqua enfin qu'elle ne sentait aucune odeur de sang ni de pourriture provenant de la source. La lumière de son téléphone lui dévoila rapidement la vérité. L'hémoglobine était parfaitement absente du secteur. Une raison simple permettrait de justifier ce phénomène, il ne s'agissait pas d'un cadavre. Un robot. Probablement celui qui avait envoyé le signal de détresse à Mister Phoenix précédemment.

Un bras ainsi qu'une jambe étaient détachés du corps de la machine mais des fils discrets les reliaient encore. Sa peur s'envolant enfin, elle décida de retourner le « cadavre » pour vérifier sa nature. Charlotte laissa s'échapper un sursaut lorsque son regard croisa celui de la cible, de vieux souvenirs refaisant surface. Le prototype Yrmesis qui avait disparu depuis plusieurs années. Même si elle n'avait vu le visage d'A.Y.A. que l'espace de quelques instants, cette vieille opération lui était restée en tête.

L'androïde Yrmesis autonome était dans un état absolument catastrophique. Son visage était coupé par endroit, révélant de particules métalliques. Contrairement à leur première rencontre, A.Y.A. portait cette fois-ci des vêtements mais ils étaient sales et déchirés. Si Charlotte ne savait pas qu'elle avait affaire à un androïde, elle aurait juré avoir croisé la route d'un simple clochard. Son âme refoulée de mécanicienne faisant subitement surface, une idée folle lui traversa l'esprit.

- Kravarech, je vais avoir besoin de ton aide sur ce coup-là…

Sortant la Pokéball de son fidèle partenaire, elle lui expliqua rapidement la situation. Même si le trajet du retour aurait été bien plus rapide par le biais d'un taxi, cela ne prendrait guère plus d'une heure à pied. Le corps du Pokémon n'étant pas adapté au transport d'objet, Charlotte lui confia simplement le bras et la jambe orphelins, qu'il pouvait faire tenir en équilibre sur son dos. La dresseuse se chargerait quant à elle de porter A.Y.A..

La brunette essayait de se remémorer les propos tenus par Mister Phoenix autrefois. N'étant pas parfaitement optimisé, l'androïde nécessitait des maintenances régulières. Charlotte ne se souvenait plus de la durée mais le fait qu'A.Y.A. ait « survécu » jusqu'ici relevait tout simplement du miracle. Quatre années s'étaient écoulées depuis cette mission confiée par le Codélia Network Industries. Elle devait avoir vécu bon nombre de péripéties depuis ce jour.

Décidant de ne pas prévenir Mister Phoenix immédiatement concernant sa trouvaille, Charlotte avait pris la décision de rapatrier A.Y.A. jusqu'à son domicile personnel. Elle n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à sa passion de la mécanique, qui se révélait être un simple hobby pour elle. Le moment était donc venu pour elle de faire ses preuves en la matière et d'effectuer la maintenance de l'androïde, qui serait plus compliquée qu'à l'accoutumée compte tenu du temps qu'A.Y.A. avait passé dans la nature.

- On dirait bien qu'une nuit blanche m'attend…



***


A.Y.A. ouvrit lentement les yeux. Sa vision trouble lui confirma que ses capteurs optique n'étaient pas en bon état, elle ne parvenait pas analyser son environnement pour déterminer où elle se trouvait actuellement. Sa base de données ne contenait par ailleurs aucun événement situé après sa mise en arrêt brutale, alors qu'elle se réfugiait sous le pont pour ne pas alerter les passants en cessant de fonctionner au beau milieu d'une avenue.

L'androïde nota que son bras droit et sa jambe gauche, dont les liens avaient lâché peu de temps avant son souci, étaient de nouveau attachés à son corps. Quelqu'un l'avait retrouvée puis réparée, c'était la seule hypothèse logique à laquelle elle parvenait. Son unité centrale ne semblait pas endommagée, laissant ses facultés de calcul intactes. De même, sa mémoire ne fut pas infectée par ses soucis d'absence de maintenances. Ces cinq dernières années étaient complètes au sein de son disque dur.

A.Y.A. était en position couchée, ses capteurs corporels lui confirmant que son corps était en contact d'une table en métal. Elle tenta de bouger les doigts de ses membres auparavant détachés pour s'assurer que les réparations s'étaient effectuées sans problèmes. Enfin, attendant que sa capacité optique revienne à la normale, le prototype du projet Yrmesis décida de se lever. Elle estimait l'ajustement de ses lentilles à seulement une minute et demie.

- Ah tu t'es remise en marche ? Je te conseille de rester couchée pour le moment, je suis en train de conclure les finitions.

