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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 08/11/2023 à 18:10
» Dernière mise à jour le 08/11/2023 à 18:29

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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Avant la cérémonie
« Mais qui est Leava Truegold, nouvelle coqueluche de Galar et une des deux favorites de cette 20ème édition du Défi des Arènes !? Elle promet en tout cas d’électriser les stades avec sa Voltali durant toute la compétition, cher public ! Venue tout droit de Kanto et propulsée par le big buzz de son combat sur Internet, vous vous laisserez séduire par la personnalité féroce de notre challenger numéro 151 ! Voyons maintenant le challenger numéro 303 qui nous vient de Paddoxton et qui est une informaticienne de talent à ses heures perdues… »


Entendre mon nom sortir de la bouche nasillarde d’un présentateur télé n’était pas une expérience très agréable. Mais il arrivait malheureusement à captiver l’attention de tous les challengers dans la salle, à en juger cet agglutinement vers la grande télé à écran plasma. Même les quelques Pokémon présents semblaient hypnotisés.

Après quelques secondes à arpenter le retour vers le présent, je réalisais que je m’étais endormie sur un banc. Je regardais le lobby, encore ensommeillé : ses couleurs rustiques et pierreuses rappelaient sans peine que nous étions dans le stade de Motorby. D'après Nabil, il s'agissait jadis d'une usine sidérurgique. Si le bâtiment avait été largement réaménagé depuis des décennies, les traces du passé restaient toujours évidentes : « J’ai tout de suite trouvé que ça collait avec la personnalité stricte et persévérante de Kabu », se souvenait mon voisin en m'ayant montré une photo du fameux champion de type feu dominant ces lieux.

Nous étions une infime partie de participants ici. Le stade ayant quatre lobbys différents, je me souvenais brièvement que les organisateurs y avaient réparti équitablement le nombre de challengers en vue de la cérémonie d’ouverture.

Je m’étirai, n’ayant aucune idée du moment où je m’étais assoupie. Puis, je me frottai les bras, des frissons me parcourant légèrement depuis mon éveil. J'avais encore la sensation que des courants gelés s'étaient collés à ma peau. Le problème, c’est qu’il faisait beaucoup trop chaud ici.

Puis, ce fut au tour de Voltia d'émerger. Elle bailla longuement. Au même moment arriva Nabil avec deux boissons glacées dans les mains.

- Good morning ! Tu t'es endormi comme un Dodoala tout à l’heure !

Malgré mes grelottements furtifs, j’attrapai la boisson glacée que me tendit Nabil avant que ce dernier ne me rejoigne sur le banc, contemplant à son tour la télévision.

J’avais à peine vu la matinée se dérouler entre les essayages de tenue de sport, les questionnaires à remplir ainsi que les rendez-vous à respecter scrupuleusement avec les organisateurs de la cérémonie. Nabil m’avait appris que sans mon escapade imprévue d’hier, j’aurais probablement gagné du temps sur tout ça. A la place, nous nous étions levés à six heures du matin pour rattraper mon retard. La mine bien étonnée du responsable des tenues de sport et de son Scalproie (un pokémon humanoïde à la tête en forme de casque de métal et des lames incurvées dans le corps, j’en avais vu dans mes livres sur la faune Pokémon d’Unys) en me voyant dans le hall d’entrée du stade à l’aube aurait pu me faire rire si j’avais eu la présence d’esprit d’avoir un sommeil réparateur.

Heureusement, ce n’était pas l’activité la plus fatigante et je devais avouer que je m’étais sentie très vite à l’aise dans ces ensembles sportifs malgré mes appréhensions. Nabil avait au préalable proposé un numéro pour mon identification en ajoutant bien que pour un « Pokémon fabuleux », c’était le chiffre parfait mais ça m’apportait peu de saisir son raisonnement. J’étais plus occupée à observer l’incroyable sens de l’ordre du Scalproie qui pliait méticuleusement les tenues dans les cartons. Il s’était montré particulièrement enjoué à me faire essayer chaque vêtement.

J’avais par-contre bien plus de peine à remplir le formulaire pour les médias : si je n’aimais déjà pas parler de moi en temps normal, j’appréciais encore moins que ce soit les autres qui s’y attèlent. De plus, revenir sur des éléments de ma vie me faisaient penser sans que je ne comprenne pourquoi à mon échange pour le moins houleux avec Tarak hier. Même si mon absurde amitié avec Roy avait été sauvée du pire, ma relation avec le Maître de Galar ne s’était pas spécialement améliorée depuis mon arrivée à Motorby. Il avait l’air d’ailleurs d’y avoir autant réfléchi que moi et ce toute la nuit : son « bonjour Leava, bien dormi ? » avait eu le même effet qu’un seau d’eau gelé sur la tête.

Nabil, qui prenait (enfin) en compte cette étrange antipathie me soulignait simplement qu’il était un peu tendu avant chaque cérémonie d’ouverture. Je n’étais toujours pas décidée d’en être convaincue.

J’avais même curieusement souhaité que Roy ait été présent à ce moment-là : Tarak me semblait bien plus enclin à calmer son animosité à mon encontre quand le champion draconien était à ses côtés. Mais selon Nabil, ce dernier s’était levé aux aurores pour participer aux préparations de la cérémonie tandis que Tarak profitait finalement de quelques heures de sommeil en plus : « Roy est un matinal, ça surprend toujours, hein ? », avait plaisanté mon voisin. Et moi, j'avais repensé en souriant, à ce grand dormeur sur le divan d’un salon encerclé de cartons et d’ordinateurs.

Mon voisin poussa un long soupir.

- Ha, ces journalistes ! Ils sont obligés d’en faire des tonnes quand ils présentent les challengers !

J’imitai aussitôt sa lassitude.

- Mouaip…

Nous observâmes ensuite l’écran plasma tandis que les papotages allèrent bon train dans le lobby.

Je soupirais aussi silencieusement devant les quelques regards jetés insuffisamment discrètement vers moi. Depuis tout à l’heure, j’avais la sensation un peu absurde que mes adversaires tentaient déjà de déceler mes failles stratégiques. Néanmoins, l’atmosphère était assez calme et je n’allais certainement pas m’en plaindre. Je remerciais d’ailleurs le dieu Arceus de m’avoir évité de côtoyer Dusk ou ce m’as-tu-vu de Fall Embersky, tous deux étant finalement dans un autre lobby. J’avais d’ailleurs aperçu Fall dans le hall tout à l'heure, accompagné toujours de son air obséquieux devant un Tarak visiblement hypnotisé. Son Absol nous avait alors toisé de son regard rouge avec un certain mépris.

Nabil, qui n’avait pas perdu de temps à le remarquer, m'apprit enfin ce qui s’était passé lors de ma disparition du hall dans la débandade générale. Il me souligna ensuite que l’attitude orgueilleuse de mon supposé deuxième rival lui avait rappelé celui du champion de type fée, un certain Travis Bede qui avait participé à la même édition que lui il y a dix ans : « je te souhaite déjà bonne chance quand on sera à Corrifey, il est imbuvable avec tous les challengers ! ». Je rappelai alors brièvement que Rosemary avait déjà comparé ce dernier à Dusk, ce qui ne contribua pas à me rassurer. De toute façon, nous avions quitté rapidement le hall afin d’éviter un malencontreux pugilat.

Concernant Dusk, je n’avais curieusement pas encore eu le loisir de la recroiser depuis Brasswick. C’était un paradoxe intéressant puisque tout le monde parlait sans cesse de nous. Si je pouvais imaginer sans peine ma rivale roucouler devant toute cette attention, je commençais déjà à en être épuisée alors que la cérémonie n’avait pas commencé.

Le présentateur parla justement d'elle : je vis son portrait s’afficher sur l'écran, avec son Démolosse à ses côtés, tandis qu’Il déblatéra tellement de choses que je pris peine d’écouter au moins la moitié.

Je réalisais pourtant que Dusk n’en était pas à ses débuts en tant que dresseuse : alignant victoire sur victoire, elle était devenue célèbre dans le milieu de la jeunesse Winscorienne, décrite comme une adversaire charismatique qui tétanisait tous ses opposants et prenant plaisir à détruire le terrain pour pousser ses adversaires jusqu’à leurs derniers retranchements : « sans blague ? », soufflai-je entre deux compliments du présentateur. J'appris aussi qu'elle avait remporté le célèbre et difficile tournoi universitaire de Winscor, il y a un an : « Tarak avait aussi gagné cette compétition, non ? », rappelai-je brièvement à mon voisin qui hocha lentement la tête de haut en bas.

L’écran afficha ensuite le compte Pokégram de ma rivale sur l’écran, ce qui ne sembla choquer absolument personne. Moi, j’étais déjà abasourdie par le nombre d’informations qu’elle avait visiblement écrite sur le formulaire, si bien que la feuille elle-même avait dû s’évanouir.

- Wow ! C’est une vraie star ! Presque aussi connue qu’un champion de Galar, s’exclama doucement Nabil.

Voltia secoua la tête d’un air suspect avant de grogner vers moi.

Malgré toute l’animosité qu’on aurait pu me prêter à l’égard de ma rivale, j’attrapai par grande curiosité mon propre Motismart qui sembla se réveiller péniblement, dormant probablement profondément dans mon sac.

