Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Effacé de Lief97



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 28/02/2019 à 11:12
» Dernière mise à jour le 28/02/2019 à 11:16

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 39 : Quand tout s'effondre...
« Il n'y a plus de patrie ; je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des esclaves. » Denis Diderot.


***


Il faisait nuit. Les cris des insectes retentissaient entre les arbres immobiles, se répercutaient sur la plaine herbeuse, et rebondissaient sur les murs entourant le campement. Un attroupement équipé de torches s’apprêtait à faire ses adieux à un petit groupe, prêt pour un voyage vers Psyhéxa, la Ville aux Murs Blancs.

— Dans une semaine, lâcha Darren. Une semaine, et nous sommes de retour. Si ce n’est pas le cas, préparez-vous au pire. Boralf, je compte sur toi, encore une fois.
— Ne t’en fais pas pour nous. On s’en sortira. Revenez en un seul morceau.

Les silhouettes lâchent de derniers adieux. Chacun sait que les chances de se revoir sont impossibles à calculer. Le risque zéro n’existe pas, et dans une mission de ce genre il n’est presque pas question de fermer les yeux sur le risque de mourir sur place ; Psyhéxa est la deuxième ville du pays, après tout.

— Fais attention à toi, Lyco, souffla Amelis.
— T’en fais pas, compte sur moi pour chouchouter notre amnésique national ! s’écria Ève en lui tapant sur l’épaule.
— En route, grogna finalement le chef des pillards.

Les deux groupes se séparèrent après quelques brefs échanges, et le plus petit se fondit dans les sous-bois.

Sans aucune garantie de pouvoir revoir le campement.



***


Les nouvelles étaient mauvaises.

Cela faisait déjà une semaine. Une semaine de silence. Molch n’avait pas réussi à joindre Garûnd, ni Zak. Il avait déjà fait part de tout ceci au gouverneur ; il allait sans dire que la nouvelle avait été mal accueillie. C’était normal.

Zak et Garûnd étaient les seuls Mutants au point en plus de lui ; les perdre pour sauver un monstre incontrôlable comme le Condamné avait mis le gouverneur dans un état de fureur rare.

Molch, inquiet, observait Psyhéxa depuis le large balcon ombragé de son somptueux palais. Un vent frais lui soufflait au visage. Le soleil créait des frémissements de chaleur en contrebas, là où stagnait le peuple ; les cris, les coups de feu et les appels vrillaient le crâne du Mutant Psy, sans pour autant faire bouger un pli de son visage mou et indifférent.

Une autre émeute. La troisième ce mois-ci. Le peuple s’impatientait. Peut-être était-ce à cause de la nouvelle loi qui permettait d’exécuter les citoyens de Psyhéxa sans procès. Il était vrai que tuer les gens en pleine rue ne donnait pas une bonne image de sa belle cité blanche, Molch en avait conscience. Il s’était même décidé à modifier cette loi. Mais plus tard.

Il réfléchissait surtout à un moyen de faire avancer les choses. Le gouverneur était de mauvaise humeur depuis un bon moment ; des soldats parlaient même de renouveau à Méranéa. Le régime de Mervald s’était encore durci, et les combats d’Arène, qui avaient été peu nombreux ces derniers temps, avaient repris de plus belle. Le seul moyen de calmer et d’éclaircir l’esprit bouillonnant du gouverneur, c’était de lui présenter de bonnes nouvelles. Mais ces dernières se montraient très timides.

Les études de mutation génétique de la Némélia 4 avançaient lentement, beaucoup trop lentement. Molch avait beau s’attarder sur des rapports datant de plusieurs siècles, avant même la Guerre et l’Épidémie, il ne parvenait pas à reproduire les expériences d’autrefois. Difficile, quand on manque de matériaux, de produits pharmaceutiques et de chambres froides. Il fallait faire avec les moyens du bord : générateur électrique capricieux, produits périmés ou reproduits maladroitement par les usines du gouverneur, et surtout, cobayes au corps trop faible pour supporter les doses. Sans parler de l’hygiène très mal optimisée des salles d’opérations…

Molch avait depuis longtemps cessé de compter les sujets testés. Il savait qu’il y en avait au moins trois cent cinquante qui nourrissaient une fosse commune à l’extérieur de la ville et de ses hauts murs blancs ; et que d’autres attendaient impatiemment de succomber dans les cachots.

Le Mutant Psy n’avait aucun moyen de contenter le gouverneur. Au fond de lui, il sentait que la Némélia 4 était imparfaite. Elle ne copiait que très maladroitement la Némélia originelle ; ce fameux produit aux vertus incroyables, qui avaient ébahi l’humanité passée. Longue-vie, capacités de pokémon, pouvoirs télékinésiques…

La Némélia originelle, utilisée pendant la Guerre et même un peu avant, avait fait avancer la science plus vite que les mentalités. Critiquée, elle avait pourtant été utilisée à foison par les gouvernements. À cause de la précipitation et de la bêtise de leurs ancêtres, voilà où les humains en étaient réduits aujourd’hui ; croupir dans des villes sales, dépourvues de technologies avancées, dans un monde en reconstruction à peine remis de ses blessures. Tout ça pour une broutille entre deux pays concurrents.