L'androïde n'était donc pas seul. Ses capteurs sonores ne lui permirent pas d'identifier le propriétaire de cette voix, elle appartenait donc à une personne qu'elle n'avait jamais entendu jusqu'ici. Le rétablissement de sa vision lui permit d'analyser celle qui semblait visiblement être sa technicienne d'infortune. Une femme brune sortant de l'adolescence couverte de suie et portant un tablier, des gants et des lunettes de mécanicien. A cause de la saleté, A.Y.A. eut besoin d'un peu de temps pour l'analyser.

- Marie-Anne Charlotte Geneviève Linday de Fravière, conclut-t-elle sur un ton monocorde. Née en 2030. Un mètre soixante-six. Cinquante kilogrammes. Groupe sanguin A+…

- Oui, je ne pense pas que cela soit bien utile d'entrer en détail sur moi, souffla Charlotte, vexée que l'on parle de son poids aussi ouvertement. Parle-moi de toi plutôt. Comment je me suis débrouillée avec ta réparation ? C'était la première fois que je faisais de la mécanique sur quelque chose d'aussi complexe, j'avais peur de faire une erreur…

- Mon corps est fonctionnel à soixante-seize pour cent. Il est possible d'améliorer cette valeur par le biais de maintenances continues bimensuelles.

A.Y.A. pouvait enfin étudier l'environnement qui l'entourait. Une pièce sans fenêtre de petite taille dont l'odeur la plus importante demeurait celle de la suie. Quelques composants de machines traînaient sur le sol. Charlotte ne passait pas beaucoup de temps dans cette pièce. La mécanique restait un simple hobby pour elle, qui ne pouvait pas s'y consacrer pleinement. Avec douceur, l'androïde se redressa légèrement pour faire face à son sauveur.

La brunette lâcha un soupir de soulagement, comprenant qu'elle n'avait pas commis une grosse bêtise en prenant la décision de réparer l'androïde par se propres moyens. La curiosité avait beau être un vilain défaut, cela ne l'avait toutefois pas empêché de jeter un coup d’œil dans son disque dur afin de découvrir ce qui lui était arrivé pendant toutes ces années. A.Y.A. avait passé le plus clair de son temps à errer à travers Ebravia dans le plus grand secret.

Elle se rendait dans les bibliothèques et les cybercafés pour collecter des informations grâce aux livres et à Internet. Lorsque la nuit tombait, elle se rendait sous le pont où Charlotte l'avait retrouvée et se mettait en veille jusqu'au lever du jour. Une vie bien triste en somme, d'autant plus que l'absence de maintenance a dû compliquer son quotidien. Pour survivre, elle utilisait les cybercafés pour alimenter les pièces les plus importantes de son système d'exploitation. Au bout de cinq années, il avait complètement lâché.

Une autre information amusante à laquelle elle ne se serait pas attendue, l'androïde avait collecté de l'argent abandonné dans les ruelles au fil des mois et s'en était servi pour acheter une Codéwatch, l'appareil qui permettait de se connecter au Réseau Codélia. En l'absence d'un corps organique, A.Y.A. avait trouvé la parade en créant un circuit entre la Codéwatch, son système et un ordinateur. Et le comble de la chose demeurait l'identité de son avatar.

- Je comprends mieux pourquoi la demi-finale du Festival Numérique a été annulée maintenant, lâcha-t-elle en s'asseyant sur un des fauteuils de son petit atelier de mécanique. Je n'aurais jamais pensé que cette Elkira puisse être la fugitive du projet Yrmesis. Mais comment tu t'y es prise concernant les Pokémon ? Je n'ai rien vu concernant une quelconque capture dans ta base de données. Et tu n'as aucune Pokéball sur toi.

L'androïde lui révéla alors que les Pokémon Acier qu'elle utilisait étaient en réalité des programmes intelligents de sa création, basées sur des données qu'elle avait collecté à travers tout le Réseau Codélia. Charlotte fut choquée d'apprendre qu'une telle chose était possible. Un hackeur ordinaire se serait immédiatement fait prendre par la sécurité du CNI mais les programmes employés par A.Y.A. étaient tout simplement indétectables.

Elle n'avait toutefois pas triché pour atteindre sa place de numéro trois de la plate-forme. Si Elkira avait fait son apparition officielle sur le Réseau aussi tardivement, c'était parce qu'elle tenait à ce que ses Pokémon spéciaux soient parfaitement comparables à des vrais. Elle a donc dû incorporer plein de détails comme une endurance, la possibilité d'apprendre des attaques compatibles et plein d'autres joyeusetés qui lui avaient pris des mois entiers d'étude.

