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Egaré de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 24/06/2019 à 10:18
» Dernière mise à jour le 24/06/2019 à 10:18

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 14 : Confrontations
« Tout homme puissant trouve un jour ou l'autre un homme plus puissant que lui. » Proverbe mauritanien.


***


La tignasse blonde de Zak n’aurait pas pu être plus décoiffée qu’en cet instant. Le zéblitz qu’il chevauchait galopait à grande vitesse, faisant parfois des bonds de plusieurs mètres pour sauter de dune en dune. L’électricité statique qui l’enveloppait faisait bouillir le sable sous ses sabots, laissant des traces boueuses derrière lui, alors que les arcs lumineux émanant de sa crinière crépitaient dans l’air.

Le groupe de soldats suivait sans rien dire ; au contraire de Zak, tous étaient équipés de tenues de cuir capables de nullifier les courants électriques. Bien à l’opposé de ses camarades, l’électricité qui jaillissait du pokémon lui était bénéfique. À chaque petite onde de choc, il se sentait revigoré, si bien qu’il n’avait pas trouvé le sommeil pendant la nuit passée dans le Désert de la Désolation.

D’un coup d’œil oblique, il tourna le regard vers une dune voisine, où venait de se jucher le zéblitz de Garûnd. Le Mutant Combat avait le front plissé, et paraissait ennuyé, presque agacé. Il avait hâte de combattre. Mais il rechignait à accomplir leur mission actuelle.

Négocier avec les bandits qui se préparaient à les envahir n’était pas à son goût. Il aurait sans doute préféré avoir l’autorisation de les affronter.

Zak savait que son respect pour Mervald forcerait le combattant à crête iroquoise à patienter. Les négociations allaient sans doute bien se passer, comme prévu par le gouverneur. De toute façon, Zak avait beau appeler ça des négociations, leur but n’était pas réellement de convaincre les mercenaires d’abandonner.

Il fallait juste voir combien ils étaient, et deviner à vue de nez quelle stratégie ils allaient employer pour s’en prendre à la capitale. En espérant qu’ils ne seraient pas attaqués en arrivant aux abords du campement de la lisière : dans le cas contraire, ils auraient à se défendre, et ce serait alors un véritable carnage.

Glissant une main dans une poche intérieure de sa veste, Zak vérifia machinalement que son papier était toujours là. Il était décidé, désormais. Quel que soit le nombre de bandits dans le camp ennemi, quel que soit l’état de leur armement ou de leurs préparations, il avait choisi son camp, et le ferait savoir.

Certaines choses devaient prendre fin maintenant, et cette décision ne revenait qu’à lui.

Un soldat cria un avertissement.

— Campement en vue, au sud-est !

Le regard bleu électrique du Mutant se ficha vers la lointaine ligne que formait la lisière des Forêts de l’Est, les fameuses. Et sur les panaches de fumée qui s’en élevaient. Il distinguait à peine le camp en question, situé hors des bois, mais il raffermit son emprise sur les rênes de son zéblitz et laissa le groupe ralentir et préparer le drapeau blanc.

Les négociations allaient enfin commencer.



***


Darren était tranquillement installé à la table ronde de la grande tente. Celle-là même où se tiendraient bientôt des conseils entre chefs de bandes. Là où leurs stratégies prendraient vie.

Leur petit centre de commandement improvisé.

Il lisait un message de refus de la part d’un groupe du nord quand Ève déboula comme une furie dans la tente. Darren comprit aussitôt que quelque chose d’étrange se tramait. Il entendait l’agitation qui enflait dans les alentours du camp. Le bruit des marteaux, des burins et des efforts des humains comme des pokémons étaient presque totalement interrompus.

Il se leva brutalement, laissant tomber la lettre par terre.

— Quel est le problème ?

Il se sentit pâlir légèrement. À en juger l’expression d’Ève, la jeune femme était apeurée. Comportement particulièrement rare chez elle.

— Des soldats de Mervald ! Ils se sont arrêtés à bonne distance du camp, mais…
— Va chercher Karyl, Boralf et… l’ermite, si tu peux l’amener rapidement là-bas.

Elle faillit répliquer quelque chose, se retint en déglutissant, et hocha nerveusement la tête avant de filer dehors dans un souffle. Darren contourna la table ronde et jaillit à l’extérieur, avant de se diriger d’un pas assuré vers la périphérie du camp.

