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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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Informations

» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 14/11/2023 à 00:02
» Dernière mise à jour le 14/11/2023 à 17:47

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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D'entre les morts
- Voici un premier pas absolument encourageant !

Peter n’acquiesça pas tout de suite : la voix du directeur de la Sylphe Sarl l’avait brutalement sorti de la ferveur du match.

Léviator avait tourné son imposante tête aux teintes rougeoyantes vers le PDG, la fumée âcre de son Ultralaser léchant encore les contours aiguisés de ses crocs. En face du Pokémon chromatique draconien lévitait un Ectoplasma qui décochait actuellement son habituel sourire lugubre au directeur de la société technologique. Une aura obscure parcourue de nuances empoisonnées ondulait encore autour de son corps rondelet.

Puis, ses grands yeux couleur sang se jetèrent à leur tour, sur ces colossaux vortex en acier, incrustés dans le béton des parois de la salle de combat.

Le Grand Dracologue l’avait remarqué du coin de l’œil : mais son propre regard ne décrochait pas pour autant de l’activité frénétique des massives installations électroluminescentes.

Il en essuya des perlées de sueurs sur son front, moins par l’intensité de l’affrontement qu’il venait de livrer, que par l’épuisement général accumulé durant cette semaine intense de bêtas-combats sur les terrains de la Ligue kantonaise.

Il en avait perdu toute notion du temps : les fêtes de fin d’année paraissaient terminées depuis une éternité alors qu’il lui semblait célébrer une semaine auparavant le Nouvel-An avec sa famille. Peter avait tout juste gardé le souvenir du jour suivant où il raccompagnait sa cousine à l’aéroport de Parmani pour un vol long-courrier jusqu’à Doublonville, dans la région de Johto.

Léviator poussa plusieurs grognements inquiets dans sa propre contemplation des sondeurs hautement technologiques. Peter ne pouvait pas lui en vouloir : les capteurs sphériques avaient beau n’émettre aucun son durant leur intense processus, ils n’en demeuraient pas moins lugubres dans leur symphonie de lumières brûlantes qui s’intensifiaient au rythme de la violence des combats sondés.

Le PDG de la Sylphe Sarl avait heureusement le nez bien trop plongé dans sa tablette numérique pour prêter attention à l’absence de toute expression joviale sur le visage du jeune homme aux cheveux carmin.

- Regardez-moi ça, Maître Lance ! La sensibilité des Supra-sondeurs est désormais stabilisée ! La densité énergétique des pouvoirs de vos Pokémons a été calculée avec une précision remarquable ! Les techniciens de notre collaborateur auront accompli un excellent travail de programmation, qu’en pensez-vous ?

Il lui planta sous les yeux, un amas ordré de résultats numériques qui se vectorisaient actuellement sur l’écran plasma.

Peter se surprit alors à manifester une certaine curiosité pour cette organisation pragmatique de données : les ondes énergétiques d’Ectoplasma étaient numérisées en haut, ceux de son Léviator chromatique juste en dessous. Plusieurs relevées étaient spécifiques au type et à l’espèce du Pokémon enregistré tandis que certains taux correspondaient à une même catégorie d’ondes, peut-être une forme d’énergie-source que tous les Pokémons avaient en commun. L’exactitude des taux calculés, et il devait le reconnaître, témoignait de la qualité des vortex technologiques fabriqués par la société de recherche partenaire de la Sylphe Sarl, Monochrome Corporation, et grande responsable du projet. La société kantonaise lui assurait ainsi l’approvisionnement en alliages, métal et équipement électronique nécessaire à la construction et au bon fonctionnement des sondeurs géants.

Si l’intérêt que portait Peter à cette entreprise scientifique apparemment très sollicité était purement commandé par ses devoirs juridiques, il ne pouvait s’empêcher d'être intrigué par les prouesses de ces imposants détecteurs, oubliant volontiers à quel point ces derniers défiguraient les arènes de sa chère ligue.

- Stupéfiant… ces intelligences artificielles déterminent le barème d’efficacité des capacités selon le type, l’affinité, la psyché du Pokémon… L’atmosphère et la nature du terrain, aussi… Mais elles fournissent surtout une donnée concrète de la fameuse synergie environnementale… Il y a eu tant de théories là-dessus… Répondit finalement le Grand Dracologue dans un effort de simulacre intéressé.

Il n’avait pas tant de mal à l’admettre pourtant. Les résultats se montraient évocateurs si l’on portait attention à la catégorie d’ondes énergétiques la plus intense calculée en temps réel : lorsque Léviator lançait Vibroscur, une attaque de type ténèbres sur le spectral Ectoplasma, les sondeurs avaient subitement amplifié leur activité lumineuse, captant la force de frappe plus importante encore lorsque l’adversaire y était particulièrement sensible. Peter avait remarqué cette particularité des installations durant toute la semaine : les béta-combats contre sa collègue et tumultueuse dresseuse de glace, Olga, avaient su mettre aussi à l’épreuve la méticulosité de ces sondeurs aveuglément luminescents. Ainsi, les énergies engendrées par les attaques glaçantes de Lokhlass avaient été relevées à la virgule près, autant dans leur efficacité contre son frileux Dracolosse, que dans leur amplification naturelle par le type-source du Pokémon océanique, et combiné à sa grêle ensorcelée qui avait violemment envahi le terrain.

- N’est-ce-pas ? La finesse de la captation telle que la Monochrome l’a défendue tient ses promesses ! Dîtes-moi, vos Pokémons ont combattu sans être une seule fois déconcentrés, n’est-ce-pas ? Continua fiévreusement le directeur.

- Vous avez raison, nos partenaires ne semblent pas du tout avoir été gênés durant les tests. Le rapport disait bien que ces appareils n’étaient pas invasifs et nous en avons la preuve...

Soudain, une bulle violacée et parcourue d’ondes noirâtres enveloppa brièvement la tablette numérique, la faisant dès lors voltiger dans les airs avant d’atterrir dans les grosses pattes du malicieux Ectoplasma. Puis, accompagné d’un rire strident bien à lui, il l’apporta à sa maitresse attitrée, spécialiste du type spectre de la ligue kantonaise et parfois sardonique vieille dame, Agatha. Léviator grognait alors d’agacement vers l’attitude railleur du grand Pokémon poison, même si Peter avait simplement l’habitude des tours de passe-passe du partenaire-signature de sa collègue : il en avait naturellement lâché le petit ordinateur, tandis que le directeur de Sylphe Sarl avait manqué de trébucher de son côté.

