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La Faucheuse. de T-Tylon



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» Auteur : T-Tylon - Voir le profil
» Créé le 27/03/2011 à 19:14
» Dernière mise à jour le 27/03/2011 à 19:14

» Mots-clés :   Présence d'armes   Sinnoh   Suspense   Terreur

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Discernement.
Sinnoh. Floraville. Maison de la maitresse des baies, salon/cuisine 1er étage.

Jeudi 13 Mai, 11 heures 45 minutes.



Comme c'était l'habitude depuis le début de la période estivale à Floraville, le jour était claire et lumineux, un ciel dégagé avec de rares et discrets nuages d'un blanc timide qui venaient contraster avec le bleu éternel de l'azur. C'est dans ce contexte que l'ancienne maitresse de l'île se trouvait sur la terrasse du salon en vue d'admirer le paysage calme de cette campagne, sa longue et soyeuse chevelure blonde dansant sous la mélodie des vents alizéens portant avec eux les douces premières tiédeurs de l'été, emplit des senteurs parfumés et fruités des hectares sauvages en fleur plus colorées et nombreuses que les tons d'un arc-en-ciel ; avec une petit pincement au cœur. Car aujourd'hui serait la dernière fois avant une certaine période qu'elle espérait qu'il soit court.

Elle délaissa un instant cette agréable vue pour se retourner vers l'intérieur de la maison, à regarder l'amie lui ayant servit aussi bien d'hôte que de cuisinière durant tout le temps passé avec elle et qui s'afférait encore une dernière fois à cette tâche pour lui préparer le petit plateau repas qui lui sustenterait pour la première étape de son retour, en s'arrêtant en premier lieu à Vestigion. De loin, comme les valeurs de Célestia le lui avait inculqué -en plus de sa propre nature tolérante-, elle reconnaissait à chacun le droit de choisir de vivre passivement comme il l'entendait et donc de se nourrir selon le régime qu'il choisissait, et comprenait que nombre de personnes puissent décider de devenir pleinement végétarien au détriment d'une absence complète de viande ; sans devoir pour autant expérimenter soi-même ces raison pour en comprendre la véritable nature. Mais pour avoir passée les dernières semaines à ne s'alimenter presque exclusivement de légumes et de fruits (si nombreux et variés que chaque jour était un nouveau festival de régal inédit), sans même avoir une seule fois touchée à de la viande durant le séjour, et de ne s'en être pourtant jamais lassée un seul instant… Elle pouvait désormais vraiment comprendre ce qui pouvait motiver les habitants de la région à ne pas changer leurs habitudes alimentaires, car elles étaient toutes sauf restrictives dans ce domaine ; d'ailleurs, elle-même attendait avec une impatience égale à son regret de partir le plat que lui confectionnait la demoiselle pour elle.

Impatience qui allait être récompensée, car la dite personne venait de finir d'apporter la touche final à son mets, avant de l'emballer dans une serviette de lin qui servirait aussi bien de panier sobrement décoré que de couvert de tissu sur lequel elle pourrait poser son repas là où elle s'arrêterait pour le déguster (et éventuellement de serviette tout court.) Ce qu'elle confirma en appelant la jeune femme par son nom depuis ses fourneaux (façon de parler, vu qu'elle n'en avait pas vraiment.)

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Cette dernière s'en alla donc la rejoindre à l'intérieur, là où elle déposait le panier à côté de son petit bagage contenant ses affaires, prête pour le départ ; avec un petit plus à côté de ce dernier sous la forme de six petites baies bleues.


«J'ai prévu un panier repas pour une personne, mais ça ne veux pas dire que j'oublie tes amis pour autant.» Justifia-t-elle timidement.

«Je ne sais pas si je dois accepter, cela ressemble plus à une gâterie qu'un repas…» Renvoya-t-elle faussement hésitante. «Ils pourraient finir par développer des goûts de luxe et ne plus rien choisir d'avaler d'autre.»

«Dans ce cas, il suffira juste de repasser par ici de temps à autre pour régler le problème.» Avança-t-elle simplement.

«Oui, juste toutes les six heures, à n'importe quel moment du jour et de la nuit.» Renchérit-elle d'une fine note exagérée.


La demoiselle lui fit un fin sourire discret à la remarque, avant de prendre les six baies présentées pour les ajouter à l'emballage de la serviette. Puis de le lui tendre lentement d'un geste délicat qui tenait plus d'une certaine gêne que d'une réelle inquiétude quand à l'intégrité des fruits ; que l'ancienne maitresse accepta avec la même délicatesse…

Elles restèrent ainsi un moment silencieuses, à s'observer sans croiser le regard et sans rien dire. Avant de finalement émettre le constat du départ avec une pointe de nostalgie.


«Bon, et bien… Il c'est l'heure pour moi de partir.» Conclut-elle d'un petit soupir. «Je crois avoir suffisamment abusée de ta bonne volonté pour te laisser à nouveau tranquille pendant longtemps.»

«Tu es sûre de vouloir partir maintenant ?» Reprit-elle comme un peu déçue. «La soirée mondaine s'est terminée hier, mais tu sais que tout ce qui s'est passé… C'à ne changera rien entre nous…»

«Je sais bien, et je t'assure que j'en suis vraiment heureuse…» Lui sourit-elle sincèrement, avant de pousser un petit soupir. «J'aimerais vraiment tout t'expliquer maintenant, ça n'est juste pas encore le bon moment.»

«Tu m'expliqueras quand tu le voudras, d'accord ?»

«Promis.» Confirmait-elle d'un nouveau sourire.

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Une fois dehors à nouveau sur la terrasse l'ancienne maitresse fit appeler son joyeux ami à plume, qui voletait lancinement juste devant le bord en attendant que sa dresseuse grimpe, accompagnée jusqu'au bout par la demoiselle pour les perpétuels dernière politesses de départ.


«Juste, rappelle-moi pourquoi tu es si pressée de rentrer ?» Lui fit-elle timidement.

La dresseuse sourit à la tentative somme toute mignonne de la demoiselle pour la garder un peu plus longtemps, alors qu'elle savait déjà de quoi il était question.

«Ma grand-mère a trouvée des bas-reliefs dans la salle récemment exhumée aux ruines de Bonville tout à fait fascinants, mais qui nécessiteraient quelques unes de mes compétences linguistique pour en percer le sens un peu plus rapidement.» Réexpliqua-t-elle d'un petit sourire gêné.

«Tu es sûre qu'il n'y a pas autre chose ?» Relevait-elle un peu dépitée.

«Désolée, mais là aussi ça concerne quelque chose dont il vaudrait mieux que tu n'en ais pas connaissance tout de suite.»

«Tu sais pourtant ce que les légendes signifient pour moi aussi…»Fit-elle sobrement remarquer.

«Oui ; et je me souviens aussi très bien de tes histoires sur les baies, ainsi que l'aide que tu nous apportes.» Continuait-elle dans la lignée. «Mais là ça concerne de plutôt près les évènements de la Team Galaxie.»

«Et du Mont Couronné ?» Avança-t-elle innocemment, ce qui obtenu une réelle surprise de la part de l'ancienne maitresse.

«Tu sais ce qui s'est passé ?»

«Non… Mais Aurore et Lovis ont faillit m'en parler dans le marais, juste avant qu'on ne vous rejoigne sur son Torterra.»Reconnut-elle platement. «C'est moi qui n'est pas cherchée à en savoir plus ; parce que j'avais d'autres choses en tête à ce moment là.»


L'ancienne maitresse soupira de soulagement en l'apprenant, mais aussi d'une part honteuse de savoir que ça faisait encore d'avantage de chose qu'elle lui cachait, alors qu'elle était à chaque fois d'être sur le point de l'apprendre. Si en plus Aurore et Lovis ont faillis lui expliquer, mais que la seule chose qui les en a empêchée était justement Luna… La rétention d'information qu'elle lui faisait subir tenait autant à une injustice qu'à une protection salvatrice. Car si jamais les teams revenaient pour elle…

En fait non, c'est idiot : si les teams venaient pour elle c'est parce qu'à la base ils veulent ses compétences et ses connaissances sur les baies, donc les mystiques par la même occasion ; retenir des informations dont les teams sont de toute manière certainement au courant vu leurs antécédents relèvent juste d'un point de vue plus paranoïaque que logique. De plus elle est au courant pour la mésaventure de Florianne, les bribes de base sur les légendaires lui ont été confirmées par sa grand-mère et sa sœur à Célestia ; et elle l'a aussi couverte face au gouverneur Matis en se surpassant littéralement pour elle, alors qu'elle savait que ce qu'elle mijotait n'était ni proprement légal, ni n'en connaissant vraiment la nature. Elle l'a juste aidée parce qu'elle le lui avait demandée, sans rien n'exiger en retour. Juste une confiance totale en elle… Mais c'est précisément là que ça coinçait : une confiance aussi aveugle, même pour une amie –surtout pour une amie-, quand elle savait dans quoi elle trempait désormais, ça pourrait être fatal pour cette jeune demoiselle qui, si elle arrive à l'âge adulte –avec sa maturité-, n'en reste pas moins encore une enfant émotionnellement parlant… Elle ne pouvait pas prendre cette décision seule pour l'instant.


«Ecoute, voilà ce que je te propose.» Reprit-elle d'une voix plus convaincue et franche. «D'abord je rentre pour me concentrer sur ces recherches en continuant en parallèle avec celle pour la famille de Lisa, j'en profite pour me concerter avec Louka et les autres à ton sujet pour savoir si on peut faire appel à tes services «plus en privé», et après je reviens en personne pour te faire part de la décision finale ; peu importe qu'elle soit oui ou non. Est-ce que ça te convient ?»

«Oui.» Répondit-elle avec une fine note contente.

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La chose étant dite (avec entrain qui plus est) la dresseuse prit son bagage et son panier en main et, d'une pirouette acrobatique en prenant appui sur le bord de la terrasse, atterrit en parfaite réception assise sur le pokémon volatile ; qui ne se déséquilibra ni ne s'offusqua d'une plume (devant le regard apeuré de la demoiselle, qui imaginait déjà le pire se produire si elle s'était loupée.) Avant de s'envoler, la jeune femme adressa ses dernières salutations à son aimable hôtesse de ce sourire amusé.


