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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 20/05/2015 à 09:38
» Dernière mise à jour le 26/02/2017 à 22:16

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 7 : Beautiful times

Beautiful times - Owl City


Ce bonus se déroule de façon concomitante avec le chapitre 147.


Il faisait noir autour de lui. Il ne distinguait rien à des lieues alentours, pourtant il voyait son propre corps avec netteté. Aucun son ne troublait le silence parfait de cet étrange endroit dans lequel il se trouvait.

Il cligna des paupières. Il ne se sentait ni bien, ni mal, comme s'il avait sombré dans une profonde ataraxie. Il essayait de se remémorer les évènements qui l'avaient mené jusqu'ici, mais il avait du mal. Lorsqu'il croyait de réfléchir, une brume épaisse semblait s'immiscer dans son cerveau.

Il baissa les yeux. Malgré la léthargie dont il était victime, il parvenait tout de même à se mouvoir, bien qu'il doive le faire avec une lenteur exagérée. Ce qu'il découvrit lui arracha une expression de stupeur plus que d'horreur. Ses vêtements étaient maculés de sang.

Instinctivement, il porta une main à sa gorge. Tout lui revenait en mémoire, désormais. Cela s'était passé si vite, pourtant il en avait conservé le souvenir. Il se rappelait que Lilith, la Première, lui avait enfoncé une lame dans le cou par surprise. Elle lui avait certainement transpercé la jugulaire. Dans ce cas, était-il... mort ?

- Bonjour, Niklaus.

Hélio sursauta. Cette voix paraissait s'échapper de partout et de nulle part à la fois, mais ce ne fut pas ce qui l'étonna le plus. Sa surprise résidait surtout dans le fait qu'elle ne lui soit pas inconnue. Il l'avait déjà entendue.

Il balaya les environs du regard. Ils restèrent d'abord aussi sombres qu'au début, jusqu'à ce qu'un éclat lumineux apparaisse au terme d'une longue minute. Une silhouette se découpait en son coeur. A la vue de ses formes, c'était une femme.

Ebloui, Hélio porta une main à ses yeux pour les protéger de cette clarté soudaine. Quand il fut moins aveuglé, il se résolut à observer la nouvelle venue. Si son coeur avait battu, il aurait certainement manqué un battement.

- Cassidy ?

Némésis se tenait devant lui, éblouissante de splendeur. Ses lèvres écarlates esquissèrent un bref sourire, en total inéquation avec la lueur mélancolique de son regard ténébreux. Ses cheveux de jais tombaient dans son dos où ils voletaient mollement, comme mus par une brise invisible dans cet endroit hors du temps et de l'espace.

- Que fais-tu ici ? interrogea le mentor de la Team Galaxie, désemparé. Es-tu morte également ?
- Moi ? Non.
- Mon esprit me joue des tours, dans ce cas. Je pensais ne jamais te revoir, or voici que tu es là, alors que je m'apprête à rendre mon dernier souffle.
- En réalité, coupa Némésis, tu l'as déjà rendu. C'est moi qui te retiens ici, dans les limbes.
- Pourquoi cela ?
- Parce que je ne peux pas te laisser partir vers la lumière sans t'avouer toute la vérité à notre sujet. Je te dois au moins cela. Il me faut faire vite, toutefois, car je ne dispose que de très peu de temps.

***
Les murs du sanctuaire se mirent à trembler violemment. Némésis leva un regard blasé en direction du plafond de la pièce qui la retenait captive depuis plus de neuf siècles, désormais, avant de ramener son attention sur Lugia :

- Cette pauvre Lamia est encore en train d'essayer de sortir d'ici à coups de Luminocanon. Registeel se tuera à l'ouvrage bien avant que les scellés ne se brisent. Si seulement elle savait le nombre d'Aéroblast infructueux que tu as lancé avant même qu'elle ne soit enfermée ici, elle ne perdrait pas son temps.

Némésis repoussa un pan de sa longue robe noire d'un geste gracieux, puis se dirigea vers l'extrémité de la salle où seize sphères flottaient à hauteur de son visage. Il y en avait de toutes sortes : une rouge feu, une vert feuille, une jaune électrique, un bleu aquatique... Ses yeux se posèrent sur la plus spéciale d'entre elles.

- Le dragon, murmura-t-elle alors que la boule lumineuse venait se loger dans la paume de sa main. Le plus puissant et le plus dévastateur des dix-sept types... Certainement ma plus belle création à ce jour. Enfermée ici, pourtant, elle ne me sert à rien.

Dans son dos, Lugia déploya ses ailes. Elle entendit le bruissement de ses plumes, car elle se retourna aussitôt pour déclarer avec un sourire carnassier :

- Oui, exactement. L'heure est venue pour nous de quitter cet endroit. A présent que mon travail ici est achevé, il ne me reste plus qu'à réunir mon armée. Arceus a pensé m'écraser une fois en unissant sa Confrérie contre moi, mais comment réagira-t-il lorsqu'il s'apercevra que j'ai profité de ce millénaire pour créer la mienne ?

Un vent puissant se leva sur sa geôle. Les yeux de Némésis s'illuminèrent d'un éclat étincelant tandis qu'une aura grise émanait de son corps. Elle était déjà la plus forte des légendaires lorsqu'Arceus l'avait enfermée ici, toutefois elle n'avait fait qu'accroître ses pouvoirs au cours des siècles.

Même si Athéna était sa dauphine en matière de magie, les scellés qu'elle avait apposés sur les ruines Sinjoh ne lui résisteraient pas. L'Alpha avait cru se débarrasser d'elle, mais il en faudrait plus qu'un simple sortilège pour maintenir la Justice à l'écart.

Elle rassembla ses forces, auxquelles Lugia vint joindre les siennes. L'oiseau aussi possédait des dons extrêmes, bien que moindres à côté des siens. Une auréole de lumière se dégagea de Némésis tandis qu'elle psalmodiait :

- Aujourd'hui, je me libère de mes chaînes. En échange de ma délivrance, j'offre à ces lieux une nouvelle captive. Que Pandore prenne ma place et je prendrai la sienne !

Le halo engloba la légendaire et son pokémon. Elle sentait que l'énergie la tiraillait avec plus de violence qu'une simple attaque Téléport. Ses pouvoirs l'emportaient loin de sa prison, vers un destin dont elle devait reprendre le contrôle.

Hélas, tout ne se passa pas comme prévu. Alors que sa puissance continuait de l'entourer, elle commença à se sentir faible. Elle parvenait à peine à respirer et sa vision se brouillait. Lugia, grâce au lien invisible qui les reliait l'un à l'autre, l'encercla de ses immenses ailes protectrices, mais cela ne suffit pas à la rassurer.

Pour la première fois, elle, Némésis, angoissait. Les choses n'étaient pas censées se dérouler de cette façon, or elle ne faisait jamais d'erreurs. Du moins, elle n'avait pas le droit d'en faire. Ce n'était pas dans sa nature.

Soudain, l'air frais lui fouetta le visage. Elle eut toutefois à peine le temps de s'en rendre compte, étant donné qu'elle perdit presque aussitôt connaissance. Elle ne vit même pas le ciel, un ciel qui lui avait été caché si longtemps.

Lorsqu'elle revint à elle, elle perçut la présence de Lugia à proximité. Son plumage doux frôlait sa peau et elle entendait son chant mélodieux à ses oreilles. Cela signifiait qu'elle n'était pas morte. C'était absurde pour une légendaire de penser cela, pourtant elle avait bien cru l'espace d'un instant que sa dernière heure était venue.

Elle battit doucement des paupières. Sa vue ne regagnait pas en netteté. Tout était trouble autour d'elle, même si la dominance de vert dans les teintes qu'elle distinguait lui indiquait qu'elle était entourée de végétation. Elle voulut bouger, cependant son corps ne répondait pas. L'oiseau blanc passa une aile sous elle afin de la soulever.

Ses plumes étaient plus confortables que le sol dur sur lequel elle était étendue jusqu'à présent. Incapable de prononcer un seul mot, elle l'interrogea du regard. Elle devait comprendre pourquoi elle se sentait si faible.

- Je l'ignore. Tu t'es évanouie avant même que nous ayons touché le sol. J'ignore où nous sommes. Je n'ai jamais vu cet endroit jusqu'à présent.

Némésis plissa les yeux. Ce lieu lui était vaguement familier. Elle n'était jamais venue jusqu'ici, mais elle l'avait déjà vu par la pensée. Enfermée aux ruines Sinjoh, elle avait pu profiter de ses années de captivité pour absorber les connaissances des Zarbis, si bien qu'elle savait désormais tout sur tout, au même titre qu'Athéna.

Elle ouvrit la bouche pour s'exprimer, mais seule une bile acide remonta dans sa gorge. Elle dut la ravaler, car elle n'avait même pas la force de vomir. Cette réaction était pitoyablement humaine. Comment pouvait-elle être tombée si bas ?

- Le continent perdu... Le sortilège a... réussi...

Les mots qu'elle parvint laborieusement à prononcer sonnèrent comme un long râle. Lugia l'observait avec anxiété. Il ne l'avait jamais vu dans un tel état et elle-même était inquiète à l'idée d'aller si mal.

Elle tenta de faire appel à ses pouvoirs pour se régénérer, en vain. Elle avait l'impression qu'ils ne lui répondaient pas. Pire que cela, elle se sentait complètement vide, à croire que toute sa force s'était envolée. Elle se redressa sur un coude, qui manqua de céder sous son poids car ses muscles ne la portaient pas.

- Il se passe quelque chose... toussota-t-elle. Je...

Elle tendit la main devant elle. Des larmes obstruaient davantage sa vue, elle qui n'était pas censée savoir pleurer. Elle apercevait vaguement les contours d'un arbre. A tour de rôle, elle essaya de l'enflammer, de l'obliger à ployer... Rien ne se produisit. Elle n'avait plus la moindre capacité.

