[J] L'étoile d'Arkephyr
Une boule de feu jaillit au fond du chapiteau, projetant des éclats de bois partout dans les gradins. Les gens hurlent de terreur et se lèvent en catastrophe pour essayer de fuir. Leurs Pokémon, affolés, commencent à lancer des attaques dans tous les sens.
Thomas agrippe aussitôt ma main.
– Tu n'es pas blessée ?
Je secoue doucement la tête, incapable de prononcer le moindre mot. L'incendie qui commence à se propager autour de nous ravive un traumatisme que je n'ai jamais réussi à surmonter.
Mon partenaire prend les devants et lance une Pokéball en direction de la piste. Tortank apparaît dans sa carapace et se met aussitôt à tourbillonner en exécutant une puissante attaque Hydrocanon.
Les flammes sont rapidement maîtrisées et arrêtent de se propager, mais les conséquences sont déjà dramatiques.
– Jasmine... je murmure, la nausée me montant à la gorge.
Le corps de la jeune femme gît sous mes yeux, partiellement brûlé. Sa tête repose dans un angle anormal par rapport à ses épaules. La violence de la chute l'a sans doute tuée sur le coup.
Un homme paniqué surgit et nous heurte de plein fouet, manquant de me faire tomber au sol. Thomas me rattrape d'un bras et, de l'autre, frappe l'inconnu d'un coup de poing rageur qui l'envoie rouler par terre.
– Il faut partir d'ici... dit-il en m'entraînant vers la piste pour nous éloigner de la foule. Tu es en état de te battre ?
Je déglutis péniblement et hoche la tête. Il est hors de question que je sois un poids mort dans le combat qui s'annonce.
– Ça va aller... j'assure en plongeant mon regard dans le sien.
Thomas raffermit sa prise autour de ma main et m'entraîne dans les coulisses du cirque. Les corps calcinés des artistes gisent sans vie au milieu des décombres. Ils n'ont pas eu la moindre chance de s'en sortir.
– Ne regarde pas... souffle mon compagnon d'une voix rauque.
Je ne sais pas comment il réussit à faire abstraction de tout ça. C'est comme s'il avait actionné un interrupteur pour s'interdire de ressentir la moindre émotion. Mais la manière dont il m'a protégée à l'instant indique pourtant tout le contraire.
Nous regagnons enfin l'extérieur et nous figeons brusquement. Trois oiseaux gigantesques ont pris possession du ciel et déchaînent leur puissance phénoménale.
Artikodin. Électhor. Sulfura. Le trio légendaire de la région de Kanto.
– Je m'en occupe ! crie Michael en passant devant nous comme une tornade sur le dos de son Dracolosse.
Un Libégon et un Ptéra chromatiques le suivent de très près. Le Maître de la Ligue s'est entouré de ses meilleurs Pokémon pour affronter la menace.
– Occupez-vous des autres ! ajoute-t-il en désignant un point reculé en hauteur. Elyndia se charge déjà des Golems d'Hoenn à la sortie du village.
– Elyndia ? s'étonne Thomas en rappelant Tortank dans sa Pokéball. Notre cousine est ici ?
Michael ne prend pas le temps de répondre et s'élève plus haut dans le ciel pour prendre en chasse les oiseaux légendaires.
La situation est surréaliste.
– Il faut trouver Marianne... murmure mon partenaire en contemplant d'un air songeur une étoile plus brillante que les autres. Il faut la trouver très vite.
Un nouveau bruit d'explosion retentit non loin de l'endroit désigné par Michael. Les silhouettes de trois grands chiens se dessinent alors dans l'obscurité, et les flashs de lumière qui illuminent l'horizon ne laissent rien présager de bon.
– Laisse-moi m'occuper d'elle... dis-je d'un ton déterminé. Mes Pokémon sont armés pour affronter Mew.
Je sais que Thomas souhaite prendre sa revanche contre Marianne. Et je sais aussi qu'il fera passer ma sécurité avant la réussite de notre mission. Il ne s'est jamais pardonné l'accident du centre commercial et ne voudra pas prendre le risque de me perdre à nouveau.
Mais nous devons rester lucides et utiliser notre tête pour l'emporter aujourd'hui.