Comme je m'y attendais, son Pokégram était criblé d’un million de selfies et de photos décrivant probablement son quotidien dont je n’avais pas grand-chose à penser. Je remarquais néanmoins que la plupart de ses selfies suivaient un rituel assez évident : derrière elle se trouvait toujours un terrain de combat souvent très amoché, voire complètement défiguré.

Puis, quelque chose attira mon attention.

- Regarde ça, Nabil !

L’on reconnaissait précisément dans une photo, le terrain accidenté de Brasswick juste derrière Dusk, tandis que son Démolosse posait fièrement avec elle. En dessous, elle avait écrit quelques phrases que lui avaient apparemment inspirée notre combat pour ma plus grande surprise. Elle en tirait même une certaine satisfaction malgré sa défaite et j’osais même penser qu’elle complimentait ma propre performance dans son (un peu ridicule) : « c’était sensas’, regardez un peu le résultat, mes p’tits Duskers ! ».

Mon voisin nourrit visiblement le même étonnement envers le statut de la cheffe de meute.

- Tiens ? Qui aurait pensé qu’elle prendrait si bien le fait que tu l’aies écrasée à Brasswick ?
- Elle n’est pas mauvaise perdante au moins, étouffai-je dans un rire un peu gêné.

Nous observâmes ensuite les commentaires au-dessous de la photo
.
Ceux-ci pleuvaient d’encouragements mais aussi de conflits entre les partisans de la chef de meute et mes propres gardes du corps (si je pouvais appeler mes admirateurs ainsi). Je réalisais sans doute enfin et dans un élan inquiet que notre combat avait marqué les mentalités pour qu’elles se divisent à ce point.

- Apparemment, c’est déjà la guerre des fan-clubs ! Plaisanta Nabil.
- Pas sûre que ça m’aidera à sympathiser avec Dusk, ça !

Mon voisin manqua d’avaler sa gorgée de soda de travers.

- J’ai bien entendu ? Tu veux devenir copine avec elle ?! Darkrai est venu te mettre des idées dans la tête, cette nuit ?!

J’avalai moi-même un peu de mon thé glacé devant la chaleur étouffante qui régnait dans le lobby.

- C’est Sonya qui m’encourage à le faire… Apparemment, c’est mieux pour nos fans qu’on soit des rivales amicales, expliquai-je rapidement en faisant un signe de guillemets avec ma main gauche.
- Ouaip, mais ça ne marche qu’avec les gens normaux, ça !

L’on s’échangea un regard qui en dit bien long sur nos pensées vis-à-vis de la cheffe de meute. Mais je devais l’admettre, son étrange enthousiasme à propos de sa défaite m’interpella.

- Avoue quand même que ça peut donner quelque chose, non ? En plus, notre match a dû bien lui plaire pour avoir posté ce selfie !
- J’en sais trop rien… ça a l’air aussi facile que de devenir le pote de Giratina !

Nabil dissimula mal ses pensées : j’avais d’ores et déjà compris qu’il n’était pas totalement contre cette idée. Je laissais alors voltiger mon Motismart autour de moi tandis que Voltia le suivait du regard en jappant un peu.

Je me remis ensuite à observer le lobby avec plus d’attention : l’agglutinement des challengers autour de l’écran plasma nous isola idéalement.

- Bon, écoute… j’ai appris un truc hier à propos de la Monochrome… Elle est partenaire du Défi des Arènes… Il y a eu toute une conférence la semaine dernière, apparemment.
- Ha ! Mais alors, c’était ça, le colloque que Sonya a suivi à Winscor ?
- Tu étais au courant ?
- Hum… Je sais que c’était en lien avec la compétition de cette année mais elle n’avait apparemment pas le droit de révéler le contenu avant la veille de la cérémonie. Je comprends mieux à présent, surtout que ça avait l’air de la passionner.
- J’ai vu ça, elle était très enthousiaste.
- Attend, elle t’a raconté ? C’est pas juste !

J’entendis sans peine cette vexation mêlée de curiosité dans ses mots.

- D’après ce qu’elle m’a dit, Monochrome et Macro-Cosmos sont sur des projets de nouvelles exploitations énergétiques respectueuses de la Nature en utilisant les pouvoirs des Pokémons. Ils ont installé des capteurs dans certains stades, qui doivent sonder les énergies qu’ils produisent durant les matchs. Ca concerne Ludester, Winscor et… Kicka…
- Kickenham ?
- C’est ça !

J’avais légèrement haussé le volume. Cette bourde me figea, observant les alentours, tandis que Nabil se crispa sur son propre banc. Voltia remua aussi beaucoup à mes pieds.

Cependant, l’agglutinement continua de papoter devant l’écran plasma toujours bien englouti par la voix nasillarde du présentateur télévisé. Nous soupirâmes en chœur.
- Sonder les Pokémons ? C’est pas un peu glauque, ça ? Chuchota alors Nabil.
- Tu l’as dit… Même si selon Sonya, ça n’aura aucune incidence sur leur santé…

Mon voisin leva les yeux vers le plafond.

- Ça explique au moins pourquoi ils utilisent le Défi des Arènes pour cadre… Ils profitent des matchs et même du Dynamax pour leurs projets soi-disant écolos… Cette histoire de capteurs va passer crème avec un slogan pareil.

Je renchéris premièrement par un croisement de bras.

- Justement, cet objectif écologique semble super important à en écouter Sonya !
- T’imagine ? Si ça se trouve, ils cachent les bombes dans ces capteurs et ce sont les Pokémons qui vont provoquer les explosions ?
- Tu dis ça avec un naturel…
- Ca n’serait pas impossible ! Ils n’auraient qu’à accuser les installations du stade ou alors, ils prétendront que les Pokémons de Galar sont dopés ! Une connerie comme ça !

Je me frottai le fond, pensive.

- Non, ça m’étonnerait… N’oublie pas que c’est un conglomérat officiel ! Ils ont plutôt intérêt à ne pas laisser des évidences aussi grosses filer entre leurs doigts, surtout si c’est pour faire exploser des ligues…
- Et c’est moi qui suis trop naturel ? J’ai des sueurs froides juste en entendant le nom « Monochrome » !
- Alors, je te déconseille d’aller voir les animatroniques que la « Monochrome » fait trôner à la gare, soi-disant pour célébrer la cohésion entre Pokémons et humains.

J’avais au préalable cherché les images sur le net. Mon Motismart lui-même sembla déjà les craindre en vibrant maladroitement. Nabil grimaça à la vue des clichés.

- Beurk… D’où ça célèbre les Pokémons, ces horreurs ? Il ressemblait à ça, le Kabutops ?
- Oui… Et non. Il avait quelque chose de bien plus malsain mais impossible de savoir pourquoi.

Sa simple évocation me replongea dans cette horrible odeur de métal brûlé pendant quelques secondes. Nabil poussa alors un soupir tremblotant tout en se laissant aller en avant.

- Ça sera pas du Dratatin cette enquête… Surtout que si j’avais eu l’autorisation de participer à la conférence, j’aurais pu sûrement choper des infos !

Je me tournai vers lui en fronçant les sourcils.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu es le second de Sonya, non ?
- Ouaip mais les intervenants scientifiques ont été sélectionnés. Mon frangin ainsi que le président de Macro-Cosmos ont également participé ! Je sais aussi qu’il y avait certains professeurs d’autres régions mais Sonya n’avait pas le droit de m’en dire plus.

Je me raidis, repensant encore à Sleepwood.

- Je comprends mieux pourquoi j’ai eu la sensation qu’il ne fallait rien dire à ton frère... Il connaissait déjà l’existence de cette collaboration ! Je suis soulagée que Roy n’ait rien révélé aussi !

Pas plus tard que ce matin, j’avais informé discrètement Nabil de la position du champion draconien à propos de Sleepwood. Son soupir de soulagement avait probablement traversé les murs en béton du hall d’entrée tant il avait été bruyant.

- Tu l’as dit… et il est de notre côté puisqu’il a inventé cette combine de baie toxique avec Libégon. Mon frangin m’en a reparlé vite fait pendant que tu étais en ville, soupira alors longuement Nabil.

J’écarquillai les yeux.

- C’est vraiment lui qui a imaginé ce truc ? Quelle baie au monde aurait rendu Libégon malade à ce point ?
- Absolument aucune ! Mais mon frangin a tout gobé et c’est tant mieux !

J’étais malheureusement convaincue que le Maître de Galar ne pouvait pas être aussi dupe. Il avait simplement choisi de nous croire pour notre plus grand avantage ou désarroi, je n’étais pas sûre d’arriver à choisir.

- Concernant Roy, je ne souhaite pas le mêler à ça pour le moment même s’il nous a bien aidé, prévins-je sur un ton plus ou moins affirmé.
- J'suis du même avis ! Creusons un peu tout ça puis on avisera ! Renchéris Nabil.

J'observai à nouveau l’ensemble de la pièce, perplexe.

- A l’heure actuelle, c’est juste une collaboration entre deux sociétés de recherche mais il n’y a pas eu encore d’annonce officielle ?

Nabil haussa les épaules.

- C’est vrai… je suppose que la cérémonie va en parler !

Le haut-parleur du lobby nous sortit très rapidement de notre discussion. Elle ordonna sur un ton solide de nous préparer à entrer sur le terrain. Des employés de la ligue vinrent superviser le regroupement tandis que l’agglutinement de challengers commença à piailler d’excitation.

