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Shades of Blue de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 19/10/2018 à 02:06
» Dernière mise à jour le 19/10/2018 à 02:06

» Mots-clés :   Drame   Famille   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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III - Caught Between the Devil And The Deep Blue Sea
Son sac à dos sur une épaule, Blue s’arrêta devant les grilles du grand bâtiment, leva les yeux vers la façade. Avec son large escalier nacré, ses murs en brique ocre et les nombreuses colonnes entourant l’entrée, il aurait été aisé de confondre l’édifice avec un musée. Seul le nom de l’Université des Sciences Pokémon d’Argenta, qui se détachait en lettres d’argent sur la devanture de marbre, donnait une indication sur la nature du lieu. Mais il n’était pas rare que des touristes ou étudiants de passage se présentent à l’accueil pour demander les tarifs des visites -c’était même devenu un jeu entre les réceptionnistes, de parier sur le nombre de personnes qui se tromperaient dans la journée.

Le jeune homme roux poussa un gros soupir. Comme chaque matin, il avait cette boule au ventre qui refusait de partir. Et il sentait qu’aujourd’hui non plus n’allait pas arranger cet état…
Quelque chose se frotta alors contre sa jambe, et il baissa le regard pour adresser un sourire reconnaissant à son Voltali. Le goupil survolté était toujours affublé d’un petit pull en laine, mais il avait troqué son habituel noir contre un avec de petits coeurs tout jaunes et un texte qui lisait “You are ELECTRIFYING!”. Il ne quittait plus le confort de son vêtement, désormais, et sa collection s’était bien agrandie en un an et demi. Bon, c’était surtout à cause de Daisy qui lui en ramenait toujours un à chaque fois qu’elle était de passage sur Céladopole, mais il ne s’en plaignait pas non plus. Blue avait beau râler devant les motifs ringards qu’elle choisissait, il finissait quand même par les lui faire porter.

Impulse le regarda avec ses grands yeux pétillants, avant de pousser un petit glapissement d’encouragement. Un sourire reconnaissant lui répondit.

« Tu as raison, ça va aller. Heureusement que tu es là, bonhomme. »

Là-dessus, il gravit l’escalier pour franchir les portes de la faculté…

… Et fut immédiatement happé par l’effervescence du hall.
Des centaines d’étudiants et leurs Pokémon allaient et venaient, discutant entre eux de leurs recherches, des cours à venir ou tout simplement de tout et de rien. Tous profitaient de ces dernières minutes avant le début des cours pour se retrouver avec leurs amis, s’échanger des notes -voire des réponses, il ne fallait pas se leurrer.
Mais Blue ne s’attarda pas. La main serrée sur les fines bretelles de son sac, il baissa le regard et avança d’un pas rapide à travers la marée humaine, le renard safrané sur ses talons. Il essayait au maximum de faire profil bas… Mais il sentait tout de même les conversations qui s’interrompaient et les regards qui convergeaient sur sa personne lorsqu’il passait à proximité des élèves. Bon, tant qu’ils se contentaient de faire ça, ça allait. Il avait juste à espérer qu’il parvienne jusqu’à son amphi sans encombres…

« Salut Blue ! » S’écria une jeune femme à la queue de cheval blonde juste devant lui.

Elle était apparue si soudainement qu’il faillit la percuter. Il grimaça en son for intérieur, mais tenta tout de même de garder une expression neutre.

« Bonjour Chloé… lâcha-t-il, plus par politesse qu’autre chose. Qu’est-ce que tu me veux ?
- J’organise une petite soirée avec mon club, ce week-end ! dit-elle en lui mettant un carton d’invitation dans sa main libre. Ce serait génial que tu viennes ! »

Autrement dit, pour qu’elle puisse se vanter de sa présence auprès des nouveaux arrivés et les convaincre de rejoindre son association, parce que bon, vous imaginez, on est super proches du petit-fils du Professeur Oak !

« Merci mais sans façons, répondit-il en lui rendant la brochure. J’ai des choses de prévues, et les soirées c’est pas trop mon truc.
- Oui, non, je comprends ! Tout ces gens qui n’arrêtent pas de te coller pour pouvoir profiter de ta popularité, parfois j’aimerais bien qu’ils me laissent respirer un peu…
- … On parle de toi ou de moi, là…? Marmonna-t-il dans sa barbe.
- Tu disais ?
- Rien, que je dois aller à mon cours.
- Ah oui ! Tu as cours en amphi Kabutops, non ? »

… Elle avait appris son emploi du temps par coeur. Pourquoi n’était-il pas étonné…
Il garda le silence et reprit sa route. Mais Chloé revint se planter devant lui.

« Sinon, on peut toujours se voir ce soir, » minauda-t-elle, en approchant dangereusement son corps du sien.

A tel point que le jeune homme roux fut obligé de reculer pour ne pas se retrouver collé à elle. Il poussa un long soupir en se pinçant l’arête du nez.

« Bon, écoute. T’es pas la première à me demander ça, c’est pas non plus la première fois que tu viens me voir pour ça. Et ma réponse reste la même qu’à chaque fois: non.
- Roh, alleeeeeez !
- Pourquoi tu ne demandes pas à un de tes nombreux admirateurs, chuis sûr que y’en a une bonne dizaine qui rêve que de ça…
- Pfft, comme si j’allais me contenter du menu fretin ! Quoi de plus normal pour les deux élèves les plus populaires de la fac que de se mettre ensemble ! »

A chacune de ses réponses, elle cherchait à se rapprocher de lui. Il reculait à chaque tentative de sa part… Mais il eut le malheur de laisser sa main à portée. La jeune femme blonde referma aussitôt ses bras autour du sien, pour plonger son regard émeraude pétillant dans ses iris grises agacées.

« Je ne suis pas populaire, voulut-il rectifier.
- Tu plaisantes ! Y’a pas un seul étudiant de cette fac qui ne connaisse pas ton nom ! »

Précisément, se retint-il de dire. Ils ne le connaissaient que pour ça. Parce qu’il était apparenté à son célèbre grand-père, et pour rien d’autre.
Mais déjà, ses lèvres étaient dangereusement proches de son oreille.

« Allez, je te promets que tu ne vas pas le regretter… »

Alors qu’il tentait désespérément d’éloigner son visage, Blue vit du coin de l’oeil son goupil survolté qui s’était faufilé jusqu’à un mur où était incrusté l’une des horloges électriques parsemant le bâtiment. Un petit éclair blanc jaillit des épines de sa fourrure pour frapper le cadran… Ce qui eut pour effet d’avancer de quelques minutes l’heure indiquée.
Une seconde plus tard, la sonnerie stridente résonnait dans les couloirs. Un instant de flottement fit s’immobiliser la foule des étudiants… Mais la marée humaine reprit immédiatement, avec plus de courant encore qu’auparavant comme chacun se pressait de rejoindre sa salle.

« Déjà ? s’étonna Chloé en ouvrant son PokéMatos d’une main. Ils sont en avance, aujourd’hui… »

C’était sa chance ! Profitant de son instant d’inattention, Blue extirpa son bras de son étreinte pour s’éloigner le plus rapidement possible.

« Ma proposition tient toujours, Blue chéri~ » s’exclama Chloé dans son dos.

Et voilà, les rumeurs allaient courir bon train grâce à elle…

« Bien joué Impulse, je t’en dois une, » dit-il comme le Voltali revenait vers lui.

C’était presque devenu une habitude d’utiliser la cloche comme diversion. Mais ça n’empêcha pas le goupil de pousser un jappement et de tourner vers lui sa frimousse suppliante, provoquant un petit rire amusé chez son maître.

« D’accord, d’accord, j’ai compris ! Je te prendrai celui avec “Let me RAICHU a love song”. Content maintenant ? »

Apparemment oui, puisque le renard safrané bondit sur son épaule pour lui lécher la joue, non sans que sa crinière crème ne lui picore le cou.

L’amphi Kabutops était déjà à moitié rempli lorsqu’il en franchit le seuil. Aussitôt, deux groupes d’étudiants lui firent signe pour qu’il vienne les rejoindre… Mais Blue se contenta de refuser d’un geste de la main tout en descendant les marches pour s’installer à sa place habituelle, au tout premier rang.
Ce n’était pas tant pour se donner une image de premier de la classe qu’il avait choisi cet endroit. En fait, au début de son année de Master, il avait d’abord gravité vers le milieu de la salle. Il avait rapidement compris son erreur : dès le moment où il avait été identifié comme Blue Oak au premier appel du tout premier cours, régulièrement, à chaque cours, à chaque heure, il voyait des élèves qui se retournaient pour croiser son regard, lui faire signe ou autre. Aussi avait-il préféré se mettre tout devant. Ainsi, même s’il continuait de sentir le poids de leurs yeux dans son dos, même s’il entendait parfaitement leurs chuchotements alors qu’ils parlaient de lui, il était moins gêné pour suivre les leçons.

***
Blue devait reconnaître qu’il comprenait mieux pourquoi son grand-père venait souvent faire des conférences dans cette université. Les cours étaient vraiment de qualité, dispensés par des enseignants qui, pour la plupart, avaient également une deuxième casquette de chercheur. Il n’était pas rare qu’ils leur parlent de leurs découvertes les plus récentes, permettant ainsi à leurs étudiants de rester à la pointe de l’information et des nouveautés de leur domaine d’études. De plus, chaque semestre, les travaux des élèves les plus méritants étaient exposés au Musée d’Argenta afin de se faire connaître auprès du public et de trouver des mécènes pour financer leurs recherches. Et il n’était pas rare que les plus prestigieuses revues scientifiques publient les thèses des diplômés.
Mais s’il y avait bien un cours que le jeune homme affectionnait particulièrement, c’était celui sur la Physiologie des Types de la Professeur Maple. Lui qui avait combattu pendant plusieurs années, il trouvait fascinant le fait de pouvoir étudier et comprendre pourquoi ses observations et stratégies s’étaient avérées justes ou fausses. Rien que le fait de comprendre le fonctionnement des différentes poudres chez les Pokémon de type Insecte lui apportait bon nombre d’éclaircissements sur certains de ses combats. Par exemple, apprendre que les Aéromite ont des poches contenant leurs spores paralysants sur leurs élytres inférieures lui permit de comprendre comment le lépidoptère de Koga avait réussi à utiliser Para-Spore sur son Feunard alors que ce dernier lui avait brûlé les ailes supérieures.

