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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 11/05/2015 à 19:57
» Dernière mise à jour le 29/05/2015 à 20:20

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 6 : Le grand fossé

Le grand fossé - La fée Clochette


Ce bonus prend place entre le chapitre 157 (départ de Léa) et le chapitre 171 (retour de Léa).


- Keuf, keuf !

Léa s'effondra à genoux sur le dos de Latias et vomit une gerbe d'eau qui éclaboussa les vêtements déjà trempés de Circé. Celle-ci échangea un regard blasé avec Artémis. La chasseuse haussa les sourcils avec dédain, puis déclara :

- Je ne comprends pas pourquoi tu as voulu t'encombrer avec cela.
- Si Zeus arrive à m'avoir, je ne tiens pas à emporter mes secrets avec moi dans la mort.
- Tu aurais pu les confier à n'importe laquelle d'entre nous. Scathach, Lilith, moi...
- Non, pas à vous. Il veut votre tête à vous aussi, alors qu'il ne soupçonnera pas qu'une simple humaine puisse partager mon savoir.

Léa leva les yeux dans leur direction, la gorge brûlée par l'eau de mer qu'elle venait d'ingurgiter, à l'instar de ses yeux. Poséidon avait submergé le Paradis Fleuri dans un puissant tsunami et elles ne s'en étaient tirées de justesse que grâce à Latias, sur le dos de laquelle elles avaient sauté juste à temps.

Elle essora ses cheveux blonds imbibés d'eau, puis entoura son buste de ses bras car elle grelottait. Il ne faisait pas réellement froid, mais elle avait peur de tomber malade étant donné qu'elle était toute mouillée.

- Jamais vu de créatures aussi faibles, grommela Artémis.

Elle était assise sur l'encolure de Latias, ses longues jambes musclées pendant dans le vide de part et d'autre, alors que Circé se trouvait juste dans son dos, le visage orienté sur celui de sa jeune disciple.

La chasseuse avait raison : elle avait sûrement choisi la plus frêle du groupe d'humaines qui s'était présentée à elle. Seul son lien avec les plantes avait motivé sa décision, sans quoi elle aurait sûrement opté pour la brunette qui commandait aux dragons ou la grande blonde, celle qui ne portait aucun glyphe.

- Tu te sens mieux ?

Ces mots durent forcer ses lèvres pour qu'elle les prononce. Elle n'avait jamais été très loquace et un millénaire de solitude n'avait rien arrangé à cela. L'empathie était une qualité qu'elle était à des lieues de posséder.

Léa, pour toute réponse, secoua la tête de gauche à droite. Le goût de sel iodé qu'elle gardait en bouche lui donnait la nausée, d'autant qu'elle continuait encore de toussoter par intermittence. Elle était loin de se sentir bien.

- Avale cela, ordonna Circé après avoir fouillé dans les nombreuses poches de sa longue robe noire.

Elle lui tendait une feuille d'arbre épaisse, striée de nervures caoutchouteuse. La fillette hésita à la prendre. Elle n'avait pas confiance en cette femme, mais en même temps, elle savait qu'elle n'allait pas l'empoisonner. C'était justement de cela qu'elle venait de sauver Tina.

Elle prit le végétal et le mordit. Ses dents tranchèrent sa membrane, qu'elle mâcha longuement. Le goût qui s'en échappait était acide, pourtant elle eut l'impression de sentir ses nausées s'atténuer plutôt qu'empirer.

- C'est un anti-vomitif, commenta Circé. D'ordinaire, il faut le faire bouillir avec un peu de sel pour qu'il soit réellement efficace, mais cela suffira pour le moment. Termine-le.
- Vous connaissez vraiment par coeur toutes les plantes, ainsi que leurs fonctions et leurs capacités ? s'enquit Léa, un peu admirative.
- Bien sûr. Tel est mon rôle au sein de l'univers et, quand j'en aurai fini avec toi, tu seras capable d'en faire de même.

La coordinatrice l'observa un instant, puis baissa les yeux. Elle avait agi pour le mieux en choisissant de se sacrifier pour Tina, cependant elle redoutait de découvrir dans quel fâcheux univers elle venait de mettre les pieds.

***
- Dépêche-toi, veux-tu ?

Léa soupira d'une façon silencieuse, mais apparemment pas assez puisque Circé lui jeta un regard noir par-dessus son épaule. Bien qu'elle soit beaucoup plus forte qu'elle physiquement, elle lui laissait toujours le soin de porter son nécessaire à potions qui était presque aussi lourd qu'elle.

La fillette aurait aimé protester, cependant elle n'en avait pas le courage. Elle était trop timide pour oser braver une humaine légendaire. Cassy ne leur avait jamais vraiment parlé de Lilith, mais elle en savait assez pour savoir qu'il ne fallait pas contrarier des personnes de leur trempe.

- Il suffit. Arrêtons-nous ici.

Elles marchaient depuis des heures. Au début, Circé oubliait de manière récurrente que sa disciple n'étant qu'une mortelle ordinaire, elle avait besoin de dormir et de se nourrir pour continuer d'être en bonne santé. Léa le lui avait rappelé à plusieurs reprises et, à présent, elles faisaient des pauses pour lui permettre de se reposer, mais jamais suffisamment ni fréquemment à son goût.

- Va chercher du bois sec pour allumer un feu, ordonna sèchement la femme.

Sa disciple s'exécuta docilement. Elle abandonna sa trousse sur le sol, puis s'éloigna entre les arbres de la Forêt de Jade. Elle ne discutait pas les ordres, surtout pas ceux qui lui permettaient d'être loin de Circé un moment.

Sans être méchante, elle était autoritaire et rigide, ce qui déplaisait fortement à Léa. Elle se disait qu'elle ne revivrait jamais les fous rires qu'elle partageait avec Tina, ni l'insouciance de son enfance qu'elle avait déjà un peu perdue avec la Confrérie. Quand elle de retrouvait seule, elle songeait à tout cela et ses souvenirs lui donnaient la force d'avancer. Elle en avait grand besoin.

Elle n'avait pas pensé que son apprentissage se déroulerait si près de la civilisation humaine, encore moins dans sa région natale. Elle avait bien eu l'idée de s'enfuir à une ou deux reprises, mais le courage lui manquait. Qui plus est, Circé lui avait donné une potion au Paradis Fleuri censée l'en empêcher.

Elle prit tout son temps pour rassembler un assortiment de branchages, puis le ramena dans la clairière où la divinité avait consenti à s'arrêter. Elle les déposa à ses pieds, puis celle-ci alluma un feu sans prononcer le moindre remerciement. A ses yeux, la soumission de Léa lui était acquise et ne méritait aucune gratitude.

- Pourquoi Kanto ? demanda la fillette en mordant dans l'une des baies qu'elle avait ramassé en chemin. Je croyais que vous fuyez Arceus. Ce n'est pas un peu trop "commun", comme cachette ?

Circé n'était pas particulièrement loquace. A part pour lui donner des ordres ou lui indiquer le nom d'une plante, elle ne parlait pour ainsi dire jamais. Une heure par jour, elle lui enseignait comment préparer diverses potions et lui enjoignait de tout noter dans le calepin qu'elle l'avait envoyé acheter à Argenta. En dehors de cela, elle ne prononçait pas le moindre mot, pourtant elle ne refusait pas de répondre à ses questions.

- Parce qu'il fallait bien aller quelque part, maintenant que mon île a été engloutie par Poséidon, et que Kanto est la région dans laquelle il a le moins d'espions. Seuls les Oiseaux nichent ici, quand ils ne sont pas en train de survoler l'univers ou auprès de leur maître.

Léa n'insista pas. Malgré sa curiosité naturelle, elle était peu incline à faire la conversation à cette femme dont elle était davantage la prisonnière que la disciple. Elle détestait plus souvent Circé qu'elle ne l'admirait parce que celle-ci la retenait à ses côtés contre son gré.

Une ou deux fois, elle avait interrogé la divinité sur le temps qu'il lui faudrait passer avec elle, mais elle avait toujours élagué sa réponse en se contentant d'affirmer que tout dépendrait de la durée de sa formation.

Plus les jours passaient et plus la porteuse du glyphe plante s'étiolait. Elle se sentait mal, loin de sa vie, de sa famille, de son monde tout entier. Ici, elle avait l'impression d'être à des kilomètres de cela, alors qu'elle en était pourtant si près. Elle avait perdu le goût de vivre. Chaque matin, elle mettait un long moment à se lever car elle n'en trouvait plus la motivation et finit progressivement par arrêter de manger.

Cette dépression ne dura pas longtemps : son corps n'y résista pas. Elle tomba rapidement malade et dut demeurer plus d'une semaine couchée dans une grotte, auprès d'un feu de bois crépitant. Cela agaça profondément Circé, qui redoutait de rester au même endroit par crainte d'être repérée par Arceus.

- Voilà où tes sottises t'ont menée, marmonna la Maîtresse des poisons en lui faisant avaler un breuvage amer. Tu aurais dû t'alimenter convenablement.
- Pas envie...

