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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 18/09/2016 à 09:47
» Dernière mise à jour le 31/12/2018 à 15:19

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 28 : Oscar Alone
Ndlr, j’ai toujours vu Oscar comme un personnage très passif. À vrai dire, je ne faisais pas trop attention à lui. Il a une attitude, une façade extérieure très peu complexe, et je me suis satisfaite de ça pour me concentrer davantage sur Syd qui, lui, me pose tout un tas de soucis.
Mais fear not, car Oscar revient sur le devant de la scène !

Ndlr, la structure est un peu particulière, c'est fait exprès. Retour à la normale dans le prochain épisode.

OSCAR

16.

En quatrième, comme à tous les adolescents hormonaux et boutonneux de son âge, on avait demandé à Oscar de choisir une deuxième langue. Étudier la langue inter-régionale de Poképolis était obligatoire pour tous les enfants dès la maternelle, aussi Oscar était déjà bilingue. Mais les collégiens devaient en plus découvrir la langue d’une autre région, afin de renforcer leur esprit de solidarité et leur soif de voyage. Seule le créole d’Alola n’était pas enseigné, étant considéré comme un patois peu utile du Kalosien.

Typiquement, les adolescents choisissaient le Sinnohite—réputé pour sa facilité—ou le Kalosien—que l’on disait élégant et romantique. Oscar avait déjà des notions de cette dernière langue grâce à sa mère, et aurait pu profiter de très bonnes notes dans cette matière, ce dont son bulletin trimestriel peu reluisant avait fortement besoin. Mais la veille de son inscription, une affiche de concert imprimée en Kantonnais avait attiré son œil. Traits gracieux, mystère des idéogrammes. Il s’était inscrit en cours de Kantonnais le lendemain en falsifiant la signature ridiculement facile de sa mère car ses parents étaient en vacances. Cela avait été un désastre. Il n’avait pas la diligence d’apprendre tous les caractères par cœur, de retenir plus que « bonjour » et « je m’appelle Oscar ». Dès la troisième, on lui avait très fortement conseillé de passer en cours de Kalosien. Il avait accepté avec le sourire.

Mais il était parti en voyage initiatique au début de l’été.

Oscar était gracieux, Oscar était très peu difficile. Un compte en banque de feu sa grand-mère, qu’elle avait bloqué avec son testament, payait chaque année pour son école. Oscar était beau, Oscar était tête en l’air. La nuit venue il aimait mettre du reggae à fond et s’endormir à côté de sa veilleuse. Oscar aimait les grandes épopées de loyauté éternelle, Oscar lisait des contes romantiques.

Oscar chantait trop en classe. Sa prof de maths le subissait.

Il avait plein de connaissances et plein de potes, mais seul deux véritables amis (il savait déjà faire la différence mais enfouissait sa méfiance sous des exclamations ravies). Le premier était très énergique et le second un peu méprisant.

L'énergique suivait Oscar partout depuis tout petit, car il était mal dans sa peau, et faire les quatre-cent-coups avec Oscar-sans-parents le lui faisait oublier. Une fois ils étaient parvenus à rentrer en boîte et avaient vu Mélis Grey, de très loin. (Le dresseur légendaire avait été forcé de « sortir s’amuser un coup » par White Bai—mais ça, Oscar ne le savait pas).

Le méprisant avait un côté un peu violent, un peu méchant. Ses parents étaient tout le temps sur son dos, tout le temps à l’empêcher de sortir, à le pousser à « l’excellence ». Il était arrivé à l’Académie de Volucité en sixième et avait vite compris comment utiliser Oscar comme alibi, portail vers un peu de liberté. En retour, il lui faisait des cadeaux et l’invitait à dormir quand Oscar n’avait rien à manger et pas assez d’argent pour commander de pizzas.

Entre eux, le rigolard et le bourgeois faisaient des choses que les garçons de familles normales organisaient : leurs parents se rencontraient pour dîner et ils en profitaient pour jouer aux jeux vidéos ou tourmenter leurs petites sœurs.

Pourquoi les trois étaient-ils amis ? Peut-être qu'ils ne l'étaient pas vraiment.


15.

— Maman ? Maman ?
— Je suis à la salle-de-bain, mon chou ! Mais tu peux rentrer, je suis toute habillée !
— Euh… T’es sûre ? J’suis plus un enfant, hein, ce serait vraiment dérangeant de te voir n—
— Mais roooh, ne t’inquiète pas pour ça ! Je sais comment tu es, je fais très attention à toi tu sais !
— … ok… hé, mais pourquoi tu te maquilles… ? Maman ?
— Mais voyons, parce qu’ils vont bientôt arriver !
— Et alors ? Ce sont justes les mecs de la commission du surendettement, merde ! Y a pas de raison que tu te fasses belle pour eux non ?
— Oh, mon chou, tu n’as décidemment jamais rien compris aux femmes !


14.

Sa chambre. Baie vitrée. Plongée vertigineuse vers les torrents de voitures, courant lumineux et contre-courant rouge, écume de néons. Oscar avait onze ans et rentrait en sixième, fier comme un Flambusard, hourrah. Hier soir ses parents lui avaient offert une toute nouvelle console pour fêter l’occasion et ils avaient mangé tous ensemble, commandant au restaurant préféré du fils unique ! Oscar, maintenant que tu es en sixième Oscar, avaient-ils dit, tu es un grand Oscar, on va pouvoir te laisser tout seul plus souvent !

Oh mon petit chou, mon petit sucre d’orge, tu vas aller en cours tous les matins comme si tu étais étudiant à la fac, comme un petit adulte !


13.

— Hé, papa, la commode qu’ils viennent d’estimer, là… Elle valait plus que ça, non ? Ça n’appartenait pas au papa de mamie ?
— Si, je crois. C’est vrai qu’elle fait drôlement style années trente. Qu’est-ce qu’on a changé de goût, en soixante-dix ans. Ça me fait penser à notre voyage à Ébenelle, tout ça.


12.

Oscar n’était pas de mauvaise foi quand il disait ne pas connaître Elsa. Il n’essayait pas d’être cruel quand il oubliait son nom, au tout début. Il ne l’avait réellement jamais, jamais remarquée.
Le jeune adolescent était occupé à suivre les déplacements de ses parents et prévoir ses prochains repas et il était occupé à emprunter de l’argent à son ami-bourgeois et occupé à cacher sa solitude à ses amis et à ses professeurs, occupé à rêver, noyé dans son monde imaginaire.
Occupé—occcupéoccupé il aimait répéter ce mot, il n’avait pas le temps de penser ou d’étudier, juste quelques moments pour des souhaits à moitié formulés, juste un (deux) instants pour s’écrouler le soir et oublier.


