Chapitre 3 - Les Gratte-Ciels
- 28 octobre -
Un petit aboiement attira l’attention de la réceptionniste. Assise derrière son bureau, elle releva la tête et son chapeau bleu pour regarder à l’entrée. Elle vit, dehors, devant la porte d’entrée, une femme aux longs cheveux châtains et à la peau claire, portant une robe rose pâle sur une chemise blanche. Accroupie devant la porte, elle caressait sa Ponchien. La créature poilue, assise sur le bitume, battait le trottoir avec sa queue d’un air enjoué. Après lui avoir adressé quelques mots, la femme rappela son Pokémon dans sa Poké Ball et rangea la capsule dans sa sacoche de bureau. Elle se releva et s'approcha des grandes portes vitrées de l’entrée qui coulissèrent avec un soupir mécanique.
La femme entra dans l’établissement, le bruit de talons résonnant dans le hall d’entrée. La réceptionniste l’accueillit avec un grand sourire.
- Bonjour Ingrid !
- Bonjour Sophie, répondit la femme en rose avec un gentil sourire. Tu vas bien ?
- Ça va merci, et toi ?
- Ça va bien. Tiens, j’y pense, j’attends un colis aujourd’hui, l’impression test de l’affiche pour la nouvelle exposition à la galerie.
- Bien noté, je te passerai un coup de fil si je le reçois.
- Super, merci.
Le temps d’échanger ces paroles convenues et Ingrid avait déjà appuyé sur le bouton de l'ascenseur. Les portes métalliques s'ouvrirent et elle entra dans la cabine, sa main déjà à hauteur du bouton de l’étage qu’elle avait maintenant l’habitude d’appuyer. La cage se referma et commença son ascension rapide tandis que la femme se regarda dans le miroir. Elle recoiffa sa frange en rideau, scruta ses deux profils, puis passa en revue à voix basse son emploi du temps de la journée.
***
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent au cinquantième étage. Après l’averse qui avait eu lieu plus tôt ce matin, le soleil pointait maintenant à travers les nuages gris et les gratte-ciels. Une lumière dorée tombait du ciel, se reflétait sur les dizaines de vitres des immeubles alentour, et passait à travers les grandes fenêtres de l’open space, inondant l’étage et tapant sur la moquette violette. De grands panneaux blancs délimitaient les espaces de travail de chacun, mais seul monsieur le maire avait un bureau clos.
Ingrid traversa le couloir jusqu’à son bureau. Comme à son habitude, elle était parmi les premiers employés arrivés. Elle salua en passant Christelle, seule collègue et amie présente à cette heure-ci, déjà au téléphone avec l’équipe de la voirie. Toujours apprêtée d’un tailleur bleu dur faisant ressortir ses yeux, celle-ci releva sa mèche blonde et lui rendit un sourire très expressif, comme à son habitude, avec un enjoué “Salut ça va ?” prononcé à demi-mot pour ne pas déranger son interlocuteur. Une fois à son poste, Ingrid posa sa sacoche, alluma son ordinateur portable, et passa en revue ses e-mails. Elle vérifia que son rendez-vous était toujours bien prévu, attrapa son carnet de notes, puis se rendit aussitôt dans le bureau du maire.
***
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent au cinquantième étage. Après l’averse qui avait eu lieu plus tôt ce matin, le soleil pointait maintenant à travers les nuages gris et les gratte-ciels. Une lumière dorée tombait du ciel, se reflétait sur les dizaines de vitres des immeubles alentour, et passait à travers les grandes fenêtres de l’open space, inondant l’étage et tapant sur la moquette violette. De grands panneaux blancs délimitaient les espaces de travail de chacun, mais seul monsieur le maire avait un bureau clos.
Ingrid traversa le couloir jusqu’à son bureau. Comme à son habitude, elle était parmi les premiers employés arrivés. Elle salua en passant Christelle, seule collègue et amie présente à cette heure-ci, déjà au téléphone avec l’équipe de la voirie. Toujours apprêtée d’un tailleur bleu dur faisant ressortir ses yeux, celle-ci releva sa mèche blonde et lui rendit un sourire très expressif, comme à son habitude, avec un enjoué “Salut ça va ?” prononcé à demi-mot pour ne pas déranger son interlocuteur. Une fois à son poste, Ingrid posa sa sacoche, alluma son ordinateur portable, et passa en revue ses e-mails. Elle vérifia que son rendez-vous était toujours bien prévu, attrapa son carnet de notes, puis se rendit aussitôt dans le bureau du maire.
***
Ingrid était assise depuis cinq minutes à répondre aux messages sur son Vokit quand la porte s’ouvrit. Un homme de grande taille, aux cheveux châtains grisonnants et à la moustache fournie, entra.