– S'il te plaît... je souffle en croisant mes doigts dans les siens. Je serai prudente.
Le temps presse. Nous ne pouvons pas nous permettre d'argumenter alors que des gens innocents meurent en ce moment-même.
Thomas en est parfaitement conscient.
– D'accord... concède-t-il en décrochant la Pokéball de Dracaufeu. Au moindre problème, tu fais demi-tour et tu appelles des renforts.
Un mince sourire se dessine sur mes lèvres.
– Je t'appellerai toi... je murmure en déposant un baiser furtif sur tes lèvres. Ne meurs pas.
Mon partenaire ne me rend pas mon sourire. Il libère son dragon de feu et grimpe sur son dos, les yeux rivés vers les trois chiens légendaires de la région de Johto.
– Tu me connais... dit-il avant de décoller.
Suicune. Raikou. Entei.
Comment Marianne a-t-elle pu mettre la main sur ces Pokémon ? Certains dresseurs parcourent le monde sans jamais croiser la route d'une seule de ces créatures. Et cette femme a réussi l'exploit de s'en faire une armée.
Je regarde mon amoureux s'éloigner en songeant que cet échange est peut-être le dernier que nous aurons. Car si je suis certaine de pouvoir gérer Mew, je ne sais pas comment je vais m'en sortir face aux Pokémon de Lucille.
La mère ne serait pas venue sans la fille.
– À toi, Corboss... je souffle en libérant mon Pokémon Vol. Essayons de rester discrets.
Prendre de la hauteur est notre meilleure option. Je n'ai pas l'intention de courir au hasard pour tenter de débusquer l'architecte de la Team Fusion. Et j'ai pleinement confiance en la capacité de Michael à contenir la fureur des oiseaux légendaires.
Le spectacle qui s'offre à moi est celui d'un champ de bataille. Les gens courent dans tous les sens et n'ont aucun scrupule à piétiner ceux qui tombent à terre pour sauver leur vie. Certains dresseurs ont fait le choix de rester pour combattre les Pokémon légendaires, et les plus stupides d'entre eux jettent même des Pokéball dans l'espoir de les capturer.
Quand je vois l'un d'entre eux se faire éventrer par le Laser Glace d'un Regice, je préfère détourner les yeux et reporter mon attention sur le combat aérien mené par Michael.
Le Maître de la Ligue joue la carte de la sécurité en conservant l'avantage du type. Son Ptéra – le Pokémon préhistorique – harcèle Sulfura avec de puissantes attaques de type Roche, mais l'adversaire est étonnamment vif et parvient à les esquiver avec une habileté déconcertante. Un peu plus loin, son Libégon – le Pokémon libellule – encaisse sans broncher les attaques foudroyantes d'Électhor grâce à son type Sol.
– Déflagration ! hurle-t-il depuis le dos de son Dracolosse.
Un Dracaufeu noir déploie ses ailes face à Artikodin et lui expédie un torrent de flammes incandescentes. L'oiseau de glace est projeté avec une violence inouïe contre le flanc d'une montagne.
Tous ses Pokémon sont chromatiques.
Michael a toujours aimé se démarquer des autres dresseurs. Il a consacré des journées entières à chasser les perles rares qui constituent aujourd'hui son équipe. Thomas et moi le voyions parfois disparaître pendant des semaines entières avant de revenir comme si de rien n'était.
Mon amoureux a lui aussi engagé le combat contre les chiens légendaires, mais son approche est très différente de celle de son frère. Il a décidé d'opposer son Dracaufeu à Entei, son Tortank à Suicune et son Pikachu à Raikou.
Le feu contre le feu. L'eau contre l'eau. La foudre contre la foudre.
– Mais où est-ce qu'il est passé ? je m'interroge en parcourant la zone du regard.
Cet idiot demeure introuvable. Je m'attendais à le voir donner des directives à ses Pokémon, mais il a préféré les laisser se débrouiller en autonomie pour s'éclipser je ne sais où.
Je ne peux toutefois m'empêcher d'admirer la manière dont ses protégés combattent. Rien n'est laissé au hasard. Leur placement est parfait, leurs compétences s'enchaînent à un rythme effréné et chacun de leur mouvement est d'une précision extrême.