La voix de Léa était faible, exactement comme elle. Elle avait perdu beaucoup de poids, si bien que son visage s'était émacié. Son teint était livide, ses yeux ternes. Elle ressemblait presque à un mort-vivant.

- Pas envie ? Comment cela, pas envie ?
- Veux rentrer chez moi.

Ses paupières étaient lourdes, mais à chaque fois qu'elle croyait de les fermer, Circé lui tapotait les joues et la forçait à rouvrir la bouche pour terminer d'ingurgiter le contenu brûlant de son écuelle.

- Nous avions un marché, il me semble. Ta vie en échange de celle de ton amie. Tiens-tu à reprendre ta parole ?
- De toute façon, vous ne me laisserez jamais partir.
- Non, c'est exact. Tu es cependant la seule responsable du temps que tu perds. Une fois que tu auras acquis tout mon savoir, tu retourneras paisiblement chez toi et moi, je serai assurée de perpétuer mes connaissances.

Léa ne releva pas. Ainsi, cela ne dépendait que d'elle. Plus vite elle apprendrait tout ce que Circé avait à lui enseigner, plus vite elle la quitterait. Elle regretta en cet instant de ne pas posséder l'intelligence d'Emilien, elle qui n'avait jamais été très douée pour étudier à l'école, malgré des résultats corrects.

Grâce aux potions concoctées par l'humaine légendaire, elle se rétablit plus rapidement qu'elle ne pouvait l'imaginer. Elle retint par la même occasion la recette des décoctions qu'elle avait avalé durant sa maladie, ainsi que les plantes nécessaires à leur composition. Si Circé était satisfaite de ses efforts, elle n'en laissait rien paraître.

***
- La leçon du jour sera un peu différente des précédentes.

Léa observa son interlocutrice avec étonnement. Depuis des semaines, désormais, son emploi du temps était le même : le matin, elle effectuait des croquis de plantes diverses dans son calepin et l'après-midi, elle préparait des potions qu'elle laissait toujours trop infuser pour la plupart.

- Je veux voir ce que tu vaux.
- Ce que je vaux ? répéta-t-elle, interloquée. C'est-à-dire ?
- Si je perds un temps précieux à t'enseigner tout cela, ce n'est pas pour qu'Arceus te tue dès que je t'aurai relâchée dans ton monde. Montre-moi si tu es capable de te défendre.

La fillette hésita un instant, puis dégaina l'une des pokéballs qu'elle gardait toujours à sa ceinture. Circé tira une fleur de Gracidée de la poche de son manteau qu'elle jeta à Shaymin. Il l'attrapa dans sa gueule et se métamorphosa aussitôt pour prendre sa forme céleste. En remarquant le Ceribou que sa disciple avait appelé à ses côtés, elle leva les yeux au ciel.

- Tu es sérieuse ?
- Je vous demande pardon ?
- Tu as vraiment l'intention de m'affronter avec un seul pokémon ? Comme tu es naïve ! Libère les six, ordonna la divinité.
- Les six ? Mais... Ce n'est pas loyal.
- Loyal ? J'espère que tu plaisantes. Je te parle de survivre et toi, tu me parles d'être loyale. Permets-moi de t'informer que les deux sont incompatibles. On ne te demande pas d'offrir un combat honnête à ton adversaire. S'il veut te tuer, tous les moyens lui seront bons pour parvenir à ses fins. Si tu veux lui échapper, tu dois agir exactement de la même façon.
- Est-ce ainsi que vous vous en êtes sortie face à Arceus durant toutes ces années ?
- Tu ne le connais pas. Tu ignores tout de lui. Tu as pitié des tourments que Lilith désire lui infliger ? Crois-moi, ce n'est même pas le quart de ce qu'il mérite. C'est un être abominable, vil et lâche.
- Pourquoi ? Pourquoi tant de colère uniquement parce qu'il l'a bannie ?
- Il y a des vérités que tu n'es pas prête à entendre. Tu es encore beaucoup trop humaine pour cela. A présent, en garde.

Léa mit un bonne dizaine de secondes à réagir, puis jeta ses cinq autres pokéball en l'air. Florizarre, Empiflor, Rosélia, Phyllali et Cacnéa apparurent devant elle, en rang serré. Circé les jaugea du regard avec une expression dédaigneuse, mais n'émit pas le moindre commentaire. Elle se contenta d'intimer à Shaymin d'avancer, d'un seul geste.

Avant même que l'adolescente n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche, le pokémon cactus était déjà mis hors de combat par une attaque Feuillemagik. Alors qu'elle ordonnait à son Phyllali de répliquer avec Lame-Feuille, c'était à présent au tour d'Empiflor de s'écrouler.

En dépit de son apparence inoffensive, même sous sa forme céleste, le légendaire était redoutable, à la fois rapide et puissant. Il frappait vite et bien. Pour que son Ceribou réussisse à l'atteindre, Léa dut se résoudre à provoquer une diversion avec son Rosélia qui ne s'en releva pas. Les Tranch'Herbe qui le heurtèrent laborieusement ne le blessèrent même pas.

Elle ne voulait pas capituler, même s'il lui fallait regarder la vérité en face : le toucher avait déjà été un miracle en soi. Elle ne pouvait rien espérer de plus. Comme pour donner raison à ses pensées, Shaymin exécuta un looping durant lequel il lâcha deux Eco-sphères. La première eut raison de Phyllali, la seconde de Florizarre.

- C'est terminé, informa Circé au moment où Ceribou s'apprêtait à subir le même sort. Et c'est surtout pitoyable.

Léa rappela l'ensemble de ses pokémon vaincus et celui qui tenait encore debout se précipita vers elle afin de se placer à l'abri de ses jambes. Elle baissa les yeux plutôt que de répliquer quoi que ce soit. Elle ne s'était pas trompée : le combat était déloyal, mais l'équilibre avait penché en sa défaveur. Son équipe était au complet, pourtant Shaymin les surpassait nettement.

- Il va falloir que tu améliore cela également. En plus des plantes qu'il te faudra continuer à étudier, je t'enseignerai comment te battre.
- Je sais déjà le faire, trouva le courage de répliquer la jeune fille. Face à des créatures normales.
- Sauf que ce ne sont pas de créatures "normales" que tu risques d'avoir à affronter. Tu n'es plus dans ton monde, désormais, mais dans celui des légendaires. A toi de te mettre au niveau, sinon tu te feras croquer.

Léa ne releva pas. Elle n'avait jamais été une combattante aguerrie, pas comme Cassy Marion ou Chloé, mais elle s'était tout de même vaillamment battue à l'époque des Concours, sans quoi elle n'aurait jamais arraché le titre de Top-Coordinatrice de Sinnoh. Sa marge de progression était-elle si vaste que cela ?

***
- Soigne-les, ordonna Circé.

Ses pokémon gisaient sur le sol et Shaymin voletait autour d'eux, l'air penaud. Il obéissait à sa maîtresse, toutefois cela semblait le mettre mal à l'aise de causer de la peine à Léa. Celle-ci s'entrainait avec acharnement depuis des semaines, pourtant elle ne parvenait toujours pas à lui infliger le moindre dégât.

Elle s'accroupit au niveau des créatures blessées et arrangea l'élastique de ses gants afin de les utiliser quand la légendaire l'interrompit d'un claquement de langue. L'air méprisant, elle agita son index de gauche à droite.

- Pas comme cela. Tu sais comment faire, désormais.

Léa avait très envie de grommeler, mais elle s'en abstint. Elle attrapa sa gourde d'eau presque vide et marcha jusqu'à la rivière à proximité de laquelle elles s'étaient établies depuis la veille afin de la remplir.

Circé lui avait appris à fabriquer un breuvage équivalent aux Rappels que l'on trouvait dans les Boutiques. Une seule gorgée suffisait à ramener le pokémon à lui et à le régénérer en partie.

Elle possédait désormais son propre nécessaire à poison, ainsi qu'une petite bourse contenant le strict minimum qu'elle conservait autour de son cou. Elle avait à sa disposition tout le matériel nécessaire pour préparer cette composition.

Elle avait un peu de mal à mémoriser toutes les recettes que Circé lui enseignait, mais elle distinguait désormais les plantes les unes des autres. Pour le reste, elle s'aidait de son calepin, dans lequel elle notait les quantités, ainsi que les étapes de préparation. Cela s'avérait fort utile.

Elle avait découvert qu'il existait des potions pour à peu près tout. D'un simple envoûtement à un poison capable d'ôter définitivement le sommeil à une personne jusqu'à ce que celle-ci meurt d'épuisement, rien n'échappait à la règle.

Cet apprentissage était passionnant, pourtant elle ne s'y acclimatait toujours pas. Circé n'était pas la personne la plus loquace de son entourage, or elle avait besoin de se sentir entourée. Ce n'était pas avec celle qui semblait être la plus froide des légendaires qu'elle risquait d'éprouver cela.