Il suffisait d’observer les mercenaires et bandits présents pour savoir vers où se diriger ; la plupart s’y rendaient alors que certains se chargeaient de répandre la nouvelle et appelaient à défendre les lieux. Des armes passaient déjà de main en main.

Darren comprit que tout pouvait dégénérer très vite : l’affolement et la panique risquaient de mener à la pagaille, et il fallait éviter à tout prix de déclencher le conflit maintenant. Ils n’avaient reçu qu’une petite partie des aides de Psyhéxa, ils ne pouvaient pas se permettre de tout gâcher si tôt.

Il se mit donc à courir à travers le camp, dépassant certains groupes armés au regard déterminé.

Il rejoignit très vite les premiers pieux en bois pointés vers l’extérieur. Il fut soulagé de voir que personne n’avait encore mis les pieds en dehors de cette frontière virtuelle.

— Baissez vos armes ! lança-t-il aux hommes proches de lui. Pour l’instant, baissez vos armes et attendez ! Faites passer le message !

Beaucoup le reconnurent facilement. Il fallait dire qu’avec sa stature, son calme légendaire et ses yeux céruléens, il ne passait jamais inaperçu. Beaucoup savaient qu’il était l’un des principaux instigateurs de la révolte.

Le message se répandit rapidement le long de la bordure du camp. Le colosse se permit d’avancer lentement de quelques pas pour se détacher des lignes de mercenaires, qui restèrent en retrait, dans l’attente de ce qui allait se produire. Darren s’immobilisa et observa la frontière sableuse du désert, qui apparaissait à une centaine de mètres de là à peine.

Vingt-cinq cavaliers s’étaient postés en ligne en face d’eux, espacés chacun de quelques mètres. Si bien qu’ils occupaient une assez large distance face à eux. Ils ne paraissaient pas vouloir bouger. Mais deux d’entre eux, côtes à côtes, tenaient un drapeau blanc qui paraissait faiblement agité par le vent. Darren ne pouvait que constater qu’ils n’étaient pas équipés d’armures métalliques : dans le cas contraire, le soleil aurait reflété leurs poitrails.

— Ils ne sont pas là pour se battre, on dirait.

Darren pivota. Karyl venait de traverser la foule curieuse et se faufilait entre des pieux pour le rejoindre. Il paraissait à peine surpris par la tournure des évènements.

— Où est Boralf ? demanda le colosse.
— Ève est partie le chercher, il ne devrait plus tarder.

Bakrom et Amelis furent les suivants à émerger de la foule pour s’approcher et observer l’horizon d’un air soucieux.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’étonna Amelis. Ils préparent quelque chose ?
— J’en doute, souffla Darren. On dirait qu’ils veulent parler. Ce drapeau blanc doit vouloir indiquer qu’ils ne sont pas là pour nous combattre.

Bakrom resta silencieux, fixant les silhouettes avec attention.

— Les deux du milieu ne sont pas des soldats, lâcha-t-il simplement.

Darren plissa les yeux, mais fut incapable de vérifier ses dires. Il avait cependant confiance en sa capacité d’analyse. Bakrom avait une excellente vue — si bien qu’il se demandait parfois s’il était vraiment humain — que personne ne pouvait se vanter d’avoir.

— À quoi tu le vois ? questionna Amelis.
— Ils ne se tiennent pas droit comme les autres. L’un d’eux est décoiffé, et l’autre n’a même pas de protections aux bras. Ni d’armes…

Karyl blêmit légèrement, et soupira de dépit.

— Ne me dites pas que ce sont les deux Mutants de Mervald…
— Peut-être bien que si, répliqua Darren.

Ils attendirent quelques minutes en silence. L’intégralité des gens du campement étaient rassemblés derrière eux, attendant qu’il se passe quelque chose. Un étrange silence envahit les lieux. Darren supposa que c’était le moment d’éclairer les choses avec un petit discours. Il se retourna et laissa ses camarades lui offrir un peu d’air pour que son message soit transmis plus facilement. Il leva un bras vers le ciel pour quémander leur attention.

— Écoutez-moi, camarades !

Les têtes se tournèrent vers lui. Il haussa encore la voix, pour être sûr d’être entendu.

— Le gouverneur tente probablement de négocier avec nous ! Ne prenez pas les armes, n’attaquez rien ni personne, à moins d’être attaqués vous-mêmes ! Nous allons essayer de savoir ce qu’ils veulent, mais sachez que quoi qu’il nous propose, aucun de nous ne s’en retrouvera corrompu ! Nous finirons par le vaincre, et ceci n’est que la première étape de notre révolte !