«Compte normalement une à deux semaines grand max avant que je ne revienne !» Commençait-elle à hausser la voix en même temps qu'elle prenait de l'altitude.

«J'attendrais !» Renvoyait-elle sur la même portée. «Et passe le bonjour à Flo et à Lisa de ma part !»

«Compte sur moi !» Criait-elle désormais alors que son aimable monture ailée mettait le turbo. «Au revoir Luna !»


Ayant déjà rapidement prit de la distance par l'indétrônable compétence aérienne de son Togékiss, la demoiselle se contenta de lui faire signe de la main pendant quelques instants ; le temps qu'il fut nécessaire avant que son invitée et son pokémon ne soit trop loin pour arrêter, et retourner dans sa maison. Seule…

A nouveau seule…


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Quelques heures plus tard ; au fin fond d'une grotte aussi peu fréquentée qu'intéressante pour le commun des mortels.



Une fois arrivée de nouveau dans son repaire, avec la certitude de ne plus être dérangée par autre chose qu'un imprévu (de toute façon statistiquement calculé), la Faucheuse délaissa toute forme d'entrainement ou de vérification de matériel pour se concentrer exclusivement sur l'analyse des données récoltées durant la soirée d'hier grâce à sa boucle d'oreille ; et les informations qu'elles ont engrangées valaient très largement le risque d'être photographiée. Même plus que cela…

En commençant par le commencement, la première chose dont elle s'occupait n'était pas la plus évidente – le gouverneur –, mais bien la moins évidente : l'ancienne maitresse ; sachant qu'elle aurait des chances qu'elle lui dise tout d'elle-même, mais que ça n'était pas une certitude, autant s'en assurer soi-même. Ce qui s'avéra plus que judicieux… D'après ce que les micros captèrent de sa conversation avec Drayfus, plus discrète et attentive à son environnement que d'habitude (ce qui s'entendait à sa voix et à sa posture ; d'après aussi la caméra qui passait outre sa chevelure via les multiples spectres), cette commande de montre n'était pas pour la Ligue –pas même ses camarades proches-, mais pour une sorte de groupe parallèle à cette dernière ; mais le plus intéressant dans l'histoire c'est qu'ils évoluaient en dehors des lois et du Consortium…

Voici les faits : La Ligue étant aux prises avec Rising Sun pour un moment, le Consortium qui va jouer le rôle de la balance impartiale, la réaction de l'ancienne maitresse à l'intérêt suscité par le gouverneur indique qu'il ne sait pas de quoi il s'agit (même si son propre entretien et connaissance de lui, lui démontrait qu'il devait certainement se douter de la chose au même niveau qu'elle), Flo et Lucio qui font un passage à Unionpolis pour «une visite de politesse» ; sans compter cette dernière qui se fait méfiante vis-à-vis d'elle en tant qu'amie, tout comme Cynthia, alors qu'elle savait qu'elle était la dernière personne «en dehors de leur cercle secret» sur terre à qui elles auraient le plus de chance de parler… Plus la défaite de Rising Sun sur l'île et l'étonnante coopérativité du plus haut gradé de ces derniers à Sinnoh, alors qu'en lisant les comptes-rendus sur les données escroqués à la Cour il n'en aurait pas dû être ainsi… Plus la venue «miracle» de Matis à la soirée…

Le hasard existe, car il fait bien les choses. Trop bien même. C'est pour cela que, populairement parlant, on appelle un taux de probabilité infime que de multiples facteurs improbables se rencontrent pour créer une situation impossible : une coïncidence. Hors il y'a toujours une règle à respecter par la logique même des coïncidences : une fois c'est une coïncidence, deux fois ça fait beaucoup. Ce qui veut dire que l'affaire du Leuphorie Shiny est actuellement l'objet d'une enquête visiblement pointue d'un groupe para légal composés de membres probablement aussi compétents qu'ils ne doivent être peu nombreux ; vu le manque flagrant de données, et même l'absence complète de rumeurs sur eux. Même «la mouche» n'a pas l'air d'avoir grangée un iota d'information là-dessus. Ce qui était une première.

En parlant de la mouche d'ailleurs, celle-ci devrait bientôt pointer le bout de son nez…

Mais elle laissa ces suppositions, là où sa collecte d'infos ne lui permet pas plus d'avancer sans perdre son temps, pour enchainer avec le gros poisson : le gouverneur. Toute la discussion fut analysée avec une méticulosité qui ferait passer le terme obsessionnel pour un synonyme de négligence totale, et voici ce qui en est sortit : en premier, le plus important et pas des moindre, sa fille n'était pas non seulement au courant que son cher père s'adonne aux plaisirs inavouables de la gourmandise dans une soirée mondaine : elle était dans le coup depuis le début. Et quand le terme début est utilisé, c'est vraiment le tout début : depuis l'orchestration entière de l'attenta à Carmin-Sur-Mer. Ses micros expressions ne mentaient pas : la fierté qu'il éprouvait vis-à-vis de sa fille et dont il faisait part à qui voulait l'entendre, il n'y avait pas une once de gêne, de pitié, de doute, de honte, de regret ou même de dégoût ; à la place il y avait de la fierté, un soupçon d'orgueil presque imperceptible, de la joie, de la détente, mais surtout de l'assurance : quand il parlait d'elle, c'était avec la même assurance que lorsqu'on se tient par définition totalement garant de l'intégrité de quelqu'un qui partage strictement les mêmes aspirations que soi…

Mais il y'avait autre chose aussi à son sujet, qu'il n'abordait pas et ne voulait surtout pas aborder, mais dont il ne put s'empêcher d'y penser. Dans la conversation, lorsqu'il fait part de sa présence inattendue en rapport avec le fait que sa fille le sache ou non, il est en même temps inconsciemment obligé de devoir faire la comparaison inverse d'où il était normalement censé se trouver ; pour voir cela sous un autre angle, dans une conversation au sujet d'un lieu entre deux personnes qui se rencontrent au hasard, si l'un des deux prétends être ici par la force des choses alors qu'il devrait être ailleurs, mais qu'il met plusieurs instant avant de répondre où alors que c'est une question simple : c'est que c'est un menteur. Hors sur ce point, le gouverneur avait montré des signes évidents de réticence et d'une faible pointe de frustration, mais surtout une réelle partie de crainte quand il abordait cette comparaison : mâchoire légèrement crispée, lèvre qui se fait mordiller, mouvement désynchronisé de la joue dans un sourire forcé, la main qui se crispait sur l'accoudoir du fauteuil, ou encore les épaules qui cessent de se détendre un moment pour se rigidifier…

C'est curieux, sa fierté et sa confiance envers sa fille sont bien réels, mais d'un autre côté, malgré l'engagement sûrement nécessaire de sa présence à cette soirée pour la maitresse des baies, c'est comme si c'était lui qui regrettait d'être présent au lieu d'être aux côtés de sa fille… En tant que père au côté de son adulte progéniture, dont l'absence semblait devoir être comblée par une autre personne ; visiblement appréciée de sa fille, mais pas de lui…

S'il y'a bien un sentiment qui peut conduire des peuples entiers à leurs pertes, ça n'est ni l'arrogance, ni la vengeance, ni la cupidité (même s'ils les mettraient surement à genoux), mais bel et bien l'amour : le plus imprévisible et violent de tous. Violent ne veut pas dire physiquement brutal, mais bel et bien violent mentalement : par amour les humains peuvent perdre intégralement la raison ; mais inversement à la haine qui propulse la détermination aveugle à un point déraisonné, l'amour le descend aux fins fonds des abysses. Même un guerrier ou un stratège doté d'une force et d'une intelligence sans pareil peut brutalement devenir aussi chétif et perspicace qu'un enfant de six ans (et encore l'enfant serait plus réactif ; certainement aussi naïf, mais plus réactif.) Mais la faiblesse de ses réactions expressives tend à démontrer que le gendre n'a pas l'air d'être un problème…

Il n'y a que deux facteurs principaux qui font qu'un père apprécie ou non le gendre de sa fille : le gendre en lui-même, ou son activité. C'est immanquable : si le gendre parait idéal mais que son boulot l'est moins, il s'agit d'être content pour sa fille mais pas pour son avenir ; si le gendre est navrant mais qu'il est socialement/économiquement bien placé, la part belle est au doute quand à savoir si un jour la situation émotionnelle évoluera en bien ou non.

Le monde se résume à deux choses pour l'être humain : l'argent et le sexe. Et quand on sait que chez l'homme –le mâle- ces deux choses se rapportent à la «bourse», c'est qu'on a comprit 90% du système au minimum. Et pour en revenir au père Matis, le résultat est sans appel : le gendre le fait, pas son job. Maintenant, question : sachant que le gouverneur Matis et par extension sa fille possèdent tous deux une situation plus que confortable -socialement et économiquement parlant- qui les met totalement à l'abri du besoin, et que le prétendant à la belle n'est pas dans ses mauvais papiers : quel peut être le gendre qui puisse faire douter l'homme du Consortium responsable de l'attenta à Carmin-Sur-Mer ? Si c'était une star ça serait dans la presse à scandale, si c'était un inconnu il n'éprouverait rien de transcendant à son sujet, une grosse-tête scientifique et il ne se serait pas privé d'en faire la remarque, à l'inverse un dresseur et il en aurait fait l'éloge pour faire rapprocher son image à celle de la Ligue… Il n'y a qu'un seul type de travail qui peut correctement entrer en conflit entre lui, sa fille et ses magouilles, pour peu que selon les conditions de travail en ambassade une jolie jeune femme vienne à rencontrer le prince charmant, et dont les relations avec la justice sont certainement à deux critères bien distincts, mais qui ne peuvent s'empêcher de se compléter à la perfection par définition : un policier.