Mariant sa lecture à un sourire narquois, Agatha contempla à son tour les résultats des Supra-sondeurs.

- Mais quelle bouillabaisse ! A quoi peuvent bien servir toutes ces données, on se le demande ! Enfin, s’il y a des esprits qui peuvent en tirer quelque chose pour l’amélioration de notre chère relation universelle avec les Pokémon, c’est probablement une bonne nouvelle ! N’est-ce-pas Peter ?

Sa voix toujours très élégamment mesquine ne l’avait pas laissé indifférent.

Car malgré les grands discours agréés de la collaboration scientifique durant toutes ces réunions interminables, les champions de la Ligue Indigo n’avaient jamais affiché un enthousiasme marquant, porté principalement par le scepticisme du Grand Dracologue. Mais ce n’était pas la honte qui allait étouffer Peter : il en allait du bon déroulement des opérations et des grandes valeurs que le conseil 4 de Kanto n’avait jamais eu de cesse de défendre derrière leur rang prestigieux. Et plus les choses évoluaient, plus elles se rendaient dans une direction dont la cadence devenait anxiogène : combattre sous les loupiotes de gigantesques appareillages scientifiques en pures cobayes assumés, dresseur comme Pokémon, semblait simplement transformer la culture des combats en terrain vague d’expérimentation dont la finalité ne voulait décemment pas se clarifier dans l’esprit du Grand Dracologue.

Le directeur toussota, moins pour s’éclaircir la voix que de réagir à l’attitude toujours très détachée de la championne de type spectre.

- Je comprends vos inquiétudes, chers champions ! J’étais moi-même visité de préoccupations lorsque la Pokemon Champion League a annoncé leurs préméditations d’exploitations énergétiques avec nos confrères et consœurs de la Monochrome Corporation mais ceci est le début de grandes révolutions scientifiques dont nous allons faire partie intégrante ! Contemplez donc ces machines ! Il s’agit là d’une fascinante preuve du progrès technologique, c’est indéniable !

- Ho, c’est tellement progressiste que l’on mettra les matchs sous verre pour étudier les fonctions neurologiques des Pokémons bientôt, et avec le sourire s’il vous plait !


Peter avait tellement dévisagé les Supra-sondeurs depuis le début des bêtas-combats qu’il se surprenait à connaître le nombre exact de petites leds à l’intérieur : il observait ces milliers d’étincelles frapper encore leur verre arrondi, les sourcils froncés.

- Agatha… Nous avons approuvé la nouvelle ligne de conduite des Pokemon G-Men… nous ne pouvons que soutenir la décision de l’institution à faire travailler simultanément science et dresseurs afin de mieux protéger la cohésion entre humains et Pokémon.

- Exactement, Maître Lance ! La Monochrome nous apporte d’innovantes perspectives en matière de protection des Pokémon et de leurs pouvoirs ! Je suis persuadé du noble enjeu que vise notre partenaire et dont nous auront les premiers résultats dans seulement une petite année ! Ce sera un petit pas pour le scientifique mais un grand pour la science ! S’exclama fiévreusement le directeur.

- Mes aïeux ! Votre collaborateur en blouse blanche apporte le feu divin à nos croisades, dîtes-moi ! Tant de temps perdu à sauver le monde avec des allumettes ! Ricana alors l’angoissante championne de type spectre.

Le Grand Dracologue sentit le regard de sa spectrale collègue longer sa peau. En réponse, Il croisa les bras en soupirant. Les sondeurs s’éteignirent à ce moment-là, poussant encore quelques ronronnements.

- Je te l’accorde, ce n’est pas vraiment commun pour nous dresseurs, de travailler avec ça mais… nous nous y ferons. Comme pour le reste, je suppose.

C’était le summum de l’absurdité. Il avait compris dès le début qu’il ne s’y habituerait pas, de la même manière qu’il n’arrivait toujours pas à s’accommoder à la myriade de techniciens de la Sylphe Sarl qui déferlait depuis des mois au Plateau Indigo, défigurant le noble complexe de combat kantonien.

La Monochrome s’était occupée majoritairement de superviser l’installation des sondeurs d’énergie, assurant la bonne manipulation de tout le matériel électronique haut de gamme et des bien trop impressionnants vortex de métal réalisés dans un alliage extrêmement résistant selon le rapport d’expertise de cette société collaborative. Peter l’avait lu et en qualité de Maître des lieux qui se devait d’être au courant de tout. C’était son problème principal avec tout ça : il ne voulait rien savoir et pourtant, il était probablement la personne la mieux informée, après le directeur, de toutes les manigances pseudo-innovatrices qui essayaient d’embellir la ligue de Kanto. Oui, Il avait vu ces immenses camions de la société collaborative apporter les détecteurs, observés d’ailleurs par tout le personnel bien curieux de voir à quoi ça pouvait bien ressembler de sonder l’énergie des Pokémons. Son coup d’œil à lui était bien plus hautain, détonnant dans la guirlande de curiosité qui habillait le regard des autres membres du conseil en pleine contemplation.

Mais malgré son envie fulgurante de fuir parmi les cendres d’étoiles frigorifiées où il faisait inexorablement meilleur, il avait souvent fait le tour des salles de combat en plein changement radical avec le PDG de la Sylphe Sarl. Et pour couronner le tout, il avait accepté de passer le plus clair de sa première semaine de l’année à tester encore et encore ces immenses sondeurs, dont l’esthétique lui provoquait l'effet glaçant d'une mâchoire abstraite en perpétuelle quête de nouvelles proies à aspirer.

Peter en avait pourtant déployé des efforts enragés pour paraître le plus concerné possible, en témoignait son investissement au combat : le Draco-Souffle hurlant de son Léviator aux écailles écarlates, la Lame d’Air destructrice de Ptera aux ailes aiguisées en passant par l’infatigable Ultralaser de Dracolosse à la force inégalée, tous avaient expérimenté les résonnances tonitruantes de ces capteurs colossaux qui, décidément, contrefaisaient outrageusement les murs des cinq grands terrains intérieurs. Les installations techniques qui criblaient lourdement de ces petites ampoules électroluminescentes, l’intérieur des vortex réagissaient simultanément dans un concert de manifestations éblouissantes, à toutes les attaques générées au sein des arènes. Le silence en était déstabilisant : les énergies captées faisaient hurler toutes ces folles lumières sans jamais réussir à se faire écouter. Et pourtant, tout le monde entendait.

