Merle Grey de MissDibule

Attablée près de la fenêtre dans le salon de thé Coupole Thé Geist, Thea lisait tranquillement le journal de Galar. Elle s’intéressait tout particulièrement à la rubrique littérature : celle-ci présentait le succès phénoménal du recueil de nouvelles intitulé Les aventures de Merle H. Lock-Hoss, écrit par Merle Grey et publié par la maison d’édition Hongfei. Thea sourit doucement. L’esprit de son aïeule pouvait enfin reposer en paix.

Satisfaite, Thea referma le journal, qu’elle posa sur la nappe de dentelle blanche, juste à côté de la théière craquelée qui trônait sur la table. Cette dernière était tout sauf ordinaire. À peine la jeune femme effleura-t-elle du bout des doigts le petit couvercle bleu de l’objet que son Polthégeist tressaillit, surpris d’être dérangé en pleine sieste.

« Désolée Earl, je ne voulais pas te faire peur ! Ou alors, juste un petit peu… Un fantôme qui a peur, c’est le bouquet ! » plaisanta son amie, joueuse.

Le petit spectre violet, faisant mine de bouder, rentra aussitôt dans sa carapace de porcelaine. Thea sourit de plus belle. Elle était si heureuse d’avoir croisé le chemin de cette adorable créature. C’était Merle H. Lock-Hoss qui lui avait transmis son amour pour les Polthégeist.

Heureusement pour elle, les Polthégeist n'étaient pas difficiles à trouver, car ce que l’on disait sur cette espèce de Pokémon n’avait rien d’infondé : dans les hôtels et restaurants, ces petites bêtes proliféraient encore plus facilement que des Rattata.

Earl et elle s’entendaient bien depuis leur rencontre, cependant leur lien était encore tout nouveau pour Thea, habituée à être « la grande solitaire sans Pokémon ». Mais cette amitié naissante était probablement due au fait que le Pokémon Spectre et elle avaient beaucoup de points communs, sans compter les liens particuliers qui l’unissait à la famille de Thea.

C’était notamment la raison pour laquelle elle n’avait pas pu résister à l’envie de donner à son propre Polthégeist le même nom que celui de Merle H. Lock-Hoss. C’était comme un hommage. Un tribut. Mais aujourd’hui, cela représentait plus que ça. Bien plus que ça. Alors qu’elle commençait à se perdre dans ses pensées, une voix interpella Thea.

« La terre à Miss Watson ! Vous me recevez ? »

La concernée releva immédiatement la tête en sursautant. Son regard croisa alors celui de l’homme qui avait parlé. Il arborait un sourire moqueur, mais teinté d’une formidable douceur.

« Bon sang Noah, tu m’as fait peur ! gémit-elle.

— Sans blague ? J’avais pas remarqué, dis donc, dit-il en se riant ouvertement de son amie.

— C’est pas drôle… » argumenta vainement Thea, qui arborait le même air boudeur que Earl quelques minutes plus tôt.

« Moi je trouve que ça l’est quand même un petit peu ! D’ailleurs, il se pourrait que j’aie fait exprès… »

Plutôt que de répondre à la provocation, Thea se contenta de le jauger du regard : ses cheveux noirs étaient impeccablement peignés, et il avait fait l’effort vestimentaire de mettre une chemise. Mais elle était surtout intriguée par ce qu’il tenait dans sa main droite :

« Tu es passé à Lady Grey ? » lui demanda-t-elle, curieuse.

En effet, Noah transportait un petit sac en papier vert foncé où figurait le nom de la boutique de thé, en lettres noires. Il acquiesça :

« Yep ! Il faut bien soutenir Gregor maintenant qu’il est de nouveau tout seul ! Je lui ai acheté un peu de thé, j’en ai presque plus chez moi.

— Il s’en sort bien ?

— Un peu ouais ! Le magasin a l’air de bien tourner. Je suis content pour lui.

— Moi aussi, approuva Thea. Mais ça ne m’étonne pas du tout. Il gérait déjà très bien la boutique avant que je n’en devienne propriétaire et que je me mette à travailler avec lui. Lorsque j’étais là, j’avais l’impression d’être inutile, tant il se débrouillait bien ! C’est lui, le vrai cœur de Lady Grey. Moi, je ne suis pas douée pour ça, mais lui, on voit bien que c’est ce qu’il aime faire.