11.

— Bon… ce soir, on mange quoi ?
— On va sortir, je crois, fiston. Mon frère ne nous attend que plus tard ce soir.
— De toute manière, l’appartement est vide ! Qu’est-ce qui te dirait, mon chou ? Ton restaurant préféré de quand tu étais petit ?
— … Ce serait très gentil, maman.


10.

Mais ce qu’il aimait le plus dans sa chambre, c’était une petite lampe qu’il avait trouvé dans l’ascenseur vide de l’immeuble un matin d’automne. Il était en retard ce jour là. Et sur son parcours précipité, une bizarrerie !
Oscar avait réfléchi beaucoup et pensait depuis la sixième que tout arrivait pour une raison, il était superstitieux, mystique, il était calme et calmé.
Finalement, pas d’école ce jour là. Il avait ramené la lampe dans sa chambre et l’avait branchée. Sur son mur elle projetait : du safran liquide, un violet violent—sombre—, et de la clarté bleue. Le soir, le violet se confondait avec l’obscurité et les ténèbres ondulaient.
Ces couleurs passaient le temps et coloraient la réalité.
Couleurs, vitales. Vitalité et vivacité de ses rêves.


9.

— Oh. Les serveurs ont changé. Et ils ne portent plus de surnoms marrants sur leurs tabliers.
— C’est parce que ce n’est pas le même restaurant.
— N’importe quoi, mon chou ! Ils ont juste renouvelé un peu le décors…
— Bien sûr, c’est pour cela que le nom de l’enseigne a entièrement changé de lettres…
— Oh, ne sois pas si durement sarcastique…
— De toute façon on s’en fout. La carte est dans mes prix, je peux vous l’offrir avec l’argent de mon match d’arène.
— Oh. Fiston, ce n’est pas nécessaire.
— … vous ne m’avez toujours pas dit de quel montant vous étiez endettés.
— Chou, c’est normal ! Nous sommes les adultes ici, tu n’as pas à connaître ces détails sordides, nous devons même t’en protéger…
— Tu me protégeais peut-être quand il s’agissait de me larguer pour partir en voyage !
— Tu étais trop jeune pour qu’on t’emmène !
— Vous auriez dû rester ! Vous auriez dû rester ! Tout les autres parents le faisaient, parce que c’est ce qu’il fallait faire, parce que leurs enfants avaient vraiment besoin d’eux ! Ça ce n’était pas un complot des illuminatis pour contrôler la société tu vois !
— Oscar, fils, tu sais que c’est aussi en voyageant et en combattant avec d’autres dresseurs itinérants que nous ramenions de l’argent.
(— Madame, monsieur, vous désirez…
— Mes parents et moi-même désirons une table pour trois. Et le menu.)
— C’est comme ça que vous entreteniez votre barque qui prenait l’eau, ouais. Pour chaque Pokédollar vous en dépensiez quatre !
— Arrête de crier, sucre… tu as hérité du sourire de ton père, et c’est merveilleux, non ?
— … Papa, quelles démarches reste-t-il pour finaliser votre effacement de dette ?
— Le nettoyage de tous les comptes en banque.
— … Même celui de mamie ?
— Techniquement, j’en ai hérité à sa mort…
(— Madame, messieurs, vous désirez ?
— Nous n’avons pas encore fait notre choix. Revenez dans cinq minutes, s’il-vous-plaît.)
— Ça veut dire que je ne vais pas pouvoir reprendre ma scolarité à l’Académie de Dressage.
— N-Non… effectivement… fiston…
— Dis-moi au moins que tu ressens un peu de honte, quelque part en toi. Parce que là, je suis livide. Livide.
— Mon Couaneton…
— Maman putain arrête.
— Mais ne prends pas ce ton avec moi je suis ta mère ! J’ai apparemment foiré quelque chose, mais j’ai quand même toujours espéré le mieux pour toi ! Et je suis prête à changer, pour t’aider, pour que tu ais un brillant avenir… Si tu reprends une éducation dans le public, nous te soutiendrons jusqu’à ce que tu puisses revenir à l’Académie, il nous faudra peut-être un an pour amasser l’argent mais tu pourras y revenir ! Et ensuite tu passeras ton bac, et—
— Mais ta gueule, je n’ai même pas le brevet et j’ai toujours eu des résultats de merde dans toutes les matières ! T’en sais tellement rien que jamais je ne pourrais te faire confiance !
(— Madame, messieurs…
— Un burger du fermier, deux burgers ranch.)


8.

L’Académie de Volucité, où il avait passé son enfance avec Elsa. Trois bâtiments anciens, seuls vestiges du temps où Volucité était aussi pittoresque que Janusia. Trois bâtiments d’un blanc éclatant niché au cœur des tours de plexiglas. Oscar, les mains dans les proches de ses habits de toile légère, témoin du calme surnaturel d’un établissement scolaire entre neuf et dix heures du matin. Peu de passants dans ce quartier riche, juste sa figure coloré et le portail sobre du collège-lycée-prépa.
Une brise d’aout.


7.

