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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 27/09/2017 à 22:55
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 17:58

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre -09 : Actes manqués
Lina avait le nez collé à la fenêtre, contemplant les ravages de la manifestation en contrebas.

La nuit était tombée depuis plusieurs heures sur Omnia, mais les affrontements ne faisaient que commencer. Une véritable marée humaine se déversait dans les rues de la surface, s’écrasant contre les parois des immeubles, brisant les vitrines, renversant les Élitiens qui tentaient de l’endiguer.

Rien n’y faisait ; les boucliers anti-émeutes, les flashballs, les grenades lacrymogènes, rien ne semblait pouvoir arrêter la haine et la colère des manifestants. Lorsque l’un d’entre eux tombait sous les coups de tazer ou de tonfa d’un Elitien, un autre émeutier le remplaçait immédiatement, tirant son camarade des griffes de l’autorité avant de revenir chercher vengeance.

Les Élitiens reculaient inexorablement, incapables de contenir ce qui était définitivement la pire émeute que Lina ait connu de sa vie. Plusieurs manifestants avaient libéré des Pokémon. Ici, un Granbull enragé grognait sur un jeune Elitien dépassé. Là, un Ursaring démolissait la façade d’une enseigne sous les ordres de son Dresseur encagoulé.

Partout, des cocktails molotov explosaient aléatoirement. Il n’y avait pas de meneur, peu de banderoles et les slogans scandés étaient noyés sous les cris de haine, les bruits de l’affrontement et les bris de verre.

Les Elitiens avaient également sortis leurs Pokémon – l’un d’eux avait notamment libéré un Bruyverne qui survolait la foule en tentant de la disperser à l’aide d’ultrasons. Lina s’était écartée de sa vitre, les oreilles sifflantes, jusqu’à ce qu’un manifestant n’ordonne à son Dimoret de s’occuper du dragon.

A présent, la jeune fille regardait la manifestation refluer vers le centre-ville, tandis que les milliers de manifestants s’amalgamaient en un magma massif, s'enfonçant mollement dans le manteau de la pénombre.

Dans son dos, un peu plus loin dans l’appartement miteux qu’elles occupaient, Anastasia dormait à poing fermés – un miracle qui relevait uniquement du Vortex, compte tenu du vacarme dehors.

Edge n’avait jamais rappelé, contrairement à ce que le Rex lui avait annoncé. Au fur et à mesure que la soirée avançait, Lina s’était mise à jeter des coups d’œil de plus en plus fréquents à son téléphone, mais pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, le réseau mobile semblait en rade.

Il en allait de même avec la télévision, aussi la jeune fille s’était-elle contentée d’observer le chaos en contrebas, en barricadant soigneusement la porte.

Quand, enfin, son téléphone se mit à vibrer. Lina décrocha presque instantanément, ayant juste le temps de voir le nom du Rex apparaître à l’écran :

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclama-t-elle, inquiète. Tu avais dit qu’Edge rappellerait !
- Edge est mort. » rétorqua son père adoptif à l’autre bout du fil.

Le cœur de Lina rata un battement. Elle n’avait jamais particulièrement apprécié Edge, avec son physique patibulaire et son côté avare en mots. Mais il les avait protégées, elle et Anastasia, depuis aussi loin qu’elle s’en rappelait ; il avait veillée sur elles, et il avait appris à Lina à tirer au pistolet.

« Que… Comment ?
- Tué par la Résistance.
- Merde.
- Anastasia est en état de se déplacer ? questionna le Rex.
- Non. Bon sang, c’est quoi ce bordel avec les téléphones ? Ils ont tout coupé pour emmerder les manifestants ?
- Si seulement, répondit évasivement son père adoptif. Ecoute, il va falloir que toi et ta sœur quittiez Omnia dès que les trains seront repartis.
- Les trains sont arrêtés ?
- Ça ne va pas durer.
- Bon sang, Duncan, si tu sais ce qu’il se passe, dis-le-moi, merde ! » s’énerva Lina.