Pour ma part, je me redressais péniblement, peu encline à aller me pavaner sur la pelouse du stade. J’avais légèrement frôlé mon poignet Dynamax en me levant d’ailleurs : ce dernier était resté très silencieux même si parfois il avait vibré un peu, sans doute capté par la source d’énergie qui coulait actuellement sous nos pieds.

Voltia commença à japper plus fort.

J'avais alors perçu une certaine inquiétude dans sa voix. Malheureusement, je ne m’en préoccupais pas tout de suite, me levant tout en attrapant mon sac en bandoulière.

- Ok, je te confie mon Salamèche ! On se retrouvera ensuite aux tribunes des invités avec Sonya…
- Euh… Call ?
- Oui, mon Salamèche…
- Non, je veux dire…

Nous nous tournâmes instantanément vers les couchettes Pokémons du lobby, d’ores et déjà désertées par les Pokémons qui y avaient élus domicile pour un petit somme ou quelques jeux durant l’attente interminable.

Call avait fait forte impression tout à l'heure. Certains dresseurs s'étaient beaucoup enthousiasmés devant son énergie débordante, donnant encore plus d’ardeur à sa couleur dorée si particulière. J’avais acquiescé en souriant maladroitement : il avait effectivement le droit d’être aussi remuant puisqu'il avait pratiquement dévoré toutes les sucreries achetées en ville, laissant le sac en carton grossièrement déchiré sur le sol de ma chambre d’hôtel et faisant de mes achats de la veille un bien lointain souvenir. J’avais tout juste pu récupérer deux paquets de Malasadas qui avaient survécu miraculeusement à sa voracité.

Sonya avait d'ailleurs remarqué l’air rassasié de mon Salamèche au petit-déjeuner, me précisant que les Pokémons nouveau-nés avaient rapidement un appétit de Ronflex. J’avais néanmoins relativisé en supposant au moins qu’il aurait besoin d'entamer plusieurs siestes digestives dans le lobby avec tout ce qu’il avait avalé.

Voltia, qui s’était rapidement habituée à la présence de Call s'était beaucoup amusée du caractère glouton de son nouvel ami. Après tout, ils avaient dormi l’un contre l’autre sur le lit et je dois dire que j’en étais soulagée, connaissant le caractère difficile de ma partenaire de longue date. Néanmoins, je préférais ne pas le prendre avec moi sur le terrain puisqu’il n’obéissait pas encore très bien. J’avais déjà prévenu Nabil que ce Salamèche d'or était facilement fasciné par tout ce qui brillait, en témoignait son étrange addiction pour les feux d’artifices d’hier soir, ainsi que pour tout ce qui produisait de la lumière. C’est ainsi qu’il avait observé avec une attention stupéfiante, le carrelage de marbre blanc et les ampoules électroluminescentes qui jouaient au ricochet avec les surfaces réfléchissantes de la douche et du lavabo dans la salle de bain : « il aime bien les écrans des Motismart aussi », avais-je ajouté en rassurant néanmoins mon voisin que Call n’essayerait pas de traumatiser son téléphone.

Voltia avait surveillé pendant un long moment mon Salamèche dans le lobby. Elle était revenu vers moi ensuite, laissant Call endormi dans des coussins. Je me souvins enfin que c’était probablement à ce moment que nous nous étions assoupies, elle et moi.

C’était donc tout naturel à ce que je m’attende que mon nouveau Pokémon n'ait pas du tout quitté sa couchette.

Mais il n'y avait plus personne. Et la cérémonie commençait dans quelques minutes.


***


Mon regard avait retourné toute la salle.

- C’est pas possible !? J’aurais dû garder un œil sur lui !
- Du calme ! Il n’a pas pu aller bien loin avec ses petites pattes ! Il doit être encore dans le lobby ! Tenta tout à son honneur mon voisin de me rassurer.

Un employé du stade vint en rajouter une couche en m’appelant à rejoindre le groupe. Mon voisin répondit à ma place pour mon plus grand bonheur, me voyant à deux doigts de l’envoyer paître. Nos yeux continuâmes sans relâche de scruter toutes les possibilités de cachettes du lobby jusqu’à remarquer un détail probablement anodin pour tout le reste de monde ici présent.

Les grandes portes donnant sur les couloirs en tourniquet du stade étaient légèrement entrouvertes.

- Merde ! Il est sûrement sorti par-là ! S’écria mon voisin.
- Tu l’aurais vu en allant chercher les boissons !
- Pas forcément, j’avais le dos tourné quand j’étais au distributeur !
- La tuile ! C’est vraiment pas le moment d’aller explorer le stade !
- Va à la cérémonie d’ouverture, je vais aller le chercher !
- Non, il ne viendra pas vers toi, il est encore trop indiscipliné. En plus, avec tout ce qu’il a mangé ce matin... !

Je me rappelai brièvement les paroles de Sonya avant de quitter le hall d’hôtel : les Malasadas étant des aliments extrêmement riches pour les Pokémons. Call était tout simplement chargé à bloc et il pourrait avoir très facilement envie de se battre si un Pokémon avait le malheur de le regarder de travers. La professeure avait envisagé que le calme du lobby lui permettrait de ne pas avoir d’idées peu recommandables. C’était sans compter sur sa curiosité naturelle de bébé Pokémon.

- Mais la cérémonie va commencer ! Qu’est-ce qu’on fait !? S’alarma Nabil.

Nous nous tournâmes vers les grandes portes vitrifiées menant au terrain. Mon regard tomba alors sur un employé du stade qui avait l’air de déblatérer l’entier des mesures de sécurité par Talkie-Walkie. Malgré la distance, j’attrapai quelques bribes de mots.

Instinctivement, je levai la tête vers le plafond avant d’analyser les murs. Un boitier électrique situé non loin de ma position attira vivement mon attention. En suivant le câble des yeux, je compris rapidement qu’elle alimentait l’ouverture des portes coulissantes. Le système sembla en outre assez vieux.

Je baissai maintenant la tête : un autre câble connecté se situait justement à ma hauteur sur le mur devant moi.

Je me tournai vers Nabil.

- On va bloquer l’accès au terrain pendant un moment !
- Quoi !? Comment tu vas faire !?

Sans perdre de temps à lui expliquer, j’attrapai Voltia dans mes bras. Elle se laissa faire, sans doute déjà au courant du plan bien absurde que j’avais en tête. Je la dirigeai vers le câble au mur qui montait jusqu’au fameux boitier grisâtre. L’enthousiasme générale était toujours dirigé dans le fond du lobby.

- Allez, juste quelques étincelles…

Ce fut sous les étouffements des élans de stupéfaction de mon voisin qu’elle s’exécuta dans une délicatesse qui ne me surprit pas venant de ma coéquipière de toujours.

Le courant sauvage grimpa instantanément vers le boitier qui implosa aussitôt sous le choc. Un son dysfonctionnel nous agressa les tympans ! Les lumières du lobby s’étouffèrent aussi dans un flash agressif et intense et l’on entendit au même instant, des bruits disharmonieux sortir des boutons qui commandaient l’ouverture comme la fermeture des portes. La salle fut brutalement plongée dans la pénombre, tandis que des cris de stupeur s’élevèrent de l’agglutinement de challengers.

Voltia resta d'abord interdite dans mes bras en baissant les oreilles, presque honteuse d’être l’autrice de ce petit moment de chaos. Je la reposai sur le sol en la caressant, soufflant que j’assumerais les conséquences à sa place. Puis, je jetai un œil discret vers l’employé en panique : comme je l’espérais, il s’était soudainement excité avec son talkie-walkie tandis que sa voix redoubla légèrement de volume.

Une participante eut alors la brillante idée de lui poser la question cruciale : « Petit problème technique ! Les portes ne répondent plus, je... euh... On vous demande encore un peu de patience ! ».

Je remerciais silencieusement Arceus d’avoir bien voulu que l’on se retrouve dans le lobby avec le boitier de contrôle des quatre accès, témoignant certes des installations désuètes du stade mais surtout de ma manie à tout casser (à commencer par la porte que Voltia avait éclaté hier).

Mais je ne cherchai pas plus à gonfler les exploits de ma carrière de délinquante et me jetai sur les portes de sortie. Nabil attrapa mon sac en bandoulière tout en me lançant un rapide et murmuré « je te préviens quand les portes sont réparées, dépèche-toi de retrouver Call ! ».

Ce court-circuit avait tant détourné l'attention que la suite du plan avait l’air, l’espace d’un instant, facile à mettre en place.


***


- Volta ! Voltaaali !

Ses jappements s’étaient arrêtés devant le couloir principal du stade.

Call était en train de se promener pour le moins très calmement sur la grande moquette rougeâtre dont il semblait apprécier le contact. Cela dit, ses petits grognements témoignaient davantage de sa fascination pour les grands lustres aux ampoules enflammées de lumière au-dessus de lui. Après tout, c’était la première fois qu’il se trouvait dans ce genre de lieux et les couleurs vives et rustiques devaient probablement très bien coller à sa petite personnalité de lézard de feu. J’étais d’ailleurs très étonnée de voir tout le chemin qu’il avait été capable de parcourir depuis le lobby.


- Call ! Qu’est-ce qui t’a pris de filer comme ça !?

Malgré mon murmure un peu agacé, il se retourna vivement dans ma direction pour grogner gaiement. Il fit ensuite mine de m’approcher, babillant en qualité de tout jeune Pokémon. Voltia jappa à son tour, probablement aussi soulagée que moi.

