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GREAT WARS T.1 : All men dream, but not equally de Eliii



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Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 29/11/2017 à 13:49
» Dernière mise à jour le 29/11/2017 à 13:51

» Mots-clés :   Action   Alola   Guerre   Mythologie   Présence d'armes

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24- Advienne que pourra
« N'interrompez jamais un ennemi qui est en train de faire une erreur. »
— Napoléon Bonaparte (1769 - 1821) —


* * *


Le jeune homme referme doucement la porte derrière lui dans un grincement à peine audible ; il serait peut-être temps de huiler un peu les gonds du battant, autrement le général viendra se plaindre que sa porte émet des sons désagréables.

Stan Waller a du mal à dissimuler son soulagement une fois seul dans le couloir. Ce n'est pas qu'il se met à détester son travail, non. Il sait que certains ont un poste nettement moins enviable, alors que lui peut s'avouer satisfait de dormir dans un vrai lit, et de vivre dans un hôtel plus que convenable.

Non, le problème, c'est le général Jackson. Depuis qu'il a appris la mort de sa fille, on ne dirait plus le même homme. Il s'efforce de faire régner l'ordre parmi les militaires, mais plus comme avant. C'est une ombre, maintenant, en somme. Une ombre au pas lourd et à la voix faussement assurée.

Chaque fois qu'il quitte son bureau pour prendre une pause, le sergent se demande s'il n'est pas en train de fondre en larmes de l'autre côté de la porte. Il pourrait rester à côté pour écouter, mais à quoi bon ? Ça ne servirait qu'à confirmer ce dont il se doute déjà.

Le supérieur qu'il a tant admiré n'est plus le même. La superbe a laissé place à l'égarement, voilà tout.

L'aide de camp du général marche à grandes enjambées dans les couloirs encore calmes. Quelques silhouettes passent ici ou là, mais c'est tout. Il ne les regarde pas, se contente de les saluer d'un hochement de tête mou et informel, en espérant que ce ne sont pas des colonels. Aujourd'hui, il ne veut pas rendre de comptes.

Le bruit des bottes contre les marches de l'escalier, les quelques murmures lointains qui lui parviennent, la caresse du vent et l'odeur de la mer, ce sont tant de facteurs qui s'accumulent et se mélangent pour former une spirale dans laquelle il se sent perdu.

Il est peut-être juste fatigué. C'est vrai qu'il ne dort pas beaucoup, et encore moins depuis la fin de la bataille et cette fichue mauvaise nouvelle, qui a cassé une ambiance déjà fragile.

Maintenant, aucun soldat ne sait sur quel pied danser en croisant le grand bonhomme au détour d'un couloir, les yeux rouges et l'haleine chargée de relents de vieux whisky. Il ne manque plus qu'un appel téléphonique bien placé, et le ministère sera au courant.

Ce n'est peut-être pas plus mal, en y pensant. Que les bureaucrates arrogants d'en haut viennent mettre leur grain de sel... Une fois Jackson remplacé, peut-être que quelqu'un de plus capable prendra le relais, règnera efficacement sur l'état-major et se débarrassera de cette guerre en un tournemain.

Oui, peut-être que c'est ça, la solution. Le jeune homme en a le cœur serré, évidemment. Dans sa tête, Jackson représente encore un peu le héros qu'il a toujours voulu être, un homme fort et déterminé qui fait valoir son point de vue avec force et fierté. Mais maintenant qu'il a perdu sa fille, le tableau idyllique commence à s'effacer.

La perspective d'un changement s'annonce déjà comme une solution plausible, et même recommandable. Après tout, qu'est-ce qu'on gagne à laisser en poste un type à moitié baigné dans ses larmes et dans l'alcool, quand tout un tas de généraux attendent bien sagement dans les locaux du ministère ?

Bien sûr, même s'il est peut-être le seul à en avoir eu l'idée — qu'en sait-il ? —, il n'osera jamais en parler. Par loyauté envers Jackson, oui, mais aussi par peur. On peut le traduire en justice pour quelque chose d'aussi simple que des paroles de travers.

Il sait bien à quel point les tribunaux militaires tiennent à leur honneur.

Arrivé devant la double-porte vitrée de la salle de repos, il s'arrête, le temps de s'interroger sur son allégeance. Il est vrai que le doute commence à s'insinuer en lui... Mais rien que de penser à l'idée qu'il peut-être un maudit opportuniste, ça lui remue l'estomac. Il pousse lentement l'un des battants, et entre dans la pièce, décidé à ne plus y penser.