Les trois chiens légendaires sont déjà acculés. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne mordent la poussière.
Nous avons de bonnes chances de gagner.
Le vent de la montagne repousse un instant les nuages obscurcissant le ciel, et l'éclat de la pleine lune vient éclairer un plateau en contrebas.
Là où se trouve Marianne.
– On descend... j'ordonne immédiatement à Corboss.
Mon Pokémon amorce une descente vertigineuse et fond sur notre cible sans se poser de questions.
– Contourne-la... je souffle sans la quitter des yeux. Tu vas me poser devant elle.
L'architecte de la Team Fusion semble être sans défense – c'est en tout cas l'illusion qu'elle donne. Mais il est hors de question que je l'attaque dans son dos au risque de me faire piéger. D'autant plus que je ne cherche pas à la tuer.
Je veux seulement des réponses.
– C'est terminé pour vous... je lâche en atterrissant au sol. Vos Pokémon légendaires sont en difficulté. Les forces de l'ordre vont vous mettre sous les verrous pour les cinquante prochaines années.
Je rappelle Corboss dans sa Pokéball et libère Grahyena par précaution. Mew est capable de verrouiller les capsules à l'aide de ses pouvoirs psychiques, et je ne dois surtout pas me faire surprendre.
– C'était vraiment nécessaire ? je demande en crispant la mâchoire. De tuer tous ces gens. Les artistes du cirque. Les familles innocentes. Ma petite sœur.
Une larme coule sur la joue de Marianne. Elle m'observe de ses yeux verts et affiche une expression de profonde détresse.
Cela ne fait qu'accentuer mon ressentiment à son égard.
– Vous pleurez ? je lance d'une voix chargée de colère. Après tout ce que vous nous avez fait subir, vous êtes juste bonne à pleurer ?
Mon interlocutrice ne répond pas. Je note alors la présence d'un pendentif bleu autour de son cou. Le même que Thomas, Michael et moi portons depuis le début de notre voyage initiatique.
Une labradorite. La mystérieuse pierre aux pouvoirs de protection. Celle-là même qui nous a permis de conserver notre mémoire le jour où Marianne a demandé à Mew de l'effacer, après notre première rencontre.
Mes souvenirs de cette journée se sont quelque peu estompés au cours des années, mais je suis formelle : Marianne ne portait pas de collier.
Et ce détail pourrait bien avoir toute son importance.
– Ce n'était pas vous... je réalise avec effroi. Vous n'avez jamais agi de votre propre chef. Vous étiez sous l'emprise de... Mew ?
Tout cela n'a aucun sens. Les études menées par mon père ont révélé que le petit Pokémon légendaire était fondamentalement bon. Mew n'aurait jamais pu être à l'origine d'une organisation criminelle dont le but ultime serait de trouver un remède à sa propre dégénérescence.
Les larmes ruissellent désormais en abondance sur le visage de Marianne. Je suis totalement perdue et ne sais plus comment réagir face à cette situation.
– Vous devez faire le vœu... dit-elle d'une voix suppliante. Vous devez le sauver.
Je secoue la tête sans comprendre.
– Qu'est-ce que vous racontez ? je rétorque d'une voix tremblante. Vous... Vous devez rappeler tous vos Pokémon et arrêter ce massacre tant que c'est encore possible !
La terreur se lit sur ses traits. Elle semble totalement déconnectée de la réalité et ne prête probablement aucune attention à mes paroles.
Lorsqu'elle avance vers moi, la main tendue, je ne peux m'empêcher de reculer de plusieurs pas.
– Chaos Draconique ! ordonne soudain la voix lointaine de Michael.
Avant même que j'aie le temps de tourner la tête, une masse d'énergie jaillit dans l'air. Un dragon gigantesque, entièrement constitué de flammes violettes, prend forme au-dessus de nous. Ses yeux brillent d'une lueur implacable.
L'invocation ouvre une gueule béante et fond droit sur Marianne.
– NON ! je hurle à pleins poumons.
Mais c'est trop tard.
Le dragon d'énergie percute sa cible dans un fracas assourdissant. Une détonation monstrueuse secoue tout le plateau et me projette au sol en me coupant le souffle.