Bien sur cela reste de la spéculation… De la spéculation basée sur des critères de coïncidences, évidemment…

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Enfin la dernière partie de l'enregistrement, au moment où le gouverneur lui fait son petit numéro sur la piste de dance ; depuis «l'apprentissage» de la valse, sa «fulgurante maitrise», jusqu'au final romantique…

Avant toute chose, la dance n'est en rien différente du Vaapad ou des mouvements de combat ; certains lutteurs de catch prennent même des cours de danse classique pour gagner en souplesse et finesse, qui s'avèrent ensuite être des atouts redoutables lors de prise d'engoulement. Aussi bien sur le plan physique que moral d'ailleurs : pour un lutteur standard et machiste, pour qui se sport lui apparait avant tout comme une démonstration de testostérone, prendre au sérieux un adversaire qui fait de la danse classique est purement impossible, et reconnaitre sa défaite face à ce même adversaire encore plus au dessus de ses forces. Mais est-ce que le vainqueur en a cure ? Non. Lui il gagne, son adversaire perd. Et de surcroit refuse de reconnaitre sa force par fierté ; donc n'arrêtera pas de perdre au lieu d'apprendre de ses erreurs. Les meilleurs adversaires à affronter sont toujours ceux qui refusent sciemment d'évoluer, car ce sont toujours ceux qui s'empalent invariablement sur les pieux de leur propre arrogance.

Ce qui, pour conclure à son sujet, voulait simplement dire que la dance reste une question de manœuvre, de rythme, de tempo, donc de mécanique, donc de logique et de déduction logique. D'autant plus que la chose était rendue aisée par son honorable partenaire qui, étant plus grand et imposant qu'elle, était par contrainte physique obligé de mener la danse et les pas avant elle, et donc il ne lui suffisait plus que de suivre le mouvement en se calquant sur les siens ; ce qui, avec la valse, est tout de même relativement aisé.

Mais, pour laisser le coup de la valse d'illusion, afin de revenir à la «l'absence» de celui-ci en réaction après avoir vu ses yeux (ce qui était la seule chose qu'il ne pouvait contempler de son visage avec une telle insistance), et de son mensonge par la suite à reconnaitre qu'il croyait être revenu dans le passé avec sa femme dans une situation semblable : son expression avait changé du tout au tout entre la discussion avant d'avoir vu ses yeux et après… Et pas le genre de regard qu'il faut espérer voir dans les yeux d'un interlocuteur comme Matis. Ce qui sentait d'autant plus le roussit, pour ne pas dire le carbonisé en ayant capté sa dernière phrase avant de quitter la soirée en envol ; à la portée maximale de son petit micro.

Mais elle n'avait pas à s'en faire. Pas qu'elle puisse ressentir la crainte ou la peur de toute façon, mais juste qu'elle savait parfaitement bien ce qui allait arriver dans les heures qui suivraient…

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Elle éteignit la fenêtre d'analyse multi-spectre pour passer directement à l'armurerie et sortir la véritable panoplie de gadgets ésotériques qui s'y trouvait, en vue de ce qui deviendrait la prochaine affaire qui ferait les gros titres des journaux pour les mois à venir. Ni l'underworld, ni la mouche, ni la Ligue, ni Rising Sun, ni le Consortium, ni même cette organisation parallèle inconnue ne pourront se remettre de la tempête qui naitra après que le monde de désillusions dans lequel ils vivent ressentira à nouveau l'implacable passage de la mort.

Ce qui lui fut confirmé alors qu'au moment où elle enfilait à nouveau la Callidus, l'écran principal de la console affichait une demande de contrat en attente d'un courrier tout juste arrivé.


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Sinnoh. Route 204, fin fond du Chemin Rocheux.

Vendredi 14 Mai, 00 heures 27 minutes.



Inspirer, expirer, inspirer, expirer, jusqu'à ce qu'il se calme… Echec total : Quentin Phyllis, alias l'indic de la Faucheuse, n'arrivait pas à restreindre les tremblements fébriles dont il était prit par l'excitation de l'occasion unique à laquelle il participait. Pour la première fois depuis le plus gros coup de ce tueur à gage, depuis son partenariat avec lui, il allait assister en direct (bien que discrètement en arrière) à un meeting arrangé avec le mystérieux commanditaire qui l'avait embauché pour l'affaire du Leuphorie Shiny ; de la bouche même de la Faucheuse qui voulait qu'il soit témoin de cet instant. Lui, un «simple indic», allait voir de ses yeux et entendre de ses oreilles cette nuit l'histoire s'écrire ; qui n'aurait pas été fébrile à sa place ? (Bon il fallait aussi admettre qu'il devait avoir quand même bien forcé sur le café pour rester éveillé. M'enfin même sans café il ne voyait pas comment il aurait pu fermer l'œil de la nuit.)

Mais surtout, sa patience allait être récompensée à sa juste valeur. Au-delà de la part dont il allait hériter une fois qu'elle dirait oui (il ne l'aurait pas convié s'il y'avait un doute de ce côté-là), le plaisir de connaitre la vérité derrière le rideau, les véritables maitres et leurs plans se mettre en action qui touchent de façon invariable le monde dans son intégralité et d'y être présent… Il n'y a aucune drogue qui pouvait lui procurer pareil plaisir ; plaisir personnel plus que transcendantal.

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«Tâche de garder le contrôle de toi-même, ou je me passerais de ta présence cette nuit.»

Il se figea dans l'instant. La possibilité d'être privé de ce qui serait l'occasion de sa vie par ses pulsions primitives le foudroya sur place plus efficacement que si la foudre lui était tombée dessus.

«Bien.» Reprit la voix brouillée de la Faucheuse d'un constat neutre. «C'est l'heure.»


Derrière son écran, affiché en fenêtre fantôme sur celui de la Faucheuse, il pouvait voir le sombre endroit glauque dans lequel elle évoluait à chaque entretien (une grotte sans aucun doute.) Ses méthodes de contre-brouillages sur lesquels il avait travaillé durant des années entières sans se faire repérer portaient enfin leurs fruits, alors qu'en face il savait que son «partenaire» tueur ne devait pas se douter de ce qui lui pendait au nez ; cette nuit, ça sera à son tour de participer à écrire l'histoire…

Histoire dont le tournant commençait ici à partir du moment où une tierce fenêtre s'ouvrit sur leurs écrans respectifs, affiché sous la forme d'un important dispositif de brouillage de neige.


«Bonsoir, Faucheuse.» Déclara sobrement le commanditaire par les échos innombrables de sa voix filtrée par les brouilleurs.

«Bonsoir, Mr «M».» Lui rendit cette dernière d'une voix neutre et sans aucune émotion. «Ne perdons pas d'avantage de temps et commençons par le commencement : contrat ?»


Le mystérieux commanditaire fit envoyer dans l'instant un fichier crypté de son côté à destination du réseau fantôme dont ils se servaient pour leurs entretiens, dont une fenêtre de téléchargement s'ouvrit, après que le dit fichier ait passé avec succès une batterie d'analyse et de traque de programme pirates qui n'auraient pas eu leur place ici. La Faucheuse accepta, et immédiatement après la fenêtre de téléchargement laissa place à celle d'une de lecture parcourant et affichant les données à l'écran.

Lorsqu'il parcourut lui aussi la fiche depuis son écran, Quentin Phyllis fut prit d'un choc qui le cloua sur place littéralement l'espace d'un instant. Avant de ne pouvoir s'empêcher d'esquisser un sourire dément de jubilation lors de la confirmation du mystérieux commanditaire.


«Cible : Cynthia Luna. Profession : Maitresse des Baie. Âge : 17 ans. Taille : 1 mètre 67 centimètres pour approximativement 50 kilos.»

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Un silence aussi court qu'intense se fit alors que des trois seules personnes inconnues présentes de cet entretien, tous n'attendait que la réaction de la plus nécessaire des trois.

«Prime.» Reprit-elle machinalement par étape comme si l'information n'avait eut aucune impact sur elle.

«Trente millions.» Confirma-t-il de nouveau en se pliant parfaitement à ses préceptes.

«Situation.»

«Actuellement chez elle, dans sa demeure de Floraville. Isolée à l'écart du reste de la ville.»

«Conditions.»

«Disparition.» Reprit-il neutralement à son tour. «Meurtre sans aucune trace, puis disparition du cadavre dans un sac plastique de taille adaptée. Ensuite laisser le corps emballé dans un appareil de réfrigération à Féli-Cité pour conservation du cadavre en attente de récupération.»

«Raisons.» Continua-t-elle sur le même ton, sans que cela l'étonne plus que cela. Alors que son indic peinait à suivre cette atmosphère aussi calme que lugubre.

«En première partie : dévaloriser la Ligue aux de la population en leur imputant la faute de sa disparition, dont les rumeurs courrons qu'elle fut fatale. En deuxième partie : récupérer son corps en entier servirait de multiples intérêts personnels, tous purement scientifiques.» Déclara-t-il neutralement.

«Qui sont ?» Renvoyait-elle aussi neutralement que d'habitude.

«Cela reste aussi théorique que spéculatif, mais son patrimoine génétique pourrait contenir des informations précieuses pour l'avancée de recherches dans le domaine médical ; ce qui explique le besoin de conserver son corps dans les meilleurs conditions possibles. En évitant de toucher au cerveau de préférence.»


=Les données de la SCS soulignaient qu'il ne mentait pas, mais inversement cela démontrait à quel point il était malin. En reconnaissait ouvertement qu'il n'a aucune idée de ce que son «caprice» pourrait donner, il ne pouvait pas en apprendre plus pour le tueur qu'il engage ; qui n'irait pas chercher des informations purement spéculatives, et donc sans aucune valeur concrète à ses yeux. A la fois il gardait ses arrières en s'exposant, tandis que je devais être celle qui prenait tous les risques… Mais quels risques ? Voilà l'ironie.=


«Ces explications vous conviennent-elles ?» S'enquit posément le commanditaire.

«Oui.» Renvoya-t-elle simplement derrière son propre brouillage.

«Alors, vôtre réponse ?»