— Yo.
— Oscar, putain… Oscar…
— Ok, on essaie de se faire un check à travers la grille ?
— Ça va être lamentable.
— Lamentable, mais faisable.
— Ça devrait être notre devise.
— ... Ok, c’était vraiment lamentable… t’avais raison.
Ça, ce devrait être ma devise. J’me baladerais partout avec un tee-shirt et une casquette « j’avais raison ».
— Avec ma signature sur ton dos et un œil au beurre noir sur ta face. Comment vont tes darons ?
— Ça passe. Ma mère a gagné une nouvelle moto à travers son boulot, un gros engin, elle est contente.
— Classe. Et ton père ?
— Il a quitté son boulot tellement sa cheffe le saoulait, mec ! Mais il va en retrouver un, tranquille. Et tu lui manques, l’autre fois il regardait un épisode d’une série policière à la télé et il a pensé à toi, parce que l’meurtre se déroulait à la Mélodie du Répit, t’sais le café hyper malfamé où tu nous avais amené après notre premier marathon de six kilomètres ?
— Ah ouais, nous on était morts et ton père se marrait bien ! Il nous avait fait goûter sa bière !
— Ouais, c’était une de ses préférées, une importée de Kalos.
— La Cheminée… C’est pour ça que ma mère allait à c’bar pourri, juste parce qu’ils avaient des bières importées de chez elle.
— Il pense que t’es un sacré wesh-wesh, mon père. Il m’a beaucoup demandé de tes nouvelles pendant l’été, t’aurais dû en donner.
(— Hé les gamins, ne restez pas à la grille pendant une heure ! La pause de midi est bientôt finie !
— Oui madame ! )
— Bah… on a eu plein de blems en vrai, un voyage de ouf, j’avais à peine le temps d’appeler mes propres darons. Mais j’te jure, j’en donnerais plus.
— Mais mec… tu ne vas pas revenir à l’Académie à la rentrée ? J’veux dire, sécher le camp de vacances presque-obligatoire-nicke-sa-mère, c’est une chose, mais la rentrée…
— Mec, je suis dans un programme de voyage initiatique, on a pas encore tous nos Badges, et on doit aider une scientifique, madame Lenoir… c’est pas comme si ça durait juste une semaine et puis « tchuss, c’était marrant mais maintenant j’ai cours », tu vois ?
— Ouais, ok… mais pourquoi t’es à Volucité, là, alors ? Artie a fermé l’Arène…
— … J’ai dû rester un peu plus longtemps à cause de mes parents.
— Hein ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
— De la merde. J’ai pas trop envie d’en parler.
(— Oh, les jeunes ! Cela vient de sonner, vous avez entendu ? Il faut reprendre les cours !
— Oui madame !)
— Oscar…
— Allez mec, tu dois y aller, alors salut. J’te rappellerai, juré.


6.

Mais s’il fouillait bien, il avait bien un souvenir d’Elsa. À la fin de leur cinquième, l'ami-bourgeois avait convaincu Oscar d’assister à la pièce de théâtre annuelle, où son ami jouait le rôle du grand méchant, un duc fourbe qui souhaitait être roi-à-place-du-roi.
(Cela rappelait de lointains souvenirs d’une série télé, ou peut-être d’une bandé-dessiné à Oscar, une histoire de Rhode avec un vizir malin et un calife empoté).
Une des figurantes avait balbutié un grand nombre de syllabes incompréhensibles avant de parvenir à en aligner quatre : mer-ci beau-coup !
Puis un des projecteurs avait éclaté presque sur elle, et la jeune fille au visage étrange était tombée de scène dans la panique. Assis au premier rang grâce à l’influence de son ami, Oscar l’avait rattrapée et l’avait aidée à se relever.
La collégienne avait des lèvres très fines, très rouges.


5.

— Yo.
— Oscar.
— Comment vont tes darons ?
— On ne peut mieux. Je vais proportionnellement très mal.
— Aie.
— J’ai discuté avec notre ami de ta situation et je devine dans quels ennuis tes parents se sont fourrés. En conséquence, je veux t’offrir cette somme d’argent et t’informer que tu peux passer le brevet en candidat libre.
— … Merci pour l’information. Mais non merci pour l’argent. Je suis… dresseur.


4.

Le bourge était pompeux et méchant, loyal et droit-dans-ses-bottes. Syd était sérieux et sec, susceptible. Il charriait une honte secrète.


3.

Mais ces amis étaient juste des amis d’enfance comme tout le monde en a. Liens de circonstance, aidés par l’école, la ville, le quotidien.
Quelle différence y avait-il alors avec Élin, Syd et Elsa ? Surtout avec Elsa, qui venait aussi de la même ville, de la même école du même quotidien ?
Oscar était coupé de ses anciennes connaissances par les expériences de son voyage. Jamais il ne pourrait réintégrer leur quotidien car il était pauvre et il avait vu l’inconnu, l’adulte.
Il était coupé d’Élin, Syd et Elsa car il avait eut une enfance avec le rigolard et le bourgeois, car ces deux-là avaient partagé leurs parents avec Oscar et goûté à l’absence des siens.
Vide.


2.

Plus le temps avait passé, plus Oscar s’était inquiété pour Élin. À cause de Syd. Car ce garçon obsédait la blonde, mais il oscillait entre une extrême loyauté et un rejet total qui les blessait tous.
Cela, Oscar n’y avait jamais réfléchit, il l’avait juste ressenti par instinct.
Il était un observateur que Syd trouvait presque inintéressant. En cela il voyait d’un œil neutre et perceptif que les deux filles s’attachaient au dresseur renfermé, chacune à sa manière. Mais Oscar avait un défaut de perception.
Oscar ne remarquait pas qu’Elsa le regardait lui, le caressait des yeux ; il observait juste Élin dévorer Syd du regard.
Oscar pensait qu’il était amoureux mais il n’avait jamais été amoureux. Il ne faisait qu'aimer la joie et l’humour et la vivacité d’Élin. Il se noyait dans le sentiment de l’aimer et le plaisir d’avoir une occupation, quelqu’un à qui l’on peut penser dès que l’on s’ennuie, vital comme le soleil.
Les débuts de leur voyage étaient comme un lever de soleil, léger et encore innocent.
Mais plus le temps avait passé, et plus Oscar s’était inquiété.


1.

Oscar était adulte. Il avait dénoncé ses parents à la police et les avait accompagné dans toutes leurs démarches administratives. Sa signature noircissait le formulaire du garant légal des endettés.
Oscar était dresseur. Il touchait une allocation. Il nourrissait et entrainait et promenait ses Pokémon, il les soignait. Le soir, Jeans, Aiden, Amagara et Wish sortaient de leurs Pokéball et Oscar leur murmurait un avenir léger. Il disait, et Jeans retrouvera les autres starters et Aiden sera réuni avec Hope, il disait, vous pourrez vivre tous ensemble en harmonie.
Il disait, et je vais m’occuper de vous, je ne vais jamais vous lâcher.



Yumeiideviantart

SHAZAA

Le 8 Juillet 2999.

Le tribunal d’instance était un lieu intimidant, un bâtiment aux immenses colonnes de marbre roux. Le style rappelait les temples anciens de Rhodes, ou plutôt la vague d’immeubles semblables que l’on avait construit dans les années soixante-dix, durant une bulle de spéculation immobilière sans précédent.