Quand la poussière retombe, il n'y a plus rien. Juste un cratère fumant là où se tenait Marianne. Aucune trace d'elle. Ni chair, ni os, ni vêtements. Rien.
Elle a été désintégrée.
Je reste figée, incapable de bouger, la gorge nouée. Mes oreilles bourdonnent. Mon cœur bat si fort que j'en ai mal à la poitrine.
Je ne peux détacher mes yeux de ce vide béant.
– Qu'est-ce que... tu as fait ? je souffle dans un murmure à peine audible.
Michael fait atterrir son Dracolosse à côté de moi et met un pied à terre.
– On l'a eue ? demande-t-il en s'avançant vers le point d'impact.
Je ne réponds pas. C'est comme si ma voix s'était éteinte, quelque part en même temps que Marianne.
Michael ne s'en formalise pas et scrute la terre brûlée. Il se penche légèrement et balaie du pied les cendres encore fumantes.
Une lueur rose apparaît alors devant lui. D'abord faible, vacillante... puis soudain éclatante.
Mew apparaît sans un bruit, suspendu au-dessus du sol, comme une flamme vivante. Sa longue queue fouette l'air. Ses grands yeux bleus semblent presque vides, et il se dégage de lui une colère terrible.
Je ne ressens rien. Aucune peur. Juste un froid glacé au creux du ventre.
Le Pokémon légendaire tend ses petits bras. Un orbe d'énergie se forme alors entre ses mains et grossit d'un seul coup.
Michael le voit à peine venir. L'attaque fuse et le frappe en pleine poitrine. Il est projeté plusieurs mètres en arrière avant de retomber lourdement sur la terre pierreuse.
Dracolosse se rue sur lui pour venger son dresseur, mais il est aussitôt balayé par un Blizzard d'une intensité incroyable.
La bourrasque m'enveloppe à mon tour, cinglante, implacable. Un froid si violent qu'il m'arrache le souffle. Mes vêtements glacés d'humidité se collent contre mon corps, et ma peau me brûle comme si des milliers d'aiguilles de givre y étaient plantées.
Grahyena se décide alors à agir. Il expédie un puissant Aboiement qui déstabilise Mew et l'incite à porter son attention sur lui. Je voudrais pouvoir guider mon Pokémon, mais je suis toujours en état de choc.
Le Pokémon légendaire s'enveloppe aussitôt d'une aura protectrice et ferme les yeux pour concentrer son énergie. Les données rassemblées par mon père indiquent qu'il est capable d'utiliser n'importe quelle capacité, quelle que soit son type. S'il parvient à augmenter ses attributs offensifs et à enchainer avec une attaque Combat, alors mon partenaire n'aura aucune chance de s'en sortir.
– Graaa... gronde-t-il en adoptant une posture d'attaque.
Je plante mes ongles dans ma paume et m'efforce de reprendre mes esprits. Quelle genre de dresseuse regarderait son Pokémon se faire anéantir sans rien faire ?
– Tricherie... je souffle entre mes dents.
Et soudain, un grondement sourd traverse l'air.
Une lueur pourpre et noire tourbillonne autour du corps de Grahyena. Ses pattes frappent la terre avec une violence qui fait vibrer le plateau. L'énergie ténébreuse se condense autour de lui, pulsant comme un cœur monstrueux.
Mew tente de reculer, mais Grahyena bondit. Un éclat de ténèbres jaillit au moment de l'impact. Le Pokémon légendaire est projeté en arrière. Son corps s'écrase lourdement sur le sol rocailleux, et son aura rose vacille comme une flamme sur le point de s'éteindre.
Grahyena atterrit à quelques mètres, le poitrail soulevé par une respiration haletante. Il garde les yeux rivés sur sa cible et se tient prêt à recommencer à mon signal.
– Qu'est-ce que...
Une Pokéball siffle dans l'air et vient toucher le corps inconscient de Mew, l'englobant aussitôt dans une lumière rouge vif. La capsule remue à plusieurs reprises... avant de libérer le petit Pokémon légendaire, qui tente désespérément de lutter.
Je me tourne aussitôt vers l'auteur de ce lancer improbable. Michael avance d'un pas claudiquant vers la zone de combat en se tenant une côte.