Son bref dialogue sembla faire mouche. Si quelques têtes furent hochées avec parcimonie, d’autres levèrent le poing et crièrent pour montrer leur soutien à cette nouvelle cause. Aucun bandit ne tenta de franchir les premiers pieux. L’atmosphère se détendit légèrement.

Alors que Darren, soulagé, laissait ses épaules se relâcher, Ève fit enfin son apparition, avec Boralf et Gust, l’ermite. Ce dernier était comme toujours accompagné de son fidèle xatu.

Darren leur expliqua brièvement la situation. Boralf se porta volontaire pour négocier à ses côtés, et s’éloigna rapidement pour demander à quelques hommes de fabriquer un drapeau blanc dans les plus brefs délais. Alors qu’ils s’activaient à l’aide de simples pieux et d’un drap immaculé, Darren se tourna vers l’ermite :

— Gust, puis-je demander à votre xatu de veiller à ce que personne, allié comme ennemi, ne passe entre les pieux, dans un sens comme dans l’autre ? Exceptés nous autres ici présents, bien sûr.
— Sans souci. Xatu peut s’en occuper.

Le pokémon lâcha un cri d’assentiment, et flotta sereinement à quelques mètres au-dessus du campement, tel un gardien protecteur. Sa présence était sans doute l’une des choses qui rassurait le plus Darren dans cette situation de crise.

— Bakrom, aucun d’eux n’a de fusils de sniper, rassure-moi ?
— Non, seulement des épées.
— C’est donc bel et bien pour négocier qu’ils sont là.

Boralf ne tarda pas à réapparaître avec son drapeau. Il le leva au-dessus de sa tête et commença, à la seule force de ses bras, à l’agiter doucement, histoire qu’il soit visible pour leurs ennemis. Darren et son bras droit, avec quelques mots d’encouragement de la part des autres, quittèrent lentement les lignes de pieux pour s’approcher du désert.

Au loin, les deux silhouettes centrales descendirent de leurs montures et s’avancèrent à pied dans leur direction, continuant de montrer le drapeau à tous.

Darren entendit un bruit de pas discret dans son dos. Il se retourna, et constata avec surprise que Karyl le suivait comme son ombre. Il avait décidemment pris son rôle au sérieux. Même si la curiosité devait aussi jouer dans sa décision de participer aux négociations.

S’il s’agissait bel et bien de ça, et pas d’une attaque surprise à venir.

Darren ne pouvait s’empêcher d’imaginer qu’il courait droit dans la gueule du lougaroc. Quel preuve avait-il qu’il ne serait pas tué par ces hommes dès qu’ils seraient à portée d’épée ? Et s’ils étaient les fameux Mutants de Type Électrique et Combat ? Comment pouvaient-ils résister à eux ? Karyl avait beau être un Mutant issu de la Némélia 3, et eux de la Némélia 2, Darren persistait à douter quant à ses chances de victoires en cas de combat.

Les deux silhouettes finirent par être suffisamment proches pour être décrites.

Celui qui tenait le drapeau était à peu près de la même stature que Darren. Avec des yeux d’un vert exotique, une crête iroquoise et les bras à découverts, il paraissait un adepte du combat à mains nues. L’autre, un blond décoiffé à l’air méfiant, avec des yeux bleu clair, gardait les mains en évidence, comme pour prouver sa bonne foi.

Aucun doute. Ils étaient les Mutants. La description qu’en avait fait Lyco correspondait parfaitement, pour l’homme à la crête. L’autre, personne ne l’avait jamais vu parmi les pillards, mais ça ne pouvait qu’être le Mutant Électrique, celui qui autrefois veillait sur la cellule du Condamné dans les tréfonds de l’Arène.

Les deux groupes se figèrent à quatre bons mètres de distance. Karyl resta légèrement en retrait, l’air nonchalant, mais son regard brillait d’une lueur inquiétante. Il était prêt à agir.

Les deux drapeaux s’abaissèrent lentement, avant de rejoindre le sol sans un bruit.

— On vient négocier, lâcha le Mutant Combat en faisant craquer les jointures de ses doigts d’un air menaçant. Enfin, ça, c’est ce que veut mon maître. Le gouverneur Mervald. C’est qui le chef ?
— Moi, répondit calmement Darren.

Les yeux verts le regardèrent avec une lueur de curiosité. Le colosse se sentit analysé des pieds à la tête par le Mutant.