Tina lui manquait terriblement, plus que quiconque. Elles avaient grandi ensemble à l'Ecole, fait leur voyage initiatique ensemble... Elle était là lorsqu'elle avait remporté de justesse le titre de Top-Coordinatrice de Sinnoh.

Une larme glissa le long de sa joue pour se mêler à l'eau agitée de la rivière par-dessus laquelle elle était penchée. Elle abandonna sa gourde dans l'herbe pour s'agenouiller et se mettre à sangloter doucement, presque silencieusement.

Elle resta un long moment ainsi. Des minutes, peut-être même des heures, durant lesquelles elle ressassa le passé dans sa tête, un passé qui lui paraissait terriblement lointain. Sa plus grande crainte était que les autres l'aient oubliée. Cassy, Tina, Marion, Chloé et Esméralda se souvenaient-elles encore d'elle ? Elle l'espérait.

- Qu'est-ce que tu fais ? gronda soudain Circé. Cela fait déjà un moment que tu es partie.

Léa sursauta. Perdue dans ses pensées et emportée par sa mélancolie, la maîtresse des poisons lui était totalement sortie de l'esprit. Elle se tenait dans son dos, les mains sur les hanches. Elle tourna vers elle ses yeux rougis.

- Tu as du travail. Dépêche-toi.

L'adolescente ramassa sa gourde, la fixa à sa ceinture, puis se leva avec maladresse car ses jambes tremblaient. Elle passa tête basse devant la légendaire, qui lui emboita le pas sans ajouter le moindre mot pour l'escorter jusqu'au campement.

Léa s'affaira au-dessus d'un bol à réduire une herbe médicinale en bouillie et la fit infuser dans l'eau qu'elle venait d'aller chercher. Pendant ce temps, elle jeta dans un autre récipient plusieurs ingrédients en pêle-mêle, qu'elle aspergea de jus de baie Oran. Enfin, le breuvage fut terminé.

Ses pokémon retrouvèrent de l'énergie sitôt qu'elle leur en donna une petite portion. Heureusement pour elle, il n'en fallait pas beaucoup pour les régénérer car elle en perdit une bonne partie à cause des soubresauts nerveux dont sa main était parcourue.

Circé l'observait en silence. Elle remuait les braises du feu à l'aide d'une longue branche qui lui faisait office de tisonnier et dont l'extrémité était noircie par les flammes qui la léchaient.

- J'ai terminé. Je peux me reposer, à présent ? s'enquit Léa d'une toute petite voix.

Elle obtint pour seule réponse un hochement de tête affirmatif. Si la déesse ne se montrait pas plus loquace qu'au premier jour, elle respectait davantage sa condition d'humaine qui la rendait beaucoup moins résistante qu'elle.

La jeune fille vint s'installer près du feu, en direction duquel elle tendit les doigts pour se réchauffer. Après quelques minutes d'immobilité, elle tira une baie de sa poche, qu'elle croqua afin de se sustenter. Circé étant végétarienne, elle devait suivre son exemple et se nourrir exclusivement de végétaux.

Elle avait fini sa maigre pitance depuis un moment quand son chagrin la reprit. Des larmes vinrent poindre dans ses yeux alors qu'elle se remettait à sangloter. D'abord doucement, cela se mua rapidement en une véritable crise de désespoir.

La maîtresse des poisons poussa un soupir exaspéré, au contraire de Shaymin qui se pelotonna contre sa cheville dans l'espoir de lui apporter un quelconque réconfort. Un regard noir de la légendaire le contraignit à reculer précipitamment. Elle se leva, les mains dans le dos, et se mit à arpenter le campement en faisant les cent pas.

- Arrête de pleurer, intima-t-elle soudain.

Léa hoqueta de surprise, tenta de ravaler sa peine, mais cela lui fut impossible. Au contraire, sa tristesse sembla même s'accentuer à l'écoute de cette instance. Elle se mit à haleter, car l'oxygène commençait à lui manquer, et ses joues se teintèrent de rouge.

- Arrête ! cria Circé.

Cette fois, l'effet fut immédiat. Elle cessa aussitôt. La légendaire ne criait jamais, même lorsqu'elle était en colère. Elle se montrait toujours froide, cassante et bien souvent très dure, sans parler de son autorité naturelle dont elle ne se départait pas, mais c'était la première fois où elle haussait le ton.

- Que les choses soient bien claires : je ne veux pas de cela. Tes caprices, tu les oublies. Désormais, tu n'es plus une enfant, tu n'es même plus une humaine. Tu es ma disciple. Seuls les faibles pleurent.
- Je suis faible. Je ne suis pas comme vous, trouva le courage de répliquer Léa. Je suis certaine qu'Arceus vous a créés sans la moindre faille, mais pas nous. Nous, nous sommes... ses erreurs. C'est d'ailleurs pour cela qu'il nous hait autant, non ?

Circé cessa aussitôt ses allers et venues devant le feu pour l'observer de son regard obscur. Ses mains se délièrent. Elle en porta même une à son cou, qu'elle massa fébrilement.

- Vous n'êtes pas... des erreurs, avoua-t-elle après une hésitation, comme si cela lui en coûtait. Du moins, pas à l'origine. En revanche, il en a commis d'autres. Beaucoup d'autres, mais vous, vous n'en avez pas toujours fait partis à ses yeux.
- C'est à cause de Lilith, n'est-ce pas ? Parce qu'elle est humaine.
- Arceus n'a pas toujours détesté Lilith. Au contraire, il fut même un temps où il l'appréciait.

Léa ouvrit des yeux aussi ronds que des Voltorbe tant sa surprise fut grande. Arceus ? Aimer la reine des Succubes et des Incubes ? Cassy avait à maintes reprises mentionnée la haine farouche qu'ils semblaient nourrir l'un envers l'autre et elle ne pouvait concevoir qu'il en soit autrement. Elle n'oubliait pas qu'il avait même dépêché l'un de ses sbires aux Colonnes Lances pour tenter de la tuer.

- Cela t'étonne, non ? Ce n'est pas surprenant : plus personne ne parle jamais de ce temps révolu.
- Pourquoi ?
- Parce que trop de choses ont changé, depuis lors, et tout le monde sait que rien ne deviendra jamais comme avant.
- Vous ne m'avez jamais donné l'impression d'estimer Lilith. Pourquoi avoir choisi son camp, dans ce cas ?
- Sa cause me semblait juste, affirma Circé. Arceus n'aurait jamais dû la traiter comme il l'a fait et surtout, je ne supportais pas son désir de tout commander, de tout régir. Parce qu'il est à l'origine du monde, il est convaincu qu'il possède un droit de vie et de mort sur lui. Nous voulions lui montrer que ce n'était pas le cas.
- Nous ? Combien êtes-vous, en tout ? Trois ?
- Non. Inari a caché son jeu pendant longtemps, mais si Lilith dispose d'une alliée fidèle et loyale, il s'agit bien d'elle. Satan aussi la soutiendra toujours, quoiqu'il arrive. Il est de ceux qui haïssent le plus Arceus. Rajoute Scathach à cela et tu obtiendras le clan des renégats.
- En réalité, je ne connais pratiquement aucun d'entre vous et ces noms ne me disent rien du tout.
- Vraiment ? Lilith ne vous a jamais parlé de cela ?
- A Cassy, peut-être. C'est la seule avec laquelle elle entrait en contact.
- Dans ce cas, nous allons pallier à ce manque de culture, affirma Circé avec ce qui s'apparentait le plus à un sourire.

***
- Dans les jours à venir, tu vas avoir l'occasion de me prouver ta valeur.
- Vraiment ? s'exclama Léa, stupéfaite.
- Oui. J'ai une mission de la plus haute importance à te confier. En revanche, je vais avoir besoin de ton entière confiance.
- Pourquoi cela ?
- Parce que tu vas lever l'ensorcellement qui te rattaches à moi.

L'adolescente fronça les sourcils. Elle était à la fois honorée que Circé lui confit une tâche conséquente, mais également un peu surprise. Ce sortilège ne devait être brisé qu'à la fin de sa formation, or elle en était loin. Cela ne laissait rien présager de bon.

- Quelle est cette mission ? interrogea-t-elle en tentant de masquer le trémolo de sa voix.
- Tu vas retourner à Sinnoh. Seule.

Le sang de Léa ne fit qu'un tour. Depuis qu'elle se trouvait en compagnie de la légendaire, celle-ci avait évité cette région comme la peste par crainte d'y être localisée par Arceus. La jeune fille partageait ses craintes, d'autant plus s'il lui fallait s'y rendre sans la moindre protection.

