Chapitre 6 : Enfermée dans le cercle
Lilura s'était toujours définie comme une fille rationnelle, quoiqu'un peu lunatique il est vrai. Toutefois, elle avait cessé depuis longtemps de croire au surnaturel, à l'imaginaire, à l'irréel. Avant elle rêvait souvent qu'elle était l'héroïne d'un des conte pour enfant que son père lui racontait, dans lequel elle usait de magie, ne s'étonnait pas de la présence de choses invraisemblables et en faisait elle-même. C'était fini tout ça. Le chef Dazen lui avait bien vite remis les pieds sur terre. Donc Lilura pensait n'avoir rien à craindre de la menace d'Orohydrus, ce dieu dont Yisho faisait peser sa menace et sa grandeur au dessus de sa tête. Pour être franche, elle n'y croyait pas vraiment. Elle avait juste saisi l'occasion que lui avait donné Yisho de trouver enfin sa place dans un monde qui la rejetait.
Mais tout ça, c'était avant d'avoir assisté à un sacrifice en l'honneur du dieu du meurtre. Déjà, le simple fait de contempler sa statue grandeur nature, celle d'un gigantesque serpent à huit tête portant une armure, vous glaçait le sang. Les seize yeux d'Orohydrus semblaient être plus que de la pierre. Parfois, on avait l'impression qu'ils s'éclairaient d'une lueur sanguine. Mais peut-être était-ce le reflet de toute cette masse de sang qui remplissait à moitié l'immense bassin dans lequel la statue se trouvait. Une véritable piscine de sang !
Le sang ne faisait plus rien à Lilura depuis que son métier consistait généralement à le faire couler, mais là, face à ces milliers de litres de sang, elle manqua se trouver mal. L'odeur méphitique était partout, et vous montait à la tête comme une brume embrouillant votre cerveau. Combien de personnes avaient été tuées pour remplir autant ce bassin ? Yisho avait raconté à Lilura que le but ultime du Cercle Rouge était de remplir ce bassin de sang à rebord. Une fois que la statue d'Orohydrus sera entièrement immergée, le Pokemon serait réveillé de son sommeil.
C'était pour ça que la secte tuait, et prélevait à chaque meurtre le sang de leur victime dans un flacon. Et tous les mois, le Cercle offrait des sacrifices pour leur dieu. Généralement des prisonniers qu'ils avaient capturés, ou alors des prêtresses trop vieilles pour enfanter de futurs Elus. Et s'ils n'avaient aucun des deux, ils se servaient parmi les derniers arrivés au Cercle, les assassins ou les prêtres en formation. Bien sûr, en tant que Elue par droit de naissance, Lilura n'aurait jamais à être sacrifiée.
Lilura demanda à Yisho si ça ne serait pas plus rapide de remplir ce bassin si chacun des fidèles d'Orohydrus donnaient un peu de leur sang chaque semaine ou un truc du genre. Mais le Premier Fratex avait affirmé que cela aurait constitué un pêché. Orohydrus n'acceptait que du sang de victime, ceux qui étaient morts ou allaient mourir. Et bien sûr, jamais de Pokemon. Orohydrus ne se nourrissait que de sang humain.
Les sacrifices faits à Orohydrus était une scène invraisemblable. Tout le monde se mettait à hurler et à prononcer des paroles vides de sens tandis que les sacrifiés étaient égorgés, et parfois démembrés, pour que leur sang coule plus vite dans la bassine. Une véritable orgie de cris, de joie, de souffrance et de mort. Et si cela répugnait profondément Lilura, elle ne put s'empêcher de faire comme les autres Elus, de hurler à la gloire d'Orohydrus, comme soumise à un quelconque maléfice. C'était dans ces moments que l'on ressentait intensément sur nous la sombre présence d'Orohydrus.