Mais déjà, l’enseignante faisait défiler les dernières slides de son cours.

« Cela complète donc notre étude du type Insecte de ce mois-ci, conclut l’érudite en réajustant ses lunettes rondes sur son nez. La semaine prochaine, nous nous pencherons sur le type Poison. Pour ce faire, comme d’habitude, je vais vous demander à tous de choisir une espèce sur laquelle vous effectuerez vos recherches. Vous devrez vous mettre en groupes de deux à quatre personnes, pas plus, pas moins, et me rendre vos dossiers d’ici au prochain cours. »

Blue déglutit. C’était le moment qu’il redoutait le plus… Non pas à cause de la charge de travail que ça allait demander. Mais plutôt…
Il se figea sur sa chaise. Il sentait tous les regards qui se braquaient sur lui. Toute la convoitise de ses camarades de classe, qui n’avaient qu’une hâte : l’avoir dans leur groupe. Tous se reposaient sur lui pour effectuer les recherches. Après tout, il avait baigné dans ce genre de travaux depuis qu’il était petit, c’était un exercice naturel pour lui, non ? Ca avait été ainsi toute l’année précédente, et ça recommençait… Sauf que, cette fois, il était bien déterminé à ne pas se laisser faire.

Le jeune homme roux prit tout son temps pour rassembler ses affaires une fois la fin des cours annoncée. Tout était bon pour retarder l’inéluctable déferlement de demandes qui allait avoir lieu dès qu’il mettrait les pieds hors de la salle.
Son sac sur une épaule, il descendit la paire de marches restantes pour s’approcher du bureau de l’enseignante.

« Excusez-moi, Professeur Maple ?
- Oui…? Qu’y a-t-il Blue ? » demanda-t-elle en levant la tête vers lui.

L’érudite était un petit bout de femme qui arrivait à peine au bassin de ses étudiants. Pourtant, ce qu’elle n’avait en taille, elle le compensait en savoir. Elle était un véritable puits de science pour tout ce qui touchait aux spécificités des différents types, et le bruit courait que plusieurs Champions et Conseillers avaient déjà fait appel à ses conseils.

« C’est à propos du travail de groupe… Est-ce qu’il serait possible que je le fasse seul, pour une fois ? »

L’enseignante réajusta ses lunettes sur son nez, avant de secouer légèrement la tête.

« Je suis navrée Blue, mais il est important que vous appreniez tous à travailler à plusieurs. Dans le monde de la recherche, la collaboration est la clé, que ce soit entre les chercheurs, les différents laboratoires ou même le public. On n’arrive à rien en restant dans son coin. Je suppose que je n’ai pas besoin d’apprendre ça à un ancien Dresseur tel que toi.
- Oui, je sais, acquiesça-t-il dans un soupir. Et je suis entièrement d’accord avec vous. Mais... C’est juste que j’en ai assez de me retrouver dans un groupe avec des gens qui ont voulu de moi seulement à cause de… Vous savez quoi.
- Hum… »

Professeur Maple croisa les bras en hochant la tête.

« Oui, c’est vrai que ta situation n’est pas très facile… Mais je ne peux pas faire d’exception, ce serait injuste envers les autres… Ah ! s’écria-t-elle en frappant son poing dans sa paume ouverte. Je crois avoir trouvé ! Peux-tu m’attendre ici un moment ? »

Blue hocha la tête, étonné. Mais déjà, son enseignante remontait l’escalier aussi vite que le lui permettaient ses petites jambes, pour ensuite disparaître dans le couloir. Le jeune homme roux échangea un regard perplexe avec Impulse, qui avait simplement penché sa frimousse sur le côté.
Cinq minutes plus tard, Professeur Maple revenait, accompagnée d’un jeune homme à la peau cuivrée et au bouc brun. S’il ne se trompait pas, Blue l’avait déjà aperçu quelques fois dans l’amphi, depuis le début de l’année. En même temps, un étudiant avec un Matoufeu, ce n’était pas vraiment ce qu’il y avait de plus commun dans cette université.

« D’habitude je préfère laisser les élèves choisir avec qui ils veulent travailler, mais je pense que vous ne m’en voudrez pas tous les deux de vous forcer à vous mettre ensemble, commença la chercheuse en réajustant ses lunettes. Blue, je te présente Kekoa Kukui. Il vient d’Alola, et est venu sur Kanto cette année grâce à notre programme d’échange universitaire. Kukui, voici Blue Oak.
- Alola ! s’exclama le jeune homme mat dans un kantonais parfait teinté d’un léger accent alolien. Ravi de faire ta connaissance !
- Je… Moi de même, » bredouilla Blue en venant serrer la main tendue vers lui.

Ses doigts se retrouvèrent pris dans la poigne ferme de l’Alolien, preuve que les muscles qui se devinaient sous sa chemise de lin n’étaient pas que de la gonflette. A leurs pieds, Impulse était venu à la rencontre du gros matou pour se présenter. Le tigre d’appartement répondit d’un miaulement rauque, avant de renifler avec curiosité le pull du goupil survolté -non sans que ce dernier ne se mette à parader fièrement en voyant que son vêtement adoré attirait l’attention.

« Vous devriez prendre le temps de discuter pendant le déjeuner ! les encouragea Professeur Maple. Dépêchez-vous, c’est le jour des pizza ! »

Etrangement, ce furent le Voltali et le Matoufeu qui réagirent les premiers à cette annonce. Les deux Pokémon grimpèrent les marches quatre à quatre, avant de pousser un cri à l’unisson pour enjoindre leurs maîtres de se presser un peu une fois arrivés à la porte.

« Du coup… Ca fait un mois que t’es arrivé sur Kanto, c’est ça Kekoa ? demanda le jeune homme roux comme ils marchaient en direction du réfectoire.
- Ah, tu peux m’appeler Kukui, le corrigea l’Alolien. C’est comme ça que mes amis m’appellent. Ah, et mon Matoufeu, c’est Stitch ! Mais oui, je suis arrivé peut-être deux semaines avant le début des cours. J’en ai profité pour repérer un peu les lieux, et pour visiter Jadielle et Azuria. Par contre, qu’est-ce qu’il fait froid ici !
- Tu trouves ? … En même temps, vous devez avoir 30° toutes l’année à Alola…
- Ouaip ! A 22°, t’as déjà tout le monde qui sort les pulls ! »

Blue ne put s’empêcher de rire. Quelle tête il ferait en plein hiver !
Ils furent obligés d’interrompre leur conversation cependant, tant c’était la cohue au self. Professeur Maple ne s’était pas trompée, c’était vraiment le jour des pizza… Et chacun chacune bataillait fermement pour remporter le précieux Graal, que les cuisiniers semblaient ne vouloir distribuer qu’au compte-goutte.
Finalement, au bout d’une quinzaine de minutes à jouer des coudes -et à éviter ceux des autres étudiants-, Blue réussit à mettre la main sur la première boîte à pizza qu’il atteignait. Pas le temps de vérifier à quoi elle était, déjà deux autres mains avides s’apprêtaient à la chiper. Gardant sa pitance au-dessus de lui pour éviter qu’on ne la lui pique, il entreprit de traverser la foule à contre-courant… Quand une poigne ferme lui agrippa l’épaule.

« Accroche-toi ! »

Sans plus d’avertissement, Kukui le tira à lui, l’arrachant d’un coup à la masse affamée… Et rattrapa au vol la boîte qui lui avait échappé des mains. Mais déjà, des élèves voraces se tournèrent vers eux, en constatant leur position de faiblesse ! Et ils auraient certainement fini les mains vides…! Si, d’un coup, une dizaine d’étudiants ne s’étaient lancés à la poursuite d’Impulse et de son nouveau comparse qui s’enfuyaient, une belle part de pizza entre les crocs.

Enfin, les deux jeunes gens purent s’installer à une table à l’écart. Ils se laissèrent tomber sur leur chaise dans un grand soupir de soulagement. Avant de se décider à ouvrir leur trésor…

« … Forcément, il a fallu qu’on tombe sur une alolienne, constata Kukui en voyant les belles rondelles de Nanana qui trônaient sur la sauce Tamato.
- Au moins ça te rappellera chez toi, plaisanta le Kantonais en se servant tout de même une part.
- Tu plaisantes ! On aime peut-être les Nanana à Alola, mais y’a des limites ! Non, moi je te dis, un tel manque de respect culinaire, c’est forcément une invention unyssoise. »

Leurs Pokémon revinrent vers eux en trottinant joyeusement, visiblement pas mécontents de leur méfait. Mais peut-être auraient-ils dû songer à s’échanger leurs proies avant de les engloutir, parce qu’entre les taches rouges sur la fourrure dorée et la crème sur le pelage d’encre, ils n’étaient plus trop crédibles à quémander auprès de leurs maîtres.

« Au fait, commença le jeune homme à la peau cuivrée, alors qu’il enlevait les rondelles de Nanana de sa part pour les donner à Stitch, j’ai bien entendu ? Ton nom est Oak ? »

Blue se crispa tant à cette question que sa main resta dans les airs -permettant à Impulse de bondir pour croquer en plein dans la pizza ainsi offerte. Ses yeux gris se posèrent avec méfiance sur son compagnon de table.

« En effet… » Il avait intérêt à faire très attention à ce qu’il dirait après ça…
- Tu serais pas apparenté à Samson Oak, par hasard ? »

Le visage du Kantonais se mua aussitôt d’une expression glaciale à un étonnement sincère. Alors là, c’était bien la première fois qu’on l’associait avec cet Oak-là !

« Je… Gruncle Samson ? Oui, c’est le cousin de mon grand-père. Ca fait un bail qu’on l’a pas vu, d’ailleurs…
- Aha ! Je le savais !
- M-mais d’où tu connais ce nom ?!
- D’où ? Ben, en fait… C’est mon mentor. »

A nouveau, Blue suspendit son geste -et se fit piquer la fin de sa part par Impulse. Les pièces du puzzle se mettaient lentement en place dans son esprit. Il commençait à saisir pourquoi Professeur Maple avait jugé bon de le mettre en groupe avec l’Alolien.

