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Effacé de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 24/01/2019 à 10:35
» Dernière mise à jour le 04/04/2019 à 14:33

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 29 : Fantômes du passé
« On ne peut point régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. » Louis de Saint-Just.


***


Un vent doux caressa sa joue. La tête ailleurs, Lyco avait l’esprit tout embrumé ; son corps était au chaud, il le sentait. Un bruit de pas, accompagné d’un autre son plus fort et régulier, le fit sursauter. Il ouvrit les yeux, étonné.

Où était-il ?

Un simple coup d’œil autour de lui le fit frémir. Il était au campement de l’ermite, recroquevillé dans une épaisse couverture près d’un petit feu timide. Et ce bruit de pas, ainsi que le tapotement de la canne… l’ermite s’arrêta près de lui et lui tendit un bol.

— Bois, ça te fera du bien.
— Qu’est-ce que c’est ?

Le jeune homme saisit le bol et regarda son contenu avec incompréhension. Et une pointe de méfiance.

— De l’eau ?
— Du thé. Et pas n’importe quel thé. Ça fera passer ta migraine.
— Je n’ai pas mal à la tête.
— Ça va venir.

L’ermite, un sourire flottant sur ses lèvres, s’assit sur son banc en poussant un soupir rassuré. Lyco but une gorgée de l’infusion et… ce n’était pas si mauvais. Un peu amer. Il sentit le liquide chaud couler dans sa gorge, et cette impression le réconforta un peu.

— Où sont les autres ? demanda-t-il en constatant qu’ils étaient seuls.
— Partis voir la mer de plus près. Xatu les suit, au cas où ils se feraient surprendre.

Le garçon grimaça, un peu déçu qu’ils ne l’aient pas réveillé pour aller voir l’océan avec eux. L’ermite remarqua son air dépité et éclata de rire.

— Ils ont essayé de te réveiller, tu sais. Mais les effets secondaires de la récupération de tes souvenirs t’ont assommé. Ils sont partis tôt ce matin, et ne devraient plus tarder à revenir.

Lyco se rendit compte seulement à cet instant qu’il devait être midi passée ; l’ombre procurée par le rocher l’avait induit en erreur. Songeant que l’ermite se montrait étrangement gentil, Lyco fronça les sourcils.

— Pourquoi nous aider à ce point ? Et pourquoi êtes-vous aussi…

Il peina à trouver les bons mots, craignant d’être vexant. Le sage sourit et termina à sa place.

— … désintéressé ? Cela fait bien longtemps que je ne me fatigue plus à attendre quoi que ce soit des autres. Les aider… c’est quelque chose qui me réchauffe le cœur. Je ne pouvais pas non plus te laisser sans souvenirs. Arceus sait que je tiens à ma propre mémoire.

Le garçon ne dit rien, sceptique. Il n’avait encore jamais rencontré une âme généreuse capable de donner sans rien recevoir en retour ; rares étaient les hommes à agir ainsi. Il changea de sujet en comprenant qu’il ne servait à rien de débattre de cela plus longtemps.

— Quand… hésita-t-il. Quand Xatu n’est pas avec vous, vous n’êtes pas en danger, ici ?
— C’est un endroit calme, dès lors qu’on prend un peu de hauteur. Il n’y a pas beaucoup de prédateurs non plus. Mais, changeons de sujet, veux-tu ? J’ai quelque chose à te demander.

Surpris par le ton soudain plus sérieux de mon interlocuteur, je bus une autre gorgée en le regardant par-dessus le rebord de mon bol en bois, à travers la vapeur d’eau. Il observait les flammes d’un air songeur. Il souffla, et demanda :

— Dis-moi, tes souvenirs. Tu en as récupéré dans ton sommeil ?
— Comme hier, je me souviens de ma vie dans les grandes lignes… et d’un souvenir assez ancien, je suppose. Difficile à dire.
— Et quel est-il, si ce n’est pas indiscret ?

Lyco ferma les yeux ; il en avait rêvé plusieurs fois. Se souvenait de chaque détail avec une précision effrayante. Cette vision avait été presque plus nette que la réalité sous ses yeux. Ce souvenir était vivace, puissant et chargé d’informations.

— C’est… je libérais… des esclaves dans une usine d’armes, ou quelque chose dans le genre.
— Hm. Plutôt marquant, donc. Tu as conscience qu’il est ancien, tu as dit ?
— Oui. Avant que je rencontre les autres, c’est sûr.

L’ermite recula un peu, et baissa le regard vers les flammes mourantes.

