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Shades of Blue de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 13/10/2018 à 01:52
» Dernière mise à jour le 13/10/2018 à 01:52

» Mots-clés :   Drame   Famille   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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II - Looking Through Blue Glasses
Daisy étira ses bras aussi loin que possible au-dessus de sa tête, tout en inspirant à fond l’air du grand large. La brise marine faisait onduler sa chevelure châtain en un parfait miroir de la mer turbulente à quelques dizaines de mètres sous ses pieds. Elle poussa un petit soupir satisfait, reposée.

« Alors ? On est pas bien, là ? »

Derrière elle, son frère tourna mollement la tête dans sa direction, un sourcil relevé. Un cocktail au bec, il était allongé sur une des chaises longues de la poupe, caressant d’une main distraite un Impulse confortablement roulé en boule sur son torse.
Le Voltali avait repris du poil de la bête depuis la nuit qui avait failli lui coûter la vie. Son coup de froid et son état de faiblesse avancée avaient entraîné un début d’infection pulmonaire, heureusement traitée à temps. Depuis lors, comme pour se repentir, Blue s’était montré aux petits oignons avec lui. Même s’il l’avait capturé à nouveau, il préférait le garder constamment hors de sa Pokéball. Le jeune homme n’allait plus nulle part sans que le goupil survolté ne l’accompagne, et les rares fois où il avait été obligé de le laisser chez lui, ça n’avait pas été sans laisser une liste d’instructions longue comme le bras à Toriel. Au point que, même s’il avait répété à l’envi que jamais il ne lui ferait porter un truc aussi stupide, il avait quand même pris l’habitude de lui enfiler le petit pull en laine noir que Daisy avait acheté exprès pour lui. Le renard safrané avait d’abord été plus que dubitatif devant le vêtement. Il avait tenté maintes et maintes fois de se l’enlever, tirant dessus en grognant, se frottant contre les meubles, se grattant avec ses pattes. Et il avait presque réussi une fois…! Sauf que, le pull lui étant resté sur la tête en lui bouchant la vue, le Voltali avait commencé à courir partout comme un dératé dans le salon, pour finir sa course contre un mur. Étrangement, il n’avait plus rien tenté après ça…

« Bof… Si c’était pour voir la mer, on a la même à pas cinq minutes à Bourg Palette… » répondit-il d’une voix blasée.

Il avait cette attitude depuis l’incident, deux mois auparavant. Plus rien ne semblait le motiver, et la santé d’Impulse avait l’air d’être la seule chose pour laquelle il s’impliquait désormais. Même les mentions de son ancien rival à travers les différents médias le laissaient indifférent, tout comme il ne se satisfaisait plus de ses difficultés et mauvaises gestions de crises en tout genre. Daisy avait pourtant tout essayé, que ce soit la méthode douce consistant à lui préparer tous ses plats préférés et le chouchouter, à la plus… Directe, à base d’engueulades et autres vacheries de grande soeur digne de ce nom -qui, généralement, succédait rapidement à la première, sa patience ayant des limites plus raccourcies encore que celle de son frère. Et puis bon, se morfondre, ça allait bien cinq minutes !
La Nidoqueen n’avait pas été en reste non plus, cherchant à inspirer Blue par tous les moyens. C’est qu’elle non plus, elle n’avait pas l’habitude de voir le petit garçon qu’elle avait toujours connu si explosif et plein de vie se retrouver dans un état aussi passif, voire amorphe. Elle avait même essayé de passer par le goupil survolté, pour le convaincre de faire quelque chose pour changer la situation ! En vain, cependant. Le Voltali avait déjà prouvé maintes fois qu’il était plus têtu que son maître, et il paraissait déterminé à le soutenir dans sa mélancolie.

En fait… Au cours de ces quelques mois passés, le jeune homme roux n’avait eu un sursaut qu’en une seule occasion.
A chaque évocation du Pr Oak, un orage virulent semblait déjà éclater dans ses prunelles voilées, interrompant brutalement sa monotonie actuelle. Mais cette colère sourde qui dormait en lui n’était rien à côté de ce dont Daisy et Toriel avaient été témoins quelques semaines plus tôt. Désireuses de retrouver un semblant d’unité dans leur famille pour les fêtes du Prodigue* qui approchaient, elles avaient voulu inviter leur professeur de grand-père à dîner, à l’insu de Blue. Mal leur en avait pris.
Quand Samuel Oak était entré dans le salon, son petit-fils s’était levé d’un coup. Pour lui adresser un regard si froid, si implacable que personne n’aurait été surpris de voir un Grolem se fendre en deux sous ses sinistres iris. Quand le vieil homme, désarmé par de telles retrouvailles, avait voulu le saluer, Blue avait traversé la pièce sans mot dire. Il l’avait ignoré de façon si hostile que l’air s’était comme glacé dans son sillage, secouant l’érudit d’un frisson terrible. La porte d’entrée s’était refermée derrière lui dans un grand bruit. Il n’était revenu qu’au matin. Même Daisy n’avait rien trouvé comme prétexte pour le sermonner.

Fort heureusement, le hasard lui avait donné l’occasion de se racheter ! En effet, elle avait remporté le gros lot au cours du repas annuel organisé par le centre de relaxation pour Pokémon où elle travaillait : un séjour pour deux tous frais payés sur l’Île 4 de l’Archipel des Sevii, avec croisière à bord de L’Océane pour le trajet aller et retour ! Parfait pour se ressourcer et se changer les idées !
… Du moins, en théorie.

La jeune femme poussa un soupir exaspéré devant l’énième réflexion stupide de son petit frère. Ca commençait bien… Mais non, elle ne devait pas désespérer ! Hors de question qu’il gâche leur voyage dès le début !
Bien décidée à ne pas se laisser faire, Daisy lui saisit le bras pour l’entraîner jusqu’au pont inférieur. Il allait bien y avoir un truc qui allait lui plaire, oui !

« Ok, on a la mer à Bourg Palette, mais ici au moins, on peut profiter de la piscine chauffée !
- Ouais, alors entre le monde qu’il y a et les mômes, je préfère même pas savoir comment elle est chauffée…
- Regarde-moi un peu tout ce buffet ! Il y en a pour tous les goûts, et il parait qu’ils ont même un chef kalossien !
- Mouais, je te parle pas du nombre de Tadmorv et de Miasmiasme engendré à chaque repas…
- … Oh ! On a de la chance ! Ils ont engagé The Great and Powerful Will pour les spectacles de ce voyage !
- Quoi, ce clown ? Vu le nombre de bestioles psychiques qu’il a, je comprends pas ce que tout le monde lui trouve… Sérieux, n’importe quel Coordinateur novice est capable de produire un truc plus potable et original que ce gus…
- … Au moins on a de la chance de pouvoir profiter du beau temps ! Il fait bon, on se croirait presque en été !
- A quoi ça sert d’avoir un hiver si c’est pour se barrer vers les tropiques… Et c’était pas toi qui te plaignais de la chaleur y’a pas trois mois ?
- … … En parlant de chaleur, il vaudrait mieux que tu te protèges un peu du soleil avec-
- Non, il est hors de question que je mette ce chapeau. Et c’est pareil pour Impulse, on est pas tes poupées, s’empressa-t-il d’ajouter en la voyant déjà se baisser pour affubler le petit être de la coiffe de paille.
- … »

Finalement, à force de courir d’un bout à l’autre du paquebot titanesque, de monter et descendre tous les ponts pour trouver une activité qui le dériderait un peu, la nuit était tombée. Ils étaient revenus dans leur cabine après le dîner, où Blue retourna aussitôt s’avachir sur son lit pour regarder la télé d’un oeil distrait.

« Tu veux pas prendre l’air un petit peu, pour digérer et profiter de la soirée avant d’aller dormir ? proposa sa soeur avec un enthousiasme forcé, un grand sourire crispé aux lèvres.
- Bof, on a passé toute la journée dehors…
- … D’accord ! On va faire un petit tour, Toriel et moi, on tarde pas trop ! »

Un simple grognement lui répondit, ce qui eut pour don de faire tressaillir la commissure de ses lèvres. Elle conserva son masque enjoué, cependant. Ferma la porte. Marcha comme un automate jusqu’à la proue, la dinosaure maternelle sur les talons. Agrippa la rambarde. Inspira un grand coup. Et…

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! hurla-t-elle dans la nuit, dans un cri si féroce que bon nombre de passagers préférèrent s’éloigner d’un pas pressant de cette furie. Je te jure, Toriel ! Je m’en vais te le balancer par-dessus bord, ça nous fera des vacances ! »

***
Fort heureusement, L’Océane accosta au petit matin, empêchant Daisy de mettre son plan à exécution.
L’Île 4 avait développé un côté station balnéaire bien plus modeste que certaines de ses voisines plus étendues. A cause de l’important massif rocheux recouvrant bien les deux-tiers de sa surface, ses plages se cantonnaient à la petite crique bordant le peu de zones habitables qui formaient Quarmeau, l’unique agglomération de l’île. Elle tirait énormément parti de sa Pension, laquelle faisait également office de centre de relaxation, pour attirer une clientèle de tous âges, humaine comme Pokémon. La ville était aussi connue parmi les artistes pour abriter La Bulle, une galerie devenue un rendez-vous incontournable pour tous les passionnés de bande dessinée. Il y était devenu coutume, pour les dessinateurs en herbe, d’y distribuer des autocollants aux visiteurs afin de promouvoir leurs oeuvres et leur talent. Nombreux étaient les touristes qui repartaient ainsi avec leur valise recouverte de figures bariolées, allant du plus mignon au plus sombre, et un simple coup d’oeil à leurs bagages suffisait alors pour se faire une idée du genre qu’ils appréciaient le plus.
Cependant, l’attraction phare de Quarmeau résidait ailleurs…

« Regarde, Blue ! » s’écria Daisy.