« Attends… Tu travailles avec Gruncle Samson ?!
- Oui ! C’est aussi la raison pour laquelle j’ai choisi de venir sur Kanto plutôt qu’ailleurs, je voulais voir son pays d’origine. Mais je m’attendais pas du tout à tomber sur quelqu’un de sa famille à la fac !
- Je suis même pas sûr qu’il soit au courant... » Ca faisait longtemps qu’il ne l’avait pas contacté, en partie parce qu’il lui rappelait beaucoup trop son grand-père par certains aspects.
- Il faudrait que tu lui dises, je pense qu’il serait content d’apprendre qu’on va bosser ensemble ! En plus, je suis aussi ici pour l’aider dans ses recherches.
- Oh ? »

Kukui hocha la tête, avant de saisir l’Honor Ball à sa ceinture. La capsule s’ouvrit, pour laisser apparaître un adorable petit renard immaculé sur les genoux du jeune homme à la peau cuivrée. Le goupil poussa un large bâillement, avant de pencher la tête sur le côté, considérant avec étonnement l’humain face à elle.

« Woah ! s’écria Blue, en se penchant. J’ai déjà eu un Goupix, mais c’est la première fois que j’en vois un d’Alola !
- Elle est belle, hein ? » Fit Kukui, alors que la créature de givre remuait doucement ses queues comme il lui gratouillait le menton. Ce qui ne sembla pas du tout au goût du Matoufeu, qui vint poser ses grosses pattounes sur la cuisse de son maître pour réclamer des caresses.
- Et c’est elle que tu dois étudier ?
- Exactement ! Je dois voir comment Lilo s’adapte dans un environnement qui était le sien à la base, avant la mutation en type Glace de la forme d’Alola. Professeur Oak- enfin, mon mentor, hein- procède à la même expérience de son côté, avec un Goupix de Kanto. »

Le Kantonais observa la petite Goupix blanche avec curiosité. Il se demandait si sa fourrure était chaude ou froide, et aurait bien aimé vérifier par lui-même… Quand soudain, une idée lui traversa l’esprit.
Ses doigts saisirent son menton.

« Hum ? Quelque chose ne va pas ?
- Non, tout va bien. Mais… Je viens de repenser à un truc. Pour notre travail de groupe.
- Oh ? Tu as une idée ?
- Peut-être… Attends un instant, je dois vérifier quelque chose. »

Prenant son PokéMatos, il se mit à parcourir le net de ses doigts fébriles. Il ne fit même pas attention à Stitch qui, jaloux de ne pas se faire chouchouter par son maître, avait essayé d’attraper la boîte à pizza. L’une de ses griffes réussit à accrocher le couvercle… Qui bascula à terre, et la part restante avec. Le temps que le jeune homme au bouc se penche pour ramasser le carton, les deux goinfres à pattes avaient fait un sort à la nourriture.

« C’est bien ce qu’il me semblait… Murmura Blue. Tu as déjà vu un Arbok ?
- Euh… Oui, on en a parfois sur Mele-Mele… Pourquoi ? »

Le Kantonais lui montra les images qu’il avait trouvées sur son appareil.

« Je m’étais déjà fait la réflexion à l’époque, mais je n’y avais pas vraiment prêté attention… Si tu regardes bien, tu peux voir que le motif de l’Arbok d’Agatha -c’est une de nos anciennes Conseillères- est différent de ceux qu’ont les Arbok de Kanto, habituellement. Regarde, ajouta-t-il en faisant glisser l’image, son motif est plus proche de ceux de Hoenn ou même d’Alola.
- Hum… C’est vrai, mais ce serait pas juste une différence esthétique ?
- Non, réfuta-t-il. Quand je l’ai affronté, j’ai été surpris par sa capacité de camouflage. Il arrivait vraiment à faire oublier sa présence, au point que même mon Alakazam n’arrivait à le repérer que lorsqu’il passait à l’assaut. Je n’avais jamais affronté d’Arbok avec une telle manière de combattre, surtout à l’état sauvage ! Ceux que j’avais rencontrés avaient tendance à essayer de se faire le plus impressionnant possible, et ils avaient une approche du combat très directe. Sur le coup, j’avais mis ça sur le compte d’Agatha. En tant qu’experte du type Spectre, il me semblait logique qu’elle ait entraîné son Arbok a adopté une telle stratégie. Sauf que…
- … Sauf que ce que tu décris ressemble beaucoup au comportement des Arbok qu’on a à Alola, » compléta Kukui dans un sourire. Il voyait où son camarade de classe voulait en venir.
- Exactement ! Donc, si le motif sur leur collerette influe sur leur méthode de chasse…
- Peut-être qu’il modifie aussi les capacités de leur venin ! » S’écrièrent-ils à l’unisson en se levant légèrement de leurs chaises.

Ce qui obligea Lilo à sauter à terre, dans un timide jappement de protestation. Impulse et Stitch échangèrent un regard incrédule, surpris de voir leurs deux humains s’extasier ainsi pour ensuite éclater de rire.

« Ah, souffla le Kantonais une fois un peu calmé, ça fait du bien de pouvoir vraiment discuter avec quelqu’un.
- Comment ça ?
- Ben… D’habitude, si les gens veulent traîner avec moi, c’est parce que je m’appelle Oak. Ils m’associent tous à mon grand-père, à la notoriété que pourrait leur apporter le fait de se lier d’amitié avec moi, ou tout simplement que ça pourrait leur donner l’occasion de le rencontrer…
- Oh, je vois. C’est vrai que Professeur Oak -le mien, il va vraiment falloir qu’on trouve un moyen de les différencier- m’a souvent dit que son cousin est une vraie célébrité sur Kanto.
- Oui, et c’est pas sans inconvénient… Mais du coup, tu vas faire ta thèse sur ce sujet-là ?
- Pour être tout à fait honnête… J’en ai strictement aucune idée. Je trouve que c’est une problématique intéressante, mais… Je sais pas, j’aurais trop l’impression d’empiéter sur son domaine de recherche, si tu vois ce que je veux dire. Je préfèrerais trouver mon truc à moi… Et toi ? Tu sais déjà ?
- Oui, acquiesça Blue. C’est même la raison qui m’a fait m’inscrire à la fac. Je voudrais étudier les populations de Lokhlass, et réfléchir à un programme de protection à mettre en place pour empêcher leur disparition. »

Le jeune homme roux s’était attendu à tout sauf au regard étonné que lui adressa l’Alolien.

« Quoi ?
- Ben… Qu’est-ce que tu entends par “empêcher leur disparition” ?
- Exactement ce que ça veut dire…? » Il était clairement perturbé par la réaction de son interlocuteur. « Enfin, quand je suis allé sur l’Île Quatre, dans les Sevii, une connaissance m’a expliqué l’état critique dans lequel ils sont. Le groupe qu’elle côtoie et protège a régulièrement des membres qui manquent lorsqu’ils reviennent de leurs migrations. Rien que cette année, elle était un peu en panique parce que lorsqu’ils sont revenus, il n’y avait aucun jeune avec eux, et ce n’était certainement pas dû à un problème de reproduction. »

Kukui hocha la tête, mais il semblait visiblement très perplexe.

« T’as pas vraiment l’air convaincu…?
- C’est que… Je savais absolument pas que les Lokhlass étaient une espèce menacée, expliqua-t-il.
- Sérieux ?!
- Ben ouais ! A Alola, y’a au moins toute une horde qui vit constamment dans les eaux de Poni, et c’est pas rare d’en voir venir à ta rencontre pour un peu que tu t’éloignes des côtes. »

Cette fois, ce fut Blue qui cligna des yeux, incrédules.

« Comment ça se fait ?
- Alors là, tu me poses une colle ! répondit le jeune homme à la peau cuivrée en écartant les bras. Peut-être parce que ça a toujours été dans notre culture d’utiliser des Pokémon comme les Lokhlass, Sharpedo et Démanta pour se déplacer d’île en île…? Peut-être aussi parce que Tapu Fini -la divinité protectrice de Poni- est particulièrement agressive envers les personnes mal intentionnées ? Du coup, c’est possible que les Lokhlass se sentent tranquilles dans ses eaux...
- Youhou ! Blue chéri~ »

Le jeune homme roux se figea à cette voix. Avant de plaquer sa main contre son front. Oh non. Pas elle.

« Hum ? Qui c’est ? Demanda Kukui comme la jeune femme blonde s’approchait de sa démarche assurée.
- Des ennuis… Qu’est-ce que tu veux encore, Chloé ?
- Alors, tu as réfléchi à ma proposition ?
- Je te l’ai déjà dit, c’est n-...
- OH MON ARCEUS ! Je ne rêve pas ? C’est bien un Goupix d’Alola ?! »

Sans attendre de réponse, Chloé se pencha pour caresser la goupil immaculée, mais celle-ci se déroba à son geste, méfiante.

« Oh, Blue chéri, tu l’as capturé pour moi ? C’est vraiment trop a-do-rable !
- Att…! » Voulut-il répondre.

Mais Kukui l’interrompit dans un clin d’oeil, comme la jeune femme soulevait Lilo.

« Il l’a choisie exprès pour te dire tout ce qu’il ressent pour toi.
- Oh, Blue chéri, il ne fallait p-... »

La Goupix blanche avait remué furieusement l’éventail de ses queues, visiblement bien incommodée par cette inconnue qui la portait à bout de bras. Sa réaction ne se fit pas attendre : un vent gelé surgit de sa gueule, rigidifiant la coiffure et les vêtements de la jeune femme. Celle-ci lâcha aussitôt la goupil pour s’enfuir en hurlant, sous les éclats de rire de Kukui et Blue -et la mine boudeuse d’Impulse, qui venait de perdre une occasion de réclamer un nouveau pull.

