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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 26/12/2016 à 04:52
» Dernière mise à jour le 03/11/2018 à 14:43

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 35 : Dans la gueule de l'Hydre (2/3)
Joyeuses fêtes, je repasserai pour corriger les fautes !

(Welcome to the Machine)
Ghetis s’avança d’un pas conquérant, repoussant majestueusement sa cape brodée derrière une épaule carrée. Il surveilla les alentours désolés du temple, une île misérable dont les terres stériles avaient depuis longtemps été englouties par les eaux. L’océan dévorait encore les sables à quelques dizaines de mètres de l’entrée du sanctuaire, seul vestige des Gijinkas de Zekrom qui n’avait pas été détruits, comme les Ruines des Abysses… HA !

Quelle civilisation de MINABLES ! De RATÉS ! VOILÀ ce qui advenait de ces animaux, de ces vermisseaux sans ambition, sans même de capacité à se défendre ! Les servants de Zekrom avaient été détruits il y a des siècles par les fidèles de Réshiram, et quand ils avaient essayé de reconstruire un semblant d’organisation politique, c’était lui, GHÉTIS, qui les avait anéantis ! Jusqu’au DERNIER ! Pas une de ces créatures n’avaient riposté, et l’incarnation de Zekrom s’était suicidée dans la panique !

Par la commissure des lèvres du vieil homme s’échappa un ricanement malsain, qui se transforma en hoquet, puis en rire jubilatoire.

— Seigneur, murmura une des Ombres, se matérialisant brièvement. La Frégate Plasma va arriver dans quelques minutes.

Ghétis ne répondit pas, fixant ses mains crispées, les yeux écarquillés. Il lui semblait qu’une incroyable puissance coulait à travers ses doigts recourbés, irradiant sa peau striée par les années, réparant peu à peu la chair âgée. Cette force… Cette force venait droit du Galet Blanc qu’il avait dissimulé dans sa cape… Oui ! OUI ! L’artefact fonctionnait EXACTEMENT comme il l’avait souhaité ! Il avait eu RAISON ! Il avait RAISON !

Le sage rit de nouveau, longuement ; puis son hilarité s’étiola et se transforma en un long sifflement. Il leva les yeux vers le soleil, à bout de souffle, et aperçu sa magnifique Frégate Plasma. LA Frégate qu’il avait fait secrètement construire, quand ses plans avaient été retardés une première fois par une jeune orgueilleuse. Et elle atterrissait maintenant sur le misérable îlot qu’il avait choisi pour sa retraite, pour qu’il la possède de nouveau !

Retrouver son Cœur était… jouissif…. JOUISSIF !

Les Ombres se matérialisèrent, et s’avancèrent en formation serrée pour guider leur Maître vers la Frégate. Une passerelle se détacha du navire aux couleurs sombres pour les recevoir. Ils la gravirent, sentant l’engin majestueux s’animer sous leurs pieds, mille et un engrenages répondant aux appels stridents de l’électricité pour décoller jusqu’au soleil.

Dix Sbires prosternés autour d’une commandante profondément inclinée les accueillirent.

Ghetis ricana.

— Maître, commença la cheffe du navire d’une voix tremblante. C’est avec une grande joie et un soulagement immense que nous nous plaçons de nouveau sous vos ordres...
— Menez-moi à la salle de commandement.
— ... nous pouvons vous menez à votre chambre ou à la salle de… continua la Sbire avec empressement, politesse, ne réalisant pas que son supérieur avait parlé.

Puis elle blêmit, de la sueur perlant sur l’arche de ses lèvres.

— P-Pardon Seigneur ! Je ne vous avez pas entendu—je—
— MENEZ-MOI à la salle de COMMANDEMENT !
— O-Oui Seigneur !

Cette femme était pitoyable. Ses efforts étaient risibles. Délicieux. Cette femme était délicieuse.
Ghetis ricana.
La commandante désigna, paniquée, un des Sbires qui était agenouillé à ses côtés, un jeune maigre.

— L’agent Ibrahim peut vous escorter jusqu’où vous désirez !

Aussitôt—les Ombres se matérialisèrent, tirèrent le l’agent sur ses pieds et le tâtèrent de haut en bas, fouillant chaque replis de son uniforme à la recherche d’arme, de menace—
Mais évidemment, il n’y avait rien. Aucun Sbire Plasma N’OSERAIT défier Ghetis ! Aucun Sbire n’oserait défier son MAÎTRE !

Le guide les mena loin de la commandante, à travers un dédale de couloirs gris et de téléporteurs bleutés. L’œuvre de Ghetis. Tout dans les systèmes sophistiqués du navire, ses circuits, ses pièges mortels, traduisait son esprit visionnaire ! Tout dans l’efficacité terrifiante et meurtrière de la Frégate reflétait son GÉNIE ! Ghétis avait vu le destin d’Unys—il avait conçu les magnifiques outils qui imprimeraient son IDÉAL dans la RÉALITÉ ! Il avait planifié les sacrifices nécessaires pour qu’Unys expie ses fautes, et que la race humaine retrouve sa digne place !

Il avait vu.

Et à présent il voyait un horizon bleu, lointain, écume prisonnière du ciel et de la mer. Il était arrivé, il avait repris son poste, sa place dans la salle de commandement.

L’agent qui les avait guidé s’effaça pour laisser passer le Maître. Et tandis que Ghetis s’avançait avec joie vers les grandes baies vitrées de la cabine, les cinq pilotes de la cabine tombèrent à genoux, blêmes, bafouillant des politesses et des prières.

La Frégate décolla seulement quand les agents eurent repris leur poste, angoissés par la simple présence de leur Maître. Le navire trembla sous leurs pieds, et les baies vitrées vibrèrent sous la force des moteurs, brisant la ligne de l’horizon. Tout l’édifice s’ébranla, décolla vivement vers les cieux, s’affranchit de la Réalité pour atteindre, un instant, l’Idéal. La marche du progrès même semblait à l’œuvre tandis que les humains s’élançaient à la conquête du ciel, maîtrisant une forteresse capable d’annihiler une ville entière.

— Maître, nous avons mis le cap sur le Château, comme vous le souhaitiez, murmura une Ombre. Le Conseil Quatre et la Maîtresse Iris seront encore retenus pendant des heures au parlement, selon nos sources de la commission antiplasma.

Une opportunité parfaite pour réinvestir les ruines, gardées intactes depuis huit ans grâce aux efforts des élus royalistes. Cette chienne d’Iris ne verrait pas les forces Plasma se reconstruire sous son nez… SOUS SON NEZ…

Ghetis ne soupçonnait pas qu’à un mètre de lui patientait, alerte, un agent de cette même Iris. Il ne soupçonnait pas que le Sbire rachitique qui l’avait conduit jusqu’à la salle de commandement était en réalité connu par Artie et Strykna sous le nom de code « Malotrus ».

Mais il y avait bel et bien un espion dans la Frégate, et ce qu’il avait entendu allait changer leurs vies.


(Seuls)
Anto.

Élin oscilla. Un pic de douleur lui vrilla la tempe droite. Elle plissa les yeux pour tenter de voir net, mais ses amis et les Sbires n’étaient plus qu’un flou de gris et de blanc, se confondant avec les murs pâles du couloir et avec l’éclairage cru des néons. Seul Anto, ses yeux givrés, se détachaient de la nébuleuse avec la force de deux soleils bleus. À leur vue, une nouvelle vague brûlante— Non, non, non—ce n’était pas le moment pour une crise—elle devait tenir bon !

En réponse à sa détresse, la Pokéball de Baggy vibra à sa ceinture. Et la gamine se reprit, serrant la mâchoire et puis les poings, se redressant et refoulant les tremblements.