Ils venaient à peine de s’enregistrer à la réception de l’hôtel et de récupérer les clés de leur chambre que, déjà, la jeune femme s’était emparée des nombreux dépliants mis à leur disposition dans le lobby. Elle les avait tous parcourus, notant mentalement les spécialités locales -hors de question qu’ils passent à côté des Oeufs Surprise de Cadoizo ou de l’Omelette aux Champis Givrés ! -, les événements à ne pas manquer -comme le Tournoi de Plaquage en équipe-, les visites guidées… Et c’était justement l’une d’entre elles qui avait retenu son attention, alors qu’elle venait de haranguer son petit frère.

« Ils font des excursions à la Grotte de Glace !
- … J’ai du mal à suivre ta logique des fois… Je croyais qu’on était ici parce que tu voulais pas te manger le froid du continent, mais maintenant qu’on a des températures à peu près potables, tu veux aller t’enfermer dans un congélo géant…? »

Il fallut tout le sang-froid de la jeune femme châtain -et la force naturelle de Toriel qui venait de passer ses pattes autour de sa taille- pour qu’elle réprime l’envie de le secouer comme un prunier.

« Mais non, imbécile ! Ne put-elle s’empêcher de dire. Regarde un peu mieux ! »

Elle lui colla le dépliant au nez pour le forcer à lire. Ce que fit Blue, non sans pousser un soupir las.

« … Ouais, c’est une caverne gelée comme les Îles Ecume, quoi.
- Mais non, ça n’a rien à voir ! s’exclama Daisy d’une voix qui perdait clairement patience. Sérieusement, tu vois pas l’encadré, là ? La Grotte abrite des Lokhlass !
- … Ouais, alors, si tu voulais voir des Lokhlass, y’avait pas besoin d’aller aussi loin. Un simple tour au zoo du Parc Safari, et…
- OUI, mais ceux-là sont sauvages ! insista-t-elle.
- Et les Îles Ecume sont supposément le territoire d’Artikodin, alors que le dernier témoignage à peu près crédible à ce sujet date d’il y a plus d’un siècle, » rétorqua-t-il d’un ton monotone. Bon sang, mais qu’est-ce qu’il était chiant à avoir réponse à tout comme ça !
- Eh ben ça nous fera pas de mal ! conclut-elle, en lui reprenant le dépliant des mains d’un geste rageur. Que ça te plaise ou non, je nous y inscris !
- Comme tu veux… » Répondit Blue en haussant les épaules. Avant d’ajouter, comme sa soeur se dirigeait vers la réception d’un pas fulminant : « Mais viens pas te plaindre après si t’as déboursé du fric pour que Spoink ! »

***
Finalement, Blue n’eut d’autre choix que d’être traîné sur le parvis de l’hôtel deux jours plus tard. Malgré l’heure matinale, l’aube pointant à peine le bout de ses timides rayons sur le massif à l’est de Quarmeau, ils étaient une bonne quinzaine de touristes à s’être rassemblés pour participer à la petite expédition.

« Tu parles de vacances… Grommela le jeune homme roux après avoir poussé un large bâillement dont il n’avait même pas cherché à se cacher.
- Roh, arrête un peu ! Tu vas voir, ça va être bien !
- Ouais, j’ai teeeeellement hâte de voir tous les cailloux de cette caverne de mes deux. Faut dire que j’en ai jamais vu pendant mes voyages… A part ceux du Mont Sélénite, du Tunnel Taupiqueur, du Souterrain, des Îles Ecume, de la Route Vic…
- Dis un mot de plus, et je te jure que tu vas finir avec tout un bac de glaçons dans le caleçon avant la fin du voyage, » l’interrompit Daisy en lui adressant un grand sourire ne présageant rien de bon.

Son frère la regarda avec un sourcil levé en haussant les épaules. Heureusement, leur guide arriva avant que la situation ne dégénère davantage.

« Bonjour à tous, et merci d’être venus ! Je suis Hershel, et voici Luke, mon fidèle compagnon, ajouta l’homme en désignant le Farfuret à ses côtés, qui salua le groupe d’un miaulement enjoué. Nous serons tous les deux vos guides pour cette visite qui, je l’espère, sera à la hauteur de vos attentes ! Et qui sait ! Si Victini est de notre côté, peut-être aurez-vous la chance de voir des Lokhlass dans leur milieu naturel ! »

Cette déclaration ne manqua pas de faire son petit effet parmi les touristes -sauf pour Blue, qui se contenta de lever les yeux au ciel.

« Ben voyons… Ca sent pas du tout l’attrape-nigaud à plein n-URGH ! »

Il se plia soudainement en deux en se tenant le ventre, le souffle coupé, tandis que sa soeur ramenait vers elle le coude qui venait de le percuter sans la moindre gêne.

« J’espère que vous avez tous pensé à prendre des vêtements chauds, parce que la Grotte de Glace porte bien son nom ! Bien, allons-y ! L’entrée se situe à une petite heure de marche, et si nous ne trainons pas en route, le soleil sera juste au-dessus du pic quand on arrivera ! »

Blue ne se serait pas privé de faire un autre commentaire ronchonnant, mais il jugea que ça ne valait pas le coup de se reprendre le coude de sa soeur -ou pire, on savait jamais ce qui pouvait lui passer par la tête.
Le groupe se mit donc en route, leur guide profitant du trajet pour vanter les mérites et les charmes de Quarmeau à mesure qu’ils passaient devant une échoppe, une ruelle, une plaque d’égout, son chat de givre noir appuyant ses propos de gestes mettant en scène ses paroles. Au point que cela en devenait parfois ridicule. Bordel, mais qu’est-ce qu’ils en avaient à foutre de savoir que c’était dans ce buisson que le fils cadet de la Sixième Souveraine de l’Île avait tringlé l’ambassadeur de l’Île Cinq, sérieusement ?

« … Non mais il va pas non plus s’arrêter sur chaque brin d’herbe de cette putain d’Île, quand même ! marmonna-t-il dans sa barbe, alors que cela faisait déjà le troisième arbuste devant lequel leur guide s’éternisait pour leur partager une anecdote intéressante.
- … Et c’est donc contre ces trois cocotiers que la petite-fille du dernier Souverain de Quarmeau fut surprise avec son fiancé, le premier Gouverneur envoyé par le continent, avant leur mariage. Un scandale de grande envergure, qui a même failli faire se rebeller tout l’Archipel contre l’Union Tohjienne quand les dirigeants de cette dernière ont préféré… Ah, mais quelle pipelette je fais ! s’écria l’accompagnateur, avant de pointer la vaste maison devant eux de son bâton de marche. Messieurs dames, devant vous se trouve la demeure de la célébrité de Quarmeau ! La seule, l’unique ! Lorelei ! »

Des ooooh d’admiration fusèrent parmi les touristes. Tous dégainèrent aussitôt leurs appareils pour prendre des photos de l’édifice dans un concert de cliquetis. Tous, sauf Blue. Il avait simplement détourné le visage à l’écoute de ce nom.

« Lorelei était déjà une membre reconnue de notre petite communauté dès son plus jeune âge, quand elle a rapporté l’existence de Lokhlass dans la Grotte de Glace, entreprit d’expliquer Hershel. Mais elle est devenue la fierté de notre Île le jour où elle fut admise au sein du Conseil des Quatre ! Pensez-vous donc ! Elle est la première habitante des Sevii à avoir atteint ce rang si prestigieux, et elle vient de Quarmeau ! »

Mais c’est qu’il allait finir par se faire un tour de rein, à force de bomber le torse comme ça !

« Mais, toute experte du type Glace qu’elle est, ajouta le guide en mettant une main à la commissure de ses lèvres comme pour faire une confidence à son groupe, elle est moins… Froide qu’elle n’y paraît ! Elle semble avoir un penchant pour tout ce qui est mignon, et toutes les personnes ayant pu entrer chez elle peuvent vous confirmer qu’elle possède une impressionnante collection de peluches ! »

Cette fois, ce furent des aaaaaaw attendris qui s’échappèrent du groupe, non sans que le jeune homme roux ne lève les yeux au ciel. Pourquoi avait-il cette désagréable impression que, si l’habitation n’avait pas été entourée de grilles et d’un grand portail, leur guide n’aurait eu aucun scrupule à les faire entrer jusque dans la chambre de la Conseillère…

« Un ami du service de livraison du port m’a même confirmé qu’elle a réussi à importer toute la collection de Pikachu Cosplay, y compris l’édition spéciale ultra limitée de Pikachu Kimono ! Pour vous mettre les choses en perspective, cette peluche inédite a été confectionnée à Rosalia-même, en s’inspirant des robes portées par les célèbres Kimonos de la ville, et même le Président du Fan Club de Carmin-Sur-Mer n’aurait pas réussi à mettre la main dessus… »

Et allez, voilà qu’il était reparti dans un monologue ! Pas étonnant que le trajet jusqu’à la Grotte prenait une heure, ce type était un vrai moulin à paroles !
Blue bâilla, à la fois à cause de l’heure matinale et des ragots de l’autre idiot. Le renard safrané à ses pieds, lui, s’était déjà roulé en boule pour achever sa nuit. Cherchant de quoi tromper son ennui, le jeune homme se mit à observer les alentours. Tout plutôt que d’écouter ces salades à la limite du harcèlement…

Soudain, il se figea. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Une présence hostile lui pesait dans le dos.
Le plus lentement possible, il se retourna… Pour voir la silhouette d’une femme, partiellement dissimulée à un angle de rue. Même à cette distance, alors même que tout son corps n’était qu’une masse sombre dans la pénombre faiblissante du petit matin, il la reconnut. Etait-ce en raison de ses lunettes en amande, dont les verres réfléchissaient le peu de lumière en lui conférant une allure de gros méchant de cartoon pour gamins ? Du brasier glacial dans ses yeux, qui aurait bien volontiers balayé tous ces importuns qui l’empêchaient de rentrer chez elle ? Ou tout simplement à cause de cette aura implacable contre laquelle il s’était frotté quelques mois auparavant ?
Blue tourna aussitôt la tête pour regarder par terre, comme il eut l’impression que les pupilles vermeilles de la Conseillère glissèrent du groupe pour se concentrer sur sa personne en particulier. Il déglutit, sentant les flèches invisibles se ficher dans sa chair. Merde. L’avait-elle reconnu ? Il n’avait vraiment, mais alors vraiment pas envie de taper la discute avec elle !

