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Merle Grey de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 24/10/2019 à 14:56
» Dernière mise à jour le 12/11/2019 à 19:07

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Famille   Slice of life   Unys

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Chapter 4: Lady Grey ~ Frozen Summit
Merle Grey naquit en 1876 à Donnol, capitale de Galar. Ses parents n’étaient pas très fortunés, mais ils avaient à cœur de fournir à leur fille unique une éducation digne de ce nom, fait rare pour l’époque. Merle Grey passa donc son enfance le nez dans les livres, et développa une véritable passion littéraire. La jeune fille passait tout son temps à rêver de livres et à lire des rêves, une tasse de thé à la main.

Puis en grandissant, comme c’est souvent le cas chez celles et ceux qui s’adonnent corps et âme à la lecture, Merle Grey eut envie de n’être plus seulement lectrice. Elle voulait écrire. Elle voulait faire de la littérature non plus uniquement sa passion, mais sa vocation. Elle commença alors, dès son plus jeune âge, à écrire des histoires. Elle s’essayait à tout : romance, action, aventure…

Rêveuse, la jeune Merle préférait se perdre dans ses lectures plutôt que d’étudier en classe. Seules les leçons de chimie et de littérature retenaient toute son attention. Elle n’était absolument pas stupide, mais tout simplement oisive. Son manque de sérieux dans ses études se répercuta sur sa vie professionnelle : elle dut se résoudre à exercer des métiers qu’elle n’avait pas exactement choisis.

Ainsi, lorsqu’elle atteignit la vingtaine, elle fut embauchée comme femme de chambre dans un luxueux hôtel-restaurant de Donnol : La Quantos. Merle ne se plaignait pas de sa condition : en tant que femme de chambre d’un établissement de luxe, elle gagnait honnêtement sa vie. Ce n’était pas faramineux, mais on lui laissait de bons pourboires. De toute façon, elle restait persuadée qu’elle était promise à un avenir littéraire radieux.

Pour elle, La Quantos n’était guère qu’une parenthèse de sa vie, une simple expérience. Elle y rencontra notamment son Polthégeist, le plus fidèle des Pokémon… Et Richard, le plus infidèle des hommes. Elle connut ce riche homme d’affaires alors qu’il séjournait dans l’une des suites de La Quantos qu’elle était chargée de nettoyer.

Âgée en ce temps-là d’une vingtaine d’années, la jeune femme inexpérimentée ne sut résister bien longtemps aux avances de Richard, qui se comportait comme le parfait gentleman galarien. Cette période-là fut heureuse pour Merle Grey : elle connut l’amour, du moins le crut-elle. Ce fut également à cette époque qu’elle trouva l’inspiration pour écrire un recueil de nouvelles dans son nouveau genre de prédilection : les enquêtes policières.

Elle imagina donc toute une série de récits mettant en scène une détective qui arpentait les rues de Donnol à la recherche de crimes à résoudre. Elle mit beaucoup d’elle-même et de sa propre vie dans ses écrits. L’identité de son personnage principal en était l’exemple le plus criant, car elle lui avait donné le même prénom qu’elle : Merle H. Lock-Hoss.

Malheureusement pour elle, son bonheur fut de courte durée. Elle apprit bientôt qu’elle était enceinte, ce qui fit aussitôt fuir son Richard, qui, en bon gentleman bien élevé, l’abandonna lâchement à son triste sort. De même, lorsque son aimable employeur remarqua qu’elle attendait un enfant, il la mit à la porte sans plus tarder. Ainsi, du jour au lendemain, la vie de Merle Grey prit un tournant sinistre.

Désespérée, elle se réfugia dans le seul rempart contre l’adversité qu’elle connaissait : la littérature. Elle s’échina à rédiger ses textes comme si son avenir en dépendait – ce qui était le cas. Elle acheva d’écrire plusieurs de ses nouvelles en un temps record, et pour cause : elle ne dormait quasiment plus. Plus elle voyait son ventre s’arrondir, plus elle sentait l’angoisse monter en elle : comment pourrait-elle nourrir un enfant alors qu’elle subsistait à peine toute seule ?

Elle devait absolument faire publier ses nouvelles. Ce n’était plus seulement une aspiration ; c’était un objectif. Il fallait que ses écrits soient édités : non seulement pour son bien, mais aussi pour celui de son futur enfant.

Par chance, une maison d’édition reconnue de Donnol se trouvait non loin de chez elle : les éditions Hongfei, tenues par la famille du même nom. Elle s’empressa donc de leur soumettre ses nouvelles, avec la promesse d’en écrire bien d’autres s’ils acceptaient de publier ses premiers écrits.

