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Cœur de Pierre de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 09/11/2014 à 17:23
» Dernière mise à jour le 17/12/2015 à 11:06

» Mots-clés :   Aventure   Hoenn   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Chapitre 5. Anguille sous roche
Un bruit suspect fit relever la tête du petit panda tacheté, qui observa les alentours de ses yeux fous en titubant. Rien n'était visible dans les fourrés recouverts par les averses continues de cendres, le rassurant un peu. Mais, alors qu'il était sur le point de retourner vaquer à ses occupations, pensant à une fausse alerte, il remarqua un éclat argenté dans le ciel noir, du coin de l'oeil.
Le Spinda ne chercha pas à en savoir davantage : il prit aussitôt la fuite de sa démarche vacillante.

Cependant, sa trajectoire aléatoire et imprévisible ne le sauva guère. Une serpe de vent s'abattit à quelques centimètres devant lui, creusant la terre en soulevant un nuage de poussière. Devant cette attaque inattendue, l'ursidé s'immobilisa l'espace d'un instant dans sa course, par réflexe. Sans savoir que ce bref arrêt venait de signer son arrêt de mort.
Avant qu'il ait pu repartir, une masse fondit sur lui, le faisant chuter sous le poids et la vitesse. Il n'eut même pas le temps de reprendre ses esprits qu'il sentait son corps se faire transpercer. Puis, plus rien.

L'oiseau de fer se releva légèrement en ôtant ses serres de sa prise, puis écarta ses ailes sanglantes pour la couvrir. Satisfait de sa chasse fructueuse, il fit claquer son bec massif et se pencha à nouveau sur le cadavre pour entamer son repas.

Il n'avait avalé que quelques bouchées de viande quand, soudain, il se redressa de toute sa hauteur. Ses yeux perçants scrutaient le paysage forestier, tandis qu'il changeait fréquemment l'orientation de sa tête d'une manière abrupte. Un sifflement sourd résonna dans son gosier. Finalement, l'aigle à l'armure de métal agrippa sa proie et s'éleva dans les airs d'un coup de ses ailes puissantes, remuant les débris du volcan. Il mangerait ailleurs, ici il ne se sentait pas en sécurité.

L'oiseau de proie venait de dépasser la cime des arbres quand il sentit une forte résistance l'empêcher d'aller plus haut. Intrigué, ne comprenant pas ce qu'il lui arrivait, il augmenta la fréquence de ses battements, pensant là briser sa mystérieuse entrave. Et il réussit effectivement... Sauf que, maintenant, c'était le cadavre du Spinda entre ses serres qui cherchait à le tirer vers le bas ! Mais hors de question d'abandonner le fruit de sa chasse comme ça !
Il continuait de se débattre contre cette force invisible, suspendu entre ciel et terre, quand un bolide enveloppé d'une aura bleue surgit d'entre le feuillage d'un arbre proche pour lui foncer dessus. Le regard alerte de l'Airmure le repéra aussitôt, mais ce ne fut qu'en se résignant à lâcher sa proie qu'il parvint à l'éviter.
Furieux de son geste, il poussa un sifflement strident, certain que son assaillant en avait après son repas. Et, tandis que le corps en partie dépecé tombait mollement sur la terre grisâtre, il engagea le combat.

Des plumes affûtées se détachèrent du rapace, qui les projeta sur son adversaire d'un brusque coup d'ailes. Mais les lames se brisèrent sur l'automate articulé, éraflant à peine sa surface métallique. Le fouet de vent qui claqua à leur suite n'eut pas plus de succès, si ce n'était d'avoir obtenu un bruit électronique légèrement dérangé.
Un chuintement rauque se répercuta dans le gosier de l'oiseau devant ces deux échecs, mais il ne se laissa pas démonter. En deux battements d'ailes, il avait presque atteint les nuages bas de la voûte... Pour plonger en piqué droit sur son agresseur, faisant tournoyer son corps afin de se donner plus de vitesse et d'impact.

Alors que l'aigle d'argent et de sang transperçait le ciel, il ne vit pas les éclairs qui apparurent entre les crochets des bras du gros robot, pour ensuite remonter sur toute la partie inférieure des membres massifs. Emporté par son élan, il ne put rien faire quand la machine se décala, ni ne put éviter le coup de poing fulgurant qui le toucha en plein dans le dos. L'Airmure se tordit sous la puissance du choc, le bec grand ouvert, le souffle coupé et les yeux écarquillés, interrompant sa danse céleste. Il commençait seulement à reprendre sa respiration quand la deuxième pince aussi compacte qu'un marteau le percuta, le propulsant au sol.
L'oiseau de proie s'écrasa, creusant même la terre sous la violence de sa chute. Secouant la tête, il tenta de se relever avec difficultés. Son corps entier était engourdi par l'électricité qui avait accompagnée les deux assauts de son adversaire de métal bleuté. De légères marques étaient même visibles sur son dos, aux endroits où les crochets conducteurs étaient entrés en contact avec lui. Il parvint néanmoins à se remettre d'aplomb sur ses pattes, au prix de nombreux efforts. Mais, lorsque l'automate revint à sa hauteur, se plaçant involontairement au-dessus de la proie du rapace, le sang de ce dernier ne fit qu'un tour. Il gonfla son plumage d'acier, déploya ses ailes écarlates, émit une stridulation menaçante. Tous les moyens étaient bons pour se rendre plus impressionnant.

Cependant, alors que l'Airmure était focalisé sur la créature de métal devant lui, et mobilisait toute sa volonté pour lutter contre la foudre afin d'avancer vers lui, il sentit un très léger choc au bas de son cou. Avant même qu'il ait pu se demander ce dont il s'agissait, un voile rougeoyant le recouvrit. La surprise n'eut même pas le temps de s'afficher dans ses yeux perçants qu'il se fit aspirer par la capsule qui l'avait touchée. Quelques petits soubresauts agitèrent le globe, mais bien vite il demeura inerte dans la cendre.

Ce fut à ce moment-là que Pierre descendit de l'arbre dans lequel il s'était caché de nombreuses heures durant. Un sourire victorieux s'afficha sur ses lèvres, tandis qu'il ramassait la Pokéball pour l'examiner de plus près, sans même jeter un regard vers son premier Pokémon.

Cela faisait des jours qu'il traquait l'un de ces oiseaux de fer, après s'être rendu compte de l'énorme potentiel qu'ils pouvaient ajouter à sa maigre équipe s'il en avait un. Sauf que réussir à ne serait-ce en approcher un n'avait pas été une mince affaire. La vue de ces rapaces était si développée qu'ils le repéraient bien avant que lui-même ait pu les apercevoir, leur permettant de fuir aisément avant qu'il ne devienne une réelle menace en étant trop près.
Le jeune Rochard avait donc dû jouer la carte de la patience et de l'observation. Ainsi, ayant constaté que les Airmure avaient tendance à rester au sol pour commencer à manger la proie qu'ils venaient de tuer, il en avait conclu qu'il s'agissait du moment où ils étaient les plus vulnérables. De même, il s'était aperçu que la technique de chasse employée était systématiquement la même : couper la retraite de sa victime depuis le ciel, puis profiter de la surprise pour lui tomber dessus. Enfin, il avait pu assister de loin à un affrontement féroce entre deux de ces créatures ailées, où l'une essayait de voler la prise de l'autre. Cela avait débouché sur une impasse, aucun des deux ne voulant lâcher l'affaire.

Il avait donc établi son plan en conséquence : repérer un Spinda, qui semblait être un mets de choix pour les oiseaux à armure, et, une fois tué, feindre de vouloir le prendre. L'aigle chercherait alors à se battre, et il n'y aurait plus qu'à attendre qu'il tombe dans son piège en attaquant frontalement le Métang, qui en profiterait pour le sonner. Et cela s'était avéré un succès !

