Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

La pluie tombe à torrents. Les larmes infinies du ciel menaçant se mêlent aux miennes et recouvrent le cimetière d'un voile de désespoir.

Je me tiens là, aux côtés de mon père et de mes deux plus proches amis, le poids du cercueil reposant sur nos épaules engourdies. La foule amassée derrière nous semble floue, indistincte, comme si elle appartenait à un autre monde, un autre temps.

Je ne ressens rien de plus que la douleur brûlante qui me traverse, une douleur si profonde qu'elle semble m'engloutir tout entière. Mes mains, crispées sur les poignées en métal, sont devenues insensibles. J'avance d'un pas mécanique, les yeux fixés sur le sol boueux, tandis que les gouttes de pluie se mêlent à mes cheveux détrempés.

Ma petite sœur, ma lumière de toujours, gît désormais dans cette boîte, dans ce cercueil sombre et froid. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment pouvons-nous accepter qu'une vie si jeune se soit éteinte si soudainement ?

– Ils sont partout... déclare sombrement Thomas.

Un grondement sourd, semblable au tonnerre, se fait entendre au-dessus de nos têtes. Malgré la fureur déchaînée des éléments, Dracaufeu décrit de grands cercles dans le ciel pour dissuader quiconque d'intervenir pendant la cérémonie.

Personne ne bougera le petit doigt. Mon père a disposé ses hommes de main tout autour du cimetière pour s'en assurer. Et quand bien même ce ne serait pas suffisant, il reste toujours Michael.

Ce dernier serait bien capable de rayer Lunapolis de la carte pour venger Alice. Ce n'est certainement pas moi qui le retiendrai.

J'imagine à peine ce qu'il peut ressentir en cet instant. Ma sœur et lui se sont disputés juste avant son départ, et il n'aura plus jamais l'occasion de se faire pardonner. Car seuls les souvenirs restent.

Les souvenirs, et les regrets.

– Nous y sommes... déclare mon père d'une voix grave. Allez-y doucement.

Les mots de mon père percent la brume de ma douleur. Nous avons atteint l'endroit où Alice reposera pour l'éternité. L'herbe est gorgée d'eau, et la terre infiniment sombre. La pluie continue de tomber, imperturbable.

Avec précaution, nous posons le cercueil sur deux supports en bois déjà préparés. Mes mains tremblent légèrement, et je peux sentir le regard compatissant de Thomas qui me soutient en silence. Les larmes continuent de ruisseler sur mes joues. Je suis submergée par un sentiment d'irréalité, comme si tout cela n'était qu'un horrible cauchemar dont je me réveillerais bientôt.

Mon père se place derrière le caveau pour rendre un dernier hommage à sa fille chérie. Ses mots résonnent dans l'air comme un écho lointain. Je devrais me mettre en colère, lui rappeler qu'il n'a jamais été présent dans les moments où nous avions le plus besoin de lui, mais je n'en trouve pas la force.

Michael finit par le remplacer et embrasse la foule du regard. Il ne pleure pas – pas plus que mon cher père, mais l'expression de son visage est terrifiante.

– Alice représentait ce qu'il y a avait de plus beau dans ce monde... commence-t-il d'une voix claire et forte. Elle était un électron libre, capable de voir le meilleur en chacun de nous. Une force positive de la nature qui nous poussait inlassablement vers l'avant, à chaque instant de notre misérable vie.

Des murmures s'élèvent dans l'assemblée. Tous ont reconnu le célèbre Maître de la Ligue Pokémon, et quelques opportunistes sortent même leur smartphone pour prendre la scène en photo et le dénoncer aux forces de l'ordre.

– Certaines personnes ont essayé d'éteindre à jamais cette lumière qui brûlait en elle... continue-t-il en fixant un à un les objectifs. Des gens qui, depuis plus de dix ans déjà, mettent tout en œuvre pour faire tomber la terrible menace que nous représentons pour eux. Mais laissez-moi vous dire une chose...

La voix de Michael devient vibrante. Il n'arrive plus à contenir son émotion et laisse entrevoir la colère qui l'anime.

– Cette lumière brûle en nous, désormais... achève-t-il sombrement. Et elle ne vacillera plus jamais.

Thomas secoue faiblement la tête. Je devine à son expression que mon ami n'approuve pas qu'un éloge funèbre puisse véhiculer une promesse de vengeance, mais je ne peux que me ranger du côté de son frère sur ce coup. Alice doit continuer de vivre à travers nous.

La Team Fusion doit payer.

Michael croise mon regard pour me faire signe de le rejoindre, mais Thomas s'avance le premier. Les murmures de la foule s'intensifient lorsque le criminel le plus recherché de la région se présente face à eux à visage découvert, et les flashs des appareils photo se multiplient pour immortaliser cette apparition inattendue.

