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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 22/12/2016 à 10:30
» Dernière mise à jour le 08/07/2018 à 09:04

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 34 : Dans la gueule de l'Hydre (1/3)
(Prélude)
L’Ombre s’avança lentement, le visage masqué, le pas feutré. Son corps, voilé de noir, effleurait les parois métalliques des quartiers généraux sans bruit, et l’Ombre se fondait parmi l’obscurité. Seuls les quelques néons installés aussi profond dans le repaire éclairait parfois sa chevelure blanche, ruisselant d’argent.

L'agent cagoulé croisa plusieurs Sbires, mais aucun ne le remarqua. Il passa les Humains sans qu’aucun ne réagisse ; il se dressa devant eux quand le couloir se faisait étroit, les traversant. Un fantôme, un mirage, une chimère. Il fluctuait selon les alentours.

Puis l’Ombre pénétra dans une large salle de métal. On avait tenté de la rendre luxueuse grâce à des tableaux, des canapés en cuir ; mais rien ne pouvait remplacer le soleil, ses chauds rayons que la montagne ne connaissait pas. Le résultat était étrange. Difforme.

Humeur noire. Anto avait fixé deux iris froids sur l’Ombre longtemps avant que l’intrus ne choisisse de se révéler, se solidifiant, signalant muettement sa présence.

— Salutations, camarade chien, sourit-il de sa voix suave ; avant de montrer les dents, ses traits se déformant sous l’effet d’une sauvagerie à peine refoulée.

L’Ombre ne répondit pas. Il resta immobile malgré les ondes ténébreuses que dégageait la silhouette d’Anto. Au fil des ans, le commandant devenait de plus en plus instable, sa bestialité remontant avec une facilité croissante à la surface. Bientôt il serait une menace, et l’Ombre demanderait au Maître la permission de l’éliminer.

— Voilà le Galet, articula Anto devant au creux du silence. Nikolaï en a déjà extrait ce qu’il voulait.

L’intrus attrapa l’artefact qu’on lui lançait sans aucune surprise. Son bras se brouilla sous l’effet de la vitesse avant de s'immobiliser en un trait noir.

— Exprime toute mon admiration et ma loyauté au Maître, ricana le commandant tandis qu’il se rapprochait de l’Ombre, sourire carnassier, ses iris s’exorbitant avec menace, une substance noirâtre suintant lentement aux coins des orbites.

Grimace, Groz’Yeux. L’Ombre enregistra l'utilisation ces Attaques à l’arrière de son esprit. Rangea le Galet dans la poche nouée autour de son avant-bras. Ses muscles se contractèrent de douleur, irradiés par l’aura de la pierre. Mais il relâcha une Téléporbe sans ciller.

Le repaire disparu et
un rayon de lumière bleu lui perça l’œil.

Deux paumes s’envolèrent vers son visage et il les esquiva, réapparaissant quelques mètres plus loin. Sûrs de son identité, ses frères acquiescèrent muettement. Ils le guidèrent vers le fond du temple, à travers les ondes colorées des vitraux.

Une estrade de marbre les dominait, cernée d’une fresque aux enluminures dorées. Assis sur un trône éclatant…

Les deux Ombres tombèrent à genoux d’une part et d’autre de l’escalier blanc, s’agenouillant et tournant leurs yeux noirs vers le sol. Seule la troisième Ombre se permit de monter les quelques marches, son regard fixé sur le siège, les souliers cirés de Celui qui attendait. Il se prosterna, et extirpa le Galet de sa poche, et tendit l’artefact sacré à deux mains vers le Maître.

Un moment s’écoula. Ils n’entendaient pas le Seigneur respirer, et retenaient leur propre souffle par respect. Immobiles au cœur du temple. Puis le silence frémit d’un soupir, et ils discernèrent le bruissement d’une cape damassée contre du velours.

Une main à la peau douce, ridée et humide, se posa sur les paumes de la troisième Ombre et s’enroula autour du Galet. Le serviteur… frissonna…
Il resta longtemps incliné, les paumes levées vers l’inconnu.

Mais lentement, un rire rauque s’éleva dans le silence cristallin du temple, se répercutant contre le marbre, se brisant contre les vitraux en éclats sanguinolents. Une voix usée, presqu’éteinte, éclot dans le secret d’une gorge malade, frappa enfin leurs oreilles.

— Le Galet…

La troisième Ombre baissa précautionneusement les mains sur ses cuisses, noir contre noir, coton sur coton. Il essaya de retenir le souvenir de la main du Maitre sur sa chair, mais la chimère s’évanouit sous la pression de ses paumes. Il la perdit, il perdit le souvenir à jamais.

— Le Galet… !

Ghetis se leva, le regard fou, et hurla d’extase.


(Urgence)
Oscar traîna les filles vers le hall du Centre, le hoquet terrifié d’Élin se répercutant sans fin dans son esprit. « Je suis arrivée trop tard, il—Syd a été capturé par un Sbire Plasma ! ». Il tituba à travers les couloirs, bousculant des dresseurs inconnus avec une audace atypique, étrangère. Mais il n’entendait pas les insultes, les cris outrés, les sifflements désapprobateurs—il n’écoutait que son cœur, et son cœur était rythmé par l’exclamation angoissée d’Élin, par les tremblements d’Élin.

Il ne voyait que la chambre de Mélis dont il força la porte, il ne voyait que le dresseur décoiffé et à peine habillé, sa—

— Syd a été capturé par un Sbire Plasma, venez vite nous aider à trouver Shazaa et Leafer !

—grimace ennuyée qui se métamorphosa brutalement sous l’effet du choc—
Oscar ne sentait que la panique, l’urgence qui striait ses veines. Il retenait des hoquets, des frissons ; il lécha la sueur qui perlait sur l’arche de ses lèvres.
Elsa ne sentait rien, aucune urgence ne striait ses veines. Elle se laissait traîner comme une poupée de chiffon ; elle trébucha contre ses propres pieds.
Élin fixa sombrement ses Pokéball—

Ils se retrouvèrent dans le hall désert du Centre Pokémon. L’immense pièce était comme laissée à l’abandon, les ombres colonisant lentement le vide laissé par les humains. Et l’obscurité du soir les effraya, plus que tout.

— Tout le monde est parti dîner… réalisa Oscar.

Sa prise sur les poignets des filles se desserra inconsciemment. Élin lui échappa, se dirigea vivement vers deux silhouettes qui attendaient sur des fauteuils, désolées. Perdu, il mit quelques secondes pour reconnaître Shazaa et Leafer, et entraîner Elsa vers les adolescents, Mélis sur leurs talons.