— Notre maître nous a demandé de vous dire que vous n’avez pas la moindre chance d’attaquer Méranéa et de vous en sortir vivants. En fait, vous serez même incapables d’atteindre la ville, figurez-vous.
— Inutile d’en venir aux menaces et aux avertissements, répondit Darren avec froideur. Nous ne changerons pas d’avis. Rien ne nous détournera de notre but. Le gouverneur mourra, et sa ville sera à nous.

Le Mutant Combat l’observa avec intensité. La tension augmenta d’un cran. Karyl se tendit. L’homme à la crête fit un pas dans sa direction, et s’arrêta.

Soudain, il éclata de rire.

Darren fronça les sourcils, levant la main pour inciter Boralf et Karyl au calme. Ils laissèrent le Mutant terminer de rigoler à gorge déployée, et celui-ci ne tarda pas à se calmer.

— Au fait, je me nomme Garûnd. Retenez ce nom, parce qu’on se reverra un jour. À vrai dire, je suis contre ces négociations. Ma seule envie, c’est de vous affronter quand vous serez aux portes de Méranéa. Je dirais simplement au gouverneur que cette conversation n’a rien donné. Je n’ai aucune envie de régler cette histoire pacifiquement. Je veux du combat, vous comprenez ?

Darren hocha la tête sans un mot. Il sentait la dangerosité de Garûnd malgré sa légèreté et son enthousiasme presque enfantin. Le Mutant Combat leva la main et fit volte-face pour s’éloigner. Il lança par-dessus son épaule :

— Au fait, le Rôdeur est bien derrière tout ça, n’est-ce pas ?

Darren et Boralf échangèrent un regard : inutile de leur cacher ça.

— En effet.
— Parfait ! J’espère pouvoir le combattre bientôt. Dites-lui que je l’attendrais avec impatience, ce petit gars !

Garûnd s’éloigna sans un mot de plus, laissant le Mutant Électrique seul face à eux trois. Ce dernier, sans un mot, et vérifiant subrepticement que son camarade ne regardait pas vers lui, lança une boulette de papier aux pieds de Darren.

Le blond rejoignit vite son camarade qui avait déjà presque rejoint sa monture. Darren ramassa le papier, mais attendit avant de le déplier.

Les vingt-cinq cavaliers se rejoignirent, et cavalèrent vers l’horizon, quittant les alentours du camp sans plus de cérémonie.

— C’est quoi, ce machin ? grogna Karyl.

Darren déplia la papier et en survola les lignes avec attention. Un léger sourire étira ses lèvres. La satisfaction se lisait sur son visage d’ordinaire impassible.

— Ce machin, comme tu dis, est une excellente nouvelle. Nous comptons un nouvel allié parmi nous, et pas n’importe lequel.


***


Le gouverneur Mervald passa une main sur son visage fatigué. Sa main légèrement tremblante se posa sur son bureau, et y déposa la lettre qu’il venait de lire. Les nouvelles étaient bonnes : du moins, dans Méranéa. Mais il commençait à manquer de sommeil.

Les expériences avaient repris de plus belle, en parallèle de la mise en place des défenses de la capitale. Mais pour le moment, l’équipe scientifique ne parvenait pas à créer un nouveau Mutant parfait comme Erëbil. Les cobayes succombaient les uns après les autres, en proie à de violents effets secondaires.

Pourtant, tout avait invité le gouverneur à croire que la Némélia 4 était finalisée. Et qu’elle fonctionnait sur tout individu, quel que soit son âge, son état de santé ou ses origines. Et malgré la preuve vivante que la quatrième version de la Némélia était fonctionnelle, en la personne d’Erëbil, aucun autre n’avait su survivre à la transformation.

Pourquoi ? Pourquoi ne parvenait-il pas à comprendre la source du problème ? Était-ce causé par le retard scientifique ? Leurs balbutiements lorsqu’il s’agissait de remettre au point d’anciennes technologies du pokémonde, grâce à des plans d’époque, vestiges du passé ? Ou bien par la nature même de l’homme, qui ne pouvait pas acquérir des facultés de pokémons ?

Un des scientifiques avaient émis l’intéressante hypothèse qu’un humain avait peut-être, par nature, un Type attribué, bien qu’invisible. Erëbil aurait ainsi eu, selon cette théorie, une affinité particulière avec le Type Acier. La Némélia 4 Acier utilisée sur lui aurait donc été compatible.