L'adolescent aux cheveux d'acier actionna le mécanisme d'ouverture, matérialisant sa nouvelle capture. Elle semblait plus ou moins calmée, mais toujours en proie à la foudre qui parcourait son corps. Pierre sortit alors un gros fruit rouge de son sac, qu'il lui tendit, mais un sifflement méfiant accompagna son geste.

« Eh là, tout doux, fit-il d'une voix qui se voulait amicale. Je ne vais pas te faire de mal. Tu devrais aller mieux avec cette baie, alors mange-la. »

L'oiseau avait ses yeux acérés posés sur lui, restant ainsi pendant une bonne minute. Finalement, voyant que le Dresseur ne bougeait pas, il prit lentement un morceau de la chair juteuse dans son bec massif, ne quittant toujours pas l'humain des yeux. A mesure qu'il mangeait, il sentait ses entraves instables diminuer, jusqu'à ne plus exister du tout.
Une fois le fruit disparu, le jeune homme tenta de mettre sa main sur le cou du rapace au plumage de fer, mais celui-ci se déroba en poussant un sifflement.

« Bon, j'ai compris, c'est pas pour tout de suite... » marmonna-t-il en ramenant son bras vers lui.

Il sentit alors que quelqu'un tirait timidement sur sa veste. Se retournant, le jeune Rochard adressa un regard méprisant au gros robot.

« Quoi, qu'est-ce que t'as, toi ? » demanda-t-il d'un ton glacial.

L'automate lui montra la carcasse de Spinda qu'il avait récupérée dans sa pince, faisant froncer les sourcils de son maître. Quoi, qu'est-ce qu'il voulait qu'il foute avec ça, sérieux. Ce qu'il pouvait être id...
L'explication lui traversa l'esprit. Aussi, sans le moindre mot, d'excuse ou de remerciement, le jeune homme arracha le cadavre des crochets du Métang, pour le présenter à la créature ailée.

Mais l'oiseau d'argent et de sang n'avait rien manqué de la scène, qui le troubla fortement. Comment cet humain traitait-il cette machine, qui semblait pourtant l'aider ? Comment pouvait-il ne pas la respecter pour tout ce qu'elle lui apportait ? Mais surtout, s'il agissait ainsi avec elle, pourquoi devrait-il s'attendre à une autre attitude avec lui ? Son nouveau propriétaire essayait de le tenter avec sa proie, de se montrer sympathique, mais il n'était pas dupe ! Ce ne serait qu'une question de temps avant qu'il ne se comporte avec lui comme avec la créature aux bras articulés, il le sentait !

Convaincu de cela, l'Airmure baissa la tête en émettant une stridulation rauque, et fit s'entrechoquer les plumes écarlates de ses ailes à moitié ouvertes lorsque Pierre approcha le corps sans vie de lui.

« Ben alors, qu'est-ce qui te prend ? s'étonna-t-il. C'est à toi, ç... »

Il retira à temps son bras, qu'il avait un peu plus avancé. En effet, le bec massif de l'aigle haut sur pattes avait claqué à seulement quelques centimètres de l'endroit où se tenait sa main. Son plumage avait gonflé et une lueur menaçante éclairait ses yeux perçants. Oh non, qu'il se le garde, son cadeau empoisonné ! Il ne mangeait pas de ce pain-là !

« Non mais ça va bien, oui ! s'exclama le Dresseur aux cheveux argentés, ne faisant que confirmer involontairement les soupçons de son Pokémon. Pas besoin d'être aussi agressif ! »

Un sifflement sonore accompagné de claquements de bec répondit à sa protestation, alors qu'il commençait à soutenir le regard acéré du rapace. Mais il fut le premier à céder, en soupirant. Bon, peut-être que c'était normal... Il était peut-être stressé avec sa capture. Il en savait rien, c'était la première fois qu'il en réussissait une, et se retrouvait directement confronté avec une bestiole qui venait tout juste d'être attrapée. Ca irait certainement mieux plus tard, quand il se serait habitué à lui.

***
« Allez bon sang, attaque-le ! »

Rien n'y faisait. L'oiseau de proie continuait de lui tourner le dos, ignorant royalement ses ordres et le gland sur pattes qu'il lui demandait d'affronter. La graine vivante s'arrêta pour les regarder, étonnée, mais reprit son chemin sans crainte. L'instant d'après, le Grainipiot avait disparu dans les herbes hautes du vallon.

C'était ainsi depuis qu'il l'avait fait sien, plus d'une semaine auparavant. A chaque fois qu'il le sortait de sa capsule, le rapace renforcé se montrait hostile dès qu'il tentait de l'approcher à moins de deux mètres. Pierre avait d'abord pensé qu'il agissait ainsi parce qu'il n'était pas encore accoutumé à côtoyer un humain, et avait donc besoin d'un espace vital suffisant pour se sentir en sécurité.
Mais, bien vite, il s'était rendu compte que son problème ne portait pas uniquement sur une question de proximité. La créature argentée refusait tout bonnement de l'écouter et d'exécuter le plus simple des ordres, redevenant même agressif lorsqu'il se faisait trop insistant. Pensant que c'était la présence de l'automate articulé, qui l'avait tout de même bien amoché, qui le perturbait, il avait aussi tenté de le garder dans sa Pokéball quand lui était dehors. En vain, son attitude restait la même.

« Tu vas m'écouter, oui, sale piaf ! »

Ramassant un caillou, il le lança en direction de l'Airmure afin d'obtenir son attention. La collision fut à peine plus perceptible qu'une mouche qui viendrait se poser, mais elle eut aussitôt l'effet désiré. Peut-être un peu trop, même...
L'aigle se retourna d'un coup, les ailes déployées, en poussant des stridulations rauques de colère.

« Eh là, du calme ! Tu vas pas me dire que ça t'a fait mal ! »

Ce furent les mots de trop. Des plumes effilées se plantèrent à quelques centimètres des pieds de son maître.

« Non mais ça va pas ?! Arrête ça tout de suite ! » s'écria-t-il en prenant la sphère de l'oiseau métallique.

Cependant, il n'eut pas le temps de s'en servir contre lui. Une serpe de vent lui entailla la main, lui faisant lâcher la Pokéball sous la douleur. Commençant vraiment à se sentir affolé, l'adolescent allait s'emparer de l'autre globe pour appeler le gros robot à l'aide, mais un son strident et insupportable retentit. C'était comme si on lui avait hurlé directement dans les deux oreilles !
Étourdi par la vocifération qui lui avait traversé le crâne, il ne le vit pas s'élever dans les airs et, le prenant pour cible, plonger sur lui...

Le rapace argent et sang n'eut pas le loisir de s'abattre sur son propriétaire. Un souffle de jade jaillit sur le côté pour le frapper au flanc, le repoussant brutalement et ne lui laissant d'autre choix que d'atterrir. Mais, à peine s'était-il posé qu'un oiseau vouivre aux douces ailes de nuage lui tomba sur le dos, lui faisant plier les jarrets sous le poids ajouté. L'Airmure poussa un sifflement de protestation et voulut se dégager. Sans succès, les serres de l'étrange créature bleue agrippaient solidement l'articulation de ses ailes, l'empêchant de les déployer, et avait refermé les doigts griffus de ses poignets sur son cou pour le tenir tranquille. Voyant néanmoins que cela ne suffisait pas, il approcha son bec fin des oreilles de l'oiseau de proie, pour y susurrer quelques notes lentes et mélodieuses. Cinq secondes plus tard, le Pokémon du jeune Rochard s'effondrait, les yeux clos et la respiration paisible.