« Mon cher Kukui, je crois que ceci signe le début d’une belle amitié ! »

***
« Le Tour des Îles…? » Répéta Blue.

Cela faisait un peu plus de deux mois, désormais, qu’il s’était mis à côtoyer l’Alolien. Ce dernier avait prouvé être quelqu’un sur qui l’on pouvait compter, que ce soit en termes de travail effectué ou simplement dans la vie de tous les jours. C’était bien l’une des rares personnes de la fac avec laquelle le jeune homme roux se sentait à l’aise, avec laquelle il pouvait rester naturel.
Les deux compères s’étaient vite habitués à se retrouver autour d’une tasse de café dans le réfectoire, pour étudier ou échanger sur leurs expériences respectives pendant que leurs Pokémon s’amusaient dans leur coin. Ce qui, pour Impulse et Stitch, consistait souvent à essayer de réclamer à manger aux autres étudiants ou aux cuisiniers. Ils avaient même enrôlé la petite Goupix immaculée dans leurs magouilles, car ils s’étaient rapidement rendus compte qu’elle était bien plus efficace qu’eux pour convaincre les humains de lui céder un peu de leur pitance.

« Oui ! C’est une étape obligatoire pour tout Alolien, entreprit d’expliquer le jeune homme à la peau cuivrée. Dès qu’ils atteignent 11 ans, les jeunes Aloliens et Aloliennes voyagent à travers les quatre îles de l’archipel. Ils doivent accomplir les différentes épreuves imposées par les Capitaines -qui sont eux-mêmes d’anciens lauréats du Tour-, pour ensuite prouver leur valeur auprès des Totems et des Kahuna en les affrontant. Enfin, je crois qu’en kantonais, vous les appelez les Dominants et les Doyens...
- Ca ressemble un peu à notre Quête des Badges, pensa Blue tout haut. Sauf qu’ici, on est autorisés à la commencer qu’à partir du lycée. » En même temps, se retrouver avec un gamin de dix ans à la tête du pays, bonjour la catastrophe...
- Ah, chez nous, nos dirigeants sont choisis par les Tapu, nos divinités protectrices, précisa son ami. En vrai, on m’avait proposé d’être Capitaine. Mais j’ai refusé, je préférais me consacrer à mes études. Mais où j’en étais… Ah oui ! En fait, à chaque victoire ou épreuve remportée, on reçoit un Z-Crystal, comme celui-là ! »

Kukui tendit le bras, pour permettre à son ami d’observer la pierre rougeoyante qui trônait sur le bracelet encerclant son poignet. Une flamme obscure ressortait de la surface du prisme embrasé, ne laissant aucun doute quant à son affinité.

« Hum… J’ai entendu parler des Capacités Z, mais je n’en ai jamais vu en action…
- Tu rates quelque chose ! C’est une attaque surpuissante, qui mobilise toute la puissance du Pokémon… Mais aussi celle du Dresseur ! Par contre, c’est un peu quitte ou double, parce qu’elle draine tellement d’énergie qu’on ne peut l’utiliser qu’une fois en combat. »

L’Alolien se tut un bref instant, avant de reprendre, un petit sourire de défi aux lèvres.

« Et si je te montrais ?
- Hein ? Quoi, là, tout de suite ?
- Pas dans le réfectoire, mais dans un combat ! Après tout, un dessin vaut mieux qu’un long discours, non ? »

Oui, alors le dessin en question risquait de faire un peu plus mal, au vu de la description qu’il lui en faisait.
Malgré l’emballement du jeune homme à la peau de cuivre, Blue secoua la tête.

« Désolé, mais je ne combats plus. J’ai plus le droit.
- T-t-t ! Objecta l’Alolien en agitant l’index, dont les yeux sombres brillaient de malice. J’ai vérifié, et tu peux parfaitement faire un match sur le terrain de la fac ! »

… Le fourbe.
Mais avant que le Kantonais n’ait le temps de protester :

« A moins… Qu’un ancien Maître comme toi ait peur de perdre face à un simple lauréat d’Alola ?
- … Bon, ok… » Soupira Blue. Difficile de résister à son enthousiasme ravageur… « Mais je doute qu’on arrive à avoir un terrain pour nous.
- Pas de soucis, j’en ai déjà réservé un ! »

Qu…! Le fumier, il avait complètement prévu son coup…

« … Avoue, ça fait combien de temps que tu planifiais tout ça ? Lui demanda-t-il alors qu’ils arrivaient sur la petite arène.
- Juste deux semaines, sifflota son ami le plus innocemment du monde. J’ai peut-être mis Impulse dans la combine, mais… »

A ces mots, le jeune homme roux adressa un regard blasé à son Voltali, lequel lui répondit d’un jappement bouffi d’orgueil, un grand sourire se devinant presque sur ses babines. Voilà qui expliquait pourquoi, dernièrement, il avait particulièrement insisté pour porter son pull “GOLDUCK, have fun!”...

« Et t’es fier de toi, en plus… » Marmonna-t-il dans sa barbe.

Une fois positionné de son côté du stade, il s’accroupit et tendit les mains vers le goupil survolté… Qui se déroba aussitôt à ses doigts en lui lançant un regard outré en voyant que son maître osait vouloir lui enlever son pull !

« Impulse. T’es un Pokémon Electrique. Stitch est un type Feu. Vous allez vous battre. J’ai vraiment besoin d’en dire plus ? »

Le renard safrané tourna la tête vers son comparse. Puis vers Blue. Puis à nouveau vers le Matoufeu. Ses yeux firent de nombreux allers-retours, comme si son esprit essayait de mesurer les risques, le pour et le contre de la situation. Finalement, à contre-coeur, il consentit à ce que le Kantonais lui enlève son vêtement adoré… Mais il avait intérêt à le lui rendre dès que c’était fini, hein !

« Par contre Kukui, on risque d’être un peu rouillés, prévint son ami une fois Impulse en place. Ca va bien faire deux ans qu’on s’est pas entraînés.
- C’pas grave ! J’ai pas non plus beaucoup pratiqué ces derniers temps. Contente-toi de donner tout ce que t’as ! »

Cette remarque ne manqua pas de faire sourire le jeune homme roux.

« Dans ce cas, ne t’attends pas à ce que je te fasse le moindre cadeau ! Mais je t’en prie, à toi l’honneur de la première attaque.
- Avec joie ! Stitch, Fire Fang ! »

L’ordre surprit Blue, mais pas pour des raisons stratégiques. Forcément, Kukui étant Alolien, il lui était plus naturel de donner ses directives dans sa langue maternelle plutôt que de prendre le temps de traduire… Sans compter qu’effectivement, peut-être que Stitch ne comprenait pas le kantonais. Bah, ça ne ferait que pimenter leur affrontement !
Le tigre d’appartement s’élança sans attendre sur son acolyte des coups fourrés. A chaque foulée, l’organe à son cou se faisait plus vif, plus ardent, jusqu’à tinter une fois le grelot devenu fournaise. La gueule du gros matou déborda de flammes éclatantes alors qu’il était sur le Voltali…

« Impulse, Hâte ! »

Le goupil survolté se ramassa sur lui-même avant de s’échapper sur le côté en un éclair. Cependant, le manque d’entraînement était flagrant : les crocs embrasés de Stitch se refermèrent partiellement sur l’arrière de la fourrure hirsute, là où il n’aurait eu aucun souci à disparaître de son champ de vision deux ans plus tôt. Fort heureusement, le petit être n’avait pas perdu toute son agilité, et son pelage ne resta prisonnier qu’un court instant, même si cela avait suffi à le roussir.
Impulse poursuivit sa course jusqu’au milieu du terrain où, prenant appui sur un de ses antérieurs, il effectua un demi-tour surprenant de souplesse. Mais il ne s’en contenta pas. Ramenant ses postérieurs sous son poitrail, il se propulsa dans les airs aussi haut que ses muscles le lui permettaient. Et, alors qu’il amorçait sa descente…

« Dard-Nuée ! »

Le dos dirigé vers le sol et son adversaire, ses épines cuivrées se dressèrent… Pour fuser sur le Matoufeu dans une pluie d’aiguilles acérées.

« Flamethrower ! »

Le crépitement de la clochette précéda le rugissement de la colonne flamboyante que le félin d’enfer cracha. Le brasier parvint à refouler la majorité des dards l’ayant pris pour cible, la plupart tombant comme des mouches dans un concert de cliquetis quand ils n’étaient pas directement réduits en cendre. Les rares survivants n’allèrent pas plus loin que se ficher dans la terre autour du gros matou.

« He’s exposed, go get him ! Fury Swipes ! »

Stitch poussa un grognement entendu en se précipitant vers le point de chute de son adversaire. Ses longues griffes d’obsidienne se déployèrent à mi-chemin, il se dressa sur ses pattes arrière, prêt à lacérer le goupil survolté dès qu’il passerait à portée…

« Double Pied ! »

Impulse joua des hanches dans les airs pour tomber droit comme un i, la croupe la première. Le voyant faire, le Matoufeu se prépara à l’impact… Mais à sa grande surprise et celle de son Dresseur, le renard l’ignora complètement. Ses postérieurs martelèrent le sol, y laissant l’empreinte de ses coussinets alors qu’il profitait de cet appui pour projeter son corps doré dans un salto arrière. Son ventre évita de justesse les poignards effilés, mais sa réception laissa clairement à désirer : il vacilla sur sa jambe de réception, le faisant basculer sur le flanc. Il se releva rapidement, mais cette erreur permit au tigre d’appartement de se rapprocher dangereusement. Par réflexe, le petit être hérissa son poil doré pour projeter une nouvelle salve d’épines qui, cette fois, réussirent à se planter dans le pelage de Stitch -juste avant que ce dernier ne l’écarte d’un coup de griffes.
Le Voltali roula au sol avant de se relever dans le mouvement. Il ne perdit pas davantage de temps, et fila rejoindre sa partie du terrain pour mettre un peu de distance entre eux deux.

« Oh non, ne crois pas t’en tirer à si bon compte ! Stitch, don’t let him breath, Flare Blitz ! »

Une gerbe de flammes s’échappa du grelot à son cou avant qu’un voile incandescent ne recouvre son corps entier. Fier de cette armure infernale, le gros matou se rua sur Impulse, bien décidé à lui porter un coup qu’il n’allait pas oublier de sitôt !
… Et c’est alors que Kukui remarqua le rictus sur les lèvres de son compère.