- Et si ses sbires me capturent ? répliqua-t-elle, angoissée. S'ils me repèrent et qu'ils me torturent pour remonter jusqu'à vous ?
- Tu n'es qu'une simple humaine, tu ne représentes aucune menace pour Arceus. Il perdrait du temps en envoyant ses larbins s'en prendre à toi.
- Je n'en suis pas parfaitement convaincue.
- Vraiment ? Alors réfléchis. A chaque fois que vous avez eu affaire à eux, dans quel contexte était-ce ?
- Aux Colonnes Lances, pour la libération de Lilith, et sur votre île. Vous avez raison. Ils ne nous ont attaquées que parce que nous étions sur le chemin qui les séparait de vous.
- Si tu n'as aucune autre objection, voici ce que je projette pour toi. Tu vas te rendre à Vestigion, dans ce... QG de la Team Galaxie, comme tu l'appelles, et tu vas récupérer mon grimoire.
- Votre grimoire ? Comment pouvez-vous être certaine qu'il se trouve là-bas ?
- Ton amie la Succube m'a soutenu qu'il y avait de fortes chances pour que ce soit le cas le jour où nous nous sommes rencontrées.
- Cassy n'est pas une Succube et elle peut se tromper. Le livre était aux mains de l'organisation, cependant ils ont pu le dissimuler n'importe où.
- Retrouve-le, dans ce cas. Retrouve-le, quel qu'en soit le prix à payer.
- Pourquoi ? Que contient-il de si capital ? Vous semblez connaître par coeur toutes les plantes, toutes les recettes... Pourquoi avoir besoin d'un vieux grimoire ?
- Une fois en ta possession, je te le dirai. Pour l'heure, tu as du travail. Une potion de séparation t'attend.

***
- Je déteste cet endroit... Je déteste cet endroit...

Léa ne cessait de grommeler cette phrase alors qu'elle errait, une lampe de poche à la main, dans les couloirs du bâtiment désaffecté. Elle regrettait déjà d'avoir accepté de rendre ce service à Circé. Elle avait beau savoir qu'Hélio et Eric étaient morts, elle redoutait quand même de croiser qui que ce soit sur sa route.

Tous les membres de la Team Galaxie n'avaient pas été tués durant l'assaut des Gijinkas et quelques nostalgiques pouvaient être revenus dans leur base secrète. Le premier nom qui lui vint à l'esprit fut celui de Sven. Le psychopathe. Elle se souvenait de lui mieux que quiconque, avec sa fourberie darkrainique, son arrogance naturelle et son regard obscur. A cette seule réminiscence, elle sentit son échine se hérisser.

Elle inspira profondément. Elle n'avait aucune raison de paniquer, les lieux étaient déserts. Pas un bruit ne troublait le silence, à l'exception de l'écho de ses pas. Une épaisse couche de poussière grisâtre recouvrait le sol blanc, sur lequel elle laissait des traces. Avec un peu de chance, le temps les recouvrirait avant que quelqu'un ne les remarque.

Elle avait laborieusement coupé le générateur d'énergie du bâtiment afin de désactiver le système de fermeture électronique des portes. Elle regrettait que Tina ne soit pas à ses côtés : grâce à ses pokémon, elle commençait à s'y connaître en électricité et elle aurait sûrement était plus rapide qu'elle pour cela.

Elle balaya les alentours du faisceau lumineux de sa lampe. Tous les recoins du QG se ressemblaient. Elle avait déjà fouillé les laboratoires, de même que la plupart des appartements. Il restait encore des affaires des sbires qui vivaient autrefois ici. Ils n'étaient sans doute jamais revenus les chercher.

Léa se demandait comment Cassy avait supporté de vivre ici. Les lieux étaient trop blancs, trop modernes... Elle-même n'aurait jamais pu s'y acclimater. De toute façon, elle n'aurait pas non plus fait d'alliance avec la Team Galaxie, mais il fallait reconnaitre que sa famille n'en faisait pas partie pour que cette pensée lui effleure l'esprit.

Elle s'épargna l'inspection de ce qui semblait être les cuisines et la salle de restauration. Ce serait vraiment le dernier endroit où quelqu'un s'aviserait de dissimuler un livre, surtout aussi précieux que le manuscrit de Circé.

Elle se mordit la lèvre en songeant à la réaction qu'aurait la légendaire si elle se représentait devant elle les mains vides. Elle avait été claire sur ce point : sans le livre, ce ne serait pas la peine de revenir.

Léa pouvait en profiter pour s'enfuir, à présent que le sortilège qui la liait à la légendaire était levé, mais elle craignait ses représailles si cette dernière s'apercevait de sa défection. Qui plus est, une part d'elle-même n'avait pas envie de la trahir. Après tout, Circé n'était pas si désagréable que cela et elle comptait sur elle. Elle devait lui rendre ce service.

Quand elle en eut assez de marcher seule, elle appela son Ceribou pour qu'il lui tienne compagnie. Niché sur son épaule, il dégageait un parfum paisible et rassurant, exactement ce dont elle avait besoin.

Elle avait quasiment passé tous les étages au peigne fin, en vain. Elle s'apprêtait à baisser les bras quand elle se souvint que Cassy avait mentionné une fois l'existence d'une bibliothèque. Elle contenait les livres les plus rares et c'était là-bas qu'elle avait découvert le but véritable de la Chaîne Rouge, de même que le réel objectif de ceux qu'elle servait.

C'était sa dernière chance de mettre la main sur le grimoire et elle le savait. S'il n'était pas dans cet endroit, elle désespérerait de le trouver. Une pensée lui effleura l'esprit alors qu'elle se mettait à chercher cette pièce sécurisée. Le seul moyen qu'elle aurait, après cela, de rapporter le livre serait de le demander à un membre de la Team Galaxie.

Sylvain. Cassy avait toujours fait l'éloge de son cousin et de son intégrité. Selon ses propos, il n'était pas méchant, et pour le peu qu'elle en avait vu aux Colonnes Lances, quelque chose lui disait que c'était la vérité. D'un autre côté, la porteuse du glyphe dragon faisait également confiance à Sven, or il en était certainement le moins digne.

Elle rangea cette possibilité dans un coin de sa tête. Avec un peu de chance, elle n'aurait pas à en arriver à une telle extrémité qui la condamnerait à solliciter l'aide de l'un de ses anciens ennemis.

Elle finir par découvrir la bibliothèque, ou du moins la porte en acier qui y conduisait. Le système de sécurité ne fonctionnait plus sans courant, mais elle se trouvait tout de même devant un accès blindé. Elle ne perdit pas une seconde.

- Phyllali, Cacné, Empiflor, Rosélia et Florizarre, sortez tous ! Plaie-Croix, Poing Boost, Giga Impact, Puissance Cachée, Damoclès ! Et toi, Ceribou, Retour !

Dans des moments comme celui-ci, elle regrettait de ne pas avoir un don semblable à celui de Cassy. En combat, le sien ne lui servait strictement à rien, or le souffle du dragon lui aurait permis de défoncer aisément cette porte. Par chance, les attaques combinées de ses pokémon suffirent à tordre assez le métal pour qu'elle puisse se faufiler de l'autre côté.

L'assaut avait sérieusement ébranlé les murs et elle craignit un instant de voir le plafond lui tomber sur la tête, mais le bâtiment paraissait solide, en dépit de son récent manque d'entretien.

Elle pénétra dans la pièce exiguë, où les murs étaient tapissés de livres dans leur intégralité. Il s'agissait d'ouvrages très anciens et la grande majorité d'entre eux ne possédait pas de titre sur leur reliure. Les ouvrir un par un allait lui prendre des heures.

Elle ne se découragea pas. Bien que la tâche soit fastidieuse, elle feuilleta inlassablement ces pavés les uns après les autres. Sa persévérance finit par payer. Elle trouva enfin un manuscrit rempli de recettes de décoctions diverses avec de nombreuses annotations et décorés par des croquis ou des végétaux séchés.

Elle s'accorda un soupir de soulagement. Elle avait réussi à mener sa mission à bien, Circé allait être fière d'elle. Elle se demanda un instant si cela avait de l'importance pour elle et, à son propre étonnement, s'aperçut que oui. Elle voulait que la légendaire reconnaisse son mérite. Pour un peu, elle serait presque honorée d'être son apprentie, un sentiment qu'elle n'avait jamais éprouvé jusqu'à présent.

Sans perdre plus de temps, elle quitta les lieux. Elle avait une longue route à faire avant de retrouver Circé. Pour cela, il lui fallait prendre le ferry à Rivamar pour la conduire à Oliville, d'où elle devrait rallier le Bois aux Chênes, où la divinité l'attendrait.

Elle était partie la veille au soir et avait dormi sur le bateau qui la ramenait à Sinnoh. Epuisée par ses pérégrinations, elle décida d'en faire de même. Elle se pelotonna sur son siège afin de somnoler un peu, bien que l'après-midi soit à peine entamé. Elle voulait être fraîche pour sa longue marche à travers Johto.

Le soleil se couchait sur cette région lorsqu'elle atteignit les abords du Bois aux Chênes. Il était assez vaste, à peu près autant que la Forêt de Jade, mais ses arbres, quoique centenaires, n'étaient pas aussi feuillus. Elle espérait ne pas mettre trop longtemps à localiser Circé au coeur de toute cette végétation.

Elle croisa un ou deux dresseurs en chemin, échappa de justesse à la provocation de l'un d'eux en combat, puis s'éloigna des chemins fréquentés. Il était clair que la légendaire ne se trouverait pas à proximité d'un tracé de randonnée.