Molch entendit un écho lointain ; il passa aussitôt derrière son bureau et s’assit dans un canapé, le dos bien droit. Puis il utilisa sa télépathie.

— Vous avez besoin de moi, maître ?
Zak et Garûnd sont revenus, lâcha le gouverneur sans aucun préambule.

Molch écarquilla les yeux de surprise. Il retrouva bien vite sa mine impassible. Difficile de dire s’il était soulagé ou agacé par la nouvelle. Lui-même avait du mal à le savoir. Avait-il brièvement espéré être le seul et unique bras droit du gouverneur, ou… ?

Garûnd est à l’agonie, mais il devrait s’en sortir, grogna mentalement le gouverneur.
— Et le Condamné ?
Zak a choisi de fuir pour sauver Garûnd. Ils s’accordent à dire qu’il est trop puissant pour être arrêté.
— … puis-je faire quelque chose, alors ? proposa Molch.
Non, rien. Rien du tout, continua sèchement Mervald. Le Condamné nous a échappé, on ne pourra rien faire. On ne peut plus lutter, visiblement.
— Mais alors… commença Molch. Il peut représenter un danger pour la stabilité de notre…

Le gouverneur ricana.

La stabilité ? Quelle stabilité ? J’entends déjà parler des émeutes de Psyhéxa, Molch. Inutile de le cacher. Et ici aussi, à Méranéa, la foule s’agite. Ces imbéciles nous en veulent de plus en plus. Le pays est au bord de l’effondrement, figure-toi. Et depuis un moment déjà. On va se contenter de sauver les apparences, comme d’habitude, et de réprimander le peuple et le massacrer s’il le faut… en continuant nos projets. La Némélia 4 est notre seule porte de sortie. Mettons de côté le Condamné, et même le Rôdeur. On n’a plus les moyens ou le temps de les arrêter. Qu’ils se fatiguent donc à nous tourner autour si ça leur chante.

Molch marqua une seconde d’arrêt, étonné. Et secrètement impatient.

— Vous voulez dire que je dois tout consacrer à la Némélia 4, maître ?
Oui. J’ai déjà envoyé des scientifiques supplémentaires vers Psyhéxa. Reprends les choses depuis le début s’il le faut. Je veux des Mutants opérationnels dans moins de deux mois !
— Bien, maître.

La conversation prit fin aussi subitement qu’elle avait commencé. Molch se releva d’un air digne. Il avait un objectif clair malgré la mauvaise tournure que prenaient les choses ; c’était mieux que d’être dans le flou.

Se concentrer sur la Némélia 4. Tout reprendre depuis le début s’il le fallait. Il allait falloir trouver une solution rapidement. Ce produit pharmaceutique était la seule évolution possible pour l’humanité.

Molch faillit sursauter quand quelqu’un tambourina violemment à la porte de son bureau. Il usa de ses pouvoirs psy pour voir à travers le battant ; il s’agissait d’un soldat du palais. Molch tendit la main et la poignée s’abaissa d’elle-même. La porte s’ouvrit toute seule sur le garde pantelant et affolé.

— Qu’y a-t-il ? demanda le Mutant, impassible.
— Les émeutiers encerclent le palais, monsieur !
— Dispersez la foule.
— Ils utilisent des pokémons… commença le soldat.

Molch, irrité, rétorqua aussitôt.

— Utilisez tous les moyens nécessaires. Tirez, utilisez les obus si ça vous chante, tant que les murs du palais restent intacts. Il faut calmer les ardeurs de cette foule.
— Oui, monsieur !

Et le soldat s’éclipsa. Molch, légèrement inquiet, jeta un regard au-dehors. Cette petite révolte était inhabituelle. Plus importante et plus organisée que d’ordinaire… plus agressive, aussi.

Par prévention, il fallait parler au chef de la milice. Il était sûrement en première ligne, mais Molch devait savoir ce qu’il se passait.

Il tenta un contact télépathique. Et comprit tout de suite que quelque chose clochait. Le chef de la milice était introuvable. Soit mort, soit endormi… ou assommé. Ce qui pouvait expliquer l’embarras de ce jeune soldat reparti avec ses ordres. La milice était désorganisée à cause de la perte de leur supérieur direct. Mais que s’était-il donc passé ? Les soldats étaient pourtant en haut des murs, en sécurité !

Pourquoi diable leur chef était-il impossible à joindre ?



***


La cour des geôles était déserte.

L’émeute de ce côté-ci du palais avait récemment pris fin. Les gardes venaient d’être appelés de l’autre côté de la demeure, vers les murs nord. Comme l’avait prévu Lyco.