Peter aurait pu innocemment se sentir délesté de toutes ces inquiétudes sous les paroles enivrées de positivisme du PDG de la Sylphe Sarl : mais non, celles-ci s’étaient bien trop défendues pour ça, leurs remparts renforcés à la vue de ces monstres de technologie qui avaient rendu le Grand Dracologue aussi fiévreux. Et ce n’était pas la précision des ondes captées reconverties en des taux absurdes qui allaient faire baisser cette température néfaste.

Un secrétaire présent s’adressa en quelques mots au directeur de la Sylphe Sarl, tandis que ce dernier avait récupéré la tablette par l’intermédiaire de l’énigmatique Ectoplasma. Il prit congé ensuite avec une contenance digne de sa posture de PDG, ses fonctions visiblement appelées ailleurs, et au grand soulagement de Peter. Il en avait la migraine de faire comme si tout ceci n’exerçait aucun poids sur sa poitrine.

Le jeune homme n’avait pas senti Agatha s’approcher : seul lui vint subitement le claquement furtif de son étrange canne tordue sur le sol.

- Voyez-vous ça… Le scientifique et le dresseur qui se réunissent main dans la main au service du bien des Pokémon…

Le Léviator chromatique avait, semble-t-il, déjà tout saisi de la silencieuse rafale qui bouleversait l’esprit de son Maître, en émotif dragon qu’il était au plus profond de ses écailles qui n’avaient rien à envier à la parure des rubis : en se détournant enfin de l’hypnotique effet qu’exerçaient les Supra-sondeurs sur lui, le Grand Dracologue avait désormais souligné que son imposant guerrier draconien le dévisageait peut-être depuis quelques minutes, ses yeux volcan vibrionnant, pensif.


***


« Enfin… »

Le salon Draco était probablement le lieu préféré du jeune Maître Dragon au Plateau Indigo et pour cause : c’était ici qu’il se réfugiait après chaque combat, le temps d’une conversation avec le silence.

L’espace de détente était spacieux, comprenant essentiellement un living avec de beaux fauteuils de suédine couleur eau de pluie surplombés d’un large écran plasma accroché au mur ainsi qu’une petite cuisine bien équipée aux tons ambre et bleutés. Mais la première chose à contempler depuis l’entrée coulissante était cette gigantesque baie vitrée qui donnait à admirer, les montagnes du Plateau Indigo.

Dehors, aucune cendre d’étoile ne tombait. Le ciel restait simple contemplateur du monde d’en bas. Mais la neige continuait d’envelopper cotonneusement d’un manteau frigorifié, massifs et forêts. Le salon avait beau être chauffé, La simple vue de ce panorama figé dans l’hiver suffisait toujours à procurer des frissons chez le Grand Dracologue. Se frottant les bras, il s’installa paresseusement dans le plus grand divan. Il fit alors face à sa collègue et confidente insoupçonnée, Agatha.

Cette dernière, assise depuis déjà quelques minutes dans un petit fauteuil, restait impassible avec son éternel sourire énigmatique collé aux lèvres, tandis qu’elle servait ce bon vieux thé d’épices sautillantes de chaleur dont Peter avait maintenant l’habitude, ne réagissant même plus à ses effets pour le moins très denses sur ses papilles gustatives. Un Fantôminus trônait maintenant aux côtés de la vieille dame, en qualité d’ange gardien atypique de la lugubre championne de type spectre.

S’il était possible de certifier à quel moment elle rappelait ses facétieux coéquipiers ténébreux dans leur pokéball, il était moins évident de savoir quand ceux-ci avaient été appelés à en sortir. C’était à se demander si les murs du complexe de combat ne leur servaient pas de terrain de jeu, tant il était aisé d’imaginer leur inquiétante énergie faire fi de cette prison sphérique. Il n’était d’ailleurs pas rare que des employés rapportent de drôles de phénomènes dans les différents secteurs de la Ligue Indigo : des voix sorties de nulle part, des objets qui tombent sans raison, des ombres filant dans l’angle mort, un enfant inconnu qui se promène à trois heures du matin dans la troisième arène et surtout, cette température très basse notifiée par moments dans le hall d’accueil de la ligue, même lorsque l’été était au paroxysme de la canicule.

Alors, les rires lugubres du principal accusé résonnaient entre les couloirs sans fin, les vestiaires isolés, les cafétérias désertées et dans tous les esprits tandis que l’on venait supplier Agatha de ne pas laisser son Pokémon-signature se promener à n’importe quelle heure de la journée : « De quoi parlez-vous ? Peut-être devriez-vous plutôt accuser cette main qui vient de se poser sur votre épaule ? ». Elle s’en allait ensuite, faisant claquer sa canne sur le parquet tout en jubilant probablement d’imagination dans sa contemplation mentale, des visages palissant à vue d’œil derrière elle. Et lorsque le Grand Dracologue avait le loisir d’observer calmement agents de sécurité, vendeurs, cuisiniers et assistants se frotter constamment se frotter le haut des bras avec un teint un peu maladif, il savait par-là que sa sinistre collègue était passée leur dire bonjour.

Cela dit, Peter était accoutumé à toutes ces bizarreries, en témoignait le calme qu’il exerçait sur toutes ces petites gorgés de thé délicatement chaudes. Pourtant, il n’était pas d’humeur à parler des récits pseudo-fantastiques du personnel, pas plus qu’il essayait de s’en montrer curieux alors qu’il était le premier à s’en amuser. A dire vrai, ça faisait deux semaines qu’il était constamment partagé entre l’altruisme un peu fort et le désintérêt total de tout. Sa nervosité avait été maintes fois remarquée mais jamais accusée, autant par les autres champions que par les employés. En réalité, peu de personnes osaient s’adresser honnêtement au Grand Dracologue quand il était aussi vivement happé par ses émotions, en qualité de dragon qui s’affirmait, si ce n’est protecteur, très possessif.

