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Cœur de Pierre de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 30/10/2014 à 17:04
» Dernière mise à jour le 14/03/2015 à 23:53

» Mots-clés :   Aventure   Hoenn   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Chapitre 1. Jeter la pierre
La limousine argentée étincelait sous le soleil de fin d'après-midi, et n'allait pas sans attirer le regard des étudiants du lycée devant lequel elle était arrêtée. Si la plupart demeuraient à bonne distance et se contentaient de prendre discrètement l'engin en photo, ou de se chuchoter à l'oreille en le pointant du doigt, quelques téméraires, probablement intéressés par le domaine ou tout simplement plus curieux que les autres, s'étaient approchés pour mieux l'examiner. La chauffeuse du véhicule les laissait faire, habituée aux badauds qui s'émerveillaient devant mais, assise bien droite dans son siège, elle gardait un œil sévère sur le rétroviseur. Ces adolescents n'avaient pas intérêt à toucher la carrosserie et à mettre des traces de doigts partout, elle venait tout juste de nettoyer !
Les portes de l'établissement scolaire s'écartèrent alors, laissant sortir deux personnes ayant un air de famille. Aussitôt, la conductrice sortit de la limousine et s'empressa d'ouvrir la portière pour que ses passagers puissent s'installer. Le plus jeune balança son sac à l'intérieur et s'engouffra dans l'ouverture pour se laisser tomber sur le siège en cuir, non sans avoir auparavant lancé un regard assassin aux étudiants tout autour. Le plus âgé s'installa à son tour, et la voiture luxueuse démarra, s'éloignant du lycée.

Plusieurs minutes passèrent alors que la voiture filait sur la route, prenant la direction du centre de Mérouville. Un silence plombant régnait dans l'habitacle, entretenu par les deux passagers, chacun à leur manière. L'adolescent était accoudé à la portière, la joue posée sur le poing et le visage furieux tourné vers le paysage qui se modifiait à toute allure. L'adulte, en revanche, assis face à lui, se pinçait l'arête du nez, son autre main enserrant sa canne au pommeau de bois sculpté. Il cherchait ses mots, sachant d'expérience que la conversation pourrait... Non, allait déraper à la moindre parole, au moindre ton de travers.
Finalement, il se passa une main sur le front en poussant un profond soupir, et se décida à briser le mutisme ambiant, d'un ton calme et patient.

« Pierre... Est-ce que tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ? »

Pas de réponse. Le jeune homme aux cheveux d'un léger bleu métallisé ne daigna même pas tourner la tête vers lui, fixant résolument son regard sur l'extérieur du véhicule. Ne voyant aucun changement, l'homme à l'impeccable costume retenta d'engager la conversation.

« Je sais bien que nos relations ne sont pas les meilleures qui soient entre un père et un fils, mais... Est-ce que c'est vraiment une raison pour t'en prendre aux autres ? »

Cette fois-ci, Pierre porta brièvement son attention sur son interlocuteur pour le foudroyer de ses yeux aussi froids que l'acier, avant de hausser les épaules et revenir à sa position initiale. Bon, un début d'avancée. Même si, comme il s'y était attendu, son fils avait une fois de plus manifesté toute son affection envers lui. Mais il ne se découragea pas, et poursuivit, en faisant rouler sa canne dans ses mains.

« Ca fait deux fois en un trimestre que tu échappes au conseil disciplinaire. Je ne pourrai pas te sortir de là indéfiniment, et tu as déjà de la chance qu'ils aient encore une fois accepté de fermer les yeux sur ton comportement. Mais franchement, qu'est-ce qui t'es passé par la tête en frappant ce garçon ?
- Tu peux pas comprendre. »

Enfin, une réponse ! Certes, il s'agissait du refrain habituel, sa réplique phare lorsqu'il avait envie qu'on le laisse tranquille. Mais pas cette fois. Ils étaient encore loin d'arriver à destination, hors de question de laisser passer cette chance d'avoir une conversation sérieuse avec lui.