Elle fouilla l'ensemble du bois pendant plus d'une bonne heure, en vain. Elle finit par s'arrêter, les jambes lourdes, les pieds douloureux, lasse de tourner en rond. Elle s'adossa à un tronc d'arbre pour sortir sa gourde d'eau de son nécessaire à poison. Elle avait bien gagné le droit de se désaltérer.

- Shay...

Le bruit qu'elle perçut fut d'abord si discret qu'elle crut l'avoir rêvé jusqu'à ce qu'il ne se réédite, un peu plus fort. Elle connaissait ce cri par coeur, pourtant il lui fallut quelques secondes avant de réaliser que Shaymin l'appelait.

- Où es-tu ? questionna-t-elle d'une voix forte.

Un bosquet touffu s'agita sur sa gauche. Elle se précipita dans sa direction au moment même où le petit hérisson végétal en sortait en boitillant. Une vilaine estafilade barrait son visage et de nombreuses blessures suintaient sous son pelage. Il avait été salement amoché.

- Que t'arrive-t-il ? Où est Circé ? interrogea-t-elle, paniquée.

Personne ne parlait véritablement le langage des pokémon mais, au fil des semaines, elle avait fini par comprendre globalement celui de Shaymin. Accroupie à sa hauteur, elle étalait un onguent cicatrisant sur ses blessures tandis qu'il s'efforçait tant bien que mal de lui résumer la situation.

Ils avaient été surpris par Njörd alors qu'ils attendaient patiemment son retour. Attaquée en traître, Circé s'était rapidement vue désavantagée. Son légendaire avait fait son maximum pour la protéger, en vain. Malmené par Artikodin, il avait fini par perdre connaissance et s'évanouir dans le fourrée d'où il venait de sortir à l'instant.

- Où sont-ils, à présent ?

La voix de Léa tremblait. Elle était toute seule, avec une créature blessée et une équipe des plus anodines quant un dieu rodait dans les parages. Elle avala péniblement sa salive, tout en jetant un regard anxieux à Shaymin.

- Il faut porter secours à Circé, mais comment ?

L'intéressé secoua la tête pour indiquer qu'il n'en avait pas la moindre idée. Les deux divinités pouvaient être à des lieues de là, si Njörd n'avait pas encore tué celle qu'il semblait considérer comme sa rivale.

- Qu'est-ce que...

Un bruit la fit sursauter. Son sixième sens l'avertit : quelqu'un s'approchait. Elle observa les alentours, paniquée. Elle aurait pu se cacher derrière un arbre, dans un buisson ou même tenter de s'enfuir à toutes jambes, mais la peur la paralysa. Elle fut incapable d'esquisser le moindre geste susceptible de la mettre en sureté.

La seule chose qu'elle parvint à faire fut de porter une main à la pokéball de Ceribou au moment où une silhouette déboucha de derrière un arbre. Un cri d'effroi lui échappa à la vue de la nouvelle venue, tandis que son sang se glaçait dans ses veines.

Armée jusqu'aux dents, du nunchaku calé par une lanière de cuir à sa cheville au bo suspendu dans son dos, sans oublier la longue épée qu'elle portait à la ceinture, elle avait tout l'air d'être une guerrière, plus redoutable encore qu'Artémis. Des cheveux bouclés à la rousseur volcanique cernaient un visage enfantin, clairsemé de petites tâches au niveau de son nez retroussé et rehaussé par deux yeux émeraudes. Son physique inoffensif contrastait avec son équipement mortel.

Elle voulut actionner le mécanisme de la sphère qu'elle cramponnait si fort entre ses doigts que ses jointures étaient devenues livides, mais elle en fut incapable. Par chance, elle réussit à garder l'objet en main, car il aurait pu lui échapper sous la pression qu'elle lui infligeait. Elle se crispait dessus, comme si cela allait suffire à la sauver.

- Shay ! s'exclama soudain Shaymin à ses pieds.

Il ne paraissait pas inquiet le moins du monde. Au contraire, il fixait l'arrivante avec soulagement, presque avec bonheur, même. Apparemment, ces deux là se connaissaient. Il ne fallut qu'une minute supplémentaire pour faire le rapprochement. A son tour, Léa se détendit.

- Scathach ! s'époumona-t-elle.

Elle n'avait jamais vu la légendaire jusqu'à présent, mais son nom était tellement récurrent dans les récits de Circé qu'elle n'eut aucun mal à l'identifier. Sans réfléchir, elle se jeta dans les bras de la guerrière, rassurée. Celle-ci se contenta de tapoter son épaule d'une main ferme avant de déclarer avec pragmatisme :

- Pas de temps à perdre, je suis déjà arrivée trop tard.
- Comment avez-vous su que...
- Je devais la retrouver ici, mais Apollon m'a barré la route. J'aurais pu l'achever s'il n'avait pas laissé échapper l'information qui m'a poussée à abandonner le combat pour venir au secours de Circé.

Léa acquiesça un signe de tête, puis emboita le pas à Scathach. D'après elle, Njörd ne devait pas être loin. Si elles réussissaient à le localiser, elles retrouveraient la maîtresse des poisons par la même occasion.

- Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il ne l'a pas encore tuée ? demanda l'adolescente, la gorge nouée.
- Parce que nous aurions déjà aperçu son corps, il ne s'en serait pas encombré. Elle est en vie.

La guerrière s'immobilisa à l'orée d'une petite clairière, où elle renifla à deux reprises. Léa voulut l'imiter, toutefois elle ne perçut rien d'autre que l'odeur de la sève des arbres et de la végétation humide. Ses sens n'étaient pas aussi développés que les siens pour lui servir en une telle situation.

- Il est passé par ici. Artikodin laisse toujours un effluve très frais sur son passage et je suis certaine que même toi, tu peux te rendre compte que la température a légèrement chuté.

A présent que Scathach a souligné ce détail, Léa constate effectivement que ses poils se sont hérissés sur ses bras à cause du froid ambiant. Plus elles se rapprocheront de l'Oiseau et plus le climat sera polaire.

Shaymin était installé sur l'épaule de la jeune fille pendant qu'elles poursuivaient leur progression. Elle lui avait donné une nouvelle fleur de Gracidée afin de remplacer celle qu'il avait perdu durant le combat, mais il était encore trop faible pour prendre sa forme céleste. Dans quelques minutes, de toute manière, cela ne serait plus du tout possible puisque le soleil aurait disparu derrière l'horizon et qu'il ne pouvait se métamorphoser durant la nuit.

- Là ! s'écria soudain Léa.

Du doigt, elle pointa une plume bleue à la couleur pure. Longue, soyeuse et recouverte d'une fine couche de givre, il ne faisait aucun doute qu'elle appartenait à Artikodin. Scathach dégaina aussitôt son épée, affirmant qu'elles touchaient au but.

- L'autel de Célébi ! Bien sûr, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
- L'autel de Célébi ? répéta l'adolescente, abasourdie. Cet endroit n'est pas un mythe ?
- Tu te tiens à côté d'une déesse guerrière et tu arrives encore à penser que des choses n'existent pas ?

La rousse volcanique l'observa avec les sourcils à moitié froncés et Léa dut admettre qu'elle avait raison. Alors qu'elle se mettait désormais à courir dans le sillage de Scathach qui venait de s'élancer, elle questionna :

- Pourquoi sont-ils partis là-bas ?
- Stratégiquement parlant, c'est le meilleur endroit pour servir les desseins de Njörd. Artikodin ne peut pas se battre dans une forêt, il y est trop à l'étroit, or là-bas, il y a un grand espace dégagé autour de l'autel. Il y a forcément acculé Circé. Si c'est le cas... Dépêche-toi !

La guerrière pressa davantage l'allure, au grand dam de l'adolescente qui peinait à la suivre. Elle l'entraina sur des chemins à moitié dissimulé par la végétation où des branchages s'accrochaient à ses habits et la ralentissaient. Elle trébuchait, enrageait et Scathach finit par la distancer.

Elle comprenait mieux pourquoi peu de gens avaient vu l'autel de Célébi de leurs propres yeux, étant donné qu'il était à ce point difficile d'accès. Elle s'encourageait mentalement et Shaymin, qui frottait sa tête contre son menton, lui donnait du courage. Elle ne devait pas renoncer, surtout en sachant que Circé était en danger.

Enfin, elle rattrapa la déesse qui s'était immobilisée. Une clairière, beaucoup plus vaste que toutes celles qu'elles avaient croisées jusqu'à présent, s'étendait devant elle. Des cris leur parvenaient, de rage et de pokémon. Léa sentit bien avant de le voir Artikodin, car elle se mit à grelotter. La température était certainement tombée dans le négatif.

Sans perdre un instant, Scathach dégaina son épée et se lança dans la bataille. L'adolescente, sur ses talons, hésita un cours laps de temps. La dernière fois, elle avait combiné sa force avec celle de ses amies pour parvenir à vaincre Njörd. Seule, elle n'y parviendrait jamais.