L'habituelle odeur de cigarette, mêlée aux effluves marins qui passent par les vitres ouvertes de la véranda, flotte dans l'air. Cette atmosphère familière, chargée de conversations plus ou moins fortes et enjouées, le détend ; les voilà relégués dans un coin, les problèmes.

Il prend le temps de laisser courir son regard sur ce qui l'entoure, pour bien prendre la mesure de sa chance. Ça aurait pu être lui, dans le désert. Mais non. Il est bien là, entre les étagères à livres, les fauteuils en cuir de luxe, les tables en ébène, les jeux de cartes et les plateaux d'échecs, et puis le bar dans un coin, avec ses tabourets et un serveur courageux qui n'a pas voulu déserter.

Stan Waller s'autorise un sourire, le premier sincère depuis un moment ; puis hausse les sourcils en reconnaissant la silhouette mince et sportive de sa sœur, et puis ses cheveux mi-longs désordonnés. En quelques pas, il la rejoint.

Assise sur une chaise en bois, juste devant une petite table pourvue d'un plateau d'échecs, elle semble jouer contre elle-même. Il est vrai qu'elle a toujours adoré ce jeu de réflexion. Le jeu de prédilection des généraux, puisqu'il s'agit peu ou prou de la même chose que l'élaboration d'une stratégie de guerre.

« Je peux m'asseoir ? »

Il n'attend cependant pas d'autorisation pour s'exécuter, se posant nonchalamment à l'envers sur une chaise, les bras pendant sur le dossier. Face à lui, Stella garde les yeux baissés.

« Où est ton camarade... Jonson ?
— Sorti. Je crois qu'il voulait acheter un truc pour sa gamine, mais avec les services postaux bloqués... »

Le petit frère hoche la tête, un peu rassuré ; il n'apprécie pas beaucoup Clyde, parce qu'il l'intimide un peu, et surtout qu'il n'a pas vraiment l'air du genre recommandable. Mais c'est peut-être car sa sœur est plus proche de ce pilote blasé que de sa propre famille...

Nerveux, il remue un peu sur sa chaise.

« Quelque chose ne va pas ?
— Tu vois bien que tout baigne, marmonne-t-elle, ironique.
— C'est à cause de Brighton ? »

Il la voit se raidir clairement. Ses doigts se crispent autour de la pièce qu'elle tient dans sa main, apparemment un cavalier. Oui, on dirait bien une tête de galopa, finement ouvragée ; les flammes de la crinière paraissent presque trop réalistes. Assurément du beau travail.

Stella laisse tomber le petit objet foncé, presque noir, et se cale un peu plus contre le dossier de son siège, l'air exténué.

« Écoute, si t'es venu remuer le couteau dans la plaie, tu peux laisser tomber. »

Elle passe une main distraite dans ses cheveux, comme pour affecter un air détaché. Le jeune homme se doute que ce ne sont que des apparences. Toujours cette fierté mal placée...

« Peu importe que ton cher Jackson ne soit pas fichu de faire quelque chose contre ce salopard de Brighton, de toute façon. Les généraux veulent garder leur pouvoir, alors autant ne pas se mettre à dos les uns et les autres, pas vrai ?
— Stella... »

Stan retient un frisson, interloqué. C'est bien la première fois qu'il voit sa sœur aînée faire preuve de tant de cynisme. Peut-être que la guerre a une influence immonde et corruptrice sur elle ; après tout, elle l'a vu, le champ de bataille, contrairement à lui qui est resté bien au chaud au Hano-Hano.

Seulement, il a le sentiment que ce déferlement de violence n'est pas la seule cause de ce changement chez la jeune femme. Il sent quelque chose, comme une froide résolution.

Et ça lui fait peur. Qui sait ce qu'elle peut avoir derrière la tête ?

Il tressaille quand elle pose sa main sur son bras, et la regarde. Elle sourit, et il a l'impression qu'elle est comme redevenue elle-même. Peut-être a-t-il rêvé son attitude jusque-là ?

« Hé, t'inquiète pas pour moi, va. Je te promets de faire attention. Plus jamais je ne m'approcherai de Brighton. »

Le jeune homme acquiesce et lui donne une petite tape sur l'épaule.

« Ça te dirait qu'on aille faire un tour en ville ? propose-t-il de but en blanc. J'aimerais bien aller pêcher un peu, il paraît que quelques bonnes prises traînent près des quais. »

Il s'attend à ce qu'elle hésite, mais elle se lève avec enthousiasme.

