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Egaré de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 11/03/2019 à 14:45
» Dernière mise à jour le 06/06/2019 à 11:09

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 1 : Nouveau départ
« C’est assez facile d’être amical avec des amis. Mais créer une amitié avec celui qui se considère comme votre ennemi est la quintessence de la vraie religion. » Gandhi.


***


Zak laissa son regard couler vers les bidonvilles. Une chape de fumée semblait envelopper cette partie de Méranéa, polluée par les odeurs nauséabondes des feux de camp et les amoncellements de détritus. Il avait beau se tenir à bonne distance de ce quartier, sur un des murs les plus hauts qui entourait une des cours de la prison, il en ressentait malgré tout les fragrances acides.

Mais surtout, il était rongé par le doute, depuis la mort de Molch.

Il n’avait jamais été particulièrement proche du Mutant Psy ; mais il l’avait longtemps vu comme une sorte de mentor. Lui-même possédait des pouvoirs électriques, et il était le troisième cobaye à avoir passé le cap. À avoir survécu à la Némélia. Molch avait été un précurseur. Un précurseur chanceux, comme Garûnd et Zak.

Mais le blondinet, accoudé sur le rempart, observait l’horizon en y songeant avec lassitude. Le soleil brûlant, les dunes qui s’étendaient à l’infini et le vent poussiéreux ne l’aidaient pas à apprécier cette vie que Mervald lui avait offert.

Il avait grandi comme ces gens, dans les bidonvilles. Entre la mort, la famine et l’oppression. Il avait connu la misère, la maladie, les balles perdues et les passages à tabac.

Quand le gouverneur avait proposé d’offrir de nouvelles vies aux volontaires, Zak s’était jeté sur cette offre. Il avait fait partie de ce petit millier de gens qui tentaient le tout pour le tout. On lui avait inoculé la deuxième version de la Némélia ; et il avait acquis des capacités propre à un élecsprint.

Lui, au moins, il s’en était sorti vivant, sans mutation physique, sans maladie dégénérescente. Il était un des trois à avoir survécu. L’un des seuls.

Mais il avait depuis lors commencé à mieux cerner le gouverneur Mervald ; cet homme en apparence charismatique, parfois même affable et plutôt agréable, cachait en réalité un être avide de pouvoir et de richesse. Un être doté d’idées particulièrement dangereuses.

Non seulement il éprouvait une admiration malsaine pour les combats à mort entre humains et pokémons, dans cette Arène de malheur, mais en plus, son but était de laisser l’humanité se disloquer… pour créer la nouvelle génération, une population entièrement composée de Mutants. Selon lui, l’évolution logique de l’Homme était d’acquérir ces pouvoirs que les pokémons possédaient depuis l’aube des temps. L’humain n’avait pas à être le seul être sans aucun pouvoir. Il voulait aller à l’encontre de la Création selon Arceus.

En soi, Zak n’était pas contre l’idée d’avoir des pouvoirs de pokémons. Mais exterminer les humains restants ? Les laisser mourir et s’autodétruire ? N’était-ce pas là une punition trop extrême, malgré les guerres et les destructions qui avaient été causées par l’être humain avant l’Épidémie ?

— Zak, t’es là ! J’te cherchais.

Le Mutant Électrique tourna la tête sur sa droite. Garûnd approchait, en faisant craquer les jointures de ses doigts gantés. Toujours cette même manie désagréable.

— Un problème ? interrogea Zak, toujours accoudé au rempart.

Il observa attentivement Garûnd. Il avait dépassé la trentaine, sans doute, contrairement à lui. Mais Zak n’en était plus si loin…

Son comparse de Type Combat avait une sorte de crête iroquoise toute ébouriffée, depuis quelques temps. Ses yeux d’un vert exotique auraient pu faire craquer la gente féminine s’il avait cherché à séduire. Mais Garûnd ne vivait que pour le combat. Il était musclé, amateur de lutte, et aussi de combats à armes blanches. La cicatrice qui barrait son cou était un vestige de son douloureux passé de combattant.