Oscar et Elsa, à ses côtés, n’en menaient pas plus large. Ils n’avaient jamais rencontré Anto directement, mais l’aura malsaine que dégageait le commandant, le contraste avec son expression excitée, les terrifiaient. Oscar hésitait entre sortir Jeans ou espérer que leur couverture tienne toujours, quitte à perdre l’avantage du premier coup. Elsa ne cessait d’inhaler des vapeurs d’antiseptiques, tétanisée, se demandant ce que la Team Plasma faisait dans ce laboratoire, ce qu’elle faisait déjà à Syd, ce qu’elle pouvait leur faire—

— Alors, que faites-vous ici ? s’enquit doucement Anto, s’avançant, les mains trompeusement reposées derrière le dos.

Oscar pinça Élin, se retenant de lui jeter un regard effrayé, priant pour que son don pour le mensonge fonctionne toujours aussi bien.

— Nous sommes venu relever les gardes !

La blonde retint un frisson, soutenant le regard froid du commandant sans ciller, relevant même le menton. Ce type—Ce type ne pouvait pas la reconnaître malgré l’uniforme, la perruque : c’était impossible. Leur couverture n’était pas morte, il suffisait d’agir avec assurance et personne n’y regarderait à deux fois.

Et comme pour confirmer ses pensées, Anto claqua vivement des doigts.

— Mais bien sûr : la relève ! rigola-t-il, se frappant le front comme s’il était un étourdi, comme s’il avait oublié quelque chose d’évident.

Élin s’autorisa un demi-sourire supérieur, et derrière elle, Elsa et Oscar lâchèrent un gros soupir de soulagement. Le trio n’osait le croire, mais à l’évidence, les Plasmas tombaient droit dans le panneau !

— Très bien, poursuivit le commandant avec un grand geste de bienvenue.

Les enfants se tendirent. Une décharge d’adrénaline secoua leurs veines, embrasa leur corps. Ils allaient entamer la deuxième phase du plan : sortir Syd de sa geôle. Ensuite, ils n’auraient plus qu’à espérer que Mélis et Shazaa aient trouvé une issue de secours suffisamment proche des prisons… Mais—non, il ne fallait pas y penser—ils réussiraient !

— Vous, sourit Anto, désignant les Sbires derrière lui. Menez ces deux-là à leur nouveau poste, selon le Code 2 comme d’habitude.

Quoi ? Oscar et Elsa sursautèrent tandis que les subordonnés les empoignèrent, les tirant sans un mot vers une volée de marches. Surpris, ils glissèrent, sans pour autant échapper à la prise des Sbires. Quand ils se furent rétablis et pensèrent à jeter un regard vers Élin, ils avaient déjà disparu au coin d’un tournant, et descendaient une nouvelle volée de marches.

Elsa frissonna. Depuis l’étage inférieur s’élevaient des bouffées encore plus intenses d’antiseptique, et une odeur de brûlé… Elle ferma les yeux, déglutit. N’osa imaginer ce qui pouvait se dérouler à ces étages.

— Hey, vous pouvez nous lâcher, non, on est collègues… ricana Oscar.
— Tu as raison, répondit froidement la Sbire qui le tenait avant d'ouvrir la main d'un coup.

Oscar rata une marche et dévala le restant de l’escalier, s’écroulant deux mètres plus bas contre une saillie de carrelage blanc.
Elsa plaqua une main sur sa bouche, retenant un haut-le-cœur.
Une seconde s’écoula.

— Aiie… gémit le beau-gosse. Tu pourrais être plus douce, entre collègues, non…

Elsa manqua d'éclater de rire tant elle était rassurée. Mais le second Sbire la poussa à la suite de son ami, et elle glissa presque à son tour. Se rattrapant tant bien que mal sur la rambarde, la brune fut saisie d’un constant glaçant : ils avaient été séparés d’Élin, et les deux Sbires qui les escortaient menaçaient de découvrir leur identité à chaque moment. Et plus que tout… Elsa n’avait pas compté les tournants depuis leur entrée.

Ils étaient perdus.

Plus haut, Élin commençait à avoir peur. Un tout petit peu. La Pokéball de Baggy avait beau vibrer à sa ceinture, elle ne pouvait pas appeler son Starter en renfort—et Anto lui souriait avec une gaieté dérangeante. Le commandant passait et repassait un regard intéressé sur son corps, augmentant son malaise, et si elle n’avait pas eu peur de briser sa couverture, elle lui aurait filé un poing.

Mais dans sa tenue de Sbire, elle était prisonnière.

— Viens, susurra l’adulte avec une joie à peine contenue, troublante. J’ai une mission pour toi.

[…]

Leafer resserra sa prise sur la Pokéball de Rouletabille, mais la proximité de son Spinda ne lui offrit qu’un apaisement de courte durée. Il ne savait pas depuis combien de temps il attendait sous l’objectif de la caméra, seul dans le noir. Mais plus les secondes s’égrainaient, lancinantes, plus les minutes s’effilaient les unes après les autres, plus il menaçait de craquer et s’élancer à la suite de ses amis dans le repaire Plasma. Il se sentait à la fois survolté et… ennuyé. Partagé entre la peur qu’une patrouille de Sbires arrive, la peur pour Mélis et Shazaa et toute la bande, la peur du danger, et la monotonie de l’attente.

Les ténèbres semblaient abriter ses pires démons, mais ils ne dissimulaient en réalité que quatre Sbires assommés. Paradoxe éprouvant.

Pour se distraire, le petit brun recompta les jours depuis qu’il avait rejoint le groupe, et constata qu’onze nuits s’étaient écoulées depuis leur match d’Arène à Méanville. À peine quinze jours depuis le début de son voyage initiatique… et il affrontait déjà la Team Plasma. Enfin, « affronter », on lui avait donné le rôle le moins excitant… Mais quand même !

Trop occupé à se convaincre qu’il vivait une grande aventure, Leafer n’entendit pas l’un des Sbires se réveiller.

Mais une minute après, il capta un cri étouffé. Il ressemblait juste à celui d’une femme outrée, mais une goutte de sueur perla tout de même au coin de sa tempe, et s’écoula lentement vers sa mâchoire. Un bruit suspect. C’était un bruit suspect ! Il se devait d’aller voir ce qu’il en était… non ?

Le cœur palpitant, Leafer s’approcha du creux où ils avaient balancé les Sbires inconscient, sa mince silhouette se fondant rapidement avec l’obscurité. Il tâtonna un instant, stressé à l’idée de chuter droit sur les agents Plasmas s’il n’était pas assez prudent. Mais un nouveau cri lui parvient (« aie ! Arrête avec tes coups de coude, j’te dis ! ») et il s’arrêta juste à temps.

— Qui va là ? lança-t-il, maudissant sa voix tremblante.

Silence méfiant.
Puis soudain une main froide et visqueuse de zombie s’accrocha à sa cheville—

— AHHHHHHH—hurla-t-il—
— Libère-nous, des p’tits salopards nous ont attachés et balancés ici à poil ! cria la main. Il faut sonner l’alarme ! Des intrus se sont infiltrés dans le QG !
Puis Leafer entendit très distinctement :
— Quelle mauviette, en plus il a une voix de préado boutonneux… dis, on ne recrute jamais en dessous de seize ans, si ?

Respirant à grand coup, le petit brun se calma. Il posa instinctivement une main sur la Pokéball de Rouletabille, puis chercha son Rubix Cube de l’autre, mais il avait dû cacher l’objet sous son uniforme pour ne pas paraître suspect.