J’étais contente de constater qu’il n’avait apparemment rencontré personne dans son escapade : les couloirs semblaient vides de toute autre présence, et leur impression d’immensité davantage creusée par les cris endiablés de la foule provenant du stade.

Call abandonna finalement son observation des lustres pour venir se frotter à mes jambes, grognant affectueusement. Ma peur se volatilisa petit à petit, décidément attendrie par ce petit Salamèche doré. Je m’agenouillai pour le prendre dans mes bras. A l’instant, Voltia se blottit contre moi, jappant avec grande attention vers son ami.

- Bon, je passe l’éponge ! T’as de la chance d’être aussi mignon !

Mais la sensation d'agréable solitude fut de courte durée.

Je me redressai, le cœur en passe de rompre ma poitrine : des voix venaient de s’élever derrière nous.

Voltia crispa toute sa fourrure, grognant avec mépris vers l’intersection. Call, que je tenais fermement dans mes bras, n’adopta pas une attitude plus clémente.
En effet, ce dernier gronda avec une agressivité qui me poussa brutalement à m’engouffrer dans la seule issue à ma disposition : la porte entrouverte d’un espace clos.

Je me retrouvai au milieu des balais, jouant aux ombres hoenniennes avec la flamme de Call. Voltia s’était collée à moi, les muscles tendus.

Les sens en alerte, je m’agenouillai sur le sol poussiéreux. Puis, ma respiration ralentit brusquement.

Les voix étaient maintenant derrière la porte.

***

Je l’avais laissée très légèrement entrouverte : de ma position, l’intersection du couloir était suffisamment visible.

J'aperçus deux hommes.

L’un d'eux, d’âge mûr, avait les cheveux poivre et sel, le corps athlétique et portait la tenue de sport dans les tons rouges, noirs et blancs. Une serviette avec le logo esthétisée d’une flamme claire trônait sur ses épaules. Un majestueux Scolocendre se tenait à ses côtés, une espèce de Pokémon insecte ressemblant à un grand mille-pattes dont la tête s’ornait de cornes embrasées formant une impressionnante croix. Ce dernier semblait garder son calme même si la vingtaine de crochets qui lui servaient de pattes remuaient plutôt vite.

La photo que m’avait montré Nabil me revint en mémoire.

Il s’agissait de Kabu, le champion de type feu et maître du stade de Motorby. Contrairement au cliché, il semblait beaucoup moins sympathique mais ça devait s’expliquer par la présence de l’autre homme qui n’avait rien à envier à une armoire à glace : ses cheveux étaient un peu plus longs et de couleur sable mouillé tandis qu’il était habillé comme un roublard. Son visage, très carré, était tranché par un sourire insupportablement rustre, que sa barbe mal rasée n’arrangeait pas. De son côté, c’était un Exagide qui trônait là en qualité de partenaire.

J’en avais déjà aperçu dans un reportage à la télévision parlant de la région de Kalos, un grand pokémon spectral et abstrait ayant pour corps la fusion entre une épée et un bouclier médiévaux aux teintes dorées. Cette espèce étrange était, selon le reportage, capable d’une étrange perception régalienne des êtres vivants, et dont les pouvoirs étaient considérés comme inquiétants. Il se mariait donc très bien avec l’apparence plutôt menaçante de son dresseur. Ce dernier était un peu plus agité que le Scolocendre, toisant nerveusement le Pokémon de feu de son seul œil teinté d’une étrange couleur améthyste hantée.

Je me concentrai sur leur conversation.

- Je t’avais dit que je ne voulais plus te voir ici, Argès ! Dois-je employer la manière forte pour que tu comprennes que tu n’es pas le bienvenu dans mon stade !?
- On se calme, papy ! J’me suis paumé en cherchant l’entrée des gradins, pas de quoi gigamaxer un Monthracite quand même !
- Ne me prend pas pour un imbécile, tu connais ces lieux comme ta poche ! Tu as été assistant-dresseur entre ces nobles murs ! Je suis dépité de voir à quel point tu ne respectes toujours pas cet endroit : oser venir en repérage comme ça !
- Vous êtes encore bloqué sur cette histoire, hein ? J’vous reconnais bien, Kabu ! Aussi tête brûlée que vos Pokémons !
- Ho, ne fais pas de l’esprit ! Des témoins t’ont vu tourner autour du stade la nuit des déprédations et tu oses encore prétendre n’y être pour rien ? Je sais que tu es tombé dans de mauvaises fréquentations !
- Mais puisque j’vous dis que j’ai pas pris vos satanés plaques de cuivre ! J’suis juste venu voir la cérémonie ! J’dois quand même pas parler en ancien Kalosien pour que ça rentre dans votre crâne !?

J'avais penché la tête, le souffle court. Voltia semblait aussi très concentrée, remuant doucement ses oreilles au rythme de la conversation houleuse. Quant à Call, il bougeait à peine dans mes bras, l'oeil immobile.

- Alors, pourquoi trainais-tu vers les chaufferies du stade où nous stockions justement ces plaques ? Cela ne te suffisait pas de démonter les portes en fer que nous avons dû remplacer en hâte, la semaine dernière ? Et je ne parle même pas de celle que tu m’as honteusement arrachée hier ! Elle était d’origine !
- Ça va ! On est dans un stade de combat ou un musée ? Ça se remplace, ces machins… Non mais attendez, vous avez bientôt fini de m’accuser de tout, comme ça !?

Je me raidis, repensant à la porte que nous avions éclatée en mille morceaux pour poursuivre l’Absol voleur. Voltia, qui ressentait sensiblement l’altercation de plus en plus envenimée des deux hommes secouait maintenant la tête en grondant un peu, le museau retroussé. Call commença finalement à remuer aussi, le grognement acculé. Je leur sommai silencieusement de rester calmes : je n’avais vraiment aucune envie de m’interposer.

Le champion de Motorby sembla monter le ton.

- Si tu n’avais rien cassé, je te laisserais assister à la cérémonie mais je ne peux m’y résoudre ! Mon stade n’est pas ton terrain de jeu, Argès !
- Mais Regardez un peu votre fameux stade, Kabu ! Vous avez pas besoin d’moi pour que ça tombe en ruines ! La preuve ! Votre coupure de courant, là ! J’vous avais dit que le système électrique était complètement has been !
- Ho, comme je suis touché par ton expertise que tu as probablement eu le temps de faire durant ta petite visite nocturne ! Maintenant, déguerpis avant que je ne fasse appel à la sécurité !

Mon cœur frappait fort maintenant. Mais ce n’était pas tant l’allusion à mon petit stratagème de tout à l'heure qui provoquait ça. J'étais davantage occupée à constater que cette sensation de chaleur étrange revenait subitement dans mes mains, fourmillant le long de mes doigts et pressant les engelures que je croyais sentir craquer dans mes veines. La même chaleur qui s'annonçait un peu avant que mon pouvoir ne se manifeste.

Je regardai autour de moi, agitée. Puis, Voltia jappa vers moi, interpellée. Puis, elle exerça plusieurs allers-retours oculaires entre moi et l’entrebâillement de la porte. Call se joigit à son inquiétude, grognant sur un ton averti.

Ignorant du mieux possible mes fourmillements, je jetai à nouveau un œil discret.

Puis je compris dans une vive pique d’effroi pourquoi l’Exagide ne bougeait plus.

Il ne regardait ni son maître, ni Kabu, ni Scolocendre.

Je reculai la tête : un frisson agressa ma colonne vertébrale. Mes engelures intérieures, quant à elles, continuèrent de lutter contre ces brûlures qui remontèrent plus agressivement encore mes phalanges. Je me malaxai les mains, malaisée.

Le Pokémon spectral restait pourtant immobile. Mais soudain, son œil, ruisselant d’une étrange force surnaturelle, se jeta comme un boulet de canon sur moi. Malgré la distance, j’en ressentis nettement l’impact.

Je baissais les yeux : mes mains s'étaient mises à trembler.

« Quoi… !? »

Tout mon corps se crispa.

A nouveau, ce fameux voile de poudreuse blanche enveloppa mes poignets dans tous ces petits picotements chauds.

« Pas maintenant ! »

Je secouai mes mains, paniquée. Mais contrairement à sa manifestation dans le salon de fortune, la lumière de neige se montra plus discrète le long de mes veines. Mon cœur ne cogna pas tant que ça non plus. Mais l'angoisse accula mes sens pendant quelques secondes et j’étouffai un cri dans l'effroi d'être découverte en train de briller comme un lampadaire. Call essaya alors de m’attraper les doigts scintillants comme de la neige au soleil, tandis que Voltia avait d’ores et déjà compris que ça posait un problème que je me mette à scintiller dans le noir.

Brutalement, j’entendis un son rauque provenir de la porte.

J’eus alors le plaisir d’admirer de plus près l’œil vitreux et frissonnant de l’Exagide à la surface usée et pour cause : Il venait de s’approcher de l’entrebâillement dans un silence qui me déstabilisa aussitôt. Je me paralysai, laissant la tâche à mon esprit de sursauter de peur.

Le voile couleur poudreuse continuait de lécher mes mains, étrangement excité par la présence du Pokémon surnaturel. J’en avais les lèvres qui tremblaient.