Mervald n’avait aucune autre piste, et cette explication lui paraissait de plus en plus plausible. Mais il restait à déterminer comment savoir quel Type correspondait à qui. Il était hors de question de gâcher les quelques gouttes restantes de Némélia 4 en essayant au hasard. Mais sur quoi se baser, pour éviter de se tromper ? Le gouverneur avait l’impression d’affronter un mur quand il songeait à la réalisation de son projet.

Tout paraissait vouloir se mettre en travers de son chemin, et toujours au pire moment.

La fenêtre entrouverte fut brièvement agitée par un courant d’air. Mervald releva la tête. Ses yeux bruns observèrent avec stupéfaction ce qui était en train de pénétrer dans son bureau.

Une brume sombre, sous forme de vapeur presque solide et crépitante, s’engouffrait doucement dans la pièce. Elle semblait absorber la lumière du crépuscule qui baignait l’extérieur. Le gouverneur se releva, abandonnant sa plume de bazoucan et s’éloignant de quelques pas, sans quitter des yeux les filaments d’ombre qui continuaient d’investir les lieux.

Le courant d’air cessa : la brume sombre se rassembla de l’autre côté du bureau, formant une silhouette humanoïde, difforme et méconnaissable. Des vêtements étaient parfois visibles en fonction des mouvements aléatoires de cette brume étrange. Mervald frémit, mais garda la tête droite. Il comprenait déjà à qui il avait affaire. Il n’avait pas prévu ce genre de désagrément.

Il passa discrètement une main dans sa cape à la recherche d’une arme quelconque, mais ne trouva rien. Deux yeux rouges brillèrent dans la silhouette de noirceur. Impossible de distinguer un visage. Mais cette chose le regardait. C’était évident.

Tu es l’homme aux cheveux d’or, lâcha l’ombre dans un râle rauque.

Mervald cligna des yeux un moment, sans rien dire. Et reprit contenance :

— Tu es le Condamné.

La créature furetait à droite et à gauche, observant les lieux avec curiosité. Bizarrement, elle ne paraissait pas vouloir l’attaquer ou s’en prendre à lui. Mais il fallait déterminer au plus vite la raison de sa présence.

— Que viens-tu faire ici ? demanda le gouverneur, assez nerveux pour oublier l’habituel vouvoiement de politesse.
Je veux des réponses.

Bref silence. Les yeux rouges, lumineux, se fichèrent dans ceux de l’homme qui lui faisait face.

— Quelles réponses ?
Je veux savoir qui je suis. Raconte-moi tout.
— Et si je refuse ?

L’ombre s’agita. Des filaments de brume glissèrent le long de son corps et retombèrent au sol, avec un bruit sourd qui indiquait qu’ils étaient bel et bien solides. Et sans doute capables d’attaquer.

Ne refuse pas.

Étrangement, la menace calma immédiatement Mervald. Il reprit pleinement possession de ses moyens, constatant intérieurement sa supériorité sur son adversaire. Il ne serait pas tué, si le Condamné cherchait à en apprendre plus ses origines. Il était le seul à connaître les détails, en plus de Zak qui lui avait forcé à évoquer le sujet quelques semaines plus tôt.

Le gouverneur s’installa donc derrière son bureau en soupirant, et sortit une pile de dossiers d’un tiroir, qu’il posa brusquement devant lui.

Qui suis-je ? demanda le Condamné.

Il s’était rapproché légèrement. Une odeur amère, de brûlé, émanait de son corps. Mervald plissa le nez.

— J’ignore votre nature exacte. Mais j’ai ici des documents qui retracent des trouvailles à votre sujet.
Parle. Maintenant.

Le gouverneur déglutit. Il devait parler, et éviter de gagner trop de temps, sous peine d’agacer cet invincible ennemi. Il n’avait rien à perdre à lui raconter tout ceci ; et en attendant, les chances que quelqu’un vienne dans son bureau augmentaient à chaque seconde. Erëbil était dans les parages. Mervald comptait sur lui pour rapidement intervenir. Son instinct le distinguait d’un humain lambda, après tout…

— Les hommes d’autrefois, avant la guerre, vous appelaient « La Chose ». Un peu avant le troisième millénaire, vers 1960. C’est à cette époque que vous êtes apparus, dans un manoir situé sur une île, quelque part dans le sud de la région de Kanto.

Le Condamné penchait de plus en plus la tête sur le côté. Visiblement, tous les détails ne lui étaient pas très compréhensibles. Les dates et indications géographiques étaient peut-être de trop.

