Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Effacé de Lief97



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 24/01/2019 à 10:39
» Dernière mise à jour le 04/04/2019 à 14:34

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 30 : Tête-à-tête [Arc 3 : Psyhéxa]
« Deux manières de briller : rejeter la lumière ou la produire. » Paul Claudel.


***


— Merci pour tout.

Lyco esquissa un franc sourire. L’ermite agita la main devant lui, l’air de dire que ce n’était rien, mais il était facile de voir qu’il était touché — et un peu gêné.

— C’est Xatu qu’il faut remercier, pas moi.

Le pokémon, perché sur son rocher, lança un cri qui se répercuta en écho contre les rochers. Darren, Bakrom et Ève, prêts à repartir, avaient harnaché leurs sacs sur une selle de fortune, au niveau du dos de leur frison qui avait déjà hâte de s’en aller. Il renâclait régulièrement et frappait allègrement le sol sous ses sabots de titan.

— Faites bon voyage, lâcha simplement le vieil homme en guise d’adieu.

Le groupe commença à s’éloigner, tandis que l’ermite les observait partir, immobile, en haut de la petite pente. Appuyé sur sa canne, il resta de marbre, les suivant du regard sans broncher. Ève agita la main avant de se pencher vers Lyco qui marchait près de lui :

— Bizarre, ce gars-là, pas vrai ?

Il haussa les épaules.

— Un peu, mais il fallait s’y attendre, non ?
— Les vieux fous dans son genre, ça me donne des frissons, déclara la jeune femme avec une grimace. Et puis son truc, là, le thé ? C’était infâme.
Darren l’entendit et lâcha un rire bref.
— C’est une surexcitée dans ton genre qui traite quelqu’un de fou ? Mais où va le monde ! Plutôt que de papoter, tu ferais mieux d’économiser tes forces, Ève. On a de la marche à faire. Bakrom a eu la bonne idée de nous faire prendre une route différente, afin d’éviter les questions dérangeantes à la cité des toiles.
— Tant mieux, répliqua Ève. J’ai pas spécialement envie de retrouver nos voisins qui puent. Je préfère encore le vieux.

Darren tapota l’encolure de Frison, qui, heureux de se dégourdir les pattes, prenait déjà de l’avance sur les autres :

— Suivez le rythme ! Dans dix jours on est chez nous, donc ne traînons pas !



***


Trois jours avaient passé depuis la vision de Saren.

Karyl marchait sans s’arrêter… et sans cesser de repenser à cette hallucination. Était-ce le signe avant-coureur de sa folie ? Cette folie qui l’avait pris plusieurs fois lorsqu’il s’était mis à massacrer ces gens ? Ou alors était-ce un effet secondaire du Némélia 3 qui coulait dans ses veines ? Qui éveillait chez lui ces pulsions meurtrières ?

Il n’en savait rien, et ça le rendait encore plus irritable que d’habitude. Sans compter que Molch l’appelait au moins deux fois par jour, mais uniquement pour prendre des nouvelles de sa mission ; il ignorait simplement les questions et les insultes. Le Mutant Psy était vraiment dépourvu de cœur.

— Des ingrats… tous des ingrats…

Il marchait, ruminant toutes sortes de pensées, simplement guidé par cette route pavée qu’il suivait depuis un moment déjà.

Route pavée qui s’arrêta net devant ses yeux baissés.

Il s’arrêta, surpris, et releva la tête.

Là, devant lui, sur plusieurs centaines de mètres au-delà de ce vaste plateau rocheux, des centaines de tentes, de cabanes, de tissus et de barricades fragiles s’étendaient. De petites constructions en bois — des sortes de tour de guet — s’élevaient parmi les tentes, alors que des drapeaux blancs flottaient au vent, fixés sur des poteaux d’un autre âge, recouverts d’une épaisse couche de rouille. D’autres habitations branlantes étaient adossées aux quelques rochers qui vallonnaient le plateau venteux. Quelques bruyères sauvages étaient agitées par la brise, ici et là.

La cité ne ressemblait à rien ; il n’y avait pas d’allée distincte pour rejoindre le centre du hameau, visiblement occupé par des cabanes de belle taille. C’était un fatras de murets en bois, de tentes disposées en cercle puis en ligne, de feux de camp qui dégageaient une fumée odorante, et de petits tas de déchets qui s’amoncelaient avant d’être jetés au feu. Une véritable petite favela, au cœur d’une plaine aride où la végétation peinait à se faire reine. Karyl crut pourtant apercevoir un ruisseau briller au loin, vers le nord.