Voltia grogna alors doucement à travers le clair-obscur, me donnant la nette impression qu’elle s'était mise à discuter avec l’Exagide. Call était, quant à lui, à nouveau hypnotisé d’admiration par l'entité spectrale : il avait la tête penchée et le ronronnement possédé, ne décrochant pas son regard bleuté de celui de son observateur claquant d'aube.

Le calme solennel de l’Exagide me surprenait autant qu’elle finissait curieusement par m’apaiser : les manifestations se calmèrent au fur et à mesure que mes yeux conversèrent avec le sien. Il restait collé à la porte, continuant ce petit son rauque venu d’outre-tombe. Je n’arrivais pas à savoir qui de la curiosité ou de la méfiance l’avait poussé à venir me voir. A côté, j’entendais toujours les deux hommes discuter fortement. Son maître n’avait visiblement pas fait attention à l’étrange addiction de son Pokémon pour une porte de placard à balais.

Soudain, ce fut au tour de Scolocendre de développer une forte attirance pour l’entrepôt de nettoyage.

- Scoloo !

Il poussa des petits cris stridents en bousculant un peu l’Exagide, sans doute par pure enthousiasme passager. Son regard d’insecte enflammé croisa accidentellement le mien et il se mit à s’exciter, très probablement surpris de voir une challengeuse espionner un peu par la force des choses son dresseur.
Si mon coeur avait retrouvé un rythme relativement normal, la tension ambiante tira mes nerfs en avant. J’étais partagée entre apaiser mes propres Pokémon qui cherchaient contact et demander à ceux-là d’arrêter de considérer que c’était normal de discuter avec quelqu’un caché dans un placard d’entretien.

- Mais que faîtes-vous, enfin ?!

C’était Kabu.

Il venait enfin de s’étonner de l’attitude abstraite des deux grands Pokémon, s’approchant avec ce ton qui ne me rassura pas spécialement. Scolocendre s’agita alors vers son dresseur, faisant vibrer ses pattes tout en jetant encore ses yeux insectoïdes vers la porte. Quant à L’Exagide, il avait disparu de mon étroit champ de vision. Le dénommé Argès l’avait suivi de près, lâchant un « Et alors ? Y’a rien, vous l’voyez bien ! Z’avez la berlue, Kabu ? » dont il sembla extrêmement fier à travers ses rires pour une raison qui m’échappa.

M’étant éloigné de l’entrebâillement, je me contentai d’écouter leur voix : Kabu n’essaya à priori pas d’ouvrir la porte. Mais après quelques secondes de silence gênant, le champion de type feu reprit parole avec une certaine ironie.

- Ho ! J’ai compris ! Ton Exagide est simplement accoutumé à fouiner comme toi, Argès !
- Mais vous êtes buté, ma parole ! Il y a kek’chose de pas net dans ce placard ! Regardez votre Scolocendre !
- Balivernes ! Je fais régner l’ordre dans mon stade ! On n’y fait pas de cachotteries contrairement à toi !

Même si personne n’était là pour le confirmer, je palissais probablement à vue d’œil.

Subitement, mon Motismart s’éleva frénétiquement dans un son strident !

Paniquée, je me mis à gigoter les mains dans tous les sens pour l'attraper. Je compris au passage que Nabil venait de très silencieusement me prévenir que je pouvais revenir dans le lobby.

Mais là tout de suite, je voulais que Giratina m’avale dans le néant.

Un carré de lumière m'inonda.

Ils venaient d’ouvrir la porte du placard à balais.

Je venais de me demander quelle excuse il fallait trouver dans les pétrins où habituellement, personne ne se met.

***

C’était Argès qui avait véritablement poussé la porte, me laissant le loisir d’observer son visage de roublard armé d’une paire d’yeux couleur claire et agressive.

Il me décocha une grimace en guise d’étonnement.

- Euh ? D’où tu sors, toi ?

Kabu intervint alors, les yeux écarquillés.

- Challengeuse Leava !? Qu'est-ce à dire ? Vous étiez censée vous trouver au lobby numéro 4 !

Je n’étais pas spécialement choquée à ce qu’il me reconnaisse puisque la moitié de Galar avait probablement visionné la vidéo de mon combat. J’étais en revanche assez gênée qu’il donne mon nom devant l’armoire à glace.

Argès me regarda alors de travers après avoir décoché une expression très perplexe au champion de Motorby. J’ignorais s’il était plus embêté de comprendre que j’avais tout entendu de leur conversation ou s’il se demandait simplement pourquoi une favorite de la compétition visitait un placard à balais.

- Uh ? Vous faîtes dans le bizutage maintenant, Kabu ? J’vous voyais pas aussi entreprenant !
- Par le saint Arceus, essaye au moins d’être fin quand tu me gratifies de tes bêtises, Argès !

L’armoire à glace fit à nouveau claquer ce rire qui irritait un peu trop mes nerfs à mon goût. Je le fusillai aussitôt du regard tandis qu’il venait d'en ressentir l'impact, en témoigna son expression brutalement interdite.

Finalement, en qualité de gentleman, Kabu me tendit la main et m'aida à me relever, prétextant que j’allais salir mon bel uniforme de sport sur le sol. Je me dépoussiérai vivement tandis que Call fit quelques pas en avant, visiblement moins inquiet que moi et Voltia.

Il était toujours fasciné par l’Exagide. Ce dernier continuait de son côté à me fixer inlassablement. Par chance, toutes les manifestations de mon « pouvoir » s’étaient évanouies à temps. Mes mains ne piquaient plus. Mais je sentais que ma chère guerrière électrique restait sur le qui-vive et pour cause : elle avait déjà compris que je n’allais pas beaucoup apprécier l’armoire à glace.

Je finis par faire entendre ma voix dans un demi-mensonge.

- Hum... désolée, je… Mon Salamèche s’était enfui et il a décidé d’aller jouer là-dedans.

Le champion de type feu, pourtant si colérique il y a cinq minutes, sembla s’attendrir.

- Ho ! Votre Salamèche a l'air encore très jeune, il aura voulu explorer un peu, n’est-ce-pas ? Quand mon Feunard n’était qu’un petit Goupix, il aimait se faufiler partout ! Sourit-il.

Il me parut enfin sympathique malgré le fait que je n’étais absolument pas à ma place dans le couloir principal du stade et que ça n’était probablement pas le meilleur moment de raconter les escapades de nos partenaires respectifs. Cela dit, Argès n'entreprit visiblement pas ce même effort d’élan amical : ce dernier s'était penché vers Call, le ton avide.

- Quelle jolie couleur ! Ton Pokémon n’a pas l’air banal ! Il a de la valeur ?

Je m’interposai, ramenant à l’aide de mes jambes, mon Salamèche derrière moi.

- Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

Call s’était laissé faire à mon grand étonnement, peut-être intimidé par la masse peu anodine d’Argès. Je continuais de fusiller ce dernier du regard. Et Il commençait visiblement à s’en décontenancer avec sa bouche tordue et ses froncements de sourcils, les yeux plus perçants encore.

Kabu toussota alors.

- Vous devriez retourner dans le Lobby, Leava ! A mon avis, la coupure de courant a été réparée et il serait bien dommage de rater la cérémonie en qualité de favorite !
- Quoi ? Cette toute petite chose, une favorite ?!
- Un peu de respect, Argès ! Ils font la fierté et la médiatisation du Défi des Arènes, tout de même !
- Heureusement que vous l’dites, Kabu ! J’aurais jamais deviné !
- Bon, ça va aller ?! Et si on discutait de la crise de jalousie que vous êtes en train d'me faire, plutôt ?!

Argès se figea, interdit d’abord puis très vexé ensuite, en témoigna son regard qui passa de la claire cendre aux flammes bouillonnantes. Il s’approcha de moi en se penchant d’un air menaçant.

- Dis-donc, gamine ! T’as intérêt à baisser d’un étage avec moi !

J’étais maintenant sortie du placard à balais.

Nous nous tenions alors au milieu du couloir, moi devant un homme qui faisait bien cinq fois ma taille, et Kabu situé entre nous en qualité de médiateur malgré lui. Je ne détachais pas mon regard criblé d’étincelles de celui de mon opposant. Quant à l’Exagide, il semblait décidément bien similaire à son maître : il me toisait maintenant de manière bien plus mauvaise avec ces frissonnements malsains qui dérangèrent la teinte violacée de son unique orbite.

- Leava ! S’il vous plait, retournez calmement au lobby ! Je m’occupe de raccompagner Argès, Tenta vainement Kabu.

C’était pour se faire subitement pousser par l’armoire à glace.

- Elle n’va pas s’en tirer comme ça ! Personne ne me parle sur ce ton, PERSONNE !

J’eus à peine pris le temps de voir le champion de Motorby reculer maladroitement en affichant un air épouvanté que le visage irrité d’Argès tiré par l’irritation envahit mon champ de vision. J’ignorais si j’étais choquée par le fait qu’il était abusivement impulsif ou par le fait qu’il était visiblement capable de se lancer dans un match en plein couloir de stade. Son propre partenaire spectral était déjà sur le qui-vive.

Kabu tenta vainement de le raisonner, sans grand résultat. Scolocendre piailla lui-même vers Exagide mais n'obtint. Moi, je reculai instinctivement, regrettant un peu ma mauvaise répartie. Je souhaitai subitement que les combats pokémon ne soient pas toujours les seuls moyens de régler un conflit dans ce monde.