Ce fut le Laser-Glace qui congela le tronc d'arbre à côté duquel elle se tenait qui la motiva à agir. Elle jeta la pokéball de Ceribou dans les airs tout en ce demandant ce qu'un pokémon normal, en particulier un type plante, pourrait bien faire face à l'un des trois Oiseaux.

Elle chercha Circé du regard, en vain. La tâche lui était rendue impossible par le blizzard qui soufflait autour de l'autel et à l'intérieur duquel Scathach s'était jetée, l'arme brandie. Un cri sonore l'invita à lever les yeux vers le ciel. Artikodin planait au-dessus de sa tête, ses serres tranchantes comme des rasoirs prêtes à se refermer sur elle.

Juste à temps, elle recula sous le couvert des arbres et ses immenses pattes se refermèrent sur une branche d'arbre plutôt que sur elle. De colère, il la brisa. Quelques fragments d'écorce tombèrent sur Léa, qui se protégea le visage. Hagarde, elle tremblait de peur.

- C-Ceribou, attaque R-Roulade.

C'était la seule technique susceptible d'être réellement efficace sur le légendaire, car son double-type le rendait vulnérable à la roche. En revanche, son pokémon la maitrisait très mal, lui qui l'avait appris très récemment. Il manqua sa cible d'un bon mètre, alors qu'Artikodin poussait un cri menaçant.

- Feuillemagik ! ordonna Léa en le voyant se rapprocher à nouveau dangereusement. Euh... Tranch'Herbe ! Ball'Météo !

L'Oiseau esquivait avec une facilité déconcertante et lorsqu'il encaissait malgré ses tentatives, il donnait l'impression de ne subir aucun dégât. Tant que Léa demeurerait sous le dôme que formait la cime des arbres au-dessus de sa tête, elle serait à peu près en sécurité. C'était toutefois dans la clairière que le véritable combat se déroulait, mais elle ne pouvait prêter main-forte aux deux légendaires tant qu'il lui barrerait la route.

- Réfléchis... Réfléchis, bon sang !

Le vent lui soufflait dans les oreilles et l'empêchait de se concentrer, or elle devait trouver une solution très vite. Scathach et Circé devaient être aux prises avec Njörd et Shaymin était encore trop faible pour combattre, malgré les facultés de régénérations étonnantes des légendaires.

- Mais oui ! Ceribou, Zenith !

Elle espérait que son pokémon serait assez puissant pour contrer les pouvoirs du dieu et chasser le blizzard de la clairière. Apparemment, ce fut le cas, car un soleil artificiel se mit bientôt à étinceler au-dessus de leur tête. Artikodin, aveuglé, poussa un cri. Léa ne perdit pas un instant. Elle libéra ses cinq autres pokémon pour qu'ils frappent.

Six attaques atteignirent l'Oiseau, qui ne put pas les voir venir. Ils les encaissa de plein fouet et le contrecoup l'obligea à reculer, juste assez pour permettre à l'adolescente de se faufiler dans la clairière sans passer trop près de ses serres.

Le froid reprenait lentement le dessus sur son attaque, mais cela n'avait pas d'importance. Elle lui avait permis de passer, c'était tout ce qui comptait. Elle rappela son équipe au complet, à l'exception d'Empiflor et de Florizarre. Le premier bombarda Artikodin de poison, le second emboîta le pas à sa dresseuse.

Elle voyait désormais Circé, adossée contre un arbre, en très mauvais état. Njörd se battait férocement contre Scathach, qui parait pourtant ses assauts d'une seule main sans la moindre peine. Devinant qu'elle s'en sortait très bien seule, elle se précipita vers la maîtresse des poisons.

- Prépare-moi un régénérant tout de suite, ordonna-t-elle.

Léa sortit son nécessaire de son sac à dos et s'installa sur le sol. Avant de se mettre à l'ouvrage, elle jeta un regard en coin à Artikodin. D'une bourrasque, il venait d'envoyer voler Empiflor contre un arbre. Celui-ci ne se releva pas, sonné. Il ne restait plus que Florizarre pour faire diversion.

Il fut vaincu alors qu'elle n'avait pas encore ajouté le troisième ingrédient à sa décoction. Elle s'apprêtait à appeler du renfort, mais Shaymin bondit de son épaule au même instant. Bien que contraint à rester sous sa forme terrestre à cause du froid ambiant, il avait tout de même recouvrer une part de sa puissance. Son Eco-Sphère atteignit la créature bleue à l'aile.

- C'est bon ! s'exclama Léa. Buvez cela, vite.

Elle tendit une fiole à Circé, qui avala son contenu d'une traite. L'effet fut immédiat : elle se redressa et ses muscles, jusqu'alors à bout de forces, cessèrent de trembler. Scathach les observa par-dessus son épaule.

- Parfait, tu vas mieux. Je m'occupe d'Artikodin. Finis le travail !

Elle lui lança son bo, que la maîtresse des poisons attrapa au vol. A nouveau en pleine possession de ses moyens, elle se rua sur Njörd. Il était temps que la guerrière relève Shaymin, de son côté, car lui-même fatiguait. Ses attaques étaient pratiquement sans effet sur l'Oiseau de glace.

Léa resta bouche bée de voir Scathach affrontait un pokémon, de surcroit un légendaire, à mains nues. Sa lame s'entrechoquait avec ses serres et elle faisait des bonds immenses, bien supérieur à ce dont un humain normal serait capable, pour l'atteindre.

Circé, quant à elle, faisait désormais face à l'albinos. Il parait de son arme ses les assauts enragés. Bien qu'elle ne soit pas aussi souple et gracieuse que son amie, chacun de ses coups contenait une force dévastatrice. Jusqu'à présent, sa disciple ne l'avait jamais vue combattre.

Ils étaient apparemment d'un niveau égal. Léa, inutile, demeurait en retrait, mais conservait tout de même la main sur la pokéball de Ceribou au cas où le duel viendrait à tourner en défaveur de la maîtresse des poisons. Pour le moment, toutefois, elle semblait maîtriser la situation.

Scathach poussa un juron lorsque sa lame, devenue gelée, se brisa. Elle brandit alors un nunchaku, mais Artikodin l'agrippa entre ses pattes crochues pour la soulever de terre par le biais de la chaine en métal et la propulser par le tronc d'un arbre. Le choc fut sévère, pourtant elle s'en releva sans paraître le moins du monde ébranlée.

Soudain, Njörd siffla son Oiseau. Il lui fit signe de battre en retraite, à présent qu'il n'avait plus le dessus, mais Circé ne comptait pas en rester là avec son ennemi de toujours. Elle voulut s'interposer au moment où il s'apprêtait à bondir sur le dos de la créature. Artikodin, devinant son intention, lui décocha un Laser-Glace qui l'atteignit entre les omoplates, permettant au dieu de prendre la fuite.

- Espèce de lâche ! tonna Scathach pendant que Léa se précipitait au secours de la légendaire.

Sa peau avait commencé à bleuir par endroit, au fur et à mesure que la glace se propageait sur et dans son corps. Sa température corporelle chutait dangereusement. Elle était certainement en hypothermie, or la guerrière continuait à tempêter après Njörd qui n'était plus qu'un point dans le ciel au lieu de l'aider.

- Il faut faire un feu, vite ! s'exclama l'adolescente. Elle a besoin d'être réchauffée.
- Elle ne va pas mourir. Il en faut plus que cela pour tuer l'un d'entre nous. Ce qui presse le plus, pour l'instant, c'est de la déplacer.
- Comment comptez-vous vous y prendre ?
- En la portant, il n'y a pas d'autre solution. Est-ce que tu possèdes des pokémon robustes ?
- Non. En dehors d'Empiflor et de Florizarre, je n'en ai aucun capable de supporter son poids et eux-mêmes ne sont pas en état de le faire.
- Aux grands maux les grands remèdes, alors.

Scathach souleva le corps inconscient de Circé entre ses bras pour la charger par-dessus son épaule. Malgré le poids de la légendaire, cela ne sembla pas requérir le moindre effort de sa part.

- Où avez-vous l'intention de l'emmener ?
- Njörd a sûrement dû donner l'alerte. Seul, il ne peut pas grand-chose face à nous deux, mais avec de l'aide, nous serions beaucoup plus mal loties. Bientôt, Suicune parcourra Johto à notre recherche, si ce n'est pas déjà le cas.
- Suicune ?
- Le Chien de Volupté. Elle ne quitte jamais la Tour Cendrée dans laquelle elle vit recluse, mais son légendaire, lui, patrouille régulièrement. C'est vers elle que Njörd se sera tourné pour obtenir de l'aide le plus rapidement possible.
- Comment lui échapper, alors ? Vous ne pourrez pas transporter Circé sur des kilomètres.
- Il nous faut une cachette et je sais où en trouver une. Il y a un puits ancien, à Ecorcia. Personne ne pensera à venir nous chercher en sous-sol.
- Pourquoi cela ?
- Parce que les tunnels sont l'antre d'Hadès, l'un des plus fidèles alliés d'Arceus. Il sait absolument tout ce qui s'y passe.
- N'est-ce pas un peu risqué, dans ce cas ? Se dissimuler aux yeux de Njörd et de Suicune pour se placer entre les griffes d'un légendaire beaucoup plus puissant ?
- Il était encore à Sinnoh il y a deux jours de cela. Il lui faudrait une bonne semaine pour rallier Johto à cause de la lenteur de Groudon, sans lequel il ne se déplace jamais, sauf en cas d'extrême urgence.
- N'en serait-ce pas une ?
- Hadès a beau compter parmi les plus forts d'entre nous, même lui ne se frotterait pas à moi tout seul.