Mais ces détails étaient sans importance. Karyl n’en avait cure. Il n’était pas là pour faire du tourisme.

Lyco, l’Effacé. Il était là, quelque part !

Quelqu’un lui fit un signe de la main, l’accostant d’un cri bref. Une sentinelle, sans doute. Son cœur rata un battement. L’énergie de la Némélia fit tambouriner sa poitrine. Sa respiration s’accéléra. Son moignon fourmilla de plus belle.

Lui aussi, tu vas le tuer, papa ?

La voix de Saren, surgie de sa droite, le fit frémir de surprise. L’adrénaline naissante reflua, et il pivota, pris de court.

Elle était là, près de lui, dans sa petite robe blanche, avec ses boucles blondes et son regard pétillant de vie. Un sourire innocent flottait sur son visage angélique ; son regard, lui, fixait Karyl droit dans les yeux, si franc et sincère qu’il en fut pris de vertiges.

Papa ? Tu vas le tuer ?
— Je…

Karyl savait pertinemment que Saren n’était qu’un mirage, une ombre du passé, issue de son imagination. Mais pourtant… il avait envie de croire en elle. De lui accorder, comme autrefois, toute l’importance qu’elle méritait. Face à ses grands yeux bleus, il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que de céder. N’importe qui aurait succombé.

La sentinelle s’approchait lentement, méfiante. C’était un homme de forte carrure, armé d’un fusil d’assaut en bon état. Le genre d’arme capable d’arracher un bras…

Saren continuait de le regarder, sans prêter aucune attention au garde ou à la cité des toiles. Karyl secoua la tête :

— Non. Non, ma puce. Je ne vais pas le tuer.
Et l’autre, Lyco ? Tu vas le tuer ?
— … oui. Je dois le faire.

Saren sembla déçue, et se délita lorsque le vent souffla. Karyl la chercha brièvement des yeux, hagard.

— Holà, étranger ! Tu m’entends ? Tu as pris un coup sur la tête ?

La voix de la sentinelle résonna tout près de lui. Karyl se retourna brusquement, et fit face à un regard anxieux empli de prudence. Le Mutant toussota.

— Euh, ouais, je crois que j’ai besoin de repos.
— Je vois que tu n’es pas armé, camarade. C’est assez imprudent de ta part ! Mais bienvenue dans la cité des toiles. Si tu veux un logement ou de quoi manger, va aux cabanes centrales, tu trouveras de tout, et…

La sentinelle remarqua qu’il manquait un bras à Karyl. Ce dernier désigna le moignon, dissimulé par sa cape :

— Vieille blessure, mentit-il avec un sourire forcé. Un Grahyéna affamé.
— Oh, désolé.

Karyl laissa la sentinelle le guider près des premières tentes, et lui indiquer le chemin le plus rapide pour rejoindre le centre du bidonville, avant de regagner son poste. Karyl fut accosté par plusieurs personnes lui quémandant argent et nourriture ; ce dernier les ignora, les envoya bouler, et pria pour que l’Effacé soit bel et bien dans le coin. La première étape — et la dernière avant l’exécution de Lyco — était de trouver des renseignements sur sa position.



***


— J’avais déjà oublié à quel point ce sable et ce vent étaient saoulants… râla Ève en s’emmitouflant dans une couverture, en guise de cape.

La jeune femme était pourtant abritée à droite de Frison, alors que le vent venait de l’autre côté. Darren, qui marchait devant elle, sembla vouloir lui répliquer quelque chose, mais n’en trouva pas le courage.

— C’est seulement le début, répondit Lyco après un bref silence.

Surprise, Ève tourna la tête vers le garçon. Il fixait le ciel avec inquiétude. Suivant son regard, la jeune femme fronça les sourcils :

— Comment ça ?
— Là-bas, plus loin.
— Quoi, des nuages ?
— Mais non. C’est… une tempête de sable, non ? J’ai l’impression d’avoir déjà vu ça avant. Elle n’a pas l’air de venir vers nous, mais quand même…
Bakrom, derrière eux, hocha la tête :
— Ça fait un petit moment que je l’ai remarquée. Mais elle s’éloigne. Aucun risque.