« Tu as raison, je ne comprends pas, déclara-t-il, pour essayer de le faire davantage parler en allant dans son sens. Je ne sais plus quoi faire pour essayer d'améliorer nos rapports. Je n'ai rien dit lorsque tu as décidé de te teindre les cheveux. Quand tu as voulu organiser ta fête, la dernière fois, j'ai accepté, malgré tes résultats scolaires clairement en baisse et ton irrespect total envers les professeurs particuliers que j'avais engagés pour t'aider dans tes points faibles. Enfin, tes professeurs en général, d'ailleurs. »

Plus de réaction apparente, mais l'adulte était convaincu de l'avoir vu lever les yeux au ciel et gonfler la joue d'exaspération.

« Tu as voulu prendre l'option Dressage, malgré ma réticence à ce sujet, mais je t'ai quand même soutenu devant ta conviction d'être dans le vrai. Et maintenant, tu...
- Ha ! Me soutenir, tu parles ! »

L'homme en costume cligna plusieurs fois des yeux, attendant la suite. Celle-ci ne venant pas, il se racla la gorge et enchaîna.

« Oui, je t'ai soutenu. Je suis tout de même allé rendre visite à une vieille connaissance pour avoir des informations sur la créature qui t'irait le mieux, et...
- Qui m'irait le mieux ? » répéta Pierre d'une voix sifflante, en détachant bien chaque syllabe.

Son visage était désormais entièrement tourné vers son père, des éclairs semblant même sortir de ses pupilles glaciales.

« Une boule de fer complètement stupide qui ne sait rien faire d'autre que foncer dans le tas en se blessant elle-même, tu appelles ça un Pokémon qui me va bien ?
- Le professeur Seko m'avait prévenu que son début de dressage pouvait être difficile, mais avec un peu de...
- Elle a même pas été foutue de se débarrasser d'un Medhyena de merde ! Et le Nirondelle de l'autre, là, il s'est plus fait mal en se pétant le bec quand il a voulu le picorer qu'en se faisant charger par cette putain de boîte de conserve ! Tu crois que je passe pour quoi, moi ?!
- Pierre, c'est normal, tu es encore débutant dans cette matière, tenta d'apaiser son père. C'est différent de s'occuper d'un Pokémon à soi plutôt que d'utiliser ceux déjà éduqués avec lesquels tu combattais au primaire et au collège.
- Et allez, c'est reparti, c'est encore ma faute, comme toujours !
- Je n'ai pas dit...
- De toute façon, je sais très bien que t'es content que je me plante, hein ? Je suis pas le bon petit soldat que t'espérais, le fils à son papa qui fait tout ce qu'on lui demande sans moufter et qui reprendra l'entreprise plus tard ! Du coup, pourquoi se fatiguer ?! Tu crois que j'ai pas vu clair dans ton jeu ?! Tu me files une merde pareille rien que pour que je sois humilié devant tout le lycée, juste parce que je ne veux pas être comme toi tu voudrais que je sois !
- Enfin Pierre, c'est complètement ridicule ! Tu penses vraiment que je m'abaisserais à une chose pareille pour la simple raison que tu ne veux pas devenir homme d'affaires et prendre ma suite ? Et pourquoi pas te chasser de la maison, tant que tu y es ?
- Oh, mais ça, ça serait pas la première fois ! Après tout, c'est bien ce que t'as fait avec maman, parce qu'elle non plus ne voulait pas t'obéir au doigt et à l'œil ! » répliqua le jeune homme d'un ton assassin.

Son père se massa le front en serrant les dents, souhaitant à tout prix conserver son calme. Se mettre en colère n'arrangerait rien les choses, bien au contraire.