Rares étaient ceux qui connaissaient le prénom du Rex – encore plus rares étaient ceux qui osaient l’appeler ainsi, au risque de le mettre dans une colère noire. L’homme accordait une grande importance à dissimuler son identité.

Et pourtant, pour cette fois, le Rex ne lui fit aucune remarque.

« Laisse tomber. Ce n’était pas censé arriver si tôt. »

Lina fut incapable de déterminer s’il parlait des émeutes chaotiques, ou d’autre chose.

« Il faut que vous vous éloigniez de la ville, toi et ta sœur. Prépare vos affaires. Je vais vous acheter une place à bord d’un train pour l’archipel Sogulen.
- Pourquoi est-ce qu’il faut qu’on parte ?
- Parce que c’est la guerre dehors, au cas où tu ne l’aies pas remarqué, répliqua son père adoptif.
- Ou plutôt parce qu’on pourrait nous utiliser contre toi, non ? attaqua Lina, incisive.
- Ecoute-moi bien. Tu n’as aucune idée de ce qui va arriver dans les prochains jours. Le chaos que tu vois dans les rues n’est rien, crois-moi. Alors fais-moi confiance. Je fais ça pour vous mettre à l’abri. »

L’adolescente grommela, mais se tut. Elle qui avait toujours rêvé d’emmener Stasie dans l’archipel Sogulen n’allait certainement pas faire la fine bouche à présent qu’elle voyait enfin une occasion de fuir l’enfer pollué de la surface.

« C’est temporaire ?
- Non. »

Elle l’entendit soupirer à l’autre bout du fil.

« Non, ça sera définitif. Je te fournirai l’adresse de l’endroit et toutes les informations sur le trajet. Là, il va falloir que j’y aille.
- Ok. Je vais préparer la valise.
- Je ne pense pas que l’on se reverra. Bonne chance, Lina. Sache que je suis désolé. »

Et avant qu’elle ait pu répondre, il raccrocha.

Eberluée, la jeune fille fixa son téléphone, pas vraiment sûre de savoir ce qu’elle devait ressentir. Elle avait envie de se réjouir de la nouvelle de leur départ imminent – enfin, après toutes ces années, son projet se concrétisait, et elle allait pouvoir soustraire sa sœur à cet amas de béton crasseux qui la rendait malade !

Oui, elle aurait pu se réjouir – mais plus que la mort d’Edge, c’était surtout le ton du Rex qui la troublait. Son père adoptif ne s’était jamais illustré par ses marques d’affection. Et pourtant, il avait fait preuve d’une prévenance inhabituelle, et sa dernière phrase semblait pleine de regrets, en plus de sonner comme un adieu.

Qu’est-ce qui avait pu effrayer ainsi l’homme le plus puissant de la surface ? Qu'est-ce qui avait pu lui faire peur au point qu'il se mette à exprimer ses remords, et à faire ses adieux ?

~*~
Après avoir quitté l’autoroute, Will et Tia longèrent la rive nord du lac Makna, où s’étendaient de nombreuses villas modernes aux façades blanches et aux immenses baies vitrées. Des résidences luxueuses, le plus souvent inhabitées à cette époque de l’année.

Ils roulèrent pendant quelques minutes, arrivant bientôt sur une route de campagne à la droite de laquelle on entendait le clapotement du lac, sans toutefois le voir à cause de la rangée de saules pleureurs qui bordaient l’allée.

Finalement, vers deux heures du matin -d’après l’horloge du tableau de bord-, ils se garèrent enfin devant un muret de pierre taillée recouvert de mousse et de lichen.

« On est arrivés. » lâcha inutilement Tia.

Will acquiesça et sortit dans le froid de la nuit, étudiant la bâtisse devant laquelle ils s’étaient arrêtés.