Soulagé d'être tiré d'affaire, le Dresseur aux yeux durs se redressa, mais demeura méfiant envers la bête aux allures de dragon, qui s'écartait maintenant de l'aigle endormi et le regardait en poussant un chant joyeux de son bec immaculé. Qu'est-ce que c'était que cette bestiole ? Pourquoi lui être venu en aide, alors qu'ils étaient complètement étrangers l'un à l'autre ? Par simple élan de sympathie ? De la part d'un être sauvage ? C'était absurde.
La réponse lui vint un instant plus tard, quand une voix claire se fit entendre.

« Beau travail Chinook ! »

Tournant la tête vers la source de ces paroles, il vit une jeune femme, ses longs cheveux châtain volant librement au gré du vent, arriver au bas de la pente qu'elle venait de dévaler et s'approcher d'eux, une corneille noire sur l'épaule. Elle adressa un grand sourire à son oiseau aux ailes blanches, qui enchaîna sur un piaillement harmonieux, puis reporta son attention sur Pierre.

« Tout va bien ? Tu n'es pas blessé ?
- Non ça va.
- Tant mieux, alors, fit-elle, soulagée. On a pu intervenir à temps, heureusement. Tu as de la chance que je sois passée par là et qu'Auster t'ait entendu. »

A l'écoute de son nom, l'oiselle de jais poussa un croassement quelque peu orgueilleux, pas peu fière d'être ainsi créditée. L'adolescent hocha la tête puis alla récupérer la capsule de l'Airmure, qu'il fit aussitôt rentrer dedans.

« Quand même, qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'il t'attaque comme ça ?
- Je sais pas, il est comme ça depuis que je l'ai capturé. Enfin, non, là c'était la première fois qu'il s'en prenait à moi. Mais sinon, il ne me laisse jamais l'approcher et ne m'écoute pas.
- Vraiment ? C'est bizarre... »

Se tenant le menton, elle se mit à réfléchir intensément à ce qu'il venait de dire, comme pour essayer de comprendre. Soudain, quelque chose la frappa.

« Ah ! J'y pense, je me suis pas présentée ! Je m'appelle Alizée Stymphale.
- Pierre Rochard, dit-il en serrant sa main tendue.
- Qu'est-ce que tu fais dans la Vallée Comète* ?
- J'essayais de voir si mon Airmure était plus coopératif ici, vu que c'était pas son ancien territoire. Apparemment, c'est râpé... Et toi ?
- Je suis juste de passage, en fait. Je reviens d'un petit séjour au Site Météore, où j'entraînais mon équipe au vol en rase-motte et en terrain clos.
- Ton équipe... ? Tu veux dire que tu es une Dresseuse ?
- Exactement ! acquiesça Alizée d'une voix enjouée. J'ai cinq badges pour le moment, et il me reste un an pour décrocher celui qui me manque.
- Euh... Mais il y a huit arènes, pourtant, objecta le jeune homme. Il t'en manque trois, du coup.
- Pas vraiment, en fait. Mais c'est un peu long à expliquer, et tu as peut-être mieux à faire... ?
- Tu viens de me sauver la vie. Et de toute façon, j'allais rentrer sur Autéquia.
- Ah, ben dans ce cas, on peut faire la route ensemble ! J'hésitais à y aller en volant, mais ce sera plus sympa comme ça. Je vais juste récupérer mes affaires, attends-moi. »

La jeune femme s'éloigna pour remonter la pente, laissant l'adolescent seul avec l'Altaria et la Cornèbre, cette dernière ayant préféré changer de perchoir pour pouvoir s'amuser avec les longues plumes frontales de son partenaire. Dix minutes plus tard, le petit groupe se mettait en marche.

« On a de la chance que le vent n'ait pas poussé les cendres par ici, cette fois-ci.
- Oui... Et donc, c'est quoi ton histoire ? Pourquoi tu n'as besoin que de six badges ?
- Autant que je commence par le début. Je viens de Cimetronelle. Tu vois où c'est ?
- Oui, oui, j'y suis passé rapidement une fois.
- La particularité de la ville -outre le fait que nos maisons sont dans les arbres-, c'est son arène. Généralement, les Champions qui se succèdent gardent la même spécialité que leur prédécesseur, ce qui fait que chaque ville a son type de prédilection. Mais ce n'est pas le cas chez moi : selon l'année, le type de l'arène est soit plante, soit vol.
- Ah ? s'étonna Pierre. Comment ça se fait ?
- Vu qu'on habite en hauteur, on est proches des oiseaux, donc on a une affinité naturelle avec eux. Mais on est aussi rattachés aux plantes, puisque la ville est en plein cœur d'une forêt.
- Ah, oui, logique... Mais comment ça se passe pour décider de la spécialité de l'arène, alors ?
- Tous les sept ans, un tournoi est organisé au début du printemps, mais uniquement pour l'un des deux types. Le vainqueur devient alors le Champion de Cimetronelle pendant sept ans, puis un tournoi de l'autre type a lieu, et ça continue comme ça. Ah, fais gaffe où tu mets les pieds, ici. Y'a parfois des Seviper qui dorment sous les pierres. »

Leur conversation s'interrompit le temps qu'ils traversent précautionneusement l'endroit, heureusement sans croiser le moindre serpent.

« Du coup, si j'ai bien compris, le Champion actuel de Cimetronelle est un spécialiste des plantes, et le prochain tournoi déterminera le nouveau Champion vol ? récapitula le jeune Rochard.
- C'est bien ça ! La condition pour y participer, c'est d'avoir au moins six Pokémon de type vol et d'être un Dresseur de Catégorie Quatre ou supérieure. Enfin, généralement, c'est le rang minimum pour pouvoir devenir Champion.
- Sérieux ?! Je savais pas... »

Ou plutôt, il ne s'était jamais intéressé à cela. Il avait toujours cru que le Défi de la Ligue ne débouchait que sur une seule voie possible, à savoir devenir le Maître du pays en question. Si ça se trouvait, il y avait une myriade d'opportunités selon le grade obtenu, et il n'en avait pas la moindre idée.

« Tu dois être sacrément forte, quand même, si tu as cinq badges.
- Je me débrouille, répondit Alizée, un peu gênée. Et j'espère bien remporter ce tournoi ! Après, le concurrence sera rude, il y a plein de Dresseurs plus expérimentés que moi qui vont y participer... Mais le truc, c'est que je m'en sors qu'avec des Pokémon vol. Je crois que je serais assez mal à l'aise avec d'autres types, parce que ça me changerait trop de mes habitudes. »

Son interlocuteur hocha la tête. Si elle le disait...

« Et toi, au fait ?
- Je pense que tu l'as deviné, mais je suis aussi Dresseur. Par contre, je suis moins doué que toi...
- Oh ? Pourquoi tu dis ça ?
- En plus d'un an, j'ai réussi à gagner que deux badges. Et j'ai perdu quatre fois face à M. Moore... J'veux dire, le Champion de Vermilava.
- Bah, ce sont des choses qui arrivent ! L'important, c'est de pas se démoraliser et de persister !
- C'est pas ça qui m'a démoralisé... »

La Dresseuse du vent le regarda, interloquée. Sentant qu'il en avait trop dit ou pas assez, et après quelques secondes de silence, il décida finalement de lui raconter son voyage.

Ils avaient atteint Autéquia quand il arriva à la fin de son récit. Pierre fut même surpris de constater qu'il n'avait pas eu de problème à lui faire part de l'épisode de l'éruption et tout ce qui en avait découlé, bien qu'il ressentit tout de même un pincement au cœur quand il évoqua son amie disparue.