« Pour la énième fois, Pierre, je te le répète. Le divorce avec ta mère n'a rien à voir avec ça. Nous avions tous deux nos raisons de nous séparer, et...
- Et comme par hasard, c'est toi qui as gagné le fait que je vive qu'avec toi !
- ... Et à nouveau pour la énième fois, reprit l'adulte en soupirant, c'est d'un commun accord que nous avons décidé de cela, parce que nous pensions qu'il serait mieux pour toi de...
- Oh j't'en prie, garde tes conneries pour tes potes de bourge ! Je sais très bien que t'as voulu ça uniquement pour avoir la main mise sur moi et pouvoir me contrôler à ta guise, comme tu le fais avec ta putain d'entreprise ! »

L'homme allait rétorquer quand la voiture s'immobilisa enfin. A peine s'était-elle arrêtée que l'adolescent s'emparait de son sac et, ouvrant la portière sans la moindre délicatesse, se précipita hors du véhicule, pour ensuite remonter l'allée menant à la porte d'entrée d'un pas furieux. Aussitôt, son père se pencha sur l'ouverture.

« Pierre, reviens ici tout de su... » tenta-t-il de le rappeler d'une voix qui se voulait autoritaire.

Un violent claquement de porte lui répondit. Le passager restant se laissa retomber contre le dossier du siège en se passant une main sur le visage. Il demeura ainsi un petit moment, avant de sortir à son tour de l'habitacle. Son regard fatigué se posa sur la chauffeuse aux cheveux grisonnants qui, la mine préoccupée, se tenait à côté de la portière.

« Encore une dispute avec monsieur votre fils ?
- Oui, pour ne pas changer... » soupira-t-il.

Alors que son employée refermait la voiture derrière lui, il resta là, les yeux rivés sur l'entrée de la demeure.

« Je ne sais plus quoi faire. J'ai l'impression d'avoir tout essayé pour l'amadouer un peu, mais rien n'y fait. On finit toujours par en arriver là.
- Si cela peut vous rassurer, je pense que cela lui passera. Il est en pleine adolescence, il est normal que monsieur Pierre se comporte ainsi. Même s'il est vrai que ce n'est pas très agréable. Mais, vous auriez vu mes jumelles quand elles avaient son âge, c'était aussi infernal à la maison. Surtout quand elles décidaient de faire front commun.
- Vous avez peut-être raison, Anita... Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il a vraiment quelque chose contre moi. Et aussi... Est-ce que vous pensez que la situation serait la même si sa mère était là ? »

La femme âgée posa sa main sur le menton, ses yeux fixant un point invisible, comme elle le faisait à chaque fois qu'elle réfléchissait. Quelques secondes passèrent avant qu'elle ne délivre enfin sa réponse.

« La même, je ne pense pas. Peut-être aurait-il été plus calme, ou au contraire plus... Agressif ? Qui sait.
- Si vous le dites... Mais j'aimerais qu'il comprenne que je ne cherche absolument pas à le manipuler ou tout ce qu'il peut penser d'autre à mon sujet. Et aussi qu'il cesse de croire que j'ai tout fait pour le séparer de sa mère et... »

La conversation fut interrompue par une sonnerie stridente venant de la veste de l'homme. Farfouillant dans sa poche intérieure, il en sortit un gros téléphone portable rudimentaire, l'un des produits les plus technologiques créé par sa société. Déployant l'antenne, il porta ensuite l'objet à son oreille.

« Adam Rochard, j'écoute. ... Oui. ... Qu... Vraiment ? ... Très bien, je suis là d'ici quelques minutes. Commencez à rassembler tout le monde en salle de réunion. »

Il raccrocha l'instant d'après, avant de répondre à la question silencieuse de son employée, non sans embarras dans la voix.