Le jeune homme sortit en premier du tunnel étroit creusé parmi les poubelles de la cour, dans un coin d’ombre. Il s’extirpa du trou — remerciant mentalement le triopikeur « emprunté » pour l’occasion — et sifflota pour appeler les autres.

Après quelques jurons lâchés à voix basse et des bruissements, Darren émergea du tunnel en jouant des coudes et des épaules. Son uniforme de garde, bien imité, était taché de terre et de crasse.

— J’espère qu’on passera ailleurs pour sortir, grogna-t-il en se cachant derrière un pan de mur.

Lyco haussa les épaules près de lui, sans répondre. Tout dépendrait de comment allait se dérouler leur opération d’infiltration complètement folle.

Bakrom jaillit presque du trou sans un mot, pointant son pistolet par habitude vers la personne qui le suivait de près ; Karyl. Ce dernier, avec son bras verdâtre qui avait désormais la forme d’un vrai bras — bien que d’une consistance un peu molle — s’extirpa en grommelant des insanités qui réduisirent celles de Darren à des saintes paroles de prêtre d’Arceus. Pour finir, Lacrya sortit souplement du tunnel en époussetant ses vêtements.

Lyco désigna du menton l’autre côté de la cour. Derrière une grande zone pavée et plate se trouvait une fontaine surmontée d’une statue de pokémon de Type Eau. Et au-delà, un escalier montait vers de belles portes vitrées menant tout droit au rez-de-chaussée du palais. Le bâtiment, avec ses grandes arcades et sculptures tout en finesse, était d’une beauté remarquable malgré son manque de symétrie. Sa façade d’un beige clair le rendait visible même depuis l’extérieur de la cité, si on prenait suffisamment de hauteur.

— Karyl ? lâcha Lyco à mi-voix. La porte du sous-sol, où est-elle ?
— Juste à droite, à côté des escaliers. On la verra en approchant.
— Parfait. Bakrom, comme prévu, tu viens avec moi. On doit localiser Molch. Pendant ce temps, vous trois, vous cherchez les Mutants emprisonnés et les fioles de Némélia.
— Je sais, grogna Darren.

Lacrya posa une main sur l’épaule de Lyco et murmura :

— Sois prudent. On va faire vite pour vous rejoindre.

Les deux groupes se séparèrent et longèrent les geôles chacun d’un côté de la cour. Darren, Karyl et Lacrya s’engouffrèrent dans une vieille porte cachée sous un porche en bois, et Bakrom et Lyco se dépêchèrent de disparaître au rez-de-chaussée du bâtiment, qui paraissait déserté.

Aux alentours du palais, Psyhéxa s’agitait, les feux s’illuminaient, le sang giclait. Des explosions retentissaient ; et pendant une seconde d’angoisse, les pillards songèrent avec amertume jusqu’où ils s’étaient fourrés. Au cœur même du quartier général de la ville. Un endroit que des milliers d’habitants rêvaient d’envahir pendant cette petite révolte.

Et Lyco n’avait pas prévu les obus. Quels éléments inattendus risquaient encore de mettre leur plan improvisé en péril ?



***


Molch avait conscience qu’il se déroulait quelque chose d’étrange dans le palais. La disparition du chef de la garde, l’étrange coordination de l’émeute… la coïncidence était étonnante.

Comme si tout avait été calculé à l’avance.

Il usa de la capacité détection propre à certains pokémons de Type Psy. Il laissa son regard sonder les âmes qui circulaient à proximité de sa demeure, ignorant les murs et les obstacles. Là-bas, une foule en délire, des soldats agités. Là, un garde courant dans un couloir, suivi de servantes inquiètes. Là-bas, un autre qui chargeait un canon.

Et là… trois silhouettes floues, inconnues, qui descendaient dans les souterrains. Molch se tendit. Qui était-ce ? Il ne sentait pas leurs intentions aussi nettement que ses soldats. Comme s’il ne les avait que rarement côtoyés. Toutefois, l’un d’eux était très familier…

Il frémit de stupeur en reconnaissant l’âme instable et colérique de Karyl Braun.

Il était vivant, ce traître ! Pourquoi infiltrait-il son palais ?

Molch reconnut également, avec un temps de retard, les deux qui le suivaient. Un homme et une jeune femme. Molch se souvenait de leur âme. Ils avaient été des prisonniers de l’Arène.

Alors qu’il allait se décider à sortir de son bureau pour les tuer lui-même, un détail capta soudain son attention.

Un de ses soldats venait de tomber, raide mort, la gorge ouverte. À moins de dix mètres de là, dans un couloir proche. Molch tourna la tête vers la zone ; sa détection repéra deux silhouettes de garçons. Il ouvrit la bouche, béat.

Le Rôdeur ! C’était le Rôdeur, avec un de ces pillards de malheur ! Et voilà qu’ils se dirigeaient tous les deux en direction de son bureau, se croyant certainement discrets. Molch esquissa un sourire sardonique, qui disparut rapidement de son visage impassible. Il s’installa derrière son bureau et croisa les mains, s’enfonçant avec délectation dans son haut-dossier.