— Ce n’est pas trop tôt… lança un Leafer irrité, se levant et croisant les bras.

Quand personne ne lui répondit, le petit brun pâlit, et instinctivement son regard coula vers Élin. Se sentait-elle toujours malade ? Le groupe était-il venu leur annoncer qu’ils emmenaient la gamine à l’hôpital ? Malheureusement pour lui, la dresseuse, prostrée, ne leva pas ses iris noirs vers les siens, triturant silencieusement ses Pokéball.

— Que… Qu’est-ce qu’il se passe ? bafouilla-t-il devant le mutisme de son amie, cherchant le regard des autres.

Derrière lui, Shazaa se fendit d’un rictus amer, se demandant comment sa journée pouvait encore empirer. Elle étudia la troupe d’un œil torve, les mains crispées sur le jean de son short. Récita les paroles d’une chanson obscène dans sa tête pour ne pas exploser.

— Syd… expliqua Oscar, rauque. Syd a été capturé… par la Team Plasma !

Un silence assourdissant.

— La Team Plasma ? cracha Shazaa. Qu’est-ce qu’elle a à faire avec Syd ?
— Rien ! rugit Oscar.
— Ah ouais bah pourquoi elle le kidnappe ?
— C’est le neveu d’Aloé !
Et Leafer de balbutier, blanc, enchaînant les syllabes en une litanie infernale :
— C’est comme Mélis nous l’avait prédit, la Team frappe de nouveau et encore plus fort, c’est comme Mélis nous l’avait prédit…

Des cris s’enchaînèrent, de plus en plus stridents.

Et puis une affirmation s’éleva parmi la houle, s’imposant d’une voix pourtant frêle. Les mots les frappèrent de stupeur, les firent enfin prendre conscience de la gravité de leur situation. De toute son horreur.

— Il faut appeler la police.

Elsa était celle qui avait prononcé ces paroles, pâle, semblant revenir de très loin, d’une frayeur intime dont elle ne révèlerait jamais l’apparence. La brune porta une main à son front en sueur, les yeux écarquillés, fixés sur un point distant.

Pas question !

Oscar ferma sa bouche, deux rangées de dents claquant. Shazaa serra les poings, ses cils papillonnant, coupée dans son élan. Et Leafer observa, stupéfié, Élin s’élancer vers son amie avec colère, la poussant brutalement.

— Et si la Team Plasma tuait Syd en réponse, hein ? T’y as pensé à ça ? T’y as pensé avant de rejeter ta responsabilité ?
— P-Pourquoi feraient-ils ça s’il est leur otage ? bafouilla Oscar. Ils ont besoin de le garder en vie s’ils veulent une caution—
— Comment peux-tu espérer aider Syd, seule, souffla Elsa. Nous ne savons même pas où il est.

Élin vacilla, touchée.

— Sors ton Cryptéro.

Le murmure glacial leur arracha un frisson, et les adolescents se tournèrent lentement vers la source de l’ordre. Mélis se ressaisissait, peu à peu. Il balayait le groupe de son regard d’acier, évaluant muettement leurs forces et leurs faiblesses tandis que son cœur se serrait, entre incrédulité, pitié et lassitude. Ces enfants qu’il avait en face de lui, avec leurs bouilles rondes, leurs joies et leurs soucis à toute petite échelle… Ces enfants n’étaient pas faits pour combattre la Team Plasma, nul ne l’était. Et voilà que ces criminels leur arrachaient un des leurs. Voilà qu’ils se retrouvaient à jouer aux héros, encore une fois assaillis par une violence répugnante !

Mélis s’était battu dès ses quatorze ans pour qu’une nouvelle génération n’ait pas à souffrir de la Team Plasma. Et il avait amèrement regretté sa jeunesse et la jeunesse de ses amis. Maintenant… il se demandait : à quoi bon ? Tout recommençait à nouveau…

— Sors ton Cryptéro, exigea-t-il de nouveau, sifflant, jurant sous l’effet d’une colère monstrueuse.

Muettement, Elsa obéit.

La brune l’avait averti du danger, il y a quelques heures, et Mélis avait refusé de la croire. Pire, il l’avait accusé de d’orchestrer la disgrâce de Syd par jalousie. Il avait insinué qu’elle était assez mesquine pour exclure son ami. Comment avait-il pu être si aveugle ? Cela faisait des semaines que l’élève s’inquiétait, confrontait Syd. Et ils l’avaient tous condamnée.

Le Cryptéro leur apparut dans un éclat chatoyant, ailes noires, ailes de mort.

— Demande lui de localiser Syd, poursuivit Mélis d’un ton las. Maintenant il se sentait comme une porcelaine creuse.

L’adolescente fit un geste délicat à son Pokémon, énonça plusieurs fois le nom du dresseur sous les regards tendus des enfants. Et la créature antique s’anima, ayant déjà enregistré le signal du neveu d’Aloé après l’avoir cherché dans le désert.

Immédiatement, Élin s’approcha de l’animal, ses prunelles brillant de détermination et de colère. Elle décrocha une Pokéball de sa ceinture et toisa le reste du groupe, défiante, fixant chacun jusqu’à qu’il détourne le regard.

— Qu’est-ce que vous attendez ? s’énerva-t-elle. On y va !

Cette déclaration fut accueillie, pour la majorité, par un silence effrayé. Leafer et Elsa échangèrent un regard, mais la brune ne lâcha mot, sombre. Il n’y eut que le petit brun pour courageusement tenter un :

— M-Mais…
— Quoi ? trancha Élin. Tu veux laisser Syd aux mains des Plasmas ?
— Ce n’est pas la question, siffla Shazaa.
— Du point de vue de Syd, si, je crois que c’est exactement ça, rétorqua la blonde.
Elle ferma les yeux, prête à se lancer dans une tirade pour les convaincre tous, si nécessaire.
— Arrête toi.

La gamine se figea.

— Est-ce que tu connais la situation ? poursuivit Mélis. Est-ce que tu connais, réellement, ce dans quoi tu t’engages ?
— Je connais pourquoi je m’engage, souffla Élin. C’est suffisant.
Mélis ricana, sombrement.
— À l’heure actuelle, ton père est pris dans son combat contre Dianthéa, et ta tante White et Bianca sont dans un avion vers Kalos pour l’accueillir dès qu’il a fini. Écho et Matis sont à l’étranger depuis plus d’un mois. Vous ne suivez sans doute pas les actualités, mais la Maîtresse Iris et le Conseil Quatre sont retenus depuis ce matin dans une session extraordinaire du parlement, interrogés par nos élus Royalistes. Tcheren et le reste des Champions font face à des vagues de crimes dans leurs villes.