« Rah, moi qui voulais rentrer maintenant... Il semblerait qu'un gros appel d'offres vient d'être passé par l'Institut Spatial d'Algatia. Du coup, réunion d'urgence à la Devon Tower. On a déjà réussi à perdre celui de la Tour Prismatique, hors de question qu'on se fasse avoir par quelqu'un d'autre cette fois-ci. Surtout pour une institution hoennienne.
- Oui, bien entendu, fit Anita avec un sourire légèrement moqueur. C'est uniquement parce qu'il s'agit d'une institution hoennienne. N'est-ce pas ?
- Officiellement, oui, acquiesça M. Rochard. Officieusement... Mais ça, personne n'a vraiment besoin de le savoir. »

La conductrice hocha la tête d'un air entendu et complice, avant d'ouvrir une nouvelle fois la portière pour que son employeur prenne place. Alors que la limousine s'engageait sur la route, l'homme à l'impeccable costume observa le pommeau sculpté de sa canne d'un air songeur. Même s'il n'avait que peu d'espoir, au vu de l'importance de l'affaire, il espérait sincèrement pouvoir rentrer assez tôt pour poursuivre la discussion houleuse avec son fils. En souhaitant que celui-ci se serait calmé d'ici-là.

***
Pierre avait aussitôt emprunté le grand escalier du hall pour monter à l'étage et se réfugier dans sa chambre, qu'il s'empressa de fermer à double tour. Il balança son sac en direction de son bureau, non sans manquer de faire tomber une partie du bazar qui s'y était entassé depuis le temps, malgré les efforts répétés et désespérés de la femme de ménage pour mettre un peu d'ordre dans tout ça. Elle avait finalement perdu cette bataille, en capitulant au bout de la trentième fois où elle avait retrouvé l'espace de travail dans un état chaotique, se contentant désormais du reste de la pièce.

Un ronflement de moteur fut perceptible, et le jeune homme eut juste le temps d'atteindre la fenêtre pour voir le véhicule argenté repartir. Forcément, il s'en allait. Comme toujours.

« Et après, tu veux me faire croire que je dis de la merde, connard ? » siffla-t-il entre ses dents.

Serrant le poing, il l'abattit avec force sur le bureau, faisant sursauter les objets les plus légers s'y trouvant. Mais bien loin de l'apaiser, cela ne fit qu'accroître sa colère déjà bien vive, en plus de lui endolorir la main. Il la secoua pour atténuer la douleur, poussant un nouveau juron.
Une fois l'engourdissement de ses doigts passé, il saisit la petite balle qui trainait par-là, sortit la bande-dessinée qu'il s'était achetée de son sac. Puis, s'asseyant par terre, le dos posé contre son lit, il se mit à lire tout en lançant la boule en caoutchouc sur le mur face à lui et la rattrapant à un rythme régulier. Ce geste répétitif avait le don de lui calmer les nerfs, en plus d'avoir la joie de pouvoir irriter son père avec le bruit que faisait le jouet lorsqu'il entrait en contact avec le mur séparant leurs deux chambres.

Cependant, sa lecture le lassa au bout de quelques minutes. A force de lire ce genre d'histoires, il parvenait à voir les ficelles utilisées par la majorité des auteurs et, de ce fait, devinait à l'avance les grandes lignes de l'intrigue. Ce numéro n'échappait pas à la règle. A tous les coups, le héros allait découvrir un pouvoir très puissant au moment où tout semblait perdu, ou allait être l'objet d'une mystérieuse prophétie qui menaçait le monde. Ou encore, il serait le seul à pouvoir être capable de blesser et/ou défaire un ennemi si puissant que des armées entières ne lui avaient fait que lui retourner un ongle.
En soupirant d'ennui, le jeune Rochard cessa son petit jeu avec la balle –c'était beaucoup moins plaisant quand personne n'était embêté par le bruit qu'il faisait avec- pour la ranger en l'envoyant d'un geste plus ou moins précis en direction du bureau désordonné, avant de faire de même avec le magazine. Sans grand succès vu qu'il s'ouvrit en milieu de trajet, interrompant son vol plané, pour atterrir mollement par terre.
Il se releva ensuite pour se laisser tomber sur le lit, les mains croisées derrière la tête, se demandant ce qu'il pourrait bien faire pour tromper son ennui quand...