« Eh bien... allons attraper le plus gros magicarpe de Ho'ohale, alors ! »

Stan Waller sent un poids disparaître en constatant l'entrain retrouvé de son aînée. La peur laisse place au soulagement et, pour la première fois depuis longtemps, à l'espoir. Qui sait si la paix ne les attend pas bientôt ?


* * *

L'homme tend l'oreille. Aucun bruit. Parfait ; il n'y a sûrement personne dans cette aile de la grande maison, à l'heure qu'il est. Il fait tourner la clef dans la serrure un peu rouillée, et entre dans la pièce, en refermant soigneusement derrière lui.

Il s'est rendu compte que la dernière fois, il a oublié de verrouiller la porte. Il y a peu de chances que quelqu'un ait vu quoi que ce soit, mais mieux vaut se montrer prudent.

Benny Brighton ne prête aucune attention à ce qui se trouve au milieu de la pièce, et va rejoindre la table métallique qui trône dans un coin. Dessus, il y a juste un téléphone, branché à l'unique prise. Il pose son trousseau de clefs dessus dans un cliquetis désagréable, et soupire.

L'odeur de sueur et de sang ne lui plaît pas plus que ça, mais c'est un mal nécessaire. Le général retire sa veste d'uniforme ouverte et la suspend à une patère, puis retrousse les manches de sa chemise blanche immaculée, sans s'occuper de la courte mèche noire qui lui retombe sur le front.

Ses yeux jaunes brillent d'un éclat inquiétant.

Son regard revient au centre de la pièce. Il n'y a qu'une unique chaise en bois épais et solide, à laquelle est attaché un homme en fin de vingtaine. Habillé d'un pantalon bleu sombre rentré dans des bottes noires et d'une chemise bleue claire, il ne fait aucun doute qu'il vient de l'armée kantonaise.

Ses cheveux bruns coupés courts et ses yeux de la même couleur ne donnent aucun éclat à son visage terne. La bouche bâillonnée, il ne peut pas parler. Sa face est brillante de sueur, due à la chaleur et, plus certainement, à la crainte. Il sait ce qui l'attend. Sans doute.

Brighton ne peut pas dire que ce genre de vision l'enchante. Il préfère de loin dîner avec sa femme à l'hôtel des Embruns plutôt que de rester dans cette pièce nauséabonde en face d'un fichu ennemi trop borné pour parler.

Mais c'est toujours mieux de travailler dans de bonnes conditions, alors il y met du cœur à l'ouvrage. Non qu'il prenne du plaisir à voir la violence. Il est vrai qu'il a apprécié le « spectacle » de la bataille, mais c'est surtout de voir que ses hommes à lui ont accompli ça, qui lui plaît. Un genre de fierté que d'aucuns trouveraient mal placée.

L'Unysien s'approche de l'autre, et du bout des doigts, défait le bâillon. Le Kantonais tousse brusquement et respire bruyamment par la bouche, le temps de se calmer. De toute évidence, il aurait voulu lui cracher au visage.

« T'as un nom, gamin ? »

Le concerné crachote encore un moment, les poumons en feu, avant de fusiller le général du regard.

« Qu'est-ce que ça peut vous foutre?
— Je préfère savoir qui je tue — s'il est nécessaire d'en arriver là. Histoire de prévenir ma hiérarchie pour que tout soit fait dans les règles, tu vois.
— Curieux, que grommelle le blanc-bec en jetant un œil à ses liens. J'savais pas que c'était dans les règles de ligoter un pauvre type pour le battre à mort. »

Brighton hausse un sourcil, étonné. Par la loquacité soudaine de son ennemi, mais aussi par l'étrange intonation de sa voix. Il n'y a pas de haine perceptible. Juste une acceptation douloureuse de son sort. Il ne s'en sortira pas indemne, et il s'en moque.

Aucun rapport avec le précédent qui se débattait comme un beau diable ! Le gradé doit s'avouer intrigué ; à défaut d'être réellement impressionné.

« T'as un nom ? répète-t-il froidement, désireux de ne pas laisser paraître son trouble.
— Marchiano. Paul. Mais z'aurez vite fait de l'oublier, hein.
— C'est possible. »

Brighton saisit un couteau posé dans une boîte à outils rouillée à même le sol. Le craquement du plancher sous ses bottes émet un son désagréable, qui le rendrait presque nerveux s'il n'avait pas l'habitude de cette pièce.

