Chapitre 6 - Le Jardin Secret
- 24 mars -
Cela faisait dix minutes que Rupert marchait après la forte carrure de Zack dans les tunnels. A côté d’eux, l’eau sale coulait à torrents dans ces canaux. Il s’imaginait les Tadmorv au fond de l’eau se laisser emporter par le courant, attendant que l’eau soit stagnante pour émerger. Il avait l'amère impression que tout ce nettoyage fait au cours des derniers mois n’y avait rien changé… Les pluies torrentielles qu’ils avaient eu ce mois-ci avaient emporté tellement de déchets dans les caniveaux. Mais on lui avait dit que cela aurait été bien pire s’ils n’avaient pas nettoyé avant. D’une certaine manière, une partie du jeune égoutier avait naïvement cru que cette opération nettoyage aurait changé les égouts, les aurait rendu plus accueillants, aurait donné une eau moins sale. Mais non, évidemment.
Rupert éleva la voix pour se faire entendre au-dessus des gargouillis de la rivière souterraine.
- T’es sûr que c’est par là ?
Zack tenta de tourner ça à la rigolade et le regarda avec un grand sourire.
- Heh ! Ce serait pas un endroit secret si c’était facile à trouver !
Mais il ne la faisait pas à Rupert, après six mois passés à travailler ensemble. Le jeune homme regarda Zack d’un air désabusé, avec un petit sourire.
- …Tu t’es perdu, c’est ça ?
L’égoutier le plus expérimenté du groupe protesta, démasqué.
- …Mais non pas du tout ! Je sais parfaitement où… Ah ! C’est bon, c’est là !
Rupert vit son collègue pointer un renfoncement dans le mur. Il s’y trouvait une échelle, qui, comme la plupart de celles encore présentes dans ces sous-sols, remontait jusqu’à une plaque d’égout, à la surface. Le jeune homme ne posa pas d’autres questions, et se contenta de faire confiance à son collègue préféré. Zack grimpa à l’échelle, et Rupert, juste en-dessous de lui, le suivit de près. La carrure trapue de l’égoutier en première ligne le rendait plus lent que son collègue plus élancé, mais Rupert était heureux de patienter.
Zack s’arrêta une fois arrivé en haut. Il attacha son harnais au barreau, serra la sangle pour se stabiliser, et manipula avec ces deux mains la lourde plaque ronde en fonte au-dessus de leurs têtes. Il tourna la pièce sur elle-même, et la poussa aisément. Rupert avait toujours eu du mal avec ces anciens mécanismes même après six mois dans l’équipe, et il était toujours admiratif de la technique et la force du vétéran de l’équipe.
Zack fit glisser le couvercle de la bouche d’égout sur le sol, le métal raclant sur le bitume. Un rayon de lumière tomba dans les égouts. La vue du soleil doré d’un après-midi de printemps rappela aux deux égoutiers qu’il était 16 heures passées. A cette heure-là, Rupert aurait été dans le bus, Zack sur sa moto, tous les deux sur le chemin pour rentrer chez eux. Mais quand le petit brun avait demandé au jeune homme s’il pouvait rester et venir avec lui après le travail, Rupert avait été très content d’accepter.
En un mouvement, Zack se hissa sur le plancher des Wattouat, fit demi-tour en s’accroupissant, puis tendit la main à son collègue derrière lui. Rupert saisit sa main épaisse et calleuse, et fut tiré de la bouche d’égout.
En émergeant à la surface, le jeune homme découvrit un parc. Niché à l’arrière d’immeubles de la ville qu’il ne reconnaissait pas, bordé de dalles de pierre et de quelques barrières ternies par les éléments, c’était un carré de verdure au sens littéral. Mêlées au gazon, il y poussait des herbes hautes comme il n’en avait jamais vu à Volucité, et des fleurs blanches qui bourgeonnaient à même le sol, sans parterre. Les hautes herbes s'étaient répandues de manière à former le motif d’une grande Poké Ball, et il se demanda si c’était bien voulu et géré par quelque jardinier inconnu, ou si c’était son imagination qui s’emballait. Un unique arbre se dressait au centre du motif et surplombait le parc, procurant une ombre fraîche à la vie qui s’y était développée.
- Woah…
Il avait plu plus tôt dans la journée, et les brins d’herbes étaient encore perlés d’eau. Le soleil printanier faisait briller la végétation encore mouillée. Il pouvait procurer sa lumière aux végétaux du parc par le sud, seul côté qui n’était pas bloqué par un immeuble de quarante étages. Un véritable oasis de verdure et de calme, abrité du vent et du tohu-bohu de la métropole.