Les parents d’Oscar hésitaient au soleil du parvis, inhalant tous deux une dernière cigarette. Le fils était immobile, mains dans les poches, iris rivées sur leurs visages. La mère et le père venaient peut-être de régions différentes—de classes sociales très différentes—mais ils avaient les mêmes expressions et les mêmes maniérismes nerveux—ils mordaient leurs joues, inhalaient brusquement, passaient un ongle sous les autres et secouaient leurs têtes, semblaient fiévreux, malades de rêves, assoiffés, toujours, de vie.

— Notre rendez-vous est dans cinq minutes, marmonna Oscar. Il jeta un coup d’œil au Vokit que lui avait offert Bianca Lenoir sur les deniers du programme.
— On ne sera pas en retard, assura le père sur le même ton, fuyant sa famille du regard.
La mère restait silencieuse, bien coiffée, habillée très sobrement. Ses mains tremblaient légèrement autour de leur mégot, phalanges saillantes et veines translucides.
— La dernière fois que j’étais en retard à un rendez-vous administratif… commença le père.
— Je ne veux pas discuter.

Plusieurs secrétaires à accueil, dont un vieil homme qui leur indiqua un étage, un bureau. Le tribunal d’instance était un labyrinthe anxieux, grouillant, partagé entre fonctionnaires aux façades austères et colonnes de familles fébriles. Aucune fenêtre sur l’extérieur : les néons éclairaient des boyaux étouffés de moquettes hideuses, de requêtes hideuses, de dettes. Ce n’était pas fait pour l’humain. L’humain voulait de vomir cette atmosphère dégoûtante par tous les orifices de son corps, sur les plantes en plastique, sur les bancs interminables pareils à ceux des prisons, des prisons dont on ne sort pas, celles où l’on retient son souffle jusqu’à la mort.

Bureau 7B. Les parents d’Oscar furent appelés en premier pour des démarches qui ne requerraient pas de garant légal. Il s’assit sur un des bancs de la salle. En face de lui, sous un panneau « défense de fumer », une adolescente battait des pieds dans le vide.
Un silence s’écoula.

— Qu’est-ce que tu fous là, beau-gosse ? lança-t-elle, sourire désinvolte.
Il fut interloqué.
— La même chose que toi, j’imagine…
L’inconnue fouilla dans son sac à main de cuir, en sortit un patch étrange et le colla entre ses deux seins.
— Donc toi aussi t’es là pour soutirer de l’argent à ton père ? Cool.
Il fut estomaqué.
— Mais pourquoi est-ce que je ferais ça ? Pourquoi est-ce que tu ferais ça ?
— Parce que c’est la seule manière de faire chier ce fils de pute, sans vouloir offenser ma grand-mère, paix à son âme.

Oscar ne répondit pas. Il étudia la jeune femme avec de grands yeux—peau cuivrée, toison noire, habillée de cuir et de chaînes. Elle lui fit un clin d’œil sauvage avant de se lever.

— De toute façon ce chien ne s’est pas pointé aujourd’hui. Je vais devoir revenir encore. Au moins dehors on peut fumer de vrais clopes.

Et puis elle arracha son patch et disparut.
Oscar fixa vaguement le panneau « défense de fumer » et compta le nombre de carreaux mauves sur la moquette verte.
Sa mère sortit la première du rendez-vous.

— Oscar, commença-t-elle faiblement, nous avons oublié un des papiers de la commission. Il faudra revenir demain, je suis désolée mon ch… Oscar.

Ils s’en allèrent tous les trois sans trop se parler.


1.

Le neuf juillet, Oscar retrouva la même jeune femme, au même endroit, avec le même patch blanc collé contre sa poitrine foncée. Il rougit à la vue de ses seins, leurs courbes découvertes par un décollette plongeant. L’adolescente ricana.

— Comment tu t’appelles ?
— O-Oscar Pistil, se précipita-t-il avec gêne, essayant de paraître comme s’il n’avait jamais regardé son corps mais échouant lamentablement et puis…
Un silence.
— Et toi ? tenta-t-il.
L’inconnue triturait son patch blanc, lui dardait un œil mielleux.
— Shazaa.
— Shazaa quoi ?
— Shazaa Ça-ne-te-regarde-pas.
— Ah.

À cet instant, un homme en sueur fit irruption dans la salle, avançant comme une bourrasque, s’arrêtant brusquement à la vue de la jeune femme. Il avait couvert son visage d’un tissu brodé de fils d’or—Oscar n’était pas du tout familier avec la coutume, mais il lui semblait que les adeptes de Cresselia se coiffaient avec des fichus… oui, il avait dû voir ça à l’école… Où était-ce une variante du culte d’Arceus à Sinnoh ? Rah il ne se rappelait jamais des cours de géographie culturelle, tous ces exemples à apprendre par cœur—

Soudain l’homme entra en éruption, pétarade de cris et de gestes menaçants. Il s’approcha de Shazaa, fendit l’air de ses mots étranges et inconnus. Shazaa se remit du rouge à lèvres. Oscar pensa, ce n’est pas du Kalosien, ce n’est pas du Kantonnais, quelle est cette langue superbe ? La jeune femme se leva, lui offrit un sourire paresseux.

— Je te laisse, j’ai un rendez-vous…
— Avec quel homme de la rue tu parles encore ? s’énerva l’homme, son accent rendant l’Unyssien coupant comme du verre.
— Avec un petit garçon perdu, répondit Shazaa.

Oscar les regarda s’en aller vers un bureau sans nom, halluciné.


2.

— Aujourd’hui je viens signer une dernière fois le transfert d’argent, expliqua Shazaa en auréolant ses prunelles dorées de khol.
Quelques minutes après elle s’en allait, une enveloppe dans la main.
— A-Attends ! s’écria-t-il.
Elle haussa un sourcil et lui donna son numéro de Vokit.


3.

Il lui fallut quelques jours avant de trouver le courage de l’appeler. Il ne dormait pas bien dans l'hôtel miteux, sur le matelas qui grinçait. Oscar marmonnait de la rancoeur à sa famille et essayait de comprendre ses Pokémon, Oscar regardait par la fenêtre.

À trois heures du matin il appela Shazaa.
Elle décrocha après seulement deux sonneries, trop pâle sous la lumière violente du Vokit, cernes aussi creusées que le mur de briques sales en arrière-plan.