« Wow... lâcha la jeune femme à la corneille, alors qu'ils passaient la porte de l'auberge. Merde, t'en as bien bavé. Et je comprends mieux pourquoi tu portes tous ces bijoux. J'dois t'avouer que quand je t'ai vu, tout à l'heure, j'avais trouvé ça bizarre.
- C'est vrai que c'est pas trop mon genre, à moi non plus, et je peux te dire que j'ai fait une drôle de tête quand j'ai ouvert la boîte. Mais, je pense que je remercierai jamais assez M. Moore pour ça. Non, pour tout ce qu'il a fait pour moi.
- Tu m'étonnes.
- Enfin voilà, j'ai repris mon voyage au début du mois, et je pensais que la capture de cet Airmure était un bon signe pour la suite ! Sauf que c'est pas vraiment le cas... »

Alizée garda le silence, se contentant de caresser le plumage sombre d'Auster alors qu'ils récupéraient les clés de leurs chambres respectives.

« Tu sais, finit-elle par dire, je pourrais peut-être t'aider, avec ton Airmure...
- Vraiment ?
- Oui. Je connais bien leurs habitudes, vu que j'en ai une moi aussi.
- Tu me sauverais la vie si t'arrivais à le calmer, soupira-t-il de soulagement.
- Ca fera jamais que deux fois ! Bon, du coup, repos ce soir, et rendez-vous demain à 8h au terrain d'entraînement du Centre Pokémon.
- Chef, oui chef ! »

***
Les rayons du soleil matinal parvenaient à peine à traverser l'épaisse couche de nuages gris quand les deux Dresseurs pénétrèrent dans l'espace dédié aux exercices.

« La première approche est la plus importante, déclara la jeune femme aux cheveux châtain. C'est valable pour tout le monde, Pokémon ou humain. Bien sûr, l'attitude à l'égard de quelqu'un se modifiera à force de passer du temps avec lui, mais cette toute première impression influencera beaucoup sur le reste. »

Le jeune Rochard acquiesça, plus par politesse qu'autre chose. Ce n'était pas non plus le scoop du siècle, ce qu'elle lui disait.

« Le truc, c'est que les Pokémon sont en général plus réceptifs que la majorité des humains, et donc réagiront d'autant plus vivement par la suite en fonction de la première rencontre. Les Airmure, notamment, sont très sensibles à ça, et les faire changer d'avis peut se révéler assez compliqué.
- Comment ça se fait ?
- Ca peut paraître étrange de dire ça pour des Pokémon, mais ils croient énormément au respect, qu'il soit envers eux-même ou à l'égard des autres. Du coup, s'ils sentent qu'ils ne peuvent pas faire confiance à quelqu'un, bon courage pour travailler avec eux...
- D'accord... Mais dans ce cas, c'est mon Airmure qui a un truc bizarre. Je te l'ai dit, la première chose que j'ai faite quand je l'ai capturé, ça a été de le soigner de sa paralysie et de lui rendre sa proie. Mais, s'il a bien voulu manger la baie, il m'a menacé direct quand je lui ai tendu le Spinda.
- Oui, c'est vrai que ça, c'est pas normal... Mais on va laisser ça de côté pour le moment. Place à un peu de pratique ! »

Alizée s'empara d'une capsule à sa ceinture, qui s'ouvrit pour matérialiser une imposante aigle de fer, qui s'ébroua en poussant un sifflement aigu, heureuse d'être à l'air libre.

« C'est moi ou ton Airmure est plus grand ?
- Ca, c'est parce que Loo est une femelle. C'est généralement le cas chez les Pokémon rapaces, comme les Roucarnage ou les Etouraptor. Il y a une théorie comme quoi c'est un lointain héritage des espèces reptiliennes, vu que certains Pokémon de cette famille présentent aussi cette caractéristique, mais je vais pas te faire tout le débat scientifique maintenant.
- Merci, oui.
- Il faudrait que tu sortes le tien et aussi ton... Comment tu m'avais dit que ça s'appelait, déjà ?
- Métang ?
- Oui, voilà. »

Obéissant à sa professeure improvisée, l'adolescent aux cheveux argentés s'exécuta, et les deux créatures de métal apparurent à leur tour sur le terrain. L'oiseau de proie recula aussitôt de quelques pas en claquant du bec.

« Loo, tu veux bien aller lui parler, s'il te plait ? »

La femelle acquiesça d'un petit chuintement, et s'avança jusqu'à son congénère. Celui-ci la laissa faire, un peu détendu de voir l'une de ses semblables. Un concert de sifflements et autres claquements débuta alors entre les deux Airmure, qui jetaient parfois des regards aux humains, comme s'ils parlaient d'eux.

« Je pense que ça ira mieux après, annonça la Dresseuse du vent. Maintenant, voyons voir ce Métang... »

Entendant son nom, l'automate articulé se mit à sa hauteur, et poussa des bruitages guillerets quand elle caressa sa large tête.

« Bonjour toi ! ... Bon, en fait, je dois t'avouer que c'était pas vraiment nécessaire de le sortir. Mais je voulais vraiment voir à quoi ça ressemblait ! »

Son élève haussa les épaules, et accorda un regard dédaigneux à son premier Pokémon. Si la jeune femme de Cimetronelle ne le remarqua pas, il n'échappa pas à la vue perçante des aigles en armure. Une stridulation hésitante résonna dans le gosier de Loo, ce à quoi l'autre répondit d'un claquement qui sonnait comme un tu vois, je te l'avais dit.
La Cornèbre sur l'épaule d'Alizée pencha la tête sur le côté en les regardant, sentant que quelque chose troublait sa partenaire. Mais, ne percevant aucun danger, elle crut bon de ne pas déranger sa maîtresse.

« Comment s'appelle-t-il ?
- Ben, je te l'ai dit, non ? C'est un Métang.
- Oui, ça d'accord, mais tu ne lui as pas donné un nom ? »

Le jeune Rochard secoua la tête. Il n'allait quand même pas lui dire qu'il l'appelait souvent boîte de conserve, quand même, même si c'était tout ce que cette stupide machine était.

« J'en vois pas l'intérêt.
- Tu devrais, pourtant. Ca permet de mieux se rapprocher d'eux. Et puis, tu imagines si tu n'avais pas de nom, toi ? Que je doive t'appeler Humain ou Garçon ?
- Mouais... » lâcha-t-il, pas très convaincu.

Pour l'instant, il se contenterait de boîte de conserve s'il devait s'adresser à lui.
La jeune femme aux longs cheveux se redressa alors, pour se tourner vers les oiseaux de fer.

« Bon, maintenant, je vais voir comment ton Airmure se comporte avec moi.
- Fais quand même gaffe. »

Elle lui répondit d'un sourire confiant, puis commença à s'avancer doucement une fois Auster descendue de son perchoir. La créature ailée de Pierre la regardait venir vers lui d'un œil soupçonneux, mais sa méfiance s'envola en partie lorsqu'il la vit lui présenter une lanière de viande séchée. Attiré par la friandise, il effectua un pas prudent vers Alizée en tendant le cou vers l'avant, sans la quitter du regard. Il attrapa délicatement le morceau de chair du bout de son bec massif et l'engloutit d'un coup en relevant la tête.

« Là, tout doux... »

L'Airmure poussa un sifflement dubitatif alors qu'elle avançait toujours la main, mais accepta sans broncher qu'elle la pose sur son front puis son cou.

« Et voilà ! s'exclama la Dresseuse au Cornèbre en continuant de caresser doucement le plumage aiguisé de la créature.
- Ok, mais ça aussi j'avais réussi à le faire avec la baie. Enfin, j'ai pas réussi à aller jusqu'à le toucher, mais je pensais que c'était dû au stress du combat ou de voir un humain.
- Oui, possible. Mais je comprends toujours pas pourquoi il s'est montré menaçant après, comme tu me l'as dit, alors que tu avais réussi la première étape... Bon, tu vas essayer avec Loo, il devrait pas y avoir de problème avec elle. »

Là-dessus, la jeune femme fit s'écarter sa Pokémon pour qu'elle ne se retrouve plus à proximité de son congénère, qui aurait pu s'affoler de voir Pierre aussi proche de lui.