« Cage-Eclair ! »

L’Alolien fronça les sourcils, visiblement perplexe de l’ordre. Avec son manteau de feu, il y avait peu de chances pour que l’attaque réussisse, alors pourquoi…?
Pourtant, à sa grande surprise, les mailles d’éclairs réussirent à dissiper la protection brûlante, jusqu’à forcer Stitch à se figer sur place. Alors que le Matoufeu serrait les crocs pour lutter de toutes ses forces contre la raideur de ses muscles, Impulse se recroquevilla sur lui-même, le dos arrondi. La moindre aiguille de sa fourrure et de sa crinière se dressa, le faisant facilement doubler de volume. Un bref éclair jaillit entre les épines. Puis un autre. Encore un. Ils se faisaient plus nombreux, plus rapides chaque seconde, au point qu’il n’aurait pas été difficile de croire que l’échine du Voltali était devenue une multitude de vipères bleutées aux grésillements menaçants.
Soudain, le petit être se redressa en poussant un terrible glapissement. Les serpents fulminants fusèrent hors de leur nid en sifflant furieusement, fendirent le ciel de leurs silhouettes féroces, à la course folle. Les flèches instables s’abattirent frénétiquement sur tout le terrain dans un effroyable bruissement, frappant tout et rien à la fois. Trois d’entre elles foudroyèrent le félin d’enfer, dont les vives morsures des décharges lui arrachèrent un miaulement plaintif. Il n’eut pas le temps de se morfondre bien longtemps, cependant. Alors que sa fourrure d’encre était encore parcourue d’étincelles crépitantes, Impulse apparut comme un mirage sur son flanc. Mais la patte qui lui frappa le ventre était bien réelle, elle. Malgré son gabarit plus massif, l’impact souleva le gros matou de quelques centimètres… Ce qui permit au Voltali de lui asséner un deuxième coup dans les côtes, le projetant de son côté du terrain.

« Stitch ! s’écria Kukui alors que son Pokémon finissait sa course à quelques mètres de lui. Are you okay ? »

Le Matoufeu se releva en s’ébrouant pour se débarrasser des dernières particules électriques. Il secoua la tête, avant de la tourner vers son humain en poussant un miaulement déterminé. Ce qui ne manqua pas de faire sourire ce dernier.

« Je crois que le moment est venu, Blue ! s’exclama l’Alolien en montrant fièrement son bracelet.
- Si tu le dis, mais ne crois pas que je vais te laisser faire ! Impulse, prépare-toi ! »

Le goupil survolté poussa un grognement entendu avant de se mettre en place : croupe levée, avant du corps baissée presque à même le sol. Ses grands yeux noirs ne quittaient pas son comparse, face à lui. Il était curieux de voir ce qu’il lui réservait, mais son esprit compétitif lui dictait de rester sur ses gardes.

Le jeune homme à la peau cuivrée venait de croiser les bras sur son torse. Ce qui, contre toute attente, fit s’illuminer de mille feux le joyau à son poignet.

« Our entire bodies and entire souls get fully powered ! » Ses mains se levèrent, ses doigts mimant des flammes gagnant en intensité comme une aura embrasée sembla émaner de lui. « Like the Akala mountain, turn into hot flames and blaze forth ! » Sa main gauche se posa sur son bras droit, qui se leva vers le ciel comme pour appeler à lui la puissance de l’astre solaire… Avant d’aussitôt tendre sa paume ouverte vers le Matoufeu. Une rafale flamboyante jaillit immédiatement du cristal, s’enroulant autour de son membre pour ensuite émaner de ses phalanges en direction du félin d’enfer. Le halo incandescent imprégna la fourrure d’obsidienne tandis que les pupilles fendues du tigre d’appartement brillèrent d’un éclat redoutable.
Son grelot vibra au point de menacer de voler en éclats. La fournaise qui l’agitait déborda tant que deux ailes ardentes se déployèrent de part et d’autre du poitrail du gros matou. Les colonnes jumelles s’élevèrent jusqu’à se rejoindre au-dessus de sa gueule levée, qui semblait agir en catalyseur. Dans un grondement sauvage, les rubans éblouissants se lovèrent l’un contre l’autre, formant une sphère nourrie de leur passion torride. Le globe grossit, grossit, grossit encore pour devenir si imposant que l’on aurait facilement pu le prendre pour un météore.

« Inferno Overdrive ! »

Stitch planta ses griffes dans le sol, faisant appel à tous ses muscles pour basculer sa tête vers l’avant… Et propulser la boule de feu colossale droit devant lui.

« Impulse, maintenant ! »

Le renard safrané plia les jarrets, enfonçant ses coussinets dans la terre. Et il bondit vers l’avant. Il courut droit devant lui. Droit sur le bolide infernal qui lui fonçait dessus. Mais à chaque centimètre avalé, un éclair secouait ses aiguilles dorées. A chaque muscle mobilisé, une flèche fulminante surgissait d’un des dards dispersés sur le terrain pour le frapper de plein fouet. A chaque morsure électrifiée, son petit corps semblait s’allonger alors qu’il gagnait en vitesse. Tant et si bien qu’en l’espace d’une fraction de secondes, on aurait dit que ses pattes ne faisaient plus qu’effleurer le sol sans même y laisser la moindre empreinte. Ventre à terre, il se dirigeait sans aucune hésitation sur le projectile phénoménal.

Une telle chaleur exhalait de l’astre qu’il brûlait la terre avant même de l’atteindre, ne laissant qu’une traîne bouillante dans son sillage. Son volume était tel qu’il occupait tout l’espace du terrain. Aucune échappatoire n’était possible. Et ce pauvre inconscient qui osait le braver ne manquerait pas de se faire avaler par le brasier ambulant.

L’impact était imminent.

Quand soudain.

Le Voltali se laissa glisser au sol.
Le corps aussi étiré que possible, il se faufila dans l’interstice infime qui subsistait entre la sphère et le terrain. Sa fourrure effleura le soleil miniature, ses épines tutoyèrent sa surface magmatique qui expulsèrent des bourrasques bouillonnantes. Les tenailles rouges cherchèrent à emporter le goupil survolté avec elles, s’immisçant dans ses épines, lui mordant la peau, dévorant l’or de sa fourrure.

En vain.

La boule de feu poursuivit sa route, arrachant ses pièges qui hurlèrent leur colère de voir leur proie leur échapper ainsi. L’astre ne s’arrêta qu’au point de départ d’Impulse. Se résorba un instant… Avant d’exploser, dans une éruption tonitruante qui régurgita une déferlante incendiaire.
Mais le renard safrané n’attendit pas que la fournaise le rattrape.
Il s’était aussitôt relevé une fois le danger passé, poursuivant sa folle échappée sans avoir perdu ne serait-ce qu’une once de sa vitesse accumulée jusqu’alors. Les liens de foudre se firent si nombreux qu’ils se muèrent en une véritable cuirasse crépitante, qui recouvrait chaque parcelle du petit être. Pourtant, malgré leurs bruissements orageux, Impulse percevait le rugissement sinistre de la vague infernale qui progressait dangereusement derrière lui.

« Eclair Fou ! »

Le goupil survolté baissa la tête, l’empêchant de voir l’expression abasourdie de son comparse et son maître. Ses pattes arrière se glissèrent sous son poitrail, il se recroquevilla furtivement.
Pour se détendre d’un coup.
Tout son corps percuta son adversaire de plein fouet, en véritable boulet de canon hérissé et électrifié. Le Matoufeu fut projeté vers l’arrière. Vola sur plusieurs mètres. Atterrit brutalement au sol. Et ne se releva plus.

« … Wow, » lâcha finalement Kukui en s’accroupissant auprès de son Pokémon pour le soigner. Impulse, lui, était retourné auprès du Kantonais en paradant fièrement… Avant de filer retrouver son pull chéri. « Effectivement, t’as pas volé ta victoire en Ligue, c’est la première fois que je vois quelqu’un contourner un Z-move comme ça !
- Et encore, là c’était un peu brouillon, atténua son ami en lui tendant une Ceriz. Au meilleur de notre forme, Impulse arrivait à enchaîner les acrobaties, ce qui avait le don de le rendre imprévisible avec sa vitesse.
- Ouais, je pense que tu m’aurais étalé avec encore plus de facilités ! Mais tu m’as vraiment surpris, je m’attendais pas à ce qu’Impulse soit autant porté sur le corps à corps.
- C’est que… Attends une seconde. »

Dans un soupir amusé, Blue se baissa alors que le renard safrané, son vêtement autour de la tête, avançait en zigzaguant de façon ridicule. Il poussa un petit jappement une fois tous les trous en place, pour ensuite filer à la rencontre de son complice des coups fourrés.

« En gros, tout le monde pense aux attaques à distance en voyant un Voltali, commença le jeune homme roux. Impulse n’est pas en reste, je lui ai appris quelques attaques pour avoir un peu plus de diversité au combat, comme Ball’Ombre ou Rayon Signal. Mais ce que beaucoup de gens oublient, c’est que le gros point fort d’un Voltali, c’est sa vitesse.
- Oublier ? répéta l’Alolien en fronçant les sourcils. J’ai du mal à te suivre…
- C’est simple : comparé à beaucoup d’autres Pokémon, un Voltali n’a pas beaucoup de puissance physique. Donc, une attaque au corps à corps ne sera a priori pas très efficace… En revanche, si tu lui laisses prendre de l’élan, sa vitesse compense son manque de force et il peut alors délivrer des attaques avec autant de punch qu’un Luxray ou un Elékable. C’est notamment pour ça que je lui ai demandé d’utiliser quelques Hâte.
- Hum… Effectivement, maintenant que tu le dis, ça parait logique… Acquiesça Kukui. Par contre, comment t’as fait pour passer mon Boutefeu avec ta Cage-Eclair ?
- Grâce à ceci ! »

Il se baissa avant de montrer la petite épine dorée qu’il venait de récupérer.

« De base, les Voltali n’émettent pas énormément d’énergie électrique. Mais leur fourrure stocke les ions négatifs, ce qui leur permet de lancer des décharges puissantes, comme le Coud’Jus de tout à l’heure. C’est ce qui m’a donné une idée : en utilisant Dard-Nuée, mon but n’est pas vraiment de faire mal à l’adversaire, mais d’avoir des dards qui restent accrochés à eux. Comme ça, lorsque Impulse libère sa foudre, elle est attirée par les dards à proximité. Ce qui lui permet d’à la fois compenser le manque de précision d’une Cage-Eclair et d’avoir une autre attaque alimentée par un voltage plus important.
- Ce qui explique tous ces arcs électriques qui partaient des dards quand tu préparais ton Eclair Fou…» Raisonna son ami en hochant la tête.