Une explosion d’obus ébranla légèrement le bâtiment. Le lustre tinta. Molch resta immobile. Le Rôdeur allait regretter d’être venu. Oh, oui, il allait amèrement regretter. Il n’imaginait même pas à quel point Molch était intouchable avec ses pouvoirs de Mutant…



***


— C’est ça, le laboratoire de Molch ? s’étonna Lacrya.

Sa voix fut portée en écho par les sombres murs de pierre incurvés au-dessus de sa tête. On aurait dit une cave. Une cave immense, avec plusieurs rangées d’étagères et de tables d’études, éclairées par des centaines de néons jaunis qui grésillaient perpétuellement.

Les bouteilles de vin étaient ici remplacées par des boîtes de médicaments d’une époque maintenant révolue. Des flacons et des boîtes en plastique s’amoncelaient sur les étagères à perte de vue. Il faisait froid. Mais l’air semblait étrangement pur. Un boîtier pendu au plafond émettait un souffle régulier. Lacrya leva la tête vers lui et cru lire « climatiseur » sur la machine en question. Elle en avait entendu parler, sans jamais avoir compris l’utilité de la chose. Sans jamais en avoir vu, d’ailleurs.

— C’est immense, commenta Darren. Comment on va trouver de la Némélia là-dedans ?
— Aucune idée, lâcha Karyl en s’avançant dans un rayonnage. Sauf si…

Il repéra rapidement des caissons métalliques, au fond de la cave. Énormes. Et étrangement familiers.

— C’est ça ! lança-t-il. C’est de ce genre de boîte que Molch avait sorti la Némélia 3 qui m’a transformé.
— Alors faisons vite, répondit Darren en attrapant le sac à dos que lui lança Lacrya.

Ils atteignirent les caisses au pas de course ; il n’y avait personne dans les environs, comme prévu. Karyl usa de sa force surhumaine pour soulever une des lourdes caisses et l’ouvrit d’un coup de talon sur la poignée. Il retira le couvercle et en extirpa plusieurs supports en bois sur lesquels attendaient des fioles fermées de Némélia. Les étiquettes, de couleur différente, indiquaient vraisemblablement les types de produits qu’elles contenaient. Il faisait un peu sombre pour lire clairement les informations.

— Mettez-en un maximum dans le sac, grogna Darren. Je mets le feu au reste.

Karyl et Lacrya s’affairèrent, mettant de côté leur animosité dans l’espoir fou de réussir cette mission improbable. Darren, lui, se prépara à allumer un de ses trois cocktails explosif fait maison. Il ne voulait pas brûler tout le bâtiment, juste les caisses. Et si on s’en fiait à l’énorme étiquette rouge qui était collée sur chacun des caissons, ils étaient inflammables. Parfait. Dans une cave pareille, mal ventilée et entourée de briques, l’incendie s’étoufferait de lui-même après plusieurs minutes. Seule la Némélia succomberait.

Par précaution, Darren poussa les étagères les plus proches, garnies de boîtes cartonnées de médicaments, afin de les éloigner du futur brasier.
Lacrya et Karyl se redressèrent. Ce dernier hissa le sac sur ses épaules.

— C’est fait, lâcha Lacrya.

Darren alluma le premier cocktail et le lança au milieu des caissons. Il jeta les deux autres près des flammes, et ils explosèrent en projetant une mauvaise odeur dans la pièce. Les trois pillards rebroussèrent chemin avec précipitation, refermant la porte derrière eux.

— On regarde vite fait s’il y a des Mutants, lâcha Darren en pleine course. Karyl, les cellules souterraines ?
— Par ici !

Il désignait un couloir à se droite. Les deux autres lui emboitèrent le pas.

Les caissons métalliques fondaient en sifflant dans le laboratoire. Le brasier était un peu plus virulent qu’escompté.



***


Les cellules s’enchaînaient de part et d’autre du long couloir obscur. Il suffisait d’un coup d’œil par les barreaux des portes pour se rendre compte que chacune d’elle était déserte. Les Mutants semblaient avoir abandonné les lieux. Molch n’aurait tout de même pas prévu leur arrivée ici ?

Ou alors, les Mutants ratés étaient éliminés ? Darren n’aurait pas été étonné de l’apprendre. Le gouverneur Mervald était prêt à tout, il avait bien fini par le comprendre à force de l’affronter.

— Là, quelqu’un ! s’écria Lacrya.

Darren crut qu’elle l’alertait pour un soldat en patrouille dans le couloir, mais non. Il restait un Mutant, dans une cellule fermée à double-tour. Les trois infiltrés s’approchèrent pour jeter un œil à l’intérieur ; mais l’homme qui s’y trouvait était affalé au sol, bouche grande ouverte, yeux fixés sur le plafond de sa cellule. Il était mort. Et une étrange protubérance déformait son thorax. Sa mutation avait mal tourné.