« Allez, fais exactement comme moi. »

L'adolescent aux cheveux d'acier hocha la tête, puis marcha doucement en direction de l'aigle imposante, tendant le morceau de viande que sa professeure lui avait donné.
Pourtant, cela ne se passa pas comme prévu. Au lieu de s'approcher pour manger la gourmandise, l'oiselle renforcée recula la tête en poussant un sifflement réticent, a priori mal à l'aise.

« Loo ! » la houspilla Alizée.

A contrecœur, la rapace attrapa la chair séchée, mais retira immédiatement son bec pour que l'humain ne la touche pas. Indécis, le jeune Rochard jeta un coup d'œil à sa mentor, ne sachant pas s'il devait insister. Voyant qu'elle l'y encourageait, il poussa un léger soupir et poursuivit sa lente avancée.
Mais l'Airmure semblait encore moins enchantée par cette perspective. Elle émit une stridulation plaintive à l'attention de sa Dresseuse, espérant la convaincre d'arrêter. N'obtenant rien d'autre qu'un regard ferme l'enjoignant de rester tranquille, elle obtempéra bien malgré elle.

Pierre parvint ainsi à poser sa main sur son cou... Cependant, l'oiselle argent et sang était clairement dans un état de panique. Le cou tendu à l'extrême vers le ciel, ses yeux acérés ne quittant pas le jeune homme, et le rythme bien trop rapide auquel son poitrail se soulevait étaient autant de signes flagrants de son angoisse.

« Ca suffit, recule ! »

L'élève obéit aussitôt, alors que la Dresseuse du vent se précipitait sur sa Pokémon pour l'apaiser. Mais dès qu'il s'était éloigné, Loo avait commencé à se calmer.

« ... J'y comprends plus rien, dit-elle, le regard troublé en revenant vers le jeune homme. Tu n'as pourtant rien fait qui justifierait une telle attitude, et tout aurait très bien dû se passer...
- Il s'est passé la même chose quand j'ai voulu lui donner le Spinda. Enfin, en plus agressif.
- Mais ça n'a pas de sens... J'ai jamais entendu parler d'un Airmure qui réagirait comme ça sans raison. »

Il haussa les épaules, puis fit rentrer ses deux créatures de métal dans leurs sphères respectives.

« Je suis désolée de pas avoir pu t'aider...
- Bah, t'en fais pas. Je dois juste pas avoir la côte avec les Airmure en général. Merci quand même pour ton aide, et bonne chance pour ton tournoi.
- Bonne chance à toi aussi. »

Alizée le regarda tristement quitter le terrain d'entraînement. Elle espérait que ça irait pour la suite...

***
« J'arrive ! » s'écria le vieil homme aux lunettes rondes, en réponse à la sonnerie de l'entrée.

Ses yeux s'ouvrirent en grand sous la surprise qu'il eut en ouvrant la porte.

« Ca alors ! Ca fait plaisir de te voir, fiston !
- Bonjour M. Moore, dit Pierre en lui serrant la main.
- Oh, je vois que tu portes mes cadeaux ?
- Oui. Merci encore, d'ailleurs.
- Allons fiston ! Tu ne vas quand même pas me remercier pour ça à chaque fois qu'on se parle ou qu'on se voit ! Mais entre, ne reste pas dehors. »

Quelques instants plus tard, les deux hommes étaient installés à la table de la terrasse pour profiter de cette agréable journée de début de printemps, une tasse de thé aux baies Mangou dans les mains.

« On a de la chance qu'il fasse beau aujourd'hui. Il y a eu de la pluie au début de la semaine, et ensuite le vent nous a encore amené des cendres jusqu'à avant-hier.
- A Autéquia aussi, il y avait quasiment tout le temps des chutes de cendre.
- Ca, ça m'étonne pas vraiment. Y'a un vent du sud sacrément têtu qui souffle souvent, du coup ça leur ramène toute la fumée.
- Forcément... Au fait, Adriane n'est pas là ?
- Non, elle est en voyage scolaire à Poivressel. Mais elle rentre demain. Tu sais si tu restes longtemps ? Elle serait contente de te voir.
- Je ne suis pas vraiment pressé, donc pourquoi pas. »

Ils s'interrompirent le temps de boire une gorgée de la boisson chaude, puis le Champion de Vermilava reprit la parole.

« Alors, que me vaut le plaisir de ta visite ? En tout cas, je suis quand même content de voir que tu vas bien mieux depuis la dernière fois.
- J'ai repris mon voyage le mois dernier, un peu après qu'on a enlevé mon attelle. Par contre... Ca n'a pas vraiment très bien commencé.
- Oh ? s'étonna le grand-père.
- J'ai réussi à capturer un Airmure près d'Autéquia, mais... Il se montre constamment agressif avec moi, sans raison apparente. Même une Dresseuse qui s'est spécialisée dans le type vol ne comprenait pas sa réaction.
- Ah... C'est problématique, ça...
- Et aussi, j'ai capturé un Balbuto à la lisière du désert, il y a quelques jours. Mais, dès que je l'ai attrapé, il a commencé à... Attendez, ce sera plus simple si je vous montre. »

Posant sa tasse sur la table, il farfouilla dans la poche intérieure de sa veste pour en extirper une capsule. La sphère se scinda en deux, libérant la poupée d'argile... Qui se mit aussitôt à tourner dans tous les sens, se retrouvant même parfois la tête en bas, comme s'il lui était impossible de demeurer droite et stable.

« ... Effectivement... s'étonna Firmin Moore.
- Et je vous assure qu'il était parfaitement normal quand je l'ai affronté. C'est uniquement après qu'il s'est mis à faire ça. C'est pour ça que je suis venu vous voir, je me disais que vous pourriez m'aider.
- J'ai bien peur que non, fiston, dit-il d'un ton désolé. Tu m'aurais demandé pour n'importe quel Pokémon feu, j'aurais pu faire quelque chose. Mais mes connaissances au sujet des Balbuto sont limitées à la base...
- Dommage... »

Le silence se fit à nouveau, pendant lequel Vésuve sortit de la maison pour renifler l'étrange créature sens dessus-dessous. Il s'en lassa apparemment assez vite, préférant sauter sur la renarde dorée qui dormait tranquillement sous la table, aux pieds des deux humains. S'ensuivit une course poursuite à travers tout le jardin.

« Un vrai petit Chacripan, celui-là, » sourit le Champion de feu.

Ses vieux yeux s'éclairèrent alors, comme s'il venait d'avoir une idée.

« Pourquoi tu ne téléphonerais pas au Pr. Seko ? Si je me souviens bien, il t'avait dit que tu pouvais l'appeler si tu avais des questions sur tes Pokémon, non ?
- Ah, mais c'est vrai ! Vous avez toujours son numéro ?
- Oui, il est dans mon répertoire, dit-il en lui tendant le carnet. Tu peux utiliser le téléphone du salon, si tu v... Vésuve, descends de là tout de suite, tu sais que tu n'as pas le droit ! »

Le Feurisson sauta aussitôt au bas du saule pleureur, l'air coupable. Etna en profita alors pour l'attaquer, lui mordillant légèrement la peau en poussant des grognements joueurs.
Le jeune Rochard sourit devant la scène, puis récupéra le calepin, avant de se lever pour passer son coup de fil. Il patienta une dizaine de secondes avant qu'on ne décroche.

« Allô ?
- Pr. Seko ?
- Non, je suis l'un de ses assistants.
- Est-ce que vous pourriez me le passer ? Je souhaiterais lui parler.
- Bien entendu. Votre nom ?
- Pierre Rochard.
- Ne quittez pas. »

Pierre patientait depuis presque une minute quand l'hermine cendrée fit son apparition dans la pièce. Vésuve le regarda d'abord d'un air un peu surpris de le voir ici, mais il ne s'en formalisa pas davantage. Dans l'ordre de ses priorités, la question de la présence du jeune homme dans le salon était bien loin derrière la sieste qu'il comptait faire.