Mais Call ne l’entendit pas de cette oreille : il se mit à rugir puissamment devant l’armoire à glace et malgré sa petite taille, lui fit un curieux effet. Pour son plus grand malheur, Argès choisit de s’en moquer outrageusement.

- HA ! Tu crois filer les chocottes à mon Exagide, comme ça !? Il a combattu les pires de ce monde !

Je n’avais pas vraiment besoin qu’il me le confirme : la simple vue de son Pokémon suffisait à me le faire comprendre.

Ce dernier se plaça aussitôt devant son maître, le grognement sorti de je-ne-sais quelle bouche. Et soudain, il se métamorphosa dans quelques claquements sonores : les longs bras noires aux appendices violacées qui couvraient initialement son corps d'épée se retirèrent, s'élevant telles des tentacules devant moi. L'un deux tenait maintenant le bouclier rondelet qui lui avait servi d'étrange prothèse corporelle. La lueur hantée qui gigota dans son œil fantomatique redoubla d'intensité et son corps métallisé d'or terni se mit à scintiller sous les lumières du couloir. Ça aurait pu être fascinant à contempler. Mais des frissons m'avaient tranché le dos.

Argès tendis le bras vers moi, riant à gorge déployé.

- Alors !? On crève de trouille !?
- Attendez, vous êtes sérieux !?

Voltia crispa toute sa fourrure en grognant férocement, des étincelles flagellant son corps entier. L’armoire à glace se redressa alors de tout son long devant moi en croisant les bras.

- Le grand Argès est toujours sérieux quand il s’agit de faire taire des petites morveuses dans ton genre ! Tu vas comprendre à qui t’as affaire !
- Allez consulter, ouaip !

Il poussa cet hurlement qui talonna les crépitements furieux de ses yeux.

- EXAGIDE ! ONDE FO… !

Mais une bombe de flammes explosa violemment contre Exagide !

Le choc fut si violent qu'il percuta de plein fouet la paroi derrière lui.

Et moi, je baissai directement les yeux vers Call.

- ... Hein !?

De la fumée âcre sortait encore de sa petite gueule reptilienne.

Il faisait maintenant claquer sa queue en se pavanant, le grognement fier et le petit sourire satisfait au coin de la gueule. La chaleur provoquée par son attaque voguait encore sur ma peau.

L’Exagide ne s’était pas relevé. Les traces de brulures provoquées par la boule de feu faisaient encore fumer sa peau métallique.

Argès sembla enfin reprendre ses esprits après quelques secondes à probablement tenter de comprendre ce qui s'était passé. Il réalisa aussi certainement que son Exagide l’avait frôlé de très près en s’éclatant contre le mur.

Voltia aboya alors d’exaltation vers Call, l’œil brillant. La tonne de Malasadas dont il s’était empiffré dans la chambre avait eu un effet plus redoutable que je pensais.

Soudain, l'armoire à glace se jeta en hurlant sur son Pokémon toujours à terre. Malgré quelques secousses et appels insistants, l’Exagide répondit à peine avec quelques sons rauques et irréguliers : il était complètement assommé.

Argès abandonna au bout de quelques secondes, reposant délicatement son Pokémon sur le tapis rougeâtre. Mais ça, c’était pour se redresser violemment vers moi, le visage démonté.

- TU VAS ME LE PAYER, SALE GAMINE !!

J’étais déterminée à me défendre.

On vint pourtant de le faire à ma place.

Je reconnus instantanément ce dos si grand qui m’avait déjà protégé dans la forêt de Sleepwood.

C’était Roy.

Il s’était interposé, les mains bien rangées dans les poches de son sweat. Son Motismart voltigeait élégamment autour de lui. En tournant les yeux, je vis Kabu revenir du fond du couloir en trottinant avec son Scolocendre, à peine essoufflé. Je réalisais enfin qu’il s’était éclipsé pendant mon altercation.

Argès s’était brutalement tu : Il sembla interdit mais pas pour les raisons que j’avais envisagé. En penchant légèrement la tête, j’aperçus une expression traumatisée marquer ses traits de roublard.

En revanche, je n’avais aucune peine à me représenter le sourire béat du champion draconien dans ma tête.

- Yo Argès !

Roy se gratta ensuite la nuque en teintant sa voix d’un ton moqueur.

- J’te fais le topo : on vous entend depuis le lobby des champions et la cérémonie est en retard de vingt minutes !

L’armoire à glace ne répondait toujours pas, comme muté par sa présence. Et Roy s’en donnait à cœur joie, visiblement : il venait de légèrement pencher sa tête vers l’Exagide qui avait fini par se relever, néanmoins encore bien assommé par le choc. Je le regardais aussi flotter de travers, son orbite fantomatique à moitié clos clignotant faiblement.

- Si j’étais à ta place, j’prendrais mes clics et mes clacs pour aller direct dans un centre pokémon avant que ça d’vienne compliqué pour toi !

Cette fois-ci, Argès se résigna. Il décrocha une Hyperball de sa ceinture, rappela son Exagide qui se dématérialisa dans un filet lumineux puis, nous quitta précipitamment non sans avoir marmonné des choses que je m’estimais heureuse de ne pas comprendre.



***


Nous étions devant la porte du lobby des champions.

Kabu m’expliqua en quelques mots qu’Argès perdait facilement tous ses moyens devant le champion draconien. Cela dit, il n’avait pas donné plus de détails, me quittant déjà pour aller annoncer que « l’accident était réglé ». J’ignorais s’il parlait de la coupure d’électricité ou de mon altercation fâcheuse dans le couloir.

Roy le suivit de près. Il me décocha un sourire moqueur au passage, auquel j'offris malgré moi une moue irritée. Cela dit, je compris mieux pourquoi Kabu était allé le chercher, même si l’éventualité que ça se passe très mal en me laissant seule avec quelqu’un qui faisait cinq fois ma taille ne lui avait visiblement pas traversé l’esprit.

J’entrai dans le lobby, suivie calmement par mes deux Pokémons : il était bien plus spacieux que celui des challengers.

Il y avait de grandes baies vitrées qui donnaient directement sur le terrain. Leur simple vue me provoqua d’étranges frissons, exaltés sans doute par la taille du stade de Motorby. Call et Voltia affichèrent en revanche des étoiles dans leurs mirettes en se tournant vers moi. Même la moquette rougeâtre à l’aspect douillet, ainsi que les beaux lustres victoriens au plafond ne faisaient pas le poids, apparemment.

Sur ma droite, l’on pouvait voir des tables dressées, jonchées de bonnes choses à manger et à boire. Certains champions semblaient encore s’y rassasier tandis que je remarquais sur la gauche, de grands divans à l’aspect très confortable où discutait tout le reste de la crème galarienne. Je rassemblais alors le meilleur de ma mémoire pour me rappeler l'exposé que m’avait fait Nabil dans le train.

Je reconnus d’abord facilement Rosemary et son Morpeko vers les victuailles.

Elle portait très probablement la tenue de sport de sa propre arène, dans les couleurs fuchsia et d’ébène, détonnant dans le lobby à l’aspect sidérurgique. Cette dernière discutait avec un grand gaillard bien musclé portant une tenue de sport dans les tons verts et blancs. Sa tête était ornée d’un grand chapeau de paille, dissimulant à peine sa chevelure brune et légèrement bouclée. Un Blancoton, Pokémon ressemblant beaucoup à une pousse de plante dont le pistil qui lui servait de tête s’ornait d’un visage d’insecte souriant, se tenait à ses pieds en somnolant légèrement.

Il s’agissait de Percy, le champion de type plante. Nabil m’avait expliqué qu’il était la première arène à vaincre, et connue pour être plutôt facile : « enfin, Percy aime bien dire ça mais en vrai, beaucoup de dresseurs tombent dans le piège à chaque édition ! Gare à ses attaques paralysantes ou empoisonnantes ! », avait plaisanté mon voisin.

Une jeune femme vint les rejoindre, tenant une coupe de champagne à la main.

Elle avait la peau noire, de longs cheveux couleurs d’ébène avec de belles mèches bleutées ainsi qu’un profond regard saphir. Elle portait une tenue de sport similaire à un maillot de bain, ornée de teintes océaniques.

Il s’agissait de Donna, la championne de type eau et maitresse de l’arène à Skifford. J’entendais encore mon voisin me noyer de son froid avertissement : « Si tu ne veux pas qu’un tsunami te surprenne, ne baisse pas ta garde ! ».7

Je me tournais maintenant vers les divans.

Un jeune homme à la chevelure bouclée et blanc écrémé était en pleine discussion. Il avait un petit air suffisant et semblait agacé, croisant fermement les bras avec le visage renfrogné. Il portait en outre, une tenue de sport assez particulière dans des tons pastel rosés et turquoise. Je n’avais absolument aucune peine à me souvenir de lui : Travis, le champion de type fée depuis maintenant dix ans à Galar : « Il a été formé par Sally, ancienne détentrice du titre. Il est insupportable mais c’est pas un adversaire à prendre à la légère, j’parle en connaissance de cause ! », me souvenais-je alors très clairement de la présentation crispée que m’en avait fait Nabil.

Une femme qui était en train de réceptionner ses paroles énervées était assise à côté de lui : elle avait une chevelure volumineuse d’un magnifique blanc immaculé, et une belle mèche couleur glacée tranchant délicatement sa pureté. Mes cheveux cendrés faisaient pâle figure en comparaison. Sa tenue de sport, élégante, tissé comme de la laine, était presque autant claquante de blancheur. A ses côtés flottait un magnifique Beldeneige, Pokémon mite de glace aux ailes fines et scintillantes. J’en avais vu dans les livres mais c’était tout autre chose dans la réalité.