Le regard toujours vissé au sol pour faire profil bas, le jeune homme roux fit quelques pas de côté, de sorte que sa soeur se retrouve entre lui et la furie courroucée.

« Eh ben…? Qu’est-ce qui te prend…? Demanda-t-elle.
- … Surtout te retourne pas…
- Pourquoi ? »

Et voilà ! Il lui disait de pas le faire, et elle regardait quand même derrière elle. Heureusement, tous les autres semblaient trop absorbés par les potins de leur guide pour leur prêter attention. Tant mieux. Blue ne voulait pas s’approcher de Lorelei, mais il avait encore moins envie de l’excéder en rameutant tous ces sans-gênes sur elle.

« … Oh. » Ce fut le seul commentaire de Daisy lorsqu’elle constata qui se trouvait derrière eux, et son petit frère se surprit à la remercier en son for intérieur pour sa discrétion. Enfin, il l’aurait fait, si elle n’avait pas cru bon d’ajouter, en se penchant vers lui pour que personne d’autre ne puisse entendre : « Tu devrais aller la saluer.
- Qu… Non mais ça va pas la tête ?! Je vais pas la griller devant ce guignol ! répliqua-t-il sèchement en essayant de garder un ton aussi bas que possible.
- T’as quand même plus de jugeote que ça pour pas le faire !
- Et pourquoi j’irais la voir ? J’ai rien à lui dire, et je suis sûr qu’elle se souvient même pas de moi…
- Vous vous êtes quand même affrontés ! Des Dresseurs, elle a pas dû en voir beaucoup.
- Sauf que je ne suis plus Dresseur, j’te rappelle.
- La faute à qui, crétin… »

Leur conversation s’interrompit brutalement, comme leur guide décidait enfin de reprendre la direction de la Grotte après cette courte escale de quinze minutes. Blue poussa un soupir de soulagement en s’éloignant… Mais il sentait toujours la brûlure hivernale du regard de la Quarmélienne sur sa nuque.

***
Daisy et Blue retrouvèrent avec joie la chaleur de Quarmeau.
Comme le jeune homme l’avait prédit, ils n’avaient pas vu l’ombre de la corne d’un Lokhlass dans la Grotte de Glace. Ils étaient pourtant restés bien six heures à arpenter l’antre en long, en large et en travers -même si la majorité du temps avait davantage consisté à s’arrêter pour écouter tout le blabla du guide. Ils avaient même passé tout le déjeuner près du lac souterrain… Mais ils n’avaient rien vu d’autre qu’une colonie de Ramoloss -lesquels ne levèrent la tête pour se rendre compte de leur présence qu’au moment où les derniers membres du groupe quittaient la berge- et une petite horde d’Otaria et Lamantine, qui se prélassaient sur la glace pour profiter d’une bonne sieste. A part pour les plus jeunes, qui avaient considéré les humains de leurs grands yeux curieux, aucun d’entre eux n’avait réagi de quelque manière que ce soit. En même temps, vu le peuple qui passait par ici chaque jour, ils avaient dû rapidement comprendre que le pire qui pouvait leur arriver, c’était un mal de crâne à force d’écouter les inepties des accompagnateurs.

Après un rapide passage par leur chambre, histoire de se changer pour quelque chose de plus adapté au climat tropical de l’Île, ils s’étaient rendus au petit stade de la ville où se déroulerait le Tournoi de Plaquage.
Les règles étaient simples : les participants ne pouvaient utiliser que leur capacité Plaquage pour immobiliser leurs adversaires ; pour remporter la victoire, il fallait que le ventre ou les épaules du Pokémon restent au sol pendant dix secondes. Un sport facile à comprendre, mais diablement retors à maîtriser.

« Hum… Ca te dirait de parier ? Proposa Daisy, en désignant le guichet devant lequel plusieurs personnes s’alignaient.
- Fais ce que tu veux…
- Non, mais si je décide seule, c’est pas drôle ! Regarde, voilà les équipes d’aujourd’hui ! »

Elle lui saisit l’arrière de sa tignasse pour lui faire lever la tête vers l’écran affichant les participants.

« On dirait que les favoris sont le duo Dracaufeu et Ronflex ! Ils sont assurés d’aller en finale, alors je pense que c’est sûr de parier sur leur vict…
- Si tu veux perdre tout ton fric, ouais, c’est la chose à faire. »

Sa soeur le regarda avec étonnement.

« Comment ça ?
- Si tu veux gagner, je te dis que tu devrais plutôt miser sur cette paire-là. »

Daisy regarda le duo qu’il lui désignait. Elle cligna plusieurs fois des yeux.

« … Tu es sûr ?
- Si tu me crois pas, viens pas te mordre les doigts après… » Rétorqua-t-il en haussant les épaules.

La jeune femme châtain le considéra un bon moment… Mais elle finit par suivre son conseil, plaçant ainsi son argent sur cette équipe à la côte bien plus désavantagée.

Effectivement, le Ronflex et le Dracaufeu survolèrent le Tournoi. Leur stratégie paraissait imbattable, et ce fut sans aucune surprise qu’ils se qualifièrent pour la finale. Finale qui les opposerait au duo qui avait retenu l’attention de Blue. L’ours empâté et le drake infernal se retrouvèrent face à un Tartard et un Grotadmorv. Un jeu d’enfant, au vu des Pokémon beaucoup plus imposants qu’ils avaient terrassés jusqu’à présent…
Daisy jeta un coup d’oeil un peu dubitatif à son petit frère, lequel regardait le spectacle avec le désintérêt le plus total, la joue appuyée contre son poing fermé. Elle espérait pour lui qu’il ne lui avait pas joué un tour…

La cloche retentit, marquant le début de l’affrontement.
Aussitôt, comme pour chaque autre match, le dragon de feu s’envola jusqu’au plafond, s’assurant ainsi que personne ne pourrait le surprendre dans le dos. Son coéquipier, lui, n’avait pas besoin d’une telle précaution. Avec sa masse, son centre de gravité était si bas que ce n’était pas ces crevettes face à eux qui parviendraient à le renverser, surtout quand, un peu plus tôt, les efforts combinés d’un Rhinoféros et d’une Kangourex n’avaient pas réussi à le faire flancher !
Et effectivement, quand l’amas de pollution glissa jusqu’à lui pour se jeter sur son ventre, le goinfre poussa un bâillement devant ses gesticulations. C’est qu’il lui donnerait faim, à s’agiter comme ça… Saisissant la créature toxique dans sa patte, il la projeta au sol, où le Grotadmorv atterrit en une flaque immonde. Voilà qui allait être vite plié… Ainsi à sa merci, le Ronflex se hissa sur la pointe des pieds, commença à faire basculer son poids pour l’écraser de tout son ventre…

Quand soudain, le batracien de combat surgit sur le côté, pour lui balayer l’une de ses pattes arrière d’un mouvement précis. Déséquilibré, l’ours empâté chuta bien plus vite que prévu… Mais sur le sol ! Le Grotadmorv avait glissé juste avant de se prendre toute sa masse ! Il sauta, déploya son corps en un immense filet gluant avec lequel il recouvrit sa proie. Ce dernier eut beau se débattre, agiter les pattes, il ne parvenait à s’en défaire, surtout que les bords de l’amas putride s’étaient ancrés dans le sable de l’arène pour accroître sa pression.

Devant une telle scène, le Dracaufeu voulut venir en aide à son partenaire. Dans un grondement outré, le drake embrasé quitta l’abri que lui offrait le plafond pour s’approcher légèrement du Grotadmorv… Mal lui en prit !
Le Tartard bondit dans les airs. Il ne parvint pas à atteindre la hauteur du dragon… Mais ce n’était pas son objectif. Ses doigts gantés se refermèrent sur l'extrémité de l’une de ses ailes, l’entraînant avec lui dans sa chute. La créature d’enfer grogna en se sentant tomber vers le sol, mais refusa un tel sort ! Se retournant en plein vol, il attrapa le crapaud par une patte, le bloqua contre son poitrail pour lui ôter toute échappatoire… Ou du moins, c’était ce qu’il avait pensé ! A un mètre de toucher terre, la peau moite de l’être aquatique lui permit de se dégager sans mal des griffes de son adversaire. Avant que ce dernier n’ait pu réagir, il referma ses bras autour de son long cou, dans une étreinte tenace. Ses pieds prirent appui sur le buste du reptile… Et, dans une retournée acrobatique, il le força à faire pivoter son corps.
Le Dracaufeu s’écrasa sur le dos dans un grand bruit. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, il semblait incapable d’enlever le batracien qui le maintenait dans une telle position de faiblesse.