— Non. J’me faisais chier.
— Ah…

Zak ne se montra pas étonné. Son comparse ne tenait jamais en place, de toute façon. Et ne mâchait pas ses mots non plus.

Garûnd vint s’accouder à ses côtés, et observa la silhouette ramassée du Désert de la Désolation, qui entourait la petite capitale.

— Y’a du mouvement partout, commenta le Mutant Combat. Regarde là-bas. Une garnison de soldats qui revient tout juste de Psyhéxa. Ils vont sûrement monter un autre camp fortifié dans le coin. Ça fera combien en tout ?
— Six ou sept, soupira Zak. Ça donne l’impression d’être entré en guerre.
— À écouter le maître, c’est bien le cas.

« Maître ». Zak tiqua à cette mention. Mervald avait toujours voulu qu’on l’appelle ainsi. Désormais, Zak commençait à en avoir assez. Il avait de plus en plus conscience qu’il n’était qu’un outil pour Mervald, un rouage important chargé de veiller à faire régner l’ordre. Une arme de dissuasion.

Un pion.

Pourtant, pour le gouverneur, ça ne suffisait plus. Molch était mort. Psyhéxa était entre les mains de mercenaires anarchistes. Et les informateurs de Mervald indiquaient des mouvements louches dans les vastes Forêts de l’Est. Quelque chose se préparait dans l’ombre. Probablement une attaque d’envergure pour attaquer Méranéa et prendre le pouvoir.

Les gangs et le banditisme prenaient confiance, ces temps-ci. Une tentative de coup d’état ne serait pas si étonnante de leur part. Et le gouverneur ne cessait d’évoquer continuellement la faute du Rôdeur ; il pensait que c’était lui qui avait assassiné Molch, sans pouvoir avancer la moindre preuve à ce sujet.

Probablement un début de paranoïa de sa part… après tout, le Rôdeur était censé n’avoir aucun souvenirs de son passé. Pourquoi chercherait-il à leur nuire ?

Après, il était vrai que l’assassinat de Molch restait entouré de mystère ; personne n’avait jamais su comment ça avait pu arriver, et qui en était responsable. Tout le monde s’était accordé à dire que c’était la révolte de Psyhéxa qui en avait été la cause. Mais Mervald n’y croyait pas.

— T’es complètement remis ? demanda Zak, curieux, à son partenaire.
— Ouais, ça y est. En pleine forme. Il aura fallu du temps ! Ce Condamné était un vrai monstre...
— C’est clair… et dire qu’il est toujours dans la nature…

Garûnd éclata de rire.

— Tant mieux ! On n’a plus besoin de passer nos nuits à faire nos rondes et à surveiller sa cellule souterraine. Je préfère être libre de mes mouvements et sentir le soleil sur ma peau que de passer des heures là-dessous à fixer une porte. Pas toi ?
— Oui, évidemment.

Garûnd remarquait bien la lueur étrange dans les yeux de Zak, depuis plusieurs semaines. Ils n’avaient encore jamais eu le temps de discuter sérieusement. Vérifiant discrètement qu’aucun soldat n’était à proximité, le Mutant Combat souffla plus bas :

— Il s’est passé un truc quand j’étais dans les vapes, pas vrai ? Après notre fuite face au Condamné ?

Zak ne cacha pas sa surprise. Il avait rarement vu son camarade faire preuve d’un tel sens de l’observation. Il l’avait toujours pris pour un idiot qui ne pensait qu’à lui-même, entre deux plaisanteries bien trouvées. Rarement il ne lui avait dévoilé une once de perspicacité.

— Alors ? s’impatienta Garûnd, fier d’avoir troublé son camarade.
— J’ai eu une conversation avec le gouverneur en revenant. Au sujet du Condamné. Il m’en a dit plus sur lui.