— C’est dégueulasse, lâcha Karyl avec son tact habituel.
— Pour une fois, je suis d’accord avec toi, marmonna Lacrya en s’avançant vers la cellule suivante.

Darren regarda par la porte de la cellule d’en face. Là aussi, un Mutant gisait, mort. Celui-ci n’avait plus de jambes, mais des nageoires à la place. Lacrya trouva une femme dotée d’une corne en plein milieu du front, et d’ailes atrophiées dans le dos. Morte, elle aussi. Depuis plusieurs jours, visiblement.

— Ils laissent les corps pourrir ici, c’est monstrueux, finit par dire Lacrya d’une voix tremblante.
— Elle est vivante.

Karyl, d’une voix blanche, montra du doigt une des dernières cellules ; au-delà de celle-ci, le couloir s’arrêtait sur une porte menant vraisemblablement vers le rez-de-chaussée, au-dessus d’eux.

Lacrya et Darren s’approchèrent. Une femme se tenait accroupie au milieu de sa cellule. Elle agitait sa tête d’avant en arrière, comme un balancier. Ses bras semblaient étrangement musclés pour une femme, et sa peau était légèrement violacée.

— On dirait… une fusion entre une femme et un machopeur, hésita Lacrya, dégoûtée.
— Tu nous entends ? demande Darren en tapant dans la porte métallique.

La femme se figea et les fixa soudain, d’un regard perçant et indéchiffrable. On n’y lisait aucun signe qu’elle l’avait compris, mais rien n’indiquait un quelconque état d’énervement à leur égard. Elle paraissait juste curieuse.

— Ouvre la porte, ordonna Darren.

Karyl, sans un mot, saisit les barreaux à pleines mains et arracha la porte blindée de ses gonds, avant de la jeter dans le couloir dans un vacarme assourdissant. La femme se leva et lâcha une espèce de soupir. Elle ouvrit la bouche mais aucun son ne réussit à en sortir.

Karyl s’avança d’un pas dans la cellule, prudent, et leva les mains en signe de paix :

— Tu nous comprends ?

Elle hocha la tête énergiquement.

— On est là pour t’aider, renchérit Darren depuis le pas de la porte.
Aider !

La voix très grave et déformée de la femme les fit tous les trois sursauter. Celle-ci vacilla quelques secondes et les fixa en souriant. Ils remarquèrent tous les trois ses dents ; toutes des canines aiguisées en pointe. Un rire fou jaillit des lèvres de la femme. Ses épaules, secouées d’étrange façon par son ricanement inhumain, lui donnaient un air de prédateur amusé.

— Mauvaise idée d’avoir ouvert, j’ai l’impression, lâcha Lacrya à voix basse.

Darren repoussa la jeune fille en arrière et souffla à Karyl devant lui :

— Partons d’ici, doucement. Elle est clairement folle.
— Je vois ça, répondit le Mutant.

Aucun d’eux n’eut le temps d’esquisser le moindre mouvement de retraite. La femme s’enveloppa d’une aura rougeoyante qui semblait pulser dans tout son corps, et fondit sur Karyl à une vitesse défiant les lois naturelles.

L’attaque surpuissante enfonça Karyl de vingt bons centimètres dans le mur de la cellule ; ce dernier se plia en craquant sous l’impact. De la poussière tomba du plafond et l’un des rares néons à éclairer le couloir s’éteignit sous la puissance du coup.

Dans le noir devenu presque total, le rire terrifiant de la femme retentit encore. Un juron de Karyl retentit de nouveau, puis sa voix, un peu cassée :

— Partez, partez vite ! Je m’occupe de la tuer !
— Le sac ! lança Lacrya dans le noir.

La jeune femme sentit le sac tomber à ses pieds. Le ricanement de la femme emplissait ses oreilles. Elle entendit Darren bouger près d’elle, et des cailloux dégringolèrent à l’endroit où Karyl s’était enfoncé. Lacrya attrapa le sac et entendit un bruit de verre brisé à l’intérieur.

— Il a dû prendre cher, s’excusa Karyl. Partez, maintenant !

Darren s’empara du sac à l’aveuglette et attrapa le bras de Lacrya en l’attirant dans le couloir. La femme rugit. Karyl cria et sembla prendre un autre coup. Le couloir trembla de nouveau. Poussé par l’adrénaline, Darren se retourna brièvement et lança :

— T’as intérêt à t’en sortir vivant !

Karyl ne répondit pas. La lutte devait accaparer toute son attention. D’autres tremblements faisaient frémir le tunnel. Lacrya posa la main sur la porte et l’ouvrit à la volée, avant de se jeter à l’assaut de la dizaine de marche les ramenant au rez-de-chaussée du palais de Molch.

Darren la suivit sans un regard en arrière. Son cœur affolé rata un battement quand des bruits de botte retentirent devant eux.

Des soldats.