Les adolescents frissonnèrent devant l'amoncellement de constats, de circonstances malheureuses. Ils étaient acculés… acculés à douze, treize et quinze ans… frappés par l’horreur en plein cœur d’un Centre Pokémon. Seuls au milieu de la foule. Séparés du restes des femmes et des hommes par un mur de verre, un mur déformé.

— Aucune aide ne viendra, conclut Mélis. Si l’un de nous se perd, aucune aide ne viendra. Si l’un de nous se blesse, aucune aide ne viendra.

Et il agita doucement, faisant un pas lent vers Élin, ses yeux orageux caressant doucement sa frimousse butée, enfantine.

— Si l’un de nous se meurt, aucune aide ne viendra.

Ils s’imaginèrent, leurs entrailles ouvertes face au ciel, leur vie s’écoulant goutte à goutte avec leur sang.

Shazaa détourna le regard. Combien elle regrettait d’avoir suivi Oscar, ce grand naïf, fils orphelin. Elle… elle n’était pas une héroïne, elle se foutait pas mal des autres et surtout des inconnus. Personne ne l’avait aidé, elle ! Personne ne l’avait aidée enfant, alors qu’elle parlait à peine l’Unyssien et que tout dans Volucité l’effrayait ! Toute sa vie elle avait galéré pour un maigre bonheur, et elle le gardait jalousement… qui pouvait le lui reprocher ?

Leafer s’étranglait sous la pression, triturant son Rubix Cube, ses pensées défilant trop vite. La Team Plasma ? La Team Plasma pouvait tous les tuer ! Comment en était-il arrivé là, lui qui venait d’un village de soixante personnes, qui venait à peine de commencer son voyage ? Il n’avait rien demandé—juste des amis ! Mais qu’est-ce que c’était que ce groupe de malades ? Des héros à treize ans ! Comme Red, Green, Blue, comme Gold, Silver, Crystal, comme Emerald, Sapphire, Ruby, Diamond, Pearl, Platinum et Black et White et Mélis et, et—
Lister des exemples ne le calmait pas.

Oscar… Oscar contemplait Elsa.

— Je m’en fiche, murmura finalement Élin. J’aime mes amis, et je donnerais ma vie pour eux si nécessaire.
— Et tu fais ce choix pour tes Pokémon ? gronda Mélis.
— Mes Pokémon sont d’accord avec moi. Nous nous sommes promis... Nous nous sommes promis de ne jamais nous séparer.

Il n’y avait plus rien à dire. Le moment du choix était venu.
Un choix, de vie.

— Je viens, lança Oscar, resserrant une prise déterminée sur ses Pokéball. Syd aurait fait la même chose pour moi.

Shazaa souffla. Elle eut un rictus résigné, acceptant son égo battait son égoïsme.

— Je viens aussi, asséna-t-elle. J’ai juré de prendre cet idiot tête-en-l’air sous mon aile, et je vais jusqu’au bout de ma promesse.

Leafer ferma les yeux, serra une paume autour de son Rubix Cube jusqu’à ce que les coins s’enfoncent dans la chair. Rien à faire : il ne rêvait pas. Et la situation le dépassait complètement. Il n’avait qu’une seule boussole…

— Je suis Élin, affirma-t-il avec un sourire nerveux, une perle de sueur coulant le long de sa joue.

Les regards se tournèrent vers Elsa, qui ne les écoutait même pas, à nouveau aux prises d’un monde invisible.

Syd avait disparu pour la première fois à Volucité—une journée entière. Ensuite il avait disparu dans le désert. Elle avait retrouvé un téléphone de modèle inconnu dans son sac. Et maintenant il était kidnappé par la Team Plasma. Le téléphone venait donc de la Team Plasma. Cela voulait dire que Syd avait été en communication avec eux. Ses disparitions étaient liées à la Team. Qu’avait fait Syd à Volucité ? La ville était trop grande, elle ne pouvait pas deviner. Qu’avait fait Syd au Château Enfoui ?

Son cœur se glaça.

— Je viens, prononça-t-elle automatiquement, son regard quittant Oscar qu’elle ne voyait pas pour se poser vers une Élin bouillonnante, angoissée, enragée, feu d’émotions.

Qu’avait vu la gamine ? Qu’avait-elle suspecté ? Qu’avait-elle deviné ?
Il n’y avait qu’une manière de savoir.

Mélis ferma lourdement les yeux. Un seul souvenir lui revint : la silhouette d’Écho, brouillée par la pénombre étincelante de la Grotte Électrolite, titubant sous la gifle d’un Sbire et lançant tant bien que mal la Pokéball de son starter.

— Suivez-moi, ordonna-t-il. Nous allons sauver votre ami.


(Dans la gueule de l’Hydre)
Élin, Elsa, Oscar, Shazaa, Leafer et Mélis s’enfoncèrent sans bruit dans la grotte, perdant vite Cryptéro de vue dans les ténèbres. Depuis les entrailles de la roche remontait un courant d’air glacial, exhalation morbide. Les parois ruisselaient d’humidité, qui se condensait en flaques gelées sous leurs pieds, et trempait goutte à goutte le sol depuis des hauteurs indistinctes, vrillant leurs nerfs à coup de ploc

Ploc

Ploc

Élin et Oscar sortirent leurs deux Pokémon Feu, Hope et Aiden. Et malgré la tension, la blonde constata avec un sourire doux que le Caninos de son ami avait évolué en un superbe Arcanin. Il éclairait le tunnel d’une Flammèche puissante, sa gueule rougeoyant, projetant les contours acérés de ses crocs contre les murs luisants de la grotte, les ombres des canines se confondant avec des stalactites…

Mais Mélis dut intimer au Pokémon de réduire son brasier, craignant qu’on ne les remarque.

Et l’élan de nostalgie qui avait emporté Élin et Oscar s’éteignit avec la flamme, leurs souvenirs se brisant contre leur appréhension, l’urgence de la situation. Ils ne pouvaient pas échapper aux ténèbres, à la nuit qui s’abattait sur Unys tandis qu’ils s'enfonçaient dans le Mont Foré.

Syd avait été capturé par les Plasmas, et ils plongeaient droit dans la gueule de l’Hydre.

Tout se brouillait dans le crépuscule à peine esquissé des Flammèches : peur et détermination ; convictions. Leurs silhouettes saignaient à chaque mouvement, une réminiscence obscure suivant leurs pas et tremblements. Dans cet entre-deux, Mélis chercha la main d’Elsa, et elle répondit doucement.