- Je... J'ai perdu mes pouvoirs, murmura Némésis d'une voix tremblante.
- Toi ? Comment est-ce possible ?
- Athéna est maligne. Trop maligne. Je l'ai sous-estimée, contrairement à elle qui a su voir clair en moi. Elle ne s'est pas contenté d'apposer des scellés sur les ruines Sinjoh. Elle a dû prévoir un enchantement de secours au cas où le premier ne me retienne pas éternellement. C'est cela qui a dû me drainer de ma magie.
- Si cela s'avère exact, que vas-tu faire ? Tu es libre, à présent, mais à quel prix ? Dans l'état où tu es, Arceus te trouvera et te tuera avant même que tu n'aies formé le premier membre de ta Confrérie.
- J'ai un avantage sur lui : il ignore que je me suis échappée.
- Peut-être, mais il remarquera tôt ou tard que sa maîtresse a disparu et il ratissera sûrement la planète entière pour lui remettre la patte dessus, or ce sera toi qu'il finira par découvrir. Qui plus est, même s'il ne le fait pas, Athéna l'avertira de ta fuite dès qu'elle l'apprendra.
- Non. Aurais-tu oublié ? J'échappe à l'emprise des Zarbis. Ils ne me voient pas, ignorent tout de moi. Je suis la seule à pouvoir garder mes secrets... secrets.

Lugia obliqua légèrement son aile pour aider Némésis à se mettre debout, mais il dut la réceptionner en douceur lorsque ses jambes se mirent à trembler jusqu'à s'affaisser sous elle. Elle était incapable de se porter.

- Tu as besoin de repos. Il faut te cacher.
- Me cacher ? N'est-ce pas ironique ? Me voici réduite, moi, à une vie de paria, soit la même condition que les Renégats. Arceus a toujours tremblé à la mention de mon nom, or c'est à présent à moi de le craindre.
- Tu es lucide, Némésis, et perspicace. Ta route ne doit pas croiser la sienne tant que tu es ainsi. Même face à ses alliés, tu ne tiendrais pas une minute dans ton état. La question, pour l'heure, est surtout la suivante : où te réfugier ?
- Rassure-toi. Sur ce point, je possède déjà ma petite idée.

***
- N'était-ce pas un peu dangereux de venir t'installer précisément dans ton temple ?
- Il faudrait que je sois folle pour y remettre les pieds, surtout depuis que Poséïdon l'a submergé. C'est donc pour cela qu'il s'agit du dernier endroit où la Confrérie originelle viendrait me chercher.
- Originelle ? s'étonna Lugia. C'est bien la première fois que je t'entends employer ce terme.
- Bientôt, il y en aura une nouvelle : la mienne. Je me dois de les distinguer l'une de l'autre.

Némésis plaqua une main contre le mur, sur lequel elle prit appui. Elle se terrait depuis désormais de longs mois dans ce qui avait été, à l'époque de son âge d'or, son sanctuaire. A présent, le temple bâti à sa gloire était perdu sous les flots, englouti par les vagues tumultueuses du dieu de la Mer.

Elle commençait seulement à marcher à nouveau et jamais sans se tenir. Ses forces mettaient beaucoup plus de temps qu'elle ne l'imaginait à revenir. Quant à ses pouvoirs, elle doutait de parvenir à les récupérer un jour. Elle ne provoquait plus la moindre étincelle, le vent ne lui obéissait plus, pas davantage que les plantes ou l'éther. Elle était totalement démunie.

- Dès que je serai en mesure de sortir d'ici et de me fondre parmi les humains sans attirer l'attention, je me lancerai à la recherche de mes premières recrues. Je suis peut-être vulnérable, mais cela ne durera pas.
- Face à Arceus et surtout face à Athéna, es-tu certaine que des individus normaux suffiront à assurer ta protection ?
- Depuis Lilith, Arceus a toujours dédaigné l'humanité. Il a tort. Je suis convaincue qu'ils sont notre avenir et je ne me trompe jamais.

***
La convalescence de Némésis nécessita plusieurs années. Ses facultés de régénération, propre à tous les légendaires, ne lui étaient d'aucune utilité en pareilles circonstances. La perte de sa magie l'avait considérablement meurtrie et seul le temps lui permettrait d'apprendre à vivre sans.

Quand enfin elle osa sortir de sa tanière, elle recouvrait tout juste une allure et une attitude normales, dénuées de toute faiblesse. Elle s'épuisait vite, cependant, et Lugia était obligée de veiller sur elle constamment. L'un comme l'autre, ils craignaient qu'Arceus ne les repère à cause du mal qu'elle avait encore à voyager.

Il lui fallait se mettre en quête d'humains pour sa Confrérie, or elle ne pouvait pas parcourir plus de quelques kilomètres par jour, même sur le dos de son pokémon. Ses forces l'abandonnaient trop vite et elle devait se reposer souvent. Elle se nourrissait d'herbes et de baies énergétiques, bien qu'elle n'ait pas besoin de s'alimenter, mais elle n'obtenait guère de résultat.

Jusqu'à présent, depuis qu'elle avait quitté son temple, elle restait cachée dans des forêts ou dans des cavernes peu fréquentées, là où personne ne viendrait à croiser sa route, en particulier les sbires d'Arceus.

Un soir, pourtant, alors que Lugia était parti ramasser des branchages pour alimenter le feu à côté duquel elle se réchauffait, elle eut la surprise de rencontrer un humain. En dehors de Lilith, il s'agissait du premier qu'elle voyait et elle fut agréablement surprise par cette découverte.

Il s'agissait d'un individu masculin, plutôt grand pour son espèce, et d'apparence assez robuste. Ses cheveux sombres encadraient un visage carré aux traits durs, des lèvres charnus et un nez droit, rehaussé de deux prunelles grises. Dans le fond, il n'était pas si différent physiquement que n'importe lequel d'entre eux tous.

- Bonsoir, le salua Némésis avec politesse.
- Excusez-moi de vous importunez, madame. Je marche dans ces bois depuis des heures, je crois que je me suis égaré. Quand j'ai aperçu la lueur de votre feu, je n'ai pas hésité et j'ai foncé. Sauriez-vous à quelle distance je me situe d'Oliville ?
- Je crains de ne pouvoir vous aider. Je ne suis pas de la région. Vous devez être exténué après une telle marche. Voudriez-vous vous asseoir un moment ?

L'homme ne semblait visiblement pas vouloir la déranger, mais elle insista. Elle l'observait avec une véritable fascination, lui et le Feunard qui l'accompagnait. A sa vue, elle esquissa un sourire. Il lui rappelait celui d'Inari, devenu en quelque sorte le symbole de la déesse-kitsune.

Elle partagea des baies avec eux, que Lugia avait ramassé pour elle dans la journée. L'oiseau ne réapparut pas, d'ailleurs. Elle était au courant que des mythes circulaient sur des pokémon que l'on qualifierait à juste titre de légendaire et elle ne tenait pas à semer le trouble parmi les humains en leur dévoilant son existence, d'autant que cela risquerait de parvenir ensuite aux oreilles d'Arceus.

- Je m'appelle Maxime, informa son invité après avoir terminé de dévorer la chair juteuse d'une Oran.
- Cassidy, mentit-elle d'un air affable.
- Je suis vraiment ravi d'être tombé sur vous. Qui sait combien de temps j'aurais continué à errer dans la forêt sans repère, ni sans rien à manger ?
- Vous auriez certainement fini par en atteindre l'orée. Dites-moi... Ce Feunard semble très attaché à vous. Est-il dressé ?
- Dressé ? Non. En fait, j'expérimente un nouveau système sur les pokémon, inventé par mon ami, Andrew Fargas. A l'aide de Noigrumes, il réussit à confectionner des sortes de sphères avec lesquelles on "capture" le pokémon à l'intérieur. Bien sûr, nous n'en sommes qu'au stade des essais.
- Cela me parait prodigieux. Puis-je voir ces fameuses sphères ?

Le dénommé Maxime acquiesça immédiatement. Il sortit de sa besace en cuir l'objet en question, fabriqué à partir d'une sorte de fruit robuste à la chair verte, qui s'était désormais solidifiée. Intriguée, Némésis l'étudia avec attention. Ainsi, les humains avaient trouvé le moyen de soumettre les pokémon à eux autrement que par le dressage.

Elle interprétait cela comme de l'équivalence à la magie des légendaires et aux liens qui les rattachaient à leur créature respective, or il s'agissait simplement de technologie. En près d'un millénaire, ils avaient réellement évolué, de quoi durcir davantage la confiance qu'elle plaçait en eux.

- Pourriez-vous me faire une démonstration, s'il vous plaît ?
- Bien sûr. Feunard, reviens !

Le canidé de feu fut absorbé à l'intérieur de la copainball, sous l'oeil émerveillé de Némésis. Ceci était loin d'être anodin : il s'agissait d'un véritable prodige. Les humains ne cohabitaient plus avec les pokémon, ils les possédaient. Cela rendrait Arceus fou de rage lorsqu'il l'apprendrait, lui qui avait toujours considéré son espèce comme nettement supérieure.

- Cette créature vous aime-t-elle vraiment ou son attachement à vous n'est-il dû qu'au mécanisme contenu dans cette... ball ? interrogea-t-elle, avide d'en apprendre plus sur la question.
- Un lien est apparu entre nous depuis le jour où j'ai capturé Feunard. Il ne peut être brisé tant que je ne décide pas de le libérer, mais je me plais à croire qu'il m'apprécie pour ce que je suis, et non parce que je suis son maître.
- Intéressant...

Il s'écoula de longues minutes que Némésis passa à réfléchir. Elle savait que Lilith avait activé la magie de son glyphe en copulant avec un pokémon, mais jamais aucun humain n'accepterait de se livrer à un acte aussi vil que celui-ci. Avec ce système, elle tenait peut-être un moyen de les lier plus profondément aux types qu'elle s'apprêtait à offrir à un groupe d'élus, sans pour autant tomber dans de sombres pratiques.