Un instant s'écoula. Une seconde d'éternité qui reflétait le futur aux yeux du passé avant que la goutte d'eau du temps ne fasse déborder la coupe du présent. Le commanditaire restait d'un calme et d'un silence égal à celui qui régnait dans la grotte ; l'indic faisait de même alors qu'il était figé, les yeux rivés devant son écran comme une vidéo mise sur pause, alors qu'il n'attendait ironiquement comme le commanditaire (qui n'était pas au fait de son existence) que la réaction de la tueuse la plus redoutable du monde, et surtout sa réponse…

Qu'elle finit par donner de son éternel ton neutre comme se cela ne représentait aucun intérêt ; même quelconque.


«J'accepte.»

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Archipel Orange. Île Mandarine Sud. Villa secondaire du Gouverneur Matis, située à quelques kilomètres de la ville la plus au Sud de l'île : Crèmbulle.

Samedi 15 Mai, 19 heures 33 minutes.



Qu'il est agréable de savourer un petit verre de rouge en admirant le couché de soleil depuis le bord de la terrasse de sa villa privée face à la mer, à quelques mètres devant la falaise. Tranquillement installé dans sa longue chaise en étant doucement bercé par la finesse de la brise marine qui ballotait légèrement le parasol à ses côtés prévu pour la pleine journée. Tout en appréciant la douce chaleur du soleil couchant, dont les rayons d'un orange carmin magnifique se reflétaient avec éclat sur les vagues fluettes de la timide houle du soir, et qui offrait l'art crépusculaire de la mer dans sa présentation la plus belle qui soit.

Il était d'autant plus agréable de profiter d'un tel instant en sachant qu'il servait plus que d'une simple petite période de retraite dans son activité -actuellement plutôt mouvementée. La nouvelle de son petit passage sur l'ile principale des archipels Orange fit évidemment l'article de la semaine dans les journaux locaux, ce qui lui servait d'un alibi non négligeable en attendant sereinement que sa «commande» ne s'effectue dans les temps. Il se prit d'ailleurs à sourire en pensant à cela, qu'enfin il y'aurait surement des avancée significative de son côté après la énième réussite de ce contrat à son actif, là où ses propres «subordonnés» piétinaient sans aucun progrès depuis des mois. Mais ce qui le faisait sourire n'était pas qu'il s'attendait enfin à des résultats, mais par le premier conseil judicieux que lui ait fournit son «employée» pour s'assurer qu'il possède réellement un alibi en béton armé.

Comme d'habitude, la Faucheuse lui eut imposée le délai durant lequel il pouvait réfléchir à accepter ou à revenir sur sa décision de l'engager. Mais la grosse différence cette fois-ci fut que, avant même qu'il ne donne à nouveau sa réponse, elle lui conseilla un alibi personnalisé qui n'est pas en béton armé, mais littéralement en titane pour assurer ses arrières. La raison de son côté : «petite fleur pour son meilleur client» ; et quelle fleur ! La nouvelle de la capture d'un habitant des archipels Orange par les forces de police, qui fut le leader criminel responsable des actions à Sinnoh, a provoqué une certaine réaction du côté de ces îles. Mais le pire était sans doute les répercussions touristique qui allaient de pair avec cette histoire, dont la part venant de Sinnoh se fit réduite d'un coup de deux tiers par rapport aux autres saisons ; un certain coup dur en sachant que les touristes de cette île correspondaient à 30% des recettes sur l'île Mandarine Sud. Mais une telle réaction était prévisible de la part des habitants de Sinnoh : pourquoi un habitant des archipels orange s'attaquerait à leur île, alors qu'il n'y avait aucune raison justifiant un tel comportement belliqueux (exagéré par les médias) ? Cette simple question a engrangée malgré elle les prémisses d'une inimitié dans les relations entre les deux «pays», qui s'est rapidement manifestée sous la forme d'une réelle méfiance de la part des habitants de Sinnoh envers ceux des îles Orange (car si un seul d'entre eux réagissait avec une violence aussi aveugle, qui sait combien d'autre il pouvait y avoir ?)

Et c'est là que lui intervenait : le gouverneur Bertrand Matis qui s'offre quelques jours de vacances dans les archipels Orange, sur l'île principale pour profiter du cadre relaxant maritime unique de cette région ; sans aucune appréhension ni crainte. Des simples vacances dans un endroit plus qu'adapté pour qu'elles soient les plus agréables possible ; comme tout être humain normal le penserait. Et donc ainsi inciter la population de Sinnoh à ne pas généraliser l'attitude du criminel à toute la population des îles orange, qui restaient des humains comme eux. Il se doutait que la Faucheuse devait connaitre son identité pour lui avoir proposée pareil plan adapté parfaitement à sa situation, mais l'énorme avantage dont ils en tiraient tous les deux l'incitait à croire qu'il pouvait être entré dans ses bonnes grâces. Un inédit tel dans le milieu de l'underwordl –et même du monde entier- qu'il avait sortit l'une de ses meilleures bouteilles pour l'occasion en profitant de ses vacances.

Mais pour ne pas paraitre non plus insensé et trop téméraire pour l'opinion publique, dont les bruits couraient que cela soit vraiment tenté le diable par une telle occasion en incitant des «rebelles» à s'attaquer à lui, il se «plia» donc à la directive du gouvernement de l'île qui lui assigna une équipe complète de dresseurs garde du corps entrainés pour assurer sa sécurité durant son séjour. Et ce 24h sur 24. Ces gardes du corps sont de plus formés par des entreprises privées qui ne sont pas reliée à l'archipel Orange, ce qui garantissait en même temps leur intégrité aux yeux de la population.

Ainsi protégé, avec sa réputation, ses contacts, ses ressources, et même plus encore : qui pourrait bien décider de vouloir s'en prendre à lui ? Quel serait l'être assez fou pour profiter de pareil «occasion» sans risquer de provoquer une véritable tempête d'ordre mondial ?

Il fallait être réaliste : personne. D'autant plus qu'au moindre signe de danger contre lui, son pacte avec «la mouche» lui garantissait d'en être informé à partir du moment même où l'idée du concept serait abordé. Etant l'un des rares ayant les moyens pour se payer ses services aussi uniques que ceux de la Faucheuse ; correspondant elle aussi à l'une des dix lois de l'underworld : la mouche sait tout, voit tout, connait tout, et arrive toujours comme un insecte dans la soupe pour ruiner les efforts du cuisiner. Telle une vraie mouche.

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Il décida de se lever de sa chaise en se rendant finalement compte que sa dernière gorgée avait fini de vider sa bouteille, dans l'optique d'aller se servir d'une autre ; cette fois-ci d'un petit rosé, se dit-il, qui irait à merveille avec cette scène. Mais à peine se leva-t-il qu'un de ses gardes du corps ne se soustraie à la distance de garde imposée par le gouverneur (qui ne voulait pas non plus être tracé comme son ombre tout le temps) pour l'escorter à distance respectable ; c'à quoi le gouverneur ne put s'y soustraire, car cela était une condition non-négociable pour sa sécurité. Néanmoins, une fois arrivé devant la porte de sa petite cave privée, le garde prit à nouveau formidablement ses distances tandis que le gouverneur tapait le code pour ouvrir l'accès à son saint des saints (ils avaient leurs conditions, il avait les sienne ; le vin en était une avec laquelle il ne plaisantait pas.)

Il hésita un long moment devant ses rangées de bouteilles (plutôt nombreuses) ; car se dire de se prendre un petit rosé est une chose, en choisir un parmi la cinquantaine présente dans son répertoire en était une autre. Au final il se décida pour un petit rosé local qu'il eut acquis lors d'un de ses nombreux passages d'affaire dans ces îles. Histoire que cela fasse ton sur ton et rende l'expérience encore meilleure.

Lorsqu'il sortit de sa cave (après avoir refermé derrière lui), il fut cette fois-là surprit de ne pas voir son garde du corps se ruer machinalement à sa suite, ou un énième autre anonyme parmi la masse qu'il lui avait été imputée pour sa sécurité. Cela finit même par commencer à légèrement l'inquiéter alors qu'il commençait tout juste à s'habituer à une telle protection rapprochée ; dont la curieuse absence n'avait pas l'air de correspondre à leurs habitudes (même s'il ne l'avait sur le dos que depuis un jour.)

Mais avant même qu'il ne cherche à élever posément la voix pour en appeler un, une autre silhouette aux mêmes vêtements désespérément stéréotypés de ses protecteurs le devança en sortant de l'un des détours de sa villa, pour s'approcher de lui avec la même démarche machinal que les autres.

Son inquiétude s'envola aussi rapidement qu'elle fut venue, en intégrant l'idée qu'ils devaient fonctionner selon un système de relève particulièrement strict évoluant avec une méthodologie chronométrée à la seconde près. Qu'il l'eut reprit de nouveau en voyant que le garde du corps prenant la relève du précédent correspondait à une femme, sans doute jeune au vu de sa taille et de sa fine silhouette, et, en se basant sur ce constat, se dit que ces quelques secondes de vide seraient peut-être dues à une probable inexpérience de sa part. Il lui fallait s'en assurer.

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«Auriez-vous des problèmes de coordination avec vos collègues ?» Avança-t-il posément, bien que son allusion contienne un véritable sous-entendu éloquent.

«Veuillez pardonner mon retard de sept secondes.» Reprit son anonyme interlocutrice sans tenir compte de sa remarque. «Il s'agissait d'une vérification du système de communication par oreillette, dans la prévision d'une réception de directive d'urgence au cas où un brouilleur serait actif dans les environs ; afin de continuer d'opérer pour assurer vôtre sécurité.»


Le gouverneur fit silence alors qu'il se mit à jauger son interlocutrice : démarche rigide comme les autres, balls à la ceinture, de même qu'un tazer et qu'un holster dissimulé sous son aisselle gauche par-dessus sa veste de tenue de protection identique aux autres, coiffée de la même casquette et des mêmes lunettes noires que les autres qui masquaient son regard, le visage inexpressif et professionnel identique à celui qu'arborait les autres. Enfin bref : une garde du corps comme un autre… A ceci près qu'elle portait une paire de gant, et qui lui semblait l'avoir déjà vu quelque part.