— Eh, petit… relança le Sbire qui lui tenait toujours la cheville. T’as compris ce qu’on t’as dit ? Bouge !
— R-Relâchez-moi alors !

La prise se desserra légèrement, et il crut pouvoir s’extraire. Mais la même femme qui s’était questionnée sur son âge grogna :

— Demande-lui d’abord son matricule d’agent. Ce n’est pas net que la régie n’ait pas remarqué notre disparition et ait simplement envoyé ce gosse à notre place…

Leafer sentit le temps ralentir, puis se condenser devant ses yeux écarquillés en un choix cristallin. Il pouvait se laisser faire, et les Sbires décèleraient sa couverture. Ils tireraient Leafer dans leur crevasse, et la caméra de l’entrée sonnerait l’alerte en absence d’un garde. Ou il pouvait réagir par la violence, et faire taire les quatre agents ligotés et blessés qui moisissaient à ses pieds. Mais le petit brun ne savait pas s’il possédait en lui la capacité de résister, de s’accrocher coûte que coûte, de planter ses ongles dans le cœur palpitant de sa vie pour ne pas chuter… Il ne savait pas, il n’avait jamais su, il—

Un rire nerveux obstrua sa gorge, mourant avant d’éclater dans l’air froid de la grotte.

Leafer dégagea sa cheville d’un geste brusque et écrasa la main du Sbire avant le lourd talon de sa botte, remuant son pied entre les métacarpes. L’agent poussa une plainte rauque, et il sembla même lâcher un sanglot—mais Leafer dégaina la Pokéball de Rouletabille et invoqua le Spinda sans ciller.

— Hypnose.

En pénétrant dans le repaire, les enfants avaient tous faits un choix de vie.

[…]

Le blanc éclatant du corridor lui arracha une larme qu’elle camoufla vivement. Anto la menait d’un pas lent, angoissant, s’arrêtant parfois sans raison particulière. Et à mesure que les minutes défilaient, le mal de crâne d’Élin empirait, s’étendant de sa tempe droite à ses yeux, pulsant au rythme lancinant de leurs pas. Les portes grises qui encadraient leurs chemins se floutaient sous l’assaut des néons… La gamine ne parvenait qu’à voir droit devant elle, à quelques mètres seulement… elle fixait la figure d’Anto pour ne pas se perdre, ses iris raccrochant à ses minces épaules. Elle se disait qu’elle aurait mieux fait de se trouver un guide plus gentil.

Le temps s’étiolait. La mélopée de Meloetta se faisait discordante et ne battait plus la mesure des secondes… Marchaient-ils depuis quelques minutes ? Ou plus ? Mélis commençait-il à s’inquiéter ?

La gamine se demandait bien comment ils allaient faire pour retrouver Syd… Peut-être qu’Oscar et Elsa avaient eu plus de chance de leur côté… Leur absence laissait un grand vide qui la rongeait et lui sautait à la gorge à chaque fois qu’elle déglutissait.

— Une enfant comme toi ne le sait peut-être pas, mais nous approchons de l’aile où le Maître et Nikolaï travaillaient sur le Projet G…

Élin pivota lentement vers Anto, oscillant légèrement sous l’effet du vertige. Il souriait et l’étudiait de nouveau, d’un air indéchiffrable, d’un air vide, d’un air affamé mais c’était comme s’il ne la voyait pas, comme s’il voulait dévorer du néant, se fondre avec le néant, elle ne savait pas d’où lui venaient tout les idées ou peut-être surgissaient-elles de rien du tout, du couloir blanc—

Le commandant s’approcha, son rictus s’étirant jusqu’à ce qu’une rangée de dents éclatantes se révèle. Il fit un nouveau pas, elle crut déceler son reflet fantomatique dans ses canines, peut-être qu’elle ressemblerait à ça après sa mort, à une porcelaine toute creuse…

Il fit un pas de plus. Elle sentit son aura l’écorcher, tituba. Il s’avança encore. Elle buta contre le mur, il était tout proche, encore un coup et ils serraient collés, encore un coup et—Anto leva le bras si vite que la chair se brouilla avec les néons, et Élin vit, du coin de l’œil, qu’il flashait un badge devant un détecteur électronique.

Elle n’eut pas le temps de réagir avant que la porte derrière elle ne coulisse, et quand Anto la poussa, elle bascula dans le vide.

[…]

Oscar, Elsa et les deux Sbires s’arrêtèrent à l’orée d’une grande salle carrée. Comme le reste du repaire, la pièce était entièrement blanche ; mais une étagère en bois massif avait été boulonnée à un des murs, détail incongru parmi la modernité angoissante des souterrains. À la vue du meuble, Elsa lâcha un soupir de soulagement, et son cœur s’alanguit dans sa poitrine, semblant décompresser à la vue d’un bout de normalité.

Sans réfléchir, elle quitta le groupe pour s’approcher du bois sombre, levant une main jusqu’à sa gorge palpitante pour l’apaiser.
Oscar lui décocha un regard nerveux, mais se tourna vers les agents qui les avaient escortés sans la rappeler.

— Très bien, sourit-il. Nous sommes arrivés à notre poste, c’est cela ? Donc ne vous inquiétez pas, vous pouvez nous laisser, nous savons nous débrouiller seuls…

Elsa effleura les coins de l’étagère d’un index tendu, en transe. Dos à Oscar, aux horribles Plasmas, elle pouvait enfin souffler, et se reprendre… Ses prunelles outremer tracèrent le contour du meuble. Alors qu’elle contemplait les pieds sculptés de l’antiquité, un éclat métallique attira son regard. Intriguée, elle fronça les sourcils, et se décida à observer ce qu’on avait posé sur les étagères.

Son cœur plongea dans un océan glacée.

— Hey, les collègues… entendit-elle Oscar s’inquiéter. Pourquoi me regardez-vous avec des yeux de tueur ? Hey ?

Une vague panique brûlante remonta son échine.

En un instant—Elsa fit volteface pour avertir son ami, la femme de l’équipe lança ses trois Pokéball, Amaryllis et Cryptéro se matérialisèrent face à deux Léopardus et un Escrocro, et le deuxième Sbire abattit son poing sur les côtes d’Oscar.

— OSCAR !

Ses Pokémon sursautèrent à l’entente de sa détresse, et se ruèrent sans même attendre d’ordre à la rescousse du brun. D’un Aquat Jet, Amaryllis repoussa l’homme qui assaillait l’adolescent—Cryptéro protégea leurs arrières d’un Mur Lumière—

Oscar bondit sur ses pieds, retenant un sifflement de douleur, et appela Jeans, Aiden, Aurore et Wish. Tandis que l’équipe se dressait aux côtés des Pokémon d’Elsa pour les protéger des adversaires, le dresseur recula vers son amie, respirant difficilement. Il étudia les créatures des Sbires, ses yeux verts plissés, son expression sombre, et grimaça quand le deuxième agent sortit ses propres Pokémon.

— Oscar… Oscar… balbutia Elsa, à ses côtés, la voix brisée. Ils ont tous les instruments de torture dans cette pièce… Des génératrices, des pinces, des coupe-câbles, des massues, des briquets, et… p-pleins de couteaux aussi !

Qu… Quoi… ? Des génératrices ? Des coupe-câbles ?
Il se représenta les outils. S’imagina qu’on les utilisait sur lui, Elsa. Et un haut-le-cœur le secoua.
Syd.
Le brun ferma les yeux, forma deux poings pour ne pas trembler, crier.

— On ne peut pas penser à ça maintenant, répondit-il, la voix rauque.