« … J’y crois pas, comment t’as fais pour deviner ?! s’écria Daisy comme elle recomptait pour la dixième fois leurs gains, alors qu’ils prenaient le chemin de l’hôtel.
- Je n’ai pas deviné, rectifia-t-il d’un ton méprisant. C’est du simple bon sens. C’était les seuls qui misaient pas sur la taille et la force. Tous les adversaires que le Ronflex et le Dracaufeu avaient rencontrés jusqu’à la finale étaient des gros calibres, avec beaucoup de poids mais aussi peu de mobilité. Du coup, ils étaient des proies faciles pour ces deux-là : il suffisait que le Ronflex fasse l’appât, pour que son partenaire mette l’un des deux Pokémon hors d’état de nuire. Le Ronflex avait plus qu’à s’écraser sur le dernier, et le tour était joué.
- D’accord, mais pourquoi ça a pas marché, cette fois ?
- Parce que la plus grande force d’un Ronflex est aussi sa plus grande faiblesse. Il est pratiquement impossible de le faire bouger, mais l’inverse est également vrai : dès qu’il se retrouvait sur le dos ou le ventre, il avait toutes les peines du monde à se relever. Alors, s’il mordait à l’hameçon d’une bestiole plus rapide et agile que lui, comme un Grotadmorv, à partir du moment où il décidait de tomber, c’était fichu pour lui. Y’a qu’un seul Ronflex que j’ai vu capable de surmonter ça, mais c’était parce qu’il était plus mince que les autres…
- Et le Dracaufeu, alors ? Lui était rapide, pourtant !
- Il a trop compté sur son avantage aérien. Surtout, les Tartard sont des habitués des arts martiaux, en particulier des techniques mettant à profit la force de l’adversaire. Il a juste eu à le déstabiliser en chopant son aile.
- Mais ça explique pas qu’il ait pas réussi à le pousser de là quand il était au sol !
- Si, soupira Blue comme s’il s’agissait d’une évidence. Parce que le Tartard a utilisé son Plaquage en appuyant sur des points précis, ce qui a complètement paralysé le Dracaufeu.
- … Et tu as compris ça rien qu’en regardant le tableau des équipes…?
- C’était logique. C’est le genre de trucs auquel tu apprends à vite penser que t’es Dresseur, sinon ça peut te coûter la victoire… Pourquoi tu crois que j’ai pas pu enquêter davantage sur l’activité du Casino de Céladopole avant que ce minable vienne y fourrer son nez ?
- … Parce que tu t’en foutais…?
- Non, parce qu’on m’en a banni à force de tout remporter. »

Daisy ne sut pas trop si elle devait rire ou le réprimander à cette déclaration. Finalement, elle opta pour un entre-deux en lui ébouriffant sa tignasse rousse.
Mais, alors qu’ils atteignaient leur hôtel, elle fut surprise de voir son frère se détourner du hall.

« Ben, où tu vas ?
- Je vais prendre l’air… M’attends pas pour dormir, j’ai ma clé.
- Comme tu veux… »

Elle s’apprêta à passer la porte du lobby… Mais se retourna une dernière fois.

« Si j’apprends que tu t’es retrouvé dans le lit de quelqu’un, tu vas m’entendre !
- Mais elle va me lâcher les basques, oui ! »

Mais bien sûr, elle avait déjà disparu derrière les vitres, et son rugissement se trouva sans réponse -en plus de lui attirer les regards perplexes des passants qui n’avaient rien manqué de cet ultime échange.
Les mains dans les poches, il descendit l’allée principale en maugréant, un Impulse trottinant joyeusement à ses côtés.

Ses pas les menèrent jusqu’à la crique ensablée. Une bande de jeunes s’était rassemblée autour d’un feu de camp, au loin, et tous semblaient partager un bon moment entre chansons et rires. Meh, il avait pas vraiment envie de socialiser, là… Aussi préféra-t-il se diriger vers le récif rocailleux qui bordait l’une des extrémités de la plage.
La lumière diffuse de la pleine lune dans le ciel et l’éclat doré de la fourrure hirsute de son Voltali lui permirent d’avancer sur les rocs sans craindre de mauvaise surprise. Même s’il frôla tout de même la catastrophe en manquant de marcher sur la pince d’un Krabby... Mais il atteignit finalement la pointe sans encombre. Il s’assit sur la pierre sculptée par des siècles d’embruns. Ramenant un genou à lui, laissant son autre jambe se balancer doucement au-dessus de l’eau calme, il laissa ses yeux gris se perdre dans l’horizon alors qu’Impulse posait doucement sa tête sur sa cuisse.

Il n’aurait su dire pourquoi exactement, mais le spectacle de la voûte perlée reflétant son manteau nocturne sur les vagues dociles avait don de l’apaiser. Il se sentait hypnotisé. Comme si le doux chuchotement de l’écume emportait avec lui ses pensées, pour chasser les idées noires parsemant son esprit fatigué. Comme si la caresse subtile de la brise iodée venait s’ancrer dans ses poumons, pour soulager son âme meurtrie. Comme si l’oeil unique du ciel le couvait de sa vision d’argent, pour adoucir le cocon d’amertume dans lequel son coeur blessé s’était réfugié. Comme si les milles joyaux du firmament scintillaient dans un bal qui lui était destiné, pour ranimer le feu qui dansait autrefois dans les cendres de ses iris harassées.
Combien de temps resta-t-il ainsi, bercé par la mélodie de l’océan ? Une heure ? Plus ? Il aurait été incapable de le dire. On aurait presque pu croire que le Grand Horloger avait retenu les battements de son coeur diamantin pour suspendre le flot temporel dont il était maître, pour prolonger l’effet de ce baume visuel sur ce pauvre hère. Il aurait pu passer toute la nuit sur ce rocher, avec pour seuls compagnons le renard safrané et l’horizon stellaire… Enfin, si le sort en avait décidé autrement.

« Alors je n’avais pas rêvé. C’était bien toi ce matin. »

Blue sursauta tant qu’il donna un coup de genou malencontreux au goupil survolté… Et le rattrapa de justesse d’une main habile avant que le petit être ne tombe dans l’eau. Il le serra fort dans ses bras, son coeur battant la chamade de cet incident éludé. Tous deux poussèrent un soupir à l’unisson.

« Ah…! Navrée, je ne voulais pas te faire peur !
- C’est rien… Maugréa-t-il d’un ton qui se forçait à être cordial. Qu’est-ce que vous me voulez…
- Tu peux me tutoyer, tu sais, répondit la voix au fort accent des îles. Ce serait plutôt à moi de te vouvoyer ! Après tout, tu m’as quand même vaincue. »

Un rictus amer lui échappa des lèvres.

« T’es bien la seule à t’en rappeler…
- Peut-être, mais c’est le cas. Je peux me joindre à toi ?
- … Est-ce que j’ai le choix ?
- Tu peux toujours partir si tu en as envie. Je ne te retiendrai pas. »

Blue ne répondit rien. Prenant son silence pour argent comptant, Lorelei s’assit sur la roche à ses côtés. Avisant le Voltali qui l’observait de ses yeux d’encre, un léger sourire déforma son masque implacable pour lui conférer une expression de poupée de porcelaine. Elle approcha sa main pour lui gratouiller le crâne, pour le plus grand bonheur du renard safrané.

« Je voulais te remercier pour ce matin, commença la Conseillère. Ce n’est pas tous les jours que je m’en tire à si bon compte.
- Pff, c’est normal. J’ai déjà suffisamment vécu ça à cause de mon vieux, tout le côté bête de foire parce qu’on est un peu célèbre… Par contre, j’pense que tu devrais faire gaffe avec les guides. Parce qu’ils ont l’air d’en savoir un peu trop sur toi pour que ce soit juste un intérêt innocent.
- Bah, ça ne serait pas la première fois que je dois leur remonter les bretelles, balaya-t-elle d’un geste de la main. Et encore, ils se sont bien calmés depuis que j’ai laissé mon Crustabri saccager leurs locaux.
- … Pardon ?
- Pour ma défense, ils l’avaient bien cherché. Ils ont osé prendre des photos de moi en maillot et chemise de nuit, et s’apprêtaient à vendre ça au plus offrant. De ce que j’ai vu dans leurs registres, ils étaient même en négociation avec une revue adulte d’Unys quand je suis intervenue, et ils avaient commencé à retoucher certaines photos pour les rendre plus explicites. »

Le jeune homme tourna la tête pour la considérer de ses yeux abasourdis. Ok, il pouvait comprendre l’attrait pour la Conseillère, entre son corps pas du tout désagréable, son côté femme fatale couplé à sa froideur légendaire et son statut qui lui octroyait une certaine aura… Mais là, c’était carrément salace !

« … Ah oui, je crois qu’on me l’a jamais faite, celle-là… Mais tu t’es pas attiré d’ennuis à attaquer comme ça ? »

Lorelei haussa les épaules, en replaçant d’un geste nonchalant la mèche corail que la bise marine avait délogée.

« Qu’est-ce que tu voulais qu’ils me fassent ? Ils étaient clairement en tort, même si c’est vrai que mon intervention a peut-être été un poil exagérée. Mais bon, Lance a fait son Lance, j’ai juste écopé d’un averto et l’affaire était pliée. »

Il ne sut quoi répondre. Il était un peu mal à l’aise avec tout ça, en vrai. Comment ne pas l’être ? Ils avaient à peine échangé quelques mots la première fois qu’ils s’étaient vus. Il l’avait battue sans mal, ne s’était pas gêné pour le lui faire remarquer avec un commentaire si bas que ça lui avait valu un regard digne du plus mordant des blizzards. Elle n’était même pas intervenue lorsque Lance avait cherché à le ramener à la raison pour l’introniser. Et maintenant, voilà qu’elle partageait avec lui des secrets compromettants ?

« Si c’était juste pour me dire ça, c’était pas la peine de venir jusqu’ici.
- Ca ne me dérange pas. Surtout que j’apprécie aussi le paysage. Je viens souvent ici lorsque j’ai besoin de réfléchir. »

… C’était quoi, ces insinuations ?
Il la vit alors jeter un oeil derrière elle. La plage était déserte, le feu de camp des adolescents plus qu’un tas de braises mourantes. Un petit sourire aux lèvres, la Conseillère saisit une des capsules à sa ceinture.