Mais envers quoi ? C’était probablement ce qui le titillait le plus : cette sensation profonde de vouloir protéger quelque chose d’absent, comme un fantôme en proie à la douleur d’être séparé trop longtemps de sa hantise. Personne n’était au courant mais tout le monde en prenait pour son grade : « Ne laissez pas vos Pokémons courir partout dans le couloir ! On n’est pas au Safari-Parc ! », s’était-il emporté l’autre jour sur deux employés qui avaient pourtant laissé gambader deux innocents Pikachu et deux espiègles Ratatas pendant leur heure de pause dans le couloir verticale qui agençait sa propre salle de combat à celle d’Agatha.

Il s’en était senti honteux ensuite : oui, les deux souris électriques au longues oreilles fines et aux joues rougies ainsi que les petits rongeurs aux teintes violacés, vibrantes moustaches et incisives tranchantes avaient bien failli le déséquilibrer dans leur jeu mais il ne comptait même plus le nombre de fois où ses Minidracos venaient jouer dans ses jambes. A dire vrai, il était la dernière personne à s’emporter contre l’innocence des jeunes Pokémons. Mais ce n’était là qu’un exemple parmi d’autres états d’âmes, blasphémant sa grande maitrise mentale si redoutée en temps normal : même une ridicule remarque pouvait le faire sortir de ses gonds. Pire, encore, il savait précisément que ça n’était pas ces petites contrariétés si banales du quotidien qui en étaient la cause.

Il avait le malheur d’avoir la réponse à tout ça. Il choisissait simplement d’accuser les sondeurs métalliques d’être les parfaits responsables des secousses électriques qui frappaient son esprit acculé depuis cette fameuse nuit au marché de Noël.

Agatha avait choisi une tout autre manœuvre semble-t-il, au grand dam du Dracologue qui avait vu sa frustration grandir au fur et à mesure qu’elle sifflait sa stratégie douteuse : « qu’est-ce qui te manque, mon grand Peter ? Ou devrais-je dire qui ? Tu n’en as vraiment aucune idée ? Ça se voit pourtant dans ta manière de te déchainer sur mes Pokémons ! ». Son ton railleur avait au moins le mérite de confirmer la raison des picotements qui tiraillaient les nerfs de Peter, comme des barbelés jetés à l’aveugle : il se réveillait trop souvent dans le souvenir
douloureux d’une disparition parmi les luminescences enneigées s’endormant au clair du blizzard.

Et cette fameuse nuit embrassée par l’insomnie ne fut pas sans conséquence.

C’était là le même effet qu’un violent sursaut en dehors du plus beau des songes, à la différence que Peter avait la manie de s’absenter du réel en plein jour. Son piédestal avait accepté un nouveau monarque, moins indulgent encore : une frustration indéniable de n’avoir jamais été qu’une simple distraction, un passage anodin ou un esprit naïf auquel le fantôme égaré se serait attaché par ennui, sinon par dépit. Et malgré toute la rationalité qui aurait pu faire changer les choses, c’était le dragon qui parlait en premier, fou de rage d’avoir laissé cette pierre lui filer entre les griffes, qu’importe qu’il soit le seul à la trouver précieuse.

En guise de réponse, Il avait repris ses fonctions de grand Maître du Plateau Indigo, l’œil dénué de toute compassion et l’âme acérée en qualité de dresseur de dragons. Ses Pokémon répondaient à l’appel, du rugissement tonitruant de son Léviator brillant d’écailles écarlates jusqu’au grognement bouillant de son vieux Dracaufeu, l’éternel caractériel de son équipe d’ailleurs. Il avait pourtant l’audace d’avoir particulièrement tout compris de cet ouragan qui arrachait actuellement la poitrine de son entraineur, le démontrant remarquablement bien au combat : ses capacités enflammées explosaient comme des bombes sur les Pokémons combat d’Aldo, définitivement happées d’une énergie qu’elles filtraient à travers l’esprit déraisonné du Leader.

En réalité, et il le savait que trop bien, aucun de ses amis et collègues n’avait ignoré son changement d’humeur. Et même s’il n’avait pas accompli les béta-combats de gaieté de cœur, son irritation ne pouvait que trouver sa source dans la neige répondant aux brûlures des étoiles, cet or blanc qui assurerait son existence ici-bas dans un ultime élan de courage.

Mais peut-être sans lui. Tout en lui essayait de le lui faire accepter. Seulement, l’aberrant sentiment qui le poussait à y croire ne s’y était jamais résolu. Ce battement perdu dans sa poitrine appelait à l’aide. Et ce n’était pas dans les habitudes de Peter d’y répondre. Rien ne devait ternir sa réputation de Grand Dracologue inébranlable dans la virulence des combats, pas même ce doux sentiment plus virulent encore, de l’affection.

Sa lugubre collègue de championne spectrale venait d’avaler plusieurs gorgées de thé avec un calme solennel. En l’observant, Peter dissimula encore moins bien sa mauvaise humeur en s’agitant sur son divan, le regard fuyant et les sourcils froncés.

- Bon ! Maintenant que toute cette quincaillerie est terminée, que vas-tu faire pendant tes quelques jours de repos, Peter ? Dit alors la vieille dame, le timbre sifflant.

Il leva la tête, la mine renfrognée.

- Je suppose que je vais rattraper tout mon sommeil en retard et oublier que la Sylphe Sarl existe pendant un certain temps ?

- Quelle bonne idée ! La rêverie, ça rend les gens aimables ! Ho mais attend un peu, tu y arrivais très bien quand tu te rendais… voyons voir… environ tout le temps à l’Université de Safrania, non ? Comment elle s’appelle, déjà ? Peux-tu le rappeler à ma mémoire de vieille aigrie ? Continua-t-elle non sans diminuer sa raillerie légendaire.

Fantôminus était allé flotter de l’autre côté de la table basse, voguant maintenant à son aise autour du Grand Dracologue.

Ce dernier resta suspendu aux dernières paroles de sa collègue de membre du conseil 4. Il se maudissait de ne pas être meilleur dans l’art de ne rien paraître, du moins devant la moins bonne personne à qui il n’avait jamais appris à mentir. C’était moins par abandon que par nécessité qu’il puisse toujours y avoir quelqu’un capable de percer la sombre lumière de son personnage.

- Encore là, jeune homme ? Attrape donc ton téléphone et prend une décision plus intelligente que toute cette chaudrée de ferrailles qui pullule dans notre belle ligue ! Tirailla à nouveau Agatha.