- Je souhaite comprendre les humains. C'est une donnée étrange de mon système qui n'est pas supprimable peu importe tous mes formatages…

- C'est ce que j'ai cru comprendre lors de notre première rencontre en effet, confirma la brunette avec le sourire. Je connais ton créateur mais si je te ramène à lui, tu ne pourras pas accomplir tes objectifs. Moi je peux très bien te proposer de garder le secret. Je m'occupe de tes maintenances bimensuelles et je fais en sorte que tu puisses t'intégrer parmi les humains. Qu'est-ce que tu en penses ?

- Je veux connaître vos raisons de me venir en aide, Marie-Anne Charlotte Geneviève Linday de Fravière.

Il n'y avait pas vraiment d'explications à donner. Charlotte était juste fascinée par cet androïde souhaitant se mélanger avec les êtres humains. L'apprentie mécanicienne était curieuse de découvrir jusqu'où A.Y.A serait capable d'aller dans sa démarche. Après tout, elle ne se comportait pas du tout comme les gens normaux. Les gestes de ses bras et jambes demeuraient mécaniques, sans parler de son ton de voix et elle demeurait incapable de ressentir de émotions.

La rejetée de la famille Linday lui proposa de l'inscrire à une université d'Ebravia pour qu'elle puisse se retrouver quotidiennement en présence d'autres personnes. L'apparence physique d'A.Y.A. lui donnait environ dix-huit ans, ce qui concordait aisément. La prochaine année scolaire démarrant dans environ trois mois, cela laisserait le temps à Charlotte de préparer un faux dossier informatique et toutes les pièces nécessaires à une personne normale.

- Je ne comprends toujours pas pourquoi vous me venez en aide…

- Tu ne t'en souviens pas mais nous nous sommes déjà rencontrées par le passé, juste avant que tu n'effaces ton disque dur et ta boite noire. Et tu déblatérais déjà tes délires d'intégration à la race humaine. J'ai simplement envie de te soutenir dans ta démarche, rien de plus simple.

A.Y.A ne disposait pas d'un moyen parfait de juger les intentions de Charlotte. Ses capteurs sonores ne distinguaient aucune malice dans le ton de sa voix. Cela ne pouvait vouloir que dire que deux choses. Soit la demoiselle était honnête dans ses propos, soit elle était en réalité une excellente comédienne. Malheureusement pour l'androïde, le matériel à sa disposition ne serait pas suffisant pour trancher entre ces deux options.

Cependant, ses capteurs de logique lui indiquaient que suivre Charlotte se révélait la meilleure décision à prendre pour le moment. Après tout, cette dernière était capable d'effectuer sa maintenance, ce qui lui permettrait de survivre dans la nature sans avoir à se soucier de subir une autre panne. Ses capacités de calcul ne lui apportant pas d'autre alternative, elle finit par accepter donc la proposition de la brunette couverte de suie.

- Fantastique ! Dans ce cas, je te propose de rester dans une de mes résidences secondaires. Je ne viendrai t'importuner qu'une fois tous les deux mois et tu auras quartier libre le reste du temps.

- Conditions acceptées.

- Il ne reste donc qu'une seule chose à régler. A.Y.A., ce n'est pas un prénom d'humain, n'est-ce pas ?

Il ne fallut pas longtemps pour que Charlotte baptise l'androïde. Plutôt que de passer par A.Y.A., autant accrocher les différentes lettres ensemble, Aya étant tout à fait valable comme prénom. Pour augmenter la crédibilité de cette dernière, il fallait toutefois l’affubler également d'un nom de famille. Et Charlotte savait qu'il valait mieux éviter de lui donner le sien. La rebelle du projet Yrmesis allait attirer l'attention si son nom complet devenait Aya Linday.

Ce fut la concernée elle-même qui fit la meilleure des propositions. Une série de chiffres était inscrite sur son processeur, à savoir 13-09-12-01-14-09. Le hasard ayant voulu que chacun d'entre eux soit inférieur à vingt-six, il était possible de les associer à une lettre de l'alphabet. Dans le cas présent, cela donnait Milani. Un nom que Charlotte approuva à cent pour cent, comprenant qu'elle ne parviendrait pas à trouver quelque chose de supérieur.

- Aya Milani donc, conclut la brunette qui se leva et commença à secouer son tablier pour évacuer la suie. Cela te va comme un gant. Je m'occuperai donc de tout ce qui touche à l'administration pour faire de toi un parfait être humain de ce côté-là. Pour le reste, ce sera à toi de jouer.

- Dois-je faire quelque chose en échange de vos services, Marie-Anne Charlotte Geneviève Linday de Fravière ? interrogea l'androïde, toujours incapable de comprendre l'acte altruiste effectuée par la chasseuse de primes virtuelle.

- Je ne demande rien de toi. Mais je t’en prie, tu peux m’appeler Charlotte.