Ploc

Après un temps indéterminable, une cascade de tournants et de glissades nerveuses, la voix du dresseur de légendes s’éleva dans le noir. Les adolescents sursautèrent, et lancèrent un regard stressé vers leur gardien, mais ils ne distinguaient que ses yeux, cernés, parmi les brasiers étiolés des Pokémon Feu…

— Azelan, Lilien, Auric, Glaucus, et les sages repentis Carmine et Azuro… Nous les avons tous affrontés, un à un, et Interpol les a tous arrêtés, un à un. Ils ont défendu Ghetis jusqu’au dernier, il y a huit ans. Nous n’avons jamais pu retrouver ce… cette immondice.

Mélis hoqueta, et ce soubresaut rageur fit frémir les enfants qui l’accompagnaient, muettement, jusque dans les entrailles de la montagne.

— Écoutez bien, poursuivi l’adulte d’une voix fébrile. Si Ghetis est présent aujourd’hui—fuyez. Ne l’affrontez pas. Déguerpissez. Et j’essaierais… j’essaierais de le ralentir.

Dans l’entre-deux, Elsa prit la main d’Oscar et le dresseur attrapa la main de Shazaa. Noyés parmi les ombres ocres de terre glaise, suffoqués par le poids incommensurable de la montagne, les adolescents se serrèrent et se soutinrent, arrachant à Mélis un sourire à la fois doux et amer. Dans l’entre-deux, Shazaa se saisit du poignet de Leafer et le petit brun s’avança vers Élin, rassemblant son courage.

Ploc

La gamine ne le remarqua pas. Elle qui avait ruminé sa peur et sa douleur n’entendit pas les pas nerveux de son ami. Elle ne percevait qu’une seule chose : un chant envoûtant, mélancolique, assourdi par l’aura ancienne de la montagne. Elle ne pensait qu’à une seule chose : la souffrance qui tordait le visage de Syd avant qu'il ne parte.

Syd…

La blonde leva les yeux vers Cryptéro, amère, et pila net. L’oiseau antique s’était immobilisé, fixant le faible reflet d’une porte métallique au bout du tunnel. Panneau moderne, tranchant avec le vide sauvage des grottes. Ils étaient arrivés. Deux femmes et deux hommes discutaient non loin l’entrée, vêtues du l’uniforme de l’Ancienne Team Plasma, chuchotant entre deux bouffées de cigarette. Ces Sbires ne les avaient pas encore remarqués, mais il suffisait d’une seconde pour qu’ils sonnent l’alarme.

Mélis ordonna immédiatement à Élin et Oscar de rappeler leurs Pokémon, et le groupe disparut, brusquement couvert par les ténèbres. Ensuite le jeune homme intima aux adolescents de rester où ils étaient, et rebroussa tant bien que mal le chemin jusqu’au dernier tournant pour appeler discrètement son Émolga. L’écureuil vola jusqu’au plafond de la grotte et s’y cramponna.

Puis le Pokémon utilisa un très faible Éclair sur la porte en métal, afin de la polariser. Les Sbires Plasmas firent volteface, alertés, mais ils furent trop lents pour percevoir la foudre. L’une des femmes marmonna « on devrait de temps en temps refermer les yeux sur notre univers intérieur… » et l’autre ressortit une clope ; puis les quatre se retournèrent. Emolga eut seulement besoin de lancer un Chargeur à polarité opposée. Il fut immédiatement attiré par la porte en métal, se déplaçant grâce à une Hâte pour se rendre invisible.

Alors, il s’occupa de la caméra au-dessus de l’entrée, que personne n’avait remarquée à part Mélis. L’écureuil frotta vivement ses poches chargées d’électricité sur l’appareil, qui disjoncta une courte seconde… tout juste le temps pour qu’Emolga place un Mur Lumière miroitant à quelques mètres de la caméra. À présent, la grotte se reflétait jusque dans l’objectif de l’engin, renvoyant l’illusion d’une caverne tout à fait inoccupée…

Mais les Sbires avaient remarqué le Pokémon.

— Hé, toi ! lança rudement une des femmes. Arrête-toi tout de suite !
— Il doit avoir des complices, siffla la seconde.

Elles appelèrent deux Miradar, et les créatures remarquèrent immédiatement le groupe caché dans les ténèbres grâce à leur vision surpuissante. Leurs collègues invoquèrent des Mascaïmans, qui se jetèrent vers les intrus, tous crocs dehors.
Elsa inspira brutalement. Shazaa jura. Leafer déglutit. Oscar porta une main à sa ceinture. Et Élin se précipita vers les ennemis, grimaçant, déterminée.
Ensemble, les adolescents appelèrent Mateloutre, Majaspic, Spinda, Ectoplasma, et Baggiguane.

Baggy évita deux Croc de Mort et faucha les Miradar d’une Balayette bien sentie—Rouletabille assaillit la première marmotte d’un Uppercut et Amaryllis assomma la seconde avec Aquajet. Les Mascaïmans qui se ruaient vers le groupe furent accueillis d’un Vibraqua magistral, et achevés de Feinte rapides.

Soudain, Ectoplasma apparut dans l’ombre des quatre Sbires, ricanant avec excitation—et quand ils pivotèrent vers le Pokémon, il les frappa d’une Hypnose. Transis, les agents Plasmas ne purent réagir quand Jeans s’enroula autour d’eux, les asphyxiant jusqu’à ce qu’ils tombent inconscients.

Mélis observa les adolescents, stupéfié. Et les enfants mêmes échangèrent des regards incrédules, hésitants. La bataille avait été si rapide ! Comment avaient-ils pu gagner aussi facilement ?

Leurs cœurs palpitaient, et ils avaient le souffle court, haché par leur excitation et leur peur. Chacun de leurs membres tremblaient, trempés de sueur—leurs veines s’embrasaient sous l’effet de l’adrénaline et ils avaient presque le vertige, la nausée. Ils avaient assommé quatre adultes, possédaient un pouvoir de vie ou de mort sur eux à présent—et même si cette pensée n’était pas présente, consciemment, dans leur esprit, elle s’insinuait parmi les synapses et les neurones, déclenchait une vague de plaisir… Les adolescents avaient envie de continuer, de s’enfoncer plus loin dans le repère, pour ressentir l’extase.

Shazaa et Oscar se sentaient comme plongés dans un combat souterrain, à Volucité.
Elsa se revoyait sur le Ferry.
Leafer souriait, ravi d’appartenir enfin parmi les fous.
Et Élin savourait sa fureur.
Ils étaient tous inconscients, complètement prêts à se battre jusqu’à l’épuisement.