Et il prit la main d’Elsa dans la sienne, serra très fort.
Il se força à regarder les Pokémon adverses, et puis les Sbires, se creusant la tête pour trouver une stratégie, un plan pour survivre.

— Comment avez-vous deviné ? leur cracha-t-il, espérant gagner du temps.

La femme ne répondit pas, les observant d’un regard glacial. Elsa frissonna à ses côtés. Mais l’homme lâcha un ricanement méprisant, prenant, de toute évidence, plaisir à affronter deux enfants.

— Pas besoin, souffla-t-il, une lueur sadique à l’œil. Le commandant nous a demandé de vous conduire à votre poste selon le « Code 2 »… Si vous étiez de la Team Plasma, vous sauriez… « Code 2 » veut dire ÉCRASER LES NUISIBLES !

Les Pokémon adversaires grondèrent, montrant leurs crocs, et le Sbire se para d’un rictus ravi.

— Attaque TRANCHE !

[…]

Élin tomba sur les fesses, rebondissant sur un sol capitonné. Immédiatement ses yeux se braquèrent sur Anto, qui lui sourit encore plus fort et rentra à sa suite, fermant la porte derrière lui. La gamine retint un juron paniqué, son regard s’arrêtant sur la carte électronique que le Plasma rangeait dans sa poche. C’était l’unique clé pour s’enfuir, il fallait qu’elle l’attrape tant qu’elle le pouvait encore !

Retenant un haut-le-cœur, elle bondit sur ses pieds et dégaina la Pokéball de Baggy.

— CASSE-BRIQUE ! hurla-t-elle avec détermination, s’élança simultanément vers Anto.

Mais la Pokéball lui revint sans s’ouvrir, dans un silence assourdissant. Déstabilisée, la gamine put à peine arrêter sa course avant qu’Anto n’éclate de rire, son visage déformé d’un gloussement sinistre. Le commandant désigna théâtralement la pièce dans laquelle il avait enfermé Élin, invitant l’enfant à étudier les murs pourtant tous identiques, blancs et matelassés.

— Tu ne comprends pas ? demanda-t-il avec légèreté, comme s’il menait une conversation cordiale autour d’un verre de champagne.

Comme si des couples amoureux virevoltaient autour d’eux, emportés par le tempo enflammé des fêtes.
Comme s'ils murmuraient des intrigues sous l'aile bleue de la nuit.
Le Chant de Meloetta s’intensifia dans les oreilles d’Élin, bourdonnant avec angoisse.

— Cette pièce est faite pour contenir un être humain… un être humain sans défense, expliqua gaiement l’agent Plasma. Elle projette des ondes électromagnétiques qui désactivent les Pokéball.

Élin lui décocha un regard noir, reculant afin de mieux le cerner, de monter une stratégie. Mais la salle nue ne lui offrait aucun avantage, sauf si elle devenait soudain capable de coller aux murs et aux plafonds comme un Arcko, et franchement, elle doutait d’acquérir cette capacité dans la seconde. Quant à Anto… il était plus fort et plus vieux qu’elle, avait sans doute l’âge de son père…

Un frisson remonta son échine. Il ne resta qu’une possibilité à la gamine : faire parler Anto le plus longuement possible. Peut-être qu’ainsi, il s’ennuierait tellement qu’il la relâcherait—ou de manière plus probable, il serait distrait et elle pourrait le surprendre.

Élin retint un rire jaune, contemplant ses minces chances de survie.

— Ce ne serait pas plus simple de retirer directement ses Pokéball au dresseur ? lança-t-elle. Au lieu de vous compliquer la vie avec vos ondes ziguigui… Imaginez que le prisonnier ait déjà un Pokémon de sorti, vous auriez l’air de quoi ?

Anto lui offrit un sourire charmeur.

— Peu importe. Personne ne s’échappe de nos prisons vivant. Même des dresseurs exceptionnels… Même des personnes très protégées comme la fille de Black… ou le neveu d’Aloé.

Élin sursauta. Son mal de crâne pulsa ; le Chant de Meloetta se transforma en une plainte déchirante. La Team Plasma connaissait son identité, comme Mélis le craignait, et—elle connaissait l’identité de Syd. Anto avait certainement eut personnellement à faire avec son ami.

Cette idée raviva la flamme de sa colère, et la gamine plaça deux poings contre ses hanches, serrant les dents.

— Hm, ah ouais, bah je parie qu’Aloé ou mon père s’échapperaient de vos prisons, ils auraient même le temps de prendre des photos !
— Non, répondit Anto, amusé. Nous avons déjà étudié leurs équipes et leurs tactiques. Nous les piégerions dans un enfer personnel.
— Pfft. L’enfer personnel de mon père, c’est moi, et ça fait six ans qu’il me supporte, rétorqua-t-elle avec un sourire étincelant. Pourtant je peux vous dire que je sais être sacrément terrifiante !

Un rire. Sa réplique ne provoqua qu’un rire élégant chez Anto, qui s’avança encore, son regard de glace la balayant. Il caressa sa joue d’une main douce… Qu’elle essaya de mordre.

— Mais ici, c’est toi qui est terrifiée, susurra-t-il.

Élin avait rapidement étudié les Attaques qu’apprenait un Léopardus en prévision de son prochain combat contre Syd. Elle vit donc le coup venir, comprit ce qui l’attendait quand le bras d’Anto s'anima d’une lumière noire et vola vers sa poitrine.

Tranche-Nuit. Elle n’eut le temps que pour cette unique pensée. Puis son cœur se serra, toutes ses veines s’enflammèrent et elle glissa brusquement vers le côté. Le Chant de Meloetta s’embrasa, elle ouvrit la bouche, et cracha un torrent de flammes enragées vers les côtes vulnérables d’Anto. L’Attaque le percuta de plein fouet. Il sauta sur le côté par réflexe.

Mais c’était déjà trop tard. Tout son uniforme prenait feu.
Cris atroces.
Élin s’écroula, sa vision se voilant, et glissa vers les limites de la conscience.

[…]

Une Lame-Feuille acérée vola vers l’Escrocro ennemi—mais une Léopardus s’interposa et le crocodile put poursuivre son Coud’Boue—Elsa serra les dents, criant à Amaryllis de poursuivre les Aqua Jet pour déstabiliser les rangs adverses. À ses côtés, Oscar organisait son équipe d’une main de maître, tapant dans les faiblesses des quatre Type Sol, ordonnant à Jeans d’enchaîner les Attaques tranchantes, encourageant Aurore son Amagara, Aiden l’Arcanin, poussant Wish l’Évoli à échanger de place avec ses alliés grâce à Relais pour déboussoler l’ennemi.

Les Tranche Nuit, Tourbi Sable, Lame-Feuille, Vive Attaque, Lance Flamme, et Onde Boréale volaient, se percutaient en feux colorés, ravageaient la pièce blanche de leur puissance. Elsa suivait à peine avec les Mur Lumière et les Protection de Cryptéro, serrant jusqu’à s’en blanchir les phalanges la main d’Oscar pour rester calme, ou plutôt pour ne pas céder à la panique.

Les Sbires les avaient acculés ici et comptaient en finir avec leurs Pokémon avant de se charger d’eux directement. Elle avait vu les engins de torture, et le sourire malsain de l’agent ennemi. Elle savait ce qui pouvait arriver aux femmes torturées. Toutes ces pensées se bousculaient dans sa tête en un tourbillon épouvanté, les possibilités, les certitudes, les scénarios—sa mort—et plus que tout elle se rappelait son âge : treize ans, un chiffre qui s’imprimaient et se réimprimait à l’avant de son esprit, marquant ses synapses au fer blanc—

— Ressaisis toi, Elsa ! marmonna Oscar, serrant sa main, l’arrachant à sa panique. AURORE, ATTAQUE POUDREUSE !