- Bonjour Ingrid ! Désolé pour l’attente.
- Bonjour monsieur, pas de souci.
L’homme ferma la porte derrière lui puis alla prendre place derrière son bureau et le porte-nom argenté “Philibert Waynes”. Sa formidable moustache cachait un léger sourire : le même type de sourire insouciant qu’il portait sur son visage en tout temps et toute heure, lui donnant un air bonhomme, et qui inspirait la sympathie aux électeurs depuis deux mandats. Il portait un gros dossier sous le bras, marqué du logo de la Métropole de Volucité. Il le posa en face de lui.
- Alors, quoi de beau aujourd’hui, mademoiselle Calloway ? Ah, c’est vrai, dit-il en riant, on ne dit plus ça, maintenant… Madame Calloway !
Ingrid se contenta de sourire et d’acquiescer.
- Écoutez, monsieur, les projets avancent bien. L’exposition Jeunes Talents se met bien en place, on devrait pouvoir ouvrir à la date convenue. J’attends l’affiche dans la journée. Côté égouts, j’ai bien répondu à la demande de Niles en ce qui concerne leur demande de Pokémon assistants, et je l’ai mis en contact avec Monsieur Richards, qui s’en chargera. Le budget de construction a d'ailleurs reçu la validation finale de la compta. Niveau circulation, plusieurs branches sont tombées cette nuit sur la place centrale, mais la voirie est sur le coup. Probablement un combat Pokémon nocturne, étant donné que des riverains ont entendu des Dresseurs se battre vers 1 heure du matin. Je pensais peut-être proposer à mes contacts de la Baston SARL d’ouvrir certains de leurs terrains intérieurs la nuit ? Pour réduire ce genre d’incidents.
Monsieur Waynes approuva rapidement la démarche.
- Hmm, hmm, oui, en effet, bonne idée ! Faites donc.
Contente, la cheffe de projet prit quelques notes sur son carnet. Le maire regarda l’épais dossier en face de lui.
- Vous savez, depuis que vous nous avez rejoint, vous faites un travail formidable.
- Merci, monsieur.
- C’est pourquoi j’aimerais vous confier le dossier de la Route 4.
Il y eut un petit silence. Ingrid arrêta de prendre des notes et releva la tête. Elle leva les sourcils d’un air étonné.
- Ce n’est pas Marcus qui s’en charge ?
- Plus maintenant, non. Il m’a remis sa démission hier soir.
Ingrid laissa ses yeux tomber sur l’énorme dossier sur le bureau de son supérieur. Elle avait à peine échangé avec Marcus, l’ancien chef de projet de l’équipe urbanisme, et les rares fois où elle avait pu le croiser, elle n’avait pas osé le déranger tant les cernes appuyées sous ses yeux lui faisaient de la peine. Elle n’était pas surprise qu’il parte, mais ce projet… Elle avait été contente de ne pas travailler dessus, vu ce qu’il se disait dans les couloirs.
- Je vois, reprit Ingrid. Je suis désolée de l’apprendre…
- Et moi donc. Mais je suis sûr que vous parviendrez à faire aboutir le projet ! Vous êtes si brillante.
- En plus des projets culturels et aménagements, monsieur ?
- Vous pouvez vous décharger sur Christelle au besoin. J’aimerais que vous fassiez de la Route 4 votre priorité.
Ingrid ouvrit une nouvelle page de son carnet, et acquiesça.
- Très bien. Je peux me coordonner avec le reste de l’équipe urbanisme pour en savoir davantage sur le sujet.
- Vous trouverez déjà beaucoup d’informations dans ce dossier, Waynes répondit en désignant l’épais tas de documents, mais faites donc. Vous avez carte blanche.
- Avons-nous un impératif en particulier ?
Le maire soupira.
- Il nous faut finir de construire ces résidences et ouvrir d’ici juillet prochain. Méanville avance bien sur la Galerie Concorde. Il ne faudrait pas qu’on finisse en retard, ou bien l’on risque de passer pour des incapables. Les travaux ont déjà trop traîné, et les appartements sont tous vendus depuis des lustres.
Ingrid repensa à la présentation interne qu’ils avaient eus il y a deux mois déjà. Après la dissolution de la Team Plasma par la Police Internationale, le plan de “métropole connectée” avec Méanville avait été présenté en grandes pompes, en interne comme au public. Méanville était arrivé avec son projet de Galerie Concorde, grand centre commercial ultra-connecté, et Volucité avait besoin d’un prétexte pour relégitimer ses travaux d’expansion au nord de la ville. Ce projet faisait partie d’ “Unys Demain”, une initiative regroupant plusieurs d'aménagements ambitieux : après la période morose et les agitations causées par la Team Plasma au cours des derniers mois, la région entière s’était donnée un an pour “redonner le sourire” aux habitants et “célébrer le vivre ensemble, humains comme Pokémon”. Entre l’Aquatube de Vaguelone et Papeloa, le projet World Tournament de Port Yoneuve, et la réhabilitation d’Arpentières… Beaucoup de villes prenaient part à l’initiative, dirigée par un comité composé de l’ensemble des maires de la région. La plupart des projets municipaux de toutes les mairies d’Unys faisaient maintenant partie de ce mouvement de redynamisation.