Car le dieu existait, Lilura en était certaine. Il était là, parmi eux. C'était son délice de sang et de meurtre qui transparaissait chez ses fidèles. Lilura sentait grandir en elle une férocité comme elle n'en avait jamais connue. Une envie brûlante de tuer. C'était à la fois terrifiant et grisant. Comme une séance collective de prise de drogue. Lilura ne put donc que constater l'existence réelle d'Orohydrus et son pouvoir qu'il avait sur eux. Ça renforça ce que lui avait dit Yisho. Elle avait été choisie. Par Orohydrus. Elle était l'instrument de sa volonté. Elle devait en tirer fierté. Elle devait aiguiser les dons que le dieu du meurtre lui avait donnés.
Ainsi commença sa vie dans la secte du Cercle Rouge. Ça ne changeait pas vraiment de sa vie dans la Shaters. Ses journées étaient remplies par divers entraînements, collectifs puis personnels sous la férule des Fratex, les maîtres du Cercle Rouge. Il y en avait six, plus Yisho, le Premier Fratex. La plupart d'entre eux étaient des Enfants de la Mort, comme elle, et tous enseignaient une matière ou un entrainement précis aux futurs assassins. Il y avait l'entraînement physique et le corps à corps, l'art de la discrétion et du camouflage, l'étude du corps humain et des poisons, le maniement des armes blanches, le maniement des armes à feu, l'étude des systèmes politiques et de l'économie des assassins, puis la théologie et le culte à Orohydrus, dispensé par le Premier Fratex lui-même.
Outre les entraînements, on donnait une fois par mois une mission à chaque apprentis assassins. Vu qu'elle était déjà entraînée, Lilura devint très vite la « meilleure élève » et la préférée du Premier Fratex. Il fallait ajouter à ça son statut d'élue dès la naissance, ce qui était assez rare chez les apprentis. Au final donc, elle fut jalousée de toute part et avait très peu de camarades. Oui, il s'agissait de camarades seulement, pas d'amis. Les amis n'existaient pas dans la secte. Car parfois, le Cercle orchestrait des tournois entre les apprentis, où il n'était pas rare qu'il y ait quelques morts. Et ça arrivait également que deux apprentis se bagarrent pour quelque différent, et que ça se solde par un cadavre de plus. Les Fratex encourageaient ça. Dans l'idéologie du Cercle Rouge, les faibles mourraient tandis que les forts vivaient. En laissant les apprentis se tuer entre eux parfois, ils ne faisaient que séparer le bon grain de l'ivraie.
Si Lilura ne faisait aucun effort pour nouer des liens avec ses condisciples, elle restait toujours en dehors des histoires, qui généralement finissaient mal. Elle étudiait de son coté, sans rechercher la compagnie des autres. De toute façon, elle était bien plus douée qu'eux, à tel point que Yisho dut la faire grimper d'un échelon pour qu'elle apprenne avec les apprentis supérieurs.Du coté du personnel du Cercle, c'était pareil. Lilura préférait rester à l'écart de chacun d'entre eux. Il y avait les assassins bien sûr, qu'on voyait rarement car ils étaient le plus souvent en mission. Mais parfois, on repérait parmi la foule la silhouette énorme et inquiétante du plus terrible d'entre eux. Le premier assassin du Cercle, le plus doué, celui à qui Yisho confiait les plus juteux contrats.
Il se nommait Acheros. C'était un colosse tout vêtu de noir, encapuchonné, dont on ne distinguait qu'un œil rouge sang. Il portait une ceinture et des bottes en piquants, avait deux têtes de morts collés sur son corps et tout son bras droit était entièrement recouvert de plaques d'armures, qu'on avait le plus de chance de voir encore dégoulinante du sang de sa dernière victime. Il ne parlait jamais, et inspirait la peur partout où il passait. Même les Fratex se méfiaient de lui. Seul Yisho pouvait le contrôler.
Puis il y avait les prêtres et les prêtresses, ceux qui s'occupaient du culte d'Orohydrus et qui dirigeaient les cérémonies en son nom : sacrifices et prières. Les prêtres portaient cette longue robe brune tatouée du symbole du Cercle, tandis que les prêtresses étaient habillées en rouge. On les voyait moins que les prêtres, car leur mission principale était tout simplement de tomber enceinte et de donner à Orohydrus de futurs Elus. Et certaines étaient vraiment très jeune, pas même adulte. Du moment qu'elles pouvaient tomber enceinte, c'était bon, il n'y avait pas d'âge pour servir Orohydrus.