Maxime, exténué par son errance dans les bois, s'excusa auprès d'elle un moment plus tard et alla installer son sac de couchage un peu à l'écart pour se reposer. Elle lui souhaita poliment une bonne nuit, puis reprit le cours de ses réflexions interrompus.

L'instant crucial était arrivé. Elle n'aurait pas de meilleur occasion pour agir avant longtemps : il fallait qu'elle passe au test grandeur nature. Son seul glyphe actuel étant prisonnier du Monde Inversé, elle en avait besoin d'autres. Maxime allait devenir son second soldat.

Puisqu'il semblait si proche de son Feunard, elle lui confierait son élément, à savoir le feu. Elle aurait préféré commencer par un type plus simple, qui requerrait moins de maîtrise, toutefois elle ne pouvait pas se permettre de faire la difficile. Il lui fallait une protection. Avec cet homme à ses côtés, elle rassemblerait beaucoup plus vite sa Confrérie.

Elle claqua des doigts et ses sphères d'énergie se matérialisèrent autour d'elle. C'était la seule faculté qu'elle n'avait pas perdu suite à la disparition de ses pouvoirs, même si les faire apparaitre nécessité presque autant de force qu'elle en possédait. Une boule enflammée vint se poser dans sa paume, juste avant que les autres ne s'évanouissent dans le néant.

Sur la pointe des pieds, elle s'approcha de Maxime qui dormait à poings fermés. Elle ne voulait pas le réveiller. Elle lui expliquerait calmement la situation au matin mais, pour l'heure, il méritait un peu de repos. Qui savait s'il en aurait à nouveau une fois devenu l'un de ses élèves ?

Elle se pencha au-dessus de lui et son ombre le recouvrit entièrement, allongée par la lumière du feu dans son dos. Elle psalmodia quelques mots en Ancien Langage et la sphère s'illumina d'un éclat nouveau, juste avant de s'enfoncer dans sa chair avec autant d'aisance que si elle traversait un nuage de fumée.

Elle attendit ensuite patiemment, de longues minutes. Rien ne se produisit. Elle avait beau scruter sa gorge, à l'endroit où Lilith portait le sien, le glyphe n'apparaissait pas. Profitant du sommeil de son hôte, elle rappela Lugia à ses côtés.

- Je ne comprends pas... J'ai agi exactement de la même façon. Il a absorbé le feu, pourtant il ne se passe strictement rien.
- Tu n'es peut-être plus assez forte pour faire évoluer ces humains.
- Ce sont les sphères qui contiennent la magie nécessaire, pas moi. Normalement, elle est déjà en train de se diffuser dans son organisme, or il n'a pas la moindre réaction. Le symbole n'est même pas apparu sur son corps.
- Je peux essayer de m'immiscer dans son esprit, si tu veux. Ainsi, je verrai si le transfert a fonctionné.
- Tu es très puissant. Tes pouvoirs ne risquent-il pas de le tuer ?

Lugia secoua la tête en signe de dénégation, puis s'entoura d'un halo blanc qui se propagea rapidement jusqu'au corps paisiblement endormi de Maxime. Il resta lié à lui durant quelques secondes, puis libéra son emprise psychique.

- Je sens la force du feu, pourtant elle est toujours latente. Quelque chose ne s'est pas déclenché, il...

L'oiseau s'interrompit et Némésis s'approcha davantage de l'homme assoupi. Un symbole était en train d'apparaître sur son front, plus précisément un triangle de couleur écarlate. Le glyphe feu.

- Cela a fonctionné. Apparemment, il faut qu'il soit touché par une attaque pokémon afin que la mutation s'accomplisse pour de bon.
- Et Lilith ?
- Souviens-toi. Sa marque ne s'est manifestée que lors de son combat aux Colonnes Lances. Elle a dû être frappée par inadvertance et c'est ce qui a enclenché le processus.

La déesse, rassurée par la réussite de son entreprise, retourna attiser le feu qui commençait à s'étioler. Elle agita les braises avec une longue branche, avant de jeter celle-ci dans le brasier pour qu'elle soit consumée à son tour. Elle ferma ensuite les paupières pour méditer, afin de récupérer une partie des forces qui lui manquaient encore.

- Némésis ?

Il était rare que Lugia se permette de l'interrompre. Il avait beau être son légendaire, il nourrissait le même respect à son égard que tous les autres, quoique sans la moindre crainte. Elle fut surprise par son intervention, un peu agacée, même, mais consentit malgré cela à entrouvrir les yeux.

- Qu'y a-t-il ? interrogea-t-elle un peu sèchement.
- Ton humain. Il se passe quelque chose. Je crois qu'il ne va pas bien.

Jusqu'à présent assise sur le sol moussue de la forêt, Némésis se redressa d'un bon. En effet, Maxime n'était pas dans son état habituel. Ses joues étaient encore plus rouges que le reflet dansant des flammes sur sa peau, son front était brûlant et de la sueur perlait sur l'ensemble de son corps pour tremper ses vêtements, en dépit de la fraîcheur ambiante.

- Ce n'est pas normal, les choses ne sont pas censées se dérouler ainsi... marmonna-t-elle tout en lui épongeant le visage avec un pan de sa robe. Sa température est beaucoup trop élevée, surtout pour un humain. Lugia, Danse-Pluie, tout de suite ! Il faut faire tomber la fièvre.

Un battement d'ailes lui suffit à déclencher une puissante averse au-dessus de la clairière dans laquelle il se trouvait. Némésis continuait de s'affairer autour de Maxime, le teint blafard. L'angoisse la gagnait.

Avec Lilith, tout s'était déroulé à la perfection. Dès que le glyphe était apparu, ses pouvoirs s'étaient rapidement manifestés, sans jamais lui causer le moindre mal. Cette fois, l'inverse se produisait. La déesse devait faire face à des complications inattendues.

- Je crois qu'il rejette le feu, suggéra-t-elle alors que la température corporelle de l'homme continuait de s'accroître au lieu de chuter.
- Retire-lui l'énergie, alors.
- C'est impossible. J'ai créé la matière brute pour qu'elle prenne possession des gens. Si jamais je cherchais à la lui enlever, cela le tuerait.

Némésis se laissa tomber à genoux, dans une flaque de boue, alors que Lugia interrompait la pluie. Elle posa ses mains sur celles de Maxime, moites. Si seulement elle avait encore eu ses pouvoirs, elle aurait certainement pu le guérir, mais hélas, elle devait se débrouiller seule.

- Cherche des plantes. Il doit bien y avoir des herbes ou je ne sais quoi, dans cette forêt, susceptible de l'aider.
- Tu n'es pas Circé. Le temps pour toi de trouver le dosage et les ingrédients adéquats, ton sujet sera mort depuis longtemps.
- Que puis-je faire, Lugia ? Je t'en prie, aide-moi !

Elle était pratiquement hystérique, à présent. Le glyphe sur le front de Maxime rutilait de plus en plus, si bien qu'il paraissait presque s'enflammer. Le feu allait le consumer de l'intérieur et elle était incapable de l'en empêcher.

- Tu ne peux plus rien pour lui, désormais. Tu l'as condamné dès que tu lui as insufflé son type.
- Ce n'est pas possible... Cela a marché pour Lilith. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi sur lui ?
- Admets simplement que tu t'es trompée. C'est la seule chose qu'il te reste à faire.
- Non ! Je ne peux pas me tromper ! Pas moi. Je n'ai pas le droit...

Pendant un instant, Némésis crut que des larmes s'écoulaient le long de ses joues, avant de se rappeler qu'elle ne pouvait pas pleurer. Il s'agissait simplement des gouttes qui tombaient de ses cheveux humides.

Elle veilla Maxime toute la nuit. Il succomba peu de temps avant l'aube, sans jamais reprendre conscience pour lui laisser le temps de lui présenter ses excuses. Elle ne comprenait pas ce qui c'était passé. Le transfert aurait dû fonctionner. Il n'y avait pas eu le moindre problème avec Lilith, or elle avait répété ses gestes à l'identique.

- C'est peut-être parce qu'elle est différente. Ce n'est pas une humaine comme les autres. C'est la Première. Dans son être, dans son esprit, dans son caractère, elle est plus proche des légendaires que des individus normaux.
- Serais-tu en train de me dire que ma Confrérie est donc voué à l'échec ? Il n'existe qu'une Lilith, or j'ai besoin de seize autres glyphes.
- Je veux simplement dire par là qu'il ne faut écarter aucune piste.
- J'ai peur, Lugia... murmura Némésis d'une voix brisée. J'ai peur de recommencer, de tuer à nouveau un innocent. Je suis comme Arceus, désormais. J'ai du sang sur les mains et pour quelle raison ? Pour recouvrer une puissance qui me sera nécessaire afin de m'opposer à lui.
- Tu es la Justice. C'est ton devoir de prononcer ta sentence et tu auras besoin d'alliés pour y parvenir. Tu n'as pas à t'en vouloir pour ce que tu viens de faire.
- Si ! Comment puis-je me montrer impartiale face aux erreurs des autres si je me mets à en commettre moi-même ?

L'oiseau ne releva pas. A côté de lui, la légendaire tremblait de colère. Elle avait échoué, elle avait tué un humain. Comment pourrait-elle jamais se le pardonner ?

***
Némésis erra durant la décennie qui suivit, à la recherche de nouveaux humains. A chaque fois qu'elle en rencontrait un susceptible de lui convenir, toutefois, elle renonçait. Sa crainte l'emportait sur la tâche à laquelle elle s'était astreinte. Elle ne voulait pas prendre une vie supplémentaire. Elle portait entre ses mains le poids de la justice, pas celui du sang de victimes.

A plusieurs reprises, Lugia voulut la convaincre de refaire un essai, en vain. Elle ne pouvait s'y résoudre. Elle n'avait pas le droit d'abandonner sa quête mais, d'un autre côté, elle ne voyait pas non plus comment l'achever. Elle était dans une impasse, où elle s'entêtait à foncer droit dans un mur.