«Avez-vous des questions, monsieur ?» Releva son interlocutrice d'un ton poli mais formel à son encontre ; donc professionnel.

«Dîtes-moi : depuis combien de temps êtes-vous garde du corps ?» Répondit-il en acceptant sa lancée.

«Depuis quatre mois, monsieur.» Répondit-elle platement.

«N'est-ce pas un peu jeune ?» Releva-t-il à nouveau du ton poli emplit de sous-entendu.

«Sauf vôtre respect, monsieur, celui dont je viens de prendre la relève n'a que deux mois à son actif, mais sommes tous deux –comme le reste de mes collègues- sous la direction de l'un des tuteurs de nôtre formation, qui lui a plus de vingt années de service de protection à son actif.» Renvoya-t-elle posément.

«Et pourtant vous avez sept secondes de retard.» Renvoya-t-il d'une note dont le ton soulignait l'amusement innocent, mais aussi une pointe de perfidie.

«Veuillez m'en excuser.» Répéta-t-elle comme à la première phrase.


L'homme fit à nouveau silence alors qu'il terminait l'introspection de son interlocutrice, pour en arriver à l'invariable conclusion qu'il ne servait à rien de mener une discussion avec une machine. Ce qui fut confirmé lorsqu'elle s'adressa de nouveau à lui avec ce même ton aussi professionnel qu'anonyme.


«Monsieur : quelles sont vos directives ?»

Le gouverneur fut rappelé à l'ordre par le poids de sa bouteille entre ses mains, dont la poussière accumulée dessus qui prouvait son âge commençait à lui chatouiller les narines.

«Je vais retourner sur ma terrasse.» Déclara-t-il posément. «Pouvez-vous m'accompagner en toute quiétude en respectant un minimum d'espace vital pour ma part ?»

«Certainement, monsieur. Quelle distance minimale voulez-vous que je conserve avec vous ?» Reprit-elle de ce ton formel.

«Aussi proche qu'un homme et une femme puisse entretenir une saine relation.» Eleva-t-il doucement d'une tentative d'humour délicate.

«Jamais durant le service, monsieur.» Lui renvoya-t-elle neutralement.

L'homme se tourna d'un coup vers la jeune garde du corps les yeux exorbités par la réplique cinglante qu'il venait de se manger, ayant été brisé dans son élan avec impétuosité.

«Voilà ce que j'appelle de l'audace !» Releva-t-il d'un rire franc. «Je dois bien admettre que vous ne manquez pas de toupet autant que vous m'avez bien eue sur ce coup !»

«Si cela peut vous permettre d'apprécier vôtre séjour au détriment de la gêne occasionnée par ma présence, cela me va.» Continuait-elle formellement.


Le gouverneur se prit à nouveau à regarder son interlocutrice avec un regain d'intérêt. Là où tous les autres gardes du corps lui donnait l'impression continuelle de changer d'un type X pour un autre, en voilà une qui sortait du lot en ayant un semblant de personnalité avec laquelle il pourrait converser ; ce qui allait effectivement lui permettre d'apprécier un peu plus son séjour en attendant le résultat fatidique.


«Très bien, dans ce cas j'aimerais que vous conserviez une distance minimale de un mètre avec moi.» Convint-il poliment cette fois-ci sans sous-entendu. «Bien sûr je vous autorise à dépasser cette limite si la situation l'exigeait.»

«C'est entendu.» Convint-elle posément, avant de s'écarter respectueusement du chemin pour laisser passer le gouverneur. «Après vous.»


Aimable avec ça, bien que cela fasse partie de sa formation. Il la remercia donc en passant devant elle pour reprendre le chemin de la terrasse, en jetant un dernier coup d'œil à son interlocutrice ; pour laquelle il éprouvait pourtant un sentiment de familiarité dont il n'arrivait pas à en déterminer l'origine. Il faut dire que le soleil se couchait, et que les lumières interne n'étaient pas encore allumées, tandis que celle de l'astre éclairait toujours l'intérieur de la demeure, et qu'il n'arrivait pas à bien voir son visage alors qu'il se trouvait dans l'ombre de sa silhouette –le soleil derrière elle.

Néanmoins il était certain d'avoir reconnut la couleur de ses cheveux retenus sous sa casquette, malgré la lumière. Facile vu qu'ils étaient noirs. Mais vu que toute sa panoplie était noire, et que ses cheveux étaient courts… Il se dit au final que peut-être devait-il y avoir d'autres femmes garde du corps opérant pour sa protection, et qu'avec cette tenue plus sobre qu'un cortège funéraire il ne serait pas étonné de tomber sur une autre femme lui ressemblant comme deux gouttes d'eau.

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Une fois à nouveau dehors sur la terrasse, en compagnie réservée de sa «protectrice», le gouverneur Matis décida de ne pas se rallonger à nouveau sur sa longue chaise, et décida à la place de prendre simplement la petite table se trouvant à côté, sur laquelle était posé son verre vide. Il se rapprocha du bord pierreux de sa terrasse le séparant à plusieurs mètres de là de la falaise, pour apprécier les ultimes instant du crépuscule après avoir débouché sa petite bouteille de rosée et d'en savourer le délicat arôme. Tandis qu'à l'horizon ne se profilait plus qu'une fine coupole carmine représentant les derniers instants du soleil avant de laisser place à la nuit.


«Belle scène n'est-ce pas ?» Releva-t-il à l'intention de la jeune femme derrière lui.

«Cela dépend du point de vue.» Répondit-elle neutralement.

«Quel point de vue viendrait à réfuter la beauté de cet instant ?» Fit-il en se tournant un instant vers elle pour connaitre la réponse, surpris par la première.

«Car cette nuit est une nuit sans Luna.» Conclut-elle calmement.


Le gouverneur se détendit un instant en comprenant la raison mélancolique de la jeune femme, lui trouvant même un côté attendrissant. D'autant plus qu'elle avait relevée un point intéressant, car dans le ciel on ne voyait pas l'astre rêveur qui inspirait les nuits.


«C'est vrai, j'avais complètement oublié que cette nui est celle de la nouvelle lu…»

Il s'interrompit brutalement en repassant en tête la dernière phrase de la jeune femme, le dernier mot. Il se retourna à nouveau vers elle avec une expression consternée.

«Vous avez dit quoi ?»


La jeune femme ne répondit pas. Elle restait devant lui, éclairée par la lumière blafarde du soleil disparaissant au loin dans l'océan, qui seulement ne reflétait son visage imperturbable ; tout le reste étant voilé par le noir omniprésent de sa silhouette qui, maintenant qu'il l'observait en de meilleures conditions, lui apparaissait comme une incarnation plus sombre que celle des autres gardes…

Il n'eut le temps de penser s'il devait commencer à paniquer ou non que la silhouette lui faisant face fasse sortir son arme de son holster… Pour la braquer sur lui.

Il lâcha son verre qui s'écrasa au sol pour éclater en de multiple fragment de cristal, répandant par la même le liquide précieux et coûteux de son seul plaisir malsain de la journée. La posture et le visage interdit devant la scène qui lui faisait face ; n'arrivant pas à croire son authenticité.


«Qu- qu'est-ce que vous faites ?»

La silhouette restait désespérément silencieuse, aussi silencieuse que l'arme qu'elle braquait sur lui était mortelle. Ce qui le fit sourire nerveusement en sachant qu'il devait reprendre le contrôle.

«Vous savez qui je suis ?» Releva-t-il d'une note nerveuse qui indiquait clairement qu'il se forçait à parler. «Je suis le gouverneur Matis : l'homme du Consortium qui se bat contre la corruption qui règne en son sein et, même si je n'en doit tirer aucun mérite, un héro aux yeux de la population !» Déclara-t-il d'un coup pour paraitre imposant. «Que pensez-vous qu'il va arriver si vous me tuez ? Cela va provoquer un véritable drame national, et l'archipel Orange pourrait venir à entrer en conflit ouvert avec Sinnoh ; suivit des autres dans un jeu de domino macabre ! Qui pensez-vous être d'assez fou pour vouloir provoquer un tel massacre ?!»

«Celle qui vous a envoyée ici.» Renvoya-t-elle neutralement.


Le gouverneur se figea à l'entente de sa réponse, la réponse qu'il ne pensait pas qu'elle serait possible de lui faire oublier la dangerosité de l'arme braquée sur lui. Pourtant cela était bien le cas. Mais pire que la réplique qui lui donnait à ses question, c'était le ton avec lequel la personne lui faisant face lui avait répondu ; un ton à part entière qui ne laissait aucun doute quand à son identité…

Un ton plus neutre que la mort.


«Mais… Que…?» Fit-t-il faiblement, d'une incompréhension telle qu'il n'en avait jamais expérimentée avant.


Il sentit sa température baisser fatalement en déduisant pourquoi il n'avait pas été avertit par la Mouche, en enchainant les questions par son incompréhension à trouver la réponse sans attendre la sienne. Mais il n'arrivait toujours pas à le croire. Dans l'underworld, les lois peuvent aussi bien être des personnes que des règles ; sachant que la première à avoir accéder à ce titre était la mouche avant la Faucheuse, et qu'ils étaient considérés comme égaux dans l'art de rester inconnus, mais que malgré son pacte elle ne s'était pas manifestée… Non, ça ne pouvait pas être possible… Aussi surement que personne ne grugeait la Faucheuse, personne n'attrapait la Mouche…


«La vie n'a aucune valeur, même quand on cherche à lui en donner une.» Reprit aussi neutralement que fatalement la silhouette mortelle qui lui faisait face. «Qu'il s'agisse d'un pauvre sans abris miteux, d'un roi bien aimé de son peuple, ou encore d'une simple mouche…» L'homme recula pour se heurter à la rambarde de sa terrasse. «Tout le monde meurt, parce que la vie ne vaut rien.»

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Sinnoh. Unionpolis. Quartier Sud-Est du district Nord. Immeuble 802, 4é étage, appartement 403.

Vendredi 14 Mai, 00 heures 50 minutes.