Et enfin, il y avait les Fratex. Sur les sept, Lilura n'avait de respect et de loyauté que pour Yisho. Quatre l'indifféraient. Elle en aimait bien un. Et elle détestait le dernier.
Celui qu'elle appréciait était celui en charge du maniement des armes à feu. Enfin, principalement des armes à feu, mais il pouvait enseigner aussi tout ce qui se référait de près ou de loin à la précision. Il était l'as de la visée. Il ne manquait jamais sa cible. Et Lilura l'appréciait car, contrairement aux autres, ce n'était pas un fanatique qui ne jurait que par Orohydrus. On avait l'impression qu'il était là que pour faire son métier. En plus, il était le seul parmi les Fratex qui n'était pas un Enfant de la Mort, ce qui en disait long sur son talent. Yisho ne l'aurait jamais nommé Fratex sinon. Il se faisait nommer Two-Goldguns, en référence à ses deux pistolets en or qu'il portait toujours. Il était jeune, sympa, et Lilura pouvait parler normalement avec lui. Ce qui faisait qu'elle passait le plus de temps à l'entraînement des armes à feu. Durant ses moments de libres, Two-Goldguns la prenait seule pour lui apprendre plusieurs trucs qu'il n'apprenait pas en temps normal.
- Comment êtes-vous arrivé dans le Cercle Rouge, monsieur ? Lui demanda un jour Lilura.
Two-Goldguns avait haussé les épaules.
- Bah, comme ci comme ça, gné. Comme tous ceux qui ne sont pas des Enfants de la Mort et qui sont venus ici pour devenir balèze.
- Mais vous ne participez pas au culte d'Orohydrus...
- Pourquoi tu dis ça ? Je suis un Fratex, gné. J'y suis obligé. Je vais à chaque prière et à chaque sacrifice...
- Oui, mais vous, vous ne le vénérez pas comme les autre, insista Lilura. Un peu comme moi quoi...
Affolé, Two-Goldguns regarda à droite à gauche au cas où on les écouterait.
- C'est dangereux de dire ça, gamine.
- Mais c'est vrai. Je me fiche de leur serpent géant. Je suis ici pour apprendre tout ce que le Cercle pourra m'apprendre, pour devenir une assassin exemplaire, puis je partirai. Je veux vivre de moi-même, et pas passer mes jours à vénérer une statue.
Two-Goldguns ricana.
- On ne quitte pas le Cercle avec une simple lettre de démission, petite. Les déserteurs sont considérés comme des hérétiques et pourchassés jusqu'à la fin de leurs jours, gné.
- Je sais, fit Lilura en songeant à Dazen. Mais je me demandais... Qu'est-ce qui se passera une fois qu'Orohydrus aura ressuscité ? Yisho parle souvent de son retour parmi nous mais jamais des conséquences.
Two-Goldguns se gratta le menton avec l'un de ses pistolets d'or.
- Je n'y ai pas réfléchi. J'imagine que ce sera le chaos, ou un truc comme ça, gné. J'ne suis pas un connaisseur en la matière, mais il semble qu'à l'époque où Orohydrus était actif, il envoûtait les gens et les Pokemon autour de lui, les poussant à tuer pour lui. Tout le monde se tuait entre eux, et Orohydrus pouvait s'abreuver de litre de sang. Yisho n'a pas fait de secret sur ce qu'il pensait de notre monde actuel. Un monde de Perdants. Il veut les exterminer, de tel sorte qu'il ne reste plus que des Elus, soit environ un ou deux pour cent de la population mondiale, gné.
Un génocide à l'échelle mondiale, et un monde uniquement destiné aux Elus. Lilura en frissonna. De dégoût ou d'excitation, elle ne saurait pas dire.
- Et... ça serait une bonne chose, selon vous ? Demanda-t-elle.