***


Lyco et Bakrom, chacun placés d’un côté et d’autre des double-portes vermoulues menant vers le bureau de Molch, se regardèrent. Lyco haussa les sourcils pour poser la question silencieuse « Prêt ? » et un simple hochement de tête de son jeune camarade lui suffit.

Lyco enfonça la porte d’un coup d’épaule. Aussitôt, les deux arrivants levèrent leurs armes. Les deux pistolets se figèrent en direction de Molch. Le Mutant souriait légèrement, assis derrière son bureau. Il était seul. Comme s’il… s’attendait à les voir.

Lyco referma la porte derrière lui, d’un coup de talon dans le battant, sans lâcher Molch des yeux. Il souriait. Étonnant. Jamais il n’avait montré d’émotion dans l’Arène. Comme si sa faculté de ressentir de l’empathie était inexistante… Lyco avait toujours mis ça sur le fait de son Type Psy.

— Vous en avez mis, du temps, dit simplement le Mutant sans esquisser le moindre mouvement.
— On est là pour te tuer, répondit Lyco.

Il n’en dit pas plus. Inutile de discuter, ou de laisser l’ennemi tenter de les convaincre de changer de camp, ou raconter sa vie. Lyco voulait réussir la mission, à tout prix. Il appuya sur la détente.

Le coup de feu lui vrilla les tympans, et son bras vibra violemment.

Un mur invisible dressé entre Molch et eux arrêta la balle en plein vol. La balle brisée retomba en miettes sur le sol carrelé, dans un tintement aigu. Lyco sentit Bakrom se tendre près de lui. Aucun d’eux n’avait jamais eu de connaissances sur les faculté précises de Molch. Ce mur invisible devait être une sorte d’Abri modifié. Il fallait rapidement trouver un moyen de lutter contre ça.

— Je ne vous comprends pas, lâcha le Mutant de la manière la plus naturelle qui soit.

Il ne donnait pas l’impression de se sentir en danger. Il écarta les mains avec lenteur.

D’un coup, les pistolets leur furent arrachés des mains par une force prodigieuse, et les deux armes heurtèrent le plafond, où elles restèrent fixées, hors de portée, comme collées au plâtre.

— Pourquoi vouloir à ce point voler la place du gouverneur ? Pourquoi toute cette colère ?

Lyco serra les poings. Il avait beau être impuissant et détester ce genre de jeu mesquin, il n’avait pas envie de laisser Molch s’éterniser dans un monologue. Il reprit son calme et répondit :

— Parce que le gouverneur use de méthodes horribles. Il faut changer ça. Partager les richesses qu’il conserve chaudement dans son palais, avec le peuple.
— Un palais ! se moqua Molch. Tu n’as vu que la façade du bâtiment, n’est-ce pas ? L’intérieur n’est qu’une ruine, une ombre du passé. La peinture s’écaille, les murs sont fins comme du papier, l’or n’est qu’une vieille peinture jaunie, une pâle imitation. Mervald n’est pas si riche que tu le croies.

Lyco émit un léger rire narquois.

— Et tu penses que j’en ai quelque chose à faire ? Tu veux me faire croire qu’il crève de faim, aussi ? Qu’il n’a pas de domestique pour s’occuper de lui, qu’il n’a ni eau courante ni électricité ? Qu’il est un gentil dirigeant qui se préoccupe du peuple et n’est pas du tout du genre à faire des expérimentations mortelles sur des humains ?

Molch secoua la tête, dépité, et se leva. Ce mouvement alerta Bakrom, qui se tint prêt à dégainer son couteau ; mais le Mutant se contenta de rester debout et de fixer Lyco avec calme.

— Le gouverneur a ses raisons. Les expérimentations en sont encore au premier stade. Réfléchis donc un peu, Rôdeur. Regarde le passé. Regarde le monde. Il est détruit. Réduit en cendres, à cause d’une guerre qui a perduré il y a quatre-vingts ans. L’humanité survit à peine. Que veux-tu faire ? Remplacer le gouverneur et partager le peu de richesses dont nous disposons ? C’est une utopie, rien de plus. Les expériences sont là pour changer les choses.

Lyco ne répondit pas. Il savait que son rêve était loin d’être une réalité. Mais il voulait y croire. Il y croyait, dur comme fer. C’était encore réalisable, en faisant des efforts. Molch continua, percevant sans doute son trouble.

— Le gouverneur projette de grandes choses pour l’humanité. L’étape supérieure. L’évolution logique de l’Homme. Les Mutants ne sont pas des humains monstrueux servant d’arme ou de milice personelle comme tu le penses. Les Mutants… sont le futur de l’humanité. Imagine un individu capable de se servir de l’humidité dans l’air pour créer de l’eau potable à profusion. Un autre capable de générer suffisamment d’électricité pour alimenter une ville. D’autres capables de défendre les cités, de construire des murs en quelques heures, de transporter des messages et des peuples d’un lieu à l’autre. Imagine un monde uniquement peuplé de Mutants !

Le jeune homme qui lui faisait face secoua la tête, dépité. Bakrom se tendait près de lui. Il nota du coin de l’œil qu’il avait la main posée sur le manche de son couteau, prêt à dégainer.