Il garde l'arme entre ses doigts, s'amusant à la faire tourner et retourner comme si ça n'était qu'un jouet.

« Et t'as des gosses, Marchiano ? Une femme ?
— J'en avais. Je rentrerai jamais chez moi, pas vrai ?
— Y a peu de chances, admet l'Unysien dans un accès d'honnêteté. Comment ils s'appellent dans ta famille ? »

Il sent l'autre hésiter. Le regard brun du jeune homme se détourne pour fixer le mur. Le quadragénaire esquisse un sourire amusé ; il aime bien les faire tourner en bourrique avec ses drôles de questions. C'est plus amusant que de leur faire mal physiquement, d'autant plus qu'il n'aime pas la sensation collante du sang sur ses mains.

Finalement, le prisonnier se tourne à nouveau vers lui, et plonge ses prunelles brunes dans les yeux jaunes qui lui font face.

« Ma femme s'appelle Hanna. Et mon gamin Ed. J'espère que vous penserez à eux pendant que vous éplucherez mon visage comme une pomme de terre pourrie. »

Le général est forcé de se voir pris au dépourvu par les propos violents de son vis-à-vis. Pour qui le prend-il, au juste ? Un vulgaire tortionnaire qui aime faire le plus de mal possible ? Non, il a tout faux. Il ne fait que son travail, pas vrai ?

« Loin de moi cette idée, lâche-t-il à mi voix, comme s'il craignait qu'on l'entende. Tu parles, et la « pomme de terre » qui te sert de visage restera intacte. C'est comme ça que ça marche, un échange équivalent.
— Pour vous... Pour vous, garder son visage vaut la même chose que de trahir son pays ? Eh bien vous gênez pas pour m'amocher, alors. Si je suis là, c'est par conviction. Les gens d'ici ont le droit à leur liberté et on se bat pour eux, je gagnerais quoi à vous di—

Il ne finit pas sa phrase ; le poing du plus âgé s'abat contre sa mâchoire. Si ses phalanges lui font mal à cause de la force du coup, Brighton s'en moque. Ce salopard cause trop. Pour ne rien dire, en plus.

« Bon, très bien. Tu m'ennuies. Tu ne veux pas parler, j'ai faim et j'ai promis à ma femme de la rejoindre dans une heure à l'hôtel des Embruns. On va en finir rapidement, qu'est-ce que t'en dis ? »

Sans attendre de réponse du jeune homme, il marche jusqu'à la table pour récupérer le bâillon couvert de salive et de poussière, qu'il attache de nouveau. L'autre n'émet aucune objection, pas un grognement, rien. Il accepte vraiment son sort.

Il s'apprête à saisir le pistolet chargé qu'il porte à la ceinture, mais se ravise ; la sonnerie stridente du téléphone retentit dans l'habitacle. Agacé, le général saisit le combiné d'une main ferme.

« J'espère que vous avez une bonne raison de me déranger ! qu'il beugle, vraiment irrité.
— Calmez-vous, général Brighton. »

Le susnommé se fige en reconnaissant la voix du chef d'état-major. Qu'est-ce qu'il peut bien lui vouloir à une telle heure ? D'autant plus qu'il ne l'appelle jamais... Le quadragénaire déglutit.

« Qu'est-ce qui se passe ?
— Je veux juste vous prévenir.
— Me prévenir ? »

Les doigts de l'homme aux cheveux noirs se crispent autour du combiné. Il est certain que derrière lui, ce fichu Kantonais doit bien se payer sa tête en le voyant démuni. Il n'a jamais aimé Jackson, et encore moins quand il ne l'a pas en face de lui pour saisir ce qu'il pense.

« Ne faites pas parler de vous. Je préférerais que vos écarts de conduite ne se sachent pas.
— Qui a—
— Peu importe. Respectez un peu les lois, pour une fois. »

Jackson raccroche. Brighton reste un moment hébété, le téléphone à la main, avant de le reposer sur son support. Sans un regard pour le prisonnier, il récupère les clefs et sa veste, puis quitte la pièce.

Ce sera pour une autre fois.


* * *

Les bêtes cessent de marcher, le temps pour le groupe de récupérer un peu et de les abreuver. Là-haut, le soleil tape durement sur les militaires et les bourrinos ; on dirait bien que les rayons ardents sont infatigables.