Elsa hoqueta, hocha du chef. Elle ordonna une nouvelle Protection à Cryptéro, et la barrière translucide se matérialisa juste à temps pour épargner un nouveau Tourbi Sable à Aiden. Le chien de feu avait déjà pris trop de coups, et sa fourrure rouge se marbrait de sillons plus sombres, le sang dégoulinant jusqu’à son estomac pâle. S’il tombait, leur équipe serait en sous-nombre face aux six Pokémon adverses.

— On va tuer vos Pokémon, et ensuite vous rejoindrez votre ami noir… se moqua l’homme, faisant un geste obscène.
— Tais-toi ! siffla sa collègue.

Oscar se redressa, son regard se braquant sur la grande-gueule, ses prunelles verdoyantes étincelant soudain avec espoir.

— Il sait où se trouve Syd ! glissa-t-il à Elsa, la gorge nouée—

Et elle sut ce qu’elle devait faire, sentant le regard de l’homme lui glisser à nouveau dessus. La brune le toisa, ce vieil homme à la face burinée, ses gros bras poilus qui lui faisaient peur. Elle s’imagina face à lui, elle, la grande maigre trop pâle, avec ses membres d’allumette. Mais elle supprima le haut-le-cœur qui vint à la suite de cette pensée, se détacha de la main d’Oscar, et se répéta qu’elle devait rester calme, qu’elle pouvait rester calme.

Étrangement, ce mantra complètement séparé de la réalité fonctionna bien mieux que tout calcul rationnel.

— Vous êtes un homme impuissant, asséna-t-elle. Vous ne pouvez vaincre personne, encore moins moi ou mes Pokémon.

Oscar lui lança un regard perdu, incrédule. L’agent prit un masque rageur, déformé. Elsa leva le menton, secouant juste assez la tête pour que ses boucles volent délicatement autour de ses joues en un nuage de nuit.

Puis le temps s’accéléra. Un Léopardus fusa vers la mince figure de la brune et malgré toutes leurs équipes, leurs défenses, lui asséna une Tranche sur le bras. L’élève hurla, tombant à genoux, plaqua une main sur les lèvres palpitantes de sa blessure par réflexe.Cryptéro assomma définitivement l’ennemi satisfait d’un Cyclone. Oscar hurla à ses Pokémon de lancer une attaque générale et—mais la vue d’Elsa se brouilla. Elle glissa contre un mur et ne vit plus rien.

L’agent s’approcha d’elle, protégé par un Escroco.

— Je vais m’occuper personnellement de ton cas, souffla-t-il, son exhalation fétide tombant sur le front de l’élève. Et après, je te jetterai à l’étage du dessous, et Nikolaï pourra faire des expériences sur toi et ton ami en même temps.
Le cœur tremblant, au bord des lèvres, Elsa eut la force de lui cracher :
— Vous êtes vraiment trop con.

Les iris furieux de l’homme s’écarquillèrent en un masque grotesque. Il leva la main, prêt à gifler l’insolente. Mais il n’eut pas le temps d’écraser la défiance de sa victime, car cette fois, c'est Amaryllis qui s’élança aux côtés de sa dresseuse et attaqua l’agent Plasma d’un Vibraqua rageur. Elsa cria—l’Escroco contrattaqua d’une Mâchouille—Amaryllis s’écroula—et une Lame-Feuille rageuse coupa la gorge du crocodile, le fouet acéré passant une fois, puis deux sur le corps du reptile, sifflant contre la peau rugueuse et laissant des sillons pourpres.

Un haut-le-cœur ébranla Elsa. Elle se redressa malgré sa blessure, le vertige, et rappela sa Mateloutre, secouée par la vision de l’Escroco et de son dresseur inconscient. Un nouveau frisson se faufila parmi ses entrailles et elle serra convulsivement sa paume autour de l’entaille dans son biceps. Les deux étaient gravement blessés—allaient-ils survivre ? Devait-elle les aider ? Elle ne connaissait aucune capacité de soin !

Soudain une alarme stridente vrilla ses tympans.

— ELSA ! cria Oscar par-dessus le déchirement sonore, indiquant l’autre Sbire, la femme, aussi inconsciente. Elle a déclenché l’alarme avant que je la touche, il faut qu’on s’enfuie, vite !

Elle eut du mal à réagir, tétanisée. Et son ami courut vers elle, tâta sa blessure, à la recherche de la cause de son immobilité. Il se saisit de son autre Pokéball pour rappeler Cryptéro, fit rentrer ses propres Pokémon, jeta un regard paniqué à la ronde.

— Viens ! Il faut qu’on se taille !

Elle s’anima quand il la poussa du plat de la main, titubant, puis courant vers la porte par laquelle ils étaient entrés, Oscar sur ses talons. Ils filèrent dans un des couloirs qu’ils avaient empruntés, puis tournèrent à gauche au hasard, de toute façon chaque corridor se ressemblait, toujours plus blancs, toujours encadrés de portes grises aux numéros interminables—

« VERROUILLAGE DES PRISONS : ENCLENCHÉ »

L’alarme se fit plus stridente, aiguë, et ils serrèrent leurs dents, des larmes s’échappant du coin de leurs yeux. Elsa ralentit, laissant sa main retomber depuis sa blessure, et chercha la paume d’Oscar avec ses doigts ensanglantés, soudain paniquée à l’idée qu’après l’avoir admiré toute sa vie, de loin, elle n’aurait jamais l’occasion de lui communiquer toute son désir. Soudain paniquée à l’idée qu’elle avait laissé les secondes filer, qu’elle avait refusé des chances qui ne se représenteraient plus jamais.

Oscar lui décocha un regard ému, effrayé.

Puis il l’entraîna vers une volée de marches qui montaient, remontaient vers la surface, mais Elsa tira, retira sa main et s’élança vers l’escalier de gauche qui s’enfonçait plus profondément encore dans le repaire.

— Le Sbire m’a dit que Syd était détenu en bas ! appela-t-elle, sa voix se cassant pour porter plus haut que l’alarme.
— Quoi ? hurla-t-il en retour, se penchant vers elle—

Derrière le brun se précipitaient six Sbires rameutés par l’alarme, six Sbires qui dégainaient déjà leurs Pokéball.

— OSCAR ! COURS !

Il jeta un regard en arrière, et elle le vit tressaillir sous l’effet de la peur avant de dévaler les marches, glissant, se rattrapant à la rambarde avant de repartir encore. L’effroi battait un tempo plus lancinant encore que l’alarme, sautant à sa gorge sèche, à ses yeux exorbités. Cette fois, c’était la fin, les Plasmas allaient les poursuivre jusqu’à les achever, en surnombre par rapport aux deux enfants qui avaient déjà épuisé leurs Pokémon. Même s’ils trouvaient Syd, un Syd en bonne santé, ils seraient acculés, réduits à gagner du temps en espérant que... Et Élin était perdue quelque part dans le repaire, avec Anto !

Elsa ne retint pas son sanglot, épuisée, ses jambes réduites à l’état de spaghettis trop cuits, déformés.
Elle s’arrêta, ferma les yeux, se dit que s’il fallait en finir, autant le faire vite.

Mais quelqu’un l’empoigna et l’emporta dans une nouvelle course effrénée. Elle rouvrit les yeux et vit Oscar, un Oscar dont les yeux brillaient d’une lueur désespérée. Ils filèrent le long d’un nouveau couloir, cherchant une issue, les cris de leurs poursuivants se répercutant cruellement derrière eux.