Il fixa le renard safrané et le félin d’enfer devant lui, en lissant son bouc brun. Impulse tirait la langue en haletant. Visiblement, son coup de chaud du combat le rattrapait, mais il refusait de quitter sa laine.

« En fait… Ce que tu me décris me fait un peu penser aux Z-moves, en un sens…
- Hein ? Comment ça ? » Il avait du mal à faire le rapprochement entre ses stratégies et une attaque surpuissante provoquée par un caillou. Tout à leur conversation, ils ne remarquèrent même pas que la petite Goupix d’Alola venait de se matérialiser à leurs pieds.
- Dans les deux cas, c’est le Dresseur qui parvient à exploiter tout le potentiel de son Pokémon. Pour toi, ça passe par une réflexion qui met à profit toutes les capacités d’Impulse, par exemple. Pour les Z-moves, c’est le Z-Crystal qui sert de catalyseur pour transmettre la volonté et la force du Dresseur à son Pokémon… »

Un éclair traversa alors ses pupilles brunes.

« Mais oui ! C’est ça ! s’écria brusquement l’Alolien en claquant des doigts.
- De ?
- Pour la thèse ! Je crois bien que tu viens de me donner une idée de sujet ! L’influence de l’Humain sur le potentiel du Pokémon, ou quelque chose dans le genre !
- Effectivement, y’a matière à faire, approuva son compère. Tu peux même ajouter la Méga-Evolution dans le lot.
- Hum… C’est vrai… Mais je pense que ça ferait un sujet un peu trop large. Non, je pense que je vais me concentrer sur les attaques classiques, ça devrait déjà être plus que suffis -Lilo, NON ! »

Trop tard.
La goupil immaculée venait d’exhaler un de ses fameux souffles glacés, ensevelissant le Voltali en surchauffe sous un tas de neige. Lequel, une fois la surprise passée, se mit à gémir. Ca allait ruiner son pull !

***
« Oui… D’accord, je vois… Non, non, c’est déjà bien, t’en fais pas. A plus ! »

Blue raccrocha. Posa son PokéMatos sur un des nombreux livres ouverts et étalés sur la table basse. Avant de plaquer ses mains sur son front en poussant un gémissement désespéré.

« Ben alors, qu’est-ce qui t’arrive ? » s’étonna l’Alolien.

Il lui tendit une brique de Choco Skitty qu’il était allée récupérer dans la cuisine, en sirotant lui-même une alors qu’il s’accoudait au dossier du canapé.
Depuis le mois de Mars, leur promotion avait quartier libre tous les jeudis et vendredis pour pouvoir travailler pleinement sur leurs thèses. Mais si la plupart des étudiants passaient leur temps enfermés dans la bibliothèque fournie de l’université, les deux compères avaient préféré venir se réfugier chez le Kantonais. Non seulement pouvaient-ils discuter et débattre à loisir sans craindre de déranger les autres, mais en plus, personne ne venait les importuner pour pouvoir ensuite se vanter d’avoir adressé la parole au petit-fils du célèbre Professeur Oak. Sans compter qu’ils pouvaient emprunter toute la documentation qu’ils souhaitaient et qu’en tant que thésards, ils avaient la priorité sur les ouvrages les plus sollicités.

« Je viens d’avoir Lorelei, soupira Blue en perçant l’opercule de la briquette avec la paille. Je lui avais demandé de se renseigner sur l’évolution de la population de son groupe de Lokhlass.
- Et alors ? »

Il but une longue rasade de la boisson crémeuse avant de répondre.

« Alors… Elle n’a qu’une estimation sur quelques années, avec des creux entre les saisons. Ce qui est logique, vu qu’elle n’a commencé à sérieusement s’en préoccuper qu’à partir du moment où elle est devenue Conseillère. Ce qui va faire quoi, peut-être six ou sept ans maintenant ? Et même là, elle n’a pas forcément renseigné le nombre de membres, vu qu’elle était seule à s’en soucier. Elle fonctionnait surtout avec ses propres observations d’une année sur l’autre…
- Sauf que ça ne suffit pas… Compléta Kukui en hochant la tête. Et pour les autres endroits que t’as contactés ? »

Le jeune homme roux désigna d’un geste las toute la documentation éparpillée sur la table basse.

« Chou blanc ! A Sinnoh, ils ont effectivement repéré un groupe dans leurs eaux… Sauf que lorsqu’ils ont voulu estimer leur itinéraire, ils se sont rendus compte que leur Route Victoire avait l’air d’être leur destination. Ils ont fouillé la zone pendant des années sans rien trouver. La seule piste qu’il leur reste, c’est un coin de la grotte si hostile que leur Ligue a été obligée d’en condamner l’accès. Et bien sûr, leur Conseil a autre chose à foutre que de mobiliser un ou plusieurs de leurs membres pour accompagner une expédition scientifique… »

Ses doigts passèrent sur un autre rapport, surligné et griffonné au possible.

« Unys avait l’air prometteur au début, avec une colonie importante au Pont du Hameau…! Sauf que je trouvais ça bizarre que ce groupe ait une population très constante. Surtout, il reste fixe à cet endroit-là, alors que tout le coin vers Flocombe devrait être leur territoire pour l’été. Et effectivement, c’était trop beau pour être vrai… En fouillant un peu, j’ai trouvé ce vieil article. »

Le jeune homme à la peau cuivrée plissa les yeux devant l’encadré que son ami lui tendait. Le papier jauni relatait comment le fondateur du Hameau avait acheté deux couples de Lokhlass afin d’assurer la liaison entre les deux rives du fleuve Sweet Veil.

« Oh… Donc c’est comme un élevage qui appartient à la ville, c’est ça ? »

Blue hocha la tête.

« Je dis pas que ça peut pas m’être utile, mais c’est pas dans le coeur de mon sujet…
- Et Kalos ? Tu m’avais pas dit que t’avais une piste ?
- Si… Mais, comme pour Sinnoh, y’a un os. L’endroit où on soupçonne qu’ils sont est connu pour être instable niveau climat. Une brume épaisse a tendance à s’y former, et comme si ça suffisait pas, elle détraque tous les appareils électroniques à portée. A croire qu’ils ont le don de se réfugier aux endroits les plus inaccessibles pour les humains…
- Hum… Finalement, peut-être que c’est effectivement la présence de Tapu Fini qui rend les nôtres si sereins, fit remarquer Kukui.
- Je commence à le croire, ouais… »

Il saisit tout un gros dossier un peu poussiéreux.

« Je suis même allé récupérer toutes les données du zoo de Parmanie sur eux, quitte à me faire engueuler par Lorelei… Mais rien. Tout ce que j’ai, ce sont des infos générales au possible que j’aurais tout aussi bien pu trouver sur le net en deux clics… »

Il laissa retomber son bras. Le classeur rebondit dangereusement sur le coussin, mais réussit à rester dessus en équilibre précaire. Il commençait sérieusement à comprendre le désespoir de la Conseillère pour ses protégés, au vu des difficultés qu’il avait à simplement obtenir un aperçu de leur situation globale…

« … Pourquoi t’essaierais pas de demander de l’aide ? lui suggéra son ami.
- C’est déjà ce que j’ai fait avec Lorelei, je te signale.
- Oui mais… Peut-être que c’est pas la bonne personne à qui il faut que tu t’adresses. »

Blue le dévisagea, les sourcils froncés. Avant d’écarquiller les yeux.

« Non ! protesta-t-il vigoureusement. C’est hors de question !
- Pourquoi ?
- Je refuse de lui demander quoi que ce soit, encore moins de l’aide là-dessus !
- Pourtant, ce serait la meilleure chose à faire ! T’as clairement un problème de méthodologie, t’as besoin de conseils ! Et qui de mieux pour t’en donner que…
- Justement ! siffla le jeune homme roux. Dès l’instant où il touchera mon papier, ce ne sera plus mon travail ! Tout le monde verra ça comme étant une énième recherche du célèbre Professeur Oak, avec son petit-fils qui l’aura vaguement assisté !
- … Je te trouve un peu pessimiste, pour le coup.
- Non, réaliste, corrigea-t-il. Je sais très bien comme ça va se passer. Et même si par un quelconque miracle c’était pas présenté comme ça, on me comparerait quand même à lui. Ou on dirait simplement qu’il m’a pistonné pour entrer dans le monde de la recherche.
- Mais… C’est pas du piston ! protesta l’Alolien. Sinon, à ce compte-là, tu m’as pistonné quand tu m’as permis de rencontrer l’une de vos Championnes pour mes propres recherches !
- C’est pas pareil. Erika est une amie de Daisy, et si ça pouvait te rendre service...
- D’accord. Alors, pour toi, le fait que je demande des conseils à mon Oak sur l’approche à adopter ou la façon de rédiger, c’est du piston ?
- Ben non ! C’est ton mentor, normal que Gruncle Samson t’aide !
- Alors c’est quoi la différence ? »

Blue ouvrit la bouche pour répondre… Et demeura sans voix.

« … La différence… »

Il serra les dents. Se passa une main sur le visage. Comment formuler ça…?

« … La différence, c’est que je me vois mal lui demander de l’aide alors que la dernière fois que je l’ai vu, je lui ai un peu explosé à la gueule…
- … Ca va faire combien de temps ?
- … Deux ans et demi…? Un peu plus, peut-être ? Mais il est jamais venu s’excuser -et c’est pas à moi de le faire !
- J’ai pas dit le contraire, mais… Est-ce qu’au moins, tu lui en as laissé l’occasion ? »

Il croisa les bras, dévia le regard.

« … Je vois… » Le jeune homme à la peau cuivrée se tut, le temps de finir sa briquette de Choco Skitty. « Tu crois pas que ce serait l’occasion ? ‘Fin, j’veux pas me mêler de ce qui me regarde pas, mais tu pourrais déjà aller le voir de chercheur à chercheur. Après tout, quoi de plus normal que de vouloir s’adresser aux experts dans leur domaine pour être sûr d’avoir les données les plus justes et précises qui soient ? Et je veux pas non plus sonner comme tous les autres, mais reconnais que là-dessus, t’as l’avantage d’avoir un contact privilégié avec la plus grande sommité scientifique de tout Kanto -voire de Tohjo. C’est pas donné à tout le monde. »

L’Alolien s’interrompit enfin. Il avait un peu joué quitte ou double, pour le coup… Mais vu que son ami ne partait pas au quart de tour -contrairement à toutes les fois où il avait assisté, médusé, à son brusque changement d’attitude, surtout en présence de sa soeur-, il avait l’impression que ses mots avaient résonné en lui…

Au bout de longues minutes d’un débat silencieux, Blue finit par récupérer son PokéMatos. Jeta un oeil dessus. Puis, dans un grand soupir, il se leva.

