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Sans ét(h)iquette de Eliii



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» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 22/10/2017 à 17:01
» Dernière mise à jour le 22/10/2017 à 17:21

» Mots-clés :   Action   Présence d'armes   Présence de transformations ou de change   Science fiction   Suspense

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7- Au commencement...
« Les Hommes sont ainsi faits ; vivre sous l'égide d'un gouvernement élitiste ne fait que les brider, qu'enfouir leur potentiel et les replier sur eux-mêmes. Mais il est des Hommes qui, malgré le gouvernement qui leur lie les mains, réussissent à voir au-delà de ce qu'on les autorise à regarder. Cette vision, c'est ce dont quelqu'un a besoin, ni plus ni moins, pour comprendre à quoi son existence doit se consacrer. »

A. S., né en 1912.


* * *


Haut de quelques dizaines d'étages, sûrement une bonne trentaine, le bâtiment fait de l'ombre au quartier. Les vitres toutes propres renvoient les rayons lumineux et paraissent briller d'un éclat sans pareil. Tout un tas de gens bien habillés en entrent et en sortent, munis de mallettes ou de sacs plus ou moins grands.

La première chose à laquelle songe le privé en sortant de la voiture rutilante de Dana Bell, c'est à quel point ça lui fait penser à Volucité. Non pas qu'il regrette spécialement les rues crasseuses de sa ville, mais un drôle de pincement au cœur lui rappelle qu'il est vraiment loin de chez lui.

Dans sa main, il serre la pokéball de scorvol ; c'est un peu la dernière chose qui le relie à sa vie « normale », alors hors de questions de la perdre ou quoi que ce soit. Ce serait dommage que son unique compagnon, voire ami, disparaisse à son tour.

Après avoir verrouillé son véhicule, la rouquine lui désigne tranquillement la grande tour de bureaux et ils s'y dirigent d'un même pas. L'animation urbaine met Ryan un peu plus à l'aise que lorsqu'il se trouvait encore dans l'appartement chic, et il parvient à se détendre.

En y pensant... Ce n'est qu'une grande ville, rien de bien extraordinaire à première vue, si ce n'est ces quelques types en costume blanc qui paraissent patrouiller dans les rues. Avec leurs bottes de cuir noires montant presque jusqu'aux genoux et leurs chapeaux élégants, ils sont faciles à remarquer.

Et puis, bizarrement, en dépit de leur allure presque militaire qui pourrait être inquiétante, les passants ont l'air, dans l'ensemble, de les considérer avec respect. Forcément, une police qui fait son travail, songe-t-il en retenant un rictus, c'est suffisamment rare pour être admiré, de nos jours.

Tous les deux se mêlent bientôt à la foule, et doivent jouer des coudes sur le parvis pour pouvoir accéder au grand hall. Précautionneux, l'Unysien garde les doigts bien fermés sur la sphère bicolore qu'il tient.

Bonne initiative de s'accrocher à son compagnon, car en entrant dans le bâtiment, il s'arrête net, subjugué par ce qu'il a devant les yeux. Un sol en marbre, des colonnades de style antique qui contrastent avec l'allure assez moderne de la façade, un immense lustre argenté...

Et au milieu de cette sorte d'atrium impressionnant où des cages d'escaliers et des ascenseurs se disputent l'espace, trône une gigantesque sculpture. Le détective ne voit pas trop pourquoi avoir choisi de représenter un malosse et un elekid ensemble, mais après tout, l'art et lui ne font pas trop bon ménage.

Il a néanmoins l'œil nécessaire pour voir à quel point les détails sont criants de réalisme ; si l'œuvre n'avait pas été d'un blanc cassé uniforme, il aurait cru à de vrais spécimens empaillés, mais ça aurait été de mauvais goût, et il aurait sans doute senti scorvol remuer dans sa pokéball. Cette bestiole a vraiment des sens aiguisés, et ce n'est pas la carapace qui les bride.

L'homme brun cligne des yeux plusieurs fois et daigne se ressaisir en sentant la main de Dana tirer sur sa manche.