— Ça ressemble bizarrement à une utopie, là aussi, répliqua sèchement Lyco.
— Une utopie que nous sommes sur le point de réaliser, Rôdeur.
— Il me semblait pourtant que c’était à cause de la volonté de nos ancêtres de créer une utopie dans ce genre que la guerre a éclaté, enchaîna Lyco, qui contenait sans mal sa colère. À cause d’expériences semblables, d’armes humaines censées faire évoluer les choses. Vous voulez vraiment réessayer une chose aussi folle ?

Molch s’adossa à son bureau et croisa les bras, l’air pensif. Dehors, un obus éclata. La pièce trembla et un léger nuage de poussière tomba du lustre pendant au plafond. Les deux pistolets étaient toujours là-haut, immobiles.

— Ça ne se passera pas comme la dernière fois, rétorqua le Mutant avec assurance. Il y avait plusieurs gouvernements, plusieurs pays, et des millions d’habitants en jeu. Ce monde n’est plus capable de faire voler un avion. Crois-tu vraiment qu’une guerre intercontinentale pourrait survenir dans de telles conditions ?
— Peut-être pas, admit Lyco. Mais c’est inutile, de toute façon. Vous ne pourrez pas permettre à tous les hommes de ce pays de devenir des Mutants. Cette utopie est un mensonge.
— Je n’ai pas parlé de changer les hommes en Mutants.

Lyco croisa le regard indolent de son ennemi. Et frémit légèrement.

— Comment ça ?
— Il suffit de créer quelques Mutants, et d’exterminer les humains trop faibles pour en devenir. Nous aurons tout le temps de rebâtir ce monde. De le détruire pour le reconstruire sur des bases plus saines. Les Mutants transmettront des pouvoirs à leurs enfants.

Lyco, outré, secoua la tête sans trouver les mots. Le discours de Molch ne paraissait pas totalement incohérent, cependant il restait bien trop violent aux yeux du garçon. Exterminer le reste de l’humanité ? Le plus stupéfiant, c’était que Molch semblait y croire aveuglément. Lyco décida de jouer le jeu, bien que leur échange devint trop long à son goût.

— Et donc ? Tu seras le chef de ton peuple de Mutants ?
— Je serai le bras droit du gouverneur. Quand la Némélia 4 sera au point, il s’injectera un produit pour devenir un des nôtres. Nos noms resteront gravés dans l’histoire comme étant ceux qui auront permis à l’humanité de franchir le cap… de devenir des dieux.
— Je ne pensais pas que tu avais un égo pareil, ricana Lyco. Tu cachais bien ton jeu ! Vous voulez jouer aux dieux. C’est stupide. Stupide et dangereux.
— Nous connaissons les risques, soupira Molch, agacé. Et si le gouverneur ne t’exécrait pas à ce point, il aurait sans doute fait de toi un des membres influents de son futur Panthéon. Mais il en a assez de tout ça, et moi aussi. Je vous ai repéré dès votre arrivée ici. L’un des vôtres dirige les émeutes, dehors, n’est-ce pas ?

Lyco songea à Ève, qui avait pris le risque d’accomplir cette mission risquée pour eux, au milieu des combats. Il eut envie de répondre « Oui, et alors ? » mais son calme naturel revint et noya la colère inutile qui faisait trembler son corps.

Molch émit un faux rire, bref et sec, qui lui hérissa les poils de la nuque.

— Vous croyiez que vos amis auraient pu m’échapper ? Faites-les entrer !

La porte s’ouvrit derrière eux ; Lyco et Bakrom n’eurent pas le loisir de faire un mouvement. Une force invisible les plaqua contre un mur. Molch, une main tendue vers eux, s’avança au centre de la pièce. Quatre soldats entrèrent dans le bureau, et refermèrent la porte.

Menottés et menacés par le canon d’armes de gros calibres, Lacrya et Darren furent forcés de se mettre à genoux sur le tapis. Molch sourit et tapota la tête d’un Darren furieux. Il essayait vraisemblablement de parler, lui aussi, mais la force psychique de Molch paraissait le forcer à rester immobile.

— Vos chers camarades pillards. Il serait bête que je les tue ici, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce que tu veux, Molch ? grogna Lyco, livide. Laisse-les partir…
— Oh ? Tu te sens capable de m’offrir quelque chose en échange de leur vie ? Nous savons tous les deux que c’est faux. Tu profiteras de la moindre faille pour me poignarder dans le dos. Et je ferais de même avec toi. Mais… non. Je ne veux rien de ta part, Rôdeur. Rien du tout, si ce n’est appliquer les ordres du gouverneur. Mon maître m’a demandé de te tuer. Il ne devrait pas être mécontent d’apprendre que tu as vu tes amis mourir devant toi avant ta propre fin.