Ingrid se souvenait avoir elle-même été conquise par les plans présentés, peu après son arrivée. Après une année plombée par les actions de la Team Plasma, leur déprimante propagande de “libération des Pokémon” et toutes ces créatures qui avaient été relâchées… La promesse de se réunir autour de projets urbains innovants pour inciter tout le monde à apprécier à nouveau la compagnie des Pokémon l’avait motivée à venir travailler ici.
Mais l’achèvement des travaux de la Route 4 était une autre histoire. Débutés bien avant que la Team Plasma ne commence à embobiner tout le monde, ce projet était considéré comme maudit au sein des équipes de la municipalité. Deux ans que les équipes de construction pédalaient dans la semoule. Les causes ne manquaient pas : des tempêtes de sable qui sévissaient souvent au nord de la ville, qui interrompaient et retardaient les travaux, la présence de Pokémon sauvages, qui se révélaient bien plus difficiles à gérer que prévu, et les récents déboires causés par la Team Plasma… Les classes populaires avaient été particulièrement touchées par les discours de cette organisation : Ingrid se souvenait de la grande manifestation d’ouvriers pour protester contre l’usage des Pokémon au travail. Les nouvelles mesures de compensation et de temps de repos avaient réussi à calmer les revendications, mais il a fallu attendre l’intervention de cette Dresseuse de Renouet et l’exposition au grand jour des véritables intentions de ces viles personnes pour que le mouvement perde enfin de la force et que le travail puisse reprendre son pénible rythme d’avant. Cela avait été un énième problème pour l’avancée de cette arlésienne, et…
…Et elle en était restée là. Elle avait eu beaucoup à faire, et elle avait arrêté de suivre le dossier quand la Team Plasma s’en était mêlée (le moins elle avait eu affaire à ces escrocs baratineurs, le mieux elle s’était portée). Et puis, elle pensait que Marcus gérait. Il fallait croire que non.
La voix de monsieur le maire la tira de sa prise de notes.
- Avec Marcus, nous avons trouvé un prestataire supplémentaire afin d’aider la construction et tenir les délais. Ils doivent arriver dans quelques semaines. Vous les brieferez également sur le projet et synchroniserez les équipes.
- C’est noté.
- Avez-vous d’autres questions ?
- Pas pour le moment, monsieur. Je vais prendre connaissance du dossier et je vous tiendrai au courant des avancées, comme d’habitude.
- Très bien, sourit le maire. Je compte sur vous, Calloway.
***
Ingrid passa la matinée sur le dossier de la Route 4. La voix de Christelle lui fit lever la tête.
- Ingrid ?
Elle regarda son Vokit. Il était l’heure de déjeuner.
- Oh, déjà…!
- J’ai commandé pour toi, ça arrive dans cinq minutes.
- T’es géniale, merci !
- On se met dans la salle de repos ?
Ingrid regarda par la grande fenêtre, à l’autre bout de l’open space. Il avait plu récemment, et une couverture de nuages gris stagnait derrière les gratte-ciels.
- Ça me va, vu le temps.
- Ok, à tout’ !
Ingrid ne rejoignit sa collègue que quinze minutes plus tard, une nouvelle fois emportée par le travail. Elle trouva sa collègue blonde assise à la grande table où elles avaient l’habitude de déjeuner. Un sac en papier flanqué d’une tête d’Aflamanoir était posé au centre. En face, par-delà la grande baie vitrée, la météo n’avait guère changée. Elle offrait un panorama saisissant sur la ville, surplombant les quartiers nords et donnant à voir, vers l’ouest, le Désert Délassant. Au nord, on pouvait voir les nuages de sable jaunes qui couvrait la Route 4, cachant d’ici les toits colorés et les attractions de Méanville. Christelle avait fait sortir son Evoli, qui mangeait à sa gamelle, dans le coin de la pièce habituellement réservé aux Pokémon. En voyant Ingrid arriver, sa collègue lui adressa un grand sourire.
- Ah, te voilà ! Julio et Steph sont partis se chercher à manger.
- Merci… Désolée, j’ai pas vu le temps passer.
Comme à son habitude à cette heure-ci, Ingrid fit sortir sa Ponchien dans la salle de repos. Son Pokémon fut ravi de la revoir. Sa Dresseuse lui servit sa gamelle, et elle alla manger à côté de l’Evoli de Christelle, qu’elle connaissait bien maintenant.