— Qu’est-ce que t’fous encore debout à cette heure, beau-gosse ? ricana-t-elle avec incrédulité, recrachant de la fumée de clope dans la caméra.
— Je pensais à toi, mentit-il à moitié.
— Glauque, en plus t’es encore pré-pubère.
— N’importe quoi !
— Ah ouais, t’as déjà touché ta nouille ?
Il s’étouffa et la transperça d’un regard noir.
— Et toi, qu’est-ce que tu fais encore debout à cette heure ? lança-t-il avec colère et bravoure, se croyant malin.
— Je viens de sortir du boulot, petit. L’argent ne tombe pas que du ciel, ou plutôt des poches de mon père.
Elle tira une autre taffe et expira lentement, nuage fantomatique dans le crépuscule des néons.
— Et tu vas rester debout encore longtemps ? demanda-t-il, hésitant.
Elle l’étudia longuement à travers la caméra.
— Écoute, j’suis au trois-cent Boulevard du Crime, tu veux me rejoindre ?

Une heure après ils marchaient sans destination, attendant le lever du soleil.


4.

Il appela Shazaa de plus en plus régulièrement, toujours à trois heures du matin. Son quotidien se modifia en conséquence. Le père et la mère ne comprenaient pas pourquoi il se couchait si tôt mais ne sortait pas de sa chambre avant midi. Ils achetaient des sandwichs au petit-déjeuner.
Oscar était adulte.


5.

— Je vis une vie complètement décousue, lui dit Shazaa. Moi je prône la libération totale, radicale. À Rhodes, j’étais tellement sauvage que ma mère m’a envoyée chez mon père ici, à Volucité, et je n’avais que neuf ans. J’ai toujours été différente, une force de la nature, trop puissante pour ma famille de cons. Tu vois à Rhodes tout le monde se cache dans les campagnes, on doit porter les couleurs de notre famille et ne pas montrer notre visage, mais moi je n’ai jamais voulu ça. Moi je voulais courir et sentir le vent dans mes cheveux. Mon père, ce fils de pute—paix à ma grand-mère—était venu à Volucité gagner de l’argent. Et puis le soleil sur la peau, tu vois ? Ça c’est ma came. (Elle avala une goulée d’air frais et de clope.) Et du coup ma mère m’a envoyé ici. Elle pensait qu’il me materait, que c’était un bon croyant qui suivait les préceptes de Cresselia, toute cette merde—mais Cresselia soit louée quand même, on sait jamais, elle existe peut-être cette—sauf que non. Mon père… (une nouvelle taffe, cigarette braise de la nuit). Il ne se couvre qu’un jour sur deux, il a pris une femme ici sans le dire à ma mère, il mange même de la viande alors que Cresselia a dit—ne pas tuer de Pokémon. Chien d’sa mère ! Alors qu’il voulait m’imposer le respect de la religion, ce con. Moi j’avais pas l’air fine avec ma peau foncée et mon accent et mon écharpe autour de la gueule, quand j’étais p’tite. Le voile c’est beau et c’est mystérieux mais c’est pas pratique en cours de natation, tu vois. Putain. Alors tu vois dès que j’ai pu j’ai capturé mon Fantominus, j’ai reçu mon alloc’ de dresseuse, et je me suis cassée. La merde de tes parents, c’est pas la tienne, tu m’entends ? La honte de tes parents c’est pas la tienne non plus. Dès que tu peux ‘faut te casser, trouver du fric, forger ton propre chemin. Moi tu vois cette ville je l’ai fait mienne. La langue de Volucité je l’ai apprise, et la vie, et le cœur de Volucité je l’ai apprivoisé, maintenant j’ai ça dans le sang et je mourrais d’avoir respiré, avalé, dévoré Volucité, avec mes dents et ma bouche et mes poumons. Cette vie je l’ai fait mienne.

Oscar, tremblant, à demi-mot, apprends-moi.


6.

Ils étaient perchés sur le toit d’un gratte-ciel, comptaient trois étoiles dans le ciel. Un écran géant leur conseillait d’acheter un épouvantail anti-Poichigeon, Shazaa fumait un joint, la fumée prenait des teintes psychédéliques sous les néons. Les deux adolescents étaient assis sur du béton gris et noir de crasse.

— Ok, montre-moi ce que t’as, ordonna Shazaa.
— Ouais.

Oscar tritura sa ceinture, aligna ses quatre Pokéball sur le toit.

— D’abord, voici ma starter, Jeans.

La Lianaja surexcitée sautilla avec un sifflement de plaisir, plongeant tout de suite vers Oscar pour obtenir des caresses, puis bondissant vers Shazaa pour la découvrir sous toutes ses coutures—fourrant même son museau sous la minijupe noire de la jeune femme, qui jura méchamment—

— Et voici Aiden, se précipita Oscar, appelant son Caninos.

Le chiot était d’un tempérament beaucoup plus calme et se contenta de japper poliment, s’asseyant à côté de son dresseur. Amagara le rejoint, encore toute jeune mais déjà aussi hautaine que le suggérait son Type Glace.

— Et enfin voici un Pokémon que moi et mes amis avons capturé tous ensemble, du coup, je n’ai pas le droit de le faire évoluer… expliqua faiblement Oscar.

Il invoqua Wish l’Évoli, qui hérissa immédiatement le poil et scruta les alentours, animé de méfiance. La petite bête montra ses crocs et se fondit avec les ombres du périmètre du toit, prunelles grises brillantes.

— J’l’aime bien, celui-là ! s’émerveilla Shazaa. Puis elle surveilla l’équipe, plongée dans une profonde réflexion.

Oscar tritura sa ceinture, mal à l’aise.

— Ils sont hyper faibles, lâcha finalement la jeune femme. Ta starter, elle doit avoir, quoi, à peine le niveau vingt ? L’Évoli que tu viens de capturer est aussi fort qu’elle alors même que tu ne l’as jamais entraîné. Pour ton Caninos et ton Amaraga, n’en parlons même pas, ce sont juste des bébés…
— Ouais…
— T’es vraiment dans la merde. Comment elle a fait pour te sélectionner, ta scientifique là ? Ou alors les autres étaient aussi nazes que toi ?

Oscar se raidit. Pendant une seconde il ne pensa à rien. Puis son cerveau explosa. Il n'y avait jamais réfléchit aux raisons de son acceptation ! pensant juste avoir eu un coup de chance ! Il s'était juste dit juste que le destin avait guidé ses pas ainsi ! Mais—comment expliquer sa présence...

— Tu es le nul du groupe, conclu Shazaa, ricanant.