Léa garda le silence quelques secondes, le temps d'assimiler dans son esprit ces dernières informations. Circé lui avait parlé à maintes reprises des autres humains légendaires, mais elle brûlait d'entendre ce que quelqu'un d'autre aurait à lui apprendre à leur sujet.

- Etes-vous si redoutable que cela pour qu'ils aient peur de vous ?
- Pas vraiment, mais je suis toujours le membre des Renégats qui leur cause le plus de fil à retordre. Le seul qui a failli m'avoir jusqu'à présent, c'est Poséidon. Il a réussi à me blesser avec la lame de son trident et m'aurait tué si Créfadet ne m'avait pas sauvée à temps.
- Créfadet ? Je croyais qu'il était enchaîné au lac Courage ?
- C'est le cas. Héra a rattaché les trois Cré's à leur grotte respective, mais ils peuvent toujours en sortir, simplement cela leur cause une immense douleur, et plus ils s'en éloignent ou plus cela dure, plus leur souffrance est intense.
- Ils ont dû endurer mille maux lorsqu'ils étaient aux mains de la Team Galaxie, alors.
- Tu n'as pas idée... Le lien psychique qui me relie à Créfadet m'a avertie de son mal-être, hélas je ne pouvais rien faire. Aphrodite était quasiment pendue à mes chevilles et j'ai eu toutes les peines du monde à lui échapper.
- Aphrodite ? Elle ne fait donc pas partie des légendaires qui vous craignent ?
- Elle s'est toujours considérée comme ma rivale car elle est la troisième des déesses guerrières.
- C'est une guerrière, elle aussi ? Circé m'a affirmée qu'elle possédait le pouvoir de charmer.
- Oui, mais cela ne l'a pas empêchée d'étudier l'art du combat. En réalité, nous sommes quatre à le connaître, mais seulement trois à le pratiquer.
- Qui est la quatrième ?
- Athéna, avoua Scathach avec un demi sourire. Si la situation était différente, je pense que je pourrais l'estimer, mais elle passe trop de temps à couvrir les erreurs d'Arceus sur ordre de son père.
- Comment est-elle ? J'ai un peu de mal à la cerner.
- Je pense qu'elle a un bon fond. En dépit de cela, elle est beaucoup trop neutre à mon goût. Ce n'est pas elle qui nous traquera, sans pour autant empêcher les autres de le faire. Je crois que, dans un conflit comme celui qui est le nôtre aujourd'hui, tout le monde devrait plus ou moins être contraint de prendre parti.

Leur discussion les avait presque conduites jusqu'à la sortie du Bois aux Chênes. La déesse ne semblait pas souffrir du poids mort que représentait Circé dans ses bras. Léa la surveillait d'un oeil inquiet. Elle semblait être encore plus pâle qu'au moment où le Laser-Glace l'avait touchée et sa température corporelle continuait de chuter.

Scathach l'obligea à contourner le village d'Ecorcia afin de ne pas être repérée par ses habitants. Si l'adolescente serait sûrement passée inaperçue, ce ne serait pas le cas de la guerrière à la chevelure flamboyante et aux armes multiples.

Enfin, elles s'arrêtèrent devant l'entrée d'un vieux puits. Une échelle en bois, à l'apparence peu solide, disparaissait dans ses profondeurs ténébreuses. La légendaire s'y engagea la première, une main passée autour de la taille de Circé pour s'assurer de ne pas la laisser tomber durant la descente. Léa la suivit sans réfléchir : elle préférait l'obscurité hostile à un face à face avec Suicune.

Elles arrivèrent dans une galerie humide, où de l'eau suintait des parois pour s'écraser sur le sol dans un goutte-à-goutte régulier. L'adolescente balaya les environs avec le faisceau de sa lampe-torche. Elle sursauta en éclairant un Ramoloss à la queue coupée, mais se rassura en constatant qu'il était parfaitement inoffensif.

- Je crois que cela ne risque rien. Rosélia, utilise Flash !

La créature jaillit de sa pokéball pour illuminer les alentours. Scathach profita de la luminosité nouvelle pour étendre Circé là où la roche paraissait à peu près sèche. Elle l'observa un instant, puis fit signe à Léa de s'approcher.

- Occupe-toi d'elle, je vais remonter à la surface chercher de quoi allumer un feu. Si je ne reviens pas, c'est que j'aurai Suicune à mes trousses et que je m'efforcerai de l'éloigner d'ici.

La jeune fille acquiesça d'un hochement de tête. En attendant le retour de la légendaire, elle s'installa par terre et se délesta de son sac à dos. Elle tira de l'une de ses poches son calepin et, à la lueur émise par Rosélia, le parcourut du regard. Elle y avait noté des dizaines de recette, l'une d'entre elles pourrait peut-être servir à améliorer l'état de la maîtresse des poisons.

Hélas, en dépit de toutes les décoctions dont elle détenait désormais le secret, aucune ne permettait d'augmenter la température corporelle ou de guérir l'hypothermie. Circé avait pourtant des remèdes pour tout, elle était certaine qu'il en existait un, mais elle n'était pas en mesure de le lui communiquer.

Peut-être pouvait-elle tenter d'en fabriquer un ? Elle connaissait les vertus de chacune des plantes contenues dans son nécessaire à poison. En les mélangeant, elle parviendrait sûrement à un résultat. Malgré cela, elle avait trop peur d'essayer. Parfois, si les quantités étaient mal dosées, elles risquaient de devenir toxiques. Elle ne voulait pas courir un tel risque en se lançant dans une parfaite improvisation.

Elle s'apprêtait à ranger sa trousse quand son regard se posa sur l'objet situé tout au fond de son sac et soigneusement enveloppé dans un linge blanc. Bien sûr... Circé n'était pas en état de communiquer, mais tous ses secrets étaient certainement confinés dans son grimoire, que Léa avait précisément en sa possession.

Elle n'était pas certaine que la légendaire l'approuverait de l'avoir lu sans son autorisation, mais la situation sonnait comme un cas d'urgence. Elle posa l'ouvrage ancien sur ses genoux avec précaution et commença à tourner les pages une par une.

Elle tomba sur une recette d'Antigel, très efficace sur les pokémon. Elle la reporta rapidement dans son bloc-notes, bien décidée à l'expérimenter si elle ne trouvait rien de plus spécifique aux humains.

Finalement, elle découvrit une décoction qui semblait être exactement ce qu'il lui fallait. Elle rangea le grimoire, puis sortit de son nécessaire toutes les plantes et les baies qui allaient lui être utile. Il lui fallait en revanche attendre le retour de Scathach pour se mettre à l'ouvrage, car elle allait avoir besoin d'un feu pour porter l'eau à ébullition.

La guerrière revint enfin, les bras chargés de branches sèches. Léa les enflamma à l'aide d'une allumette et entama la préparation. Le silence régnait sur le tunnel dans lequel elles s'étaient. Seul le pelage de Shaymin bruissait lorsqu'il lui donnait de petits coups de langue pour nettoyer le sang coagulé qui avait coulé de ses blessures.

La potion terminée, la jeune fille la fit avaler de force à Circé. L'effet fut rapide : en l'espace d'un quart d'heure, sa température augmenta considérablement, jusqu'à atteindre un niveau presque normal. Sa peau recouvra également des couleurs, bien qu'il fallut attendre encore un long moment avant qu'elle ne revienne totalement à elle.

Apparemment, les pouvoirs régénérants des légendaires fonctionnaient moins bien lorsque leurs maux étaient occasionnés par l'un des leurs. Si la maîtresse des poisons avait été touchée par un Givrali, un Blizzaroi ou tout autre pokémon parfaitement normal, elle serait déjà rétablie depuis longtemps. Artikodin, lui, avait causé des dégâts plus intenses.

- Que s'est-il passé ? questionna-t-elle en se redressant, grelottante.

Elle s'emmitoufla dans la cape dont elle ne se séparait jamais tandis que Léa l'aidait à se rapprocher du feu. Elle étendit ses mains dans sa direction, tout en jetant un regard interrogateur à Scathach.

- C'est la dernière fois que je t'écoute. Si je ne t'avais pas fait le serment de te laisser la tête de Njörd, je l'aurais abattu aujourd'hui et rien de tout cela ne serait arrivé. Artikodin t'a frappée avec son Laser-Glace. Tu es restée inconsciente un bon bout de temps, en hypothermie, mais la petite a réussi à te guérir.