Un léger silence s’installa. Zak entendit de lointains appels venus de la ville, et le cri d’un pokémon domestique. Le vent souffla, et Garûnd, intrigué, tendit l’oreille. Il laissa son camarade choisir ses mots avec soin ; il aurait été inutile de trop le presser. Zak ne s’ouvrait jamais quand on lui forçait trop la main.

— Le Condamné était le résultat d’une mutation comme toi et moi. Une mutation, qui, techniquement, a bel et bien fonctionné.
— Ah bon ? s’étonna le Type Combat. Vraiment ? On pouvait même pas voir son corps. Ce truc était une véritable furie. Ça n’avait plus rien d’un humain ! Le gouverneur nous avait dit qu’il était un raté.

Zak hocha la tête.

— Oui, c’est vrai. Il n’était plus humain pour une bonne raison. Il ne s’agissait pas d’ADN de pokémon… classique. C’était… on ne sait même pas. Peut-être un légendaire, peut-être une chimère d’un autre monde, mais… on appelle cette créature la Chose.
— Ah ouais ?
— Si le Condamné était si étrange et incontrôlable, c’était sans doute parce que rien qu’avec un petit morceau d’ADN, la Chose a réussi à complètement renaître dans le corps de son hôte. Mais Mervald suppose qu’elle a perdu ses souvenirs dans le processus. Cette créature est dangereuse, ancienne et mystérieuse, mais elle a une mémoire incomplète. Elle ne connaît pas ses origines.

Garûnd fronçait les sourcils, sans être sûr de tout saisir.

— Donc… c’est pas vraiment un Mutant mais un monstre qui a… ressuscité, en gros ? Ça fait penser à de la réincarnation, ton histoire.
— Tu peux voir ça comme ça, oui.
— Et alors ? Pourquoi un truc pareil te tracasse ? En quoi ça nous concerne, maintenant ?

Zak soupira. Garûnd avait saisi ses doutes et remarqué son trouble, mais il avait toujours autant de mal à réfléchir sur le long terme.

— Et alors malgré cette erreur grossière, continua le Mutant Électrique, le gouverneur continue de créer des Mutants avec des flacons d’ADN qui datent de l’avant-Épidémie. Il continue ses expérimentations foireuses. Sans Molch, par-dessus le marché, ce qui signifie qu’il a perdu l’un de nos meilleurs scientifiques. Si c’est pour donner naissance à d’autres Condamnés involontairement, non merci. J’ai parfois presque envie de rejoindre ces mercenaires qui veulent nous attaquer…
— Hm. Je crois que je peux comprendre cette idée. Le maître… a des idées étranges. Mais il m’a promis des combats. Tu sais à quel point j’aime ça !

Zak hocha la tête. Le ton de Garûnd était plus excité. C’était reparti…

— Les coups échangés, la tension dans l’air, les stratégies d’approche… lança Garûnd avec passion. J’aime cet aspect des combats. Je sais que c’est quelque chose que les gens n’apprécient pas, généralement. Mais moi, c’est mon truc. Le maître fait sûrement des erreurs, oui. Mais s’il crée une autre abomination par erreur, je serai heureux de l’affronter. Et si, comme il le dit, le Rôdeur viendra essayer de le tuer, je suis aussi curieux de voir ce qu’un combat contre lui pourrait donner. Je ne veux pas changer de camp. Le maître m’a offert cette nouvelle vie. Je ne veux pas la gâcher sur de simples doutes. Je ne veux pas juger le maître au sujet de ses idéaux ; je sais à quel point c’est dur d’avoir des envies inhabituelles.

Il marqua une pause, semblant constater avec surprise la belle tournure que prenait son discours improvisé. Zak, bouche entrouverte, n’osa pas l’interrompre. Pour une fois, son comparse venait de lui couper le souffle.

— Le maître aime les expériences et les Mutants, et moi j’aime le combat, c’est comme ça. Je ne le condamnerai pas pour sa différence.

Garûnd posa une grosse main à la forte poigne sur l’épaule de son camarade.