« … T’as peut-être raison…
- … Attends, t’y vas maintenant ?
- S’il a pas trop changé son emploi du temps, normalement il devrait être dispo à cette heure-là. Et je préfèrerais éviter de me farcir les réflexions de Daisy. »

Il passa devant l’escalier, poussa un bref sifflement en direction de l’étage. Aussitôt, un branle-bas de combat se fit entendre, alors que trois petits êtres cavalèrent jusqu’en bas des marches. Impulse leva ses grands yeux brillants vers son maître en penchant la tête, étonné d’avoir été appelé. Il était évident que le renard safrané avait eu une certaine influence sur les deux Pokémon de Kukui puisque, désormais, le Matoufeu arborait une petite paire de lunettes d’aviateur sur le sommet de son crâne quand Lilo, elle, exhibait un délicat ruban aux douces teintes pastel autour de son cou.

« A-attends ! s’écria le jeune homme à la peau cuivrée comme son ami enfilait sa veste. Qu’est-ce que je lui dis si elle rentre avant toi ?
- Improvise, dis-lui que je suis allé chercher un truc à bouffer. Chuis sûr que tu vas trouver.
- Mais elle va me cramer direct ! Blue ! » Voulut-il le retenir.

Clac ! La porte d’entrée se referma, laissant un Kukui désemparé dans le vestibule.

« Elle va me tuer… » Se lamenta-t-il.

***
Les rues du centre de Bourg Palette étaient bien paisibles en ce début d’après-midi de printemps. La plupart des habitants étaient retournés travailler après leur pause déjeuner, et c’était à peine si quelques véhicules se croisaient. Tant mieux, songea Blue. Il avait moins de risque de tomber sur des personnes qu’il connaissait. Surtout qu’il n’avait pas vraiment envie de commencer une discussion avec une vague connaissance.
Comme ses pas l’amenaient vers les abords de la ville, les passants se firent plus rares encore. En revanche, Impulse, lui, devenait plus excité à chaque mètre parcouru. Il reconnaissait sans peine la route que son maître était en train d’emprunter. Un itinéraire qu’ils n’avaient plus pris depuis plus de deux ans. Si bien qu’il finit par sauter partout comme un Cabriolaine, gambadant joyeusement autour du jeune homme roux au bout d’une dizaine de minutes, et aucune des tentatives de ce dernier pour le calmer n’eut l’effet escompté.

Mais ça, ce ne fut rien comparé à sa réaction lorsqu’ils arrivèrent en vue de la butte. Le Voltali fila sur le chemin de terre en soulevant un nuage de poussière, laissant derrière lui le Kantonais bien trop lent à son goût. Lequel poussa un petit soupir découragé avant de lever les yeux vers le bâtiment qui les surplombait.
Il n’y avait pas à dire, le laboratoire se situait vraiment à un emplacement idéal. Il trônait sur une colline un peu à l’écart des dernières habitations, à la limite de l’agglomération. Les pales de la grande éolienne du toit pivotaient tranquillement, portées par la brise légère. Petit, il en avait eu une peur bleue pendant des mois. Tout ça parce que Daisy lui avait fait croire que c’était cette espèce de moulin bizarre qui générait le vent, et que s’il n’était pas sage, il tournerait si fort qu’il le ferait s’envoler dans les airs.

Le jeune thésard se fit accueillir par un jappement impatient de son renard safrané lorsqu’il arriva enfin à hauteur de la haie délimitant l’entrée de l’édifice. Impulse piaffa fébrilement comme, d’un geste indécis, Blue approcha son doigt de la sonnette…

Mais s’immobilisa à quelques centimètres du bouton, sous le regard ahuri de son Pokémon. Non. Il n’arrivait pas à s’y résoudre. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas se faire à l’idée de se présenter comme ça, comme un Joliflor, pour lui demander conseil sur un truc professionnel en ignorant tout le contexte. Il avait été idiot de croire une seconde les paroles de Kukui. C’était bien beau de croire que de l’eau avait coulé sous les ponts. Mais quand ceux-ci avaient été coupés de façon si brusque, et qu’il avait en plus saboté toute tentative de reconstruction… Ca ne pouvait pas être aussi simple que ça.
Il ramena son bras à lui en secouant la tête. Entreprit de tourner les talons…

Mais ne put faire un seul pas.
Impulse s’était mis en travers du chemin, la frimousse sévère. Il poussa un grondement sourd en voyant son maître essayer de le contourner -il fallait avouer qu’il n’avait pas vraiment le gabarit pour réellement bloquer le passage-, alla jusqu’à le frapper d’un bref éclair.

« Aïe ! s’exclama Blue en frottant sa main endolorie. Mais qu’est-ce qui te prend ! »

Le Voltali grogna en guise de réponse. Non, pas cette fois ! Il l’avait soutenu pendant toute sa dépression. Pendant toutes ses phases les plus sombres. Mais là, il était hors de question qu’il renonce alors qu’il progressait enfin, qu’il commençait à tourner la page !
Son maître fronça les sourcils. S’il voulait passer outre l’entêtement de son Pokémon, il n’avait qu’une solution. Il plongea la main pour refermer ses doigts sur son point faible : son pull. Il souleva le goupil survolté de terre pour le porter à son visage, lequel le dévisagea d’un air horrifié en se débattant. Non mais c’est qu’il allait le lui abîmer, cette andouille !

« Impulse, ça suffit ! T’arrêtes les conneries, et on r…! »

Sa phrase se fit emporter par le bruit caractéristique d’une porte qui s’ouvrait. Il se figea, relâchant suffisamment sa poigne pour permettre au renard safrané de s’extirper de là -et dont le premier réflexe fut de vérifier s’il n’avait pas étiré les mailles.
Deux petites filles, qui ne devaient pas avoir plus de dix ans, sortirent du laboratoire en courant. Elles riaient gaiement, serrant dans leurs bras un Evoli et un Pikachu qui ne devaient pas avoir plus de quelques mois.

« Rappelez-vous les filles ! s’écria une voix féminine depuis le couloir. Ce ne sont pas des jouets ou des poupées, il faut que vous en preniez soin !
- Oui madame ! répondirent les gamines à l’unisson. Merci encore ! »

Elles s’éloignèrent rapidement, sous le regard bienveillant de la jeune femme. Celle-ci allait fermer la porte… Quand elle remarqua enfin le Kantonais.

« Je peux vous... aider…? » Commença-t-elle.

Sa voix s’atténua à mesure qu’elle reconnut qui se trouvait devant elle. Ses yeux s’écarquillèrent, elle porta une main à sa bouche ouverte.

« Non, c’est b... Chercha-t-il à désamorcer.
- Par Arceus… B-Blue ?! Je… Ca alors ! Je ne savais pas que tu venais ! »

Moi non plus, se retint-il de répondre en foudroyant son Voltali du regard. Lequel paraissait beaucoup trop fier de lui.

« Entre, je t’en prie !
- Je…! »

Le temps que son esprit tente d’échafauder une excuse éventuelle, il se trouvait déjà dans le salon.

« Ton grand-père est en train de ranger un peu le labo à l’étage, je vais le prévenir !
- Non, c’est vraiment pas la peine… ! »

Mais l’assistante avait déjà disparu dans l’escalier. Il poussa un soupir, avant de rejoindre Impulse qui s’était déjà installé sur un des canapés.
Ca lui en coûtait de l’admettre, mais l’atmosphère de cette pièce lui avait manqué. Elle avait un côté à la fois studieux et douillet, avec ses bibliothèques tapissant les murs orangés et son carrelage bleuté dissimulé par un large tapis. Combien de fois avait-il joué ici avec Daisy, à prétendre que la carpette rougeoyante était le cratère en fusion de Cramois’Île -et où sa soeur n’hésitait jamais à le pousser à terre dès qu’elle trouvait qu’il lui bloquait le passage ou était juste un peu trop lent- ? Combien d’heures était-il resté assis sur ces mêmes canapés, à parcourir toutes les encyclopédies de Pokémon, à lire les légendes d’ici et d’ailleurs, à s’imaginer les créatures qu’il aurait un jour à ses côtés ? Il se souvenait encore de son émerveillement lorsque son grand-père lui avait appris qu’il avait écrit la plupart des ouvrages présents sur les étagères. Du haut de ses cinq ans, il avait toujours été son modèle. Son idéal. A partir de quand avait-il cessé de l’être ? Même Blue aurait été incapable de donner une réponse claire.

Des pas précipités dégringolèrent l’escalier. Inconsciemment, le jeune homme roux se crispa en reconnaissant la démarche. Son habitude de sauter la dernière marche -qui, un jour, lui vaudrait de se casser les reins s’il ne faisait pas attention avec l’âge. Il se leva lentement. Déglutit difficilement. Et se retourna.
Professeur Oak était immobile, au pied des marches. Il paraissait en forme, si ce n’était avec beaucoup plus de rides et une chevelure plus claire que dans son souvenir. Vêtu de son habituelle blouse blanche, reprenant son souffle de sa cavalcade, il le dévisageait de ses yeux ahuris. Comme s’il n’arrivait pas à croire ce que ses rétines lui transmettaient.

Le silence pesant aurait duré plusieurs minutes sans que l’un ou l’autre n’ose faire le premier pas si Impulse n’avait pas brisé la glace.
Sans se soucier le moins du monde de la gêne de la situation, le renard safrané poussa un jappement réjoui. Il se précipita jusqu’au vieil homme pour lui sauter dans les bras, frottant sa frimousse contre son cou, lui léchant le visage.

« Ou-oui, oui ! Moi aussi, je suis content de te revoir, Impulse ! » répondit l’érudit en essayant de calmer ses ardeurs.