Les compagnons continuèrent d’avancer, inlassablement, dans ces plaines plus arides que jamais. Jusque-là, ils n’avaient pas rencontré de dangers en route, et tant mieux ; ils en avaient profité pour aller le plus vite possible. Chacun avait hâte de retrouver le campement des Forêts de l’Est, et de s’endormir dans un lit auprès d’un feu. Il leur arrivait même d’en rêver la nuit.

Lyco songea que dans les souvenirs qu’il avait, bien qu’ils fussent flous, il n’avait jamais connu le confort du refuge des pillards. Seulement à l’époque où… où il vivait avec son père, dans une toute petite maison de plain-pied, en pierre brute. Il s’en rappelait grossièrement.

Un salon qui faisait aussi office de cuisine et de chambre… et une salle de bain où il n’y avait jamais eu d’eau courante. La cheminée, aussi, revenait régulièrement dans sa mémoire. Une cheminée en mauvais état, sur laquelle était posée de la vaisselle ancienne, recouverte de poussière. Une vaisselle qui aurait pu permettre au père de Lyco de payer quelques repas, mais il ne s’était jamais résolu à la vendre. Elle revêtait probablement une importance sentimentale pour son père. Mais ça, il ne s’en souvenait pas. Et n’en saurait probablement jamais plus.

Son père, d’ailleurs. Il revoyait cet homme musclé, assailli par la fatigue et la maladie. Ses cheveux gris, broussailleux, son teint hâlé et ses yeux d’acier, qui ne flanchaient jamais. Sa voix, grave, puissante, mais qui se faisait rarement entendre. Il restait toujours allongé dans ce qui pouvait s’apparenter à un canapé, bien qu’il s’agisse plus d’un tas de tissus et de paille formant une litière épaisse. Il avait été blessé et rendu malade, à son travail. Impossible de se souvenir comment…

Lyco se rappelait aussi de ses sorties nocturnes : il entrait chez les voisins, volait de l’argent, des objets à vendre. Il avait tout fait pour se créer des économies et acheter de quoi soigner la maladie de son père… en vain.

Ce dernier avait succombé pendant son sommeil, une nuit. En le trouvant, Lyco n’avait même pas été surpris. Et… il n’avait pas réussi à verser la moindre larme. Un sentiment de culpabilité était lié à ce souvenir. Vif et douloureux.

En plus de ça, une part de lui-même avait été soulagée : plus besoin de chercher ces légendaires et introuvables médicaments. Son père ne souffrirait plus. Lyco n’avait plus besoin de rester dans ce hameau perdu. Il pouvait partir loin d’ici. Visiter le monde. Se montrer utile. Il n’était plus enchaîné à cette maison, à ce village. À cette vie miséreuse.

Ces pensées avaient longtemps hanté ses nuits ; était-il sans cœur, pour avoir été heureux de la mort de son père ? Était-il un monstre ?

« Non, songea-t-il avec fermeté. J’ai pensé à ma survie. Survivre, c’est le plus important dans ce monde. Peu m’importe l’avis des gens qui disent que ça ne sert à rien, que ce monde est fichu de toute façon. Je ne peux pas y croire. Ma réaction… était la bonne. »

Lyco, déterminé à ne pas se laisser abattre par ces souvenirs, décida d’écouter sa conscience, et celle du Lyco d’autrefois : ne pas regretter ses actes, toujours continuer d’avancer. Même si l’avenir ne promet plus rien.

Balayant tous ses doutes d’une simple impulsion mentale, il redressa la tête et fixa un regard déterminé devant lui.



***


Karyl bougonnait, râlait, grommelait.

Il en avait assez de marcher, de marcher, jusqu’à ne plus savoir où s’arrêter ! Il avait demandé à plein de mendiants et d’habitants de la cité des toiles avant de tomber sur cette pseudo-infirmière, qui l’avait enfin éclairé : Lyco était parti voir l’ermite. Et il était accompagné d’un « grand homme, d’un garçon, et d’une femme blonde ».