— Vite, claqua cependant la voix de Mélis, inquiète. Le Mur Lumière d’Émolga ne peut pas durer éternellement. Quelqu’un a une Corde Sortie ? Ligotez ces agents avec et tirez-les sur le côté. Leafer, prends l’uniforme de la plus petite femme et déguise-toi.
— Q-Quoi ? bafouilla le brun, retrouvant soudain la réalité.
— Ne discute pas ! rugit Mélis.

Les ordres de l’adulte furent exécutés sans plus de discussion. Shazaa se chargea de déshabiller la plus mince des deux femmes et lança son talkie-walkie à Leafer. Oscar ligota ensuite les deux Sbires, rougissant, et balbutia quelque chose de gêné. Élin ricana, serrant convulsivement ses Pokéball. Finalement Leafer enfila l’uniforme Plasmas, et il ressemblait presque parfaitement à l’agente. Mais…

— Il n’a pas les cheveux roux, intervint Elsa, grimaçant.
— Ce n’est pas un problème, répliqua Mélis.

Et il tira sur les cheveux d’une des femmes sous les yeux horrifiés des adolescents. À leur grande surprise, une perruque se détacha du crâne de la Sbire inconsciente, et une cascade de boucles blondes chuta autour de ses joues maigres.

— Quoi ? s’indigna Élin. Quelle arnaque !
— Tu pensais sérieusement qu’ils étaient tous nés avec les cheveux oranges ? lui demanda Mélis, blasé.

La gamine ne répondit pas, se gonflant seulement une joue, vexée. Comment était-ce possible de repérer les terroristes Plasmas parmi la population normale si on ne pouvait pas ficher tous les rouquins ? Elle se le demandait bien.

Mais elle ne put poursuivre pas cette réflexion fort intéressant, car Leafer brisa le silence d’une voix douce.

— J'imagine que je vais rester à côté de cette porte pour surveiller les Sbires, et faire figure de garde pour la caméra. Ok... mais... C-Communiquez… Communiquez avec moi par Vokit. Je centraliserai les informations, et je vous donnerai des conseils, car je sais bien prédire les mouvements adverses.

Le groupe observa le brun, petit et frêle à côté du reste ; le plus jeune du groupe. Mais ils ne trouvèrent rien à redire, car ils étaient tous trop petits, frêles et jeunes pour cette entreprise—et il fallait bien quelqu’un pour garder la porte, non ?

Alors Leafer pris place à côté de la porte, comme si les Sbires n’avaient jamais disparu, franchissant le Mur Lumière d’Émolga. L’écureuil crépitait, fatigué, et poussa un petit cri qui rajouta à la tension. Ils avaient très peu de temps avant d’être découvert, d’une manière ou d’une autre… ils risquaient leur vie.

— Il faut qu’on y aille ! asséna Élin.
— Si Émolga resserre son Mur Lumière un instant, on peut passer dessous sans que la caméra ne nous détecte, analysa Oscar.
— Il va falloir être synchrones, ajouta faiblement Elsa. À un, deux, trois…
— Arrêtez-vous.

Les adolescents se figèrent, regardèrent Mélis avec appréhension.

— On ne peut pas tous rentrer dans le repère à la fois ! s’énerva le dresseur. Il faut que quelqu’un cherche des sorties de secours, assure nos arrières ! Leafer s’occupe déjà de celle-ci mais il faut trouver un autre échappatoire au cas où !
— Personnellement je suis nulle pour ça, répliqua Élin sans émotion. Donc je rentre direct dans le repère.
— Idem, ajouta Oscar.

Les regards se fichèrent sur Elsa, qui déglutit, repensant à son père. Elle avait de la chance, finalement… les derniers mots qu’elle lui avait dit avant de quitter Volucité, c’était « Je t’aime ».

— Syd est mon ami et je veux le secourir, énonça-t-elle en plongeant deux prunelles froides dans celles de Mélis.

L’adulte détourna la tête, touché.

— Très bien, répondit-il, le timbre ému et enroué. Mais vous ne pouvez pas y aller comme ça. Il faut que vous enfiliez les uniformes et perruques restants avant de pénétrer dans le repaire, et—écoutez, surtout ne foncez pas, collectez d’abord suffisamment d’informations pour savoir où se trouve Syd au moins ! Ils sont des centaines là-dedans, vous n’avez aucune chance dans un combat !

Sa voix mourut, et il dévisagea, piteux, les enfants qui risquaient leurs vies contre la Team Plasma. L’écouteraient-ils ? Entendraient-ils au moins ces minables conseils, qui ne les protègeraient aucunement de la peur, de la violence ?

— Si vous n’êtes pas revenus dans une heure, je forcerais l’entrée pour créer une distraction, conclut-il avec résignation.

Vaincu par la détermination des enfants, par sa peur et sa tendresse pour eux, il détourna le regard et avisa une autre branche du tunnel. Sûrement la route qu’avait patrouillée certains des Sbires qu’ils avaient ligoté. Ce chemin semblait contourner le cœur du repaire—il permettait certainement d’autres accès aux quartiers généraux, d’autres échappatoires…

— Je vous suis, déclara Shazaa avec un rictus. J’m’y connais, en porte de sorties.

Oscar tressauta, voulut protester ; mais se mordit la lèvre. Il n’y avait pas assez d’uniformes disponibles pour que Shazaa les accompagne, de toute façon. Alors… il fallait se séparer… Le moment des adieux était venu.

Mélis serra la main d’Élin et d’Elsa, et les filles enlacèrent Leafer. Oscar adressa un bref hochement de la tête à l’adulte du groupe, sombre. Il donna une tape à l’épaule de Leafer, et lui sourit malgré tout. Puis, il se tourna vers Shazaa, et l’emporta dans un câlin désolé, tendre.

— Si l’on ne se retrouve pas à la sortie… commença-t-il maladroitement.
La jeune femme se raidit sous son emprise.
— Oscar, après avoir sauvé ton ami, je retourne à Volucité, répliqua-t-elle durement.

Le dresseur hoqueta. Se dégagea, blessé, perdu. Mais la belle Rhodésienne s’éloigna, lui jetant un regard sans appel, et ne dit pas un mot de plus. Oscar reçu un uniforme d’Élin, et ne vit pas le regard indéchiffrable que lui lança Elsa tant il était choqué.

Finalement, la réalité, la fatigue le rattrapaient. Syd croupissait sans doute dans une geôle glaciale, attendant son destin dans le noir. Ils risquaient des blessures graves, la perte d’un Pokémon, leur propre mort pour le sauver. Aujourd’hui, insouciants, trop heureux de se retrouver, le groupe avait laissé un de leurs amis vulnérables aux Plasmas. Aujourd’hui, insouciant et trop heureux, Oscar avait laissé s’échapper une amie précieuse.