- Ni bonne ni mauvaise, gné. Ça ne changerai rien pour moi. J'suis pas du genre à m'apitoyer sur des gens qu'je connais pas, gné.
- Moi non plus, affirma Lilura. Mais soyons logiques. Quand il ne restera plus que des Elus, je ne pense pas que les meurtres cesserons. Nous nous tuerons entre nous, forcément. Nous disparaîtrons tous de la surface de la Terre. Puis ce sera le tour des Pokemon, jusqu'à qu'il ne reste plus personne, si ce n'est Orohydrus.
- Où veux-tu en venir ? S'impatienta Two-Goldguns.
- Ce plan ne me plait pas. Orohydrus ne doit pas renaître. Quand j'aurai terminé ma formation et que je deviendrai la plus forte des assassins, je vais détruire le Cercle.
D'abord surpris, Two-Goldguns éclata de rire.
- Ben voyons, gné ! Une gamine de douze ans contre la plus puissante organisation d'assassin du monde !
- J'y arriverai, lui assura Lilura. Est-ce que je pourrai compter sur votre aide le moment venu ?
- Oh, tu sais, je suis quelqu'un de très pragmatique, gné. Je me suis rangé du coté du Cercle car il est fort et que je profite de cette force. Si tu me prouves que tu es encore plus forte, alors oui, tu pourras compter sur moi. Mais je doute que tu y arrives gamine. Tu finiras juste sacrifiée à Orohydrus et vidée de ton sang, gné. En attendant, je te conseille de ne répéter à personne ce que tu m'as dit. Les autres Fratex ne sont pas aussi légers que moi en ce qui concerne la foi, gné...
Two-Goldguns avait tort. Il y avait un autre Fratex en dehors de Two-Goldguns qui se fichait pas mal d'Orohydrus. Et c'était celui qui répugnait Lilura. C'était le plus jeune des sept, un adolescent nommé Kenda, qui était le maître des poisons. Il devait avoir l'âge de Trefens, même moins. Et il n'était pas aussi doué que Two-Goldguns dans son propre domaine d'expertise. Mais il était quand même Fratex à son âge. Pourquoi ? Car Kenda était l'Enfant de la Mort par excellence, le plus pur des Elus d'Orohydrus. À ce que Lilura avait entendu sur lui, Kenda avait commis son premier meurtre à l'âge de huit ans à peine, en tuant une petite fille. Et pas par accident. Il l'avait fait exprès. Puis ensuite, quelques années plus tard, il avait également assassiné ses parents.
C'était un garçon aux cheveux violets et aux yeux un peu fou qui jouissait d'une façon invraisemblable de la souffrance des autres. Techniquement, tuer ne l'intéressait pas trop. Ce qu'il aimait, c'était torturer, aussi bien physiquement que mentalement. Même les apprentis assassins avaient peur de lui. Quand il n'enseignait pas, il restait cloîtré dans son bureau où il passait ses journées à créer des poisons de plus en plus terribles, qui causaient une mort des plus douloureuses. Il n'était pas rare que le Cercle lui donne des prisonniers comme cobaye. On entendait souvent des hurlements retentir dans ses quartiers, et ses éclats de rire à lui.
Lui ne prenait même pas la peine, à l'inverse de Two-Goldguns, de faire semblant de vénérer Orohydrus. Il ne venait aux sacrifices que pour assister à l'exécution sanglante des victimes. Une fois même, on l'avait surpris se baigner dans l'immense bassin de sang ; un véritable blasphème aux yeux des autres. Mais si Yisho tolérait ses extravagances, c'était parce que Kenda était le favori d'Orohydrus, selon son mode de pensée. Une telle envie... non, un tel besoin d'apporter la souffrance aux autres ne pouvait être que la volonté d'une puissance supérieure. Lilura n'était pas loin de le croire. Impossible sinon d'être aussi taré que Kenda.