Elle reçut rapidement une lettre l’invitant à se rendre au siège des éditions Hongfei. Là-bas, elle fut reçue par M. Hongfei lui-même. Il semblait sympathique, et pourtant au fond de son œil noir brillait une étincelle glaciale. Un froid dévastateur. Il la scruta de la tête aux pieds, en s’attardant sur son ventre rond. Puis il la congédia froidement, sans lui expliquer pourquoi il ne publierait pas ses nouvelles.

Mais Merle avait parfaitement compris d’elle-même. Retenant à grand-peine ses larmes de chagrin, – mais surtout de colère – elle quitta le bureau de l’éditeur en refermant la porte avec fracas, renversant sur son passage une statue de femme en acier. La déesse de la pitié. Déesse que M. Hongfei avait offensée en se montrant d’une injustice et d’une intransigeance extrême envers une pauvre femme qui souffrait terriblement.

Merle Grey connut alors une grande période de doute. Mais elle finit par se ressaisir : peu avant la naissance de son enfant, elle emprunta un peu d’argent afin de créer son propre commerce. Ainsi fut créée la boutique de thé Lady Grey. Puis Merle mit au monde une petite fille qui illumina son existence, tel le plus beau des joyaux. Commença alors une brève époque de joie pour la romancière déchue, qui avait renoncé à son rêve d’enfant pour se consacrer à son magasin et à sa fille.

Cependant la situation se dégrada très rapidement : Lady Grey n’avait que peu de succès, et les dettes recommencèrent à s’accumuler. À peine un an après la naissance de sa fille, Merle sombra dans la dépression. Une pathologie violente et destructrice dont elle ne ressortit jamais. Accablée de toutes parts, elle chercha désespérément un moyen de se faire un peu d’argent, afin de subvenir aux besoins de son enfant.

Elle se souvint alors des nombreux livres qu’elle avait lus sur le Pokémon Thé Noir, Polthégeist. Il arrivait que des personnes aient des maux de ventre si elles buvaient en trop grande quantité le thé qui composait le corps des Polthégeist. Merle Grey, qui avait toujours été passionnée de chimie, devina bien vite ce que cela impliquait : le corps du Pokémon renfermait sûrement une toxine.

Une toxine certes peu puissante en l’état, mais qu’elle pourrait peut-être isoler et exacerber, de manière à créer un poison bien plus concentré. Elle ignorait combien d’argent elle pourrait tirer d’une telle invention, mais elle n’allait pas tarder à le savoir. Sans même réfléchir davantage à ce qu’elle faisait, Merle Grey commença ses recherches et ses expérimentations chimiques, basées uniquement sur son savoir académique et les livres qu’elle avait à sa disposition.

Elle n’avait qu’une pensée en tête : sauver sa fille de la misère qu’elle-même avait connue.

Mais bientôt, ses motivations changèrent. À force d’expériences dangereuses et risquées, Merle commença peu à peu à perdre l’esprit. Elle concocta moult poisons qu’elle vendit à prix d’or au marché noir, mais chaque nouvelle toxine ainsi créée la rapprochait un peu plus de la folie, qui pénétrait son cerveau comme un puissant venin. Elle alla même jusqu’à faire souffrir son Polthégeist au nom de la science.

Merle avait perdu la raison. Elle ne se rendait pas compte que ses créations empoisonnaient la vie des gens autant que son âme. Elle ne vivait plus dans le monde réel. Elle s’imaginait comme l’ultime adversaire de Merle H. Lock-Hoss, le plus puissant génie du mal que sa protagoniste n’ait jamais eu à affronter. Et également la seule criminelle que la détective n’arrêterait pas de ses propres mains.

En effet, avant de perdre le peu de lucidité qu’il lui restait encore, Merle Grey écrivit la toute dernière aventure de son alter ego détective : l’histoire d’un trafic de poisons de Polthégeist, dirigé d’une main de maître par une puissante figure de l’ombre, dont l’identité demeurait un mystère jusqu’à la fin. Une fin grandiose durant laquelle ce génie du mal se suicidait en ingérant un de ses propres poisons, sans que jamais Lock-Hoss n’ait pu lui mettre la main dessus.

Merle rédigea ensuite son testament, dans lequel elle confiait notamment la garde de sa fille à ses amis unyssiens de longue date : les Lestrade. Elle intimait au couple d’élever son enfant comme la leur, sans jamais lui parler d’elle. Puis elle rédigea sa lettre d’adieu, dans laquelle elle exprimait ses regrets, dont le plus amer : celui de n’avoir jamais pu être une véritable écrivaine. Elle l’envoya expressément à deux personnes : le charmant Richard… et le glacial M. Hongfei.