— Au départ même, certains vous nommaient « Le Démon ». Une créature unique, à la façon d’un légendaire, mais qui restait un inclassable pour les Pokédex d’antan. Vous n’êtes donc pas un pokémon… classique. Peut-être même pas un pokémon du tout.
Je suis… différent ?

Mervald hocha la tête.

— En effet. Pour ce qui est de la suite, j’ignore ce qu’il s’est précisément passé. Un homme aurait expérimenté sur vous, vous vous seriez liés d’amitié pendant un temps, puis il vous aurait abandonné en empruntant votre ADN. Ensuite, un jeune enquêteur aurait réussi à vous capturer dans une pokéball, pour faire cesser vos incompréhensibles agissements dans ce même manoir où vous étiez apparus. Cependant…

Mervald posa les yeux sur un rapport imprimé, devenu jauni et quasiment indéchiffrable avec le temps. Il fronçait les sourcils, repensant à tous ce temps passé à tenter de les analyser.

— Je crois que vous avez été tué dans cette même pokéball. Tué par cet enquêteur, qui vous jugeait sans doute bien trop dangereux, malgré l’intérêt qu’aurait pu vous porter le monde scientifique.
Je suis… mort ?
— Oui. Mais votre ADN existait toujours. L’homme qui vous avait accompagné puis trahi avait utilisé votre bagage génétique pour créer des produits en masse, des armes, et toutes sortes de choses. C’est en partie cela qui a provoqué la Guerre, l’Épidémie, et détruit notre monde à petit feu.

La Chose rapetissa légèrement, comme si elle s’affaissait sur elle-même. Cette révélation semblait l’affecter.

Ce monde détruit… par ma faute ?

Mervald marqua un silence, étonné. Cette créature pouvait éprouver de la culpabilité ? Avait-il bien saisi la gravité dans son ton ?

— Pas vraiment de votre faute, si je peux être honnête, répliqua le gouverneur après une hésitation. Ce sont les hommes qui ont décidés d’utiliser votre ADN, pas vous-mêmes. C’est ce que je suppose, malgré le peu d’informations dont je dispose…
Pourquoi… suis-je… vivant ?

Mervald se baissa et ouvrit un autre tiroir. Il en extirpa une boîte métallique d’un autre âge, parfaitement conservée. Il l’ouvrit, et le Condamné s’approcha pour en observer le contenu, mais elle était vide.

Le gouverneur, dégoûté par la proximité de la créature, recula de manière imperceptible. Il continua à parler sur ce même ton indifférent, espérant ne pas offusquer le Condamné.

— Nous avons trouvé ceci en commençant à bâtir les fondations de Méranéa, il y a quelques années. Alors que je n’étais qu’un jeune gouverneur entouré de quelques hommes de confiance, nous sommes tombés sur des capsules du même genre, enterrées dans le sol, comme abandonnées là par nos ancêtres pour laisser leur trace sur ce monde. Cette boîte contenait une fiole remplie de votre ADN. C’est en tentant de transformer un homme des plus banals en Mutant grâce à elle… que les choses ont tourné ainsi.

Mervald referma la boîte et observa les réactions du Condamné avec méfiance. Ne voyant aucun signe chez la créature, il s’enfonça dans son fauteuil et termina son explication en joignant les mains.

— J’ignorais de quoi il s’agissait précisément, mais mes amis scientifiques et moi supposions qu’il s’agissait d’un reste de Némélia de l’ancien temps, capable de transformer un homme en mutant pokémon. Mais il semble que chez vous, l’hôte ait été complètement éradiqué, et votre ADN vous a réincarné dans ce corps étranger sans grande difficulté… quant à savoir ce que vous êtes exactement, je ne peux que me baser sur un unique rapport papier, rédigé à la main…

Le gouverneur attrapa un feuillet au sommet de la pile des dossiers. Et l’ouvrit à une page précise, qui paraissait plus lisible que les autres.

— Ce petit journal appartenait à l’enquêteur qui vous a capturé au manoir, puis tué. Il est difficile de tout comprendre, mais une chose est sûre. Il avait fait son enquête sur vous, de son côté. Et a réussi, d’une manière ou d’une autre, à vous rapprocher d’un groupe de créatures issues de vieux mythes perdus. Vous appartiendriez probablement à une race qu’on appelle les Ombres. Une race ancienne… qui serait capable de voyager entre les dimensions.