« Aïe ! »

L'arrière de son crâne cogna contre quelque chose de dur. Se redressant en se massant la zone endolorie, Pierre se retourna en fronçant les sourcils pour voir ce qui lui avait causé ce mal de tête. L'expression de son visage se détendit pour même afficher un sourire satisfait lorsqu'il vit l'enveloppe épaisse portant le sceau officiel de la Ligue hoennienne, posée sur son oreiller.

« Yes ! Enfin ! » s'exclama-t-il.

Il l'ouvrit aussitôt pour déverser son contenu sur la couette et l'étudier plus attentivement. Outre deux petits boitiers métalliques, l'un renfermant un simple coussin noir, l'autre, un peu plus grand, contenant cinq capsules bien reconnaissables ainsi que deux flacons bleus, un petit carnet en cuir à son nom, un livret épais et une lettre étaient présents. Tous étaient frappés d'un grand H trônant au centre d'une étoile à six branches, le sceau hoennien surplombé par sa devise : Authenticité, Ordre, Devoir. Saisissant la missive, il entreprit de lire les lignes tapées à la machine sur le papier laiteux, afin d'avoir la confirmation que cela voulait bien dire ce qu'il croyait.

« A l'attention de M. Pierre Steven Rochard
Résidant au 42 rue de Gallifrey, Mérouville
Fait à Eternara
Le 14 novembre 1991

Monsieur,

Suite à l'étude de votre dossier, et au vu de vos résultats dans la matière Dressage et Combats Pokémon au collège ainsi que de l'accord de votre représentant légal en tant que mineur, j'ai l'honneur de vous annoncer que votre demande pour devenir Dresseur de Catégorie Dix et participer au Défi de la Ligue a été acceptée.

Nous vous rappelons qu'à ce titre il vous est possible d'avoir jusqu'à deux Pokémon en votre possession ainsi qu'un accès aux articles de base des Dresseurs dans les commerces, et ce jusqu'au gain de votre premier badge. Vous passerez alors Dresseur de Catégorie Neuf, vous permettant l'obtention de nouveaux avantages. Plus d'informations à ce sujet et sur les catégories supérieures vous seront fournies auprès des Champions d'Arène ou en consultant le règlement officiel de la Ligue ci-joint. Tout abus ou infraction des droits qui vous sont accordés se verra immédiatement sanctionné par un retrait de votre licence.

Veuillez vérifier que l'enveloppe contient bien les objets suivants. En cas de manque, veuillez contacter le siège de la Ligue ou le Champion d'Arène le plus proche :

- Un étui officiel de rangement de badges
- Un boitier contenant cinq Pokéballs et deux potions
- Un exemplaire du règlement officiel de la Ligue Pokémon d'Hoenn
- Un carnet d'attestation de Catégorie à votre nom
- Une licence à votre nom

Je vous souhaite une bonne réussite dans votre quête.

Veuillez attester, monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.

Eleanor R. Curtis
Maître de la Ligue Pokémon d'Hoenn »


Le jeune homme aux yeux aussi froids que le métal se laissa tomber sur le dos une fois sa lecture achevée. Quel soulagement... Il avait eu peur qu'ils refusent la prétendue autorisation de son père. Il s'était pourtant entraîné maintes fois à imiter sa signature mais, sans savoir pourquoi, un doute avait persisté dans un coin de sa tête quand il avait envoyé sa demande. Et s'ils avaient des bestioles avec des pouvoirs psychiques qui pouvaient voir si c'était bien la personne en question qui avait rempli le papier, ou un truc du genre ?
Mais heureusement, c'était passé sans le moindre problème. Qui aurait cru que tromper la plus grande administration du pays aurait été aussi simple ?