Et tandis qu'elle écraisait le cadavre drainé de son joint, toison sauvage auréolée par l’écran géant derrière elle, sensuelle—tandis qu'elle sifflait « À nous deux, beau-gosse. Quand j’en aurais fini avec toi, crois-moi, tu maudiras ta mère t’avoir jamais accouché ! », Oscar frissonnait, glacé. Voilà pourquoi Bianca Lenoir l'avait sélectionné.
Un rire noir.
Pour être le nul du groupe.


7.

— Mais j’ai l’impression d’avoir été aveugle pendant si longtemps ! avoua-t-il d’une voix éraillée, encore marquée par les pleurs. Mes parents ont toujours fait n’importe quoi, ils n’étaient pas capables d’être responsables, même cinq minutes ! Ils étaient égoïstes en fait, même quand il s’agissait de moi !

Même pour lui, ils n’avaient pas faits d’effort.

— Tu vois ils discutaient du compte en banque devant moi, ils disaient qu’il fallait reprendre un crédit pour rembourser le précédent, et qu’à telle banque on était pas encore sur la liste noire, et après ils m’offraient un cadeau d’anniv mais une fois à la caisse la carte qu'ils utilisaient à arrêté de fonctionné et…

Il tremblait un peu.

— … et moi tout ce que j’ai fait, c’est les imiter ! J’ai fait n’importe quoi en cours, j’ai même volé dans la rue parfois, je faisais les yeux doux au restaurant pour qu’il me fasse une nouvelle livraison à crédit, et le pire c’est que je faisais plein de promesses, à mes amis, ou même à des gens dont je me foutais, de leur offrir des cadeaux, et j’y arrivais jamais ! Pourquoi j’ai pas été comme toi, pourquoi j’ai pas eu la force de ne pas me comporter comme eux ?

Shazaa le prit dans ses bras.


8.

— Viens vivre chez moi.
Il se figea en plein entraînement et, confus, Aiden s’écrasa truffe la première.
— C’est petit mais y a un canapé, dit Shazaa.
— Je… je ne veux pas m’endetter auprès de toi, glapit-il, rouge, gêné.
— Ha ! Rassure-toi, tu vas le payer, ton loyer ! Elle s’approcha de lui, tira sur sa queue-de-cheval avec tendresse et arrogance. Toi, petit beau-gosse, tu vas participer à des combats au noir.


9.

— Maman, je… je t’aime.
— Merci, chuchota-t-elle de son timbre éraillé. Merci, Oscar.


10.

Oscar prit rapidement le pli de sa nouvelle vie, apprit à agir selon les humeurs de son hôte et à dégager de son passage.

Shazaa se levait quand le soleil mourrait, quand les dernières braises des cieux répondaient à la naissance de sa clope. Elle était au vingtième d’un immeuble malfamé, éloigné du centre-ville mais pas assez pour ne pas vomir de pollution par les pores de la peau. Les fenêtres étaient tout le temps fermées, bordures étouffées de papier pour lutter contre la poussière du périphérique. Il faisait tout le temps soit trop froid, soit trop chaud, et dans tous les cas humide. Murs léchés de gris. Un petit ventilateur très bruyant vrombissait en permanence dans le salon et la salle-de-bain n’avait pas de fenêtres, juste un néon blanc, qui grésillait. Shazaa ne recevait jamais de mec à l’appartement, mais allait dormir chez ses conquêtes. Elle protégeait jalousement Oscar et ne laissait pas ses collègues serveuses le draguer.

Quand Shazaa dormait, Oscar s’entraînait. Elle refusait encore de l’emmener dans ces matchs souterrains : pas avant que tous ses Pokémon ne dépassent le niveau trente, disait-elle.
Il fallait déjà que les bébés d’Oscar atteignent le niveau quinze.
Mais à force d’étude, de répétition, d’encouragements, les bêtes se musclaient et devenaient plus rapides et montaient de niveau—détruisaient le toit de l’immeuble, fendait la nuit des néons.
Quand les Pokémon s’entraînaient, Oscar tournait en rond. Il finit par acheter trois légumes presque pourris un jour gris de mi-juillet cuisina une ratatouille. Ensuite il enchaîna sur une omelette. Shazaa ricana et lui dit : t’es mon hommelette.
Il apprit à conduire, sauvagement, sur le périphérique.


11.

Oscar s’accroupit face à Wish sur le toit, la fourrure de la bête malingre irisée de sang. Wish étudiait le dresseur de ses grands yeux gris, ses yeux intelligents et méfiants, à la fois blessés par la jeunesse et dotés d’une confiance antique. Oscar remarquait peu à peu ce paradoxe, y réfléchissait durant les journées creuses.

— Bélier, c’est comme Charge, mais avec une tête de fer, commença-t-il. Puis il étudia les mots qu’il venait de prononcer et modifia sa phrase : avec un corps de fer. Tout le corps, car tu dois être assez dur pour protéger ta colonne vertébrale.
— Quelle explication sublime, railla Shazaa d’une voix traînante, perchée sur le bord du toit.
— Tu critiques, tu ne fous rien… grommela Oscar.
— Je ramène l’argent à la maison, bébé.
— Ouais et moi je me tape tout le ménage !

Ils ricanèrent, puis l’ex-baba-cool se reconcentra sur Wish. Le Pokémon rutilait déjà d’un éclat argenté, ses poils durcis en épines métalliques.

— Bien, maintenant saute ! s’exclama Oscar avec ébahissement et fierté, levant le poing et—et n’anticipant pas que l’Évoli, déjà face à lui, n’aurait d’autre choix que de lui foncer sur les parties sensibles.

Shazaa éclata de rire.


12.

Oscar suffoquait sur les relents nauséabonds des égouts, distinguant à peine les tournants que Shazaa enchaînait avec confiance, suivant juste les puissantes effluves de son parfum. Ordures et jasmin. Déjà des haut-le-cœur secouaient le jeune adolescent. Mais il persistait à suivre son hôte—leurs pas résonnaient contre le métal et l’humidité plocplocploc. Parfois une vieille lampe à incandescence ou le panneau d’une sortie de secours transperçaient les ténèbres, halos oubliés, obscurs gardiens de la cité.

Une toute petite femme était adossée à une porte de fer, discutant avec un Judorak aux muscles impressionnants.

— On veut passer, dit Shazaa.
— Mot de passe ?
— Connanas.