Sa dresseuse supposée s’appelait Lona, la championne de type glace à Ludester. Malgré ses airs maternels, elle n’était pas tendre selon Nabil : « J’ai perdu une fois contre elle et ça fait mal, crois-moi ! J’ai vu des challengers sortir en pleurs, disqualifiés par ses attaques de glace bien horribles à gérer ». Je n’avais aucune peine à le croire en toisant celle qui allait probablement aussi me donner du fil à retordre.

Une autre jeune femme, un peu plus jeune, se tenait vers eux de dos, semblant très concentré sur la conversation. Même si je ne voyais pas son visage, ses cheveux gris courts et joliment volumineux, sa peau mate ainsi que sa tenue de sport très athlétique partagée entre noir et blanc ne me laissaient aucun doute : Faiza, la championne de type combat dont Alistair partageait l’arène à Old Chister : « A chaque édition, ils tirent les challengers au sort pour savoir qui ils vont combattre. Moi, j’étais tombé sur elle. Ça n’a pas été facile, elle ne fait pas dans la dentelle ! », me racontait alors Nabil, secoué par les souvenirs douloureux de son match.

Je me mis justement à chercher le champion de type spectre.

Enfin, il n’était pas difficile à apercevoir puisqu’il était assis tout seul au bout du divan, jouant nerveusement avec ses doigts. Il devait être un peu plus petit que moi et avait les cheveux noirs d’ébène coiffés en bataille. Sa tenue de sport couleur ténébreuse lui allait plutôt bien même si son pull semblait un peu grand. Nabil ne m’avait pas vraiment parlé de lui : comme il n’avait jamais eu l’occasion de le rencontrer sur le terrain, il ignorait absolument tout de ses stratégies au combat et ne s’était pas attardé sur sa personnalité.

Un Mimiqui, petit Pokémon spectre très abstrait qui ressemblait de très loin à un Pikachu se tenait à ses côtés sur le divan, semblant aussi peu enclin à se sociabiliser que son propre maître. En dévorant la grande encyclopédie d’Alola que ma mère m’avait offerte à quinze ans, j’avais passé beaucoup de temps sur les pages décrivant ce Pokémon pour le moins énigmatique. Je réalisais alors qu’ils étaient curieusement plus grands que dans mes interprétations personnelles.

Je me souvins alors qu’Alistair était présent dans les documents secrets de mon père.

Seulement, j’ignorais encore en quoi la Monochrome pouvait s’intéresser à ce jeune garçon (dont je ne crois toujours pas l’âge véritable que m’a certifié Nabil).

Le champion de type spectre leva alors la tête : le Masque étrange, rond et blanc, qu’il portait était très imposant pour son visage mais je remarquais quand même l’éclat timide de son regard violacé.

Je n’en étais pas sûre à cause de la distance mais il sembla subitement me regarder très attentivement, comme s’il avait compris que je l’analysais de loin. Je détournai rapidement les yeux par précaution.

Roy choisit ce moment pour arriver vers moi, accompagné de Nabil. J’étais soudainement très soulagée d’avoir appris ce matin que son statut de second du professeure Sonya lui donnait toujours accès aux espaces VIP.

- Leava ! Tout va bien ?!

Je me contentai de murmurer un « oui » peu convaincant.

- Roy m’a tout raconté : t’as vraiment livré un combat pokémon dans le couloir avec un drôle de type !? Enchaîna-t-il.

Je le regardais de travers, ignorant si je devais lui souligner accessoirement que son message m’avait bien mise dans le pétrin.

- Bah…
- Comment ça s’est passé ? Il a voulu te voler ton Salamèche ?
- En fait…

J’avais curieusement peu envie de révéler qu’Argès ne m’aurait probablement rien fait si je m’étais contenté d’avaler ses commentaires peu agréables. Mais mon côté impulsif en décidait toujours autrement. Et Roy l’avait déjà très bien saisi, en témoigna son sourire taquin.

- Nabil ! Et si tu allais plutôt lui prendre un truc à boire avant la cérémonie ? Interpella alors ce dernier.

Mon voisin hocha énergétiquement la tête avec un « bonne idée ! » volontaire (il n’avait pas l’air de se souvenir que j’avais déjà bu dans l’autre lobby). Il nous quitta brièvement, s’approchant alors de Rosemary et les deux champions d’arènes aux tables qui l’invitèrent à papoter avec eux. Au préalable, ils jetèrent un bref instant leurs yeux vers moi avant de me saluer d’un geste amical de la main, à commencer par la championne de Smashings qui sembla très contente de me revoir. Je leur répondis avec un sourire un peu gêné.

Roy se tourna alors vers moi, toujours les mains bien fourrées dans les poches de sa veste. Son regard était adorablement insupportable, comme d’habitude.

- Redescend sur terre, j’avais pas besoin de toi ! Lâchai-je, excédée.
- Je sais, tu n’as jamais besoin de personne. C’est pour ça que je prends l’habitude d’intervenir !
- T’es intervenu parce que le champion de Motorby est venu te chercher, nuance !
- Ho, mais c’est qu’on a l’air déçu… ?
- NON… !

Je m’apprêtai à lui cracher sèchement ma vexation quand Nabi revint avec un grand verre d’eau fraiche. Je lui pris le plus naturellement possible, profitant allégrement d’y noyer mon aigreur. Nabil, lui, continua sa syncope passagère.

- Puisque j’te voyais toujours pas revenir, j’ai direct couru chercher de l’aide au lobby des champions et là, j’apprends que Kabu était sorti dans le couloir ! J’ai paniqué à fond ! J’ai cru que tu t’étais faite prendre !

Je me crispai, mon regard à la fois alerté et jeté comme une fusillade dans celui de mon voisin. Ce dernier avait l’air de comprendre l’immensité de sa bourde, en témoigna le malaise qui marqua aussitôt son visage. Ça n’échappa pas à Roy pour mon plus grand désarroi.

Par chance ou par mauvais présage, il ne le releva pas. Mais son rire étouffé ne contribua pas à m’apaiser.

- Et sinon, évite d’aller te promener ailleurs quand tu participes à la cérémonie d’ouverture du plus grand événement sportif de Galar ! Je te rappelle que c’est le meilleur champion galarien, donc moi, qui te recommande ! Ça le fait pas trop ! Fit-il remarquer sur un ton un peu trop teinté de vanité.
- Hey ? Kabu était aussi dans le couloir, j’te signale ! Réagis-je soudainement.
- Lui, c’est pour aller voir qui fouinait vers les chaufferies. Tout le système de surveillance du stade est directement reporté sur son Motismart, c’est plutôt utile !

Je me figeai, repensant à la porte explosée d'hier : j'avais peut-être eu la très bonne idée de ne pas me soucier si mes méfaits divers pouvaient être pris la main dans le sac d’un Cadoizo.

Nabil vint évincer cette angoisse passagère.

- C’est un peu bizarre ! Il a toute une équipe de sécurité pour ça, non ?

Je me souvins brièvement du vol de cuivre que Kabu avait mentionné avec Argès.

- Je crois qu’il y a eu des déprédations la semaine dernière… Ça avait l’air plutôt sérieux, informai-je à moitié.
- Ha ! J’comprends mieux alors, connaissant le sens de l’ordre de Kabu… Mais ce mec était le coupable ? Continua mon voisin.

Malgré mes méconnaissances sur le champion de Motorby, je n’étais pas autant convaincue de son autorité naturelle. L’armoire à glace semblait l’avoir un peu trop facilement désarçonnée.

- Argès ? J’le crois pas capable de ça même si c’était un peu bizarre qu’il se ramène avec son Exagide, j’vous l’accorde ! Participa alors Roy.

Mon voisin ne perdit pas de temps à s’exclamer brutalement sur moi.

- UN EXAGIDE ? Tu t’es battue contre un Exagide !?
- Euh… Oui mais c’est si surprenant ? Soulignai-je, agacée avant de continuer à me noyer dans mon verre d’eau.
- C’est un sacré adversaire quand même ! J’aurais aimé le voir ! Et tu l’as vaincu comment ?

J’étais partagée entre lui dire simplement avec une attaque Flammèche ou avec une véritable boule de feu anormalement engendrée par un Salamèche nouveau-né. Call semblait très bien saisir que l’on sous-entendait son exploit de tout à l’heure, en témoignèrent le claquage régulier de sa queue enflammée et ses petits grognements téméraires.

- L’essentiel dans tout ce ramdam, c’est que je sois arrivé avant qu’Argès ne me la casse en deux, Nabil ! S’exclama sur un ton encore plus agaçant, le champion draconien.

Il venait d’attraper son Motismart en vol. Moi j’avalais légèrement une gorgée de travers avant de me tourner vers Roy, décidément effarée par sa vanité. Nabil ne semblait toujours rien remarquer de mon malaise, acquiesçant honteusement à ses propos dans un claquement de rire.