Il avait l’impression d’être tombé sur les bons. Le grand homme devait être ce fichu Darren, les deux autres étant sûrement des pillards de son groupe. Peut-être ceux qui étaient avec lui dans l’Arène. Il s’en fichait pas mal, de toute façon, et il n’avait pas pris soin de retenir leurs noms.

Pillards ou pas, il allait les tuer en même temps que Lyco. Ça lui retirerait une épine dans le pied.

Pourquoi tu vas les tuer, papa ?

Karyl ne s’arrêta pas. Il se retint de tourner la tête vers la silhouette de Saren qui marchait à ses côtés. Il ne répondit pas, concentré à suivre la piste qui menait à ce fameux ermite que Lyco était parti chercher.

— Parce que.
« Parce que », c’est même pas une réponse !

Voyant que Karyl se renfrognait sans rien ajouter, Saren s’impatienta :

Pourquoi tu vas les tuer ? Juste parce que quelqu’un te l’a demandé ? Ou parce que tu ne les aime pas ?
— Les deux, répondit sèchement Karyl, plus durement qu’il ne le voulait.

Il se radoucit un peu et soupira. Il jeta un coup d’œil vers Saren, dont le regard franc semblait empli de doutes, et de crainte. Karyl s’en voulut de lui donner une telle image de lui. Il marmonna quelque chose, avant de dire plus haut :

— Je le fais parce que Molch me l’a dit, oui… mon contrat, c’est de les tuer.
Pourquoi tu obéis à ce… contrat ?
— Parce que j’ai reçu des pouvoirs. C’est une manière de… de remercier… Molch… ce…

Karyl comprit bien l’absurdité de sa situation. Quoi, il voulait vraiment remercier ce Mutant ? Pour l’avoir transformé… en monstre naissant ? Pour l’avoir manipulé ? Pour lui avoir donné des pouvoirs qui l’avaient aveuglé et poussé au massacre ? Ce qu’il avait recherché, c’était de la force, de quoi survivre dans ce monde terrible… Pas un don qui transformait son corps et le rendait aussi terrifiant !

Ton bras te fait mal ?
— Non.
Il va repousser ?
— C’est bien parti pour.

Il remarqua la mimique à la fois rassurée et dégoûtée de Saren. Il tiqua, mais ne ralentit pas sa marche. Elle ne disait rien, mais ça la révulsait, elle aussi. Oui, il était devenu un monstre…

Plongé dans ses pensées, il ne songea plus à Saren, dont la silhouette se volatilisa alors qu’il entamait la montée d’une petite pente. Un air marin, amené par un vent froid du nord, lui titilla les narines. Il releva la tête, et remarqua un rocher… en haut duquel était perché un xatu majestueux, au regard inquisiteur. À peine l’eut-il vu qu’un vieil homme émergea de l’ombre d’un paravent. Borgne et bossu, appuyé sur une canne, il l’observa avec méfiance.

— C’est toi, l’ermite ? cracha presque Karyl.

Heureusement, sa fille n’était plus là. Il pouvait se permettre de se montrer vulgaire.

— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, rétorqua le vieil homme avec un air malicieux. Mon xatu a l’air de penser que tu n’es pas pourvu de bonnes intentions, alors pourquoi répondrai-je à tes questions ?
— Où est l’Effacé ? lança Karyl sans relever.
— Je vois… un tueur à gages. Tu travailles pour le gouverneur, je présume ?

Karyl grogna. Ce vieil homme en savait beaucoup, visiblement. Comment l’avait-t-il appelé, tueur à gages ?

— Je ne suis pas un tueur.

La phrase sonna faux même à ses propres oreilles. Sa fille elle-même l’aurait à peine cru. Il avait tué, profité de ses pouvoirs, supprimé des gens… en y prenant plaisir. Un plaisir malsain. Il était pire qu’un simple assassin. Il était un monstre.

Cette simple pensée, presque devenue une conviction, fit un peu chanceler Karyl, qui tenta de garder la face. Il serra les poings et la mâchoire pour se contenir.
L’ermite s’approcha un peu de lui, d’un pas claudiquant. Soit ce vieux fou n’avait pas conscience du danger, soit il cachait une arme sous ses vêtements amples ; et pourtant, ça n’en avait pas l’air.

— Tu veux tuer Lyco, l’Effacé, n’est-ce pas ?

Karyl fronça les sourcils et entrouvrit la bouche, ne cachant pas sa surprise.