Après des journées passées avec l’écho du bruit des foreuses Pokémon et des marteau-piqueurs mécaniques, à patauger dans les vases entre quatre murs, cet endroit redonnait du baume au cœur à Rupert.
- Est-ce que d’autres personnes connaissent cet endroit ?
- A part Niles, je sais pas trop. J’ai jamais croisé personne ici.
- Et y a des Pokémon qui viennent ici ?
- Parfois, ouais.
- C’est trop cool, franchement.
Les deux ouvriers retirèrent leur casque pour apprécier l’air frais. Leurs fronts transpirant de sueur brillaient sous le soleil.
- Vas-y, Roto, profites-en, il fait beau.
Zack prit sa Poké Ball et la lança devant lui. La capsule s’ouvrit et laissa sortir son Rototaupe, qui en bondit joyeusement. Une fois arrivé à terre, le petit Pokémon Sol renifla l’air frais de son petit nez rose. Il bondit en l’air, se mit en position de forage, et retomba dans le sol à la verticale, content de creuser une terre plus meuble que la roche qu’ils avaient sous terre. Rupert vit son collègue réagir aussitôt, un peu dépassé :
- Ah, heu, détruis pas tout non plus, hein !
Le petit Rototaupe remonta à la surface, acquiesça, et retourna à ses tunnels, créant de petites mottes de terre ici et là. Zack se gratta la nuque, toujours embêté.
- Bon… J’imagine qu’ça ira…
Rupert en profita pour faire aussi sortir sa Magmar et son Chovsourir. Quand il vit ses Pokémon apparaître sur l’herbe fraîche et profiter de l’air libre en courant et virevoltant tout autour du parc, il se rendit compte que cela faisait longtemps qu’il ne les avait pas vus dehors.
Zack se dirigea vers le grand arbre au centre, et assis son pantalon de chantier orange au pied du tronc. Rupert le suivit, regardant tout autour de lui, et inspirait à plein poumons, profitant des quelques parfums fleuris de l’endroit. Il finit par s’asseoir à côté de son collègue, qui le regarda avec un sourire un peu embêté.
- J’me disais qu’ça pourrait t’faire du bien… Après ce qu’il s’est passé c’t’aprem…
Il faisait allusion à l’engueulade entre Rupert et Scott plus tôt ce jour-là. Le grand blond avait encore fait une remarque désobligeante, mais cette fois, Rupert avait dit stop. Il ne supportait plus d’être critiqué tout le temps, d’entendre souffler, de supporter ses jérémiades à longueur de journée. Il était qualifié, certes, mais ce n’était pas une raison pour prendre les gens de haut, ou leur parler de la sorte. Le jeune égoutier avait d'abord pensé que c’était parce qu’il était nouveau, et que c’était le temps qu’il fasse ses preuves. Mais l’attitude de Scott n’avait pas changé depuis son arrivée. Il avait même l’impression qu’il était plus à cran qu’avant. Finalement, Rupert se sentait amer. Content d’avoir parlé pour lui même, mais embêté que cela ait jeté un froid sur leur équipe.
- Désolé, mais il a abusé, se justifia Rupert. Encore.
- Ouais… Je sais qu'il est pas facile à vivre.
- J’comprends pas comment t’as pu le supporter toutes ces années.
- C’est… Ouais.
Zack gratta son menton carré et sa barbe de trois jours.
- Il était moins virulent, avant. La Team Plasma l’a pas arrangé.
Rupert leva les sourcils, étonné.
- Il… il était à la Team Plasma ?
- J’en suis pas sûr. Mais il passait du temps avec ses membres. Il partageait leurs posts sur les réseaux. Il avait les mêmes idées, quoi.
Rupert fronça les sourcils, plutôt peiné. La Team Plasma n’avait pas été très active dans son côté d’Unys, et il était resté assez indifférent aux discours qu’ils avaient relayés à la télévision : lui et ses collègues Pokémon bossaient très bien à la Z.I., et ces derniers, qui étaient dressés par les responsables de l’usine, n’avaient jamais eu l’air de s’en plaindre… Il avait toujours connu ses parents avec des Pokémon, il avait été heureux d’attraper Magby ; c’était une évidence pour lui de partager sa vie avec ces créatures, tant qu’il l’avait choisi.
Mais au cours de ses derniers mois à Volucité, il s’était rendu compte peu à peu des conséquences réelles que cette organisation avait eu dans le centre d’Unys. Il se demandait souvent quelles formes leur prosélytisme avait pu prendre pour qu’ils aient pu toucher autant de monde.
- Ça devait pas être facile, dit-il à Zack.
- Non, c’est clair.