« Que dirais-tu d’un match amical ? Rien de tel pour évacuer tout le stress accum…
- Sans façons, l’interrompit le jeune homme roux. Impulse n’est pas vraiment en état de se battre.
- Et tes autres Pokémon ? Rien ne t’oblige à l’utiliser.
- … Je n’en ai plus, avoua-t-il dans un soupir las. Et même si c’était le cas, je n’ai plus le droit de me battre. »

Cette fois, ce fut Lorelei qui tourna son regard vermeil vers lui, la surprise adoucissant le marbre de son visage. Elle ferma les yeux, fixant à nouveau l’océan.

« Alors tu es vraiment allé jusque-là… Mais même en renonçant à ton statut de Dresseur, tu aurais toujours pu garder tes autres Pokémon avec toi, tu sais ?
- … Sauf que ça aurait servi de porte de sortie à l’autre minable, répliqua-t-il d’une voix plus sèche qu’il ne l’aurait voulue. Il aurait eu qu’à claquer des doigts pour me pondre une nouvelle licence et m’obliger à passer sous ses ordres. Et puis, de toutes façons… Qui aurait voulu d’un raté comme moi, qui a même pas été foutu de défendre le titre qu’il venait tout juste de remporter… Même la presse a pas mentionné une seule fois mon nom. Enfin, d’un côté, c’est tant mieux, sinon je me serais retrouvé dans la même situation que toi, voire pire... »

Un silence pesant s’installa entre eux pendant de longues minutes… Jusqu’à ce que la femme des îles ne brise la glace.

« C’est vraiment ce que tu penses...?
- Quoi, c’est pas suffisamment évident ?
- Non, rétorqua-t-elle en se levant. Je pense que tu te trompes sérieusement, même si je comprends ta frustration. Et je compte bien te le prouver. »

Elle épousseta l’arrière de sa jupe alors que Blue la regardait avec un sourcil levé, absolument pas convaincu.

« Et comment tu comptes faire ça ?
- Si je te le dis, ça ne marchera pas. Tu vois où est la Grotte de Glace ?
- Oui, on y est allés ce mat… Attends, pourquoi tu me demandes ça ?
- Parce que tu vas m’y retrouver demain à 8h.
- … De quoi ? s’étrangla-t-il en se levant d’un bond. Je vais pas encore me peler les miches là-bas !
- C’est toi qui vois, répondit la Conseillère en écartant les bras avec indifférence. Je comptais y aller de toutes manières, alors que tu viennes ou pas, ce sera du pareil au même. »

Là-dessus, elle tourna les talons et s’éloigna précautionneusement vers la berge. Une fois les pieds dans le sable, elle lui adressa un dernier signe de la main avant de retourner vers la ville.

***
Il aurait pu faire la grasse matinée ou profiter du grand buffet servi au petit-déjeuner. Il aurait pu passer toute sa matinée sur la plage à se prélasser sans rien faire -et sans craindre les remontrances de sa furie de soeur. Il aurait même pu perdre son temps à La Bulle, ou profiter d’une journée détente au centre de relaxation -même si Daisy n’aurait pas manqué de critiquer les services offerts, elle qui était du métier.
Mais non. Au lieu de ça, il se retrouvait encore une fois à poireauter à une heure criminelle pour un jour de vacances devant l’entrée de cette foutue caverne à la noix. Lui-même aurait été bien incapable d’expliquer un tel choix, et encore moins le raisonnement qui l’avait conduit à accepter la proposition fantasque de Lorelei. Sans compter que ça faisait déjà une heure qu’il attendait, et la femme à la chevelure corail n’avait toujours pas montré le bout de son nez...

« Oh et puis merde ! S’écria-t-il en se levant d’un bond du rocher sur lequel il était assis, obligeant son Voltali à sauter au sol depuis ses genoux. Marre d’être le Psykokwak de service ! Viens Impulse, on se bar…
- Tiens, je m’attendais pas à ce que tu décides de venir ! » l’interrompit une voix mi-amusée, mi-surprise à sa gauche.

Pour la deuxième fois en l’espace d’une demi-journée, Blue sursauta si fort qu’il manqua de tomber à la renverse à cause de la Conseillère. Laquelle lui adressa un grand sourire un brin railleur. Dans son énervement, ce fut à peine s’il remarqua qu’elle avait troqué son habituel tailleur pour une combinaison plus adaptée à de l’exploration.

« Tu plaisantes ?! Ca fait un bail que j’attends !
- Quand tu auras trouvé une autre solution que de déclencher un mini-blizzard autour de chez moi pour que je puisse m’éclipser en paix, surtout n’hésite pas à me le dire. Puis bon, je pensais sérieusement être seule aujourd’hui, du coup je me suis pas vraiment pressée. Mais puisque tu es là, ne perdons pas de temps ! »

Sans lui laisser l’occasion d’en placer une, elle s’engouffra à l’intérieur de l’antre frigide.

« Et pourquoi exactement tu voulais à ce point m’emmener ici…? Demanda le jeune homme d’une voix ronchon.
- Pour te faire visiter, pardi !
- … Nope ! Non merci, sans façons ! s’exclama-t-il en tournant déjà les talons. J’ai déjà perdu suffisamment d’heures de ma vie dans ce trou perdu hier pour pas avoir à le refaire maintenant !
- Ah ! Si tu penses avoir vu quoi que ce soit de cette grotte parce que tu t’es cantonné aux chemins balisés et aux salades de ton guide, tu te mets le doigt dans l’oeil jusqu’au coude ! s’esclaffa Lorelei, dont le rire se répercuta sur les parois polies du lieu. C’est pas à toi que je vais apprendre que c’est en sortant des sentiers battus qu’on découvre le Noeunoeuf aux oeufs d’or ! »

Blue s’immobilisa dans sa lancée. Marmonna dans sa barbe. Pour finalement faire demi-tour et suivre la Dresseuse émérite.

Il ne leur fallut pas vingt minutes pour atteindre le lac souterrain où se prélassaient toujours les Ramoloss, Otaria et Lamantine. Dire qu’ils avaient mis deux heures, la veille, à cause de ce foutu guignol…

« Bon, c’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer… » annonça la Quarmélienne dans son fort accent.

Posant son sac à dos au sol, elle fouilla l’intérieur avant de sortir une combinaison presque identique à celle qu’elle portait actuellement.

« Ton gros pull va plus te gêner qu’autre chose pour ce qu’on va faire. Tiens, enfile ça plutôt ! »

Perplexe, Blue prit le vêtement dans ses mains. Le considéra en clignant des yeux. Balaya de ses yeux cendrés la berge glacée autour d’eux.

« … Et où je vais pour me changer ?
- Quoi, t’es pudique à ce point ? T’as qu’à aller derrière ces stalagmites, là-bas. Promis, je regarde pas. Contrairement à une certaine Championne d’Azuria, les petits jeunes comme toi ne m’intéressent pas, ajouta-t-elle dans un clin d’oeil un peu trop enjoué.
- J’espère bien que tu vas pas mater, oui ! » rugit-il en s’éloignant rapidement.

Il prit tout de même le soin d’étudier l’amas de glace que Lorelei lui avait indiqué. Hum… Il semblait suffisamment opaque pour ne pas courir le risque d’être vu, effectivement. Et s’il faisait vite, il n’aurait pas le temps d’avoir froid.
Enfin, ça, c’était la théorie. En pratique, le givre s’empressa de venir lui grignoter la peau dès qu’il osa relever légèrement son pull. En se retenant de grelotter autant qu’il le pouvait, il entreprit d’ôter ses habits pour enfiler la combinaison… … Une seconde… Est-ce que c’était son imagination, ou est-ce que quelqu’un était vraiment en train de l’observer ? Toujours en caleçon, il passa la tête d’un air méfiant au-dessus d’une des lances d’hiver. Non, Lorelei était toujours au même endroit, en train de gratouiller le renard safrané qui exposait avec joie son ventre pour profiter de la caresse. Bon, il devait se faire des id…
NOPE ! L’explication lui parut aussi évidente que le poing au milieu de la figure quand il se retourna. Il se retrouva ainsi nez-à-nez avec une bonne quinzaine de paires d’yeux visiblement très curieuses du spectacle qui s’offrait à elles. Il fallait dire qu’un humain qui se désapait, ça les changeait complètement des éternelles rediffusions de vieux ragots que les accompagnateurs ramenaient avec eux !

« NON MAIS ALLEZ-Y ! Surtout vous gênez pas, rincez-vous l’oeil, j’vous dirai rien ! »

Sa vocifération fut accueillie par les cris du groupe d’Otaria et de Lamantine. Enfin, leurs cris s'apparentaient plus à des éclats de rire aux oreilles devenues pivoines du jeune homme. Sans compter que certains des mammifères marins s’étaient même mis à applaudir des nageoires, comme s’ils trouvaient cette vision vraiment très drôle.

« ALLEZ VOIR AILLEURS SI J’Y SUIS ! » Beugla-t-il en couvrant à peine leur tintamarre.

L’attroupement ne battit en retraite que lorsqu’il balança une pierre dans leur direction -laquelle roula lamentablement au sol, c’était dire le niveau de menace. Pourtant, malgré la cohue vers le lac, dont la surface se mit à écumer de gros bouillons devant tant d’agitation et de corps qui se précipitaient dans les flots, leurs rictus résonnèrent pendant encore une bonne minute dans toute la cavité souterraine.

« Ben alors, qu’est-ce qui s’est passé ? S’étonna la Conseillère en le voyant revenir.
- Rien ! s’empressa-t-il de répondre, le visage encore cramoisi. Bon, on bouge ou bien ? »

La femme fatale échangea un regard dubitatif avec Impulse avant de hausser les épaules. Elle pointa le haut de l’étroite cascade alimentant continuellement le point d’eau.