A première vue, il ne remarqua rien, sinon une haie assez sauvage qui dépassait le muret et masquait sa vision. Emboîtant alors le pas à Tia, qui longeait la barrière de pierre, il remarqua bientôt que la propriété était assez petite.

Lui qui s’était attendu à une villa semblable aux autres se retrouva soudain devant un portail de fer ancien, par-delà lequel s’étendait une allée de graviers menant à un petit bâtiment. Dans l’obscurité, le détective faillit ne pas l’apercevoir, mais en plissant les yeux, il parvint à l’identifier un peu plus précisément tout en franchissant l’entrée du jardin.

Ils marchaient vers une sorte de maison de campagne, faite de pierre à peine dégrossies, et reliées entre elles par un ciment vieilli. Elle semblait constituée d’un corps principal d’un étage, attenante à une petite dépendance de plain-pied. Un toit de tuiles ocre surplombait le tout, percé par une cheminée ancienne au sommet de laquelle Will jura entendre un Lakmécygne chanter.

« C’est l’une des rares maisons de la région qui ait survécu à l’arrivée des entrepreneurs immobiliers et des investisseurs issus de grands groupes touristiques, expliqua Tia en s’approchant de la porte d’entrée.
- C’est un bel endroit. » se contenta de répondre Will.

La jeune femme se pencha en avant et souleva un pot de terre cuite où trônait une plante vivace à moitié desséchée. Le détective la regarda extirper une clé et ouvrir la porte en chêne, qui grinça dans ses gonds quand ils entrèrent.

L’intérieur était sombre et silencieux. Les murs étaient couverts d’un papier-peint d’un autre temps, et le sol était carrelé et couvert d’une fine couche de poussière. La bâtisse sentait le bois ancien et l’herbe sèche. Une odeur plus pure et naturelle que toutes celles qui assaillaient leurs narines à Omnia.

Tia poussa alors un juron, et Will entendit un déclic à répétition. Dans l’obscurité quasi-totale qui régnait dans la maison de campagne, il parvenait à peine à discerner la silhouette de la jeune femme.

« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le détective.
- Plus de courant, répondit la voix de Tia, agacée.
- Où est le disjoncteur ?
- Aucune idée… Je ne suis pas venue depuis très longtemps. Attends, je crois qu’il y a des bougies dans la cuisine. »

Elle s’éclipsa, laissant Will dans la pénombre. Posant ses deux mains sur les parois du couloir, le détective avança à tâtons, ensommeillé. Il finit par déboucher dans une pièce qui ressemblait à un vieux salon. Manquant de se cogner le genou dans l’accoudoir d’un fauteuil, l’ex-Elitien parvint à s’asseoir et tendit l’oreille.

Au loin, il entendait Tia farfouiller dans des tiroirs. La maison, elle aussi, était loin d’être silencieuse. Les gonds des portes gémissaient parfois, certains murs craquaient, grinçaient, dans une cacophonie discrète qui donnait l’impression que la bâtisse respirait.

Le halo lumineux d’une chandelle apparut à l’angle d’une porte, et Tia revint bientôt, transportant une petite boîte de bois. Elle s’approcha de lui et posa sa bougie sur une table basse, éclairant maigrement la pièce d’une lueur tremblotante.

« Bon, eh bien si ça ne te dérange pas, ça sera éclairage à l’ancienne jusqu’à demain matin, fit-elle en s’asseyant sur la table basse, en face de lui.
- Ça ne me dérange pas. Ça rajoute à l’ambiance.
- Hm, approuva distraitement Tia en fouillant dans sa boîte en bois. Ah, voilà ! »

Will la regarda sortir des compresses et quelques flacons, faisant la moue.