Elle continua ainsi, à moitié désespérée, jusqu'au jour où tout bascula enfin. Elle se trouvait à Hoenn, à proximité de cette cité que les habitants nommaient Mérouville. Ses pas la conduire jusqu'à un champ magnifique fleuri, où des arbustes à baies poussaient par centaines. Les senteurs et les couleurs se mêlaient dans un arc-en-ciel aussi olfactif que visuel. C'était un spectacle éblouissant.

Au cours de sa longue existence, Némésis n'avait jamais rien vu d'aussi ravissant. Envoûtée, elle s'approcha de cette culture soignée, mais une voix l'interpela avant même qu'elle n'ait pu observer de près la moindre plante.

- Eh, vous, là-bas ! Je peux savoir ce que vous faites là ?

Elle se retourna. Une jeune femme se tenait dans son dos. Les mains sur les hanches, elle semblait avoir un peu plus de vingt années humaines. Elle était rousse et des tâches de son recouvraient son visage, au point de lui donner l'air d'être bronzé. Ses yeux étaient sombres, son regard perçant. Une assurance certaine se dégageait d'elle.

- J'admirais simplement cette charmante plantation. Elle est à vous.
- A ma famille, répliqua l'autre. Moi, je m'occupe de ce coin là, des baies Alga jusqu'aux baies Lomne. Vous voyez ?

Némésis acquiesça d'un hochement de tête. Cette fille avait assurément la main verte pour obtenir des plans aussi beaux. En dehors de Circé, elle n'avait jamais rencontré personne capable de connaître les plantes sur le bout des doigts pour les aider à grandir avec autant d'aisance.

- Comment vous appelez-vous ?
- Emeline. Je suis la fille aînée de la fleuriste. Comme elle n'est pas là en ce moment, je m'occupe de la boutique avec mes soeurs.

La déesse l'étudia avec attention. Son interlocutrice dégageait quelque chose, une émotion différente qu'elle n'avait croisé chez aucun humain jusqu'à présent. Elle semblait posséder un petit atout en plus. Etait-ce lié au don agricole qu'elle paraissait maîtrisée ?

- Avez-vous des pokémon ? questionna Némésis sans même s'en apercevoir.
- Oui, bien sûr. Un Rozbouton et un Ludicolo. L'un me fournit l'engrais, l'autre l'eau pour mes plans.

Némésis esquissa un sourire en coin. Décidément, cette fille avait tout pour lui convenir. Peut-être avait-elle enfin trouvé la perle rare qu'elle recherchait tant ? Elle était rattaché au type plante à la perfection. Qui d'autre qu'elle pourrait porter le glyphe adéquat ?

***
- Je ne te forcerai pas à le faire si tu ne t'en sens pas capable.

Emeline reposa sa tasse de thé pour observer Némésis avec des yeux aussi ronds que des soucoupes. Elle avait visiblement du mal à croire toutes les révélations que la déesse venait de lui faire. Malgré cela, elle conserva une voix parfaitement posée lorsqu'elle demanda :

- Pourquoi moi ? Je ne suis ni une dresseuse, ni une aventurière... Je suis une simple cultivatrice de fleurs.
- Justement. J'ai besoin de quelqu'un pour qui les plantes sont une seconde nature. C'est toi. C'est tout à fait toi.

Elles étaient assises dans le petit salon dissimulé dans l'arrière-boutique du bâtiment rose où Emeline vivait avec sa famille, temporairement absente. Elle avait convié Némésis à venir se reposer un instant chez elle et celle-ci en avait profité pour lui faire part de ses attentes.

Sans détour, la légendaire n'avait pas hésité à lui avouer toute la vérité, y compris les dangers encourus si elle n'était pas compatible avec le glyphe, en dépit des chances qu'elle possédait pour que ce soit le cas.

Némésis ne craignait pas les conséquences d'un éventuel refus : une simple intervention de Lugia et, grâce à l'aide de ses pouvoirs psychiques, cette conversation aurait totalement disparu de la mémoire de la jeune fille.

- Si j'ai bien compris, vous désirez juger Arceus, notre Créateur, parce qu'il a commis des erreurs et vous cherchez parmi les humains une... Confrérie susceptible de vous aider.
- C'est exactement cela.
- Vous avez conscience, j'espère, que je vous prends pour une folle ?
- J'avoue que mes propos ont toutes les raisons au monde de me faire passer à tes yeux pour une personne déraisonnable. Par chance, ce n'est pas le cas.
- En admettant que j'accepte de me fier à vous, quel sera mon rôle à jouer dans cette histoire ?
- M'aider à rassembler les autres, pour commencer, et ensuite assurer mes arrières lorsque je jugerai que l'heure est venue de sortir de l'ombre. Ce ne sera pas sans danger. Arceus voudra sûrement se débarrasser de moi à l'instant où il découvrira que je me suis échappée des Ruines Sinjoh. Il n'hésitera pas à déployer toutes ses forces pour me combattre, or je n'en ai plus afin de lui résister.
- Vous me demandez donc de me battre contre l'Alpha ? Le pokémon le plus puissant de cette planète ?
- Seulement me laisser le temps de faire ce qui doit être fait.

Emeline semblait avoir une folle envie de rire. Elle était restée sérieuse durant chacune des explications de Némésis, mais à présent, cette dernière s'apercevait clairement qu'elle ne la croyait pas.

- Si je te donne une preuve, une seule, que je te dis la vérité, accepteras-tu de devenir mon glyphe plante ?
- J'avoue que je suis assez curieuse de voir comment vous allez vous arranger pour tenter de me faire avaler de tels Abo.

Une fossette orna la bouche écarlate de la déesse un instant, avant de disparaître. Elle tendit ses mains par-dessus la table en bois à laquelle elle était accoudée et psalmodia une rapide incantation. Lorsque les seize sphères apparurent en lévitant autour de ses paumes, Emeline sursauta.

- C'est... C'est... bredouilla-t-elle, livide, incapable de prononcer une phrase complète.
- De la magie, et surtout la réalité. J'ai besoin de toi, Emeline.

Fascinée, la jeune femme approcha ses doigts de la boule d'énergie végétale, qui se mit à scintiller d'une lumière verte éclatante lorsque sa peau ne fut plus qu'à quelques centimètres. Elle allait la toucher pour de bon quand Némésis arrêta son geste en la saisissant par le poignet d'une main ferme.

- Pas si près. J'ignore quelles pourraient être les conséquences pour toi. Jamais, jusqu'à présent, aucune des sphères n'avait scintillé d'une façon aussi intense.
- Vous pensez vraiment que je suis celle qu'il vous faut ?
- J'en suis persuadée. Et, apparemment, je ne suis pas la seule.

La masse énergétique grésillait doucement et se détournait légèrement de l'orbite des quinze autres pour tenter de se rapprocher d'Emeline. Celle-ci l'observait avec insistance en clignant des paupières, l'air à la fois apeurée et émerveillée.

- Je ne te forcerai pas, affirma Némésis d'un ton doux, mais il me faut une réponse. Acceptes-tu, oui ou non ?

***
- Et maintenant ?

Emeline marchait dans le sillage de la déesse. Elle ne parlait pas beaucoup, en dépit de sa nature volubile que Némésis s'était forcée de contenir dès les premiers jours. Son glyphe, représentant vaguement la forme grossière d'un arbre, ornait son avant-bras gauche. Il ne scintillait pas encore. Pour ce faire, la jeune femme aurait besoin d'atteindre un lien extrême avec ses pokémons.

- Maintenant, nous continuons notre route.

Elles avaient ratissé ensemble la capitale de Hoenn, Mérouville, dans l'espoir d'y rencontrer un nouveau futur membre de la Confrérie, en vain. Aucune évidence ne sautait aux yeux de la divinité, contrairement à ce qui avait été le cas dès qu'elle s'était retrouvée face à Emeline.

- Dites, j'ai une question... commença son apprentie avant de s'interrompre.
- Je t'écoute.
- Vous cherchez bien des gens "compatibles" avec un type pokémon spécifique, c'est bien ça ?
- Je crois que tu as résumé l'idée générale, en effet. Où veux-tu en venir ?
- Pourquoi vous ne tentez pas votre chance du côté des Champions d'Arène ? Ils sont tous spécialisés en un seul type.
- Oui, mais ce type, ils l'ont choisi. Moi, c'est l'inverse que je désire. Regarde, toi. Tu pourrais tout aussi bien élever des dragons ou des poissons. Cela ne t'empêche pas, dans ton ADN, d'être plus proche des plantes.

Emeline haussa les épaules. Elle ne comprenait pas tout mais, dans les cas comme celui-ci, elle préférait ne pas insister. Némésis était ce genre de personne qui semblait tout savoir et qu'il n'était pas utile de tenter de contredire, au risque de s'y casser les dents.

Leur voyage à travers Hoenn se poursuivit, jusqu'à ce qu'elles aient fait ensemble le tour de la région. La jeune femme avait brièvement rencontré Lugia à plusieurs reprises, qui l'avait d'ailleurs effrayée au tout début, et elles volaient à présent sur son dos en direction de Sinnoh. Au fur et à mesure que les années s'écoulaient, Némésis regagnait de l'endurance. Elle pouvait à nouveau passer des heures dans les airs, assise sur son plumage blanc.

Cela faisait plusieurs mois qu'Emeline était aux côtés de la déesse, désormais. Elle se soumettait sans peine à ses ordres et, en échange, celle-ci la traitait davantage comme son égale que comme son apprentie, en dépit de son rang nettement supérieur.

Tout semblait aller pour le mieux, mais les choses finirent par se gâter. Un jour, alors qu'elles étaient en route pour Frimapic, la ville la plus froide de Sinnoh dans laquelle Némésis espérait trouver une personne compatible au glyphe glace, elles s'égarèrent dans le blizzard sur la route 217.

Lugia aurait pu les déposer directement à la ciré enneigée car le climat, même glacé, ne pouvait rien face à ses ailes puissantes, toutefois sa maîtresse avait catégoriquement refusé de s'y résoudre. Le temple de Regigigas n'était pas loin, or elle craignait qu'Hercule ne sente sa présence.