Quentin Phyllis regardait son écran comme si c'était la plus belle chose qui existait sur terre. Bien qu'il reste d'une apparence surnaturellement calme à l'extérieur, il jubilait sauvagement en lui d'un sentiment d'extase qu'il n'avait jamais expérimenté avec une telle violence jusqu'à présent : assassiner la maitresse des baies de Sinnoh. A peine quelques temps après les évènements du marais, et carrément le lendemain de sa première participation à une soirée officielle ; de surcroit avec le gouverneur Matis !

Mais le mieux était qu'il avait tout enregistré de cette conversation, depuis le début jusqu'à la fin, alors que le commanditaire coupait la communication après l'entente des conditions de la Faucheuse ; des conditions qui indiquaient lourdement l'identité de la personne étant derrière ! Rien qu'avec cette information, ce seul enregistrement, il écrivait un pan entier de l'histoire- non : il était l'histoire ! Avec ça entre ses mains, il pouvait décider de l'avenir entier du Consortium, de la maitresse des baies… Mais encore mieux : de la Faucheuse !

Il savait qu'il avait bien fait de bosser d'arrache-pied sur ses méthodes de cryptage durant tout ce temps, car enfin elle lui donnait ce qu'il le faisait planer littéralement et pourquoi il serait capable d'aller jusqu'à s'associer avec un tueur à gage : le savoir interdit. La connaissance secrète et véritable de l'histoire du monde derrière la scène fade et méprisante de «l'existence paisible» à laquelle tout le monde aspirait. Où était l'intérêt de vivre dans pareille médiocrité ? juste vivre sa vie jour après jour sans rien savoir, en préférant se vautrer dans l'illusion que le monde correspond juste à ce qu'on nous enseignait qu'il soit sans poser de question, et dont de toute manière on se foutait tant qu'on avait la graille, la tune et la baise à gogo, sans que personne nous fasse chier ? C'est pas vivre ça pour lui, c'est se cacher ; autant se coller une balle dans le crâne ou avaler un flacon entier de somnifère (quitte à rester dans le ton du trip' rêveur.)

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«Réveilles-toi.»


Il sortit de ses réflexions extatiques pour reporter à nouveau attention sur son écran, à regarder la silhouette désespérément anonyme de la Faucheuse le rappeler à l'ordre.

Malgré ses contres-brouillages qui lui montraient les alentours d'où elle se trouvait, elle restait toujours aussi sombre et anonyme par sa sombre silhouette encagoulée et sa voix toujours masquée. Il devait lui reconnaitre ça : elle était d'une formidable prudence. Ce qui était d'autant plus rageant qu'il aurait presque vendu son âme pour savoir si c'était bien une femme ou un homme (presque car il s'en approchait par ses années de travail acharné) ; et s'il s'agissait bien d'une femme –canon avec de la chance-, la faire chanter charnellement avec cette enregistrement et le fait de connaitre son identité.

Mais le plus ironique dans l'histoire, c'est qu'il lui devait intégralement la mise au point de ce contre-brouilleur et de tous ses autres protocoles de cryptage et de communication ; ayant à chaque fois touché une part plus que confortable sur chaque contrat qu'elle prenait qu'il lui permettait d'acheter au marché noir tout ce dont il avait besoin. Il n'oubliera pas d'ailleurs de l'en remercier via un petit message sympa une fois qu'il aura prit les voiles, lorsqu'elle comprendra trop tard que depuis tout ce temps elle avait fait équipe avec le meilleur, mais à la fois le pire indic qui pouvait exister… Le seul type d'homme qui ne craint vraiment pas le défi de danser avec la mort…


«Tu trembles de nouveau.» Constata à nouveau sa voix neutralement mortelle.

«Ben, sauf vôtre respect, j'ai de quoi non ?» Renvoyait-il aussi docilement que possible, mais n'arrivant pas à contrôler ses pulsions puériles. «Enfin, la maitresse des baies de Sinnoh… Ouah, quoi…»

«Il n'y a pas de quoi.» Contrait-elle de cette neutralité unique.

«Là encore, sauf vôtre respect, parlez pour vous ; moi ça m'défrise le poil !» Renvoyait-il en sautillant légèrement sur place, malgré tous ses efforts pour se contenir. «Je crois même que j'vais pas pouvoir dormir de toute la nuit tellement j'en suis tout chamboulé.»

«Ne t'inquiète pas, je m'assure personnellement que tu prennes le seul repos que tu mérites : l'éternel.»

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A peine eut-elle finit sa phrase que tous ses tremblements s'arrêtèrent, et que son envie de sautillement laisse place à un figement intégral sur sa chaise. S'il y'avait bien une chose qu'il avait apprise d'elle tout au long de ces années de partenariat avec elle, c'est qu'elle ne bluffait jamais et n'envoyait jamais de menace en l'air.

Ce constat fit automatiquement réactiver tous ses réflexes légendaires d'espion se sachant découvert et qui doit impérativement trouver sa voie de sortie, en sachant parfaitement que la moindre microseconde d'hésitation est fatale. Mais à peine pensa-t-il seulement à se lever de sa chaise qu'il sentit une douleur cuisante lui comprimer la poitrine, le clouant sur place.

Il pencha légèrement la tête, un filet de sang coulant de sa bouche allant tâcher ses vêtements, alors qu'il voyait une forme de lame d'une matière qu'il n'avait jamais vu le transpercer de part en part ; hébété autant par le choc physique qui le clouait sur place, que par le choc psychologique d'imaginer comment cela pouvait être possible.

Il releva à nouveau la tête pour regarder par-dessus ses écrans, plus précisément le miroir qu'il avait intelligemment placé là en prévision d'une approche par derrière. Si tant est qu'il fallait déjà passer par tout son système de surveillance ultra poussé : il avait craqué le système de caméra de l'immeuble, installer ses micros caméras mobiles de son crû dans chaque appartement s'y situant pour en surveiller leurs habitants, dans chaque couloir, chaque ascenseur, chaque cage d'escalier, et même le placard du gardien ! A multiple spectre vocal, infrarouge, thermique, même spectrale au cas où une de ces saloperie fantomatique essaieraient de lui faire un coup de pute dans le dos ! Plus que de la prudence ou de la paranoïa, ça virait à la démence furieuse ; sachant qu'il a forcé chaque serrure de chaque appartement en faisant tout lui-même !

Plus que simplement son système de surveillance, il avait aussi prit le contrôle de la borne d'accès au net de l'immeuble : tout le trafic entrant et sortant transitait par lui, sans qu'il n'apparaisse pour autant aux yeux du système. Il était le maitre du jeu concernant l'informatique dans cette partie de la ville, et tout ce qui pénétrait par ce réseau entrait par la même occasion sous le joug de sa domination absolue : pas un seul micro-octet de donnée ne pouvait passer outre ses défenses sans qu'il ne l'apprenne dans l'instant. Personne ne pouvait l'approcher sans qu'il n'en soit au courant, et n'ait mit les voiles avant que ses agresseurs ne soient trop proches…

Et pourtant il avait été trouvé, et par la dernière personne sur terre qu'il fallait que ce soit.

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Il regarda avec incompréhension la glace qui lui faisait face, et qui ne renvoyait rien d'autre que le reflet de son corps ensanglanté là où la lame l'avait transpercé. Puis, d'un regard interdit, il vit sur son écran la silhouette de la Faucheuse disparaitre dans une image flouée d'hologramme. Avant que ce même écran ne se ferme à son tour sans avertissement, puis un deuxième, suivit d'un troisième… Avant que finalement tout son système ne s'éteigne au rythme du battement de son cœur, de plus en plus lents.

Enfin, dans une forme d'apparition semblant sortir d'un autre univers, l'espace derrière lui reflété par la glace se mit à se déformer, alors qu'une silhouette plus noire que les ténèbres se dessina dans la faible lueur de la dernière lumière active de son antre.

Malgré lui, Quentin Phyllis, alias la Mouche, ne put s'empêcher d'esquisser un fin sourire en voyant les formes généreuses dont la silhouette mortelle était parée par-dessus ses épaules ; il en savait toujours plus sur la Faucheuse que n'importe qui d'autre, et doutait qu'un jour quelqu'un d'autre que lui n'en apprenne plus.


«Comment l'as-tu su…» Fit-il d'une voix plus clair et consciente que son état laissait supposer.

Bien qu'il sache parfaitement qu'elle ne répondait jamais aux questions de ses victimes en guise de dernière volonté, mais se sachant condamné : il lui fallait savoir ; il lui fallait au moins essayer…

«Te souviens-tu de nôtre conversation au sujet de tes engagements ?» Renvoya la silhouette de ce ton neutre éternel.

Joie, elle lui faisait cette ultime faveur. A lui d'en profiter jusqu'au bout et mener sa vie vers sa fin comme il l'avait toujours voulu.

«Oui… Mais j'étais certains d'être convainquant…» Rendit-il en prenant son souffle comme s'il respirait du verre pilé. «Même toi, aussi implacable que tu sois, n'en reste pas moins humaine… J'étais sur de pouvoir te tromper ; d'être le premier capable de ça…»

«Il n'y avait qu'une seule chose qui t'avais trahis ; outre le fait que ton programme de brouillage ne valait rien face au mien depuis le début.» Renvoya-t-elle en faisant lentement sortir la lame de son corps.

«Quoi…» Implorait-il faiblement en gémissant de douleur, alors qu'une douce tiédeur mortelle se répandait dans son corps et commençait à voiler ses sens.

«C'est que tu t'es fait passé pour un débutant dans l'underworld en étant au courant qu'il y'avait un tueur inconnu qui faisait parler de lui de part son inhabituelle efficacité, et que tu pensais en profiter pour t'associer avec lui sans qu'il ne se doute de quoi que ce soit en le prenant pour un débutant face à toi.» Répondit-elle neutralement avec sa lame finalement rétractée.

«Alors… Tu savais tout… Depuis le début… ?»


Ses mots étaient prononcés de plus en plus faible alors que ses yeux viraient au vitreux par le manque de sang. Mais dans un ultime geste, qu'il soit de sadisme ou de pitié –ou calculé-, sa mortelle compagne avec qui il avait parcourut la part de chemin de sa vie la plus excitante qui soit fit tourner la chaise sur laquelle il mourrait pour lui faire face : face à la Faucheuse. Qui lui accorda ses dernières explications.