Il détourna nerveusement la tête, son poing serré contre sa bouche. Il venait de laisser son dos rencontrer un peu brusquement le divan derrière lui.

- J’aimerais que tu arrêtes avec ça, merci.
- Quel dommage… Si elle connaissait ton vilain petit caractère…

Il se redressa, piqué à vif.

- ARRÊTE !

Son ton sec la fit à peine fléchir.

- Ho ! Trouve donc autre chose à crier, Peter ! C’est d’un barbant de me répondre la même chose à chaque fois !
- Je n’ai pas changé d’avis, c’est tout ! Pourquoi reviens-tu à chaque fois à la charge ?

Il se leva de son divan, rejetant convulsivement sa cape en arrière avant de se diriger vers la grande baie vitrée, les mains derrière les dos. Il y jeta son regard acculé en l’accompagnant d’un profond soupir irrité.

Tout ça, c’était plus fort que lui : cette mascarade de capteurs n’avait jamais servi qu’à dissimuler une rafale colossalement présente au fond de son esprit, une tempête pétrifiée à l’idée de ne jamais réussir à se faire entendre de l’autre côté du plateau. Aucun signe n’avait répondu, pas même un mot dans son téléphone portable bavard à sens unique. Et ce n’étaient pas les quelques étoiles perdues dans le ciel hivernal qui avaient compensé ce silence pendant que son vent caché se déchainait sur terre.

Et pourtant, c’était bien ce qu’il avait cherché chaque soir. Il s’était replongé dans la solitude du perron de pierre qui accueillait en haut d’escaliers bien célèbres, les futurs challengers de la Ligue : ça frôlait l’incohérence, il le savait bien. Comme si la moindre bourrasque de givre pouvait venir lui raconter ce qu’elle faisait, comme si les moindres cendres d’astres incandescents pouvaient l’informer qu’elle allait bien. Mais il lui fallait trouver le moyen d’entendre une réponse.

Et en dépit d’avoir entendu une preuve d’existence, toutes ses émotions persécutées avaient fini par l’emmener vers cet autre perron avalé par l’hiver. Il espérait alors bien malgré lui qu’elle ne le quittait jamais en qualité de spectre accroché au lieu de sa perdition. C’était pour contempler une solitude morose à chacune de ses visites. Seulement, il n’avait plus aucune idée où chercher.

Peter poussa un soupir encore plus profond que le premier. Puis, il se tourna vers la vieille dame, maussade.

- Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça n’avait aucune importance pour elle…

- Evidemment ! C’est tellement plus simple de penser que l’autre n’en a rien à cirer ! Mon pauvre Peter, tes excuses sont aussi pitoyables que ton sens de l’humour ! S’exclama-t-elle après une gorgée de thé.

Peter se renfrogna.

- Ton acerbité ne diminue donc jamais, Agatha ?
- Tant que tu continueras de prendre des décisions absolument stupides, je serai aux premières loges mon grand garçon ! Siffla-t-elle tout en faisant tournoyer sa cuillère dans sa tasse de porcelaine.

Une expression un rien plus vexée redessina les contours de son visage. Il se frotta la nuque puis se ravisa un peu, étouffant un ronchonnement nerveux.

Le regard du Grand Dracologue se perdit alors momentanément dans l’ensemble de la pièce avant de tomber sur la tasse de porcelaine qu’il avait ramassée dans la neige. Elle était posée depuis tout ce temps au bar en bois de chêne de la cuisine, sa couleur acajou détonnant dans les tons plus sobres du salon Draco.

La confidence arrêtée par les senteurs de chocolat chaud au marché de Noël lui revint subitement en mémoire. Ce sourire déjà fragile avait manqué de se briser devant lui. Alors, il avait aperçu dans la fente de son rempart, l’étrange ruine d’une bataille qu’elle semblait mener en solitaire. Pourtant, il ne fallait plus grand-chose pour qu’il se décide à la rejoindre. C’était tout le problème : si Peter pouvait prétendre avoir la force d’arpenter les tranchées de ses propres sentiments, il craignait de mener une guerre dont les vainqueurs étaient souvent perdus d’avance.

Désœuvré, Il alla se rassoir sur son divan.

La vieille dame avala une petite gorgée de son thé d’épices, définitivement imperturbable.

- Ha… ! Tu sais que j’ai appris au fil des années à me méfier des résidents de la lumière : ils savent parfaitement que personne ne les regardera plus qu’ils n’en voient déjà. C’est pour ça que les ombres des gens sont plus authentiques : elles nous forcent à chercher là où l’obscurité toute blanche nous laisse de marbre, comme de gentils petits convaincus d’avoir tout compris !

- Elle m’avait dit qu’elle reviendrait ! Se braqua-t-il.

La lugubre troisième membre du conseil 4 reposa sa tasse en porcelaine avec un calme vexant.

- Et tu as essayé de la chercher, ce soir-là ?
- Qu’est-ce que tu insinues ?

Elle s’était déjà reversée du thé, à croire qu’elle s’était donnée le défi de vider la théière.

- J’insinue que les gens qui promettent de revenir pour disparaître aussitôt ne sont poussés ni par la raison, ni par la logique… Tu as décidé de t’attacher à elle alors, n’est-il pas temps d’en assumer les conséquences ?

Il n’était pas d’humeur à reconnaître sa naïveté. Et pourtant, le Grand Dracologue surprit à y réfléchir : Il voyait encore l’assombrissement de cette fragilité en la seule image d’une tasse chutée dans la poudreuse congelée.

Peter saisissait ensuite qu’il n’avait jamais rien voulu savoir et pour cause : il parlait avec un rêve qu’il évitait à tout prix de réveiller.

Agatha jeta un œil moqueur vers le Grand Dracologue. Ce dernier, définitivement épuisé par toutes ses pensées étriquées, finit par étouffer un rire un peu plus amical.

Un frappement à la porte les tira de leur échange, bref retour à leurs grandes responsabilités de membres du conseil 4 du Plateau Indigo. En se redressant de son siège, Peter jeta un œil averti à la baie vitrée.

Auditeur silencieux, le ciel avait probablement tenté de cracher plusieurs fois son avis face aux sentiments étroits du Grand Dracologue : des rideaux de flocons avaient orné le paysage montagneux, saupoudrés des premières lueurs d’un crépuscule grisé.