Les températures eurent rapidement raison de ses forces et bientôt, elle ne put plus faire le moindre pas en avant. Emeline, qui résistait du mieux qu'elle le pouvait, dut la tirer à demi jusqu'à un bosquet d'arbres, à l'intérieur duquel elle s'efforça de la placer à l'abri du vent.

Une mauvaise surprise les y attendait. Un Ursaring furieux d'être importuné dans ce qui semblait être sa tanière se déchaina sur elle. Avec ses griffes acérés, il pourfendait l'air. L'une de ses pattes puissantes déchira le manteau de Némésis, qui recula juste assez vite pour éviter que sa peau ne subisse le même sort.

- Roserade ! s'exclama Emeline en jetant un Noigrume en l'air.

Son frêle Rozbouton avait évolué jusqu'à son dernier stade à force de s'exercer. Il était désormais devenu une plante solide et robuste, mais le serait-il assez pour supporter les assauts d'une créature aussi féroce que celle qui lui faisait face, surtout dans des conditions si peu adéquates ?

La réponse ne se fit pas attendre. Un Ultralaser le projeta contre le tronc d'un arbre, duquel de la neige s'effondra afin de s'abattre sur lui. Complètement gelé, il devenait inutile dans l'immédiat.

Elle allait appeler Ludicolo, mais elle n'en eut pas le temps. Sous l'oeil impuissant de Némésis, l'Ursaring la frappa à l'épaule. La chair se lacéra sous sa gigantesque patte et du sang gicla jusque sur la neige. Emeline poussa un hurlement de douleur. Sa souffrance détourna un instant son attention de son adversaire, qui lui fut fatal. L'ursidé lui bondit dessus, les crocs dévoilés.

- Non ! s'écria la déesse.

Par instinct, elle tendit la main devant elle. Autrefois, il lui suffisait de cligner des yeux pour déclencher des tsunamis, or voici qu'elle n'arrivait même pas à mettre en fuite un pokémon sauvage. Contre toute attente, pourtant, quelque chose se produisit.

Un éclat lumineux s'échappa de la paume de Némésis pour venir frapper le monstre dans l'oeil. Il poussa un rugissement sonore, puis s'éloigna en courant, dressé sur ses deux pattes arrières.

La pellicule blanche qui recouvrait ordinairement le sol était écarlate. Emeline gisait dans son propre sang. Sa gorge avait été sérieusement endommagée. Elle n'arrivait pas à parler et, lorsqu'elle tentait d'ouvrir la bouche, elle manquait de s'étouffer avec le fluide vitale qui affluait à l'intérieur.

- Lugia ! s'époumona Némésis. Lugia !

Elle savait qu'il pouvait l'entendre, où qu'il soit, à partir du moment où elle le souhaitait. C'était l'un des nombreux avantage que présentait leur connexion perpétuelle. En l'attendant, elle plaqua une main nerveuse sur le cou de la jeune femme. Apparemment, l'artère avait été atteinte. Elle succomberait à son hémorragie bien avant que Némésis n'ait le temps d'essayer quoi que ce soit pour la sauver.

- Ne meurs pas... murmura-t-elle en pressant davantage la blessure. Je t'en supplie, ne meurs pas.

Les grands yeux candides d'Emeline la fixaient. Elle devait la guérir. Elle ne pouvait pas se permettre d'accepter qu'un nouvel humain puisse mourir par sa faute. Autrefois, elle aurait pu refermer cette plaie béante, mais autrefois, elle n'aurait pas non plus eu besoin de se cacher derrière une Confrérie.

Le vent se leva soudain autour d'elle, faisant tomber de la poudre immaculée des branches des arbres. Elle vint se poser sur ses cheveux sombres alors qu'elle tentait toujours de réparer les dégâts causés par son impuissance. Comment elle, Némésis, avait pu en être réduite à cela ? A s'agenouiller sur le sol, à tenter de préserver la vie d'une humaine qu'elle avait délibérément mise en danger.

Les bourrasques se firent de plus en plus intenses. Au fur et à mesure qu'elles gagnaient en puissance, la déesse sentait ses forces l'abandonner, en même temps que le regard d'Emeline s'éteignait. Quelque chose d'étrange était en train de se produire.

La neige se mit à tourbillonner autour du bosquet. Tout ceci n'était pas naturel : les éléments ne pouvaient pas se déchaîner ainsi d'eux-mêmes. Némésis voulut réfléchir à cela, mais elle était si faible qu'elle ne parvenait déjà plus à se concentrer sur la jeune femme qui succombait entre ses bras. Lorsque celle-ci laissa échapper son dernier souffle, la Justice perdit connaissance.

Ce fut un champ mélodieux qui la ramena à elle. Il la guida à travers les limbes de l'inconscience jusqu'à ce qu'elle émerge, haletante, le corps moite de sueur, étendue sur le plumage soyeux de Lugia. C'était lui qui fredonnait doucement afin de la rasséréner. Elle se redressa, hagarde. Ses cheveux étaient en bataille, ses yeux cernés. Cela contrastait avec l'apparence soignée qu'elle arborait habituellement.

- Calme-toi. Tu es en sécurité.
- En sécurité ? As-tu la moindre idée de ce qui s'est passé en bas ?
- Oui. Je me suis occupé d'elle. Ce n'est pas ta faute, Némésis. Elle n'était pas de taille face à ce pokémon.
- Elle aurait dû l'être. Lugia, à quoi servent les glyphes si les humains qui les absorbent restent... normaux ? Ils sont censés évoluer, devenir supérieurs à leur espèce. Cela n'a pas fonctionné.
- Elle n'en a pas eu le temps. Le lien avec son équipe était encore trop faible pour lui permettre de développer les facultés spéciales que tu as prévu pour chacun d'entre eux.
- Je pensais que les noigrumeballs suffiraient à accélérer le processus, mais j'ai eu tort. C'est justement là où le bât blesse, Lugia. J'ai trop souvent tort, en ce moment !
- Parce que tu paniques ! Je t'ai toujours soutenue dans ton projet, mais je ne t'ai jamais dissimulé que je trouvais cela folie d'élever des mortels au rang de demi-dieu.
- Ne crois-tu pas que je devrais abandonner ? Que j'ai assez commis de dégâts ainsi ?
- Némésis, tu as perdu tes pouvoirs et ta dignité en t'échappant des ruines Sinjoh. Tu ne peux pas renoncer maintenant. D'ailleurs, si tu le fais, Maxime et Emeline seront morts pour rien, alors que si tu réussis, tu auras au moins le réconfort de savoir que leur sacrifice aura permis la réalisation de ton objectif.
- Je ne suis pas certaine que cela estompe un tant soit peu ma culpabilité.
- Non, mais ce sera toujours mieux que rien. C'est tout ce que j'ai à te dire. N'abandonne pas. N'abandonne jamais. Tu as neuf siècles de justice à rattraper. Ce n'est pas en renoncer que tu y parviendras.

Le corps de Némésis tremblait. Elle enserra son buste de ses bras afin de s'apaiser. Elle était une légendaire, elle ne pouvait pas perdre le contrôle de ses nerfs. Ce n'était pas dans sa nature.

- Lugia... Tout à l'heure... Je crois... Je crois que...

Elle hésitait à s'exprimer. Avait-elle rêvé ? Elle aurait pourtant mis sa main à couper qu'il s'agissait de la réalité. Avec du recul, toutefois, elle doutait que ceci se soit réellement produit.

- Cela va peut-être te paraître absurde mais, l'espace d'un instant, j'ai pensé que mes pouvoirs étaient revenus.
- Comment cela ?
- Quelque chose a aveuglé l'Ursaring et je suis persuadée que cela provenait de moi. Ensuite... Ensuite, les éléments ont commencé à prendre de l'ampleur, exactement comme j'étais capable de leur en donner jadis. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me sentir faible, au point de m'évanouir.
- Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Essaye.

Bien qu'il ne puisse pas la voir, désormais assise à califourchon sur son encolure, Némésis hocha la tête. Elle ferma les yeux et se concentra sur le bruit du tonnerre. Elle n'était pas Zeus, mais par le passé, elle avait contrôlé son élément avec autant d'aisance que lui.

Rien ne se produisit. Dépitée, elle se laissa basculer vers l'avant jusqu'à ce que sa joue touche les plumes blanches de l'oiseau, contre lesquelles elle laissa échapper un soupir. Décidément, elle ne cessait de faire des erreurs. Son évasion des ruines Sinjoh avait-elle aussi joué sur son discernement ? Dans le fond, elle commencé à le penser.

- Lugia... Comment vais-je former ma Confrérie ? Je suis censée créer des humains d'élite, or ils succombent tous avant d'atteindre le stade où ils seront en mesure de survivre. Obtenir un lien correct avec les pokémon va leur nécessiter des années, sauf qu'ils n'ont pas ce temps devant eux. Il faudrait qu'ils sachent combattre, ou au moins se défendre. Comment pourrais-je leur enseigner cela, néanmoins, quand j'ai besoin d'eux pour assurer la propre protection quand je n'en suis moi-même plus capable ?
- Laisse quelqu'un d'autre le faire à ta place.
- Quelqu'un d'autre ? Qui ? Je suis seule. En dehors de toi, je ne peux compter sur personne.
- Dans ce cas, plutôt que de vouloir à tout prix mettre en place ta Confrérie, invente d'abord un nouveau toi.
- Un nouveau moi ? Que veux-tu dire par là ?
- Apprends à quelqu'un à être comme toi. Ainsi, il pourra former tes élèves au rôle que tu attends d'eux sans avoir nécessairement besoin d'être protégé, contrairement à toi. D'ailleurs, il pourra même prendre soin d'eux jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de prendre soin de toi.
- Si une telle personne existait, je ne perdrais pas mon temps à chercher la fine fleur de l'humanité.
- Qui sait ? Tu ne l'as peut-être pas encore trouvée, tout simplement.