« C'était bien la peine que tu réveilles Etna si c'est pour dormir toi aussi ! plaisanta-t-il alors que le quadrupède se couchait bien confortablement sur son coussin, le ventre à l'air.
- ... Allô, Pierre ?
- Ah, bonjour Professeur.
- Alors, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Ne me dis pas que tu as encore trouvé un fossile !
- Pas vraiment non. En fait, j'ai besoin de vos conseils, à propos d'un Pokémon que j'ai capturé il n'y a pas trop longtemps. »

Il lui raconta alors les problèmes qu'il rencontrait avec la créature sans équilibre.

« Vous avez une idée de ce qui a pu se produire ?
- Hum... Eh bien, les Balbuto ont des capacités psychiques, ce qui leur permet notamment de se déplacer et de léviter. Mais, du coup, cela signifie également qu'ils sont sensibles à l'ambiance autour d'eux.
- D'accord... Jusque-là je suis, mais ça ne m'aide pas plus. Quand je l'ai sorti, ce n'était pas dans un environnement menaçant ou dangereux. Et je pense pas non plus que la maison de M. Moore soit l'endroit le plus horrible du monde.
- Je me suis mal exprimé, excuse-moi. Vois-tu, les Balbuto ont une longue histoire avec les humains. On a retrouvé des peintures où ils y étaient représentés, et tout laisse à croire que ce sont nos ancêtres qui les ont créés, pour les utiliser comme protecteurs ou comme serviteurs.
- Et donc ?
- Pour être certains qu'un Balbuto n'obéirait pas à quelqu'un d'autre, une sorte de lien mental était tissé entre son propriétaire et lui. Et même si cette civilisation a désormais disparu, les Balbuto ont conservé le réflexe de créer ce lien quand ils se font capturer, souvent sans même que la personne s'en rende compte. De ce fait, ils se rattachent encore aujourd'hui à l'esprit de leur maître... Et le reflètent. »

Le Dresseur aux cheveux argentés fronça les sourcils devant de tels propos.

« Ca veut dire quoi, ça ? Que je suis dérangé parce que mon Balbuto est pas capable de rester droit ?!
- Mais non, je n'ai pas dit ça ! Simplement, il doit y avoir quelque chose pour qu'il soit perturbé à ce point. Comme un conflit.
- ... Y'a bien mon Airmure avec qui c'est compliqué, mais je ne l'ai pas sorti depuis Autéquia, et il n'a donc pas pu le voir.
- Tu as aussi des problèmes avec ton Airmure ?
- Oui, il est agressif avec moi et refuse de m'écouter. Et malgré l'aide de quelqu'un qui s'y connaît niveau Pokémon vol, ça n'a rien changé.
- Hum... C'est quand même étrange que tous tes Pokémon aient des problèmes comme ça... Je me demande s'il n'y a pas un lien...
- Enfin, au moins, la boîte de conserve obéit, elle. »

Il n'avait fait que marmonner la dernière phrase. Mais apparemment, il avait parlé un peu trop fort, car le savant l'entendit.

«La... Boîte de conserve... ? »

Pierre se mordit la lèvre. Zut !

« Euh... Mon Métang. Je voulais dire mon Métang, tenta-t-il de rattraper.
- ... Tu t'entends bien avec lui ?
- Ben, c'est une machine, quoi. Je lui donne un ordre, il obéit, et voilà. »

Un soupir se fit entendre à l'autre bout du fil.

« Dis-moi, mon garçon... C'est ton Métang que tu as utilisé pour attraper tes deux Pokémon, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est bien ça.
- Donc, dans les deux cas, toi comme lui étiez présents...
- Oui. Ah, je crois que je vois où vous voulez en venir : ils réagiraient comme ça à cause de lui, parce qu'il les a attaqués ? ... Non, ça ne marche pas, j'avais déjà essayé de le garder dans sa Pokéball pour calmer mon Airmure et ça n'avait pas marché. Et le Balbuto, je l'ai déjà sorti quand il n'était pas là non plus, et ça n'a rien changé au problème.
- Ca, c'est parce que ce n'est pas lui le problème. Enfin, oui et non. Je pense plutôt que c'est la relation que tu entretiens avec lui qui a causé tout ça.
- ... Pardon ?
- Si j'ai bien entendu, tu l'as traité de boîte de conserve à l'instant, non ?
- ... Oui... admit Pierre, penaud de s'être fait prendre.
- Ce n'est pas vraiment un terme très amical, je dois dire... Et d'après ce que tu m'as décrit, ta façon d'agir avec lui n'est pas non plus franchement sympathique.
- ... C'est possible... Mais quand même, même si c'était le cas, ça...
- Si, ça pourrait très bien expliquer le comportement de ton Balbuto. Je ne me prononce pas sur le cas de ton Airmure, vu que je n'ai pas assez de détails, mais comme je te l'ai dit, les Balbuto ressentent les émotions et les perturbations de leur maître. Et si celles-ci sont vraiment très profondes, cela peut se répercuter physiquement. D'où son manque d'équilibre. »

Il ne répondit rien alors que, derrière lui, le Feurisson grognait dans son sommeil. Il était plus que sceptique devant les théories avancées par son interlocuteur.

« Je dois vous laisser, M. Moore a besoin de moi, prétexta l'adolescent pour couper court à la conservation.
- Pas de souci. J'espère t'avoir été utile.
- Oui oui. Au revoir. »

Il raccrocha aussitôt, mais n'en revenait pas qu'un homme de sciences comme le Pr. Seko ait pu lui dire des choses pareilles. La façon dont il traitait cette stupide boîte de conserve serait le problème ? C'était complètement idiot, ça n'était qu'une machine après tout ! Et il allait le prouver !

« M. Moore ! cria-t-il pour qu'il l'entende depuis le salon, réveillant Vésuve en sursaut. Je peux téléphoner à quelqu'un d'autre ?
- Fais comme chez toi, fiston ! »

Le jeune homme aux yeux durs regarda l'heure affichée par l'horloge murale. Elle devait être au bureau. Il composa le numéro, tandis que l'hermine se roulait en boule dans son coussin pour se rendormir.

« Maman ? dit-il quand il entendit qu'on décrochait.
- Pierre ? Qu'est-ce qu'il se passe mon grand, tu vas bien ?
- Oui, oui, t'en fais pas. Je voudrais juste te poser une question.
- Ah ? Je t'écoute.
- Les Métang, ce sont bien des machines, non ?
- Euh... Ca dépend dans quel sens tu l'entends.
- Dans le sens : est-ce qu'ils ont des sentiments ?
- ... Mais pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? Tu devrais bien le savoir, pourtant, depuis le temps que tu as le tien !
- Je veux juste avoir ta réponse. Alors ?
- Bien sûr qu'ils en ont ! »

Les yeux de son fils s'écarquillèrent. Mais, il était pourtant certain que...

« Mais... Ce sont que des robots... !
- Le programme de conscience est même l'un des logiciels de base d'un Terhal ! Il a notamment été instauré pour les astronautes, afin qu'ils ne souffrent pas de la solitude pendant leurs missions.
- ... Je... Euh...
- Pourquoi tu me poses cette question, au fait ?
- Pour rien. Merci.
- Att... »

Trop tard, il avait déjà remis le combiné en place sur le socle. Il resta debout un petit moment, interdit. Ca n'avait absolument pas été la réponse à laquelle il s'était attendu. Farfouillant dans sa poche, il en extirpa la capsule du Métang pour la fixer du regard. La boîte de conserve aurait vraiment des sentiments, une conscience ?

Le Champion de Vermilava était toujours assis sur la terrasse, caressant la tête d'Etna posée sur ses genoux, quand il revint. La poupée d'argile était toujours agitée, elle aussi.