— Il est probable que tu retrouves tes souvenirs chronologiquement. C’est ce qui est arrivé, avec le dernier Effacé que j’ai aidé. Je crois que Xatu est parvenu à… débloquer ton esprit dans le bon ordre, disons. Il n’est pas un faiseur de miracle, mais il reste puissant. Et il faut croire qu’il s’est habitué à entrer dans la tête des hommes…

L’ermite s’appuya sur sa canne et le laissa terminer son thé d’un air soucieux. Lyco posa le bol près de lui, voyant bien qu’il brûlait d’envie de lui poser une autre question. Pour un ermite, il avait l’air bien curieux et drôlement bavard. Peut-être qu’il était content de voir quelqu’un en chair et en os dans un endroit aussi reculé.

— J’ai l’impression que tu n’es plus tout à fait le même, constata-t-il d’un air hésitant.

Surpris, Lyco pencha la tête sur le côté.

— Comment ça ?
— Hier, tu m’avais l’air de quelqu’un d’hésitant, pas très sûr de toi… certainement un peu idéaliste sur les bords. Pas très à l’aise. Le changement est peut-être difficile à percevoir… mais je suis habitué à ce que Xatu me transmette les informations psychiques des Effacés qu’il a soigné. Rien d’intime, pas de souvenirs, rassure-toi… j’ai juste pu percevoir ton état d’esprit avant et après l’opération.

Lyco fronça les sourcils, comprenant vaguement ce qu’il voulait dire par là.

— Je… je crois que je sais pourquoi. Je me souviens de qui j’étais, de choses terribles que j’ai vu et faites… même si c’est encore flou. Avec du recul, je me dis que le Lyco de l’Arène était plutôt pitoyable. Celui d’avant aurait tout fait pour s’évader, plutôt que de jouer le jeu des mises à mort de Mervald… et, niveau personnalité, je me suis rendu compte que… avant, j’étais bien plus déterminé et froid que maintenant. J’ai comme l’impression… que c’est quelqu’un d’autre.
— Et là, tout de suite, tu es perdu car tu ne sais plus trop quelle est la facette de toi qui te convient le mieux ?
— Euh… oui, en quelque sorte, avoua Lyco.
— Pourquoi pas un mélange des deux ? De toute façon, je te dis ça, mais tu n’as pas vraiment le choix. C’est une évolution logique. En un sens, perdre la mémoire et la retrouver… ça aide. Ça aide à prendre du recul, à se remettre en question, à se juger… et à changer.

Lyco eut l’impression étrange que l’ermite parlait soudain de lui. Ou du moins, qu’il se sentait également concerné par ces mots qu’il lui adressait. Il gratta sa barbe naissante et grommela quelque chose d’inintelligible, comme s’il regrettait de s’être trop dévoilé. Comprenant qu’il était gêné, Lyco prit la parole :

— Vous aviez dit que vous étiez au courant de pas mal de choses. Ça veut dire que vous savez que Mervald est gouverneur et qu’il oppresse des centaines de personnes ?
— Bien sûr que je le sais. Mais… son « empire » n’est pas si mauvais que ça, tu ne crois pas ?

Un bref silence s’installa. Lyco releva brutalement la tête vers lui, les muscles noués.

— Que voulez-vous dire ?
— Le monde est dévasté, soupira l’ermite. Il se remet à peine debout. Il va peut-être falloir des centaines d’années avant de retourner à une véritable civilisation. Ou même jamais. Dans ces conditions, tu ne crois pas qu’il faut un chef ? Des soldats, pour faire régner la loi, même si c’est celle du plus fort ?
— Des gens meurent, sont massacrés, tout ça pour que Mervald puisse endiguer les révoltes ! Il vit dans la richesse en laissant les autres dans la misère !
— Comme à la vieille époque, oui. Le gouverneur le fait simplement de manière plus flagrante. Il ne se cache pas dans l’ombre d’un complexe système financier. Il s’enrichit sur le dos des autres. Rien n’a changé. Pourquoi penses-tu que Mervald soit nécessairement du mauvais côté ?

L’air innocent de l’ermite ne trompait pas. Il se fichait de lui ? Lyco sentit une pointe de colère faire trembler sa voix :

— Vous êtes de son côté ?
— Absolument pas, mon garçon. J’aime juste me faire l’avocat du diable. Je dis simplement que personne n’est tout noir ou tout blanc. Le gouvernement de Mervald est sûrement injuste, tyrannique, dangereux, et même malsain. Mais certains le vivent bien. Il y a un certain ordre, et une paix, même instable. Sans lui, ce serait l’anarchie. Une lutte sans fin. Je comprends que tu veuilles le tuer, ou renverser ce qu’il a construit. Mais pense à ça, de temps en temps. Mervald n’est pas foncièrement mauvais. Personne ne l’est. Et son empire n’est peut-être pas une mauvaise chose, au final !
— Sûrement, oui, lâchai-je en grognant. Mais à mes yeux, ça n’excuse rien.