La toute petite femme leva un tout petit bras vers une caméra de surveillance qu’Oscar n’avait pas remarqué. Il inhala brusquement—la gardienne n’avait pas de main, juste un moignon.

— Mot de passe, Connanas, c’est marrant sa rime, ricana-t-il, sous le choc.
— Oui bien sûr, c’est parce que les proprio’ sont fans de rap, rétorqua Shazaa en levant les yeux au ciel—ou plutôt au plafond. La gardienne accompagna cette remarque d’un rictus.

Puis la porte s’ouvrit. Et une tempête incompréhensible fouetta leurs sens. La lumière des midis caniculaires, la clameur de manifestants solidaires et motivés, et l’odeur, l’odeur de la peste et du choléra réuni. Oscar tangua. Shazaa lui offrit un sourire carnassier.

— Viens beau-gosse.

Tout alla vite, la réalité se traduisit en éclats de logique, Shazaa le confia à une amie qui était serveuse à la Mélodie du Répit une amie à l’œil pénétrant une amie encapuchonnée, Shazaa monta sur scène acclamée de tous, hurlant, vociférant, jurant ondulant avec sensualité, liberté. Son adversaire un homme tatoué. Aucune poésie dans leur échange de regard et ses insultes macho, sa barbe fournie et coupée au carré, soit disant à la mode. Shazaa se toucha les seins en réponse. La foule explosa de rires et de sifflets.

Shazaa sortit un Ectoplasma et l’adversaire un Charmina—

Féroce et féroce et féroce elle souriait, son starter dévorait, elle reçut des liasses de la part de l’arbitre, auréolée de sueur et de triomphe, aussi shootée qu’après un joint, encore dans l’adrénaline du combat—Les matchs c’est une addiction elle lui avait dit, ta vie se télescope et les seuls moments qui importent sont sur scène, mise en scène, ta valeur dépend uniquement de ton résultat. Elle crachait sur les perdants Shazaa, elle se touchait vulgairement devant eux, elle cracha sur le perdant cette fois-ci aussi avec sa beauté obscène et tangible, son corps musclé et terrifiant.

— Alors, lui demanda-t-elle et elle puait, jasmin englouti par la transpiration et le souffre du combat, alors beau-gosse lui demanda-t-elle à travers toute la fébrilité de la rechute, t’as envie de revenir ?
— Putain oui, oui, oui, souffla Oscar et il était aussi terrifié que fasciné.


13.

C’était le premier éveil de sa vie. Comme si pour la première fois les nerfs de son corps fonctionnaient, tous à la fois, tous en contradiction, violemment avec passion il allait être malade, en haut du monde, au centre de la foule, enveloppé d’un monstre aux mille yeux ondulant. Devant lui son adversaire était jeune et presque plus qu’Oscar, ses genoux s’entrechoquaient, il avait lui aussi quatre Pokémon, voilà pourquoi ils devaient s’affronter tous à la fois dans une mêlée.
C’était le premier éveil de sa vie.

Jeans, Aiden, Aurore et Wish.
Face à une Ossatueur, un Stari, une Kirlia et Vigoroth.

— On va tout faire péter souffla Oscar les pupilles dilatées.

Son adversaire lança une attaque il répliqua—Oscar ne se rappellerait jamais de ce premier combat tant il planait, complètement défoncé par le stress et l’urgence et l’adrénaline. Peut-être—Wish utilisa peut-être Bélier sur l’Ossatueur, toujours sur son crâne, c’était la phobie des Ossatueur après tout et peut-être Amagara ensevelit-elle le Vigoroth sous une tombe de rochers gelés. Peut-être qu’Aiden était tellement puissant que le Stari ne le faisait même pas frissonner.

Mais en tout cas Jeans évolua sous les lumières agressives de l’arène, serpent arc-en-ciel parmi toutes les couleurs, les cris d’admiration, véritable plaisir pour la Pokémon surexcitée qui crachait du sang par les naseaux. Oscar tomba à genoux, ne se releva même pas pour recevoir les billets, complètement ailleurs, complètement Autre

— Alors, tu veux revenir demain soir ? cria Shazaa, sautilla Shazaa.
— Putain que oui je veux y retourner, oui, oui, oui oui—


14.

Un des rares jours de congé de Shazaa, ils étaient allongés sur le toit. La jeune femme s’était réveillée plus tôt que d’habitude ce jour-là, vers quatre heures de l’après-midi. Aussi un soleil de fin de journée éclairait le béton, la natte qu’ils avaient étendue pour ne pas attraper de maladie louche au contact de la crasse. Jeans était enroulée autour d’eux, chauffant ses écailles avec bonheur.

— Tu veux une clope ? lui proposa Shazaa pour la première fois, lui tendant son paquet.
— Non merci… sourit-il, s’étirant paresseusement.
Elle acquiesça, et tira la première taffe de sa journée, laissant un silence profond s’installer sur le toit. Mais, quelques minutes après :
— Pourquoi ?
— Hm ? s’intéressa Oscar, tiré de ses rêveries.
— Pourquoi tu n’veux pas fumer ?
Il hésita, fronçant les sourcils.
— Une raison… personnelle… mes parents fument beaucoup.
— Oh, dit Shazaa.
— C’est toi-même qui m’a conseillé de ne pas leur ressembler.
— Ouais, concéda la jeune femme, de mauvaise grâce. Mais fumer, c’est cool.
— Je ne trouve pas… répondit-il, haussant les épaules du mieux qu’il pouvait.

Plus tard ils étaient assis, croquant des chips, et l’horizon rougeoyait à peine. Oscar caressait Aiden, qui prenait maintenant trop de place pour dormir sur la natte—et caressait Wish qui somnolait sur Aiden.

— Tu m’as dit que tu prônais la liberté totale, radicale, commença-t-il. Pour moi, c’est comme… n’avoir aucun lien avec les autres. Pourquoi tu m’as pris sous ton aile, alors ?
Elle l’étudia, avec un sourire presque cynique.
— Parce que t’étais jeune, mignon et perdu. Puis, un éclat de rire : je n’ai pas pu m’en empêcher !
— Pour tout tes idéaux, persista-t-il, en fait t’es comme les autres. Aussi faible, d’une certaine manière !
Shazaa fronça les sourcils et se raidit.
— Ta gueule, cracha-t-elle avec agressivité.