— Reste avec moi ! l’implora Oscar, rouge, à bout de souffle. J’suis à court de plans, alors il faut que tu en trouves un Elsa ! T’as toujours été plus forte que moi en plans, vite, s’il-te-plaît, canalise des gênes d’intello !

Elle ne put pas répondre, ni ricaner, ni vomir la réponse méchante qui lui venait à l’esprit. Car au bout du couloir une porte en acier massif avait commencé à se refermer, descendant depuis le plafond, s’abattant lentement mais inéluctablement vers le sol blanc. Et la vue du piège qui se refermait la vrilla d’une peur si intense que l’élève n’entendit plus l’alarme, ni les supplications d’Oscar, ni les hurlements des Sbires déchaînés qui n’attendaient que de les blesser, les tuer—Elsa ne sentit plus sa blessure, juste un vide dévorant tout le reste, un calme hypnotique et ouaté.

Elle plongea vers le sol, entraînant Oscar à sa suite, et roula juste en dessous de la porte, son nez frôlant l’acier froid.

L’accès se referma lourdement derrière sa colonne vertébrale, étouffant les cris enragés des Sbires. Oscar se dressa à ses côtés, respirant difficilement, par à coup, serrant ses côtes douloureuses. Elle fixa videment sa blessure qui saignait toujours, un filet pourpre tâchant le sol immaculé.

Ils avaient semés leurs poursuivants.
Pour l’instant.

Au fond du couloir brillait un panneau, le premier qu’ils avaient vus dans le repaire, et les lettres bleues épelaient « AILE DE NIKOLAÏ ».

[…]

Quand Élin reprit conscience, elle constata qu’elle avait bavé sur le sol comme elle le faisait souvent sur son oreiller. Le contact humide lui arracha une grimace mi-dégoûtée, mi-amusée. Puis elle se rappela où elle se trouvait, et pourquoi, et sa main vola à ses Pokéball avant de se crisper.

Une autre main lui caressait les cheveux, une main à la texture bizarre… brûlée.

— Je me suis réveillé dans cette même pièce, aussi désorienté que toi, il y a huit ans, commença tranquillement Anto. J’étais le fils d’une riche famille Sinnohite qui prenait ses vacances à Vaguelone chaque année : les Colay-Monthé.

Élin se rappelait de cette affaire. On en avait beaucoup parlé à la télévision quand elle était petite, au moment où son père l’avait adoptée. Le plus jeune fils de la famille avait été kidnappé par les Plasmas, qui avaient promis de le libérer en échange d’une énorme rançon. Mais la Team n’avait pas honoré sa parole, et la police avait cherché l’enfant durant plusieurs années, en vain. À l’époque, son père venait souvent parler à la télé, pleurant.

— Le Maître avait besoin de l’argent de ma famille, car ses principaux soutiens commençaient à se désister. Ton père avait déjà infligé plusieurs défaites à la Team, vois-tu.

Élin renifla avec mépris, mais la main brûlée du commandant se porta à sa gorge.

— C’est bien, reste immobile, roucoula Anto. Une petite terreur comme toi, ce serait une erreur de te laisser prendre tes aises, hm ?

La gamine se crispa, écœurée par la texture doucereuse de la main, par les lambeaux écorchés qui pendaient autour de sa glotte. Elle ouvrit un œil, fixant le commandant d’un œil furieux, serrant les lèvres pour se retenir de jurer.

Le Chant de Meloetta n’était qu’un murmure à ses oreilles, mais il enflait, note après note. Et malgré la menace de l’agent Plasma, malgré sa situation désespérée, cela faisait longtemps qu’Élin ne s’était pas sentie aussi bien. Une chaleur réconfortante coulait parmi ses veines, amenant avec elle un sentiment de puissance. La gamine se revit utiliser Lance-Flamme, et les paroles de N résonnèrent à nouveau dans son esprit… « Tu es condamnée ». Si elle était condamnée à ressentir un tel pouvoir pendant le reste de sa vie, elle voulait bien mourir cent fois et plus.

— Vous, articula-t-elle, sa gorge vibrant contre la main blessée d’Anto. Vous êtes un Gijinka.

Les doigts se figèrent à l’orée de son cou.

— Tu connais ce mot, s’émerveilla Anto. Puis il ricana méchamment, resserra sa prise et souffla : Raté, le Maître préfère utiliser le terme Nirenhua.

Mais aussitôt sa phrase finie, il prit une expression innocente, retirant totalement son membre et se recroquevillant aux côtés d’Élin. La blonde vit ses yeux se glace se dégeler, pour prendre le doux reflet des lagunes, des eaux calmes. Son expression malsaine se transforma en un air incertain, et l’adulte se mordit la joue comme le faisaient parfois les gosses hésitants.

— Tu as déjà rencontré Nikolaï… ? murmura-t-il.

Elle ne répondit pas, déstabilisée. Pouvait-elle se redresser ? Ou changerait-il à nouveau d’humeur ? Incertaine, elle préféra rester couchée, observant le commandant avec ses grands yeux noirs.

— N a laissé son Zorua, Nikolaï a extrait son ADN… ajoutait-il, se balançant d’avant en arrière. De plus en plus vite.

À ces paroles, Élin ne put se contenir plus longtemps. Elle se dressa vivement et contempla l’adulte d’un œil révulsé, dépassant seulement son choc pour lâcher, en un souffle froid :

— C’est comme ça que vous êtes devenus un Gijinka. Nikolaï vous a injecté de l’ADN de…
— TAIS-TOI !

Anto bondit à ses pieds, la dépassant avec menace, serrant les poings de fureur. Son uniforme brûlé se détacha de son torse musclé, s’effritant comme de la neige noire et tâchant le sol immaculé. Élin se tendit, cherchant sur sa peau les tatouages qu’elle avait déjà remarqué sur le Ferry : le dessin d'une gueule béante, d'une bête féroce, crocs ensanglantés dépassant d’une longue crinière carmine, pupilles folles, exorbitées. Un Zoroark.

Anto avait pris un air aussi enragé que la bête.

— TON AMI VA SUBIR LE MÊME TRAITEMENT ! hurla-t-il. TON AMI VA BRÛLER EN ENFER !
— JAMAIS !

Élin se dressa face à lui, furieuse, emportée par le refrain enragé de Meloetta. Elle anticipa une nouvelle Tranche Nuit et sauta sur le côté, une puissance enflammée pulsant dans ses veines. Autour d’elle brillait une aura blanche, encore plus éclatante que les murs et le sol et le plafond, plus menaçante encore que le feu sombre qui dévorait Anto.

La gamine sentit une nouvelle vague brûlante remonter sa trachée, tandis qu’Anto ricanait, ses prunelles écarquillées.

— Viens là, petite terreur, on va voir si ton Dieu t’as bien choisi…

Élin ne ressentit ni joie, ni peine. Elle ouvrit sa bouche : une déferlante bleue engloutit et dévora Anto. Le commandant vacilla, consumé par les flammes, poussant des hurlements rageurs, démoniaques. Il tenta d’entailler les veines de la gamine quand elle plongea sa main parmi le brasier pour récupérer son badge. Mais elle l’évita, se rua vers la porte, flasha la carte—

La porte se referma juste à temps pour enfermer Anto, et l’agent éclata d’un long ricanement.
Tandis qu’Élin s’élançait dans le repaire, le corps du commandant se fondit peu à peu avec le métal de la porte, prenant la consistance des ombres…


(Shhh…)
Ironiquement, Syd se rappelait très peu du jour qui avait défini le reste de sa vie. La date—le 31 Aout 2993—était restée inscrite dans son esprit, mais l’enchaînement de l’après-midi avait perdu de sa netteté pour ne devenir qu’un flou angoissé. De quelle humeur était-il avant d’apprendre la nouvelle—ou juste après l’accident ? De quoi discutaient son père et sa tante Aloé, pendant que sa mère faisait griller le poisson dans le jardin ? Écoutait-il leur conversation, ou jouait-il au jeu de cartes qui l’obsédait à l’époque ? Il ne se rappelait même plus du nom de ce truc…

Un détail lui restait après six années : le cri de sa sœur.