— Mais si tu choisis de t’opposer au maître, Zak, je ne t’en empêcherai pas. Je te respecte. T’es quelqu’un de bien plus malin que moi, et tu penses sans doute plus au futur que moi. Si tu veux tout quitter, voire même t’opposer au maître, fais-le. Ton instinct ne te trompe jamais, pas vrai ?

Zak se tourna vers lui, anxieux. Il savait très bien pourquoi Garûnd ne l’arrêtait pas.

— Si je changeais de camp, Garûnd…
— Hm ?
— Et qu’on venait à devoir se combattre, toi et moi… qu’est-ce qu’on ferait ?

Garûnd esquissa un large sourire, visiblement emballé à cette idée.

— Ce serait sans doute l’un des meilleurs duels de ma vie ! C’est sûr qu’un combat à mort ne me réjouirait pas. Je t’apprécie, et t’es devenu un vrai pote. Mais je resterai fidèle au maître jusqu’à ma mort. Si un jour tu souhaites le voir tomber, et que tu t’opposes à nous, je ferai ce qui doit être fait. Sans hésiter.

Zak hocha la tête, guère surpris, mais vaguement déçu. Il haussa les épaules en grommelant.

— Je te raconte tout ça, mais c’était plus une hypothèse qu’une véritable envie, Garûnd. Le gouverneur m’effraie de plus en plus, ces temps-ci…
— C’est vrai qu’avec tout ce qui se passe, il a vraiment une humeur de granbull…



***


— Vous partez, alors ?

Lyco fit la moue. Il n’avait prévenu que Darren, Lacrya et Karyl ; pourtant, Ève paraissait déjà au courant de leur départ nocturne. Il avait cru que Lacrya l’attendait déjà, prête à partir. Mais non, c’était bel et bien la jeune femme aux cheveux d’or qui patientait tout près des portes closes des murs qui entouraient leur campement.

— Qui te l’as dit ? grogna la garçon en laissant tomber son sac à dos à ses pieds.
— J’ai entendu votre conversation, après la réunion. Vous alliez pas partir sans nous dire au revoir, quand même ? lança-t-elle avec une expression faussement vexée.

Il soupira. La curiosité insatiable d’Ève avait tendance à l’agacer ; elle savait se montrer perspicace dans les pires moments. Elle était un électron libre, imprévisible et indépendant, capable de le prendre au dépourvu quels que soient les prévisions et les actions de Lyco. Il fallait bien avouer qu’elle devait être la seule pillarde à réussir l’exploit de deviner l’absurdité de certains de ses plans, même lorsqu’ils n’étaient qu’à l’état d’ébauche.

— Mauvaise habitude, d’écouter aux portes, rétorqua le garçon.
— Pas ma faute, elle était restée entrouverte ! Mais au moins, je n’ai encore rien dit à Bakrom, tu pourrais me remercier. Il aurait peut-être cherché à t’en empêcher, après tout. Il est inquiet pour toi depuis qu’il sait que tu n’es plus aussi fort qu’avant.
— Oui, tu as bien fait. On sait jamais.

Des bruits de pas retentirent. Lyco se tendit et pivota. Dans la pénombre, il espéra apercevoir et reconnaitre la silhouette de Lacrya… et se renfrogna en voyant qu’il s’agissait de Karyl Braun. Il n’était vêtu que d’un pantalon et d’un haut à manches courtes, malgré le froid ; et pour cause, depuis qu’il avait muté, il ne ressentait plus la température ambiante. Le froid, le chaud, il s’en fichait comme s’en fichait un rhinastoc en plein désert.

Lyco jeta un œil vers son bras droit : celui-là même qui avait été arraché par un coup de fusil à pompe, et qui semblait maintenant être en parfait état. Sa crise passée, qui l’avait poussée à massacrer des pillards, était maintenant oubliée. Pour presque tout le monde. Presque.