Le silence tomba. Puis la nuit. Et Oscar se leva, s’éloignant de son équipe de Pokémon, d’Ectoplasma qui faisait des grimaces à une Aurore indignée. Il posa ses mains sur la rambarde de béton incrustée de chewing-gum qui enserrait le toit, scrutant la cime colorée de Volucité, vieux immeubles qui s’élançaient vers la supernova du centre-ville. Et au-delà, la mer. Le Ferry, Ondes-sur-mer, Pavonnay, puis boomerang ! Son enfance.

— J’ai l’impression d’être mort, chuchota-t-il.
Shazaa l’enlaça, énigmatique.
— La mort, c’est le plus jamais, expliqua-t-elle comme un secret.


15.

— Oh, super, des préados… l’entendit-il soupirer depuis la salle-de-bain.

Oscar fronça les sourcils, son reflet effacé par la buée de la salle-de-bain. Il attrapa sa serviette de toilette bleue, manquant de glisser sur le carrelage et renverser le fond-de-teint de Shazaa. Il avait laissé son Vokit sur le canapé le temps de se laver… était-ce possible qu’après pile un mois de silence radio, ses amis choisissent ce moment précis pour le rappeler ?

Inquiet de ce que pourrait donner un dialogue Élin-Shazaa, l’ex-baba-cool se rhabilla en quatrième vitesse, et explosa presque la porte de la salle-de-bain dans sa hâte de regagner le salon.

— Shazaa ! s’écria-t-il, fronçant les sourcils. C’est…
— Des préados boutonneux dans ton genre, compléta-t-elle, appliquant patiemment une couche de vernis rose layette sur son petit doigt.

Lentement, pâle, inquiet, Oscar saisit son Vokit. Quatre visages le scrutèrent avec anxiété, interdits pendant ne serait-ce qu’un instant. Puis ce fut l’explosion simultanée.

Tu t’es coupé les cheveux ?
Mécaniquement, l’adolescent porta sa main à sa nuque, d’où pendaient par le passé sa petite queue de cheval et son ruban.
— Euh, je… oui, bafouilla-t-il bêtement, se retenant d’ajouter « Shazaa trouvait que les cheveux longs me donnaient un air gay et vu que je suis hétéro… ». Ça me semblait une bonne idée… ajouta-t-il à la place, d’une toute petite voix—puis il se tourna vers l’autre occupante du salon. Shazaa… tu peux nous laisser, s’il-te-plaît… ?
— Pfft. Et voilà que le microbe m’éjecte de mon propre salon. Tu vas le payer cher, beau-gosse.

Un silence mortifié s’étira longtemps après son départ de la pièce.

— Beau-gosse… ? lança Elsa d’une petite voix.
Élin manqua de s’étouffer d’indignation.
— C’est qui cette conna—
— Elle n’a rien dit ! sourit Syd d’un air pincé, comme si une de ses mains n’était pas en train de bâillonner la blonde.
— Bon, grommela Mélis d’un air orageux. Le savon anti-gros-mots n’a pas marché.
Élin rétorqua quelque chose d’incompréhensible, mais qui d’après l’expression de Syd, humidifiait drôlement sa paume.

Oscar les fixa, ému. Après un mois dans le désert, ils étaient drôlement bronzés—enfin Syd n’avait pas beaucoup changé de couleur de peau, mais en tout cas il n’avait pas pâli—et Elsa semblait exténuée, sur les nerfs. Un grand coup de soleil rougissait sa gorge gracieuse. Mélis lui rendait un regard gentil, empli de compassion. Élin avait fini par mordre la main de Syd pour se libérer et scrutait maintenant Oscar en mode gobe-mouche.

— Ça fait tellement longtemps… murmura à nouveau Elsa d’une voix étranglée.
— Oui, nous te demandons pardon, nous n’avions… pas d’internet dans le désert, compléta Syd, se raidissant sous un regard noir d’Elsa.
Oscar fronça les sourcils, confus quant à cette tension qu’il ressentait depuis l’autre bout du fil.
— Ça ne va pas ? Vous vous êtes disputés ?
— Si, bien sûr que ça va ! le rassura immédiatement Élin. On est vraiment, tellement heureux de t’appeler.
Et dans son large sourire ne laissait place à aucun mensonge, juste de la sincérité charmante, désarmante.
— Comment est la situation avec tes parents ? demanda Mélis, sérieux. Oscar ferma lourdement les yeux.
— J’ai aidé à l’effacement de toutes leurs dettes, et après ça, je les ai quitté. C’était trop de rester avec eux, expliqua-t-il avec la gorge nouée, n’osant pas affronter le regard de Syd.
— C’est normal… répondit Mélis, et à la surprise d’Oscar—
— Tu as rempli ton devoir de fils.
C’était Syd qui avait parlé.

Long silence.

— C-C’est drôle que, quand tu n’es pas là, je pense à plein de choses que je dois te dire, je veux partager tellement de blagues et de moments avec toi, dit Élin. Mais là, maintenant que tu es en face de nous, je ne sais pas quoi te dire.
— Pareil, rassure-toi, souffla Oscar, soulagé.
Ils rirent tous ensemble face au ridicule de la situation, et la tension retomba, insignifiante. Mais il y avait encore une question dure, importante.
— Quand est-ce que tu reviens ? l’interrogea Elsa.
Oscar plongea ses iris droit dans les siens.
— J’ai déjà étudié toutes les possibilités. Le moins cher pour moi, c’est de prendre un bateau de fret jusqu’à Port Yoneuve.

Long silence.

— Quand est-ce que vous y arrivez ? persista-t-il, craignant le pire. Mélis réfléchissait.
— Dans… deux semaines, je pense.
— J’y serai alors.

Élin et Elsa le fixaient avec déception, espoir, affection. Deux têtes si différentes, personnalités opposées, avec qui il entretenait des rapports intenses et totalement séparés. Il se demandait si elles s’étaient rapprochées, durant leur excursion d’un mois dans le désert.

— Et j’aurais des tas de choses à vous raconter, leur sourit-il.


16.

— C’est bon, t’as bien parlé à tes amis ? s’enquit Shazaa, sublime de fausse indifférence, désinvolture travaillée à perfection.
— Quand je les rejoindrai… commença-t-il, puis il se tut.
L’écran géant passa à une nouvelle publicité.
— Quand je les rejoindrai… tu voudras venir ?
Elle écrasa le moignon de sa clope et lui coula un long regard.
— Il serait peut-être le temps que je découvre le monde, c’est ça.

La mort, c’est l’irréversible.