« Alors ?
- D'après lui, ce serait à cause de la façon dont je traite mon Métang... Qui aurait d'ailleurs des émotions. »

Le vieil homme le regarda avec des yeux presque aussi ronds que ses lunettes.

« Et ça t'étonne, fiston ?
- Ben, quand même, oui. C'est un robot, donc...
- Mais... Tu n'as pas vu combien lui aussi était triste, quand tu étais à l'hôpital puis quand on a essayé de chercher Cinabre sur le Mont Chimnée ? »

Cette fois-ci, ce fut le jeune Rochard qui lui adressa un regard surpris.

« Vous êtes sûr ?
- Oh que oui. Comment crois-tu que j'ai su qu'elle était... Plus là, alors qu'elle aurait très bien pu se trouver dans sa Pokéball ?
- ... »

Une fois de plus, il ne répondit rien, perturbé parce qu'il venait d'apprendre.

« Mais bon, passons, fit le grand-père. Tu as pris une chambre à l'auberge ?
- Pas encore, non.
- Dans ce cas, la chambre d'amis est toujours à ta disposition. Il faudra juste que je prévienne ma femme pour le repas de ce soir. »

Le reste de la soirée se déroula sans encombres. Retrouver l'ambiance chaleureuse du foyer du vieux Champion lui fit plus de bien que ce qu'il avait pensé. L'absence de la petite fille rousse rendait la maison moins agitée, mais Vésuve se chargeait de remonter le quota de pitreries et bêtises en tous genres.
Pourtant, quand le jeune Dresseur alla se coucher, il ne parvint pas à trouver le sommeil. Il tournait dans le lit, en ressassant ses pensées.

Il avait toujours été persuadé que son premier Pokémon n'était qu'un simple automate qui faisait ce qu'on lui demandait, qui n'avait aucun libre-arbitre. Mais, maintenant qu'il y repensait... Il y avait de nombreuses fois où le gros robot bleuté avait montré un peu d'initiative, ou bien avait fait de petits refus. Comme lorsqu'il l'avait projeté vers l'arrière pour l'empêcher d'être touché par l'explosion du Racaillou. Quand il avait eu l'idée de proposer la carcasse du Spinda pour amadouer un peu plus l'aigle en armure. Ou encore... Quand il n'avait pas voulu lui dire où se trouvait Cinabre...

L'adolescent se tourna sur le côté, les sourcils froncés. Bon, ok, il voulait bien admettre qu'il s'était trompé à ce sujet, mais quand même ! Aller jusqu'à dire que les ennuis qu'il avait avec ses deux autres Pokémon étaient dus à un truc aussi stupide, c'était...
... Non, en fait, ça ne l'était pas tant que ça... Alizée lui avait bien dit qu'un Airmure n'agissait pas comme ça sans raison. Et lorsqu'il avait sorti le sien juste après l'avoir capturé, il n'avait commencé à être hostile que lorsqu'il avait voulu lui rendre sa proie... Qu'il avait prise des pinces du Métang. ... Ou plutôt, il la lui avait carrément arrachée. En plus de l'avoir presque engueulé pour avoir voulu lui donner cette idée.

Un grognement sortit des dents serrées de Pierre, qui se remit sur le dos en se passant une main sur la figure. Ca serait ça ? Le rapace au plumage renforcé se comporterait ainsi parce qu'il l'avait vu être désobligeant avec l'être mécanique ? Hum... Dans ce cas, ça pouvait peut-être aussi expliquer pourquoi Loo s'était montrée si peu en confiance avec lui.

Il laissa retomber son bras sur la couette, fixant le plafond dans l'obscurité de la chambre. Mais du coup... Que faire ? Améliorer la façon dont il le traitait, lui avait suggéré le Pr. Seko. Plus facile à dire qu'à faire... Vraiment ? Etait-il certain de cela ? Le Métang lui avait-il une seule fois porté préjudice ? Il n'avait cessé d'être là pour lui, de lui obéir, de le soutenir alors même qu'il n'avait pas arrêté d'être méprisant avec lui. Et tout ça, il s'en rendait maintenant compte, parce que c'était son père qui le lui avait offert. Il était la cible de toute la colère et la frustration qu'il avait à l'égard de son géniteur, uniquement parce qu'il avait eu le malheur d'être la créature donnée par celui-ci. Ce qui était tout de même injuste, il devait bien l'admettre.
Il repensa alors à ce que Firmin Moore lui avait dit plus tôt. Comme quoi il avait lu de la tristesse dans les yeux rouges du robot, quand ils étaient allés chercher Cinabre. C'était vrai qu'ils avaient passé presque tout leur temps ensemble, ces deux-là... Et la Mysdibule qui insistait tout le temps pour qu'il le garde sorti... Est-ce que par hasard... ?

Détachant avec précaution la chaîne autour de son cou, il amena le pendentif à hauteur de ses yeux. Le métal sombre reflétait un fin rayon de lune, qui avait fait son chemin dans une petite fente des volets.

« Cinabre... murmura-t-il doucement. Alors c'était pour ça que tu ne voulais pas que j'aie d'autres Pokémon ? »

Aucune réponse ne s'éleva dans le calme de la chambre, mais ce n'était pas grave. Il n'en avait pas besoin. Il comprenait mieux son amie, maintenant.

Les yeux durs du jeune Rochard se fermèrent sans qu'il ne s'en rende compte, sa main serrant le collier retombant sur son torse. Mais, juste avant de sombrer dans le sommeil, une pensée déterminée emplit son esprit. Demain, il ferait ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Avoir une discussion avec son premier Pokémon.

***
De légers nuages se promenaient dans le ciel limpide du matin quand le jeune homme aux cheveux d'acier sortit dans le jardin. Une fois sous le saule pleureur, il baissa les yeux sur la capsule dans sa main. Puis, inspirant un grand coup, il actionna le mécanisme d'ouverture.
La sphère se scinda en deux, libérant son occupant. Ce dernier observa les alentours avec curiosité, n'ayant jamais eu l'occasion de voir la demeure du Champion de Vermilava.

« Euh... Salut. »

Aussitôt, l'automate articulé posa ses yeux rouges étonnés sur son maître. Il venait de l'accueillir sans lui donner d'ordre ou faire un quelconque geste dédaigneux. Une première.
Pierre, lui, était plutôt mal à l'aise.

« Ca... Ca te dérange si on parle un peu... ? » demanda-t-il, le regard baissé et la main sur la nuque.

Le Métang secoua la tête, mais se demandait bien ce qui était en train d'arriver à son propriétaire.

« Alors, euh... »

Il ne savait pas vraiment par où commencer.

« Déjà... Ca fait plusieurs fois que tu m'as sauvé la mise. Notamment cette fois-là, sur le volcan. Et... Je t'ai jamais remercié pour ça. Au contraire, même... Alors voilà : merci. »

Les pupilles électroniques se dilatèrent et s'ajustèrent à l'écoute de ce dernier mot. Il... Il allait bien ? C'était vraiment le même humain que son Dresseur, qui se tenait là ?

« Et aussi, je voulais... M'excuser pour... Tu sais, la façon dont je me comportais avec toi. T'es pas une boîte de conserve inutile. Et en fait, je crois que si j'étais comme ça, c'est juste parce que tu es un cadeau de mon père, que je porte pas vraiment dans mon cœur. Du coup, c'était toi qui essuyais les pots cassés, alors que tu n'as jamais rien fait d'autre que m'aider. Et pourtant, tu ne m'as jamais rien dit, et faisais toujours ce que je t'ordonnais. Alors que, disons-le, je me suis comporté comme un vrai connard. »

Maintenant qu'il était lancé, les mots venaient beaucoup plus facilement. Et à mesure qu'il disait tout ça, il se sentait plus léger, tandis que la machine consciente l'écoutait sans faire le moindre bruit, effarée d'un tel discours.

