Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

La pluie ne cesse de gagner en intensité. Cela ne semble pas gêner Thomas qui oriente son Dracaufeu d'une main de maître, sans que ce dernier montre le moindre signe de faiblesse.

Michael nous suit de près tout en conservant une altitude beaucoup plus haute que la nôtre. Ce dernier n'a pas l'intention de nous accompagner au point de rendez-vous. Pendant que nous rencontrerons les journaliste d'AFI TV, le Maître de la Ligue Pokémon s'assurera que rien ni personne n'entrave notre plan.

– Je vois quelqu'un en bas ! je lance d'une voix forte pour couvrir le bruit de l'averse.

Thomas talonne son dragon et amorce lentement la descente en direction d'une petite clairière entourée de grands arbres. Deux journalistes vêtus d'un imperméable noir nous attendent en contrebas. Le premier d'entre eux tient un parapluie pour protéger la caméra du deuxième, et nous regarde approcher avec une certaine appréhension.

Je lance un rapide regard derrière moi et constate que le Dracolosse chromatique de Michael a disparu. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il nous débarrasse des membres de la Team Fusion dissimulés sous les feuillages des arbres environnants.

– Pas de vague... je rappelle à mon ami en observant les journalistes d'un air songeur. Nous jouons notre liberté sur ce coup.

Je presse le bouton central de la sixième Pokéball attachée à ma ceinture pour libérer discrètement le Pokémon qu'elle contient et me tiens prête à l'atterrissage. Dracaufeu ralentit progressivement l'allure et nous dépose en douceur sur le sol boueux de la clairière.

Les journalistes reculent machinalement d'un pas et activent sans tarder leur caméra.

– Nous sommes en direct... annonce l'homme au parapluie en tenant le micro de son autre main. Et l'homme qui vient d'arriver n'est autre que Thomas Gray, le criminel responsable de l'explosion du centre commercial de Lunapolis qui a eu lieu il y a dix ans. Il est accompagné de Juliette Ombreval, qui figurait jusqu'à aujourd'hui dans la liste des victimes de cet attentat, et dont la petite sœur – la championne Alice – a perdu la vie ce matin dans l'explosion de son arène. Nous ne savons pas encore si ces deux incidents sont liés, mais nous allons avoir aujourd'hui la chance d'entendre pour la première fois le témoignage du terroriste dont la culpabilité est avérée depuis plusieurs années.

Je serre la mâchoire et avance d'un pas menaçant vers le reporter.

– Faites bien attention à ce que vous dîtes...

Thomas pose une main rassurante sur mon épaule et s'avance à son tour après avoir rappelé Dracaufeu dans sa Pokéball.

– Je répondrai à toutes vos questions... assure-t-il d'une voix posée. Mais je vous propose dans un premier temps de mettre en marche votre matériel et de faire venir le principal intéressé. Nous ne voudrions pas vous faire perdre votre temps.

Le menace est à peine voilée. Les deux journalistes échangent un regard indécis et se tournent presque au même moment vers un point reculé de la clairière. Je laisse mes yeux se perdre dans la même direction mais ne distingue rien d'autre que l'obscurité oppressante des arbres derrière un rideau de pluie.

Le fait que rien ne se passe semble inquiéter les deux hommes qui reportent avec nervosité leur attention sur mon ami.

– Nous... Nous ne pouvons pas enregistrer cette rencontre... bredouille le caméraman en abaissant sa caméra. La grille de programmation est déjà bouclée, et notre politique éditoriale nous interdit de...

– Vous ne comprenez pas... le coupe Thomas en décrochant une Pokéball de sa ceinture. La Team Fusion va tomber ce soir. Vous êtes sans aucun doute des subordonnés loyaux – et c'est tout à votre honneur, mais ne préféreriez-vous pas être reconnus pour votre travail plutôt que de sombrer avec eux ?

Les journalistes ont un instant d'hésitation. Ils ne savent pas quels sont les éléments en notre possession et semblent douter de la capacité de leur organisation à les protéger.

– Ma petite sœur vient de mourir par votre faute... je renchéris avec froideur. Vous imaginez bien que je n'aurai aucun scrupule à me venger de la pire des manières.

Les deux hommes lancent un nouveau regard affolé par-dessus leur épaule. Notre bluff n'est peut-être pas des plus convaincants, mais notre triste réputation suffit à insinuer le doute dans leur esprit.

Ils semblent sur le point de céder lorsqu'un troisième individu vient à leur secours.

– Vous pouvez disposer, messieurs... lance la voix rocailleuse de Steve Erzat. Je vais prendre le relais.