Mélis leur donna des derniers conseils, puis Élin le poussa vers la porte, plongée dans une humeur noire, un mutisme déterminé. Elsa les suivit après un bref salut vers Leafer et un regard indéchiffrable envers Mélis, qui ne put que lui offrir un « je te demande pardon » amer. Le trio passa le Mur Lumière d’Émolga, flasha un badge d’identification devant un détecteur incrusté dans la roche, et s’enfonça dans le repaire.

Shazaa et Mélis se fondirent dans les ombres avant que ce dernier ne rappelle Émolga, puis s’avancèrent dans le tunnel des patrouilles. Une faible lueur s’en dégageait, une lumière qui grésillait au rythme d’un lointain néon.


(D’outre-tombe)
L’avion se posa rudement sur le tarmac, secouant les trois-cent-soixante-cinq passages. Bianca grimaça, ses bras calés contre le siège devant elle pour ne pas rebondir, sa ceinture de sécurité mordant ses cuisses. Un rayon de soleil la frappait en pleine face, et elle devait froncer sans arrêt les sourcils pour distinguer la figure de White.

— Le pilote a bu un peu trop de vin Kalosien, siffla celle-ci, croisant les bras d’un air désinvolte.

Elle ne semblait pas ressentir les heurts de l’atterrissage. Tandis que Bianca retenait des hauts-le-cœur, la dresseuse s’étira avec superbe, sa cascade de châtain coulant jusqu’à ses reins, sauvage et relâchée. La jeune femme aurait pu se prélasser sur un transat tant elle paraissait sereine, indifférente à la situation.

Bianca se mordit la lèvre. White paraissait toujours au-dessus de tout.

Les deux femmes attendirent de pouvoir sortir de l’avion avec plus ou moins de patiente. Dès qu’elles quittèrent la zone internationale, le Vokit de White se mit à sonner, recevant mille et un messages de défis, de demandes d’interview. Mais l’engin vibra aussi de trois coups brefs, pour signaler qu’il avait reçu une communication d’un contact privilégié.

Souriant, White s’arrêta au beau milieu du hall, se fichant de la foule, pour écouter le message vocal de Mélis. Bianca, curieuse malgré sa gêne, s’immobilisa aussi pour prendre des nouvelles de leur ami, et des adolescents de son programme.

« Salut White… » commença la voix préenregistrée du jeune homme, avant de grommeler : « Ou sistah, comme tu veux que je t’appelle… J’ai entendu que tu allais à Kalos pour régler tes problèmes avec Black. Bonne chance. »

White grimaça, dardant un œil agacé à Bianca. Ainsi la scientifique répétait ses plans sans permission explicite ? Elle avait bien changé depuis leur adolescence, où elle vénérait la dresseuse de légende et obéissait chacun de ses ordres…

« Ce que je veux dire, c’est... vas-y. Dis-lui tout et accepte ses excuses. Il ne pouvait pas t’aider contre Ghetis car il venait d’adopter Élin, tu le sais très bien, et c’est le moment de mettre fin à cette brouille idiote. Vous avez grandi ensemble, mais maintenant… Vous êtes adultes. Moi aussi, d’ailleurs. Et il faut prendre nos responsabilités, non ? »

Le message se termina dans un silence glacé. Quand le Vokit proposa de le rejouer, White appuya avec frustration sur le bouton retour. Mélis… qu’est-ce qui lui prenait ? Il n’était jamais aussi direct—d’habitude il la suivait partout sans question, à moitié endormi, intervenant d’un sourire ou une pique blasée ! Jamais il ne s’était mêlé de la querelle de Black et White, se contentant simplement de garder le contact avec chacun d’entre eux… Jamais Mélis n’avait critiqué White.

Il lui avait toujours semblé innocent, ce jeune toujours en retard, aux cheveux ébouriffés et aux grands yeux cernés.
Innocent, indolent, insouciant.
Pourquoi tous ses amis changeaient-ils ?

White s’élança vers la sortie de l’aéroport avec colère.

[…]

Matis raccrocha, agacé que sa petite-sœur Cathy soit si désinvolte. Elle répondait à peine deux fois par semaine à ses appels, insistant à chaque fois qu’elle se portait très bien, merci, et qu’elle se porterait encore mieux si elle ne perdait pas son temps au téléphone. Elle ne pouvait pas comprendre que Matis, en voyage hors d’Unys pour la première fois de sa vie, ne s’inquiète pour sa famille.

Le dresseur regarda, sans réellement voir, les plages du Village Myokara. Le soleil d’Hoenn inondait la petite ville et l’océan, étincelant contre tuiles chatoyantes et vagues cristallines. Des familles s’amusaient avec leurs Pokémon dans les eaux peu profondes, s’éclaboussant et se poussant dans l’eau comme il le faisait, plus jeune, avec Cathy dans le lac de Pavonnay.

Un brusque sentiment de nostalgie saisit le dresseur, et il se rendit à nouveau compte de la distance qui le séparait d’Unys. Partir lui avait semblé une bonne idée il y a un mois, et depuis, il avait gagné deux badges… Mais maintenant, après battu Bastien, il ne ressentait qu’une léthargie grandissante. Matis n’avait pas envie de tout recommencer ailleurs, de trimer sous un ciel étranger, une terre inconnue.

Son voyage à Hoenn lui faisait-il du bien ? Devait-il rester, encore un peu plus—se forcer—en espérant qu’avec un peu de temps, il se sente heureux ?

Soudain, son Vokit vibra. Imaginant que sa mère lui avait envoyé un message, il appuya sur le bouton « entrée » sans réfléchir. Mais ce n’était pas sa famille à l’autre bout de l’appareil. Un message lui parvenait, préenregistré, un message d’une personne qu’il avait banni à tout jamais de ses pensées.

« Ne raccroche pas, Matis, » débuta Mélis, anticipant très bien le premier réflexe de son ami. « Je t’appelle car je ne suis pas sûr de te revoir. Vivant. »

Et il ricana, gêné, comme toujours quand il abordait des sujets graves et ne pouvait se défiler. Ce rire, distordu par l’engin et la distance, frappa Matis d’une mélancolie mêlée de colère, réveillant une douleur qu’il croyait dissipée par le soleil d’Hoenn. Le dresseur fronça les sourcils pour briser les regrets. « Vivant » ? Que voulait-il dire, cet idiot, ce…

« Je regrette notre voyage initiatique, tu sais. Affronter les Plasmas à Amaillide, à Janusia à vos côtés… et parcourir Unys avec vous… c’était magique. Malgré les disputes, et ma flemme de marcher. Tu te rappelles quand… »

Un voix indistincte, celle d’une jeune fille, appela Mélis et le message préenregistré s’interrompit.