Il haussa les épaules, et esquissa un sourire tremblotant. Visiblement, il n’était pas tout à fait d’accord mais ne semblait pas vouloir continuer. Peut-être se disait-il que face au point de vue de Lyco, il serait inutile de débattre. Il était vrai que peu d’arguments auraient pu le convaincre des effets bénéfiques du règne de Mervald… et le garçon était le premier à savoir qu’il n’était pas du tout neutre dans cette affaire.

L’ermite se releva, courbé, et claudiqua près de son tas de couverture pour en sortir un torchon. Le jeune homme comprit qu’il voulait laver le bol dans la bassine d’eau à quelques mètres et il se proposa pour le faire à sa place. Il le remercia, le laissant réfléchir à cette petite discussion.

Lyco avait beau comprendre ce qu’il avait dit, il ne pouvait se résoudre à laisser Mervald impuni. Il avait peut-être ses raisons, mais rien à ses yeux n’excusait l’Arène, les exécutions publiques et les persécutions.

Un jour, il faudra tuer Mervald. Qu’elles qu’en soient les conséquences.



***


Karyl apercevait, enfin, après des jours d’errance, la frontière entre les plaines arides et le Vallon du Silence. Il était fatigué, mais en meilleure forme. Il avait eu le temps de se reposer un peu pendant son trajet.

Son bras repoussait, il en était certain maintenant. Il avait un moignon long d’une dizaine de centimètres, à la peau beige, cette fois. Ça commençait à ressembler à sa teinte de peau originale. Et ça continuait de fourmiller, de le gratter. Il avait l’impression que des insectes minuscules s’agitaient sous sa peau, mais il commençait à s’habituer.

Il passa sa main valide sur son front pour en évacuer la sueur. Il avait chaud. Heureusement qu’il avait marché toute la nuit. Il n’aurait jamais pu tenir le coup sans ses pouvoirs de Mutant.

Agent Karyl Braun, tu me reçois ?

La voix, surgie de nulle part, semblait retentir dans la tête de Karyl, qui sursauta violemment. Il la reconnut et marqua un temps d’arrêt.

— Molch ?
Oui, affirma la voix atone du Mutant Psy.
— C’est de la télépathie ? Je suppose que t’es bien au chaud à Psyhéxa ? maugréa Karyl sans s’arrêter de marcher.
Où es-tu ?

Le Mutant n’avait pas relevé sa pique. Il s’en fichait, visiblement. Karyl, irrité, soupira.

— Je suis près du Vallon du Silence. L’Effacé est là-bas.
Tu penses pouvoir le tuer bientôt ?

Karyl leva les bras vers le ciel, agacé et moqueur.

— Et bien, oui, si je le trouve. Il me faudra deux jours pour atteindre la cité des toiles, peut-être moins. Tout va dépendre de s’il a bougé ou non.
Je vois.
— … quoi, c’est tout ? Pas d’encouragements, pas de nouvelles, pas de plan ? Tu me parles juste pour dire ça ?
Le gouverneur voulait un rapport. Je le lui transmettrai.
— Tu l’aimes ton gouverneur, hein ? Tu me dégoûtes ! D’ailleurs, faut qu’on parle. J’ai perdu un bras ! Un putain de bras ! On m’avait dit que je serais solide, mais c’est un simple fusil qui m’a fait ça, tu m’expliques ?

Molch ne répondit pas. Karyl supposa qu’il avait déjà mis fin à la télépathie. Il cracha des injures et repartit, vociférant bien une dizaine de minutes encore après la conversation.

Il n’arrivait pas à cerner Molch, et encadrer Mervald n’entrait pas dans ses priorités, bien que techniquement, il fut son supérieur hiérarchique… mais il était énervé de servir de chien de chasse pendant que les trois autres Mutants étaient il ne savait où, probablement à ne rien faire de leurs journées. Et lui qui prenait des risques inconsidérés, sans même être payé !

Lui, Karyl, le lâche opportuniste par excellence, cavalait dans le désert, tuant et massacrant les obstacles qui l’empêchaient d’atteindre sa cible. Il était… quoi, un simple tueur ? Il en était réduit à ça ? Vraiment ? Alors que ses pouvoirs lui permettaient sans doute de rivaliser avec les autres Mutants ?