Le capitaine de la Team Fusion pointe son arme de service sur nous. Son visage est tendu par une concentration extrême et ne trahit aucune forme de satisfaction.

Les journalistes ne se font pas prier et courent à toutes jambes en direction des arbres pour se mettre à l'abri. Thomas ne cherche pas à les rappeler et fixe Steve avec un mépris non dissimulé.

– Libère ton Pokémon et je te troue le crâne avant même qu'il se matérialise... menace notre ennemi. Et c'est la même chose pour toi, l'atrophiée.

Je pose machinalement la main sur la partie brûlée de mon visage en songeant que le maquillage s'est depuis longtemps effacé à cause de la pluie. Cela ravive le traumatisme de l'incendie et provoque en moi un sentiment de vulnérabilité contre lequel je suis totalement impuissante.

Thomas avait pourtant anticipé ce cas de figure. Il savait que Steve ne se montrerait pas à moins d'être certain d'avoir l'avantage. C'est la raison pour laquelle il a rappelé son Dracaufeu et que nous n'avons pas fait appel à nos autres Pokémon pour intimider nos interlocuteurs.

Et il savait aussi en retour que notre ennemi nous tiendrait en joue sans pour autant appuyer sur la détente.

– Donnez-moi l'enregistrement si vous voulez vivre... ordonne le capitaine en crispant la mâchoire.

Thomas ne le quitte pas des yeux et porte sa main à sa ceinture pour ranger sa Pokéball.

– Pas de geste brusque ! avertit Steve en resserrant sa prise autour de la crosse de son pistolet.

Mon ami montre ses deux paumes en signe d'apaisement avant de fouiller lentement sa veste à la recherche de son Pokédex. Il déplie soigneusement l'appareil avant de le tendre à notre agresseur.

– Alors c'est vrai ? maugrée ce dernier en se saisissant de l'objet avec un air méfiant. Tu as vraiment enregistré ta conversation avec notre chef ?

Thomas reste silencieux et m'incite ainsi à faire de même. Les prochaines secondes vont être décisives et pourraient bien marquer notre salut.

Ou notre fin.

– Comment ça marche ? demande notre agresseur en laissant le canon de son arme pointé sur mon ami.

Ce dernier ne se laisse pas démonter.

– Troisième bouton en partant de la gauche. Deuxième ligne.

Steve Erzat fronce légèrement les sourcils avant de presser la touche indiquée. Une voix synthétique s'élève alors du Pokédex.

"Pikachu. Le Pokémon souris électrique. Quand il s'énerve, il libère instantanément l'énergie emmagasinée dans les poches de ses joues."

– Mais qu'est-ce que...

Un éclair jaillit brusquement de la première Pokéball de Thomas et vient heurter le bras armé de notre ennemi. Le membre est arraché par la puissance fulgurante du choc et arrache un hurlement de souffrance au capitaine de la Team Fusion.

J'écarquille les yeux sous l'effet de la surprise et m'empresse de détourner le regard de la scène. Mon ami m'avait assuré qu'il aurait la situation sous contrôle, mais il n'était pas entré à ce point dans les détails.

– Mince... dit-il froidement. Je crois que je me suis trompé de bouton.

Je secoue la tête d'un air effaré en reportant mon attention sur Thomas. Je réalise alors qu'il n'a plus rien du garçon naïf et bienveillant que j'ai connu lors de notre voyage initiatique. Les épreuves qu'il a traversées ces dernières années ont eu raison de ses bons sentiments et l'ont rendu intraitable.

– TUEZ-LES ! hurle Steve en observant avec horreur son moignon sanguinolent. DÉPÉCHEZ-VOUS !

Les secondes s'égrènent sans que personne vienne à son secours. Michael n'a probablement eu aucun mal à neutraliser les sbires postés autour de la clairière. Quant à ceux qui seraient parvenus à se soustraire à sa vigilance...

Mon Darkrai s'est chargé de les plonger en plein cauchemar.

– Je vais te buter, Thomas Gray... crache notre ennemi en jetant avec rage le Pokédex au sol pour se saisir de sa Pokéball. Tyranocif, je veux que tu les réduises en charpie.

Le dinosaure à l'épaisse carapace verdâtre se matérialise devant nous et nous recouvre presque immédiatement de son aura menaçante. Il émane de cette créature une cruauté sans bornes qu'il a probablement développée au contact de son dresseur.

– Oublie-toi, Pikachu.

Je déglutis en reculant malgré moi de plusieurs pas. Tous les Pokémon de Thomas sont caractérisés par un handicap qui les différencie des autres représentants de leur espèce.

