Bleuet fané de M@xime1086

Le portrait que lui avait fait Jacky la tourmentait. Elle l'avait conservé précieusement telle une relique. Un élastique l'enroulait. Cette précaution ne durait pas bien longtemps : Ondine ne pouvait s'empêcher de dérouler le dessin pour l'observer encore et encore. C'était plus fort qu'elle.
Cette manie qu'elle avait prise devint une sorte de vérification. Il fallait s'assurer que les traits n'avaient pas changé, que tout restait en place.

Cette esquisse était véritablement une prémonition. Jacky avait-il vu dans l'avenir qu'elle serait malheureuse ? Pourquoi ? A cause de... Gary ?
Quand son ami lui avait offert ce croquis, elle l'avait interrogé du regard sans parvenir à se faire comprendre. Sacha s'était réveillé avant qu'elle n'ouvre la bouche et pose des questions. Ce n'était pourtant pas ce qui manquait de lui brûler les lèvres.

Elle n'arrivait pas à prendre au téléphone son fiancé. Elle redoutait que le mal vint de lui ; mais que lui aurait-il fait ? Se serait-elle mise dans un état pareil à cause d'une potentielle rupture ?
Pourtant, lorsqu'elle regardait le portrait, ce n'était pas seulement de la tristesse qu'elle pouvait lire, mais bien de la peur. Et si Gary l'effrayait ? Cette idée était en contradiction avec le comportement de son compagnon. Il n'avait rien d'un homme violent ou qui inspirait de la crainte.

A force de dévisager son propre visage, elle en vint à l'exécrer. Elle n'osait s'en débarrasser parce qu'un cadeau ne se jette pas. C'était plus profond que ça. Si elle le déchirait ou le mettait à la poubelle, peut-être que la prophétie dessinée se réaliserait ?
Le seul moyen pour qu'elle échoue était de le conserver et de tout faire pour que son futur ne soit pas aussi sombre que celui révélé par Jacky.

Ce ne fut pas simple de recouvrer un sang-froid. Toutefois, la compagnie de Sacha et de Séréna l'y aida. Les soirées, réunis tous autour d'un jeu de cartes, l'apaisèrent. Sacha égayait les parties par son humour et son caractère de mauvais perdant.
Pikachu se réfugiait entre ses jambes croisées. Le contact de sa fourrure chargée d'électricité la rechargeait en énergie. Les préoccupations de la journée, la peur de ce qui allait advenir, tout perdait de l'importance quand elle se trouvait avec ses amis. Elle oubliait pour un temps ces tracas.
Il lui arrivait, après une partie, de sauter sur son téléphone pour appeler Gary et lui dire combien elle l'aimait. C'était spontané mais elle en avait besoin. Pour se rassurer.

La veille de son départ, la soirée fut plus longue. Séréna voulut profiter de la présence de la championne une dernière fois. Sacha qui avait passé sa matinée à dormir ne montrait pas de signe de fatigue.
Soudain, pour une raison qui échappa à Ondine, la discussion dévia sur une page sombre de leur voyage à Kalos. Les mines tout à l'heure joyeuses se durcirent. Même Pikachu se cabra et glapit.

« Ce n'est pas un secret. Disons que c'est un très mauvais souvenir. J'aurai aimé que ce fut un cauchemar. »

Dans la chambre en désordre, sous la lampe tamisée, il aborda avec rancœur le pire souvenir de tout son périple depuis qu'il avait quitté son village.
La traque de l'Homme masqué. Les combats cruels. Les Pokéball noires. Les journées passées dans l'absence de nouvelles de ses amis qu'il avait voulu préserver.*
Séréna raconta avec émotion le voyage qu'elle avait fait, tout ce qu'elle avait entamé comme recherches pour retrouver Sacha alors que ce dernier était en cavale pour échapper à cet homme.

Toutes ces épreuves les avaient bien rapproché. Au point qu'il l'avait invité à vivre avec lui le temps qu'elle se retrouve.
Un silence tomba dans la pièce à demi-éclairée. Révéler toutes ces choses n'avait pas soulagé ceux qui avaient traversé tant d'épreuves. Ondine aussi ne se sentait pas bien. Un malaise s'était installé sans qu'elle le veuille. Il fut difficile de reprendre le cours de la partie après ça.

« Mais vous vous en êtes sortis, c'est le principal ! dit-elle avec un soupir de soulagement. »

Sacha, soudain sérieux, la dévisagea. Certes ils s'en étaient sortis mais avec des séquelles. Quelque chose s'était cassé depuis, dans sa conception du dressage. C'était la raison secrète qui le poussait à rester ici quelques temps, pour se retrouver chez soi et pour rétablir ce qu'avait brisé la traque de l'Homme masqué.

La championne ne l'avait jamais vu aussi bouleversé. Sa main s'avança pour le réconforter mais Séréna fut plus rapide. Sur l'épaule du jeune homme, elle déposa son visage. Ce geste tendre parut anodin pour le dresseur ; pour les deux amies, il recelait un message de tendre soutien. Il valait mieux pour Ondine que ce fut Séréna qui se soit blottie contre lui. Cela lui semblait logique et plus naturel. Elle s'en persuada tout le reste de la soirée.