Et outre le fait d'être totalement givré, il était aussi d'une grande perversité. Il ne cachait pas que ses victimes favorites étaient les enfants, particulièrement les filles. Lilura l'avait vu torturer des gamines qui devait avoir son âge. Leurs cris de peur, de souffrance et finalement d'agonie était pour Kenda le plus doux des sons. Durant ses heures entrainement, il apprenait à Lilura et à ses condisciples les meilleurs moyens de faire souffrir un homme, et à créer d'insidieux poisons.
Il s'amusait parfois à en faire boire de force s'il jugeait qu'ils n'étaient pas assez réussis. Si l'apprenti survivait, c'était donc que le poison était mal fait, et Kenda le punissait donc en lui faisant ingérer un qu'il avait crée lui-même. Et les poisons de Kenda n'étaient jamais ratés. Arceus soit remercié, Lilura était une bonne élève. Car Kenda n'aurait été que trop ravi de se servir d'une fille de son âge comme cobaye pour ses expériences, qui portaient toutes sur le même sujet : jusqu'où un corps humain pouvait supporter la douleur ?
Pour Lilura, Kenda avait tout d'un serpent. Ses manières, sa voix, sa peau, ses yeux laiteux, sa façon de sortir la langue quand il s'adonnait au meurtre ou à la torture... Et à chaque fois que Lilura l'avait à coté d'elle, elle ne pouvait s'empêcher de frissonner. Du fait de son métier et de son passé, Lilura ne s'était jamais considérée comme une personne de bien. Pour caricaturer un peu, elle était « méchante ». Après tout, elle tuait, et parfois des gens qui n'avaient rien fait. Mais à coté de Kenda, elle se sentait comme la plus pure et innocente des enfants. Cet homme était l'incarnation même du mal. Encore que... Peut-on considérer un fou comme un méchant ? Kenda n'avait sûrement pas conscience que ce qu'il faisait était mal. Il n'avait conscience de rien de toute façon, si ce n'était du plaisir qu'il éprouvait à la torture et à la vue du sang.
Pour Lilura, trois ans passèrent ainsi, à parler amicalement avec Two-Goldguns, à éviter Kenda et Acheros, à apprendre et à tuer de plus en plus, à assister aux cérémonies sacrificielles et aux prières à la gloire d'Orohydrus. Elle sentait son corps d'enfant se métamorphoser peu à peu, pour devenir celui d'une jeune femme. Et ça lui ouvrait d'autres possibilités. Si les femmes assassins étaient les plus dangereuses, c'était parce qu'elles avaient une arme de plus que les hommes. Leurs propres corps, et en l'occurrence pour Lilura, leur visage innocent et joli. Jamais personne n'irait penser qu'une belle jeune fille comme elle dissimulait en réalité un assassin professionnel.
À l'âge de quinze ans, Lilura s'était faite une belle renommée dans le Cercle Rouge. Le Premier Fratex Yisho lui donnait des missions de tueurs professionnels, et la jeune fille n'avait pas son pareil pour revenir à la secte les mains pleines de flacons de sang destiné à Orohydrus. Le bassin s'était bien rempli en trois ans. Très bientôt, la statue d'Orohydrus serait entièrement immergé, et le Pokemon reviendrait à la vie. Lilura n'avait pas oublié sa promesse de l'en empêcher. Mais plus le temps passait, plus elle se rendait compte que ce qu'elle avait dit à Two-Goldguns était de la folie. Elle était forte, oui. Plus forte que la plupart des assassins. Mais jamais assez forte pour les combattre tous en même temps, surtout avec des monstres comme Acheros. Même le vieux Yisho la dépassait largement. Il le cachait bien par son âge et ses manières distingués, mais Two-Goldguns lui avait raconté que ce type était en réalité un terrible combattant.
Cette vie de solitude commençait à peser à l'adolescente. Elle n'avait pas oublié les deux années qu'elle avait passées à la Shaters. Elle avait toujours une certaine rancune pour Dazen, mais elle se surprenait parfois à penser à Trefens. Avait-il survécu ? Était-il devenu un puissant Shadow Hunter ? Lilura aurait bien aimé le revoir, ou simplement avoir de ses nouvelles. Parfois, elle lui parlait, comme s'il était avec elle. Elle se mit bientôt à parler toute seule couramment, perdue dans ses souvenirs. Elle avait conscience de cette bizarrerie en elle, mais ne faisait rien pour la combattre. Ça ne faisait qu'ajouter à sa réputation. Si les autres la croyaient cinglée à parler à elle-même, ils auraient encore plus peur d'elle.