« Cette sculpture est très belle et vous m'en voyez ravie, mais je vous rappelle qu'on n'est pas là pour faire du tourisme, monsieur Ryan. »

Consciente de son ton un peu sec, elle paraît se radoucir, et esquisse même un faible sourire. Malgré son assurance, elle a des fissures et des plaies non refermées qui lui font encore mal.

« Allez, venez. »

Sans négliger de lever les yeux au ciel, pour le moins agacé par ce comportement autoritaire, il lui emboîte le pas en direction de l'ascenseur le plus proche.

Dans la cage de métal, deux employés de bureau tirés à quatre épingles le considèrent avec un mélange d'étonnement et de réserve. Sûrement, ils ne sont pas habitués à voir des types dans son genre, avec la cravate pendant lâchement et le visage un peu mal rasé.

Ryan n'a rien en particulier contre ce genre de bureaucrates impeccables sans un cheveu qui dépasse ; du moment qu'on ne le force pas à rentrer dans un moule trop étroit pour lui...

Il évite soigneusement le regard de la femme, néanmoins, car elle le met drôlement mal à l'aise, et il ne peut se défaire de son espèce de « mal du pays » quand ses yeux émeraude le scrutent. On dirait presque qu'elle lit en lui comme dans un livre ouvert, et ça ne lui plaît pas.

Sitôt qu'ils sortent de l'ascenseur et que les deux hommes se sont éloignés, l'étranger ne se prive pas pour laisser échapper un soupir sonore. Il s'attend à ce que sa comparse lève les yeux au ciel ou quelque chose, mais rien ne vient.

Sans se préoccuper de l'apparence de cet étage particulièrement propre et blanc — sans doute des laboratoires —, il la suit d'un bon pas, qui pour lui est quand même assez lent ; histoire de laisser de l'avance à cette femme qu'il dépasse de vingt bons centimètres et qu'il rattraperait en deux enjambées à son rythme normal.

Dans sa main, l'objet bicolore commence à s'agiter, mais il s'efforce de ne pas y prêter attention. Les couloirs et les portes se succèdent, jusqu'à ce qu'ils débouchent sur un couloir faisant plus penser à des bureaux.

En effet, sur chacune des portes est écrit un nom précédé de la mention « docteur » ou « professeur » ; sûrement des titres particulièrement prestigieux ici, songe le privé en constatant la qualité manifeste du bois et des tapis au sol.

La rouquine se stoppe devant celle qui est marquée du nom de Ralph Clemens, et frappe trois coups assez forts. Ryan ne tarde pas à entendre le cliquetis caractéristique de la canne, et puis une seconde après le battant s'ouvre sur ce bonhomme qui l'a quitté hier soir sans répondre à ses questions.

Le beau borgne n'a pas changé, si ce n'est qu'il porte du noir plutôt que du gris, et que la veste de son costume est posée sur la patère à gauche de sa porte. Il a toujours cet air de hors-la-loi avec son cache-œil, et la pupille gauche rayonne de la même intelligence que la veille.

C'est le même cachottier, fulmine l'Unysien en se retenant de serrer les poings, gratifiant au passage le scientifique d'un bourru « bonjour ». Salutation froide, mais qui n'enlève pas le sourire sur le visage tranquille.

« Je vous en prie, asseyez-vous... Votre première nuit ici s'est bien passée, monsieur Ryan ? »

Simple hochement de tête ; il est trop occupé à détailler les lieux pour prêter attention à son interlocuteur. Juste devant une grande fenêtre, un bureau en chêne jonché de dossiers très ordonnés. Quelques feuilles volantes superposées, ainsi qu'une tasse de thé sur un coin de la table.

La décoration, très sommaire, est occultée par ce qui attire le plus l'attention dans la pièce ; des étagères pleines à craquer de livres. Connaissant le personnage, le détective est persuadé qu'ils sont classés d'une façon ou d'une autre, répondant à une certaine logique.