• • • • • • • • • •
Les mois qui suivirent ce petit séjour hors du temps parurent difficile pour la championne. Elle gardait en mémoire ce que lui avait révélé Jacky. Ce souvenir se concrétisait matériellement par le portrait qu'elle avait caché à son retour. Elle ne voulait pas que Gary tombe dessus. Il n'aurait pas saisit le sens de ce dessin qui était si évident pour elle.

Comme leurs recherches pour trouver une salle capable d'accueillir leur cérémonie ne donnait rien, Ondine prit l'habitude de descendre au Bourg-Palette une à deux fois par mois. Cela devint très vite une habitude. Décompresser de ces préparatifs était l'excuse la plus acceptable.

Daisy désapprouva cette attitude désinvolte ; la date approchait sans que cela ne l'inquiète plus que ça. Gary se trouvait seul à gérer le traiteur, les invités, les prestataires, les papiers à remplir...
Il n'avait pas le temps d'être jaloux. Il ne préférait pas connaître la raison cachée qui poussait sa fiancée à quitter Azuria au plus fort moment de leur projet commun.

Décrocher de cette organisation fastidieuse semblait fonctionner ; en effet, Ondine revenait toujours avec le sourire. Il lui demandait distraitement ce qu'elle avait fait là-bas.

« Nous nous sommes baladées avec Séréna. Elle a très envie de suivre Sacha dans ses prochaines aventures. »

L'instant d'après il n'était plus question que du mariage. Leurs retrouvailles se déroulaient dans des étreintes fatiguées, lasses. Surtout pour Gary. L'organisation de la cérémonie additionnée à son travail et aux visites qu'il rendait à Otaquin donnait un résultat proche de la léthargie.

Ondine, que ces séjours enchantaient, rayonnait par son dynamisme. Elle s'en servait volontiers pour aider son conjoint mais surtout pour l'arène qu'elle avait décidé de ré-ouvrir. Rester enfermée à la maison n'était pas ce qui lui réussissait le mieux. Elle avait l'âme d'une aventurière.
Son poste de championne la comblait plus que jamais.

Il arrivait tout de même au couple de se retrouver. Ils laissaient de côté ce mariage qui pompait toute leur énergie pour profiter de leur amour. Même s'il n'exprimait pas clairement son regret de voir Ondine s'éloigner de lui pendant cette période importante, qu'il aurait aimé traverser les difficultés avec elle au lieu de les fuir, Gary savourait ces soirées. Il ne réussissait à lui en vouloir que quelques heures tout au plus, abandonné là comme un sac en plastique au milieu du désordre ambiant qu'était leur mariage.

Dès qu'il la retrouvait, il n'arrivait plus à lui en vouloir. Un simple coup d’œil sur son visage apaisé lui suffisait pour passer l'éponge. Ondine avait bien comprit qu'il ne fallait pas tant parler de Sacha. C'est pour cette raison évidente qu'elle n'entrait pas dans les détails de ses journées passées au Bourg-Palette. Gary était déjà bien gentil de la laisser partir en pleine bataille sans lui faire de scène de ménage ; sans lui exprimer une jalousie justifiée.

En voyant que l'évocation de Séréna l'indifférenciait, elle se mit à lui raconter une partie de pêche qui avait eu lieu avec son amie. Elles s'étaient baladées non loin d'une clairière puis avaient découvert une sorte de marais abandonné.
Ondine se plût à lui faire remarquer, pendant qu'elle lui racontait l'anecdote, que ce marais lui rappelait leur lac mais en moins bien disposé.

« Bref, nous nous sommes arrêtées dans un coin puis nous avons pêché. Il n'y avait que des Limonde ou des Venalgue. Mais devine qu'est-ce que Séréna a attiré dans ses filets ? »

Ses pupilles exultaient. Gary, amusé par cette devinette, trouva la réponse aussi simplement que si l'on eut demandé la date de leur mariage.

« Un Pokémon eau ?
- Oui. Un Pokémon tellement beau. J'aurai aimé le capturer. Mais Séréna a été plus rapide, comme toujours. »

C'était difficile pour la spécialiste des Pokémon eau de s'avouer vaincu dans son propre domaine. Elle devait reconnaître que son amie se montrait parfois déterminée et audacieuse.

« Quel Pokémon était-ce ?
- Un Mustéflott. Le Pokémon idéal pour la nage. Si j'avais eu l'occasion de l'attraper, il aurait été un très bon professeur pour Psykokwak. Ces Pokémon sont reconnus pour être de très bons secouristes en cas de noyade. Leur bouée jaune autour du cou sont si belles lorsqu'elle sont gonflées à leur maximum. Et leur queue dédoublée qui rivalisent avec les plus puissantes hélices de navires... »

A l'entendre ainsi s'extasier, Gary crut qu'elle parlait d'un homme dont elle s'était éprise. C'était assez drôle. Il se demanda si elle parlait de lui aux autres comme d'un Pokémon eau qu'elle appréciait.