***
- Lâchez-moi ! Allez-vous en ! gronda Némésis.

D'un geste violent du bras, elle tenta de chasser l'Etourvol qui lui picorait méchamment la tête. Trois autres voletaient autour d'elle en lui donnant des coups de bec par intermittence. Sa peau était coupée par endroits, là où ils l'avaient le plus sévèrement atteinte.

Elle essaya de les repousser, en vain. Ils l'avaient agressée alors qu'elle traversait la route 209, l'une des plus hostiles qu'elle avait eu à affronter depuis qu'elle était revenue à Sinnoh. Elle ne pouvait pas appeler Lugia à son secours. En plein jour, c'était trop risqué. Dans un ciel aussi dégagé qu'il ne l'était en ce début de printemps, il ne passerait pas inaperçu.

Elle continua donc de se débattre vainement contre les oiseaux. Ils ne tardèrent pas à avoir raison de sa tenue, que leurs serres lacérèrent en lambeaux, puis de sa détermination. Plutôt que de chercher à les tenir en respect, elle voulut prendre la fuite, néanmoins ils l'encerclèrent pour l'empêcher de s'échapper.

Dire qu'elle, dont la seule mention du nom faisait certainement encore trembler Arceus, était là, à se faire malmener par une horde de volatiles face auxquels elle était incapable de prendre le dessus. C'était inimaginable.

Lugia avait raison. Elle n'était plus de taille à entreprendre quoi que ce soit. Deux innocents avaient perdu la vie parce qu'elle n'avait pas pu s'occuper d'eux convenablement. Quand elle avait créé le premier glyphe, celui de Lilith, le but de la Confrérie était de l'épauler. A présent, ils devaient tout simplement apprendre à devenir ce qu'elle n'était plus. Comment le pourrait-elle, cependant, puisqu'elle n'était pas en état de le leur enseigner ?

Némésis se jeta sur le côté pour échapper à une attaque Aéropiqué qui venait de la prendre pour cible, mais elle trébucha dans la racine saillante d'un vieil arbre noueux et fut précipitée à terre. Couverte de poussière, les mains écorchées, elle se protégea le visage de ses quatre assaillants.

Arceus rirait à gorge déployée s'il la voyait ainsi, de même que tous les autres légendaires, sans exception aucune. Tant qu'elle demeurait cachée, son mythe survivait encore, mais s'ils venaient un jour à découvrir son évasion, sa réputation s'effondrerait en même temps que le peu de fierté qu'elle était parvenue à conserver.

Elle était certaine d'être parvenue à mettre cet Ursaring en fuite sur la route 217. Elle était faible, mais pas folle. L'espace d'un court instant, ses pouvoirs lui étaient revenus. Bien qu'elle n'ait pas réussi à les utiliser à nouveau durant les mois qui s'étaient écoulés depuis lors, elle ne désespérait pas qu'un miracle se produise.

- S'il vous plaît... murmura-t-elle. Vous ne pouvez pas m'abandonner. Pas quand j'ai à ce point besoin de vous. S'il vous plaît...

Son regard se durcit quand elle fixa les oiseaux, prêts à lui crever les yeux. Ils allaient fondre sur elle dans une action parfaitement coordonnées lorsque, soudain, leurs ailes se recouvrirent d'une pellicule de givre. N'étant plus aptes à se maintenir dans les airs, ils s'écrasèrent sur le sol où ils s'empressèrent de fuir, leurs serres laissant de fines empruntes dans la terre.

Némésis se redressa prudemment. Avait-elle réussi ? La dernière fois, rassembler son énergie, s'il s'agissait bien de ce qui s'était produit, avait entraîné une perte de connaissance chez elle. Là, elle ne sentait aucune différence.

Cela n'avait rien d'étonnant puisqu'elle n'y était strictement pour rien. Ce n'était pas ses pouvoirs qui étaient intervenus, mais un jeune homme aux cheveux bleus soigneusement coiffés, à côté duquel se tenait le Farfuret à l'origine de l'attaque. Il avait un visage doux, des prunelles sombres et un maintien raffiné. Il se dirigea vers elle, la main tendue afin qu'elle puisse y prendre appui.

- Tout va bien, mademoiselle ? Comment vous sentez-vous ? s'enquit-il d'une voix profonde.
- Humiliée, avoua Némésis, car c'était la vérité. J'ai honte de m'être laissée dominer par de simples Etourvol.
- Ils vous ont acculés, vous ne pouviez rien faire. Seul un pokémon aurait pu vous tirer de ce mauvais pas mais, visiblement, vous n'en possédez aucun. Est-ce que je me trompe ?
- Votre sens de la déduction est admirable, monsieur. Vous avez raison sur toute la ligne. Puis-je connaître le nom de mon sauveur, je vous prie ?
- Je m'appelle Niklaus Andersson, et ce fut un véritable plaisir que de vous venir en aide... Mademoiselle ?
- Cassidy. Juste Cassidy.

Son interlocuteur se pencha vers l'avant pour lui prendre la main et l'effleurer galamment du bout des lèvres. Une expression affable se lisait sur ses traits lorsqu'il déclara avec son charisme naturel :

- Je suis ravi de vous rencontrer, même si j'aurais préféré que cela se fasse sous de meilleures auspices. Mais pardonnez-moi ! Je manque à tous mes devoirs. Vous semblez si échevelée qu'au lieu de perdre mon temps en politesse, je ferais mieux de vous conduire au Centre Pokémon.
- Non !

Némésis s'emporta un peu au moment de répondre et sa réaction excessive parut dérouter le dénommé Niklaus. D'après ce qu'Emeline avait eu le temps de lui rapporter sur la civilisation moderne, la médecine, de même que la technologie, avait fait des progrès ahurissants en l'espace de quelques siècles. Qui savait si l'une de ces infirmières Joëlle, comme ils les appelaient, ne serait pas capable de deviner qu'elle n'était pas réellement humaine, en dépit de son apparence ?

- C'est très aimable de votre part, mais je ne suis pas certaine que cela en vaille la peine. Ce ne sont que quelques blessures superficielles, rien de bien grave. Dans une semaine, cela ne paraîtra déjà plus.
- Je ne veux pas me montrer insistant, néanmoins je pense que vous devriez au moins désinfecter vos plaies. Cela permettrait de limiter les risques d'infection, surtout si vous ne mettez pas de pansements. Nous ne sommes pas très loin d'Unionpolis, où se trouve mon appartement. Je le mets à votre disposition.
- Vous êtes décidément trop obligeant, monsieur.

Hélio lui répondit par un sourire avant de lui offrir son bras, autour duquel elle passa le sien, meurtri par les oiseaux. Au moins, il lui assurerait une protection suffisante le temps pour elle de quitter cette redoutable route.

Elle comprenait mieux pourquoi Darkrai avait choisi d'enfermer ici le Spiritomb rassemblant les âmes des Gijinkas défunts de Lilith. Personne n'oserait s'aventurer aussi loin que l'endroit où se trouvait le vieux puits, et encore moins dans ses profondeurs.

Unionpolis avait bien changé. Elle avait toujours été la plus grande cité de Sinnoh, mais il s'agissait désormais de ce que les humains appelaient une métropole. Aucune ville, parmi toutes celles que Némésis avait traversées jusqu'à présent, n'équivalait à celle-ci. Elle était aussi immense que sublime.

Hélio la conduisit sur le campus de l'université, où il résidait. Il occupait une chambre dans l'un des bâtiments construits à l'intention des étudiants. Son logement n'était pas très grand, mais il paraissait accueillant.

Il se composait d'une grande chambre savamment aménagée avec un coin bureau où il pouvait travailler et d'une salle de bain exiguë qui ne contenait que le strict minimum, à savoir une douche et un lavabo. Les toilettes, elles, étaient communes à l'étage et se trouvaient donc sur le palier.

- Désirez-vous une tasse de café ? proposa Hélio.
- Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité.
- Pensez donc, puisque je vous le propose.

Némésis consentit à accepter, bien que les denrées humaines n'aient aucun intérêt à ses yeux. Pendant qu'il branchait une cafetière sur son meuble de rangement, elle s'isola dans la salle de bain afin de nettoyer le sang coagulé qui avait coulé de ses blessures.

- Si vous avez besoin de compresses et de désinfectant, vous trouverez tout sur l'étagère.

La déesse jeta un regard dans la direction indiquée, avant de secouer la tête. Elle était tombée bien bas, mais pas au point de risquer quelque chose d'aussi banal qu'une infection. Elle était une légendaire, après tout. Il en fallait beaucoup plus pour l'abattre, en dépit de son état actuel.

Le simple fait de songer à cela la rendait folle de rage. Elle était la seule capable de juger Arceus, or elle perdait son temps à tenter de réunir une Confrérie qui ne verrait peut-être jamais véritablement le jour, tout cela parce qu'elle n'était plus physiquement apte à s'opposer à lui. Il la balayerait d'une pichenette le moment venu.

Sans s'en apercevoir, elle avait serré ses mains sur la bordure du lavabo. De l'eau froide continuait à s'échapper du robinet ouvert, bien qu'elle ait terminé de se nettoyer. Lorsqu'elle releva brutalement la tête en direction de miroir, celui-ci vola en éclats dans un bruit de verre brisée.

De surprise, Némésis laissa échapper un cri. Hélio, alerte, ouvrit aussitôt la porte malgré ce que la bienséance lui imposait. Son regard passa de la déesse aux fragments qui jonchaient le sol à ses pieds. Il l'observa, intriguée, alors qu'elle-même affichait l'incompréhension la plus totale.

- J'ignore ce qui vient de se passer, justifia-t-elle. J'étais en train de regarder l'état de mes coupures quand soudain, la glace a comme... explosé.
- Ce n'est pas grave, ce n'était sûrement pas de la bonne qualité, voilà tout. Une chance que vous n'en ayez pas reçu un morceau dans l'oeil.

Némésis l'approuva d'un hochement de tête. Elle regagna la chambre tandis qu'Hélio s'emparait d'une balayette et d'une petite pelle afin de nettoyer les dégâts. Sans même lui demander la permission, elle s'assit sur la chaise positionnée face au bureau et se mit à réfléchir.