Cependant il préfère ne pas fureter partout non plus, et finit par s'asseoir aux côtés de Dana Bell sur l'un des fauteuils faisant face au bureau. Leur hôte prend place à son tour, pose sa canne contre le mur, et jette une œillade amusée au grand brun.

« Si c'est ma réserve d'hier qui vous met dans cet état, vous pouvez vous radoucir ; je suis tout disposé à vous faire un cours particulier, ce matin.
— Un cours particulier ? répète Ryan en haussant un sourcil circonspect.
— Pour que vous sachiez un peu où vous avez atterri », ajoute la rouquine.

Qu'on réponde à ses questions, il ne demande pas mieux, mais cette histoire de cours ne l'emballe pas beaucoup non plus ; ça signifie probablement que le docteur lui dira ce qu'il a envie de révéler, et que le reste sera passé sous silence. Pas très glorieux. Mais c'est peut-être mieux que rien. Sûrement.

« Ça va peut-être vous étonner de l'apprendre, admet Ralph en tirant une cigarette de son étui, mais cette ville n'a qu'une douzaine d'années. Si je ne me trompe pas... »

Il allume le bâtonnet rempli de tabac et paraît en profiter pour réfléchir.

« Oui, ça doit remonter à 1946. Quarante-sept à la rigueur. Un nobliau de Providence... Vous devez connaître cette région, non ? Elle a été en guerre avec Kalos en 1923.
— Je suis pas un as en Histoire, mais ça je connais. Quand j'étais gosse, ma mère me racontait que mon père faisait partie des combattants alliés à cette fameuse région, là, parce que le gouvernement unysien avait pas mal d'actionnaires dans leurs entreprises...
— Beaucoup des vôtres ont connu ça, il est vrai. Eh bien, l'homme qui a eu l'idée lumineuse de bâtir cette ville est originaire de là-bas. Un genre de « noble déchu », si vous voulez. »

Le privé hoche la tête ; jusque-là, il a plutôt bien saisi. Seulement, si son fichu pokémon continue à s'agiter dans sa ball, ça risque d'entamer sérieusement sa patience, qui n'est déjà pas des plus solides.

Clemens semble l'avoir remarqué. D'ailleurs, rien ne semble échapper à cet œil verdâtre, comme s'il était attentif pour deux. Chose compréhensible quand on n'en a plus qu'un sur lequel compter. Le brun-roux inhale une bouffée de fumée, et sourit.

« Vous avez peut-être entendu parler d'une famille noble qui a été destituée à la fin de la guerre contre Kalos ; les impérialistes ont dû rendre leurs titres et leur réputation, et les von Stuckhart, assez proches de l'empereur, en faisaient partie.
— Et quoi ? C'est un type de cette famille-là, votre fameux fondateur ? » souffle Ryan, légèrement agacé par cette manière de tourner autour du pot.

Il coule un regard en coin vers Dana, mais celle-ci, imperturbable, regarde par la fenêtre ; un groupe de goélise passe près de la vitre et disparaît à nouveau en un battement d'ailes. C'est bien la première fois qu'elle a l'air si distraite...

Comprenant qu'elle est sans doute en train de penser à sa pauvre nièce disparue, il s'intéresse de nouveau au docteur. Question de délicatesse ; ça l'étonne lui-même de s'en savoir capable. Peut-être qu'il se radoucit trop—

L'autre finit par répondre à sa question, coupant le fil de sa pensée :

« Andrew Stuckhart est le neveu du dernier marquis, qui n'avait pas d'enfant. Lui, ou alors son cousin Josef, devait hériter du titre à la mort de leur oncle, mais avec la guerre ça ne s'est pas passé comme prévu. Toujours est-il que la fortune de la famille n'a pas disparu, et qu'Andrew a fini par l'empocher. Sans elle, ce projet n'aurait jamais vu le jour. »

Ryan se demande une seconde qui est ce Josef et ce qu'il a bien pu devenir, mais la question n'est sans doute pas pertinente ; s'il était le rival d'Andrew dans leur course à l'héritage, il ne doit sûrement pas se trouver dans sa ville.