Ce dernier fut rongé par la culpabilité durant toute sa vie, et fit tout ce qu’il put pour se repentir auprès de la déesse de la pitié. Il racheta Lady Grey et veilla, chaque semaine, à ce que la boutique ne manque jamais de rien – tâche qu’il transmit à ses descendants dans son testament.

Il s’efforça également d'étouffer au maximum la mort de la jeune femme en usant de toute son influence : de fait, les articles de journaux annonçant sa mort furent des plus succincts.

Ainsi prit fin la vie de Merle Grey : sous les yeux de son Polthégeist meurtri, la jeune femme, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même, souleva bien haut sa fiole de poison et prononça ces ultimes paroles empreintes de folie, avant d’avaler l’infâme mixture :

« Il n’y pas de merles noirs, et encore moins de merles blancs. Il n’y a que des merles gris. »

*
Thea était absolument horrifiée par ce qu’elle venait d’entendre de la bouche d’Aiden. Un frisson d’effroi parcourut tout son être. Elle avait enfin le fin mot de l’histoire, et pourtant… les questions se bousculaient dans son esprit. Probablement parce qu’elle se rendait enfin compte qu’elle courait après des chimères depuis le début de son enquête.

« Tu parles d’une enquête… Elle n’est basée que sur des mensonges ! Je suis venue à Galar en quête de Merle H. Lock-Hoss alors qu’en fait… En fait… Tout est faux. La vie géniale que j’ai lue est fausse. Merle Grey se l’est inventée pour fuir son quotidien morbide. Exactement comme moi lorsque Papa et Maman sont morts… »

Thea sentit les larmes revenir, plus glaciales que jamais. Son ancêtre n’était pas une détective de génie à la vie facile et trépidante. Il s’agissait en réalité d’une écrivaine torturée, déchirée par la société. Une femme aux rêves brisés, aliénée.

« Elle est allée jusqu’à renier sa propre existence… Sa fille n’a jamais su qui elle était, ni combien elle l’aimait… Les Lestrade ont toujours été ses véritables parents pour elle… Ensuite, elle a eu ses propres enfants, et ainsi de suite, jusqu’à Papa et Maman, puis moi… »

Dès qu’elle avait entendu Aiden prononcer le nom « Lestrade », Thea avait enfin compris la vraie nature du lien qui unissait les Watson à cette famille : plus qu’un lien d’amitié, il s’agissait d’un lien familial. Elle l’avait toujours ressenti, mais désormais elle en avait la certitude.

« Mais pourquoi ? Pourquoi a-t-elle ainsi voulu s’effacer ? » se demandait Thea avec désespoir, la tête entre les mains. Elle ne comprenait pas. Ou plutôt, elle ne voulait pas comprendre. Car, au fond, elle savait parfaitement ce qui avait motivé son aïeule.

« Elle ne voulait pas qu’on fasse les mêmes erreurs qu’elle… Elle a tout fait pour que l’histoire de sa vie ne ternisse pas celle de sa fille. Elle souhaitait que son enfant puisse accomplir ce qu’il y a de plus important dans la vie : réaliser ses rêves. Ce qu’elle n’avait jamais pu faire. Et pour ça, elle a délibérément fait disparaître Merle Grey de l’histoire de notre famille. »

Mais si Merle n’avait jamais pu se résoudre à jeter ses manuscrits, c’était parce qu’au fond d’elle, une étincelle d’espoir n’avait jamais cessé de briller : celle de voir un jour ses écrits publiés.

« Même alors qu’elle était dévorée par la folie, elle n’a jamais cessé d’espérer… Alors que moi, je n’ai rien du tout… Pas de rêve, pas d’ambition… En fin de compte, je suis toujours au même point : je suis partie à Galar “en quête de mon aïeule pour me trouver moi-même“ et résultat j’ai déterré l’histoire tragique d’une femme qui ne demandait qu’à être laissée tranquille. Tout ça pour quoi ? Pour rien. Je ne suis toujours personne. »

Thea se mit à pleurer franchement cette fois. Elle se moquait bien d’être face à Aiden Hongfei au beau milieu de la haute société du Coupole Thé Geist. L’éditeur semblait profondément désolé :

« Mademoiselle Watson ! Qu’y a-t-il ? J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Je suis sincèrement désolé si c’est le cas…

— Non, je… je… ça va…

— Vous êtes sûre ? C’est cette histoire qui vous bouleverse ainsi ?

— O-oui… répondit-elle dans un sanglot. Elle m’a fait réaliser que je n’avais plus rien… Que je n’étais plus rien, même.

— Mais enfin, pourquoi dites-vous cela ?