« Bref. Tu ne t’attendais sûrement pas à ce que je cherche à contacter Écho, mais je l’ai fait. On verra bien comment elle réagit. Matis, je te présente mes excuses pour tout ce qui s’est passé entre elle, toi, moi et les autres aussi. Je regrette qu’on n’ait jamais su se parler, tous les trois. On était peut-être pas faits l’un pour l’autre. »

Un silence se creusa un instant, mais le message n’était pas fini. Doucement, tintant comme un glas, deux syllabes percutèrent les tympans de Matis. Si ordinaires.

« Salut. »

[…]

Écho lança ses clefs dans la coupole laquée qui trônait sur son vestibule, les porte-clefs tintant joyeusement contre le bois enluminé. Elle passa une main sur sa nuque pour chasser la sueur, un sourire idiot sur ses lèvres—mais tandis qu’elle baissait l’autre main pour ramasser ses emplettes, quelqu’un d’autre s’en saisit avec une poigne ferme.

Son cœur rata un battement, et la jeune femme se tourna vers celui qui portait à présent le sac de course. Il la contemplait avec malice, ses yeux noisette coulant le long de son cou gracieux, vers le collier qu’il lui avait offert la semaine dernière, un simple pendentif bleuté.

Barry Pearl. Son petit-ami.

— Qu’est-ce que tu es galant, sourit-elle avec ironie. Cela rattrape presque la fois où vous m’avez renversée, toi et ta bicyclette…
La bicyclette de Barry était tellement sacrée qu’il lui avait donné un nom.
— Roberte et moi n’avons pas eu le choix, tu bloquais le milieu de la route, complètement dans la lune en pleine après-midi…

Ils se dirigèrent vers la cuisine de l’appartement d’Écho en échangeant quelques piques supplémentaires, tout sourire. Un soleil doré jouait sur les comptoirs cirés de la petite pièce, ripant sur les aspérités du bois, patinant les surfaces de reflets dorés. Le couple rangea les courses dans la penderie et le réfrigérateur, et Barry en profita pour se servir un Mangnum aux noisettes, sa glace préférée.

Écho pouffa, le taquinant à propos de ses poignées d’amour, et se dirigea vers le salon. Sa Vokit, laissée sur une commode le temps de leur après-midi sur la plage, clignotait furieusement. Elle avait sans doute reçu de nouveaux défis—les Sinnohites étaient ravis de savoir qu’une dresseuses surpuissante d’Unys s’installait à Rivamar, et était nombreux à tenter leurs chances. Barry blaguait que si cela continuait ainsi, elle serait certainement plus connue que lui à Sinnoh.

Mais le message n’était pas celui d’un dresseur en quête de gloire, et il n’était pas celui qu’elle voulait entendre.

« Hey, Écho… »

La voix de Mélis Grey mourut dans le silence étouffant du salon.

« Woah… »

Barry Pearl s’approcha de sa petite copine, de son corps statufié. Il délaissa sa glace, fronçant les sourcils, se demandant bien qui pouvait interpeller Écho ainsi. Avait-elle peur—devait-il… réagir ?
Le message préenregistré émit un toussotement gêné, interrompant sa réflexion, son mouvement hésitant.

« Écho… Pendant longtemps, je n’ai pas su quoi te dire. Nous étions amis, et je ne savais pas quoi te dire. Tu m’aimais et je ne savais pas quoi te dire. Maintenant… En fait, je ne suis pas beaucoup plus avancé… Tu me connais, quand j’ai un problème, je fais tout pour ne pas le confronter, et j’aurais recommencé cette fois aussi. Mais pour une fois, je n’ai pas le choix, mon temps est probablement compté. Je ne peux plus tergiverser, te blesser par mon silence, par… par ma lâcheté. Soyons honnête tant qu’on y est. »

Le visage d’Écho se déforma d’un rictus amer sous les yeux inquiets de Barry. La jeune femme serra les poings, en proie à des souvenirs humiliants. Mélis qui ignorait pendant des années chacun de ses regards amoureux, de ses touchers furtifs, benêt. Mélis qui lui souriait, transformé, et la menait en bateau jusqu’à ce que White ne révèle l’arnaque avec délice.

« Je te présente mes excuses… Je n’ai jamais su t’aimer. T'aimer comme tu le voulais, et comme tu le méritais. Maintenant c’est trop tard. Mais sache qu’à ma manière… je chérirai ton souvenir. »

Le silence resta longtemps après la fin du message. Écho semblait plongée dans un passé difficile, serrant les poings et tremblant un peu. Barry aurait pu la laisser se remettre, lui laissait du temps. Mais au contraire de Mélis, il était un homme d’action.

— C’était Mélis Grey, n’est-ce pas ? demanda-t-il sans finesse, mais aussi avec compassion.

Sa petite-amie ne répondit pas immédiatement. Mais après quelques minutes, elle ricana, d’un timbre étranglé :

— C’est un ami qui est bien trop patient… et qui frappe toujours trop juste. Un ami qui frappe au pire des moments.


(Infiltration)
Mélis et Shazaa s’avançaient prudemment dans les ténèbres, n’échangeant pas un mot. L’Ectoplasma de la Rhodésienne était chargé de détecter les obstacles ou les Sbires qui se dressaient sur leur chemin, et remplissait efficacement son travail, les avertissant dès qu’une patrouille s’approchait. Le Pokémon était invisible à la faible lueur des néons, ses yeux exorbités et son sourire machiavélique captant tout juste quelques reflets égarés.

Mélis soupira, fiévreux, s’inquiétant sans cesse pour Élin, Elsa et Oscar, qui avaient plongé dans le repaire des Plasma complètement à l’aveugle. Ils n’avaient aucun plan des quartiers généraux, aucune manière de se repérer—comment comptaient-ils faire au juste ? Et pourquoi—

Parce qu’ils n’avaient pas le choix.

Aucun d’entre eux n’avait le choix—ils courraient toujours après la Team Plasma, toujours un coup en retard. Aucune aide ne viendrait. Le dresseur jeta un regard en coin à la jeune femme qui l’accompagnait, se demandant pourquoi elle avait accepté de se jeter dans la gueule de l’Hydre pour un garçon qu’elle connaissait à peine. Par bêtise ? Par fierté ?