Malgré tous ses efforts — si tant est qu’on pouvait appeler ça des « efforts » —, les pillards continuaient de se méfier de lui. Ils avaient raison d’être prudents. Mais Lyco savait que Karyl était digne de confiance. Ils avaient un même objectif, après tout : tuer le gouverneur Mervald.

Pas pour les mêmes raisons, mais c’était déjà un bon début.

— Tu viens leur dire adieu ? Toi ? s’étonna Ève avec amusement.
— Même pas en rêve, marmonna Karyl avec agacement.

Il tendit la main vers Lyco. Ce dernier, surpris, attrapa la pokéball qu’il lui tendait.

— C’est Darren qui m’envoie faire le sale boulot. C’est pour votre voyage.
— C’est l’un des roucoups ?

En l’espace de ces quelques semaines, leur ancien roucoups, Piaf, avait donné naissance à deux petits. Et, entretemps, il avait lui-même évolué en roucarnage, avant que les pillards n’entraînent sa descendance pour en faire des éclaireurs plus puissants.

Un roucoups, bien que pas particulièrement fort, pouvait se montrer très utile pour faire le guet, envoyer des messages, ou simplement se défendre contre les pokémons Insectes qui pullulaient dans les Forêts de l’Est.

— Ouais, répondit Karyl sans entrain. C’est Plume, j’crois. Bon, j’vous laisse.

Karyl fit demi-tour sous le regard des deux autres, puis s’arrêta à quelques mètres, avant de se retourner abruptement. Il fixa Lyco avec un regard méfiant, légèrement dédaigneux.

— Crève pas, l’Effacé. Si tu meurs avant qu’on ait eu l’occasion de tuer ce connard de Mervald, je te ferai souffrir pour l’éternité, même jusqu’en enfer.
— Pareil pour toi.

Karyl émit un rire sec, tourna les talons et disparut dans l’obscurité. Ève sourit près de lui :

— C’était sa manière un peu bourrue de dire au revoir, finalement. J’avais raison !

Lyco ne répondit pas. Il ne savait jamais comment considérer Karyl. Ses souvenirs de l’Arène le rendaient détestable à ses yeux, mais ses souvenirs plus récents avaient changé sa perspective à son sujet. Il avait beau dire, Karyl n’était plus le lâche arrogant qu’il avait été. Ses pouvoirs l’avaient renforcé. Il devenait quelqu’un de bien, peu à peu. Sans même s’en rendre compte… il s’adoucissait, que ce soit dans sa façon de parler ou d’agir. Il n’avait tué personne depuis qu’il avait mis fin à la vie de Molch d’un coup de couteau, après leur course-poursuite en charrette dans Psyhéxa.

Lacrya ne tarda pas à enfin débarquer, avec un sac et une cape de voyage. Elle confia des armes à Lyco, qui les répartit entre ses fourreaux, sa ceinture et son propre bagage.

— Allez, partez vite à l’aventure. Plus vite vous serez partis, plus vite vous serez revenus, lança Ève avec énergie. J’aimerais bien vous suivre, mais je dois veiller sur le petit Bakrom, et sur Amelis. La pauvre, elle est toujours occupée à gérer l’organisation du camp. Boralf la fait bosser comme une dingue…
— C’est elle qui s’était proposée, non ? interrogea Lacrya.
— Oui, sous prétexte qu’elle n’est bonne à rien d’autre. Mais bon, j’essaierai de la faire se détendre de temps en temps. Bon, bonne route à vous deux. Faites attention !

Ève embrassa énergiquement ses deux camarades, et leur ouvrit la porte pour les laisser passer dans un silence que seuls les bruits nocturnes rompaient. Lacrya et Lyco, côte à côte, quittèrent pour la première fois depuis un mois le campement des pillards, se dirigeant droit sous le couvert des arbres.

Lyco releva la tête, redressa les épaules : les vacances au camp étaient terminées. Il était temps de définitivement mettre un trait sur son passé encore trop mystérieux.