Les yeux sombres de Circé se posèrent sur Léa, qui baissa les siens. Elle se sentait mal à l'aise de devoir lui avouait qu'elle avait dû fouiller les pages de son grimoire pour la soigner. Elle le fit d'une voix chevrotante.

- Dois-je en conclure que tu as réussi ta mission ?

L'adolescente, trop heureuse de ne pas avoir à affronter une réaction plus virulente, s'empressa d'acquiescer d'un hochement de tête et de lui remettre l'objet. Circé caressa d'une main sèche la couverture en cuir de son ouvrage.

- Tu n'aurais pas dû l'ouvrir.
- Je...
- Je sais, tu croyais bien faire, mais cela ne change rien. Tu n'aurais pas dû.

Les traits de Léa s'affaissèrent dans une expression penaude, que la légendaire feignit d'ignorer. Alors que les deux légendaires échangeaient quelques mots entre elles, notamment au sujet du choix de leur cachette, elle s'éloigna d'elles pour aller se coucher. Elle était épuisée par les évènements récents et elle n'avait pas envie de supporter davantage le regard courroucé de Circé.

***
Scathach demeura deux jours avec elles afin d'assurer leur protection le temps que la maîtresse des poisons recouvre des forces et prit congé sitôt que celle-ci lui parut moins vulnérable. Léa et elle reprirent également leur route en direction de Hoenn où elles devaient faire escale pour récolter des plantes tropicales qui ne poussaient que là-bas, car leurs réserves s'amenuisaient.

L'apprentissage de l'adolescente se poursuivait. Elle découvrait la flore de cette région qui, jusqu'à présent, lui était encore inconnue. Au fur et à mesure que les jours passaient, elle engrangeait davantage de connaissances, mais cela ne semblait pas suffire à Circé. Elle voulait également la voir progresser en combat, où son niveau n'augmentait pas.

- Ce qui s'est passé avec Njörd ne t'a donc pas servi de leçon ? demanda-t-elle lorsqu'elle osa protester.

Ses pokémon souffraient des affrontements face à Shaymin, qui étaient de plus en plus durs pour eux. Même si Léa parvenait toujours à les soigner à l'aide de ses gants ou de ses potions, ils recevaient bon nombre de blessures.

- Pourquoi tenez-vous tant à ce que je sois capable de me défendre ? Lorsque vous m'avez envoyée à Sinnoh, vous avez soutenu que Zeus ne perdrait pas son temps avec une mortelle.
- La situation est différente, maintenant.

Circé changea brutalement de ton alors que Léa observait son équipe, en rang derrière elle. La légendaire semblait avoir blêmi et une profonde contrariété se lisait désormais sur ses traits.

- Que se passe-t-il ? Qu'est-ce que vous ne me dites pas ?

La maîtresse des poisons passa une main dans sa chevelure de jais qu'elle secoua, puis arpenta la clairière dans laquelle elle se trouvait, comme à chaque fois qu'elle était énervée ou anxieuse.

- Il y a quelque chose que tu ignores. Tu crois qu'Arceus veut ma mort parce que je fais partie des Renégats ?
- Euh... Oui ? osa répondre Léa avec timidité.
- Tu te trompes. Même Lilith, il ne désire pas la tuer autant que moi.
- Vraiment ? N'est-elle pas censée être celle qui veut sa perte, pourtant ?
- Si, mais l'instrument de la perte d'Arceus, c'est moi qui le détient. Je suis la seule à pouvoir le faire sombrer. Si je suis encore en vie aujourd'hui, c'est uniquement parce que je me suis cachée au Paradis Fleuri. Maintenant, je ne me donne pas une décennie avant qu'il ne mette fin à mes jours.
- C'est pour cela que vous avez tenu à me former ? Pour qu'il reste quelqu'un après vous ?
- Non, parce que je n'aurai certainement pas le temps d'achever ma quête et qu'il faudra que quelqu'un la termine à ma place.
- Pourquoi moi ? Pourquoi pas Lilith ou Scathach ? Elles sont beaucoup plus fortes que moi. Si vous êtes incapable de survivre à Arceus, comment le pourrais-je, moi qui ne suis qu'une humaine ?
- Je vais te donner les moyens d'y parvenir. C'est une course contre la montre dans laquelle je vais te lancer, petite. Tu devras percer le secret d'Arceus avant qu'il ne découvre que je t'ai mis sur sa voie.
- Le secret d'Arceus ? s'étonna Léa. Il a un secret ?

Circé tira son grimoire des plis de sa cape, l'ouvrit, et le tendit à sa disciple. Celle-ci observa la double-page sous ses yeux. Elle ne remarqua rien de particulier. Il s'agissait simplement de notes sur une fleur aux vertus rajeunissantes. Elle interrogea la légendaire du regard.

- Le voici, le secret d'Arceus.
- Il a besoin d'un anti-rides ?

La maîtresse des poisons, totalement dénuée du moindre sens de l'humour, s'approcha dans son dos et passa une main par-dessus son épaule pour caresser la pliure que formait le grimoire au milieu. Léa remarqua alors ce qu'il y avait à distinguer : une page avait été arrachée des années, sûrement même des siècles auparavant.

- Où est-elle ?
- Zeus l'a brûlée et il m'aurait fait subir le même sort si Scathach ne m'avait pas sauvée la vie, une fois de plus.
- Que contenait-elle de si important ?
- Tu n'es pas encore prête à le savoir. Le jour où tu détiendras cette connaissance, ta vie sera mise à prix chez les sbires d'Arceus, exactement comme la mienne.
- Dans ce cas, je ne le découvrirai jamais. Mes pokémon font leur maximum et vous le savez. Ils ne peuvent pas fournir plus d'efforts.
- Non, mais toi oui, indiqua Circé, énigmatique. Je vais t'apprendre un nouveau procédé. Je vais t'enseigner comment inverser la puissance de ton glyphe.

***
Au cours des semaines qui suivirent, Léa travailla cette méthode sans relâche. Elle consistait à ne plus aspirer l'énergie qui se dégageait des attaques plantes pour nourrir ses pouvoirs, mais au contraire transmettre la sienne à ses pokémon afin qu'ils gagnent en puissance. Hélas, malgré sa détermination à réussir, elle ne parvint pas à maîtriser cette technique, sur laquelle Circé semblait pourtant beaucoup compter.

Elle réussit tout de même à atteindre Shaymin à plusieurs reprises, au cours de l'entrainement, et son équipe résistait plus longtemps à ses assauts, mais elle demeurait à des lieues d'une éventuelle victoire sur lui, qui n'était pourtant pas le plus coriace des légendaires.

La maîtresse des poisons désespérait d'en obtenir davantage de sa part dans les combats. Elle avait fini par reconnaitre les efforts qu'elle faisait, mais également par admettre que cela ne menait nulle part.

- C'est fini, déclara-t-elle un matin, alors que Léa émergeait de son sac de couchage.
- Comment cela ? demanda-t-elle d'une voix pâteuse, encore à moitié endormie.
- Je ne peux rien faire de plus. Ma mission première était de transmettre mon savoir et j'ai accompli cette tâche.

Elle était assise sur une vieille souche d'arbre, vêtue d'une longue robe noire qui lui donnait l'apparence d'un Cornèbre menaçant. Elle faisait tournoyer une feuille épaisse entre ses doigts arachnéens et s'exprimait sans la regarder.

- Tu peux rentrer chez toi.
- Mais... Et le secret d'Arceus ?
- Je l'emporterai avec moi. Me taire est le seul moyen que j'ai de te protéger, puisque tu n'en es pas capable par toi-même. Tu sais déjà beaucoup trop, j'espère seulement qu'il ne s'en doutera jamais. Mon mépris pour les humains l'en convaincra sûrement.
- Ecoutez, c'est absurde ! protesta Léa. A quoi bon me former, à quoi bon faire de moi la nouvelle maîtresse des poisons si cela ne sert à rien ?
- Pas à rien. Tu disposes de mon savoir. Je ne voulais pas que mes connaissances se perdent.
- Non, mais vous vous obstinez à me dissimuler la plus importante. Vous venez de le dire vous-même : Arceus ne me soupçonnera jamais. Puisque vous n'avez plus besoin de moi à vos côtés, je retournerai auprès de Cassy. Elle est la plus forte d'entre nous, elle m'apprendra à me battre.
- La Succube ? Elle a beau être le dragon et la disciple de Lilith, même elle ne ferait pas le poids face à l'Alpha.
- Cela vaut la peine d'essayer. Circé... Confiez-moi ce secret.
- C'est beaucoup trop dangereux.
- Je n'ai pas peur. C'est un risque que je suis prête à courir. Comment voulez-vous que je prenne votre relève si j'ignore le détail le plus important ? Je vous en prie, terminez ce que vous avez commencé en me formant. Faites de moi celle qui prendra votre relève.
- Très bien, finit par consentir la légendaire. Assis-toi. Je vais tout t'avouer des dissimulations d'Arceus...