« On va devoir passer par-là.
- … T’es pas sérieuse ?
- Si. Sauf si tu préfères escalader. Mais la paroi est traître, et même moi j’ai manqué plusieurs fois de me briser le cou dessus.
- Et comment tu comptes t’y prendre pour aller là-haut ? »

Lorelei saisit une des capsules à sa ceinture, en activa le mécanisme. La sphère se scinda en deux, libérant son occupant qui disparut immédiatement sous la surface encore houleuse du lac. Pourtant, sa matérialisation soudaine ne provoqua pas plus qu’une onde timide parmi les vagues, comme si la créature avait eu l’amabilité de ne pas brusquer davantage l’écume affolée.
N’importe qui, en voyant la Lamantine évoluer sous l’eau gelée avec une grâce inégalée même par ses pairs, aurait été subjugué par l’élégance naturelle dont la sirène immaculée faisait preuve. Sa fourrure nacrée était un régal pour les yeux, sa corne subtilement ciselée une oeuvre d’art à part entière, sa nageoire caudale si fine et délicate qu’elle aurait pu sans mal rivaliser avec l’éventail irisé d’un Milobellus. Pourtant, la seule chose qui traversa l’esprit de Blue en voyant cette beauté des grands froids glisser sur la berge hivernale pour venir à leur rencontre fut une profonde irritation, à cause de ses congénères un peu plus tôt.

« On peut compter sur Weiss pour nous y emmener.
- … Attends une seconde. »

Il fronça les sourcils, examina le dos de la gracieuse créature en ignorant ses grands yeux bienveillants. La Conseillère avait harnaché son alliée d’un harnais généralement utilisé pour la chevauche de Pokémon aquatique. Jusque-là, pas de soucis. Sauf que…

« Je croyais que t’avais pas prévu que je vienne ! Alors comment ça se fait que, non seulement t’avais apporté une autre combinaison… Mais qu’en plus, tu lui as mis un harnais deux places ?!
- Toujours prévoir l’imprévu ! C’est ma devise !
- Dis plutôt que ça t’a fait marrer de me faire attendre… Maugréa-t-il.
- Hum… » Fit-elle en posant son index sur sa joue d’un air songeur.

Mais c’est qu’elle ne le niait même pas, en plus !

« Bon, trêve de bavardages, allons-y ! déclara la Conseillère en enfourchant sa monture. Tu ferais peut-être mieux de rentrer ton Voltali, ça va secouer un peu.
- Pas besoin. Impulse et moi, on en a vu d’autres. »

Le goupil survolté approuva d’un petit glapissement. Blue s’installa alors derrière son hôtesse, le petit être venant se loger contre son torse, allongé contre le corps de la Lamantine.
Cette dernière, une fois assurée que tous ses passagers étaient bien en place, se propulsa dans l’eau glacée d’un habile mouvement de queue. Malgré le poids sur son dos, elle conservait une ligne de flottaison suffisamment basse pour que seuls les genoux des deux humains se retrouvent sous la surface -et surtout, qu’Impulse reste au sec. La sirène immaculée parvint rapidement au pied de la source, dont le doux clapotis contrastait avec le débit généré.

« Weiss, Cascade ! » Ordonna la femme fatale d’une voix ferme.

Aussitôt, la Lamantine se mit à décrire un large cercle dont le pivot principal était la chute d’eau. En deux passages, elle rétrécit sérieusement le diamètre de sa volte tout en gagnant en vitesse, une traîne écumante se formant dans son sillage. Soudain, Blue sentit les muscles se bander sous la peau délicate de la créature. L’instant d’après, le corps puissant de la beauté des grands froids jaillit hors du lac, pour remonter la cataracte en s’enroulant, serpentant autour du torrent. La poussée était telle que le jeune homme roux fut obligé de refermer ses mains autour de la taille de la Conseillère, à la fois pour ne pas avoir le corps entraîné vers le bas et ainsi gêner la progression de Weiss, mais aussi pour s’assurer que son Voltali, qui avait hérissé sa fourrure par réflexe, ne bascule pas sur le côté.
Fort heureusement, cette diabolique ascension ne dura qu’une poignée de secondes. Bien vite, le corps gracieux de la Lamantine bondit du sommet de la cascade, pour se retrouver suspendu dans les airs. L’éventail immaculé de ses nageoires se déploya alors qu’elle arquait tout son être dans une courbe majestueuse, anticipant l’amerrissage prochain. Pourtant, point de choc tonitruant n’accompagna son entrée dans l’eau, et l’on aurait pu compter sur les doigts d’une main les éclaboussures provoquées. Ce fut comme si les flots, craignant d’abîmer sa peau délicate, la laissaient glisser sur leur surface agitée par la chute proche.

Weiss remonta aisément le cours d’eau, faisant fi du courant qui cherchait timidement à la repousser vers le bas de la caverne. Elle poursuivit cette danse aquatique sur plusieurs centaines de mètres, s’engouffrant sans hésitation dans les embranchements nombreux et traîtres de la galerie, dont les parois se faisaient toujours plus proches à mesure qu’ils progressaient. Jusqu’à ce que, finalement, la créature des neiges ne vienne déposer ses passagers sur une rive étroite.

« On va devoir continuer à pied, annonça Lorelei comme elle aidait son compagnon d’aventures à mettre pied à terre. Sauf si tu veux te retrouver complètement trempé. »

En effet, le plafond atteignait un point si bas qu’ils n’auraient eu d’autre choix que de plonger tout entier dans l’eau gelée pour poursuivre leur chemin. Vu le froid ambiant, il était préférable de ne pas tenter le diable.
La Conseillère fit rentrer sa douce alliée dans sa capsule, avant de prendre la tête de leur petit groupe.

« Y’a des passages assez étroits, mais normalement ça devrait passer, » prévint-elle avant de se faufiler dans ce que Blue n’aurait jamais pris pour autre chose qu’une crevasse s’il avait été seul.

Il haussa les épaules, avant de lui emboîter le pas.

« Bon, sinon, qu’est-ce que t’avais de si important à me dire que t’avais besoin que je vienne ici ? »

La femme fatale laissa quelques instants de silence, le temps de franchir un passage rendu délicat par les aspérités de la roche hivernale.

« Tu sais quelle a été ma première impression de toi, lorsque tu t’es présenté devant moi à la Ligue ?
- … Est-ce que j’ai vraiment envie de le savoir… Maugréa-t-il.
- Je ne vais pas te mentir. J’ai pensé que tu n’étais qu’un petit con arrogant qui pétait plus haut que son cul et aux chevilles bien enflées parce qu’il était un petit-fils de célébrité. Et ta façon d’agir pendant notre match, à ne pas manquer une occasion de me sortir un commentaire méprisant ou de me rabaisser dès que tu menais n’as pas vraiment aidé à améliorer cette image…
- … Non mais je peux me casser maintenant, aussi ! Et si c’était pour me sortir toutes ces merdes, t’aurais très bien pu le faire hier soir au lieu d’attendre que je me gèle le cul dans ce frigo ! »

Déjà, il amorça un mouvement pour se retourner et s’éloigner de la Conseillère. Non mais, déjà qu’il s’était laissé embarquer dans cette galère, si en plus c’était pour se faire insulter ! Mais, alors qu’il n’avait pas fait un pas…

« Pourtant, continua Lorelei sans ralentir une seule seconde ou chercher à le retenir, je ne peux pas m’empêcher de me dire que, sur bien des aspects, tu aurais fait un meilleur Maître que Red. »

Blue s’immobilisa aussitôt. Échangea un regard ahuri avec Impulse. Tourna une tête abasourdie vers la Quarmélienne. Et se dépêcha de la rattraper, comme elle l’avait déjà distancée de quelques mètres. Malgré l’étroitesse du boyau, elle se déplaçait avec une aisance certaine, montrant combien elle avait déjà dû emprunter ce passage des centaines de fois auparavant.

« Pardon ? Excuse-moi, j’ai dû mal entendre ?
- Quoi, ça te surprend ?
- Ben, tu m’excuseras, mais vu toutes les écrémeuhseries que tu m’as sorties juste avant, c’pas vraiment le genre de truc auquel je m’attendais. Mais… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Toi qui l’as aussi affronté, comment décrirais-tu le style de combat de Red ? »

Le jeune homme roux leva les yeux pour réfléchir, tout en acceptant la main tendue de la Dresseuse émérite qui l’aidait à se hisser dans une cavité un peu plus en hauteur.

« Hum… Agaçant.
- Ca, c’est juste ton ressenti. Explique-moi pourquoi.
- Comment dire… A chaque fois, j’avais l’impression qu’il trouvait le moyen de donner l’ordre qu’il fallait pour retourner la situation à son avantage. En gros, c’était comme si la solution lui venait dans un claquement de doigt…
- … Alors que toi, tu as tendance à étudier ton adversaire et envisager toutes les possibilités d’actions et leurs conséquences, compléta Lorelei. Je me trompe ? »

Une nouvelle fois, Blue la regarda avec surprise.

« Je… Oui, c’est vrai que j’ai plutôt tendance à faire ça…
- Et ça se voit dans ta façon de combattre. Tout insultant que tu étais pendant notre match, je pouvais voir sans peine que chacun de tes ordres était mûrement réfléchi, que tu n’avais rien laissé au hasard. Ce qui m’a d’ailleurs bien surprise quand je t’ai vu garder ton calme alors que Weiss avait réussi à geler ton Sablaireau.
- Ben, c’était la base, balaya-t-il d’un haussement d’épaules. T’es une experte du type Glace, c’était la moindre des choses de penser à un plan pour ce genre de situation.
- Pourtant, ce n’est pas ce qu’il s’est passé avec Red. Lui a complètement paniqué quand son Pikachu s’est retrouvé dans le même cas. En fait, si je devais résumer vos deux styles de combat, je dirais que là où toi tu es très réfléchi et du genre calculateur, lui agit beaucoup plus à l’instinct.
- Et donc…? C’est juste ça qui te fait dire que j’aurais fait un meilleur Maître…? Demanda-t-il, non sans une once de méfiance dans la voix.
- Précisément. »

Ils durent interrompre leur conversation, le temps de descendre une pente glissante qui s’avéra plus fourbe que ce que l’on aurait pu penser. Blue fut même obligé de rattraper son renard safrané par son pull en laine, sans quoi il aurait poursuivi sa descente dans un puits à l’issue incertaine.