Lyco regarda à droite et à gauche, à la recherche d’une solution. Il ne pouvait pas bouger. Bakrom non plus. Leurs armes étaient toujours au plafond, loin de là. Les quatre soldats avaient des armes lourdes. Molch était trop puissant. Mais…

Karyl. Où était Karyl ?

Lyco regarda vers la porte du bureau. Il croyait en Karyl. Le Mutant allait défoncer cette porte et les sauver. Maintenant !

Molch soupira.

— Tu as trop d’espoir, Rôdeur. Karyl Braun me paraît fort occupé dans les sous-sols. Inutile de le chercher des yeux. Tu es fini, Rôdeur. Et tes amis aussi.

Molch laissa retomber un des pistolets dans sa main, et pointa l’arme sous la tempe frémissante de Darren. Le colosse avait les muscles noués, incapable de bouger. Ses yeux roulèrent à droite et à gauche, trouvèrent ceux de Lyco. Le garçon y lut une peur certaine, mais aussi une lueur de combativité. Ce n’était pas encore fini. Il pouvait encore s’en tirer ! Il suffisait de…

Le coup de feu explosa.

La tête de Darren se déforma sous l’impact. Lyco détourna le regard en hurlant sa rage et son impuissance. Du sang gicla dans la pièce. Ses cordes vocales cessèrent de vrombir.

Lyco voyait flou. C’était un cauchemar. Un horrible cauchemar. Il allait bientôt se réveiller, n’est-ce pas ?

Il observa avec effroi le corps inerte de Darren, baignant dans son sang, juste devant une Lacrya agenouillée et terrifiée, dont une moitié du visage était désormais rouge vermeil. Elle tremblait des pieds à la tête. Lyco sentit les larmes lui monter aux yeux. Tout mais pas Darren. Il ne pourrait pas vivre avec un tel poids sur les épaules. Les pillards ne l’accepteraient plus jamais. Boralf lui en voudrait pour toujours.

Et lui aussi.

— Darren… sanglota Bakrom.
— Molch.

La voix de Lyco, éraillée, lui ressemblait à peine. Il déglutit alors que le Mutant, d’un geste négligent de la main, faisait léviter le corps de Darren dans un coin de la pièce.

— Qu’y a-t-il, Rôdeur ? Est-ce trop douloureux à voir ?
— Je ferai tout ce que tu veux. Laisse les autres partir. Je ferai n’importe quoi.
— Je t’ai dit que non, Rôdeur. Tes paroles ne valent rien. Tant que tu es en vie, le gouverneur et moi-même ne vivrons pas sereinement. N’essaie pas de m’amadouer, c’est inutile. Au tour de la fille, donc.

Lyco se débattit, mais la pression invisible qui maintenait son corps plaqué contre le mur le retenait, invincible. Il lutta, lutta. Sans parvenir à s’extirper de cette étrange gravité contrôlée. Il ne pouvait rien faire. Rien faire d’autre que regarder. Où était Karyl ? Qu’est-ce qui lui prenait autant de temps ?

— Karyl ! appela Lyco avec force. Karyl ! Ici !
— Le Rôdeur appelle à l’aide ! s’exclama Molch avec joie. Magnifique !

Un des soldats ricana en écho avec Molch. Lyco se tut, la vision troublée par les larmes. Il croisa le regard de Lacrya ; la jeune fille n’était plus que l’ombre d’elle-même. Fragile, recroquevillée, terrifiée. Elle cherchait son regard, l’air éperdue. Elle parvint même à émettre un gémissement d’angoisse malgré la pression exercée par le Mutant Psy.

Le pistolet se posa contre sa tempe, implacable. Elle tressaillit.

— Non, Molch, pitié… souffla Lyco, en remuant, et en sentant une goutte de sueur couler de sa joue.

Le Mutant éclata de rire.

— Qu’est-ce que ça fait, quand tout s’effondre sous tes yeux ? C’est désagréable, n’est-ce pas ?

Il tira.

Un trou béant s’ouvrit dans le crâne de Lacrya. La jeune femme s’effondra sans un bruit, raide morte. Son corps heurta le carrelage avec un bruit sourd et terrifiant.

Lyco ferma les yeux.

Il était bien, là, dans le noir.

Abrité derrière ses paupières. Ignorant les bruits parasites du monde extérieur.

Il aurait aimé pouvoir s’endormir, oublier. Ne plus avoir à penser à tout ça. Ne plus avoir à se rappeler de qui que ce soit. Ne pas avoir à se réveiller pour voir Lacrya.

Il aimerait bien devenir un Effacé de nouveau. C’était tellement plus facile, de vivre sans souvenirs, sans mémoire. Sans rien.

— Au tour de ton jeune camarade ! lança Molch dans le lointain.

Lyco garda les yeux fermés, obstiné.

Il ne voulait plus vivre ou regarder la réalité en face.

C’était fini. Il avait mené tout le monde à la mort. Il méritait de finir de la même façon. Avec un trou dans la boîte crânienne.

C’était toujours comme ça que ça se terminait.