***

« Bon… »

Il secoua un peu sa cape, à moitié blanchie par la poudreuse volatile.

L’entrée de la Ligue Indigo était méconnaissable, couverte par les grandes lèches de flocons qui avaient coulées depuis le ciel nocturne. En temps de soleil, les couleurs ambre étincelante des grands piliers ainsi que des murs du bâtiment d’accueil détonnaient à des kilomètres. C’était précisément cet effet de noblesse qui agissait sur les futurs challengers, les jambes tremblantes mais l’âme bien aiguisée par leurs multiples combats sur le chemin de la glorification. Peter les comptait pourtant sur les doigts d’une main : beaucoup de monde au pied de la tour, peu d’arrivants au sommet.

Contempler ainsi le vide des massives marches vers la gloire le rendit un peu nostalgique. Puis, le Grand Dracologue chassa le passé de ses étroites pensées en faisant remonter tous les messages sans réponse dans son téléphone portable.

Agatha s’était toujours montrée curieuse envers sa relation avec la jeune fille aux cheveux de cendre. Elle ne l’avait pourtant jamais rencontrée. Mais tout portait à croire que la vieille dame avait aisément appris à la connaître à travers tous les remous vertigineux de l’esprit du jeune dracologue : rien que d'évoquer son nom le faisait passer instantanément d’un caractère impassible à cette personnalité plus timide et réservée « qui te va vraiment mieux, mon garçon », sortait-elle souvent durant toutes leurs conversations au thé épicé. Il n’était pas toujours à l’aise avec une telle vulnérabilité, preuve en était sa grande incapacité à avoir contrôlé sa frustration devant cette disparition brutale au marché de Noël, et où il était toujours tenté de revenir : n’était-ce pas au fond le signe absurde qu’il espérait ?

Une bourrasque le sortit de son téléphone.

Peter notifia alors la présence d’un épais brouillard façonné dans les cascades de flocons : le bas des escaliers de pierre avait disparu dans une masse criblée de blanc.

Puis, un grognement fluide parvint à ses oreilles. Le soupir amusé, il se tourna pour observer un grand pilier sur sa gauche.

- Allez, viens me voir…

Après quelques secondes, un Draco sortit de derrière la colonne de pierre, long Pokémon draconien aux écailles d’azure, aux fines ailes plumeuses accrochés sur ses tempes et au regard écarlate. Murmurant de petits bougonnements aigus, la fabuleuse créature lévitait doucement au-dessus du sol en saluant affectueusement son entraineur.

D’entre toutes les entités d’écailles qui vivaient dans ses quartiers privés au Plateau Indigo, c’était son dragon le plus pacifique. Cela dit, Peter n’avait plus croisé son seul et unique Draco depuis un moment. Ça datait probablement de l’installation des sondeurs : apeuré par ce remue-ménage dans tous les coins et recoins, il avait certainement cherché les meilleures cachettes pour se révéler seulement dans le calme des heures solitaires. De nature introvertie, ce dernier ne combattait jamais mais il était autrement courant de le voir se promener autour des grands bâtiments, nager dans la fontaine du dôme central, voltiger dans les grands couloirs et le restaurant principal ou parfois même se balader vers les escaliers du bâtiment d’accueil.

Et contrairement à ses autres compagnons draconiens, ce Draco-ci aimait la neige : Il avait l’habitude de jouer dans les flocons et les les mottes de neige comme un jeune enfant qui découvrait l’hiver pour la première fois. Sa résistance au froid était à ce point exceptionnelle que Peter avait voulu maintes fois en faire un coéquipier aguerri. Mais à l’instar de son immunité étonnante au gel, Draco abhorrait les combats pokémon : il lui avait bien démontré à travers tous ses refus catégoriques d’y prendre part lors des matchs d’entrainement, se cachant derrière lui ou en restant solidement enfermé dans sa pokéball. Le Grand Dracologue s’était alors résolu à le laisser tranquille, affectionnant bien trop ses Pokémons pour les intimer à devenir ce qui ne leur ressemblait pas.

A la place et par la force des choses, Draco se parait de la cape d’un gardien symbolique des lieux. En effet, il n’avait pas son pareil pour attraper les petites anomalies sur le Plateau : ainsi avait-il souvent débusqué ces petits chapardeurs de Piafabecs brigandant dans les réserves des cuisines de la grande cafétéria ou délogé ces Coconforts venus s’installer sous les marquises du dôme central pour d’obscures motifs. On le voyait ensuite raccompagner les intrus vers les forêts environnantes dans le calme et la bienveillance, aidant les uns à trouver des arbres à fruits et les autres à affecter le meilleur bosquet pour en faire leur maison.
Mais son esprit empathique allait même plus loin : on ne comptait plus le nombre de fois où il consolait par ses petits grognements fluides s’apparentant à des chants discrets, les dresseurs revenus en morceaux des combats du Plateau Indigo. C’était d’autant plus important pour lui qu’il avait au préalable accueilli ces têtes brûlées en quête du Panthéon en haut des escaliers de pierre, les encourageant à croire en eux par la seule force de ses douces mélopées altruistes en guise de paroles.

Le facétieux Draco se dressa devant Peter, cherchant quelques caresses. Attendri, il lui gratta le sommet du crâne en riant.

- Ça fait longtemps que l’on n’a plus eu un petit moment tous les deux ! Tu sais, j’ai besoin d’être encouragé aujourd’hui…

Sa deuxième main restait fermée sur son téléphone.

Le curieux Draco baissa son museau vers l’appareil, hochant adorablement sa grande tête reptilienne. Puis, il remonta son œil écarlate pour le plonger dans celui du Grand Dracologue. Le froncement de son museau indiqua par-là qu’il avait déjà tout saisi de ses intentions et pour cause. Après tout, Draco était son deuxième confident. Et même s’il n’était pas capable de parler, son humeur éternellement joviale avait toujours répondu à tous les remous sentimentaux de son maître. C’était très probablement sa manière de le pousser à ne pas céder face à l’incompréhension.