« Si la façon de faire de Red a autant fonctionné, c’est parce qu’il connaît si bien ses Pokémon qu’il sait inconsciemment ce qu’il peut attendre d’eux. Pour reprendre l’exemple de tout à l’heure : quand son Pikachu s’est retrouvé gelé, sa réaction a été de l’encourager… Et son Pikachu a réussi à briser de lui-même la glace avec un Tonnerre. C’est une façon de faire qui marche très bien pour un Dresseur. Le problème, c’est que fonctionner à l’instinct pour diriger tout un pays -et surtout une entité aussi complexe que l’Union Tohjienne-, ce n’est pas du tout la même chose que d’être à la tête d’une équipe de six Pokémon. »

Il hocha la tête. Difficile de la contredire sur ce point.

« Et c’est là une des limites de ce système… A la base, si le choix de déterminer le dirigeant du pays passait par la Quête des Badges et la Conquête de la Ligue, c’était parce qu’on pensait que les Dresseurs pourraient gagner en expérience, en connaissance des réalités du terrain et en capacité de prise de décision dans une situation de stress. Des atouts primordiaux pour quiconque aspire à vouloir gouverner. Sauf que, autant beaucoup de prétendants ont effectivement présenté un état d’esprit assez similaire au tien -Lance, par exemple, se range complètement dans la catégorie “je mesure le pour et le contre, et je tranche en fonction”, même s’il manque souvent de nuances si tu veux mon avis…-, autant, parfois… Tu as ce qu’on pourrait appeler des génies naturels qui réussissent cette épreuve. Sauf que, généralement, leurs actions et décisions ne sont pas effectuées en prenant en compte l’imprévu ou ce qu’ils ignorent. Ce qui donne un peu cette image de gros chanceux qui t’irrite tant chez Red.
- … »

Il ne savait pas quoi répondre. Il ne s’était pas attendu à un tel discours, surtout en sa faveur ! Enfin quelqu’un qui comprenait pourquoi il avait été si furieux d’avoir perdu face au minable ! Mais c’était presque trop beau pour être vrai...

« A ton silence, j’entends que tu n’es pas convaincu.
- En même temps… Il reste ton boss, je voudrais pas que tu sois en train de te foutre de ma gueule… »

Cette fois, elle prit le temps de ralentir sa progression entre les parois glacées pour lui adresser un regard amusé de ses yeux corail.

« Dis-moi, tu as suivi toute l’histoire avec le Dojo de Safrania ?
- L’exil de Kiyo-sensei, tu veux dire ? Vaguement, oui, même si j’ai vu la belle raclée qu’il s’est prise…
- Imagine que tu étais le Maître à ce moment-là. Comment aurais-tu réagi ? »

Blue garda le silence, le temps de retrouver les informations qu’il avait stockées dans un coin de son esprit.

« Hum… Déjà, j’aurais pas laissé tout ça prendre des proportions aussi grotesques. Je pense que j’aurais sorti un communiqué officiel, qui aurait dit que même si le Dojo n’a pas officiellement le statut d’Arène, il n’en reste pas moins un lieu d’excellence et d’apprentissage du combat kantonais, quelque chose dans le genre.
- Et si ça n’avait pas suffi ?
- Dans ce cas, je serais allé à la rencontre de la Maître kalossienne pour discuter des modalités du combat. Aussi, mes priorités auraient été d’avoir un match en terrain neutre, comme au Grand Stade d’Unys, histoire de pas avantager l’un ou l’autre. Mais surtout, je me serais assuré d’établir des règles pour avoir un combat équitable. Non parce que bon, avoir laissé la Méga-Évolution dans ce qui aurait dû être une démonstration martiale… Sans compter que c’est pas comme si ça datait d’hier que le Cornélius est le gardien de la Méga-Evolution à Kalos, forcément qu’il allait l’utiliser si on lui disait rien… »

La Conseillère acquiesça doucement, comme elle s’extirpait enfin du goulot minéral.

« Eh bien ça, tu vois, c’est typiquement le genre de raisonnement que Red n’a pas. »

Ils avaient atteint un renfoncement souterrain qui, malgré ses dimensions bien plus réduites que la salle du lac, leur paraissait immense après le dédale de galeries exiguës et retorses qu’ils avaient dû emprunter pour en arriver là. A vrai dire, l’antre ressemblait à une bulle rocheuse, avec une courte bande de calcaire qui bordait un point d’eau bien moins étendu que celui dans l’entrée de la Grotte de Glace. Malgré la limpidité du liquide, dont la clarté était telle qu’il éclairait à lui seul la cavité en de somptueux reflets bleutés, impossible d’en voir le fond. Et au vu de tout ce qu’ils avaient descendu depuis le début de leur petite exploration, il n’en fallut pas plus à Blue pour comprendre qu’ils se trouvaient dans une poche d’air sous le niveau de la mer, mer à laquelle le bassin était probablement relié.
La femme fatale s’étira de tout son long et ajusta sa queue de cheval, avant de l’inviter à s’asseoir sur un roc à quelques pieds de la rive. Impulse, lui, était déjà allé renifler la surface du petit lac, visiblement fasciné par la présence d’eau salée à un tel endroit.

« En fait… C’est quand Lance a désespérément essayé de te couronner que j’ai revu l’image que je me faisais de toi. Ton refus incessant contrastait trop avec le simple sentiment de “je suis le meilleur et vous devriez me vénérer” qui transparaissait dans ton attitude quand on s’est affrontés.
- J’ai jamais pensé ça… » Ronchonna-t-il en croisant les bras devant lui comme un gamin.

Sa réaction provoqua un rire léger chez la Conseillère.

« Je me doute bien ! Pour tout te dire… Tu me fais un peu penser à cette caverne.
- De quoi ? Répliqua-t-il en haussant un sourcil incrédule.
- Quoi, tu ne trouves pas ? La ressemblance est frappante, pourtant ! Une apparence brute, hostile et même franchement insensible au premier abord… » Énuméra-t-elle sans la moindre gêne.

Lorelei se leva alors, pour rejoindre le Voltali. Lequel l’observa de ses grands yeux curieux en la voyant retirer le gant d’une de ses mains pour donner deux coups légers sur le point d’eau. L’empreinte de sa paume se répercuta timidement en une onde douce qui vint plisser la surface satinée du bassin. Visiblement satisfaite, elle se redressa pour fixer son compagnon d’aventures, sans se départir de ce petit sourire qui ne la quittait plus. Elle manigançait un truc. Pas moyen autrement.

« … Mais, si on prend le temps de te connaître, de t’explorer davantage, » poursuivit-elle dans son fort accent des îles alors que, derrière elle, de gros bouillons se mirent à agiter l’eau, « alors c’est là que tu révèles ta valeur et ta vraie nature. »

Elle venait à peine d’achever sa phrase que, soudain, une masse titanesque fendit la surface. Et Blue bondit sur ses pieds, bouche bée, en reconnaissant l’être qui se présenta à eux.

La créature baissa doucement son long cou, pour considérer le petit groupe de ses yeux bienveillants. Ses écailles azurées semblaient scintiller sous le fin voile aqueux dont elles étaient encore recouvertes, et faisaient miroiter les nombreuses gouttelettes qui avaient accompagné son apparition. Malgré sa taille, ce fut à peine si un sillage de vaguelettes se souleva lorsqu’il nagea à leur rencontre, son corps semblant glisser à la surface.
Le Lokhlass souffla gaiement lorsque sa Dresseuse posa délicatement sa main sur son front, juste sous sa corne trapue et pourtant si redoutable.

« … C’est presque un peu trop parfait, ce timing…
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, répliqua Lorelei d’un ton bien trop innocent pour être honnête. Je laisse toujours Tardis en liberté quand je suis sur Quarmeau, c’était un pur hasard qu’il soit dans les parages ! »

Comme rassuré par la présence de son alliée humaine, le géant des mers détourna sa tête distinguée pour fredonner une mélopée à vous faire vibrer la corde du coeur. Bientôt, le lac s’agita à nouveau en mille remous, et une demi-douzaine de ses congénères les rejoignit. Le point d’eau semblait juste assez spacieux pour tous les accueillir, et au vu de leur comportement, c’était pour eux un lieu familier.
Le jeune homme roux s’approcha précautionneusement de la rive, sur l’invitation de son hôtesse. Impulse, lui, ne s’était pas fait prier. Il avait déjà bondi sur la carapace cendrée la plus proche, et s’était lancé dans un jeu de saute-Lokhlass qui paraissait enchanter les deux plus jeunes de la petite horde.

« J’avais pas vraiment pris le temps de l’observer avant, mais maintenant que je le vois de près, j’ai l’impression que ton Lokhlass est différent de ceux du zoo de Parmanie… »

Un frisson terrible lui secoua l’échine, alors que Lorelei lui décocha un regard si glacial que les verres de ses lunettes semblèrent flasher sur le coup.