Un miroir ne se brisait pas si aisément, aussi fragile qu'il soit. Quelque chose l'y avait forcé aidé. Se pouvait-il... Se pouvait-il qu'il s'agisse de son oeuvre ? Avait-elle encore usé de ses pouvoirs qu'elle était pourtant censée ne plus posséder, exactement comme face à l'Ursaring ?

C'était la seule explication valable à ses yeux. Dans ce cas, étaient-ils en train de revenir progressivement ? Cela faisait deux décennies qu'elle s'était échappée des ruines Sinjoh, autrement dit presque rien dans la vie d'une légendaire. Fallait-il simplement laisser au temps l'occasion de guérir ses maux ?

Une odeur douce-amère de café embaumait la pièce lorsqu'Hélio revint s'occuper de son hôte. Il ne s'offusqua pas de la trouver assise et l'invita même à ne pas se lever pour prendre sa tasse, qu'il lui porta lui-même. Il s'assit sur un angle du lit, où il vida la moitié d'une dosette de sucre dans son breuvage.

- Alors, mademoiselle Cassidy, que faisiez-vous sur la route 209 seule, si ce n'est pas indiscret ? Les panonceaux avertissent qu'il s'agit d'un chemin très ardu, en particulier pour les novices ou les non-dresseurs. Pourquoi ne pas avoir suivi le tracé principal, presque sans danger ?
- Je... Je faisais des recherches, affirma Némésis. Je parcours les régions dans l'espoir de percer leurs secrets.
- Y parvenez-vous ?
- J'aurais tort de me plaindre, même si ces derniers temps, j'accumule les échecs, un désagrément que je n'avais jamais connu jusqu'à présent. Et vous, Niklaus, quelle est votre occupation, dans la vie ?
- J'étudie. J'ai intégré la faculté d'Unionpolis il y a un an de cela, parce que d'aucun dise qu'il s'agit de la plus prestigieuse. Je compte me spécialiser dans les légendes de Sinnoh, même si la mythologie générale me fascine.
- Vraiment ? Vous vous intéressez à la mythologie pokémon ?
- Oui, et ce depuis que je suis enfant.

Les lèvres de Némésis s'étirèrent en un sourire carnassier qu'elle s'empressa de dissimuler dans sa tasse afin de ne pas effrayer son interlocuteur. Tout ceci était fort intéressant.

- Dites-moi... Avez-vous déjà entendu parler de la légende des Confréries ?

***
- J'ai fait des recherches à la bibliothèque, annonça fièrement Hélio lorsqu'il retrouva Némésis dans le parc du campus.

Elle avait décidé de s'établir un moment à Unionpolis, le temps pour elle de parvenir à ses fins. Cet homme, assoiffé de découverte et de connaissance, était exactement le genre de personne dont elle avait besoin pour réaliser l'idée de Lugia. Comme sa gentillesse frôlait parfois la naïveté, elle n'avait aucun mal à le manipuler.

- Tu as raison. Certains textes anciens mentionnent bien l'existence potentielle d'humains légendaires, même si c'est rarement présenté de façon explicite. Comment as-tu découvert cela ? Si tu ne m'en avais pas parlé, ce détail ne m'aurait jamais sauté aux yeux.
- Ce sont simplement des mythes que nous nous transmettons de génération en génération. Nous enquêtons là-dessus depuis des siècles.
- Pourquoi ? questionna Hélio alors qu'ils s'asseyaient sur un banc où ils seraient plus à leur aise afin de discuter.
- Parce que mon objectif, comme celui de mes parents avant moi et de mes grands-parents avant eux est de réunir la nouvelle Confrérie.
- Tu veux dire, celle qui est destinée à s'opposer à Arceus ?

Némésis acquiesça d'un hochement de tête. Par chance, Hélio était un homme d'une rare intelligence, sans quoi elle aurait sûrement perdu patience. Elle avait toujours refusé de traiter les humains comme des êtres inférieurs, contrairement au Créateur, mais parfois, elle ne pouvait s'empêcher de songer qu'ils étaient extrêmement lent à la réflexion.

- Tu crois vraiment qu'un groupe de simples mortels pourra le vaincre ?
- Pas le vaincre. Personne n'a parlé de cela. Il est question de justice.
- Comment ? C'est l'Alpha. Il n'y a personne au-dessus de lui.
- La légende demeure floue sur le sujet. Toujours est-il que, si les dix-sept glyphes sont amenés à être réunis, il parait qu'un guide apparaîtra pour leur montrer le chemin.

Ce qu'elle entendait surtout par là, c'était que dès qu'Hélio aurait formé son armée sur ses conseils subliminaux, elle prendrait la relève le moment venu. Evidemment, sans elle, les humains ne pourraient rien faire, mais sous ses ordres, elle était convaincue que même Arceus tremblerait face à eux.

***
- Les Gijinkas ? Tu ne m'avais jamais parlé d'eux, jusqu'à présent.

Némésis et Hélio étaient assis dans l'herbe, l'un à côté de l'autre. Le jeune homme avait insisté pour lui offrir une crème glacée à la vanille, qu'elle mangeait sans appétit. Jusqu'à présent, il n'avait rien soupçonné d'étrange chez elle et elle ne tenait pas à ce qu'il ait une raison de le faire.

- C'est parce qu'il n'y en a plus. Arceus les a fait disparaître de la surface de la Terre jusqu'au dernier.
- Je ne comprends pas... Quelle est la différence entre tes desseins et ceux de Lilith ? Elle aussi a voulu créer sa propre armée pour s'opposer à l'Alpha.
- Elle cherchait à se venger, cela n'a rien à voir. Si l'occasion lui avait été offerte, elle n'aurait pas hésité à le tuer. Ce n'est pas ce que je désire. Le monde a besoin d'un guide. Le rôle de la nouvelle Confrérie est de ramener l'équilibre et de faire régner la justice, pas de mener une vendetta.
- J'ai un peu de mal à saisir pourquoi des humains ont été choisis pour cette quête alors que les Gijinkas doivent être beaucoup plus performants qu'eux dans tous les domaines.
- Les Gijinkas sont des abominations abjectes qu'Arceus a eu raison d'éradiquer. Il a sûrement commis de nombreuses fautes dans son existence, mais je ne saurais lui donner tort sur ce point. A sa place, j'en aurais fait de même.

Hélio pencha doucement la tête vers l'arrière afin de contempler les rayons du soleil qui venaient caresser la pelouse du campus. Dans un geste presque imperceptible, il rapprocha sa main de celle de Némésis, jusqu'à ce que ses doigts effleurent les siens. Elle les retira promptement et relança aussitôt la conversation.

- Seuls les Succubes et les Incubes peuvent permettre de créer des hybrides, or eux aussi ont disparu.
- Pas forcément, je suis certain que la science serait capable de...

Au regard noir que la déesse lui jeta, Hélio s'interrompit aussitôt. Pour elle, les Gijinkas étaient contre-nature, une atteinte à l'équilibre qu'elle cherchait justement à atteindre. Elle voulait une harmonie respectueuse entre les espèces, pas perverse comme celle que Lilith avait instauré dans sa propre existence.

Elle voyait bien que son interlocuteur brûlait de lui poser d'autres questions, mais elle avait su l'arrêter à temps. Il n'était pas question que naisse en lui une fascination pour des créatures aussi monstrueuses. Non seulement cela serait malsain mais, de surcroît, cela pourrait nuire à ses plans.

Au cours des jours qui suivit, il tenta de la relancer sur le sujet, qu'elle s'efforça d'éluder jusqu'à ce qu'Hélio ait raison de sa patience, une qualité pour laquelle elle n'était pas réputée. A ce moment-là, elle haussa le ton, ce qui ne lui était pas arrivé depuis son emprisonnement :

- Ne me fais pas regretter de t'avoir parlé des Gijinkas, c'est clair ? La période où ils semaient la terreur pour le compte de Lilith est terminée, révolue. Je ne veux plus jamais que tu abordes ce sujet.

Elle s'abstenait bien de préciser que seul le fait d'être captifs du Monde Inversé les empêchait de semer à nouveau le trouble sur Terre, ainsi qu'ils l'avaient fait autrefois. A cause de l'intérêt inattendu d'Hélio pour les hybrides, elle s'efforça également de ne plus mentionner le nom de la reine des Succubes et des Incubes devant lui.

Cela contrariait ses objectifs, puisque sa Confrérie ne saurait être complète sans Lilith, néanmoins il valait mieux renoncer temporairement à mettre celui qui devenait inconsciemment son bras droit sur sa piste. Il ne savait même pas qu'elle était à ce jour l'unique porteuse de glyphe.

- Tiens, le temps s'est couvert, remarqua Hélio. En plein mois de juillet, c'est étrange.

A peine prononça-t-il ces mots qu'une puissante averse éclata au-dessus du campus. Némésis leva les yeux en direction du ciel. Des nuages noirs s'étaient accumulés sur Unionpolis et déversait à présent des trombes d'eau. Dans sa poitrine, son coeur battait la chamade à cause de son agacement.

- Je...

Elle secoua la tête. Elle n'arrivait pas à le croire et pourtant... Elle sentait cette énergie ancestrale planer autour d'elle. Le climat n'avait pas changé par hasard : il s'était obscurci en même temps que son humeur.

Elle inspira profondément, jusqu'à faire ralentir ses pulsations. La pluie s'atténua au fur et à mesure qu'elle recouvre son calme. Une poignée de minutes plus tard, le soleil brillait à nouveau, comme si rien ne s'était passé.

- Alors cela... souffla Hélio, ébahi. Nous pouvons dire que c'est étonnant !
- Sûrement l'oeuvre d'un pokémon.
- A part un légendaire, je ne vois pas lequel pourrait avoir la puissance d'altérer à ce point la météorologie. Penses-tu que cela puisse être l'oeuvre de l'un deux ? Lugia n'est-il pas l'oiseau de la tempête ?
- Lugia est captif, je te rappelle.
- Il s'agissait d'une simple suggestion mais, bien sûr, j'ai été sot de la faire. Tu en sais beaucoup plus que moi sur le sujet.