Les jeunes ne croyaient pas à la mort, ils savaient peut-être qu’elle existait, mais pensaient inconsciemment que jamais elle ne les frapperait… Mais, se dit-il alors que le duo repéra une première sortie de secours, et que Shazaa transmit le message à Leafer ; mais la mort vient pour tout le monde.

[…]

Élin menait Oscar et Elsa à travers un dédalle de couloirs métalliques, choisissant au hasard dans quelle direction tourner, n’hésitant devant aucune des nombreuses portes noires qui encadraient leur route, sentinelles solennelles. Mélis leur avait dit de récolter des informations, et pour cela, quoi de mieux qu’une salle de repos ? Dans les films, les bandits s’agrégeaient souvent autour d’une machine à café pour échanger des remarques machiavéliques ! Autant chercher.

Heureusement qu’Oscar et Elsa ne soupçonnaient pas la simplicité du plan d’Élin. Sinon, ils l’auraient sans doute étranglée, puis se seraient enfuis du repaire Plasma—avec ou sans Syd. Non, dans l’état des choses, ils ne pouvaient que suivre la blonde en perruque en tentant de prendre un air assuré.

Au dixième tournant, ils croisèrent une Sbire.
Leurs cœurs se figèrent.
Leurs mains moites ripèrent sur leur ceinture de Pokéball.
Ils tremblèrent.

— Bonjour, on est nouveaux et on cherche la machine à café.

Oscar et Elsa fixèrent la mine innocente d’Élin, ébahis.

— Oh, s’étonna la Sbire, clignant de grands yeux bleus. Eh bien, celle de l’étage se trouve à la prochaine intersection à droite.
— Merci.
— De rien. C’est un plaisir.
— Bonne journée à vous.
— De même.

Et Élin repartit comme si de rien était. Elle laissa un Oscar et une Elsa pantois qui rougirent sous l’œil étonné de l’agente, la remercièrent en balbutiant, et se ruèrent à la poursuite de leur amie. Comment réussissait-elle à rester si calme ? Eux mourraient d’angoisse !

La gamine leur apparut comme une extraterrestre, une machine de guerre. Elle était uniquement concentrée sur la mission, refusant de penser à ses sentiments, refusant de céder à la peur, comme s’il suffisait de dire non à la panique pour régner en maître sur soi-même. Ils ne savaient pas qu'elle était guidée par le chant de Meloetta, assourdissant, éclatant de courage et de de convictions.

Sans leur accorder un regard, Élin suivit les directions de la Sbire, ses pas se répercutant lourdement contre la roche. Elle disparut au coin du prochain tournant, et le temps qu’Oscar et Elsa la rejoigne, elle demandait déjà la monnaie à une autre agente pour se payer un chocolat-chaud, se plaignant que la machine à café ne donnait jamais assez de sucre.

Oscar l’imita, souriant nerveusement :

— Moi non plus je n’ai pas de monnaie…
Il tiqua sous l’œil torve de la Sbire, qui renifla :
— Décidément, on les recrute de plus en plus jeunes et de plus en plus bêtes.

Le concerné balbutia une réponse outrée, mais la jeune femme se détourna sans lui offrir de monnaie, et seule Élin put siroter une boisson, serrant deux mains gantées autour de son gobelet en papier recyclé.

— Rayan, je t’avais dit de ne pas embêter nos aînés… lança-t-elle, sévère, à Oscar.
La Sbire pivota de nouveau, souriant d’un air amusé.
— Enfin une qui a du respect…
— Je me présente : Stella. Et je m’excuse pour mon ami, il est lourd dans tous les sens du terme.
— C’est souvent ça, avec les mecs, approuva l’agente.

Oscar se retint d’intervenir, dignité s’écrasant par terre et mourant silencieusement tandis que les femmes, viles succubes, observaient avec bonheur.

— Parfois je me dis qu’il faudrait le jeter en prison, ajoutait Elsa pendant qu’il s’étranglait, offusqué.
— Tu n’aurais pas tort, réfléchit Élin. Mais comme je viens de le dire, il est trop lourd pour être traîné, même vers la prison.
— Tout est relatif, les premières geôles se trouvent à l'étage du dessous, répliqua la Sbire en arquant un sourcil.

Leurs cœurs bondirent contre leurs poitrines, et Oscar en oublia même son indignation.

— Eh oui, sourit Élin. Mais il pèse quand même cent-dix kilos. Tant pis, on va devoir le supporter.
— Pas de chance.
— Eh oui.
— Bon, je dois y aller. Tu n’oublieras pas de me rembourser.

Et l’agente s’en alla dans un virevoltèrent de blanc et de gris, disparaissant dans l’enfilade de couloirs, simple travailleuse parmi tant d’autres Sbires besogneux. Élin, Oscar et Elsa échangèrent un regard nerveux—la brune envoya un court message à Leafer pour lui signaler leurs progrès—et ils sentirent trembler sous une vague, une cascade de soulagement.

Ils savaient où se trouvaient Syd. Ils allaient sauver leur ami, et ils allaient s’en sortir vivants. Ce cauchemar, ce tourbillon de peur et d’excitation et d’enthousiasme malsain, allait prendre fin. Elsa allait enfin connaître la vérité, et recoller les morceaux de sa fierté brisée. Ils allaient tous s’en sortir vivants.

Cette fois, ce fut Elsa qui mena le trio vers la première volée de marches qu’elle remarqua, déterminée. Ils dévalèrent l’escalier.

L’odeur d’antiseptique aurait dû les alerter, exhalation morbide qui les frappa en relents écœurants. Mais les adolescents poursuivirent leur course, pris dans la hâte de revoir leur ami, de sauver leur ami.

Ils se trouvèrent dans un couloir entièrement blanc, si blanc que la lumière se reflétait sur chaque surface et fouettait leurs rétines avec violence. Le trio dut prendre quelques secondes pour s’habituer au décor éclatant, et vaincre la douleur qui brûlait leurs yeux.

— Les prisons… réalisa alors Elsa, comprenant pourquoi l’étage sentait l’antiseptique, pourquoi tout était si propre. Les prisons font fonction de laboratoire…
— Très juste observation, susurra une voix à la fois mielleuse et glaciale.

Lentement, les enfants pivotèrent vers la source d’interruption. Terrifiés. Ils reconnaissaient ce timbre froid, devinaient déjà ce qui les attendait avec joie. Devant leurs prunelles écarquillées attendait un bel homme au visage fin, aux traits aristocratiques—au corps strié de tatouages incompréhensibles.
Le chant de Meloetta se fit strident aux oreilles d'Élin, et un liquide acide surgit soudain le long de sa trachée. Son crâne la vrilla...

Anto.