Pierre se releva d'un coup et, s'avançant jusqu'à son armoire, l'ouvrit pour en sortir divers vêtements qu'il étalait sur le lit, dans le but de préparer son sac. Il y avait tant songé qu'il s'était fait une sorte de liste mentale sur les choses à prendre. Inutile de s'encombrer avec des affaires en trop, il aurait déjà bien assez de poids sur les épaules avec la nourriture et le nécessaire pour faire un campement ou se soigner.
Lorsqu'il eut enfin terminé, le soleil était couché depuis un bon moment déjà. Parfait. Il avait justement prévu de partir le soir ou tôt le matin. Et vu qu'ils étaient en veille de week-end, personne ne viendrait le réveiller avant une heure avancée de la journée, ce qui lui laisserait bien assez de temps pour s'éloigner. De plus, il avait une licence officielle et une autorisation de son père, ce qui faisait que les autorités ne pourraient pas le rechercher pour fugue puisqu'il était parfaitement en règle. Le jeune Rochard prit cependant une précaution supplémentaire en entassant des habits sous la couette afin que, de loin et dans la pénombre, on puisse penser qu'il était en train de dormir. Il récupéra ensuite les économies qu'il avait faites depuis plusieurs semaines, en prévision de ce jour, et rangea la somme rondelette dans le portefeuille dissimulé dans sa poche intérieure. Enfin, le sac pesant sur l'épaule, il éteignit la lumière et referma la porte derrière lui.

Il se dirigea d'un pas joyeux vers le hall, enthousiaste à l'idée de ne plus avoir son imbécile de père sur le dos. Mais, tandis qu'il était presque arrivé en bas du grand escalier, une voix interrompit brusquement le fil de ses pensées pour le faire revenir sur terre.

« Pierre ? »

Aussitôt, il ferma les yeux en marmonnant un juron, sa main serrant la rambarde. Non, mais c'était pas vrai ! Il avait fallu qu'il rentre pile à ce moment-là ?!
Il rouvrit bien vite les paupières, pour lancer un regard méprisant à son père qui, debout dans l'entrée, le fixait avec incompréhension.

« Qu'est-ce que tu fabriques ? Et qu'est-ce que c'est que ce sac ?
- Mais voyons papa, tu aurais oublié ? demanda le fils, un sourire impertinent aux lèvres. C'est le grand jour aujourd'hui. »

L'homme à l'impeccable costume cligna plusieurs fois ses yeux fatigués en fronçant légèrement les sourcils.

« Le grand jour ? Mais quel grand jour ?
- J'ai enfin eu ma réponse, et ils ont accepté. Je suis maintenant un Dresseur de Catégorie Dix, et je vais participer au Défi de la Ligue avec ton autorisation. »

M. Rochard fronça davantage les sourcils tandis qu'il considérait son fils. Mais qu'est-ce que c'était que cette histoire, encore ?
Se massant les yeux, il répondit :

« Ecoute, Pierre, j'ai eu une journée éprouvante aujourd'hui. J'apprécierais que tu évites de me sortir ce genre de plaisanterie, qui est tout sauf amusante... »

Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase que le jeune homme sauta les dernières marches et vint lui coller sa licence tout récemment acquise juste sous le nez.

« Ah oui ? Et ça, c'est des conneries, peut-être ?! » s'écria-t-il d'un ton sifflant, une lueur victorieuse dans ses prunelles métalliques.

Son père prit lentement la carte officielle entre ses doigts, l'examinant dans tous les sens avec des yeux qui s'écarquillaient davantage à chaque seconde qui passait. Effaré, il finit par fixer à nouveau son fils, qui se délectait de la scène.

« Dis-moi que ce n'est pas vrai. Tu n'as tout de même pas pu faire ça !
- Oh si, j'ai pu.
- Mais comment as-tu... Tu es mineur, tu dois avoir une autorisation parentale pour pouvoir postuler, et jamais je...
- Peu importe comment j'ai fait ! le coupa Pierre d'un ton triomphant. L'important, c'est que je suis parfaitement en règle et que je suis libre de partir d'ici. Et y'a rien que tu peux faire pour m'en empêcher ! »

Il reprit son précieux sésame pour la liberté des mains de son géniteur, et marcha vers l'extérieur. Cependant, Adam Rochard lui saisit le bras au moment où il passait à côté de lui.