– Je peux savoir ce que tu fais ? je lance avec incrédulité.
Une lueur sombre traverse le regard de mon ami.
– Cette créature doit être contrôlée... grogne-t-il en dévoilant une nouvelle sphère violette et blanche.
Mes yeux s'écarquillent lorsque je reconnais une Master Ball. Ces capsules sont extrêmement rares et coûtent une fortune. Je n'ai moi-même jamais eu l'occasion d'en tenir une dans mes mains, alors que je suis la fille de celui qui a supervisé ce projet.
Comment Michael a-t-il pu s'en procurer une ? À quel point est-il proche de Giovanni ?
– Tu ne feras plus de mal à qui que ce soit... déclare-t-il en lançant la Master Ball sur Mew. Cette guerre est terminée.
La sphère décrit une trajectoire parfaite, mais un Ectoplasma s'interpose au dernier moment pour la recevoir à la place du Pokémon légendaire.
– Bordel, mais qu'est-ce que...
La Master Ball se met à vibrer avec intensité... avant de se briser en mille morceaux. Le Pokémon Spectre esquisse un rictus et tire la langue au Maître.
Ce dernier porte immédiatement la main à sa ceinture pour appeler l'un de ses dragons au combat, mais son geste s'interrompt d'un seul coup. Son corps se met alors à chanceler dangereusement avant de s'effondrer une nouvelle fois.
– Une attaque Hypnose... je souffle en observant mon adversaire.
Cet Ectoplasma est celui de Thomas. Celui-là même que mon compagnon a cru avoir sauvé du laboratoire alors qu'il jouait un double jeu. Le fameux sujet expérimental du projet "Brise Liens", qui permet à un Pokémon de s'affranchir des chaînes invisibles générées par le processus de capture.
Grahyena l'identifie comme un ennemi et se jette sur lui pour lui asséner une attaque Mâchouille, mais le Pokémon Spectre le cueille avec sa capacité Exploforce. Grahyena pousse un jappement avant d'être brutalement envoyé au tapis.
Ectoplasma croise alors mon regard et affiche un sourire carnassier. Il matérialise une attaque Ball'Ombre et la fait grossir en ajustant son tir.
Je vais mourir ici. Tuée par le Pokémon de l'homme que j'aime.
– BAISSE-TOI !
Thomas me percute violemment au moment où la sphère ténébreuse jaillit dans ma direction. Il m'entraîne avec lui dans un chute douloureuse mais salvatrice, avant de se relever pour affronter son ancien partenaire.
Le choc m'a sonnée. Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et me redresse péniblement pour ne rien manquer de la scène.
Thomas a choisi de se battre seul.
– Tue-moi... siffle-t-il à l'adresse du Pokémon Spectre en le fixant d'un air mauvais.
Ectoplasma ne sourit plus du tout. Il dégage toujours une aura menaçante mais ne semble pas disposé à attaquer son ancien dresseur.
– Qu'est-ce que tu attends, espèce de vieille poche de gaz toxique ?
Mon compagnon se jette sur lui sans crier gare. Il passe au travers de son corps intangible et effectue une roulade pour se réceptionner. Quand il se redresse, je remarque qu'il tient quelque chose dans les bras.
Le corps de Mew.
– Ectooo...
Ectoplasma est vraiment furieux de s'être fait berner par Thomas. Il se tourne vers moi avec l'idée de m'utiliser comme monnaie d'échange, mais un grondement provenant du ciel attire brusquement notre attention.
L'étoile d'Arkephyr semble avoir doublé de volume. Et si mes yeux ne me trompent pas, je suis presque certaine qu'elle est encore en train de grossir.
– Jirachi... murmure mon compagnon. La légende disait vrai.
Il invoque immédiatement son Dracaufeu et me fait signe de monter sur son dos. Il décroche une autre Pokéball et se tourne machinalement vers Ectoplasma.
– Tu peux te mettre à l'abri si tu veux rester près de Mew... lui propose-t-il en lui présentant la vieille capsule. Ce n'est pas comme si tu allais être lié à moi, de toute façon.