En effet, le grand dragon couleur azure n’avait pas son pareil pour croire à l’irrationnel : quand le Grand Dracologue lui racontait ses périples sur le campus de l’université, à deviner tous les secrets et à en déceler tous les mystères aussi peu communs soient-ils, Draco s’agitait de surprise comme d’enthousiasme, le ronronnement vif. Il lui révélait à quel point il se sentait concerné, voire transfiguré par les états d’âmes comme les espoirs du jeune dracologue. Même si son caractère un peu trop distrait et sa manie à ne pas obéir correctement ne lui avaient pas permis de participer aux cours de Peter, le grand Pokémon serpentaire savait probablement déjà tout de ce fantôme en quête d’hantise dont son maître faisait une excellente attache. Ça se voyait à son œil draconien étincelant de malice, similaire à celui de cette jeune fille armée de théories folles et empiriques sur le monde physique.

Le sifflement de la brise poussa subitement Peter à reculer.

Habituellement, Le large perron était toujours soyeusement déblayé mais cette soirée-là faisait exception : les soufflées de grésille avaient agressé sa surface sombre et pierreuse. Heureusement, aucun début de verglas n’était détectable.

Draco, lui, fit tout le contraire de son maître en s’avançant devant le panorama lourdement brumeux : en temps normal, l’on contemplait sans peine l’entier de la route Victoire depuis ici, ce célèbre parcours creusé des mains de l’homme et de Pokémon, et que les exceptionnels challengers de la ligue devaient franchir. La colline montagneuse qui dissimulait l’impressionnante grotte du laborieux chemin était aussi visible habituellement. Enfin, il était tout à fait possible d’apercevoir sous les lueurs affirmées du soleil, les larges propylées de pierre et de métal qui structuraient la pénible traversée de l’asphalte piquetée de combats, de défis et de puissants Pokémons sauvages.

Mais tout ceci se cachait actuellement dans ce brouillard de neige. C’était l’hiver après tout, et puis la nuit était tombée. Cela dit, l’étrange sensation de vide que cette brume massive lui provoqua le ramena l’espace d’un instant sur un perron bien familier, défiant là-haut la masse noirâtre avalée d’hiver.

Il évinça rapidement cette image, dérouté.

Soudain, Draco remua nerveusement. Il huma l’air puis poussa un petit rugissement strident avant de jeter son regard écarlate à l’encontre de Peter. Une drôle de lueur y apparut par légers remous.

Le Grand Dracologue l’observa, dubitatif : les tempêtes hivernales ne l’effrayaient communément pas. Il était même courant de le voir se promener dans les bourrasques de flocons pendant que ses trois frères de Minidracos allaient se cacher sous les couettes du lit de Peter, tremblotant de frissons comme d’effroi.
Le Grand Dracologue se souvint alors, et il avait bien tardé, que le centre météorologique de Carmin sur Mer avait annoncé une importante détérioration du temps : la brume pouvait désormais s’apparenter à un blizzard.

- Quoi, tu as peur ? Nous sommes en sécurité sous la marquise, tu sais.

La réponse de Draco n’était pas vraiment un renchérissement rassuré : elle sembla s’ébranler de soucis dans ce ronchonnement suspect, lançant à nouveau toute son attention dans le panorama porté disparu.

Peter se passa la main dans ses cheveux rougeâtres, légèrement interpellé. Se frottant ensuite les épaules, il se reconcentra à nouveau sur son téléphone par pure caprice.

Puis, une étrange douleur vint mordre sa poitrine.

Abasourdi, il se palpa le cœur : cette sensation le ramena encore et toujours à cette présence fantomatique qui hantait toutes ses pensées depuis deux mois. Le problème, c’est que cette douleur ne se manifestait que lorsque ledit spectre se trouvait concrètement à ses côtés.

Il jeta sans trop savoir pourquoi, son regard en bas des escaliers. Mais le blizzard houleux y faisait régner le néant en qualité de maître incontesté du vide.

Draco avait très visiblement ressenti cette morsure agressant les ventricules de son maître : il hocha la tête, plissant son museau draconien dans une étrange préoccupation avant de continuer à s’agiter devant la tempête hivernale. Ses ailettes couleur nuage se mirent à remuer, trahissant cette angoisse de plus en plus lourde dans l’esprit du Pokémon azure.

L’espace d’un instant, ils crurent entendre quelque chose.

Peter se couvrit légèrement la bouche, moins pour le protéger du grésille que de tenter de se raisonner : son imagination acculée par la fatigue et la nervosité de cette semaine devaient lui monter à la tête, et surtout devant ce spectacle frigorifié. C’était de toute façon insensée en ces lieux.

Oui, c’était impossible.

Draco n’était clairement pas de cet avis : il remua plus frénétiquement vers le leader du Plateau Indigo avant de balancer sa tête vers le bas des grands escaliers dans un grognement appuyé. Soudain, sa longue queue vint légèrement bousculer le dos de Peter, le faisant trébucher. Il en manqua même de lâcher son portable.

- Mais… !? Qu’est-ce que tu as ? Laisse-moi téléphoner, enfin !

Il avait lancé fébrilement sa question, trahissant l’inquiétude qui commençait à secouer ses nerfs et pour cause. Il avait la cruelle sensation qu’elle était en train d’hanter cette brume, à seulement quelques mètres de lui.

Il observa les alentours, le souffle court. Puis, détournant l’âme de cette présence impossible, il composa son numéro.

Il ignorait si la contemplation d’un blizzard avait le pouvoir de tirer les craintifs en avant mais il avait au moins un premier sujet de conversation lorsqu’il entendrait sa voix résonner à l’autre bout du fil. Elle avait dit qu’elle était fascinée par les tempêtes hivernales. Il n’avait donc aucun mal à se l’imaginer déjà plongée dans les toiles remuantes de flocons en se promenant dans les allées du campus ou bien sur le perron, ou peut-être simplement dans une rue près de chez elle, se laissant tomber avec les cendres d’étoiles luisant de mille feux. Ces souvenirs auraient dû le faire sourire un peu.

Mais la douleur dans sa poitrine venait d’augmenter.

Il se tint la tête, pris d’un bref vertige. Accusant aussitôt le manque de sommeil d’en être la cause, Il aspira profondément. Puis, il reprit son appel, ignorant le plus possible les picotements qui continuaient d’étriquer ses pulsations.

Il s’imagina alors la voir dans son salon à regarder la télévision tandis que son téléphone hululerait sur la table basse pour l’inciter à décrocher. Le Grand Dracologue aurait directement la confirmation qu’il n’avait rien oublié de la claire parure de sa voix. L’espace d’un instant, il chassait toutes ses appréhensions pour faire de ce coup de fil, un simple contact afin de savoir si tout allait bien. Il n’y avait pas de raison de s’inquiéter : sa mère était rentrée pour les fêtes. Les conditions météorologiques de ces dernières semaines avaient été particulièrement excellentes, ce blizzard actuel étant exceptionnel. Et surtout, elle n’était pas seule.