Désemparé, Karyl s’approcha d’un rocher surmonté d’un cactus solitaire. Aussi solitaire que lui. Il s’assit dos à la roche, prenant une petite pause bien méritée.

— Qu’est-ce que tu penserais de moi… murmura-t-il en fermant les yeux.

Elle lui manquait tant. Il regrettait tant de choses…

— Si tu me vois, de là-haut… lâcha-t-il en maugréant et en levant la tête vers le ciel ardent, alors s’il te plaît, me juge pas trop sévèrement. Je sais bien que j’ai déconné…

Il repensa à sa manière violente d’agir, face aux pillards. Il entendait les os craquer, voyait le sang gicler, écoutait les cris déformés par la terreur. Il repensait à sa main traversant des entrailles gluantes sans effort ; il pinça les lèvres. Il était un monstre. Il le savait. Mais… il ne pouvait plus revenir en arrière… c’était trop tard.

Depuis trop longtemps.

Tu n’es pas un monstre, papa.

La voix, fluette et innocente, jaillit soudainement. Karyl releva la tête.

Personne, il n’y avait personne.

Voilà qu’il hallucinait. Le soleil avait dû lui causer une insolation. La chaleur, couplée à la fatigue, à son caractère irritable, et à ses nerfs en compote… oui, c’était compréhensible qu’elle cause des visions, après tout.

Il entendit un rire joyeux, et tourna la tête ; il eut juste le temps de voir une silhouette pâle, semi-transparente, se cacher derrière un rocher proche. Une silhouette de petite taille, aux longs cheveux dorés, et vêtue d’une robe blanche abimée.

— Saren ? s’étonna-t-il d’une voix enrouée. C’est… c’est bien toi, Saren ?
Bonjour, papa !

La petite fille émergea du rocher. Karyl n’eut même pas le temps de la regarder en détail ; d’un coup, elle disparut. Un cri de fillette retentit.

Puis, soudain, Saren se retrouva allongée, devant lui, couverte de sang, une plaie béante partant de son cou jusqu’à son nombril.

— Saren ! s’étrangla Karyl, horrifié.

Il voulut se relever, perdit l’équilibre et tomba mollement au sol. Il regarda partout autour de lui. Plus de Saren. Nulle part.

Pantelant et en sueur, Karyl regarda dans le vide, tentant de reprendre son calme, en vain.

Finalement, il mit bien une dizaine de minutes à se remettre de ses émotions. Il se releva, reprit la route, et se contenta de ponctuer cette scène surréaliste par un ronchonnement.

— Foutue hallucination…



***


— Il se rend à la cité des toiles ? s’étonna le gouverneur.

Assis dans son fauteuil de cuir, derrière son imposant bureau de bois brut, Mervald avait relevé le nez des lettres parcheminées qu’il venait juste d’ouvrir. Ayant reçu l’appel télépathique de Molch, il faisait passer les nouvelles de son pays naissant au second plan.

Oui, maître.
— Serait-ce possible qu’il ait entendu les rumeurs, lui aussi, sur l’existence de ce Xatu ?
Je suppose que oui, maître. Mais nous ignorons si ce Xatu est réel.

Mervald posa les papiers qu’il tenait à la main sur le bureau devant lui.

— En effet. Mais on ne peut pas se permettre de penser de cette façon. S’il y a un risque, il faut le considérer comme une certitude. Tu sais comme moi à quel point le Rôdeur a été terrible pour nos affaires. Il ne faudrait pas qu’il se souvienne de tout ça. Il sait trop de choses…

Mervald soupira, lâcha sa plume et s’enfonça dans son fauteuil en croisant les bras. Il jeta un coup d’œil rapide en direction de la coupe de fruit qui lui faisait de l’œil, près d’un chandelier qui éclairait faiblement son visage renfrogné. La bouteille de vin, elle, attendait son heure.

Au-dehors, les voix lointaines de gardes résonnaient dans la pénombre octroyée par le crépuscule. Des pokémons en cage s’agitaient. Des soldats patrouillaient, pendant que d’autres festoyaient. Le gouverneur les ignora, habitué aux bruits parasites. Il plissa le front, mécontent.

— Il veut récupérer ses souvenirs… répéta-t-il dans un souffle.
Que dois-je faire, maître ? L’agent Braun suffira-t-il ?

Mervald marque une pause avant de répondre à son bras droit.