— Ouais, toi t’es plus douée pour fourrer ton nez partout, la taquina Noah tout en prenant place à table.

— Dans ce cas, on est deux, répliqua Thea du tac au tac, sourire aux lèvres.

— Touché, concéda Noah en souriant à son tour.

— Après tout, c’est bien nos talents de fouineurs qui nous ont menés ici aujourd’hui, fit valoir Thea.

— C’est vrai… »

Un ange passa. Chacun était perdu dans ses pensées. Le silence fut interrompu par l’arrivée de la serveuse, qui souhaitait prendre la commande des deux amis. Ils arrêtèrent leur choix sur un grand classique du thé noir : l’Earl Grey. Ceci fait, ils se remirent ensuite à discuter joyeusement. L’odorante théière et les tasses finement décorées ne tardèrent pas à arriver. Tasse de thé fumante entre les mains, Thea et Noah portèrent un toast :

« À nous ! s’exclama-t-elle.

— Et à notre équipe de choc ! compléta-t-il.

— Thégeeeeist ! » acheva Earl, ce qui ne manqua pas de faire rire les deux compères.

« Franchement, pour être honnête, j’ai encore du mal à réaliser… avoua Noah.

— Oui, moi aussi… admit à son tour Thea, les mains crispées autour de sa tasse. Mais je crois que c’est la meilleure décision que j’aie jamais prise de toute ma vie. Si Merle Grey m’a bien appris une chose essentielle, c’est qu’il faut suivre ses rêves.

— Je suis d’accord. C’est pour ça que je ne regrette pas du tout d’avoir quitté mon job à la mairie.

— Vraiment ? Tu me rassures, j’avais peur que tu trouves mon projet complètement insensé…

— J’ai pas dit qu’il ne l’était pas ! Mais bon, tu m’as tellement vendu du rêve…

— Ouais enfin, tu étais d’accord, lui rappela-t-elle.

— Oui, et je ne comprends pas ce qui m’est passé par la tête. Je commence à me dire que tu m’as jeté un sort pour que j’accepte !

— Ouais, c’est ça, t’as tout compris ! » répondit Thea, hilare.

Elle n’avait plus ri ainsi depuis des semaines. Et cela lui faisait un bien fou. Elle continua à plaisanter avec Noah pendant encore de longues minutes, sous l’œil mauvais de la clientèle guindée du salon de thé. Mais aucun des deux amis ne prêtait attention aux autres. Ils étaient dans leur bulle de bien-être.

« Plus sérieusement, reprit Noah après un petit moment, c’est juste génial qu’on ait réussi à trouver un local aussi rapidement. C’est quoi, déjà l’adresse ? 221B Baker Street, c’est ça ?

— Oui, c’est ça, confirma Thea. J’ai tellement hâte ! J’ai l’impression que ma vie vient à peine de commencer… Je ne me suis jamais sentie aussi vivante, affirma-t-elle avec bonheur.

— Rien que ça ! Va falloir qu’on assure, alors !

— C’est pas toi qui parlais de nous comme d’une “équipe de choc“, tout à l’heure ? »

Cette fois-ci, c’était à son tour de le taquiner. Elle aimait la complicité simple qui les unissait. Et, plus que tout, elle était impatiente de travailler aux côtés de Noah.

« Je m’inquiète plus pour toi que pour moi, la nargua-t-il en retour.

— Hé !

— Je plaisante ! On fera le meilleur duo de détectives du monde ! clama-t-il haut et fort en levant sa tasse de thé vers le ciel. Le monde entier connaîtra bientôt les noms de Thea Watson et de Noah Holmes !

— Holmes et Watson… Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que ça sonne drôlement bien… »

Alors que les deux amis célébraient ensemble leur renaissance, un merle vint se poser à leurs côtés, sur le rebord de la fenêtre.

Puis il reprit son envol vers le ciel gris, s’élevant plus haut encore que la fumée blanche du thé noir.