- Alors, ce dossier ? demanda la blonde. Sacré paquet j’imagine…
Ingrid rit gentiment, un peu désabusée. Elle sortit son curry du sac en papier et des couverts réutilisables avant de s’installer.
- Je te le fais pas dire… Tu savais que des Crocorible avaient attaqué les voitures au début des travaux ?
- Mais non ?
- Si… Il y a eu des blessés.
Christelle posa sa fourchette et s'essuya la bouche avec une serviette en papier, étonnée.
- Marcus m’avait parlé de barrages de Crabaraque, mais je pensais pas qu’il y avait des carrément des attaques…
- Oh, les barrages aussi sont toujours un problème… Quand ils ont décidé de s’installer, quasiment rien ne les fait bouger. Ils ont même fait appel à des Dresseurs professionnels l’année dernière…
- Ohlala…
Ingrid retira le couvercle en plastique de son plat, encore chaud. L’odeur alléchante du curry la réconfortait, comparé au froid humide qui se collait aux vitres.
- T’as des idées sur comment avancer ? demanda Christelle.
- Je vais continuer d’étudier le dossier, et je verrai bien. L’avantage, c’est que les travaux ont déjà commencé, donc on ne part pas de zéro. Il faut juste dénouer ce Saquedeneu pour de bon et trouver des moyens long-termes plutôt que de rabibocher au fur et à mesure. Je suis sûre qu’il y a des choses auxquelles Marcus ou l’équipe d’urbanisme n’ont pas pensé.
Ingrid allait commencer à manger son curry aux pommes de terre quand elle manqua de faire tremper une de ses mèches de cheveux dans la sauce. Elle se redressa pour les attacher derrière sa tête avec une épingle rose, tout en continuant de discuter.
- On peut peut-être fournir de nouveaux Pokémon aux ouvriers ? Il faut que je contacte notre prestataire.
Elle commença à manger, en laissant échapper un petit soupir de satisfaction. Elle ne se rendit compte que maintenant d’à quel point elle avait faim.
- Hm, d’ailleurs, fit-elle en après avoir fini sa bouchée, j’ai vu que c’était une entreprise galarienne qui avait remporté l’appel d’offres… Macro Cosmos. Tu les connais ?
Christelle, qui était née et avait vécu une première vie à Kickenham, haussa les sourcils et manqua de rire devant la question innocente.
- Oh wow ! Oui, plutôt ! C’est le plus gros conglomérat de la région. Ils ont des branches dans quasiment toutes les industries.
- Ah ! Intéressant.
- Pourquoi Waynes n’a pas pris d’entreprise unysienne ?
- Techniquement, on a déjà une équipe sur place… C’est juste que ce sont eux qui sont sur le chantier depuis deux ans, et que, connaissant Waynes, il doit aussi leur reprocher de ne pas avancer.
Elle mangea un bout, puis elle partagea à voix haute son optimisme ainsi que la marche qu'elle avait choisie de suivre.
- Enfin, j’irai discuter avec les ouvriers, voir ce qui coince. A coup sûr y a des infos qui sont même pas dans ce dossier. Puis on trouvera un moyen de faire travailler les deux équipes ensemble.
- Je te souhaite bien du courage…
- Merci ! Tu me connais, j’aime bien les défis, sourit Ingrid. Et toi, les projets dont on a parlé te conviennent ?
Les deux collègues continuèrent d’échanger le long du repas. Par plusieurs fois, Ingrid regardait du côté de son Ponchien, puis du côté de la ville, par-delà la baie vitrée en face d’elles. Elle aimait bien voir la métropole de si haut, pouvant parfois repérer directement les coins où les projets dont elle avait la charge se déroulaient. Aujourd’hui, elle n’avait plus le même regard sur les vents chargés de sable beige, qui balayaient la Route 4, au loin. La ville, coincée entre mer et terre, lui avait toujours paru comme cet îlot coloré et plein de vie, isolé du reste du monde… Cela lui était farfelu de penser qu’il lui incombait désormais de briser cet isolement et de rallier la ville voisine en bravant les difficultés de cette Route 4, telle une émissaire en contrée sauvage. Mais s’imaginer qu’elle pourrait y arriver, là où les autres avaient échoué… Stratégiser, trouver des solutions pour avancer, et gagner le sourire des habitants une fois que le projet serait terminé… Ce sentiment la grisait.
Elle pose à nouveau son regard sur sa Ponchien, qui jouait avec Evoli. Elle pensa que cela faisait longtemps qu’elles avaient livré un combat, toutes les deux, mais elle se convainquit que ce genre de projet était tout comme.