Le Pokémon Spectre lui lance un regard mauvais mais obtempère sans discuter. Je me hisse alors sur le dos de Dracaufeu, très vite rejointe par Thomas qui le talonne pour le faire décoller.
– Michael est étendu là-bas ! je crie en désignant un bord du plateau.
– Je sais... grogne mon compagnon en piquant vers lui.
Dracaufeu replie ses ailes et plonge en direction du Maître. Il tend alors ses puissantes pattes et l'attrape entre ses griffes avant de s'éloigner et de se placer en vol stationnaire.
L'étoile d'Arkephyr ne cesse de croître, comme un soleil incandescent dans le ciel nocturne. Ses lueurs blanches virent soudain à l'orange, puis au rouge, et je me rends compte avec horreur qu'elle se dirige droit sur nous.
– On... On est fichus... je murmure.
Thomas ne répond pas. Il serre le bras que j'ai passé autour de sa taille, le regard rivé vers la traînée incandescente qui fend la voûte céleste. La météorite entre dans l'atmosphère à une vitesse folle. La lumière est si intense que je suis forcée de détourner un instant le regard.
Puis un bruit secoue la montagne tout entière. Un impact colossal soulève un nuage de roches et de poussière. Le sol se fissure, le plateau vibre en contrebas, et Dracaufeu tangue dangereusement.
Thomas glisse un peu en arrière sur le dos du Pokémon. Je l'agrippe de toutes mes forces pour qu'il parvienne à se stabiliser.
– Merci... souffle-t-il d'une voix rauque.
Lorsque la poussière retombe, un cratère fumant s'étale au milieu du plateau. Au fond, un éclat doré pulse faiblement, comme un cœur battant.
– Est-ce que c'est...
Une petite silhouette émerge de la lumière. Elle flotte lentement au-dessus du sol, enveloppée d'une brume dorée. Son corps est minuscule, presque fragile, et deux rubans bleutés ondulent autour de sa tête comme des voiles. Ses yeux, immenses et brillants, semblent me traverser de part en part.
Jirachi. Le Faiseur de Vœux.
Le Pokémon légendaire reste immobile un instant, l'air hébété, avant d'ouvrir lentement ses paupières. Une onde de lumière douce se répand tout autour de lui, nous enveloppant dans son aura apaisante.
– On le rejoint... murmure Thomas.
Il talonne une nouvelle fois Dracaufeu et le manœuvre avec la plus grande délicatesse pour ne pas affoler Jirachi. Ce dernier nous observe avec curiosité mais ne semble pas inquiété par notre présence. Pas plus qu'il ne s'inquiète du spectacle désolant qui nous entoure.
Nous regagnons une nouvelle fois le plateau et descendons du dos de Dracaufeu.
– Emmène-le auprès d'Elyndia... souffle mon compagnon en désignant son frère du menton. Et assure-toi que personne ne vienne nous déranger.
Je reste silencieuse mais approuve en silence. Michael en a assez fait pour aujourd'hui. Marianne est peut-être responsable de la mort de centaines de personnes, mais elle aurait dû être jugée comme n'importe quelle autre criminelle.
Sous l'effet de la colère, ce crétin nous a privés de la possibilité de comprendre ses motivations. Et lorsque la vérité sur cette soirée éclatera au grand jour, il devra à son tour répondre de ses actes.
– Vas-y... me souffle Thomas d'une voix douce. Fais ton vœu.
Je le regarde sans comprendre. Nous ne nous sommes jamais concertés pour savoir quelle serait la meilleure attitude à adopter dans ce cas de figure. Comment pourrais-je endosser la responsabilité d'une telle décision.
– Tu es celle qui a le plus souffert... ajoute-t-il en écho à mes pensées. Je sais que tu feras le bon choix.
– Je ne suis pas d'accord... je rétorque d'un ton amer.
Ce n'est pas une compétition. Nous avons tous énormément perdu au cours de ces dernières années. Une vie de cavale pour les uns. Des êtres chers perdus pour les autres. Et une souffrance insoutenable pour tous.
Je détache mon regard de celui de mon amoureux et m'avance à contrecœur vers Jirachi. Tout nous ramène toujours au même point.
– Je souhaite que tu effaces tout ce qui a suivi l'accident du centre commercial de Lunapolis... je déclare d'une voix blanche. Que tu nous ramènes une heure avant l'explosion.