Elle pensait aussi des fois à ses parents. Elle les voyait parfois en rêve. Qu'étaient-ils devenus ? Avaient-ils refait leur vie sans elle ? Avaient-ils fait un autre enfant ? Lilura avait désormais du mal à revoir leurs visages, mais elle savait qu'ils lui manquaient. Surtout son père. Lilura avait toujours cru qu'un jour, il viendrait la chercher. Elle y croyait toujours d'ailleurs.Le passé refit surface plus vite qu'elle ne le pensait quand Yisho en personne la convoqua dans son bureau. C'était un honneur rare pour un assassin. Le Premier Fratex voulait sûrement lui confier une mission de la plus haute importance. Une bonne occasion pour Lilura de se faire voir un peu plus. Vu ce qu'on disait sur elle, elle ne doutait pas de devenir Fratex dans quelques années à ce train là. Yisho l'accueillit avec son sourire de grand-père, mais Lilura ne se laissa pas avoir. Elle savait que le visage affable qu'affichait constamment cet homme n'était qu'un masque. Derrière se cachait le plus noir des cœurs.
- Ah, ma chère amie. Assieds-toi donc.
Lilura s'assit devant lui, sur ses gardes, tandis que Yisho la contempla longuement.
- Eh bien, il s'en est passé du temps depuis la petite fille qui trainait dans la Toile de Safrania. Tu es devenue ce que tu étais destinée à être, Lilura. Une arme belle et mortelle pour notre seigneur Orohydrus.
- Je suis fière de le servir, répondit Lilura mécaniquement.
- Bien sûr. Et je vais te donner une autre occasion de le servir. Une mission qui, si tu la réussis, fera de toi une Elue parmi les Elus. Une mission qui, en temps normal, aurait exigé la présence d'au moins cinq assassins, mais je ne doute pas de tes capacités.
Lilura l'écouta attentivement.
- Comme tu le sais, le Cercle Rouge a une renommée mondiale, et est considéré, à juste titre, comme l'élite des assassins. Tout le monde nous craint, tout le monde nous respecte. Même le gouvernement n'ose pas s'en prendre à nous. Parce que nous sommes forts, mais aussi parce que nous détenons plusieurs secrets embarrassants pour eux. Bref, nous ne souffrons d'aucune concurrence. Toutefois...
Yisho lui fit un pauvre sourire avant de continuer.
- Eh bien, comme tu n'es pas sans le savoir, certains se servent de nos enseignements pour leur propre compte. La Shaters existe toujours, et s'est renforcée ces trois dernières années. Ils ont acquit une certaine réputation dans le milieu, et plusieurs contrats leur sont désormais offert alors qu'avant nous raflions tout. Nous avons fermé les yeux longtemps, car Dazen était des nôtres autrefois, mais maintenant ça ne peut plus durer. Nous devons envoyer un message à la Shaters. Leur rappeler que nous sommes les meilleurs, que nous sommes les maîtres.
Lilura déglutit difficilement.
- Vous voulez... que j'élimine Dazen ?
- Oh, non, par Orohydrus ! Ce serait t'envoyer à une mort certaine, en dépit de tous tes talents. Non, pas Dazen. Mais nous savons que la Shaters compte quatre membres en plus de lui. Un est un gamin qui commence juste à être formé, et deux viennent juste de survivre à... l'épreuve ultime des Shadow Hunters. Ils ne contrôlent donc pas encore parfaitement leur nouvelle force. En revanche, le dernier est dangereux. Il est le bras droit de Dazen, et contrôle parfaitement la force qu'il a acquit de lui. Tu le connais, je crois. C'est lui que tu dois éliminer. Tu comprends ?
Lilura ne comprenait que trop bien. Yisho voulait qu'elle tue Trefens.