«Un débutant qui s'affiche dans l'underworld est un Magicarpe dans un banc de Sharpedo ; mais aucun Magicarpe n'est suffisamment idiot pour commettre cette erreur. Car il sait pertinemment évoluer dans un environnement où le moindre travers signifie la mort. Il n'y a donc que des professionnels de niveau variable dans l'underworld. Mais il n'en n'existe qu'un seul qui puisse se faire passer à la perfection pour un amateur sans attirer l'attention.»

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Alors que la vie le quittait, Quentin Phyllis comprit enfin la nature véritable de la relation qu'ils entretenaient depuis le tout début. Lui qui avait de nombreuse fois joué double-jeu en trahissant insidieusement les personnes qui faisaient appel à ses services de renseignement pour fournir leurs secrets à d'autre, sans désavantager ou prendre parti d'un camp ; ayant même fournit le nom de code de son assassine à la Ligue. Lui qui était la définition même du caprice de la curiosité avide qui prenait à seul plaisir de connaitre les secrets d'autrui pour les refiler à ceux à qu'ils redoutaient qu'ils tombent entre leurs mains, et éprouvant un plaisir malsain à en voir le résultat s'opérer sous ses yeux. Avec l'inégalable sentiment enivrant de satisfaction d'être le véritable maitre marionnettiste qui en est à l'origine ; que d'un simple geste il pouvait même balayer des nations entières. Il pensait donc ainsi que depuis le temps qu'il opérait, et était aussi craint dans l'underworld que la Faucheuse pour cette qualité, personne ne pouvait égaler son génie dans la matière. S'associer avec une personne avant de la trahir lui apparaissait aussi naturel que manger ou boire.

Puis vint la rumeur d'un tueur d'une efficacité inégalée qui grandissait à chaque réussite des contrats dont il finissait toujours par glaner les informations du côté des commanditaires… Mais jamais du tueur. Il ignorait strictement tout de lui, s'il n'était pas même homme ou femme, alors qu'il en surveillait l'incroyable progression avec un constat consternant : il existait quelqu'un d'autre que lui qui pouvait rivaliser de compétence et de génie au point de l'égaler, et même de le surpasser d'après les rumeurs qui couraient comme telles.

Sa fierté en avait été atteinte, même s'il ne voulait pas l'admettre. Mais en même temps une joie furieuse s'était emparée de lui à l'idée d'avoir un potentiel adversaire à sa hauteur, avec la certitude absolu que jouer avec lui serait sans doute le meilleur trip' de sa vie ; quitte à la parier sans hésitation sur la balance… Et c'est exactement pour cela qu'il avait perdu : par arrogance. Il était tellement obnubilé par l'idée de s'allier à lui pour l'affronter sur son propre terrain qu'il en avait oublié la règle absolue de base : ne jamais sous-estimer son adversaire.

Il parvenait enfin à comprendre ce que la Faucheuse voulait dire. C'à n'était pas lui qui avait fait en sorte qu'elle le choisisse : c'était elle qui l'avait engagé en parfaite connaissance de sa nature ; et c'était aussi elle qui avait jouée avec lui depuis le début… Elle s'était autant servit de lui, que lui d'elle. Tous deux se combinant à la perfection dans le duo le plus craint du monde criminel. Jusqu'à ce que le moment fatidique de la trahison ne sonne, et que seul l'un d'eux pourrait en sortir vainqueur…

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Il le savait. Même au gouffre de la mort, à la chute inéluctable dans ses abysses, il savait qu'il devait lui concéder cette victoire ; victoire dont il savait qu'elle s'en foutait éperdument comme d'une gorgée d'eau. C'était la seule chose qui le faisait rager, s'il avait eu la possibilité d'avoir encore de la force pour pouvoir l'éprouver… Et pourtant, dans un ultime et dernier geste de défi, rassemblant ses ultimes et dernières volontés à vouloir suivre sa voie démente jusqu'au bout : il voulait savoir «qui» était la Faucheuse ; connaitre l'identité de celle qui l'avait battu à son propre jeu.

Il fit très lentement, dans l'égarement, avec hésitation et maladresse, lever son bras vers la silhouette obscure. Vers son visage. Dans l'absurde tentative qu'il puisse lui retirer son masque (sans savoir par où il commençait ; et sans même le voir alors que sa vision s'obscurcissait), afin de voir son visage…

Et elle, la silhouette obscure, qui toisait son corps vaincu avec la même posture neutre de la mort, ne se contenta juste d'attendre que la véritable Faucheuse vienne le prendre de part sa funeste emprise éternelle sur le cycle vivant… Jusqu'à ce que son bras ne s'effondre, et que son cœur cesse de battre à jamais.

La Faucheuse une fois de plus décerna son jugement. Jugement sur un monde dans lequel elle n'incarnait aucun espoir. Mot vide de sens et de raisons. Raisons de vivre toute aussi inexistante. Car la Faucheuse incarnait la plus fondamentale et effroyable de toutes les vérités.

La vie ne vaut rien face à la mort.

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Archipel Orange. Île Mandarine Sud. Villa secondaire du Gouverneur Matis.

Samedi 15 Mai, 19 heures 57 minutes.



Il en restait stupéfait, plus figé encore qu'une statue taillée dans la roche la plus dure qui soit : lui, le gouverneur Bertrand Matis du Consortium, véritable leader de Rising Sun et commanditaire de l'attenta à Carmin-Sur-Mer –nom de code «affaire Leuphorie Shiny»- faisait face à la seule personne au monde qu'il pensait ne jamais pouvoir se mettre à dos en étant sans aucune doute le plus (ironiquement) honnête de ses clients ; jusqu'à se plier docilement à la moindre de ses exigences, qui pourtant étaient terribles dans sa condition ! Alors pourquoi lui faisait-il face ?!


«Pourquoi !» Se mit-il à crier autant d'indignation que d'incompréhension. «Pourquoi êtes-vous ici, à braquer une arme sur moi ?!»


La silhouette anonyme ne répondit pas ; se contentant juste de continuer de le braquer fatalement de l'arme subtilisée à l'un des gardes du corps, avec toutes les conséquences que cela impliquait de devoir s'en servir ainsi sur le gouverneur. Sans bouger ni ne réagir d'un seul millimètre.


«Pourquoi m'avez-vous trahi, Faucheuse ?!»

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Derrière lui, au loin, la dernière couronne visible du soleil finissait sa descente inexorable dans l'horizon de l'océan, pour laisser lentement place à la nuit. La lumière dans laquelle baignaient les deux protagonistes de la première et dernière scène de la nouvelle lune fuyait lentement le jour en suivant le cycle du soleil, les plongeant au fur et à mesure dans l'obscurité de la nuit alors qu'elle remontait leurs corps à l'image d'un bain de ténèbres se remplissant lentement d'obscur.

Alors que leurs pieds n'étaient plus éclairés, la silhouette se mit enfin à réagir en levant lentement son bras gauche –resté depuis tout ce temps le long de son corps- vers sa tête. Elle se saisit lentement de sa casquette alors que l'obscurité lui arrivait aux genoux, pour l'enlever et laisser retomber sur elle sa longue chevelure d'un noir aussi mat que le terme.

Puis, après l'avoir laissée lentement chuter à terre, alors que l'obscurité lui arrivait à la taille, elle ramena à nouveau son bras lentement vers son visage pour enlever à leur tour les lunettes qui masquait son regard ; quand l'obscurité lui arrivait au buste.

Enfin, d'un ultime geste dédaigneux sans en éprouver la moindre once de mépris, à laisser à leur tour tomber les lunettes au sol, la tête légèrement inclinée alors que les ténèbres lui arrivaient au cou, de la même démarche lente et inexorable que la nuit qui réclamait son droit à s'accaparer sa mortelle silhouette, elle ne fasse lentement relever sa tête au rythme des ténèbres qui nimbaient de plus en plus son corps. Pour finir par croiser yeux dans les yeux avec l'homme qui lui faisait face, complètement enveloppée dans les ténèbres…

Ténèbres… D'où ne se reflétait que la pâle lueur de son regard d'un éclat jaune de mort…

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Le temps se figea. Le bruit des feuillages s'estompa alors que le vent ne soufflait plus. Le bruit des vagues avait disparut, tandis qu'il semblait que la mer elle-même était devenue aussi calme que la banquise gelée ; comme si le monde entier avait cessé de tourner en réponse à la terrible vérité qui venait d'éclater comme le crépuscule qu'elle incarnait.

Le silence absolu se fit alors que le bruit de sa propre respiration s'éteignit en même temps qu'elle se bloquait, et qu'il n'entendait pas celle de la seule autre présence lui faisant face aussi immobile et omniprésente que les ténèbres dans lesquelles ils étaient voilés ; gagnant de plus en plus d'obscurité.

Il n'y avait pas de mot pour décrire l'instant. A partir du moment où l'homme vit le visage de l'avatar de la mort lui faisant face, il n'arrivait déjà plus à croire en la vie. De toutes les horreurs qui pouvait lui arriver, de la pire situation dans laquelle il pensait pouvoir se mettre, ou encore le pire châtiment qu'il ignorait craindre dans son existence… Tout ça n'était qu'une fraction de futilité en face de l'horreur qui lui était révélée.

Dans la plus horrible de toutes les ironies qui soient, Bertrand Matis fut le premier homme sur Terre dans toute l'histoire à n'avoir jamais vu le vrai visage de la Faucheuse de ses yeux ; et aussi le premier à pouvoir pleinement comprendre le sens du mot regret. L'ironie était d'autant plus cruelle qu'il avait dansé avec elle à un jour près de ce qui serait la veille de sa mort…

Mort qui allait l'être lors d'une nuit sans Lune.

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Lentement, la Faucheuse commença à s'approcher de lui ; un pas à la fois. Lentement, mais inexorablement. Chaque pas résonnant dans le silence comme l'écho du manche de la faux de mort réclamant son droit à faucher le fil de la vie. L'arme toujours braquée sur lui… Tout comme ses deux yeux dans centre desquels prônait une couleur s'apparentant au noir le plus abyssal que la création ne soit jamais capable d'afficher : le noir du néant.