Depuis l'incident regrettable des ruines, la petite troupe est plus maussade que jamais. Il y a bien le général qui essaie de remonter un peu le moral, et Weigall qui se force à adopter une façade de tranquillité, mais le colonel Snow sait à quoi s'en tenir.

Elle a lu elle-même tout le désespoir peint sur le visage du blondinet, lorsque le docteur a rendu son dernier soupir. Marlowe, peut-être son meilleur ami. Peut-être le seul. Il a bien sûr ses pokémons, mais ça n'est pas tout à fait la même chose.

La mort fait toujours mal.

La quadragénaire ne peut pas dire qu'elle était particulièrement attachée au médecin, ce ne serait qu'un mensonge éhonté. Mais tout le monde dans l'équipe l'appréciait, il savait donner un peu de sa bonne humeur et on ne s'ennuyait jamais à l'heure du repas.

Et maintenant il est parti. Maintenant, on parle de lui au passé. C'est plus difficile qu'elle ne l'aurait cru.

La gorge nouée par la soif — ou par l'émotion ? —, elle saisit sa gourde et en vide un bon tiers avant de s'essuyer la bouche d'un revers de manche. Une gouttelette tombe de son menton et vient s'écraser dans le sable.

Comme pour se rassurer, et pour se rappeler que cette perte n'a pas été vaine, elle caresse machinalement la surface lisse et neuve d'une pokéball. Cette sphère rutilante, c'est désormais la cage de Tokotoro, une créature d'exception, rouage essentiel dans la machine. La capture de l'Astral et à terme, la victoire...

Winnie Snow se demande, l'espace d'une seconde, si tout ça vaut vraiment le prix payé. Sûrement que oui. Une vie perdue, mais pour en sauver combien ? Cette guerre n'a que trop duré. Jackson traîne le conflit en longueur depuis des semaines et des semaines.

Peut-être qu'en rentrant à Ho'ohale, elle apprendra que les trois autres gardiens des îles sont déjà en leur possession ; elle l'espère. Mais ça a un côté idyllique, et quelque chose lui souffle que tout ne se passera pas comme prévu.

Il y a toujours un grain de sable pour enrayer l'engrenage.

« Tout va bien, colonel ? »

La femme range la sphère dans sa poche, et lève les yeux vers le visage fatigué de son supérieur. Lui aussi doit être affecté par la mort de Marlowe. Mais dans ses yeux bleus, une étrange étincelle domine. Il doit être content d'enfin quitter le désert.

Qui ne le serait pas ?

Se rappelant qu'il lui a posé une question, elle se contente d'un hochement de tête vague, et d'une parodie de sourire. Toujours garder la tête haute.

« Ça va, mon général. Et vous-même ?
— J'imagine que ça pourrait être pire. Mon dos a l'air d'aller un peu mieux, mais ces trajets sur des bourrinos commencent à me fatiguer, admet-il avec un ricanement.
— Plus qu'un et on sera à bon port, relativisez. Le village Toko n'est plus bien loin, si on se fie aux indications du lieutenant Weigall. »

Elle le cherche un instant du regard, et le trouve rapidement. Debout à côté de son bourrinos, il lui caresse machinalement l'encolure, les yeux dans le vague. Il a beau affecter des dehors sereins, le décès de son ami lui a donné un sacré coup.

« Le pauvre garçon doit se remettre d'aplomb rapidement, ajoute-t-elle en détournant son regard du triste personnage. La guerre n'est pas encore finie, et si le général Jackson n'accélère pas les choses, on en a encore pour des semaines de cadavres, de sang et de larmes. »

Le brun allume une énième cigarette, et hausse un sourcil intrigué.

« Je vous croyais plus optimiste, en toute honnêteté. Vous êtes ambitieuse. »

C'est au tour de la blonde de s'étonner. Elle croise les bras sur sa poitrine, un sourire en coin sur le visage.

« L'un ne va pas sans l'autre, selon vous ?
— Rarement. »

Il tire une bouffée de tabac, et la recrache, l'air pensif. Puis il s'éloigne dans un haussement d'épaules désinvolte, en lui adressant un salut nonchalant.

Snow l'observe jusqu'à ce qu'il se soit perché sur son équidé attitré, et ne tarde pas à faire de même avec le sien.

Oui, décidément, la guerre commence vraiment à traîner. Si leur seul espoir est une créature légendaire qui n'existe peut-être même pas, ils ne sont pas près d'en voir le bout.

La file se remet en marche au rythme des soupirs.