« Lâche-moi !
- Non ! Tu ne peux pas t'en aller comme ça ! Tu aurais dû m'en parler d'abord !
- Ah, bien sûr ! Pour que tu refuses !
- Bien sûr que je refuse, dans des circonstances pareilles ! Mais pas si tu étais venu me voir et qu'on en avait discuté tous les deux ! Là, peut-être que j'aurais accepté !
- Tu parles ! Ca aurait été non dès que j'aurais commencé à parler !
- Tu n'en sais rien du tout !
- Oh que si ! »

Il fit un brusque mouvement du bras qui lui permit de se défaire de la prise de son père. Mais celui-ci referma aussitôt sa poigne sur son épaule, serrant plus fort pour mieux le retenir.

« Tu ne peux pas partir comme ça ! répéta-t-il d'une voix plus ferme. Tu n'as même pas seize ans !
- Je les aurai dans un mois !
- Peu importe ! Tu n'es pas prêt pour ce genre de voyage ! C'est beaucoup trop dangereux ! Tu n'as pas entendu, l'autre jour, les deux Dresseurs qui sont morts à cause du raz-de-marée qu'un des deux a ordonné d'utiliser à l'un de ses Pokémon ?
- Oh pitié... Ca fait un cas depuis combien de temps ?! C'est pas avec le coup classique du c'est dangereux que tu vas me faire changer d'avis ! J'ai plus de chances de crever en traversant la grande avenue de Mérouville que de me faire bouffer par une bestiole ou de crever connement pendant un match !
- Je refuse qu'il t'arrive quelque chose !
- Comme si t'en avais quelque chose à foutre !
- Tu es sous ma responsabilité !
- Plus maintenant, t'as oublié ? T'as signé, je suis libre d'aller où je veux !
- Je n'ai... »

Le dirigeant de la Devon SARL demeura sans voix l'espace d'un instant, brisant l'échange de plus en plus virulent. Il n'avait rien à répondre à ça. Même si c'était faux, Pierre avait raison : il n'avait aucun moyen de l'empêcher de partir, aucune autorité vers laquelle se tourner. Cette autorisation falsifiée avait été validée par le gouvernement, il n'avait aucun moyen de leur faire faire marche arrière.
Profitant de cet instant de faiblesse, le jeune Rochard se dégagea une nouvelle fois... Mais les doigts de l'adulte réussirent à attraper de justesse la poignée de son sac à dos.

« Attends ! Si je ne peux pas t'en empêcher, alors laisse-moi au moins t'ai...
- LÂCHE-MOI !! » hurla Pierre.

Il se retourna soudainement pour infliger un coup de poing directement dans la mâchoire de son père. Sous le choc, ce dernier lâcha prise en poussant un gémissement de douleur, posant même un genou à terre, alors que son fils en profitait pour franchir la porte en courant. La lèvre éclatée, Adam Rochard cracha un mélange de salive et de sang en portant la main à sa joue touchée, avant de crier :

« Pierre ! Laisse-moi t'aider ! »

Sa voix tremblait de douleur, d'indignation, de colère... Mais aussi d'inquiétude et de peur.
Il se releva aussi vite qu'il le put, sortit à son tour en espérant le rattraper. Il se précipita jusqu'au portail grand ouvert, tourna la tête vers l'ombre projetée par les lampadaires qui s'éloignait et se confondait avec d'autres.

« Je t'en prie, ne t'embarque pas là-dedans ! REVIENS ! »

Un léger écho lui répondit, mais la sombre silhouette n'interrompit pas sa course pour autant.

« PIERRE !! » appela-t-il désespérément.

L'ombre disparut en s'engouffrant dans une ruelle adjacente. Abattu, le dirigeant de la Devon SARL se laissa tomber à terre. Il fixa un long moment l'endroit par lequel son fils était parti, répétant dans un murmure :

« Je t'en prie... Reviens... »

Quand il comprit qu'il ne pouvait plus espérer un tel miracle, il enfouit son visage dans ses mains, dissimulant les larmes naissantes au coin de ses yeux aux voisins curieux qui commençaient à s'approcher.