Cependant, un élément reste obscur ; qu'est-ce qui a réellement poussé l'héritier de la famille von Stuckhart, ou quelle que soit l'appellation exacte de cette aristocratie déchue, à mettre en œuvre ce plan ? D'autant plus qu'il a bien fallu obtenir l'aide de bons nombre de gens...

Convaincre des personnes influentes de participer à un projet obscur et qui paraîtrait grotesque à première vue... Peut-être qu'il ne veut pas savoir, finalement.

« Et pourquoi cette île, alors ? finit-il par questionner. Elle n'a rien de particulier... »

Brusquement, il se souvient des propos de la rouquine, la veille au soir.

« A part, peut-être, cette source bizarre qui coule en son centre. Comment ça s'appelle, déjà... l'éther ? C'est quoi exactement ? Vous devez bien savoir. »

Il n'en est pas certain — comment l'être ? —, mais l'Unysien a l'impression que la main de Clemens s'est crispée à l'entente de ces interrogations. Ou bien il a rêvé. Plus probable, connaissant ce personnage constamment maîtrisé.

Une dernière bouffée de tabac, et puis le mégot est écrasé dans un cendrier noir rutilant. Le docteur appuie son menton contre sa main, toujours avec cet air hautain qui lui est propre, et esquisse un semblant de sourire qui se veut énigmatique.

Ryan se retient de frissonner ; c'est vrai qu'en y pensant, il ne fait pas chaud dans la pièce. La pokéball remue de plus en plus, et c'est un calvaire de la maintenir bien fermée dans sa main.

« Vous êtes bien un détective privé, vous ; vous ne posez pas les bonnes questions.
— Hé, c'est bien naturel de se demander... » qu'il grommelle en guise de défense.

La femme rousse regarde toujours par la fenêtre. Le scientifique reste silencieux, son œil valide fixé dans celui de son vis-à-vis comme pour le sonder. Dehors, le bruit de la circulation se fait à peine entendre, tel un murmure éloigné.

Ryan sent une goutte de sueur sur sa tempe gauche, mais ne laisse pas paraître sa gêne. Finalement, sans crier gare, Clemens recule son fauteuil et se lève, étonnamment vivace pour un infirme. Il saisit sa canne et s'appuie dessus en souriant.

« Vous n'êtes pas du genre à attendre que les réponses viennent à vous, on dirait ; vous venez les chercher et essayez de les attraper quand elles tentent de fuir. Aussi vais-je m'y prendre d'une autre façon, maintenant. Vous allez me suivre, entendu ? »

Faute de mieux, il acquiesce en silence, et tout le monde quitte la pièce, le maître des lieux récupérant sa veste noire au passage. La porte est verrouillée rapidement. Dana adresse un salut sommaire et part la première ; sa silhouette finit par disparaître quand elle bifurque au fond du couloir.

Agacé, le privé espère qu'il ne sera plus baladé trop longtemps entre ces deux-là ; ils ont l'air comme cul et chemise, à s'envoyer des regards significatifs et à ne rien révéler. Mains fourrées dans les poches, l'étranger fronce les sourcils.

« Et maintenant ? J'avoue que j'aimerais bien ne pas faire le tour de la ville en une journée, c'est assez épuisant.
— Pas d'inquiétude de ce côté-là, vous aurez tout l'après-midi pour vous reposer. En attendant, je vais vous présenter un vieil ami à moi. Clifford, vous avez dû en entendre parler par mademoiselle Bell. »

Il se rappelle en effet parfaitement du nom, et se retient de tressaillir ; le chef d'une police particulièrement efficace, et apparemment un type anciennement rattaché à la pègre unysienne. Connaissant ces organisations criminelles, ce doit être un personnage redoutable.

Serrant toujours sa sphère qui ne remue plus, le grand homme brun suit le docteur claudiquant dans le couloir, et songe avec amertume qu'il ne sait toujours rien sur l'éther ; et qu'il n'en saura sûrement pas plus à la fin de la journée.