— … oui. Comment le sais-tu, vieillard ?
— Xatu t’a déjà percé à jour. Il me transmet des informations, je me contente de les recevoir.
— Pff. Je déteste vraiment les types Psy.
— Je te crois. C’est agaçant, lorsque que quelqu’un est plus malin que nous et se sert de nos faiblesses, n’est-ce pas ? Je te comprends, Karyl Braun.

Karyl grimaça, et fut brièvement tenté de tuer le vieil homme d’un coup de poing. Il comprit trop tard qu’il ne pouvait plus bouger. Il était… paralysé. Une force mystique le clouait sur place. Il pouvait seulement bouger la tête. À peine. Sûrement un mauvais tour de ce xatu de malheur !

Au même moment, l’oiseau croassa en guise de réponse. On aurait dit un rire moqueur de sa part. Karyl tenta de lever un bras.

L’ermite le regarda s’agiter vainement quelques secondes, puis esquissa un sourire empli de tristesse.

— Viens donc auprès du feu. Discutons un peu, veux-tu ?



***


Karyl, assis face aux flammes, lorgnait l’ermite de l’autre côté, assis sur son banc. Le xatu immobilisait toujours le Mutant. Ce dernier avait choisi de se montrer calme, pour le moment… il attendrait que le pokémon se relâche un peu pour tout détruire. Il n’était plus à une ou deux heures près.

— Où est parti l’Effacé ? demanda abruptement Karyl.
— Quelque part, répondit vaguement l’ermite en agitant la main.
— Vous foutez pas de moi ! rugit Karyl.
— Je n’ai pas envie de parler de Lyco. L’important maintenant, c’est toi, Karyl Braun.

L’ermite se servit ce qui ressemblait à un thé ; il prit un bol entre ses mains et but une petite gorgée d’un air amusé. Karyl grommela. Son hôte lui en avait proposé mais il avait refusé, évidemment. Il n’était pas là pour boire quoi que ce soit. Surtout quand il y avait une chance qu’il s’agisse de poison.

— « Braun ». Sais-tu ce que signifie ce mot ?
— … non, et je m’en fiche.
— C’est un nom déposé, une marque, en quelque sorte, répondit l’ermite en ignorant sa réponse. Du moins, ça l’était au siècle dernier. « Braun » était l’un des noms d’une série de sérums pharmaceutiques, à l’origine créée par des gouvernements dans un but militaire. Ce nom fait référence au sérum Némésis rocheux. Une invention antérieure, du même type.

Voyant l’air sceptique de Karyl, l’ermite sourit :

— De la Némélia, si tu préfères. Celle qu’on a dû t’injecter pour que tu obtiennes ces pouvoirs.
— Et alors ? À quoi ça me sert de savoir ça ?

L’ermite reposa sa tasse près de lui et posa les mains sur ses genoux. Un bref silence s’installa, comme si le vieillard en profitait pour le sonder de l’intérieur. Karyl frissonna. L’ermite répondit enfin, avec un demi-sourire.

— C’est toujours intéressant de connaître l’origine de son nom.
— Je m’en fiche, de ce nom ! De toute façon, c’est juste un nom de code… comment ça se fait que vous sachiez autant de choses ? Vous êtes proche de Mervald, ou quoi ?

L’ermite, étrangement calme, récupéra sa tasse fumante et secoua doucement la tête.

— Non. Mervald m’est parfaitement inconnu. Mais je connais des choses que même lui doit ignorer. Ce gouverneur n’est qu’un pâle tyran comparé à ceux d’autrefois.
— À vous entendre, on dirait que vous avez vécu à l’époque de l’Épidémie.
— Qui te dit que je n’y ai pas vécu ? rétorqua le vieillard. C’est si surprenant que cela ? Alors qu’il existe des sérums capables de procurer des pouvoirs de pokémon, pourquoi n’y aurait-il pas moyen d’en développer un capable d’augmenter l’espérance de vie ?

Karyl fronça les sourcils. L’idée ne lui était jamais venue. Mais maintenant qu’il le disait… il ignorait de quoi était capable la science de l’époque.

— Quoi ? Vous voulez dire que vous êtes… vous avez vécu la Guerre ? Foutez-vous de ma gueule !
— Centrons-nous sur le sujet qui nous intéresse tous les deux. Je n’ai pas envie de parler encore de ce désastre.