Rupert jetait parfois des coups d'œil à son ami. Sa mâchoire carrée, les eptits poils rudes et noirs qui parsemaient ses joues et son menton.. Il ne l’avait vu sans casque que lors de leurs soirées films. Il le trouvait ce petit brun musclé rudement beau, et encore plusà la lumière du soleil. Zack, perdu dans ses pensées, regardait Roto jouer avec les autres dans l’herbe.
- T’sais, c’est lui qui m’a aussi convaincu de relâcher Frigo.
- Scott ?!
- Ouais…
Au détour des conversations, Rupert avait appris que Zack avait eu un Pokémon, per le passé. Il n’avait jamais osé demander de quelle espèce il était, ou ce qu'il lui était arrivé : il avait peur de faire remonter un traumatisme Mais delà à savoir que leur autre collègue était responsable de ça…
- Ah, merde… Chuis désolé…
- Pour dire vrai, j’avais du mal à le dresser. Il m’écoutait pas trop, n’en faisait qu’à sa tête. J’pense que c’est mieux ainsi… Mais ça m’a mis un plus gros coup que ce que j’aurais cru.
Rupert ne s’imaginait pas perdre un Pokémon. Il avait peur de savoir ce qui pouvait pousser quelqu’un à faire ça… Jugeant cette pensée trop sombre pour un moment en solitaire avec Zack, il finit par poser l’autre question.
- C’était quoi comme Pokémon ? Mais si tu veux pas en parler, j’comprends.
- Non, t’inquiète, j’ai passé l’cap. Un Ouvrifier.
- Et tu l’as appelé Frigo ?
Zack haussa les épaules.
- J’bossais au Hangar Frigorifique quand j’l’ai eu par le taf. Et puis, il était bâti comme une armoire à glace.
- Pfff… Un peu comme toi, du coup.
Rupert avait tenté un compliment en plaisantant, advienne que pourra. Il fut soulagé de voir son ami bien le prendre, et bomber son large torse sous sa veste de protection.
- Ouais, j’me défends.
Le jeune homme pouffa d'un petit rire, puis chercha du regard le Rototaupe de Zack. Il se rappela la joie que son collègue avait eu quand Monsieur Richards, le chef de chantier côte Macro Cosmos, était arrivé avec ces Pokémon à disposition de tout le monde. Il comprenait aussi pourquoi Scott avait refusé.
- D’ailleurs, ça se passe bien avec Roto ?
- J’sais pas trop… J’sais pas s’il est content ou pas.
En face d’eau, le petit Pokémon bondissait régulièrement de terre, tout joyeux..
- Il m’a l’air heureux.
- J’espère…
- T’es une bonne personne, Zack. Il sera forcément bien avec toi.
- J’sais pas si ça marche comme ça, mais merci. T’es gentil.
Rupert regarda à nouveau son ami. Il repensa aux films du Pokéwood qu’ils étaient allés voir ensemble au cinéma, et à regarder ce même profil de temps en temps dans les salles obscures, quitte à louper des scènes du film.
L’endroit, le temps, tout était trop beau pour ne pas demander.
- T’as quelqu’un dans la vie ? J’sais pas si j’tai déjà demandé.
- Non, personne.
Un petit silence.
- Et toi ?
- Non, non plus.
Un autre silence. Le fait que Zack lui pose la question à propos de sa situation redonna de l’espoir à Rupert. Celui-ci essaya de tenir ce bon bout.
- Est-ce que…
Zack fut soudainement pris d’une quinte de toux. Il plongea la main dans sa poche, et en ressortit l’inhalateur. L'appareil était chargé du produit développé par Alpharma que lui avait remis Caroline. L’égoutier trapu appuya sur le bouton pression, et respira une grande bouffée du médicament. Son ami lui demanda, avec de la peine :
- Est-ce que ça va ?
- Ça va, ça va mieux, oui… Pardon, c’est mon truc qui me r’prend au pire moment. T’allais dire quoi ?
- On peut rentrer, si tu veux.
- Non non, j’suis bien là. Et t’es…
Zack prit un temps pour calmer sa respiration, profitant de l’air frais. Rupert lui laissa le temps de trouver ses mots.
- J’aime bien… passer du temps avec toi, quoi.
Le petit homme était ému, également. Sa voix grave semblait plus douce. Le jeune homme sourit également. Il sentit ses joues rougir.
- Moi aussi.
- T’allais dire quoi ?
- La même chose. J’aime bien être avec toi.
- Ah ! …Cool.
Les deux hommes se regardèrent un moment. Quelques fois, dans les yeux.
Quelques minutes plus tard, ils se tinrent la main dans l’herbe, et regardèrent leurs Pokémon jouer ensemble.