– Les... Les mots ne suffiront jamais à te dire à quel point je suis désolé, Alice... déclare-t-il d'une voix brisée.

Les larmes coulent en abondance sur ses joues et se confondent avec la pluie. Les curieux se pressent les uns contre les autres, mais mon ami ne semble même pas remarquer leur présence.

– Pour une raison que j'ignore, tu m'as toujours bien aimé... ajoute-t-il en forçant un sourire empreint de douleur. Tu as su me pardonner l'impardonnable, et moi...

Thomas s'interrompt un instant pour prendre une profonde inspiration.

– Moi, je n'ai pas su te protéger... conclut-il avec tristesse. Je n'ai pas été à la hauteur.

Le discours de mon ami me touche profondément. Thomas a toujours été assez pudique et maladroit pour exprimer ses émotions, mais ses dernières paroles pour ma sœur sont empreintes de justesse et de douceur.

– Je n'ai pas le pouvoir de remonter le temps pour venir te sauver... souffle-t-il en posant un genou à terre. Mais je te promets de faire mon possible pour devenir quelqu'un de meilleur. Pour toi, et pour ta grande sœur.

Je sens ma gorge se serrer douloureusement tandis que mon ami pose la paume de sa main contre le cercueil.

– Repose en paix, douce Alice.

La réalité me rattrape dans toute sa cruauté, et je ne peux m'empêcher de fondre en larmes en enfouissant mon visage dans mes mains. Le monde semble s'effacer autour de moi, ne laissant place qu'à une souffrance déchirante et à un vide incommensurable.

Alice est morte. Jamais plus je ne pourrai la serrer dans mes bras. Jamais plus je ne pourrai lui dire à quel point je l'aime.

– Juliette ? m'appelle mon père d'une voix calme, soucieux de ne pas me brusquer.

Je secoue vivement la tête en reculant d'un pas. Je ne me sens pas capable de les rejoindre pour faire un discours vide de sens devant la tombe de ma petite sœur – rien de ce que je pourrai dire ne la ramènera auprès de moi, de toute façon.

Je veux seulement qu'on me foute la paix.

Mon père hoche la tête d'un air compréhensif et échange un regard entendu avec Michael. Le cercueil d'Alice descend alors lentement dans sa dernière demeure.

La terre, gourmande, l'accueille sans demander son reste.

Mon smartphone vibre dans ma poche au moment où la foule commence à se disperser. Je le sors d'un geste presque machinal et observe rapidement les alentours avant d'ouvrir le message qui m'est destiné.

"Dans une heure."

Un deuxième message arrive dans la foulée, avec des coordonnées GPS précises. J'ouvre mon sac à main en hâte et sors la carte de visite d'AFI TV de mon portefeuilles pour comparer les numéros de téléphone.

Ce sont bien évidemment les mêmes.

– Il y a un problème ? demande Thomas en me rejoignant, les sourcils légèrement froncés.

Mon ami ne me connait que trop bien. Je lui montre mon smartphone sans la moindre hésitation, n'étant moi-même plus en mesure de réfléchir de manière rationnelle.

Son visage s'assombrit un instant, mais il retrouve très vite une expression neutre et considère calmement nos options.

– Tu n'es pas obligée d'y aller, tu sais... me dit-il en esquissant une moue soucieuse. Je peux m'en ch...

– Je viens avec toi... je coupe d'un ton sans réplique. Ces pourritures de la Team Fusion comptent justement sur le fait que nous soyons anéantis pour prendre l'ascendant psychologique, mais je te promets que ça n'arrivera pas.

C'est bien évidemment un mensonge. Je suis totalement dévastée, mais l'occasion de venger ma petite sœur ne se représentera peut-être pas avant longtemps.

Thomas en est sans doute conscient, mais il respecte mon choix sans faire de commentaires et finit par se tourner vers Michael, qui est en grande conversation avec mon père.

– Excusez-moi, jeune homme... lance une petite voix derrière nous.

Nous nous retournons d'un même mouvement et nous retrouvons face à une petite dame d'un âge avancé que nous ne connaissons pas. Cette dernière a les yeux rivés sur le visage de mon ami, qui l'observe sans savoir quoi dire.

– Je suis désolée de vous déranger dans un moment aussi difficile... dit-elle avec un maigre sourire compatissant. Je voulais seulement vous dire que je ne crois pas un mot de ce que l'on dit de vous dans les médias. Vous m'avez tout l'air d'être quelqu'un de bien.