Karyl avait l’étrange impression de se faire mener à la baguette. Mais en même temps, il commençait à éprouver de l’intérêt pour ce vieil homme. Il n’allait peut-être pas le tuer, en fin de compte… après tout, à quoi cela servirait-il, sinon à décevoir Saren ?

— Pourquoi obéis-tu à ce Molch, que je vois dans tes souvenirs récents ? C’est un Mutant, n’est-ce pas ? Pourquoi être loyal envers lui ? Tu n’as pourtant pas l’air de le porter dans ton cœur…
— … c’est mon contrat qui…
— Non. Ce contrat n’est qu’un bout de papier. De nos jours, ça ne signifie plus rien. Rien du tout. Et tu es le premier à le penser, n’est-ce pas ? Alors pourquoi suivre ses ordres ? Pourquoi le servir ?

Karyl resta silencieux quelques secondes. La réponse se dessina dans son esprit, évidente. Pourquoi avait-il tenté de la mettre de côté pendant tout ce temps ? Il prenait lui-même conscience des raisons qui le poussaient à continuer. Il répondit dans un souffle :

— … j’ignore ce qu’il se passera si je lui désobéis. C’est un Mutant, et il peut communiquer avec moi malgré la distance, je…
— Voilà la raison, enfin, sourit l’ermite. Tu as peur de mourir, Karyl Braun. C’est ce qui explique ta volonté, ta ténacité, et ta lâcheté.
— Lâcheté ? gronda Karyl.

L’ermite leva une main pour l’inciter au calme :

— Je ne t’insulte pas. Après tout, un vieux proverbe dit que le sage et le lâche ont en commun l’art de la fuite. Être lâche ne signifie pas être une mauvaise personne. C’est parfois la meilleure réaction à avoir. Parfois, pas toujours.
— Bon, d’accord, d’accord, j’ai peur de crever comme une merde, et alors ? En quoi ça vous regarde ?

L’ermite sembla un peu déçu et fit la moue. Son œil unique le fixa à travers le rideau de vapeur formé par son thé.

— Tu ne comprends toujours pas ? Regarde les choses en face, Karyl Braun. Avec tes nouveaux pouvoirs, tu as compris ce qu’était la rage de tuer. Tu t’es couvert de sang, tu as été blessé physiquement, et ton âme commence à flancher. Tu ne dois pas sombrer du mauvais côté. Penses-tu qu’il vaut mieux être un monstre, te battre pour un gouverneur dont tu ignores le but ? Qui se sert de toi ? Ou alors penses-tu qu’il faille mettre tes pouvoirs au profit de ceux qui pourraient changer la face de ce pays ? En faire une terre meilleure, pleine de promesses ? Où chacun aurait, peut-être, une plus grande chance de s’en sortir ?
— Que… qu’est-ce que ça veut dire ? Vous… vous dites que…

L’ermite hocha la tête avec gravité.

— Je dis que t’allier à Lyco ne serait pas une si mauvaise idée. Bien au contraire.

Karyl faillit s’étrangler de stupeur en déglutissant. S’allier à cet enfoiré ? Et puis quoi encore ? Lyco le considérait comme une nuisance, et l’inverse était réciproque !

— Je sais ce qu’il veut faire, à terme, déclara l’ermite avec un air soudain plus sérieux.
— Lyco ?
— Il va retrouver ses souvenirs. Tu as entendu parler du Rôdeur ?
— Hm… ça me dit vaguement un truc. Une sorte de bandit qui sévissait y’a quelques temps, j’crois ?

L’ermite se leva en s’appuyant sur sa canne. Et tourna son regard vers l’horizon.

— C’était Lyco.
— Quoi ?
— Il ne s’en souvenait pas lui-même, puisqu’il a été effacé. Mais il s’agit de lui. Ce Rôdeur, réputé pour engager des conflits avec Mervald. Tu connais forcément la réputation de ce bandit, au moins un peu. Il va finir par rassembler ses souvenirs, et reprendre ce qu’il avait commencé.

Karyl, piqué au vif, tendit l’oreille, intéressé bien malgré lui.

— Ce qu’il avait commencé ?
— Il va tuer Mervald. Et le remplacer.