Il se retourna et aperçut les lumières des torches qui éclairaient les hauteurs du mur du campement. Il se promit mentalement de ne revenir qu’après avoir récupéré l’intégralité de ses souvenirs. Au fond de lui, il était persuadé d’en être capable ; seuls ses voyages avec les autres avaient paru débloquer sa mémoire.

Et si, comme il s’en souvenait vaguement, son lui du passé avait écrit quelque chose à son lui du futur, alors peut-être qu’il pourrait enfin affronter la vérité en face.



***


L’homme se débattait en hurlant ; on l’entendait même à travers le mur capitonné, depuis la pièce adjacente. Mervald, entouré de quatre hommes en blouse blanche, les écoutait distraitement commenter leurs recherches et proposer de nouvelles solutions.

La gouverneur, assis dans un fauteuil en bout de table, avait la main posée devant lui, sur un rapport imprimé, et tenait un verre de vin rouge dans l’autre. Les scientifiques semblaient emballés par la tournure que prenaient les choses. L’un d’eux, en reprenant les travaux de Molch à zéro un mois plus tôt, avait réussi à faire une avancée considérable dans leur recherche sur le virus Némélia, pour en faire un gêne parfaitement exploitable. Ou quelque chose dans ces eaux-là ; le gouverneur n’y comprenait pas grand-chose dès lors que le jargon commençait à être trop technique.

En tout cas, le Mutant parfait dont rêvait Mervald ne semblait plus si hors de portée.

— Et donc ? les interrompit sèchement Mervald alors qu’ils se lançaient dans un débat sur la génétique, particulièrement ennuyeux. Ça va bientôt faire deux heures, non ? Pourquoi continue-t-il de crier ? Vous m’aviez dit que ce serait terminé d’ici là.

La voix du gouverneur, froide et remplie de menaces, fit taire les quatre hommes. L’un d’eux, plus courageux, se racla la gorge et répondit prudemment :

— Je peux aller vérifier son état, si vous le souhaitez. Je pourrais confirmer si, oui ou non, notre théorie se révèle être juste.

Mervald le fixa un moment en silence, se délectant de sa nervosité grandissante. Il posa avec lenteur son verre de vin sur la table de bois brut, et se pencha en avant, appuyant ses coudes sur la table et cachant une partie de son visage derrière ses mains jointes.

— Allez-y.

L’homme se leva brusquement, comme libéré par l’emprise menaçante qu’exerçait le gouverneur sur lui, et disparut dans un couloir.

Un silence tendu et crépitant emplit la pièce. Plus personne n’osait parler ; le gouverneur était réputé pour son instabilité, ces derniers temps. Les combats d’Arène avaient repris de plus belle, et se faisaient plus sanglants encore que d’habitude, signe que Mervald était tendu, et énervé.

Tous avaient entendus les rumeurs sur une attaque prochaine de mercenaires sur la capitale. Tous savaient que Psyhéxa était tombée, que Molch était mort. L’emprise du gouverneur sur le pays s’effritait. Ses troupes doutaient.

Le scientifique en chef revint enfin, provoquant un début de soulagement chez ses collègues. Il souriait.

— Monsieur, ça a marché.

Le gouverneur mit un petit moment à comprendre. Il écarquilla les yeux et se leva d’un bond, renversant son verre de vin sur le rapport devant lui. Il ne parut pas s’en inquiéter.

— Comment ça ?

Il tendit l’oreille ; de l’autre côté du mur, plus aucun cri. Plus aucun coup étouffé.

— Le Mutant est vivant, monsieur. Vivant et lucide.

Mervald esquissa un sourire carnassier. Enfin. Enfin ! Il avait fallu attendre si longtemps avant d’avoir un résultat probant. Si longtemps…

Il épousseta son costume, rendit à son col de veste un aspect moins négligé, et suivit le médecin dehors.

Le Mutant le plus abouti était enfin à lui. Plus personne ne parviendrait à l’inquiéter, à l’avenir. Pas même cet insupportable Rôdeur.