Les yeux de Thomas s'embuent de larmes à nouveau. C'est peut-être la première fois qu'une inconnue lui exprime un soutien aussi sincère et chaleureux. Mon ami baisse la tête un instant, essayant de contenir ses émotions, puis lève son regard pour rencontrer celui de la vieille dame avec un profond sentiment de gratitude.

– Merci... souffle-t-il avec reconnaissance. Vos paroles me touchent bien plus que vous ne l'imaginez.

Le sourire de l'inconnue s'élargit, et elle finit par s'éloigner d'un pas claudicant en s'appuyant tant bien que mal sur sa canne.

– Elle est mignonne comme tout... je murmure en oubliant un instant la noirceur de ce monde.

– C'était qui ? demande Michael en réapparaissant derrière nous.

Je sursaute légèrement avant de me retourner. Mon ami se tient aux côtés de mon père et observe la vieille dame avec une certaine méfiance.

– Juste une fan... répond Thomas d'un ton évasif. Tu es prêt à décoller ?

Le Maître hausse un sourcil sans comprendre. Je décide alors de lui montrer les messages reçus quelques minutes plus tôt sur mon smartphone, non sans redouter sa réaction.

Une lueur meurtrière traverse presque aussitôt son regard, et j'en viens à me demander s'il est bien sage de nous en tenir à notre plan initial.

– Plus prêt que jamais... gronde-t-il en décrochant la première Pokéball de sa ceinture.

La tournure que prennent les choses ne me plaît pas du tout. Michael a toujours été quelqu'un d'impulsif et de sanguin, même s'il donne souvent l'impression du contraire.

Notre plan vise à nous débarrasser de la Team Fusion de manière à ce que nous puissions tous être innocentés. Nous ne pouvons pas nous permettre le moindre faux pas pour y parvenir.

– Tu sais que mon aide pourrait vous être précieuse, Juliette... propose mon père en me sondant de son regard noir.

– Certainement pas... je réponds sèchement.

Ce dernier croise les bras d'un air sévère.

– Ne le prenez pas mal... tempère Thomas avec une moue d'excuse. Nous avons déjà une Team à gérer en Arkephyr. Nous n'en avons pas besoin d'une deuxième.

Même Michael écarquille les yeux face à l'audace de son frère. Personne n'a jamais osé éconduire de la sorte le grand Giovanni.

Mon père ne lui en tient cependant pas rigueur lui adresse un rictus à peine perceptible.

– Je compte sur toi pour tenir ta promesse, Thomas Gray... lâche-t-il avant de tourner les talons.

Quelques secondes plus tard, un hélicoptère noir marqué d'un gros "R" rouge fend le ciel orageux pour se poser non loin du cimetière. Je laisse alors échapper un long soupir en songeant à ce que ma vie aurait pu être si j'avais eu des parents normaux.

– On y va ? presse Michael en pianotant sur l'écran de son smartphone. L'heure tourne, et j'aimerais pouvoir étudier l'environnement avant la rencontre.

J'échange un regard avec Thomas, qui lève son bras droit et fait légèrement pivoter son poignet pour faire signe à Dracaufeu de descendre.

Ce dernier obtempère aussitôt et vient se poser à côté de nous, sa flamme brûlant avec intensité au cœur de la tempête. Un Pokémon Feu ordinaire ne tiendrait pas plus de dix minutes sous cette pluie battante, mais le dragon de mon ami n'a rien d'un Pokémon ordinaire.

– J'ai besoin de toi, mon vieil ami... gronde le Maître en libérant son partenaire.

Un Dracolosse chromatique bien plus grand que la moyenne fait son apparition au milieu du cimetière et nous domine de toute sa hauteur. Michael grimpe habilement sur son dos et s'élève immédiatement dans les airs.

– Tu m'accompagnes ? demande Thomas en tendant sa main vers moi.

J'hésite un instant à appeler mon Corboss. Dans d'autres circonstances, j'aurais refusé son invitation chevaleresque pour lui montrer que je suis une grande fille qui n'a besoin de personne, mais je dois bien admettre que ce n'est pas le cas.

Après avoir perdu Alice, j'ai plus que jamais besoin de la présence réconfortante d'un ami sur qui je peux compter.

– Allons-y... je souffle en attrapant sa main pour qu'il m'aide à grimper la première.

Thomas s'installe derrière moi et talonne doucement Dracaufeu pour qu'il s'élève à son tour dans les airs, camouflé dans l'obscurité du déluge qui continue de s'abattre avec force sur Lunapolis.

Et c'est avec une pensée tendre et silencieuse pour ma petite sœur que nous quittons enfin la sombre capitale, déterminés à façonner de nos mains un horizon plus clair pour l'avenir.