Il lui proposa ensuite de retourner à son appartement, car l'averse soudaine les avait trempés jusqu'aux os. Némésis hésita un instant à accepter, mais finit par céder devant son insistance. Au moins, plus elle passait de temps avec lui et plus elle pouvait s'assurer qu'il accomplirait ses desseins à la perfection.

***
Elle ne s'était pas trompée : ses pouvoirs revenaient. Durant les semaines suivantes, elle réussit même à faire appel à eux, alors qu'ils s'étaient manifestés jusqu'à présent de façons totalement impulsives. Elle ne parvenait jamais à les utiliser bien longtemps, ni avec une puissance équivalente à celle d'autrefois, mais elle se sentait rassurée de ne plus se savoir totalement démunie.

Elle en arrivait même à se demander si elle avait encore besoin d'Hélio pour parvenir à ses fins. Désormais, elle n'était plus vulnérable, elle pouvait se prendre en main elle-même. Etait-elle toutefois capable de former des humains pour autant ? Elle en doutait.

Ce matin-là, elle attendais Hélio devant la porte de son appartement. Il lui avait donné rendez-vous à dix heures précises, mais il était en retard. Ce n'était pas dans son habitude de ne pas faire preuve de ponctualité, toutefois il s'excusa lorsqu'il arriva enfin en précisant que son cours de zarbi avait duré plus longtemps que prévu.

- Je suis heureux de voir que tu as pu venir, précisa-t-il.

Il la serra brièvement dans ses bras afin de lui témoigner son affection, mais Némésis demeura frigide. Elle n'esquissa pas un sourire, ne battit même pas des paupières. Elle n'avait accepté son invitation que parce qu'elle avait besoin de lui parler.

- J'ai découvert quelque chose de fabuleux, hier soir. Un texte écrit en Ancien Langage. Si tu ne m'avais pas enseigné ce dialecte, je n'aurais jamais pu le traduire et...
- T'a-t-il appris quelque chose de nouveau ? demanda-t-elle d'une voix blasée, car elle ne partageait pas son enthousiasme.
- Pas vraiment. En fait, il mentionnait simplement Arceus, donc rien que tu ne m'aies pas déjà raconté.
- Niklaus, je...

Némésis s'interrompit alors qu'elle avait à peine prononcer le début de sa phrase. Elle hésitait. Elle ne savait pas comment s'y prendre pour formuler le fond de sa pensée. Elle avait l'habitude que les gens exécutent ses ordres aveuglément mais, en l'occurrence, la situation était différente. Elle considérait Hélio comme un cas à part.

- Je vais partir, finit-elle par avouer.
- Pour combien de temps ?
- Je... Définitivement.

Le jeune homme, qui était en train de déballer une barre de céréale, cessa aussitôt son geste pour la regarder. Elle affichait une expression neutre, contrairement à lui qui laissa déjà exprimer sa peine.

- Pourquoi ? demanda-t-il, incrédule.
- Je n'aurais même jamais dû rester aussi longtemps à Unionpolis, il faut que je me mette à la recherche des glyphes.
- Rien ne presse. Tu as encore toute ta vie devant toi pour les trouver.
- Celles de mes ancêtres n'a pas suffi, alors je ne peux pas me permettre de m'attarder davantage. Je dois le faire, tu comprends ? C'est mon devoir.
- J'aimerais t'aider. Comment puis-je m'y prendre ?

Le regard de Némésis se mit soudain à pétiller mais, abattu par la nouvelle de son départ comme il semblait l'être, il ne s'en aperçut même pas. Elle avait réussi : elle l'avait emmené précisément là où elle voulait.

- Il y a un moyen. Tu pourrais m'être utile si... tu acceptais de les former.
- Les former ?
- Oui. Même si j'en trouve un, je devrais aussitôt me lancer à la recherche du suivant et je ne pourrais pas les préparer mentalement et physiquement à la tâche qui leur incombe. Toi, tu peux me rendre service. Dès que je trouverai un glyphe, je l'enverrai vers toi, d'une façon ou d'une autre. Tu connais toute l'histoire, ce sera à toi de leur la transmettre. Peux-tu faire cela pour moi ?

Hélio acquiesça d'un hochement de tête, puis se rapprocha de Némésis pour prendre ses mains blanches entre les siennes, plus hâlées. Il plongea ses yeux dans ses prunelles ténébreuses et murmura :

- Te reverrais-je un jour ?
- Je ne crois pas.
- Alors, il ne me reste plus qu'à te souhaiter bonne chance dans ton entreprise.

Il avança doucement son visage vers le sien et déposa un baiser sur ses lèvres, qu'elle garda clauses, même si elle ne fit rien pour le repousser. Quand il se fut éloigné d'elle, ses traits n'avaient pas changé, ils étaient toujours aussi froids que le marbre. Hélio, lui, paraissait gêné.

- Je compte sur toi, Niklaus. Ne me déçois pas.

***
- Et tu m'as déçue.

Hélio baissa la tête alors que Némésis restait parfaitement stoïque face à lui, dans cet univers immatériel qu'étaient les limbes. Elle ne paraissait ni furieuse, ni magnanime. Elle conservait simplement un air neutre.

- Comment aurais-je pu savoir qui tu étais ? murmura-t-il.
- Tu n'avais pas à le savoir. Personne ne savait. Aux yeux du monde entier, je suis encore captive aux ruines Sinjoh.
- Je voulais seulement... Je pensais que la Confrérie ne parviendrait pas seule à ramener l'équilibre, alors...
- Alors tu as décidé d'en créer un nouveau. Niklaus, si j'avais voulu détruire la Terre, j'aurais trouvé une façon de le faire, crois-moi. Mon but est de juger, pas de tuer. C'est trop facile d'agir comme tu l'as fait, cela ne mène nulle part. Il faut apprendre de ses erreurs, pas les effacer.
- Je... Que vas-tu faire, alors ? Me châtier ?
- Tu as déjà reçu ta punition. Je t'avais mis en garde contre les Gijinkas, mais ils te sont montés à la tête. Tu n'as pas pu t'empêcher de désirer contrôler une armée d'hybride afin d'asseoir ce que tu espérais voir devenir ton ordre parfait. Je ne vais pas plaindre ton sort. Tu t'es condamné de toi-même en agissant comme tu l'as fait. Si tu t'en étais tenu à la tâche à laquelle je t'avais astreinte, rien de tout cela ne serait arrivé.
- Pourquoi ne m'as-tu jamais dit que Lilith se terrait dans le Monde Inversé ?
- Je l'aurais fait. J'aurais été obligée de le faire tôt ou tard, puisqu'elle porte le glyphe spectre. Quand j'ai vu, toutefois, que tu étais irrémédiablement attiré par les Gijinkas, j'ai choisi de garder le silence.
- Et est-ce le hasard si mon fils, Sylvain, Katharina et Eric sont également des membres de ta Confrérie ?
- Le hasard, peut-être. Sauf si l'on part du principe que c'est le destin qui m'a mis sur ta route.
- Tu le savais, le jour où tu m'as rencontré ?
- Non. Il faut que la sphère scintille au contact de l'humain pour qu'il soit compatible. Je ne pouvais donc pas le deviner avant leur naissance.
- Que vas-tu faire, désormais ?
- Par ta faute, ma Confrérie est divisée en deux camps et je crains que, s'il y a de l'espoir pour la roche et les ténèbres, il n'y en ait aucun pour l'insecte. Les disputes entre frère et soeur ne se résolvent pour ainsi dire jamais. Artémis et Apollon se font la guerre depuis des siècles.
- Tu peux toujours interférer. Avec ton talent de persuasion, tu aurais tôt fait de les réconcilier.
- J'en serais incapable. Lilith est de retour, désormais. Elle a établi une sorte de connexion avec le dragon et elle lui rapporte tout. Je suis convaincue qu'elle saura la prendre en main pour en faire une meneuse digne de ce nom le moment venu. Quant à moi, je ne dois pas me révéler à elle. Elle en avertirait ses alliés et cela parviendrait aux oreilles d'Athéna tôt ou tard, car elle sait toujours tout.
- Alors... Quel sort attend l'humanité ?
- Celui qu'Arceus lui réserve, tant que je ne suis pas prête à intervenir, et la paix si je réussis mon entreprise, malgré les difficultés qui s'obstinent à se dresser en travers de ma route.
- Et moi ? Que me reste-t-il à faire, désormais ?

Némésis esquissa un sourire, puis s'écarta. Derrière elle brillait une lumière éclatante qui semblait s'intensifier de seconde en seconde. Elle la désigna par un gracieux mouvement du poignet.

- Tu dois t'en aller. Ton temps sur Terre est écoulé. Rassure-toi, ton oeuvre n'aura pas été veine. Tu as fait ce qu'il fallait, d'une certaine façon : tu as donné au dragon l'envie au dragon de se battre.
- Cassidy... Némésis, j'ignore comment je dois t'appeler. Me pardonnes-tu ?

Hélio s'était immobilisé à mi-chemin de la source aveuglante afin de lui poser cette question. Elle resta silencieuse quelques secondes, durant lesquelles elle se contenta de l'observer, puis déclara d'une voix neutre, presque froide :

- Ce n'est pas de mon ressort. Je me contente de juger. Le pardon relève des sentiments et je n'ai pas le droit d'en éprouver.

Cette réponse le blessa profondément. Elle fut même plus douloureuse que le coup de couteau infligé par Lilith. Pendant toutes ces années, il avait aimé une femme, une déesse dont il était inconsciemment devenu la marionnette. S'il n'était pas déjà mort, la nouvelle l'aurait certainement tué.

Némésis ne le quitta pas des yeux alors qu'il parcourait les derniers mètres restants. Lorsqu'il atteignit le halo, il s'immobilisa une fraction de seconde, prit une profonde inspiration et le traversa, sans un regard vers l'arrière.