Je croisai alors le regard émeraude du champion de Kickenham, visiblement toujours exalté de me titiller les nerfs. Par respect pour mon voisin, j’évitai de devenir insultante. Puis, Nabil décida pour mon plus grand soulagement de nous quitter pour aller s’installer dans les gradins des invités. Il proposa quand même d’emmener Call qui se laissa prendre dans ses bras sans aucun problème : il s’était déjà mis à bailler depuis cinq bonnes minutes. J’acquiesçais à sa proposition avec un sourire déjà moins forcée. Voltia jappai en guise d’au revoir avant d’aller curieusement s’asseoir vers Roy pour contempler le lobby avec des yeux attentifs.

Ce dernier étouffa un petit rire amusé. Il s’agenouilla pour caresser affectueusement mon Pokémon qui remua amicalement les oreilles. Je le regardais faire, expérimentant un léger élan d’attendrissement.

Puis, il se releva en affichant toujours son sourire béat.

- Tu m’as impressionné, p’tite dragonne ! J’connais pas foule qui ose tenir tête à ce grand roublard d’Argès !
- Tu essayes de me complimenter maintenant ?

Son sourire insolent perturba mon incroyable manie à ne jamais vouloir lui donner raison.

- Ca m'a seulement rappelé ma première rencontre avec lui ! Il apprécie défier les p'tites têtes brûlées dans ton genre ! Vous vous ressemblez un peu d'ailleurs, à jamais réfléchir quand vous vous énerver !
- On est censé se défendre quand quelqu’un nous cherche des noises !
- T’étais censée être dans ton lobby, surtout !
- Si j’étais censée être dans mon lobby, je n’aurais pas pu aider Kabu à se débarrasser de ce type ! On remercie qui ?
- Merci beaucoup, Maître Roy !

Je sursautai.

Kabu venait de revenir vers nous, par pure magie d’abord. Mais après observation, je réalisais qu’il venait simplement de sortir d’une autre salle connectée au lobby. Voltia jappa en guise de bonjour à son Scolocendre, qui lui répondit dans un sifflement amical.

Il était accompagné d’une employée du stade dont les teintes enflammées de son uniforme de gardienne étaient presque intimidantes. Voltia s’empressa aussi de saluer dans un autre jappement, le Caninos qui trônait à ses côtés.

J’essayais tant bien que mal de garder contenance mais j’étais certainement aussi rouge qu’un Octillery. Ça n’échappa (évidemment) pas à Roy qui me décocha un regard horriblement moqueur. Puis, il se tourna vers le champion de Motorby.

- Pas de quoi, Kabu. J’espère que ça n’a pas gâché ta journée !
- Pas le moins du monde ! Et puis maintenant que tout est résolu, la cérémonie va pouvoir commencer ! Challengeuse Leava, toutes mes excuses de vous avoir emmenée ici mais il était préférable à ce que vous ne vous rendiez pas seule jusqu’à votre Lobby après ce qui s’est passé !
- Euh… D’accord…

L’employée sembla murmurer quelque chose en hâte au champion de Motorby.

- Les challengeurs ont commencé à entrer sur le terrain ! Il est temps pour vous d’accomplir ce pourquoi vous êtes là, n’est-ce-pas ?

Son ton ne fut pas aussi amical que je l’espérais. Je me contentai alors d’hocher la tête, déduisant qu’il ne s’était simplement pas encore remis de son altercation avec Argès.

Lorsque l’employée me fit signe de la suivre, je ne demandai pas mon reste, plaquant mon verre d’eau vide contre Roy sans même le regarder.

Nous traversâmes le lobby entier pour atteindre les grandes portes coulissantes. Voltia gambada vers moi, visiblement excitée à l’idée de frôler la pelouse du stade.
Mais le malaise que j’expérimentais depuis que j’étais ici n’aurait pu s’estomper que dans l’isolement total : soutenu par les regards de certains champions, il venait de prendre de d’ampleur.

Parce que si certains d’entre eux m’encouragèrent à coup de paroles amicales et des sourires bienveillants sur mon passage, le contraste perturbant avec la mine hargneuse de ce Travis fut suffisamment fort pour me déstabiliser : il venait probablement de me remarquer mais n’en démontra pas plus de sympathie. Ça devait être dans sa nature de détester les gens.

L’expression plus condescendante de Lona ne m’avait pas non plus échappée : même si elle avait esquissé un sourire qui aurait pu paraître amicale pour celles et ceux qui ne savaient pas lire derrière les visages, c’était précisément la raison pour laquelle je ne lui répondais pas favorablement. Mon faciès tiré par l’appréhension avait probablement dû lui faire très plaisir mais je ne cherchais pas à confirmer cette idée.

Puis enfin, je compris dans un éclair de conscience qu'ils n'étaient pas responsables de mon mal-être.

A dire vrai, mon mal intérieur avait commencé au moment où j’avais observé une personne bien précise.

Alistair se tenait maintenant au bout du lobby, debout, devant les portes coulissantes. Il était resté à l’écart des autres, et semblait même très craintif à l’idée d’aller voir le public. Il remuait légèrement et jouait toujours avec ses doigts. Son Mimiqui était collé à ses jambes.

Nous nous arrêtâmes alors devant les portes coulissantes. Je remarquais que l’employée était pendue à son Talkie-Walkie tandis que son Caninos s'était mis à papoter avec Voltia ( elle m'apprit en quelques mots ensuite qu’ils avaient décidé finalement de faire rentrer les attroupements, un par un et je faisais partie du dernier).

J’avais donc entièrement le loisir de tenir compagnie à Alistair.

Il avait largement remarqué ma présence, ce qui ne contribuait visiblement pas à le calmer. J’étais même étonnée de constater à quel point il était très mal à l’aise pour un champion d’arène à Galar où la médiatisation était omniprésente. Mais sous cette tension pour le moins curieuse, j’osais malgré tout un premier contact.

- Hey, salut… Tu t’appelles bien Alistair, n’est-ce-pas ?

Il sembla sursauter, bégayant des phrases incompréhensibles. Son Mimiqui couina légèrement, interpellant Voltia et le Caninos qui le regardèrent ensuite, perplexes.

Finalement, il me fit entendre quelques mots clairs.

- … Oui… Et toi, tu es Leava Truegold.

Ce premier dialogue était horriblement gênant.

- Ha ! J’oublie souvent que Galar tout entier a vu mon combat sur Internet ! Mais si en plus, vous avez parlé de moi à votre réunion, tu dois en avoir assez d’entendre mon nom ! Riai-je doucement dans l’espoir de faire diminuer notre malaise commun.

Il sembla plus réceptif.

- … J’ai apprécié… regarder ton combat.

Je ne me pus m’empêcher d’afficher un certain étonnement, imaginant étrangement mal Alistair surfer sur le net.

- Est-ce que ça va ?

Il leva légèrement son regard violacé dans un geste un peu plus vif, comme surpris par ma question.

- Ha… Euh…

Il sembla chercher ses mots.

- Je n’aime pas la foule… ça me tétanise…

Je commençais vraiment à me demander si je parlais avec un champion d’arène.

- En fait, je te comprends… En fait, si je pouvais ne pas aller me pavaner devant le public, ça m’irait aussi ! Si seulement les combats Pokémon pouvaient se passer à huis clos ! Plaisantai-je pour tenter toujours plus de détendre l’atmosphère.

A ma grande surprise, ça sembla fonctionner. Alistair jeta un œil vers les vitres bombées. Il remit en même temps, son grand masque blanc en place. Après quelques minutes, je compris plutôt qu’il essayait davantage de dissimuler une étrange gêne à mon égard.

- Désolée, je pensais être drôle.
- Ho non, ça m’a fait rire.

J’étais encore en train de chercher à quel moment il avait réagi à ma blague.

Alistair garda alors brièvement le silence. C’était pour mieux le percer d’un soudain élan d’émotion.

- Est-ce que… Je peux te poser une question ?

Sa voix devenue plus sérieuse m’ébranla. J’acquiesçai néanmoins par un « oui, bien sûr ! » plutôt amical.

Je ne pensais pas tant le regretter.

- Ça fait longtemps que tu as froid comme ça ?

Je me figeai.

Et mon regard s’évanouit brutalement dans le sien.

Alors, le long de mes veines endolories, ces engelures se mirent de nouveau à gémir, attaquées par cette bourrasque de chaleur agressive. Mes mains piquèrent violemment. Mon cœur se souleva. Et à nouveau, j'entendis ces hurlements tenter de percer la carapace cryogénisée qui emprisonnait cette « chose » au fond de moi.

« Qu’est-ce que c’est… ?! »

Soudain, l’employée m’attrapa la main, dans un « Allez, on y va ! ».

Maladroitement, je posai mon autre main sur le front.

Il était gelé.

Et puis dans le néant, soudain, le stade autour de moi s’évapora.

(…)

J'étais allongée dans un lit d'hôpital.

Il y avait trois personnes autour de moi, trois vaporeuses silhouettes.

Leurs voix discutaient dans un brouillard de sons incompréhensibles.

La plus proche avait la main posée sur mon front. Un grand Pokémon blanc comme glace se tenait près du matelas.

La deuxième personne se tenait de l'autre côté du lit. Il semblait baisser la tête, une main couvrant peut-être son visage. Un autre Pokémon était à ses côtés, perchée sur quelque chose. Il semblait rouge comme le feu.

La troisième était assise sur une chaise, face à mon lit. Elle avait entré sa tête entre ses bras.

Et ses pleurs me hantaient.

Plus j’avais froid, plus ses larmes coulaient.

(…)

"Pardonne-moi..."



***