La terreur s'empara de l'homme qui, ne serait-ce que pour se soustraire à cette vue de cauchemar, chercha à fuir dans un réflexe aussi impulsif qu'irréfléchi. Il chercha à fuir par le côté gauche de la terrasse, en espérant atteindre le couvert des feuillages des buissons juste avant les garages à une vingtaine de mètre de là. Mais eut-il à peine fait deux pas qu'un coup de feu résonna en même temps qu'une balle s'écrasa à un centimètre de son pied, en creusant un petit cratère pour déterminer l'endroit exact où la Faucheuse avait sciemment tirée.

Le réflexe ne se fit pas attendre, et aussi irréfléchi que le premier : l'homme fit marche arrière pour tenter désespérément sa chance de l'autre côté. Mais cette fois-ci elle n'attendit même pas qu'il termine son premier pas que la bouteille de rosée éclata devant lui dans un bruit d'explosion de verre et de vin s'éparpillant de toute part comme l'image annonciatrice du sort qui l'attendait.

Deux coups de feu supplémentaires furent tirés pour atterrir de part et autre de la rambarde de pierre dos à lui de chaque côté de ses bras, l'incitant à rester sur place –piégé par le réflexe instinctif d'appréhension encodé fermement dans ses gènes.

Les coups de feu l'eurent tellement déstabilisé qu'il ne remarqua pas que la mortelle silhouette de la Faucheuse s'était ruée sur lui avec une vélocité aussi effroyable que le silence qu'elle en avait fait preuve, pour prendre appui sur l'une de ses jambes et lui décocher un formidable coup de pied avec l'autre jambe, totalement dépliée comme un ressort par-dessous sa mâchoire ; si puissamment orchestré qu'il en fut soulevé et perdit l'équilibre par le contrebalancement de la rambarde derrière lui. Le faisant lourdement chuter en arrière sur les mètres sauvages séparant l'habitation de la mer.

La chute en elle-même derrière ne l'avait nullement blessé malgré son âge, d'autant plus que l'herbe touffue amortissait légèrement la chute d'à peine un mètre. Mais le coup porté fut tellement brutal qu'il en était replié en position fœtale, à se tenir plaintivement et douloureusement ce qu'il ne fallait pas être médecin pour savoir n'être guère plus qu'une mâchoire fracturée.

Il n'eut pas le temps de se plaindre d'avantage lorsqu'il vit, entre les doigts de ses mains tenant fébrilement son visage par la douleur qui lui vrillait le cerveau, sa mortelle Némésis qui sautait habilement par-dessus la rambarde à son tour, pour atterrir délicatement avec la même douceur d'une rose noire à ses côtés ; le toisant neutralement avec le même visage impassible que la mort en personne.

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La terreur le prit de nouveau, encore plus foudroyante et terrible que la douleur qu'il ressentait ; au point qu'il l'eut instantanément oubliée au profit du réflexe de survie par définition : fuir. Il tenta de se relever malhabilement alors que son costume trois pièces était maculé du sang de sa bouche d'où il coulait abondamment, tout comme ses mains en laissaient les marques de leur passage ensanglantées sur l'herbe.

Mais une fois de plus la mortelle silhouette l'empêcha de faire à sa guise, et se contenta juste de lui donner un coup de pied savamment placé sur le côté de l'articulation de son genoux, qui céda dans un bruit écœurant d'os brisé ; faisant lamentablement choir de nouveau l'homme au sol qui s'écroula de tout son poids vers l'avant. La douleur encore plus terrible qu'elle venait aussi bien de sa mâchoire ensanglantée que de sa jambe brisée, qui déviait de façon dérangeante sur le côté alors qu'elle ne se trouvait plus dans son axe naturel…

Il cria de douleur à la suite de sa chute, d'un hurlement déchirant égal à la souffrance qu'il ressentait. Mais elle n'en avait cure. Elle continuait lentement sa marche funeste, alors que le bruit de ses pas sur l'herbe était à nouveau couvert par celui du vent soufflant derrière elle ; semblable à un vent de mort.

Pathétiquement, à l'image d'un animal faible, blessé et acculé, le gouverneur (qui à ce moment là se rendit compte n'être un vieillard face à la plus terrible assassine humaine qui soit) rampait en vain avec les restes de son corps brisé à la recherche d'un salut inexistant. Mais à chaque fois qu'il essayait de ramper dans une direction donnée, son cruel bourreau tirait une balle de son arme chaque fois juste devant le doigt de sa main le plus proche de sa «fuite», qui creusait à chacune de ses tentatives misérables un cratère dans l'herbe comme autant de promesses d'une mort certaine qu'elle se retenait de lui donner rapidement. Le forçant à reculer en rampant d'avantage en direction de la falaise ; peinant son corps affaiblit qu'il puisse le porter jusque là, tout en sachant que cela ne menait nulle part…

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Finalement arriva la conclusion fatale. Lorsque l'homme, en cherchant à fuir l'incarnation de sa fin en ne pouvant détacher les yeux d'elle –elle qui avançait avec le calme et l'inexorabilité du destin, soulignée par la brise qui soufflait dans ses cheveux comme le voile qui drapait la mort devant ses victimes à l'approche de leur jugement-, finit par poser la main sur un futile cailloux en équilibre qui le fit choir de nouveau derrière lui, avant de s'exclamer brièvement de peur en voyant par ses yeux qu'il était arrivé au bord de la falaise.

Son vieux corps brisé, dont l'épuisement était perceptible à sa respiration sifflante, était aussi arrivé au bout de son chemin. Sa vitalité légendaire l'avait quittée alors que la terreur et le stress de la panique fit creuser son visage de nouvelles rides, lui donnant réellement l'âge qu'il avait ; tandis que sa chevelure d'un jais honorable toujours impeccablement coiffée était désormais en bataille, réduite à l'état d'une misérable serpillière de noir et de gris mélangée avec du sang. Son sang…

Il tourna une ultime fois son attention, son dernier regard vers celle qui serait l'instigatrice de sa mort, et la responsable d'une véritable vague de chaos dans laquelle elle allait plonger le monde qu'il connaissait, sans qu'il n'ait pu avant mettre son plan à exécution pour en régler la décadence dont il était touché ; voyant et constatant avec l'effroi le plus absolu l'estime et la valeur qu'elle y accordait au fond de son regard.

Rien.

Dans un dernier geste futile, motivé par le désespoir au comble de l'horreur, il remuait imperceptiblement la tête faiblement à ne pas pouvoir croire comment tout allait se terminer ici, alors que la tueuse comblait à chaque nouveau pas fatidiquement la distance la séparant de lui comme ponctuant chacun des instants qui lui restait à vivre…

Jusqu'à finir par se stopper à quelques centimètres de son corps réduit à l'état d'épave. D'un geste aussi précis et rapide que silencieux, faire sortir de par la manche gauche de sa tenue une sorte de poigne bandée par du tissu blanc. Ne la serra que d'une infime poigne pour en faire sortir devant lui un liquide d'un gris neutre, qui brisait les lois de la physique en dansant docilement dans l'air sous la maitrise de la sombre silhouette. Avant qu'il ne prenne la forme devant ses yeux -à la fin des fins de la terreur- l'apparence longue d'un fin bâton, au bout duquel se terminait une lame oblique inclinée à l'image parfaite de sa maitresse.

L'image d'une faux.

Sans que l'homme ne cherche à crier, tout son corps paralysé alors que la terreur l'interdisait du moindre mouvement, lentement la Faucheuse fit lever sa funeste lame –si aiguisée que le tranchant accomplissait l'exploit de refléter l'éclat obscur de l'ombre- le plus haut possible. La faisant prendre un élan macabre par-dessus sa silhouette de damnation. Avant de relâcher la tension accumulée dans un coup aussi silencieux que terrible… Dans la terre devant lui.

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[ Ambiance ]
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Quelques instant passèrent sans que rien ne se fit, qu'il ne comprenne la raison cachée derrière ce geste -ou ne cherche à la savoir. Puis, dans un bruit de grondement sourd qui rapidement s'accentuait, souligné par l'impression de vibration qu'il percevait sous son séant, le sol se déroba lentement derrière lui. Le faisant pencher d'avantage en arrière, dangereusement… Avant que, dans un bruit de roche cédant à la contrainte de la gravité, il ne finisse par réaliser avec l'ultime effroi que la partie de terre sur laquelle il se trouvait ne s'effondre sur son poids ; et ne l'entraine dans sa chute.

Alors qu'il tombait fatalement à sa mort, vers la mer qui ferait office de son cercueil avec la terre l'accompagnant dans sa chute comme seule procession funéraire, il n'émit aucun son. Réalisant du plus profond de son être qu'il était condamné, que cela ne servait à rien de crier… Qu'il était allé aussi loin pour ne finir ici sans avoir rien accomplit…

Que tout cela n'avait servit à rien.

Il chutait dos à la terre, le regard perdu vers celle qu'il avait défié malgré lui. Celle qui l'avait tué. En voyant dans les ténèbres qui entouraient sa funeste silhouette l'incarnation même de la fin.

Il prononça ses dernières paroles d'âme brisée par la réalité de l'échec de n'avoir pu tenir la promesse qu'ils s'étaient faits avec son amour, et de ne pouvoir avertir sa fille du danger qui la menaçait… Réalisant sans plus penser un instant à sa vie qu'elle allait le rejoindre par son erreur…


«Saline… Pardonne-moi…»


Tandis qu'au dessus de lui, le toisant de la falaise tel le juge impartial des limbes les âmes damnés de la vie, la Faucheuse n'assiste à sa fin avec le même intérêt que si elle ne voyait qu'une scène du décor. Ses yeux inexpressifs d'un jaune de mort qui étaient les seuls témoins de la vérité de son décès.

En déclarant les ultimes mots ponctuant la dernière scène de l'acte de sa vie.


«Meurt sous un ciel sans Lune.»



[A suivre]