— Parce que c’est vrai. Je suis venue à Galar en me berçant d’illusions, persuadée que mon ancêtre était une détective cool et heureuse ! s’écria-t-elle, en larmes. Mais en fait, c’était une femme qui a souffert pendant la majeure partie de sa vie ! Et j’ai dépensé quasiment tout l’argent hérité de mes parents pour apprendre cette vérité douloureuse ? Je n’ai plus rien, plus rien ! »

Elle sanglota de plus belle, face à un interlocuteur médusé. Elle avait vidé son sac d’un seul coup, sans même réfléchir à ce qu’elle disait.

« Vous voulez dire que… Vous êtes bel et bien la descendante de Merle Grey ? demanda doucement Aiden Hongfei.

— Oui… Les nouvelles qu’elle a écrites se trouvaient dans mon grenier. Ma famille a dû les conserver pendant plus de deux siècles sans jamais y faire attention… Alors qu’elles sont si incroyables ! Elles m’ont tellement aidée à surmonter la mort de mes parents…

Elle parlait désormais sans peur ni filtre. Elle avait besoin de se confier.

« Ce qui veut dire que vous êtes la première à vous intéresser au sort de la pauvre Merle Grey, dit Aiden en souriant.

— Oui, je suis la première à désobéir à sa volonté ! se désespéra Thea. Elle ne voulait pas qu’on retrouve sa trace !

— Non, je pense qu’au fond d’elle, elle espérait qu’on s’intéresse à elle. Ou du moins, à ses écrits. Je ne l’ai pas connue, mais je pense que, comme tout auteur, Merle souhaitait plus que tout qu’un jour ses nouvelles réchaufferaient le cœur de quelqu’un en souffrance, comme elle. Et apparemment, c’est l’effet qu’elles ont eu sur vous.

— C’est vrai… » admit Thea.

Elle n’avait pas vu les choses sous cet angle. Alors, finalement, elle était celle qui avait donné aux nouvelles de son ancêtre leur sens véritable ?

« Il faut dire que si je ne les avais pas trouvées, il aurait pu se passer encore pas mal de temps avant que quelqu’un les découvre… » songea Thea.

Peut-être que M. Hongfei avait raison. Peut-être avait-elle finalement accompli quelque chose durant sa quête.

« Et c’est d’ailleurs cette curiosité naturelle qui est la vôtre, Mademoiselle Watson… reprit Aiden.

— Hum ? s’enquit Thea, qui avait cessé de pleurer pour se perdre dans ses pensées.

— C’est grâce à votre volonté à toute épreuve que vous découvrez aujourd’hui que votre famille possède une boutique de thé depuis plus de deux cents ans ! » s’exclama-t-il, le visage radieux.

Thea se figea, surprise. Elle n’avait pas songé à cela.

« Mais Lady Grey appartient à votre famille, non ?

— Oui, mon ancêtre l’a rachetée car la descendance de Grey était partie à Unys, comme elle le souhaitait. Mais mon aïeul a toujours été clair sur un point : ce rachat n’était que temporaire.

— Temporaire ?

— Oui. Si un ou une descendante de Grey venait à se présenter un jour à Galar, la famille Hongfei devrait lui céder Lady Grey. Cette cession marquerait alors la fin de la repentance de la famille Hongfei envers Merle Grey.

— Mais alors… Vous voulez dire que… »

Thea avait du mal à se rendre compte de ce que cela signifiait.

« Oui, vous avez bien compris. Cela signifie que Lady Grey est à vous, maintenant, Miss Watson.

— Je… Je n’en reviens pas…

— Pourquoi ne pas vous installer à Galar définitivement, Thea ? proposa Aiden en osant enfin l’appeler par son prénom. Je ne connais pas forcément bien votre vie, mais… vous semblez avoir besoin d’un nouveau départ. Eh bien, en voilà un qui vous tend les bras.

— Je crois que… Je crois que j’ai besoin d’y réfléchir… répondit Thea, abasourdie.

— Naturellement. Je suis conscient que cela fait beaucoup à encaisser… Mais sachez que si vous décidez de rester, je serai là pour vous épauler.

— Merci… »

Un long silence suivit cet échange enflammé. Tout Coupole Thé Geist semblait s’être tu. Enfin, après une éternité, Thea prit la parole, presque dans un murmure :

« Dites, M. Hongfei…

— Oui ?

— Si je reste… Vous m’accorderiez une faveur ?

— Quelle est-elle ? demanda-t-il sans répondre.

— Accepteriez-vous de publier les nouvelles de Merle ?

— Bien entendu. Pas question d’être encore maudit sur plusieurs générations ! »

Thea sourit.

Mais en son for intérieur, elle savait qu’elle s’apprêtait à faire un choix décisif. Un choix qu’elle seule pouvait faire. Il était grand temps qu’elle prenne sa vie en main.