« Pas la peine, Tia. On devrait aller dormir.
- Après. T’as une sale mine, je te signale. Allez, penche-toi un peu vers moi et laisse-moi faire. »

Le détective obtempéra en maugréant, laissant Tia l’examiner à la lueur de la bougie. La jeune femme passa un linge humide sur ses contusions, nettoyant le sang. Le premier contact fit presque sursauter le détective, non pas parce qu'il était brusque -la jeune femme s'y prenait avec une délicatesse absolue-, mais parce que la fille du Chancelier venait, d'un geste, de franchir le fossé de professionnalisme que Will s'était longtemps efforcé de tracer entre eux deux, ou plutôt ce qui restait dudit fossé. Concentrée, Tia désinfecta quelques plaies et entreprit ensuite d’appliquer de l’arnica sur ses hématomes les plus prononcés, avec des gestes à la fois doux et fermes.

Will, qui n’avait rien à faire, se contenta de la regarder en retour, observant le halo tremblotant qui éclairait les traits de Tia. Le visage de la jeune femme était proche – très proche. Penchés l’un vers l’autre ainsi, ils pouvaient s’entendre respirer. Il était impossible qu’elle n’en soit pas consciente elle aussi.

Elle lui prit ensuite la main et entreprit de nettoyer ses phalanges abîmées. Une légère tension s’installa. Les yeux marrons de la fille du Chancelier croisèrent les siens, et elle lui sourit. Elle se pencha un peu plus vers lui, si peu que le mouvement en était presque imperceptible.

Will détourna très légèrement le menton.

« Et voilà, c’est fini ! » lança Tia en lui lâchant doucement la main.

Elle redressa le dos en souriant, et le détective releva les yeux vers elle, confus. Si elle avait remarqué quoi que ce soit, la jeune femme n’en montrait rien. S'était-il imaginé des choses ?

Il la regarda ranger le matériel dans la boîte à médecine en se demandant ce qui lui avait pris de détourner le menton.

« Comment tu te sens ? demanda la jeune femme en tournant le regard vers lui.
- Ça va. Un peu mal aux côtes, mais j’ai surtout besoin de dormir, je pense. Et toi ? »

Elle le regarda quelques instants, et Will maudit la lumière tremblotante qui l’empêchait de déchiffrer clairement l’émotion qui se lisait sur les traits de la fille du Chancelier. Il sentit son cœur accélérer légèrement.

« Ça va. »

Elle se passa une main sur le visage, et le détective put y lire la même fatigue que celle qu’il éprouvait lui aussi.

« Je… Je suis contente que tu sois là, Will. Ça aurait été difficile, toute seule. »

L’ex-Elitien acquiesça lentement, et pour la première fois depuis longtemps, il sourit. Son corps lui-même sembla s’étonner de ce geste, à en juger par les tiraillements dans les muscles de ses joues, qui avaient perdu l’habitude. Un nœud se délia dans son estomac alors qu'une drôle d'alchimie lui obscurcissait l'esprit.

Un léger silence plana sur le salon. Will se demanda si Tia attendait quelque chose, ou si c’était lui qui projetait ses propres impressions.

Finalement, ce fut la jeune femme qui déchira la tension en se relevant sur ses longues jambes.

« Bon. On devrait aller dormir.
- Bonne idée. »

A nouveau, un léger silence s’installa, pendant lequel tous deux se turent.

Cette fois, ce fut Will qui y mit fin :

« Je vais dormir dans le fauteuil. Histoire de monter la garde. »

Tia le regarda étrangement, puis acquiesça, sans se départir de son sourire.

« Soit. Essaye de te reposer un peu quand même. »

Elle se dirigea vers l’escalier en bois massif qui trônait dans un coin du salon, sous le regard de Will. Parvenue à la première marche, elle posa une main sur la rambarde et tourna la tête vers lui, semblant sur le point de dire quelque chose. Elle parut se raviser, et ne lâcha finalement qu’un simple :

« Bonne nuit, Will.
- Bonne nuit, Tia. » répondit le détective en posant son arme sur la table basse.

Et il souffla la bougie.