Le petit être retourna sur le sol… Pour aussitôt le fixer de ses grands yeux brillants, la langue pendante. Le vieux chercheur ne put s’empêcher de sourire, alors qu’il ouvrit le placard d’une des étagères pour en sortir une jarre remplie de biscuits.

« Je vois qu’il ne perd pas le Nord, » s’amusa-t-il en lui jetant une friandise. Le Voltali la récupéra au vol, avant de filer la mâchouiller avec gourmandise sur le canapé.
- Moui… » Bredouilla enfin son petit-fils. A croire que c’était surtout pour ça qu’il avait tant insisté pour entrer.
- Mais… C’est nouveau, ce pull…? » Demanda-t-il en désignant la laine marquée “No SHAYMIN being BEAUTIFLY”.

Blue hocha la tête.

« Pas vraiment… Daisy lui en avait acheté un y’a quoi, deux ans ? Il était réticent à l’idée d’en porter, au début. Mais maintenant, c’est devenu une vraie fashion victim. »

Le silence retomba, et cette fois, Impulse était trop concentré sur son bonbon pour les aider.
Professeur Oak finit par se râcler la gorge.

« Je t’en prie, assieds-toi, tenta-t-il en désignant le canapé. Tu veux boire quelque chose ?
- Euh… Un thé Rosélia, si ça ne te dérange pas… »

Le ton qu’ils employaient tous les deux était si cordial qu’il aurait été difficile de les croire de la même famille, tant ils marchaient sur des oeufs. Mais vu l’omelette qui avait déjà été faite auparavant, inutile de chercher à en casser davantage.
Le vieil érudit disposa les tasses devant eux avec la théière et le sucrier. Blue ne fit pas de remarque en entendant la vaisselle qui s’entrechoquait légèrement, comme les gestes de son grand-père se faisaient tremblants. En fait, ça le soulageait même de savoir qu’il était tout aussi mal à l’aise que lui. Ils patientèrent sans un mot que l’eau s’infuse des pétales. Attendirent que le breuvage ait refroidi pour en boire une gorgée. Mais se retrouvèrent bien vite à court d’excuses pour retarder l’usage de la parole.

« … Je sais que ça doit te faire bizarre, que je vienne te voir maintenant, mais j’ai… »

Professeur Oak l’interrompit d’un geste, ce qui ne manqua pas de lui faire froncer les sourcils.

« Avant que tu ne m’expliques la raison de ta venue… Je crois que c’est à moi de parler. »

Les yeux gris du thésard se plissèrent davantage, une étincelle menaçant de s’allumer à tout moment. Il n’allait pas commencer !
Son grand-père dut remarquer son expression méfiante, car il enchaîna aussitôt.

« Je voudrais… Je voudrais te présenter mes excuses. »

Blue se stupéfia devant une telle déclaration. Il ne s’était pas attendu à ce qu’il mette le sujet sur la table aussi rapidement.

« Quand tu m’as… Dit mes quatre vérités, ce jour-là, entreprit-il d’expliquer, la tête basse. Sur le coup, je t’avoue ne pas avoir compris ta colère. Je pensais que tu exagérais, sous le coup de ta frustration d’avoir échoué. Mais après… Plus j’ai repensé à ce que tu m’avais reproché, plus je me suis rendu compte de mon attitude envers toi. »

Il releva les yeux pour regarder son petit-fils.

« Tu avais raison. »

A cet aveu, une faille fissura le carcan enserrant son coeur depuis tant d’années.

« Mon comportement à ton égard… Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer… Peut-être était-ce parce que, comme je t’ai élevé avec ta soeur, comme je t’ai vu grandir, tes exploits me paraissaient tout naturels ? Je veux dire, ils correspondaient à l’image que je me faisais de toi, à vouloir toujours relever les défis. Jamais je ne me suis posé la question de savoir si la façon dont j’agissais ou réagissais t’affectait, te blessait… Ou même de pourquoi tu avais décidé de faire tout ça. »

Le vieil homme s’était mis à jouer avec ses doigts noueux, trahissant le poids de toute sa culpabilité accumulée ces dernières années. En face, chacun de ses mots contribuait à fragiliser les entraves de l’esprit du jeune Kantonais.

« Et j’ai aussi compris d’où venait ton amertume envers Red. Ce n’était pas tant lui que tu méprisais que toi qui souffrais de voir qu’il recevait le traitement que j’aurais dû te donner, en tant que ton grand-père. Tu essayais désespérément de me faire réagir, aussi maladroit que cela était… Mais j’ai échoué à comprendre ça. »

Un sourire triste étira ses lèvres abîmées par le temps.

« J’ai beau être un des grands esprits de notre époque, je ne suis pas à l’abri de commettre de telles erreurs. Mais à cause de ça, je n’osais pas venir te voir… Je ne voulais pas remuer davantage le couteau dans la plaie. Peut-être aussi par fierté, d’un certain côté ? J’espère que tu arriveras à me pardonner, un jour… Quoi qu’il en soit… »

Il inspira à fond. Son sourire se fit plus sincère encore.

« Je suis heureux de te revoir aujourd’hui. Et… Je sais que c’est un peu tard pour le dire, mais… Je suis très fier de toi, Blue. De tout ce que tu as pu faire par le passé, de ce que tu fais actuellement. Et de ce que tu feras dans le futur. »

Blue garda le silence. Ses dernières phrases avait achevé de lui alléger la conscience. Il se pinça l’arête du nez pour endiguer les picotements de ses iris. Tenta de ravaler la boule d’émotion qui s’était fait sentir dans sa gorge.

« … C’est… C’est tout ce que je voulais… Entendre… »

Sa main se plaqua sur ses yeux. Mais les larmes rares réussirent tout de même à se faufiler entre ses doigts. Il serra les dents. Mais fut incapable de réprimer tous les sanglots qui avaient commencé à le secouer.
Quand il sentit une présence s’installer à côté de lui. Une main hésitante se poser sur son épaule. L’amener doucement contre le buste du vieil érudit. L’inviter à poser son front dans le creux de son cou. A écouler tout le chagrin de son corps, sans crainte de jugement.

***
Les terrains d’entraînement de l’Université d’Argenta étaient méconnaissables.
Près d’un millier de parents et autres membres familiaux étaient assis en rang sur des chaises, face à une estrade de bois suffisamment grande pour accueillir la petite centaine d’étudiants de la promotion. Le fond avait été dégagé pour improviser une piste de danse et un buffet bien garni, où tous pourraient se restaurer une fois la cérémonie achevée.
Mais pour le moment, les futurs diplômés devaient patienter derrière la scène que leur nom soit annoncé pour qu’ils se présentent à l’assemblée.

« Pourquoi tu stresses comme ça ? soupira Kukui en voyant son ami qui n’arrêtait pas d’enlever, remettre et repositionner sa coiffe noire. Zen un peu !
- J’ai l’air complètement ridicule avec ça…
- Si ça peut te rassurer, on l’est tous. Et après, on se moque des tenues traditionnelles aloliennes… »

Sa remarque réussit à lui arracher un très faible ricanement. Bon, c’était déjà mieux que rien. Cependant, le Kantonais était toujours aussi agité. Il jetait des coups d’oeil nerveux en direction du public, grimaçait.

« … Et s’il est pas là…?
- Ca fait déjà cent fois que tu psychotes là-dessus, fit le jeune homme à la peau de cuivre en levant les yeux au ciel. Il t’a promis qu’il viendrait, non ?
- Oui… Mais il était pas avec Daisy et Toriel quand elles sont arrivées…
- Parce qu’il a eu une réunion d’urgence avec le Conseil, je sais, j’étais là quand Daisy l’a dit. Mais il faut vraiment que t’arrêtes de te prendre autant la tête pour ça, sinon tu vas finir par attirer un Palossand -je veux dire, un Trépassable. Ce qui serait le comble, en pleine ville et à des kilomètres de la plage la plus pr…
- Kekoa Kukui, appela Professeur Maple, pour son travail sur l’influence humaine sur les capacités Pokémon !
- Ah, c’est à moi ! Allez, à tout de suite ! Et ne t’effondre pas sur place sans moi ! »

L’Alolien grimpa les marches, et disparut derrière le rideau dissimulant l’estrade. Laissant son ami seul parmi la foule d’étudiants. Il n’avait même pas son renard safrané avec lui pour lui remonter le moral, vu qu’ils avaient préféré laisser leurs Pokémon en compagnie de sa soeur.
Fort heureusement pour Blue, Chloé avait été une des premières appelées. Sans ça, Arceus seul savait ce qu’elle aurait été capable de lui soutirer au vu de sa faiblesse actuelle…

Les étudiants disparaissaient les uns après les autres. Le jeune homme roux aurait été incapable de dire si une éternité ou une fraction de seconde s’était passée quand, enfin, son nom fut prononcé.

« Blue Oak, pour son travail sur l’élaboration d’un programme de protection pour les Lokhlass. »

Il s’approcha comme un automate des marches. Inspira un grand coup… Et monta sur scène.

Sur toute la poignée de mètres qu’il dut parcourir pour rejoindre son enseignante, il se retint de regarder vers l’assemblée. Les pupilles fixées sur Professeur Maple debout devant son micro, il s’arrêta face à elle. D’une main nerveuse, il récupéra le rouleau de papier, marqué du sceau aux yeux clos de l’incarnation du Savoir. D’une voix vacillante, il remercia l’érudite, qui lui répondit en hochant la tête avec un sourire.
Et enfin… Il tourna la tête.

Pour voir Toriel, émue aux larmes de voir son petit Férosinge être récompensé ainsi, qui s’essuyait les yeux avec un mouchoir.

Pour voir Impulse, affublé de son pull “Because I’m HAPPINY”, qui avait l’air à la fois content de voir son maître sur l’estrade, et déçu de ne pas avoir encore le droit d’aller se servir sur le buffet.

Pour voir Daisy, un grand sourire aux lèvres, qui lui fit un clin d’oeil en levant le pouce.

Et pour le voir. Lui. Son grand-père. Assis en ignorant toutes les paires d’yeux curieux qui le dévisageaient avec admiration. Qui le regardait avec une joie sincère. Avec une fierté incontestable de voir son petit-fils récompensé à la hauteur de ses efforts.

Cette fois, il était là.