Alors, tout allait bien.

Les secondes passèrent.

L’appel continua dans le vide.

Et soudain, il baissa lentement son bras, éloignant le téléphone de son oreille dans un tremblement succinct. Il dévisagea le bas des escaliers enneigés. Puis il se figea.

Quelque chose avait retenti dans le blizzard.

Peter s’approcha du bord du perron, tendant l’oreille.

Et il comprit.

Là en bas, la sonnerie d'un autre téléphone était en train d'hurler.

Et sa musique, paraissant si discrète dans l’immensité assiégé de glace, était la même que celle qui avait fait disparaître la source de ses tourments dans les luminescences du marché de Noël.

Subitement, Draco s’élança dans les tourbillons de givre !

Le Grand Dracologue ne se fit pas prier : il s’engouffra aussi dans le blizzard, descendant frénétiquement les marches de pierre, la cape au vent et le corps drogué par l’adrénaline.

La tempête de neige engloutissait tout dans sa gorge de glace, menaçant le grand Dracologue et son Pokémon d’azure. Mais plus ils avançaient, plus la sonnerie s’intensifiait. Une fois au cœur de l’ouragan glacé, Draco tourna la tête dans tous les sens, alerté. Il gémit ensuite en avançant péniblement, et en plissant plusieurs fois les yeux dans les éclats gelés du vent. Peter le poussa inlassablement à localiser cette sonnerie dans ses cris. La perdre dans les hurlements du blizzard l’angoissa tant qu’il se mit aussitôt à hurler un nom, se protégeant le visage tout en luttant contre les bourrasques.

Soudain, le grand Pokémon dragon se figea, puis fixa une direction engouffrée dans la tempête. Il poussa un rugissement strident et se jeta dans la masse brumeuse, l’âme en avant.

Des boules de lumières immobiles percèrent soudainement les masses de neige folle.

Peter réalisa alors qu’il voyait les lampadaires de l’entrée du parking des invités. A cette heure-ci, il était vide de tout véhicule.

Les grands édifices électriques faisaient de leur mieux pour briser la voile congelée à la seule force de leur activité lumineuse. Mais c’était au pied du seul candélabre défectueux que se trouvait ce grand banc de bois où il était aisé de s’installer dans l’attente d’un chauffeur. Peter le devinait tout juste dans cet amas de faisceaux floutés et de tourbillons enneigés.

Un tel temps avait emmitouflé le banc sous une grosse motte de neige.

Sauf le côté gauche.

Une personne y’était assise, tout le corps recroquevillé, immobile, une large capuche dissimulant sa tête. A l’instar d’une longue chevelure blanchie de givre.
Draco arriva derrière l’armature boisée, chassant rapidement la neige à l’aide de son habile queue draconienne et dépoussiérant la silhouette de la poudreuse naissante. Ses gémissements étaient alarmés de détresse lorsqu’il s’adressa au leader du conseil 4.

La sonnerie continuait d’hurler dans les mains congelées de cette personne sans force. La surface métallique d’un téléphone luisait faiblement dans les légères luminescences recrées par les lampadaires alentours.

Peter raccrocha brusquement son appel, le coeur perforé.

- LEAVA !

Il s’était jeté sur elle, soulevant le visage de la jeune femme à l’aide de ses deux mains. Sa chevelure de cendre couverte de cristaux de neige entourait un visage hagard aux yeux entrouverts et perdus dans le vide. Ses lèvres tremblaient sous la morsure du froid.

Elle lâcha son téléphone : il percuta le goudron enneigé à ses pieds. Mais les appels désespérés de Peter finirent par faire revenir un très léger grésillement dans son regard clair. Elle sembla le jeter laborieusement dans les iris tirées d’épouvante du jeune leader : cette voix affaiblie, blessa directement son esprit.

- Peter…
- C’est moi ! Qu’est-ce qui s’est passé !? Pourquoi tu es ici !?

En réponse, elle poussa un gémissement terriblement douloureux. Puis elle tomba brutalement en avant, à bout de forces. Peter la réceptionna lourdement dans ses bras et, à deux doigts de perdre la raison, leva aussitôt la tête vers le grand Pokémon dragon azuré.

- VA ME CHERCHER LES GARDIENS !

Il s’envola dans le blizzard, poussant un grognement cavalier. Il avait compris l’urgence.

Peter allongea le plus délicatement possible la jeune femme dans ses bras, tentant dans des efforts écartelés par la peur, de la maintenir au chaud dans sa large cape. Chacun de ses gémissements, si faibles, coupèrent un peu plus l’âme du jeune homme en morceaux.

Le Grand Dracologue reprit alors son téléphone, resté heureusement dans sa main, pour composer fébrilement un numéro qu’il se gardait bien d’oublier : il ne comptait même plus le nombre d’appels déjà passés après certains combats pokémon.

L’attente sembla interminable avant qu'il n'entende enfin quelqu'un décrocher.

- Ici, le centre médical du Plateau Indigo, quel est votre urgence ?
- Il me faut immédiatement un médecin au parking principal ! Nous avons une personne en état d’hypothermie qui… !

Ses mots se bloquèrent.

Il venait de regarder sa main, celle qui maintenait le dos de la jeune femme.

Elle était couverte de sang.

Alors, il remarqua, l’esprit au bord du gouffre, ces traces qui contrastaient dans la neige et sur le banc, les tâchant comme plaie ouverte sous une chemise.

Brutalement, Leava s’accrocha à la cape du Grand Dracologue, ses pleurs déchirant cette voix déjà si fragile : Il réalisa, et dans une violente pique de tétanie, que cette blessure saignait abondamment.

Une étrange terreur aliénée étrangla les yeux cendrés de la jeune femme : et subitement, elle perdit connaissance.

La voix au bout du fil tenta plusieurs fois de renouer la communication.

Mais ce soir-là, le Grand Dracologue avait cédé à la détresse, ses appels fendus de pleurs et d’angoisse pour la retenir au bord du vide.

Elle était revenue d’entre les morts.

Mais pour combien de temps ?


***