***


Erëbil, accoudé à la balustrade, laissa ses yeux noirs s’écouler vers l’Arène qui s’élevait face à lui. Le ciel rougeoyant du soir tombant éclairait ses colonnes et la parait de mille feux. Elle semblait presque de la même couleur vermeil que cette du sang qui maculait régulièrement son cœur.

Le Mutant Acier passa une main dans sa touffe de cheveux blancs, sans ôter un seul instant le sourire léger qui étirait son visage au teint hâlé. Positionné sur le toit du palais du gouverneur, il avait d’ici une vue plongeante sur l’allée qui courait tout autour du bâtiment.

Il baissa le regard sur la salle d’armes qui séparait justement cette voie de passage du haut mur de la cour des prisonniers. Des soldats devaient sans doute s’y entraîner, peut-être même avec des pokémons domestiqués : depuis peu, Mervald avait préféré consacrer son temps à mettre en place quelques règles sur le dressage de ses bêtes, plutôt que de toutes les envoyer en pâture dans l’Arène.

Tout ça pour la future attaque à venir.

Erëbil remarqua la présence, encore, d’un petit groupe de l’équipe scientifique : ils quittaient justement le palais pour rallier les laboratoires, un peu plus loin, contenus dans les murs des quartiers de Mervald. Ils étaient très actifs, depuis qu’Erëbil avait appris à les côtoyer. Ces hommes ne payaient pas de mine avec leurs blouses blanches, mais leur intelligence lui avait offert une nouvelle vie. Et pour ça, il était bien obligé d’avouer qu’il leur était un peu reconnaissant. Même si tout son respect allait vers son maître.

La Némélia 4, en plus de lui avoir offert puissance et prestige, avait purement et simplement éradiqué toute trace de la maladie qui le rongeait. Sans ce miracle, il aurait dû être mort depuis plusieurs jours, en succombant à cause de la fragilité de son corps.

Mais il était là, intact, et même en excellente santé. Il marchait sans difficulté, bougeait sans finir épuisé, et se permettait de faire des efforts parfois invraisemblables lorsqu’il s’agissait d’étudier ses pouvoirs contre des monstres lâchés spécialement pour lui dans l’Arène.

Il s’adossa à la balustrade, ignorant la quinzaine de mètres de vide qui le séparaient du sol. Pensif, il songea à tous ces cobayes qui échouaient à devenir comme lui. Dans un sens, ça ne le dérangeait pas, d’être le seul à avoir réussi à survivre au produit. Il se sentait spécial. Important.

Et se demandait même parfois si une sorte de volonté divine ne l’avait pas choisi, pour une raison mystique. Arceus lui-même, peut-être ? Il sourit en pensant à cette idée saugrenue. Il allait trop loin dans ses idées.

Il observa une aile du palais, qu’il avait dans sa ligne de mire depuis sa position. Il n’était pas posté là par hasard, ou parce qu’il n’avait rien à faire. C’était sa place privilégiée pour veiller sur le palais, et ses environs. Et pour garder un œil sur le gouverneur qu’il était censé protéger.

De là, il apercevait une fenêtre du bureau ; même si à ce moment, les reflets du soleil couchant plaçaient des reflets sur le verre, empêchant de voir quoi que ce soit derrière, et ce malgré ses pouvoirs surhumains.

Mais de toute façon, rien ne pressait. Le gouverneur avait fait savoir par le biais d’un esclave qu’il devait être seul. Ça arrivait souvent, quand il devait étudier des documents anciens, travailler, ou simplement répondre à des rapports de ses milices réparties au nord et à l’ouest du Désert de la Désolation. Personne n’aurait risqué de le déranger pendant un tel moment. Certains avaient déjà connu un sort terrible pour avoir osé troublé la quiétude du gouverneur.

Erëbil n’avait pas peur de Mervald, mais il le respectait : c’était la seule raison pour laquelle il obéissait sagement aux ordres. Il n’était pas du genre à profiter de sa position à ce point. Il se permettait bien quelques écarts de temps en temps, mais rien de grave.

Pourtant, quand les reflets lumineux disparurent de la fenêtre close, Erëbil haussa les sourcils. Le gouverneur était assis derrière son bureau, dans une position inhabituelle pour travailler. Bras croisés, ni appuyé sur son bureau, ni enfoncé dans son fauteuil. Comme si… comme s’il était sur le qui-vive ?

Erëbil plissa les yeux. Pas de doute, le gouverneur parlait. Ses lèvres bougeaient.