Dracaufeu était la seule exception de son équipe avant qu'il ne perde l'ouïe au cours de l'explosion qui a ravagé le centre commercial de Lunapolis. Tortank présente un stress post-traumatique depuis les violences subies auprès de son ancien dresseur. Florizarre souffre quant à lui d'un trouble autistique qui le déconnecte totalement de la réalité lorsqu'il n'est pas sollicité par Thomas. Quant à Pikachu...

Son trouble dissociatif de l'identité peut le transformer en véritable machine à tuer s'il n'est pas strictement contrôlé.

– Tu ne peux pas faire ça, Thomas... je supplie en observant le pauvre Pokémon. Pense à ce qu'il va ressentir quand tout sera fini.

Mon ami conserve une expression indéchiffrable en gardant les yeux rivés sur son Pikachu.

– Il ne se souviendra de rien.

– UTILISE TON ATTAQUE ABÎME ! rugit Steve en essayant de contenir son hémorragie de sa main valide. DÉTRUIS CETTE CLAIRIÈRE !

Le Tyranocif concentre dangereusement son énergie et se prépare à briser le sol sous nos pieds, mais un nouvel éclair jaillit sans lui laisser le temps de passer à l'offensive.

Je n'ai pas vu ce qui s'est passé. Mais le trou béant qui traverse le monstrueux Pokémon ne laisse que peu de place à l'imagination.

– Je crois que je vais vomir... je souffle en plaçant une main devant ma bouche.

Le dinosaure s'effondre dans un bruit sourd sur le sol détrempé de la clairière. Pikachu se tourne d'un air menaçant vers le capitaine de la Team Fusion, mais il commence à chanceler comme s'il était désorienté. Son excès de puissance a eu raison de ses dernières forces.

Thomas le rappelle dans sa Pokéball sans faire le moindre commentaire.

– Va-t'en... je murmure en essayant tant bien que mal de contenir ma colère. Tu en as assez fait.

Rien ne s'est passé comme prévu. Nous étions censés obtenir des aveux de notre ennemi pour tous nous innocenter afin de pouvoir reprendre une vie normale. La réussite de notre plan reposait entièrement sur notre capacité à adopter une attitude irréprochable.

Mais nous avons mutilé un représentant des forces de l'ordre qui est en train de se vider de son sang sous nos yeux.

Et nous avons assassiné son Pokémon.

– Vous êtes foutus... raille Steve avec un sourire malsain en dépit de son teint livide. Vous ne vous en sortirez jamais.

Thomas serre le poing et avance lentement vers le capitaine. Je m'empresse de le rejoindre pour lui bloquer le passage.

– Va-t'en... je répète en plantant mon regard dans le sien. Ou je te jure que je ne t'adresserai plus jamais la parole.

Mon ami me fixe un instant de ses yeux sombres. Je sens mon cœur battre furieusement dans ma poitrine mais affiche toute l'assurance dont je suis capable.

– Tu n'as rien fait de mal ce soir... répond-il d'une voix éteinte. Toute la responsabilité me revient. Si tu me laisses conti...

– Va-t'en... je lâche pour la troisième et dernière fois. Je ne plaisante pas.

Thomas soutient mon regard pendant ce qui semble être une éternité, puis finit par tourner les talons pour s'éloigner à pied sous le déluge de pluie.

Je reporte alors mon attention sur le capitaine de la Team Fusion. Son visage pâlit à vue d'œil tandis que le sang continue de s'écouler en abondance de sa plaie. Ce n'est plus qu'une question de minutes – de secondes même – avant qu'il ne rende l'âme pour de bon.

– Considère ceci comme un acte de charité.

Je m'éloigne de lui pour me rapprocher de son membre arraché et ôte le pistolet encore prisonnier de ses doigts gelés.

Je lève alors l'arme à feu dans sa direction et presse la détente à six reprises.

– C'est terminé.

Rien ni personne ne pourra me rendre ma petite sœur bien-aimée. Pas plus que je ne pourrai retrouver mon visage et ma joie de vivre. Thomas et moi nous sommes engagés dans une voie qui n'admet aucun retour en arrière. Et nous sommes au-delà de toute rédemption.

Je saisis machinalement mon smartphone et compose le numéro de mon père. Ce dernier ne tarde pas à décrocher.

"Tout va bien ?"

Je lance un regard absent au corps mutilé de Steve Erzat avant de daigner lui répondre.

– J'ai besoin de ton aide... je réponds d'une voix blanche. Pour nettoyer.