« Je te prierai de ne pas comparer la majestuosité de mon Tardis et des siens avec les consanguins dégénérés qui n’ont de Lokhlass que le nom que tu as pu voir ailleurs. » Ouip, il s’était définitivement aventuré sur un terrain glissant.
- M-Mais comme quoi, la brochure ne s’était pas trompée, dit-il dans une tentative de désamorcer l’exposé qu’il sentait arriver. Il y a bien des Lokhlass dans cette caverne ! »

Le regard appuyé de la Conseillère lui laissa penser qu’il n’allait pas échapper à ses remontrances… Mais finalement, ce fut un voile de tristesse qui recouvrit ses iris corail.

« Oui... Admit-elle.
- … Tu n’as pas l’air très réjouie ? Pourtant, pour une experte du type Glace comme toi, ça doit être une aubaine, non ?
- Pas vraiment, non… Vois-tu… Je me sens coupable pour leur situation actuelle.
- Comment ça ?
- Il y avait des rumeurs à leur sujet depuis la fondation de Quarmeau. Tu sais, le genre de légende locale qui a toujours une part de vérité. Des personnes miraculeusement sauvées après s’être aventurées dans la Grotte, une histoire de gardien des lieux. C’est ce qui m’est arrivé : quand je devais avoir, quoi, quatre ou cinq ans, j’ai glissé et suis tombée dans le lac. Entre l’eau gelée et mes vêtements qui m’attiraient vers le fond, j’ai bien failli me noyer… Quand Tardis et son groupe m’ont sauvée.
- Ben tant mieux, non ?
- Oui, sauf que c’est arrivé en plein alors que Quarmeau avait des difficultés à tirer son épingle du jeu économiquement parlant, par rapport à nos voisines. Résultat, ils ne se sont pas priés pour tirer parti de cette découverte. Des Lokhlass sauvages, forcément que ça allait attirer les gens ! »

L’amertume sembla faire ressortir davantage son fort accent des îles.

« Sauf que tout ce peuple qui se presse pour les voir, qui fait du bruit en veux-tu en voilà, ça ne va pas à des Pokémon aussi paisibles que des Lokhlass. Même s’ils sont de nature altruiste, ils ont aussi besoin de calme, d’un endroit où ils se sentent en sécurité. Sans compter que, bien entendu, ça n’a pas manqué d’attirer la convoitise de braconniers et d’autres connards dans le genre. A cause de ça, à cause de moi, ils ont fini par quitter leur territoire habituel pour finir dans ce trou où ils peuvent à peine tous tenir. »

Tardis baissa aussitôt le cou pour venir poser le bout de son museau contre le dos de son amie, en laissant s’écouler deux notes graves de sa gorge. La Conseillère sourit tristement, lui caressa la joue pour le remercier de sa tentative pour la consoler.

« C’est la principale raison qui m’a motivée à devenir une membre du Conseil des Quatre, expliqua-t-elle. Je voulais obtenir l’autorité et le respect nécessaire pour me permettre de protéger ce qui est le plus précieux à mes yeux, et réparer mon erreur. Surtout que c’est peut-être le seul endroit de tout Tohjo où les Lokhlass peuvent se reposer au cours de leur migration entre l’Archipel Orange et Sinnoh. S’il venait à disparaître... Je crois que je ne me le pardonnerai jamais. »

Elle s’interrompit. Derrière eux, Impulse et les deux petits s’étaient lancés dans une partie de fléchettes improvisées avec leurs dards et échardes de givre respectivement.

« Malheureusement… J’ai bien peur que ça ne suffise plus, ajouta-t-elle.
- Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Lorelei lui désigna la horde d’un geste de la main.

« Quand son groupe est parti en migration la dernière fois, il y avait deux femelles et un jeune mâle en plus. J’espère que c’est juste qu’ils ont rejoint un autre groupe, mais je pense plutôt qu’ils ont été victime de braconnage… Et autant j’ai l’autorité suffisante pour empêcher ce genre de problème à Quarmeau, autant je suis pieds et poings liés dès qu’ils sortent du territoire maritime de Tohjo. J’ai bien tenté d’en parler avec Lance à l’époque, d’essayer de mettre en place un système de protection international… Mais, Lance étant Lance, dès que ce ne sont pas ses Dragons chéris qui sont en danger, le reste peut toujours attendre. Il y a des problèmes plus urgents, de ses propres mots. Du coup, j’espérais avoir un peu plus de chance avec Red… Sauf que la situation est presque pire qu’avant. Avec sa mauvaise gestion, on doit systématiquement passer derrière lui pour limiter la casse, ce qui fait que j’ai encore moins de temps à consacrer aux causes qui me tiennent à coeur. »

Elle poussa un soupir las, alors que Blue gardait le silence. Ce sujet devait vraiment la préoccuper, pour que son masque de marbre soit ébranlé au point de lui faire affaisser les épaules.

« Honnêtement, je considère de plus en plus le fait de quitter le Conseil. Même si j’y perdrais en autorité et pression politique, ça me permettrait d’avoir beaucoup plus de liberté et de temps pour m’attaquer à ce problème.
- Qu’est-ce que t’attends pour le faire, alors ? Si c’est vraiment un tel merdier, moi j’aurais foutu le camp depuis longtemps.
- C’est pas si simple, grimaça-t-elle. Agatha nous a annoncé qu’elle pensait prendre sa retraite d’ici la fin de l’année prochaine. Sachant qu’elle serait capable de se changer en Spectre dans la mort pour venir te hanter tout le reste de ta vie pour un peu que tu l’aies contrariée de son vivant…
- … Mieux vaut ne pas se la mettre à dos, ouais…
- Sans compter que ça donnerait un gros coup à l’image de l’Union à l’international, si deux Conseillers partaient coup sur coup. Ca voudrait dire faire de gros changements encore une fois, et vu le bazar que ça a été juste pour trouver un remplaçant à Giovanni… Même si là, c’était en grosse partie la faute d’une certaine personne.
- Hey ! Ne rejette pas la faute sur moi ! C’est pas non plus comme si je vous avais fait mariner pendant des mois avant de rendre ma décision ! Au moins, j’ai été cash dès le début !
- Ca oui, tu peux le dire ! » Un rire léger s’échappa de ses lèvres fines, signe qu’au moins son abattement s’était atténué. « Mais bon, ça nous a quand même bien fait paniquer devant ton silence radio. »

Ils se turent. L’une des femelles du groupe avait entonné une tendre mélopée dans une tentative de calmer les ardeurs des Pokémon joueurs. Les deux jeunes Lokhlass s’étaient ainsi assoupis, la tête posée sur le garrot de leur camarade, tandis qu’Impulse s’était roulé en boule sur la carapace argentée de l’un d’eux pour dormir.

« … Et sinon, t’aurais pas pu m’expliquer tout ça sur la plage hier soir ?
- Si, mais ça aurait été beaucoup moins amusant ! »

***
Le reste du séjour passa à une vitesse folle. Pour Daisy, ce fut comme si, le temps de cligner des yeux, ils étaient déjà sur le paquebot du retour. Dommage, elle serait bien restée un peu plus longtemps -même si le personnel du centre de relaxation avait dû pousser un soupir de soulagement en apprenant qu’elle ne reviendrait plus leur apprendre leur métier à chaque passage chez eux. Mais au moins…

Elle se tourna vers son frère. Accoudé à la rambarde de la poupe, le menton posé sur ses bras, il observait l’Île Quatre qui s’éloignait progressivement.
Même s’il gardait sa mine renfrognée habituelle, il semblait beaucoup plus serein comparé à leur arrivée. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il s’était passé dans la Grotte -et pourtant, Arceus savait qu’elle avait tout fait pour lui tirer les Aspicot du nez !-, mais ça avait eu l’air de lui remettre les idées en place.

« Alors ? Qui c’est qui avait raison de te faire venir ? s’écria-t-elle en lui ébouriffant sa tignasse rousse.
- Mouais… C’était pas mal, » bougonna-t-il sans même chercher à l’empêcher de le décoiffer.

Sa soeur échangea un regard abasourdi avec Toriel. Avant de poser une main sur le front de son petit frère.

« Mais qu’est-ce que tu fous ?
- Je rêve ? Tu viens vraiment de faire autre chose que râler ? T’es sûr que t’as pas chopé la crève dans la Grotte ?
- Ha ha, très drôle… »

… Wow. Daisy ne se souvenait même plus de quand remontait la dernière fois qu’il s’était montré aussi… Gracieux. C’en était presque touchant !
Un doux sourire satisfait aux lèvres, elle s’appuya à son tour au garde-fou pour étudier son visage. Ses traits s’étaient effectivement détendus, mais surtout… Surtout, une étincelle dansait timidement dans ses prunelles grises. L’éclat était encore faible, épars, étouffé par les cendres anéanties depuis trop longtemps. Mais il était bien présent.

« A quoi tu penses ? Tenta-t-elle.
- A rien… »

La réponse habituelle avait été presque immédiate. Bon, même si ça allait mieux, il y avait encore du progrès à faire…

« Dis… C’est à quelle fac que le vieux donne ses conf’, déjà ? »

Cette fois, Daisy se tourna vers lui, les yeux écarquillés. Et il y avait de quoi ! C’était la première fois en quatre mois qu’il évoquait de lui-même leur grand-père !

« Euh… Balbutia-t-elle, prise au dépourvu devant cette question si inattendue. C’est surtout à l’Université d’Argenta, si je me trompe pas. Toriel ? »

La Nidoqueen acquiesça d’un hochement de tête. Ses yeux brillaient de joie.

« Mais… Pourquoi cette question ?
- Pour rien… Une idée, juste comme ça… »

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* Le Jour du Prodigue célèbre le sacrifice fait par Xerneas, des siècles auparavant, pour sauver l’humanité. Originaire d’Unys et de Kalos, cette fête s’est peu à peu répandue dans les autres cultures à force d’échanges commerciaux et de population. Il est alors coutume de suspendre une couronne de bois colorée à sa porte et de préparer des plats à base de baies Fraigo.