On lui avait expliqué, après, que Rosa avait accompagné Otis jusqu’au portail. Elle devait lui demander quelque chose avant qu’il ne parte pour son entraînement de Pokébasket—sans doute une question futile, banale, du genre à être oubliée trois jours après. Le frère et la sœur avaient disparu derrière les mille grappes de la gliscine, se disputant à propos de la requête de Rosa, et leur mère leur avait ordonné de se calmer. Puis Otis s’était élancé sur la route, excédé, et un camion de livraison express avait déboulé. Son grand-frère avait été percuté de plein fouet, puis il avait roulé sur le trottoir jusque dans un rayon de soleil. Il était déjà inconscient au moment de toucher le sol. Ce n’était qu’après plusieurs mois qu’il s’éveilla, pour découvrir qu’il était entièrement paralysé, sauf pour quelques battements de son œil droit.

Quand sa sœur avait crié, Syd se rappelait qu’il avait bondi sur ses pieds, effrayé, mais que sa tante lui avait ordonné de rester dans la maison avec son père. L’homme et son fils s’étaient précipités à la fenêtre pendant qu’Aloé et sa mère se ruaient vers le portail, vers Rosa, vers la rue, vers Otis…

Le camion avait déjà disparu, et n’avait jamais été retrouvé.
Le cri de Rosa déchirait encore ses tympans. Le cri de Rosa déchirait encore ses tympans—Mais à quel jeu de carte jouait-il ce jour là ?

— Tiens-toi tranquille, ordonna Nikolaï. Je ne peux pas t’injecter l’anesthésiant si tu t’agites comme ça.

Syd déglutit et se tranquillisa, comme le lui demandait le scientifique. Il sentit les sangles qui maintenaient son corps contre la table d’opération se resserrer sous l’impulsion de Nikolaï, coupant peu à peu sa voie respiratoire. Une vague de peur le traversa quand le scientifique hocha de la tête, s’affairant autour d’une seringue—s’approcha de lui—il jeta un regard éperdu à ses Pokéball, abandonnées à un bout de la pièce. Qu’adviendrait-il de Roitiflam, Riolu… et Riyah, après ? Qu’allait-il advenir de lui ?

Est-ce qu’il allait… mourir ?

À cette idée, son corps se crispa tout du long, animé par une peur si pure qu’il avait l’impression de couler dans bain de glace. Syd Redding-Park allait mourir. Le fils d’Angela et de Martin, le frère d’Otis, et de Rosa, le neveu d’Aloé, l’ami d’Élin, d’Elsa, d’Oscar… comment se rappellerait-on de lui, du gamin qui les avait volontairement quitté, qui avait volé le Galet Blanc ?
Le dresseur réprima un rire nerveux.

— Hm. Oh, vas-y, tu peux uriner, souffla Nikolaï, s’occupant toujours de sa seringue. Tu ne serais pas le premier.

L’adulte se détacha un instant de son expérience pour observer le cobaye, un gamin de douze-treize ans, quatorze à tout casser, qu’on lui avait amené il y a quelques heures. Il ne hurlait pas comme la plupart des autres jeunes avec lesquels Nikolaï avait mené le projet G, mais semblait tétanisé, chacun de ses muscles contractés. Cela n’allait pas faciliter l’injection.

— Détends-toi, soupira de nouveau le scientifique, ennuyé.

Il pivota, se dirigea vers la machine qui s’occupait de fusionner les Fragments ADN. L’esprit déjà ailleurs.

— At… Attendez…

Hm ? Nikolaï ne se retourna pas, appuyant sur une série de boutons bleutés, et rentrant une série d’instructions dans l’écran de contrôle sombre de son engin. Que pouvait bien vouloir l’enfant… Ah…

— Tu veux sans doute savoir pourquoi tu es ici, débuta-t-il distraitement. Eh bien, hm… le procédé est trop complexe à t’expliquer. Peu d’esprits à Unys sont capables de saisir les détails de l’expérience… Ghetis a réuni tous les brillants hommes capables de comprendre mon projet, pour dire la vérité.

L’engin lui afficha des résultats qui n’étaient pas tout à fait ceux attendus. Certes, l’erreur relevait du millionième, mais on ne pouvait pas être trop précis quand il s’agissait d’ADN. Les êtres humains étaient des créatures bien fragiles.

— Je veux montrer tout ce dont les Pokémon sont capables grâce aux humains… Pour te donner une idée, une de mes collègues à Unys fait des recherches sur le même domaine : Bianca Lenoir. Mais Madame Lenoir a une approche trop timorée du problème… Quant à moi, j’ai découvert que le potentiel de nos deux races ne peut être atteint de manière séparée. Il faut fusionner. C’est ce que je vais tenter ici avec toi, et de l’ADN du Dieu Réshiram.

La machine lui donna un résultat correct après une modification de la dose de guanine. À priori, dès que l’anesthésie générale prendrait effet sur le sujet, l’expérience numéro soixante-treize pourrait commencer.

Nikolaï se replongea dans des calculs délicats pour vérifier un dernier détail technique, plaçant deux doigts gantés sur son menton. Mais pour sa plus grande irritation, une petite voix le dérangea. L’enfant.

— E-Est-ce que vous savez que c’est m-moi qui ai volé le Galet Blanc ? demandait-il, claquant des dents.

Quoi ? Le scientifique soupira, agacé par les tentatives futiles du sujet pour gagner du temps.
Il n’était pas question que Nikolaï retarde son expérience.

— Quand bien même tu l’aurais fait, c’est très idiot de ta part… marmonna-t-il, notant une précision sur son calepin. Tu m’as apporté l’outil qui servira à fusionner ton ADN.
— C’était pour mon frère, dit le cobaye, sa voix éraillé.

Nikolaï conclut que le gamin divaguait. À ce stade là, ils étaient nombreux à s’en aller ailleurs, dans leur jardin secret, et se mettaient souvent à raconter leur vie comme si cela allait changer quelque chose. Il avait cru que le sujet numéro soixante-treize allait se taire tout du long, ce que le scientifique aurait fortement apprécié, mais il était comme les autres... complètement dans le déni.

— On ne v-vous a pas dit, qu’en échange du Galet Blanc, vous devriez soigner mon frère ? demanda l’enfant, effrayé. Otis Redding-Park ? Anto ne vous a pas expliqué ça ? Il avait promis !
Nikolaï arqua un sourcil.
— Le commandant ne m’a rien dit de la sorte. Même s’il l’avait fait, ça ne m’intéresse pas de guérir ton frère. Je suis trop occupé par mes recherches.

Sans un bruit, sans un cri, le monde de Syd se brisa.

Le petit Syd de sept ans qui se ruait vers la fenêtre, effrayé par le cri de sa sœur, hurla à son tour. Le taciturne de onze ans qui se disputait sans cesse avec Rosa s’effondra, son unique plan pour guérir Otis détruit. Le Syd déterminé, à l’aurore de son voyage initiatique, ripa sur les marches du belvédère. Trouver le plus grand savant d’Unys…

C’était tout ce dont il rêvait, depuis six ans.
Sans ce plan, tout son être s’effondrait.
Sans l’accident de son frère, il n’y avait pas de Syd Redding-Park.