« Pour finir, je voulais aussi m'excuser pour les derniers mois. Surtout la période avant le Jour du Prodigue, si tu vois ce que je veux dire... J'étais tellement effondré par sa disparition que je ne m'étais même pas rendu compte que toi aussi, tu souffrais. »

La créature mécanique baissa un peu la tête et, pour la première fois, son maître vit la tristesse dans ses orbites artificiels. Mais avant qu'il ait pu ajouter quoique ce soit, les yeux rouges du robot bleuté projetèrent un rayon sur le sol. Quelques instants plus tard, un paysage sinistrement familier apparut dans le rond de lumière.

Le cœur du jeune homme se serra quand il vit la fée de métal, la mâchoire écrasée par de lourds rochers, en train d'essayer de les briser pour se dégager. L'objectif tourna alors, pour regarder le bas de la pente, où il entendit sa propre voix appeler désespérément Cinabre, sans savoir qu'elle-même était prise au piège.
La caméra changea à nouveau d'orientation pour se focaliser sur le sommet du volcan, découvrant une vague bouillante de feu qui descendait le versant dans leur direction.

L'angle bougea encore une fois, ne montrant cette fois rien d'autre que le ciel lourd de fumée. Un grondement rauque se fit entendre, que Pierre reconnut comme étant celui de Cinabre. Le film se réorienta alors sur son visage crispé et déterminé, alors que de timides bruits électroniques répondirent à son cri... Qui déclencha une série de hurlements chez la créature aux deux bouches. Et bien qu'il ne saisissait pas le sens de ses vociférations, l'adolescent n'eut aucun mal à comprendre qu'elle le réprimandait sévèrement sur ce que venait de lui dire son interlocuteur... Il commençait également à comprendre qui était la personne qui filmait tout cela, lui donnant une nouvelle lecture de cet événement. Il voyait la scène depuis l'œil du Terhal, qui avait dû tout enregistrer.

Le paysage trembla alors, tandis qu'il s'entendit une nouvelle fois appeler à l'aide, l'objectif se concentrant à nouveau sur sa silhouette lointaine. Un zoom avant s'effectua, permettant de voir son bras gauche ensanglanté, qui pendait maintenant dans le vide comme la majeure partie de son corps.
Soudain, la caméra sembla devenir folle, tournant sur elle-même avant de se stabiliser à nouveau en direction de Cinabre, plus éloigné que quelques instants auparavant. Et quand il voulut se réavancer vers elle, des pics rocheux jaillirent hors du sol, lui interdisant tout accès, alors qu'un éclat de voix déterminé retentissait.
Le décor se recula un peu en même temps que des bips affligés s'élevaient de la projection, puis l'angle se retourna complètement pour foncer vers le jeune homme en péril. Quelques pierres passèrent parfois dans le champ de vision, quand celui-ci se décala sur le côté, comme si la caméra était déplacée en pleine action. L'instant d'après, les crochets d'une pince massive se refermèrent sur la veste de l'humain sans connaissance, pour le ramener ensuite dans deux bras bleutés.

Un bruit électronique soulagé se fit entendre, quand un hurlement déchirant satura l'air, persistant pendant de longues secondes. L'objectif se redressa aussitôt, pour pousser un son horrifié devant la scène qui se déroulait.
La lave avait atteint l'endroit où la Mysdibule était coincée, du magma tombant de la corniche au-dessus d'elle pour se répandre sur son corps de miel. Sa plainte insupportable retentissait dans le calme surnaturel qui régnait, ne s'achevant qu'une fois la créature entièrement engloutie dans le torrent infernal, ne laissant plus derrière elle qu'un silence morbide.

L'automate articulé cessa là sa projection, dissipant les deux rayons de lumière. Aussitôt, Pierre tourna la tête vers lui, le visage médusé.

« Tu... Pendant tout ce temps... Tu avais ça en mémoire... ?! »

Le Métang acquiesça tristement, les bras relâchés au point que ses crochets touchaient le sol. Abasourdi, son maître se laissa tomber sur le banc à bascule.

« Mais pourquoi tu... C'est horrible ! Tu peux pas vivre avec ça ! Je demanderai à ma mère si c'est possible de l'effac... »

Un bruit de refus s'échappa aussitôt du gros robot, alors qu'il secouait vivement la tête. Même si c'était dur, il s'agissait quand même d'un souvenir d'elle.

« D'accord, j'insiste pas. Mais... Wouaw. Je... Je suis vraiment désolé... En plus, tout ça est de ma faute... Si j'avais pas été aussi con avec toi, on n'aurait jamais eu besoin d'aller sur le Mont Chimnée... »

A nouveau, des bruitages de négation. Le jeune Rochard se passa une main sur le visage avant de sourire tristement.

« Merci, mais c'est quand même vrai. Si j'avais été sympa avec toi depuis le début, ou au moins si j'avais compris ce que voulait Cinabre... On aurait pu se trouver ailleurs à ce moment-là. Enfin, comme on dit, avec des si, on mettrait Hoenn en bouteille. »

Alors qu'il était légèrement penché vers l'avant, son œil remarqua le petit pendentif sombre qui se balançait doucement dans le vide. L'observant un court instant, il porta ses mains dans sa nuque pour défaire la chaîne, et examina à nouveau la capsule étirée, maintenant dans sa paume. Il fit alors signe au Métang de s'approcher.

« Je sais que c'est pas grand chose, mais... Y'a que ça que je peux te donner pour qu'elle soit aussi avec toi. »

Ce disant, il accrocha la chaîne autour de la base de la pointe frontale de son premier Pokémon qui, ému, le remercia de bruits électroniques saccadés. S'il avait été de chair, nul doute que de grosses larmes auraient perlé dans ses yeux rouges.

« Il va juste falloir te le mettre ailleurs, après. Peut-être au bras... Parce que là, tu vas finir par loucher ! plaisanta l'adolescent en souriant. En tout cas, je te promets de changer à partir de maintenant. Je te promets pas d'y arriver de suite, mais n'hésite pas à me rappeler à l'ordre si je commence à être... Disons, idiot. »

Son premier Pokémon hocha la tête pour lui montrer qu'il comprenait. Le jeune Dresseur se remémora alors un autre conseil qu'Alizée lui avait donné, ce jour-là. Les sourcils froncés et se tenant le menton, il réfléchit un petit moment, sous le regard interloqué de l'automate.

« J'ai trouvé ! s'exclama-t-il brusquement. Cobalt ! Ca te plairait comme nom ? C'est un métal bleu, comme toi. »

Le Métang pencha sa large tête sur le côté avant d'acquiescer joyeusement. Oui, il aimait beaucoup.

« Dans ce cas... »

Pierre se leva en lui tendant la main.

« Bienvenue dans l'équipe, Cobalt ! »

La créature nouvellement nommée considéra sa main, avant de la prendre délicatement entre ses crochets et la secouer doucement, comme il avait déjà vu des humains le faire.
C'est à ce moment-là que la porte menant à l'intérieur s'ouvrit, laissant voir la tête aux cheveux bouclés de Firmin Moore.

« Fiston, on va chercher Adriane ! Tu viens avec nous ?
- J'arrive ! »

Il s'avança jusqu'à la terrasse mais s'arrêta juste avant de rentrer. Fouillant dans sa poche, il ouvrit la sphère de la toupie d'argile, pour vérifier quelque chose.

« Tout va bien, fiston ? demanda le Champion depuis la cuisine.
- ... Oui. Tout va très bien. »

Un sourire aux lèvres, il passa la porte.

Le Balbuto tenait droit.

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*: La Vallée Comète est le nom donné culturellement au vallon allant d'Autéquia au Site Météore, l'appellation Route 114 étant son identifiant officiel.