— Je n’ai ni le temps ni les moyens d’envoyer des renforts à ce Karyl Braun. Je n’ai pas pleinement confiance en lui… mais je suppose que sa soif de vengeance devrait nous servir encore un moment.
Et si je me rendais sur place, maître ?
— Non, non, certainement pas. Il faut que tu restes à Psyhéxa. Tes affaires sont plus importantes. Déjà que Garûnd et Zak sont occupés, je ne veux pas prendre le risque de perdre mon meilleur élément.
Bien, maître.

Mervald aurait juré avoir entendu l’ombre d’un sourire dans le ton atone du Mutant Psy. Ce dernier aurait-il reçu le compliment avec plaisir, pour une fois ? Allait-il enfin faire preuve d’une once d’émotion ? Prouver qu’il était un Mutant… pourvu d’émotions humaines ?

Le gouverneur lâcha subitement :

— Avancée du projet ?
Nous sommes sur la bonne piste, maître. Les premiers sujets sont réceptifs. Le Némélia 3 a l’air d’être au point.
— Parfait. N’oublie pas d’éliminer les cobayes imparfaits. Et rappelle-moi demain soir, au sujet de cet imbécile de Braun. Je veux des rapports réguliers !
Oui, maître.

Le lien télépathique s’interrompit, et Mervald se pencha sur son bureau, pensif. Tous ces problèmes, ces gens qui se croyaient assez malins pour s’opposer à lui ! Il était agacé, irrité, même. Presque énervé.

Il se consola en se disant que le lendemain, un Tournoi Spécial aurait lieu dans l’Arène ; il était temps de purger ces rebelles dans les cachots. Tant d’autres attendaient d’y entrer à leur tour. Tant d’ennemis et d’alliés potentiels pour ses expériences… et pour son propre plaisir.

Il reprit sa plume et lut attentivement les nouvelles venues des quatre coins de son petit empire.



***


Lyco, debout près du rocher, observait la surface brillante de l’océan, au loin.

Il apercevait Xatu, qui planait dans le ciel, à moins d’un kilomètre de là. Visiblement, Darren, Ève et Bakrom revenaient de leur escapade en bord de mer. Ils seraient ici dans peu de temps.

Le jeune homme soupira. L’ermite était près de son feu, en train de préparer d’autre infusions pour passer sa migraine. Il sifflotait sereinement, son œil valide surveillant attentivement l’eau qui commençait à bouillir.

Lyco fixa l’horizon.

Il s’était souvenu d’autres choses ; des détails parfois insignifiants. Des passes d’arme, qu’il reconnaissait désormais dans la manière qu’avait Bakrom de se battre. Le fonctionnement d’une arme à feu lui apparaissait clairement dans sa tête. Et sa manie à concevoir des plans sans les partager avec personne, aussi.

Il s’était attendu, en retrouvant ses souvenirs, à se rendre compte qu’il avait été un tueur sans scrupules, un de ces monstres qui tuent pour détrousser les autres, ou s’en prendre aux voyageurs. Ça lui était arrivé, bien sûr, même s’il s’en souvenait seulement vaguement.

Mais le plus étonnant… c’était qu’il se disait qu’il l’avait fait pour de bonnes raisons. Oui, il avait eu raison de commettre certaines horreurs, de sacrifier des gens pour en sauver d’autres. Ce qu’il voulait après tout, c’était permettre au plus grand nombre d’être libre, de vivre décemment. Un beau rêve… et il prenait parfaitement conscience que c’était plus proche de l’utopie que de la réalité. Mais il voulait continuer à se battre pour ce rêve qu’il chérissait avant d’être effacé. Il devait le faire. En l’honneur de son ancien lui.

Soudain, il se souvint d’une phrase, proférée trois jours plus tôt par Bakrom.

— Tu bougeais si vite. C’était à se demander si tu n’étais pas toi-même un Mutant avec des pouvoirs.

Lyco plissa le front en sentant sa migraine s’accentuer. Un souvenir marquant devait être lié à cette remarque… était-ce par rapport au fait qu’il avait été un excellent combattant autrefois ? Un combattant capable de rivaliser avec un Mutant ? Peut-être pouvait-il savoir pourquoi il ne valait plus rien aujourd’hui ?

Lyco secoua la tête. Ça ne revenait pas. Il fallait être patient. L’ermite l’avait prévenu que ça mettrait du temps à se manifester.
Plutôt que de chercher à se triturer l’esprit, il fit demi-tour et s’installa près du feu, alors que l’ermite commençait à vanter les mérites de son thé.