Quelque chose ne tournait pas rond.

Erëbil s’imagina brièvement diverses situations : Galok, le chef de l’Armée, supervisait les défenses de la ville depuis le départ de Garûnd et Zak. Il était le seul à pouvoir se permettre de gêner le gouverneur. Et si ça avait été le cas, Mervald ne lui parlerait pas en prenant une position pareille. Et s’il était en colère contre n’importe qui d’autre, jamais il ne serait resté assis.

Et l’instinct d’Erëbil le titillait depuis plusieurs minutes déjà.

Il se passait peut-être quelque chose de grave. Le Mutant rejoignit rapidement des escaliers intérieurs, et traversa quelques couloirs du palais. Il se glissa dans des corridors déserts, et courut presque jusqu’aux doubles portes fermées du bureau de son maître.

Un simple coup d’œil sur la serrure suffit à lui faire comprendre que la situation était critique.

C’était fermé à clé.

Soit l’invité mystérieux était entré et avait refermé derrière lui, soit il n’était pas entré par là. Mais par une fenêtre invisible depuis le point de vue habituel d’Erëbil.

Le Mutant approcha son oreille de la porte. Avec ses sens aiguisés, il distingua la voix nette de son maître.

— Ce petit journal appartenait à l’enquêteur qui vous a capturé au manoir, puis tué. Il est difficile de tout comprendre, mais une chose est sûre. Il avait fait son enquête sur vous, de son côté. Et a réussi, d’une manière ou d’une autre, à vous rapprocher d’un groupe de créatures issues de vieux mythes perdues. Vous appartiendriez probablement à une race qu’on appelle les Ombres. Une race ancienne… qui serait capable de voyager entre les dimensions.

Le cerveau d’Erëbil tournait à plein régime.

Mervald parlait à quelqu’un… qui avait été tué ? Issu d’une race appelée les Ombres ? Il n’y avait aucun doute à avoir.

— Le Condamné, hein… murmura-t-il, intéressé et intrigué.

Un frisson d’appréhension mêlé à de l’excitation courut le long de son échine. Tendant une main vers la serrure de la porte, Erëbil se tint prêt à entrer en force. Ses luminocanons pourraient percer la serrure aisément, mais il fallait viser vers le bas pour ne pas risquer de blesser Mervald, placé de l’autre côté, au fond de la pièce.

Il prit une grande inspiration, et se lança.

Un rayon de lumière pur, presque métallique d’apparence, émit un éclat lumineux avec brutalité. Erëbil donna un grand coup d’épaule dans la porte et le battant craqua tant il fut violent.

Entrant dans le bureau, les sens inhumains d’Erëbil lui permirent de rapidement analyser la situation. Une silhouette difforme, enveloppée dans une brume noire et épaisse, venait de se jeter dans un coin de la pièce, sonnée par cette entrée fracassante. Mervald, derrière son bureau, avait placé ses mains devant son visage, brièvement aveuglé par le rayon.

— Rien de cassé, maître ?
— Aveugle-le ! Il craint la lumière !

Le Condamné se relevait déjà, étrangement agile malgré sa difformité. Erëbil plaça ses mains en coupe devant lui. Une vive lumière en émana, émettant d’autres rayons métalliques qui faisaient presque vibrer l’air en grésillant. Le Mutant était confiant : il pouvait maintenir ce miroi-tir pendant plusieurs minutes d’affilée sans le moindre problème.

Le Condamné se ratatina dans le coin du bureau, en criant et grondant. Secoué de convulsions, il semblait particulièrement affecté par la capacité.

— Maintiens-le, je vais chercher des renforts, lança Mervald en passant, cape au vent, à côté de son nouveau bras droit. On doit le capturer et l’enfermer à nouveau. Il pourrait nous servir.

Erëbil acquiesça. Les plans, ce n’était pas son domaine.

Alors que Mervald sprintait hors du bureau, le Mutant poussa un soupir intérieur. Il ne pouvait s’empêcher d’être un peu déçu. Il était si puissant que c’en devenait lassant. Même le Condamné, cette fameuse créature antique et réincarnée, était incapable de lutter contre lui. Recroquevillée dans son coin, elle gémissait, impuissante.

Secrètement, Erëbil espérait, un peu comme Garûnd, qu’un adversaire à sa hauteur de montrerait un jour. Peut-être que l’attaque des bandits sur Méranéa allait dévoiler son lot de surprises ?