« J'envie Sacha d'avoir un Mustébouée. Le sien a un esprit tellement combatif qu'il s'accorderait à merveille à mon équipe. Peut-être que je devrais lui demander de me le prêter pour faire un essai. »

Elle avait dit tout haut ce qu'elle considérait être comme une remarque personnelle. Le jeune homme en l'écoutant eut un sourire crispé. Il partit se servir un verre d'eau.

« Donc... Séréna a eut... un nouveau Pokémon... poursuivit Ondine, laissée seule dans le salon. »

Pourquoi avait-elle eu besoin de tout ramener à Sacha, à ses supers Pokémon, en présence de la seule personne dont il lui fallait taire le nom ? Un acte manqué ? Troublée par la faute qu'elle avait commise et qui avait sans doute froissé son fiancé, elle disparut dans le jardin.

Gary qui revenait de la cuisine ne l'avait pas retrouvé ; il n'avait pas comprit pourquoi elle s'était arrêtée au cours de son récit. C'était si intéressant de savoir que Sacha avait les meilleurs Pokémon...

• • • • • • • • • •
Un jour, Violette aperçut Gary à l'arène. Elle le trouva affligé. Assis dans les gradins, le menton dans sa main, il jetait sur le combat un regard ennuyé.

Était-ce à cause de sa petite manigance ? Daisy n'était pas entrée dans les détails mais c'était avec certitude que Violette avait planté une épine dans le pied du couple en refusant d'organiser le mariage dans l'arène. Trouver une salle à quelques semaines de la date fatidique compromettait sérieusement la cérémonie. En regardant Gary, elle se dit que ce ne serait pas une mauvaise chose si le mariage n'avait pas lieu. Le jeune homme n'avait pas l'air emballé...
Quoiqu'il en soit, voir le fiancé de sa sœur à terre, incapable de sourire sans soupirer, lui plût. Il faisait moins le malin, le gentleman !

Les couples qui, d'habitude, organisent leur mariage, se disputent pour la couleur des fleurs, la musique ou bien pour le menu qu'ils serviront. C'était entrer dans la normalité que de se quereller pour presque rien. Gary aurait souhaité une dispute, même ridicule, qui puisse au moins faire réagir Ondine. Elle lui faisait totalement confiance sur la couleur des fleurs, la musique et le menu. C'était une jolie preuve d'affection ; cela donnait aussi la désagréable impression au fiancé que sa future femme n'en avait cure de toute cette organisation. Elle le lui faisait subtilement comprendre en allant chercher ailleurs le calme et le repos. Ils s'étaient disputés à propos de liste des invités : c'était tout.

Enfin, un jour, le sourire amer disparut des lèvres du jeune fiancé. Il voulut annoncer une bonne nouvelle à Ondine ; cette dernière ne répondait pas, partie chez Sacha. Il rappela encore et encore puis réussit enfin à obtenir un bref entretien avec elle.

« Qu'est-ce qui se passe ?
- Daisy a trouvé une salle pour notre mariage. Tes parents connaissent un homme qui souhaite mettre ce lieu en location. »

Il s'attendait à un soupir de soulagement ; il fut surpris par sa réaction sincère. Elle était comblée qu'enfin tout soit réunis pour que leur mariage se déroule dans de bonnes conditions. Elle avait le sourire aux lèvres, il l'entendait.
Peut-être fallait-il cela pour qu'elle s'intéresse de nouveau, avec fougue, à cette étape de leur vie commune ?

Quand elle revint à Azuria, ils fêtèrent avec Frédéric, Éliane et Daisy la fin de cette organisation infernale. Le traiteur, le fleuriste, les musiciens, la salle, les invités, tout était à présent fixé. Il suffisait de se reposer, d'attendre le 16 mars.

Ils passèrent une merveilleuse nuit. Cela faisait plusieurs semaines qu'ils n'avaient plus fait l'amour comme cela. Ondine redevenait tendre, moins soucieuse. Gary retrouvait ses forces, en partie grâce à l'allègement qu'il éprouvait à ne plus s'inquiéter de l'avenir. Leurs retrouvailles les emportaient ; ils retrouvaient une effervescence qu'ils croyaient avoir perdu.

Ils avaient reconquérit une véritable vie de couple. Ils sortaient plus souvent, incapable de se séparer plus d'une demi-journée. Otaquin avait repris des couleurs et plaisir à les voir arriver bras dessus bras dessous, enlacés tendrement. Le Pokémon eau, inquiet de ne les voir que séparément pendant des mois, avait cru à une rupture.
Maintenant qu'ils les voyaient s'embrasser, badiner, légers, il sentait le retour de ceux qu'il considérait comme ses parents.

Ondine ne descendait plus au Bourg-Palette. Cet impétueux besoin de laisser son futur mari seul la rendait raisonnable. Il fallait bien l'aimer, lui. Sacha avait Séréna.

Le couple regardait arriver la date fatidique avec délice. Bientôt ils seraient unis d'une autre façon que par leur amour : par la loi.


* (Cf - N'abandonnez jamais de Goldenheart)