Le petit Pokémon plonge son regard perçant dans le mien. Je vois alors une larme perler au coin de ses yeux. Au même moment, une voix cristalline – semblable à celle d'un enfant – résonne dans mon esprit.
"Je ne peux faire cela..." m'annonce-t-il à regret. "Mais je peux téléporter des objets ou soigner des blessures !"
Je me laisse tomber à genoux et enfouis mon visage dans mes mains. Un sanglot me secoue la poitrine, trop brutal pour que je le retienne.
C'est absurde. Tout ça est terriblement absurde. Comme si l'univers tout entier avait décidé de se payer ma tête, de jouer avec moi pour son propre divertissement.
Une minute plus tôt, je croyais encore que tout pouvait s'effacer. Que je pouvais réécrire nos vies, effacer nos morts, gommer mes cicatrices. Et voilà que le Pokémon capable d'exaucer tous les vœux me répond qu'il ne peut même pas me rendre le passé.
Je me mets à rire. Un rire sec, sans joie, étranglé par mes larmes.
Une main chaude vient alors se poser sur mon épaule. Thomas ne dit rien, mais je sens à la pression de ses doigts qu'il a compris. Que lui aussi a abandonné l'idée de réécrire l'histoire.
Lentement, il dépose le corps inanimé de Mew aux pieds de Jirachi.
Ectoplasma se libère presque aussitôt de sa Pokéball, comme pour garder un œil sur son protégé. Il flotte silencieusement à côté de mon compagnon, ses grands yeux rouges rivés sur le corps encore inconscient de Mew.
Thomas inspire profondément.
– Jirachi... dit-il d'une voix ferme. Je ne te demanderai pas de changer le passé. Ni même de ramener les morts.
Ses yeux brillent, mais il se tient droit et ne tremble pas.
– Mais je veux faire au moins une chose juste. Soigne ce Pokémon. Pas seulement ses blessures. Je te demande... de le guérir complètement. D'arrêter pour de bon la dégénérescence dont il est victime.
Jirachi baisse légèrement la tête. Ses rubans bleutés frémissent comme des flammes.
Un éclat doré naît au creux de ses paumes jointes. Une lumière douce pulse doucement avant de se répandre autour de lui.
"Ça, je peux le faire !" s'enthousiasme la voix cristalline dans nos esprits.
La lumière dorée descend sur le corps de Mew. Elle enveloppe ses blessures et s'intensifie jusqu'à former un cocon scintillant autour du petit Pokémon.
Lorsque la lueur s'éteint enfin, ce dernier ouvre lentement les yeux. Son regard semble plus vif, plus profond, débarrassé de la brume maladive qui l'emplissait jusqu'à aujourd'hui.
– Le souhait de Marianne est exaucé... je souffle d'une voix brisée à l'adresse de Mew. Tu peux maintenant disparaître et nous foutre la paix.
Le Pokémon légendaire penche la tête sur le côté, puis vient se placer à la hauteur de Thomas pour virevolter avec reconnaissance devant lui.
Mon compagnon porte sa main à son cou et s'assure que son pendentif y est bien attaché. Il me lance alors un regard empreint de regrets lorsque je réalise que le mien a disparu.
– Efface-toi de toutes les mémoires... demande-t-il à Mew. Et emporte avec toi toute la souffrance causée par ta Maîtresse.
– Non... je supplie en lançant un regard effaré à Thomas. Ne fais pas ça.
Ce salaud n'ose pas me regarder. Je vois une larme couler le long de sa joue tandis que Mew hoche lentement la tête pour accéder à sa demande.
Le petit Pokémon ferme les paupières et se met à briller d'une lumière éclatante. Une vague d'énergie rose et or se déploie autour de lui, comme une marée silencieuse, engloutissant d'abord le plateau, puis s'étendant vers le village tout entier.
Je sens la chaleur de cette lumière m'envelopper, pénétrer jusqu'à la moindre fibre de mon être. Des souvenirs me traversent à une vitesse folle : nos rires, nos larmes, nos batailles, nos douleurs, notre amour, Alice, Marianne.
Puis, soudain, tout devient flou.