Un sanglot resta obstrué dans la gorge de Syd. Et il souhaita en cet instant, purement et simplement, en finir. Il ne se battrait pas contre la seringue. Il ne protégerait pas ses Pokémon. Il voulait juste arrêter de penser.

Quand Nikolaï s’approcha avec l’anesthésiant, il constata que le sujet était complètement immobile, les yeux fermés, respirant à peine.

Puis un grand vacarme retentit, le métal de la porte se gela avant d’être percuté de plein fouet et de s’effondrer. Deux adolescents titubèrent dans la pièce, rouges, haletant, les yeux hagards. Ils se figèrent presque comiquement quand ils se rendirent compte que la pièce était occupée. Et hurlèrent d’un air horrifié :

— SYD !

Soudain le garçon remarqua Nikolaï, qui se ruait vers son taser, et il cria :

— AURORE, attaque CAGE ÉCLAIR !

Une décharge secoua le scientifique, paralysant complètement ses muscles, et il resta figé dans son élan pour attraper la seule arme de la pièce. Blême, la seconde adolescente vint l’assommer avec la crosse de son taser avant de lâcher l’engin, dégoûtée.

Syd ouvrit un œil, croyant à une chimère, un scénario que son esprit terrifié aurait inventé pour rendre la fin plus douce. Il était sur le point de craquer. Mais au lieu de sentir la seringue de Nikolaï s’enfoncer dans son avant bras, une fourrure touffue le chatouilla, et des crocs acérés tranchèrent ses liens. C’était l’Évoli qu’il avait capturé il y a un mois, et qu’il avait donné à Oscar. Wish.

Sous le choc, Syd ne se redressa pas immédiatement. Elsa et Oscar l’observaient, déguisés en uniforme Plasma.

Les infiltrés étaient si soulagés qu’ils se sentaient mous, et même exténués. Ils purent tout de même s’avancer, à la recherche de blessures à guérir, de traumatismes physiques. Mais il n’en était rien, et leur ami laissa s’extirper un unique sanglot de sa poitrine.

Puis le cri strident de l’alarme leur revint, et malgré leur soulagement, ils se rappelèrent qu’ils n’étaient pas tirés d’affaire.

— Allez, viens, murmura Elsa, tira sur le bras du neveu d’Aloé, lui tendant ses Pokéball.

Elle ne sentait aucune rancune, aucun besoin de tirer la vérité du dresseur. Cela viendrait plus tard, mais pour l’instant il fallait… s’aimer, et survivre.

— On est tous venus pour te sauver, sourit Oscar avant de passer un bras de Syd par-dessus son épaule, pour le soutenir.

Ils jetèrent un œil à Nikolaï, toujours inconscient, mais décidèrent de ne pas poser de question. Les interrogations aussi viendraient plus tard. Pour l’instant il fallait…

Ils quittèrent le laboratoire, et tombèrent nez à nez avec d’autres Sbires.


(Un détail)
Shazaa s’allongea progressivement contre la pierre brisée, s’appuyant sur ses avant-bras malgré les meurtrissures. À ses côtés, Mélis grommela quelque chose à propos de sa fatigue, ou de son lit, mais Shazaa bloqua ses complaintes avec agacement. Il radotait, de toute façon.

Les deux infiltrés s’étaient postés en haut d’un chemin excavé dans la roche, une sorte de rempart qui surplombait le chemin de patrouille. La cavité avait sûrement été creusée par des montagnards, avant l’arrivé des Plasmas—en tout cas, elle faisait une cachette très utile et se trouvait juste en face d’une issue de secours.

En-dessous d’eux, deux Sbires discutaient de leur ennui. Ce n’était pas passionnant, et Mélis ne cessait de gémir qu’il s’ennuyait encore plus qu’eux—il semblait revêtir une personnalité casse-cou oubliée depuis bien longtemps, très éloignée de l’adulte responsable qui avait supplié les enfants de ne pas jouer aux héros. Dans tous les cas, il énervait Shazaa, qui ne ressentait que trop le danger, et n’aimait pas du tout la situation.

La jeune femme se pencha un peu plus pour tenter d’apercevoir les agents Plasma, et le nombre de Pokéball qu’ils avaient à leur ceinture. Baignés par la faible lumière des néons, les Ball et les matraques des Sbires luisaient. Mais leur uniforme ample dissimulait en grande partie leur ceinture, et la jeune femme ne put deviner s’ils possédaient une équipe complète…

Elle grimaça, tendue.

À ses côtés, Mélis jeta un regard sombre à la montre qu’il avait volée au Centre Pokémon. Malgré ses complaintes, le dresseur s’inquiétait à mesure que les minutes, les dizaines de minutes s’écoulaient. De même pour Shazaa, qui espérait que les gamins ressortent intact du repaire sans qu’ils n’aient à les secourir, à risquer, eux aussi, leur peau… Elle ne voulait pas mourir pour des inconnus.

Après un long silence, Mélis soupira, et se redressa.

— Je vais passer un coup de fil au nabot pour voir s’il a reçu de leurs nouvelles ! chuchota-t-il à l’adresse de Shazaa.

La jeune femme hocha la tête, ne détournant pas son regard de leurs cibles. Elle enroula une de ses mèches autour de son index. Souffla. Imagina la voix du nabot au Vokit pour se distraire : sans doute était-elle suraiguë, ou nasillarde… Sans doute flippait-il, seul dans le noir avec les quatre Sbire inconscients, dont les fantômes reviendraient le hanter… Ha.

Soudain, le talkie-walkie d’un des agents grésilla, résonnant bien plus fort que la conversation des humains.

« Alerte ! Quatre prisonniers se sont évadés ! Protéger toutes les issues et le Galet Blanc ! Je répète : Alerte ! »

La vie est souvent mal fichue. Si Mélis avait attendu vingt-cinq secondes de plus avant d’appeler Leafer, il aurait entendu ce message et réalisé l’ampleur du désastre : la Team Plasma possédait le Galet Blanc. Mais seule Shazaa demeurait en poste d’observation, et n'étant pas Unyssienne, elle n’avait aucune connaissance de ces artefacts de légende. Pour protéger les Dieux Réshiram et Zekrom, Iris et le Conseil Quatre avaient décidé de cacher leur existence réelle à tout Unys… Seuls des histoires pour enfant quelques anciens tomes en portaient encore mention, si rares qu’une acharnée comme Elsa avait eu bien du mal à les trouver et les emprunter. Seuls quelques érudits, des hauts-fonctionnaires, et les Champions d’Arène étaient au courant de leur localisation, et tous avaient juré le silence.

La vie est mal fichue. Aloé avait été dépêchée pour mettre le Galet Noir à l’abri le lendemain de l’accident d’Otis et n’avait pu se soustraire au devoir. Pour justifier son absence auprès de sa famille, elle avait trahi son serment et leur avait révélé l’existence des artefacts. Syd avait pris connaissance de l’existence du Galet. Il avait su quoi chercher quand Anto lui en avait donné l’ordre.

La vie est si mal fichue que Shazaa ne prêta aucune attention à cette partie du message, figurant qu’un simple Galet n’avait aucune importance quand la vie d’Oscar et du reste était en jeu. Quand Mélis revint de son appel, alerté par l’animation soudaine des Sbires, Shazaa lui relata seulement que les agents allaient bloquer tous les échappatoires possibles.

Le duo s’éclipsa pour retrouver Leafer, se fondant dans l’obscurité.
À l’intérieur du repaire, Élin, Syd, Elsa et Oscar fuyaient avec l’énergie du désespoir, poursuivis par leurs tortionnaires.