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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 05/11/2023 à 18:19
» Dernière mise à jour le 05/11/2023 à 18:19

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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Confidences
Notre marche silencieuse nous avait amenées à nouveau au centre de Motorby. Les festivités continuaient de battre leur plein dans l’avenue principale, écrémant l’atmosphère de douces teintes musicales.

Sonya n’avait pourtant pas l’air de s’y diriger.

Je la suivais d’un pas machinal, les pensées encore dérangées par ma vision de tout à l’heure. Je n’en étais pas tant certaine, mais j’avais entendu des mots familiers remuer dans cette sensation de brûlure qui avait agressé mes veines. Mais trop effrayée pour les écouter, ils s’étaient rendormis. Sonya ne m’avait pas posé davantage de questions et à dire vrai, j’en étais soulagée. De toute manière, elle semblait bien plus concentrée à suivre un itinéraire précis dans les rues étroites, nous engouffrant de plus en plus dans la vieille ville de Motorby.

Nous empruntâmes plusieurs escaliers de pierre puis de métal, tous descendant vers les quartiers les plus proches du canal artificiel. Ici, l’on pouvait contempler de très près les rouages en action, tous reliés aux systèmes d’évacuation et de purification de l’eau de la cité sidérurgique : ils tournaient paresseusement dans la fumée claire, émettant de légers cliquetis dans les remous de la rivière urbaine.

La luminosité ambiante se montra alors plus feutrée, et j'observai les lampadaires victoriens combattre avec ferveur les ombres qui couvrirent petit à petit les derniers faisceaux du crépuscule. Puis je me concentrai sur mes pas, remarquant l’état usé du macadam avec ces immenses irrégularités qui manquaient parfois de me faire perdre l’équilibre. Fulgudog et Voltia n’avaient pas spécialement l’air de s’inquiéter de cette drôle d’expédition, gambadant l’un à côté de l’autre en élançant leurs yeux partout. Moi, je croisai les bras, scrutant soucieuse les avenues chaotiques aux briques couleur terre avec ces étranges magasins fermés et cette brume curieuse qui perlait dans le vide clair-obscur.

« Bon sang, on va visiter quoi ? Des catacombes ? »

Soudain, des Pokémons bousculèrent des poubelles métalliques non loin de nous.

Je manquai de glisser sur le vieux macadam, avant de voir des Goupilous disparaître derrière un grand muret. Il s'agissait de petits Pokémons endémiques de la région galarienne, petits renards au pelage rougeâtre et à la grande tête expressive mais malicieuse. J’imaginais rapidement que ses quartiers retirés devaient probablement servir de cachette idéale pour les Pokémons sauvages qui s’étaient habitués à vivre en milieu urbain.

La jeune professeure, qui avait étouffé un petit rire devant la cavalcade des Goupilous, m’informa que nous étions arrivées au cœur des fondations de Motorby, où les premières habitations avaient, semble-t-il, été érigées. A une époque, la ville était essentiellement un assemblage de grandes usines et autres sidérurgies avant que de riches entrepreneurs ne viennent construire les quartiers citadins tout en renforçant les diverses entreprises écologiques de la cité industrielle. Depuis, différentes zones d’habitations avaient suivi cette évolution, jusqu'à donner naissance à la vieille ville actuelle.

Après bien des détours dans des avenues de plus en plus petites et de moins en moins fréquentées, nous arrivâmes à une bifurcation. Je me mis à observer, fascinée, l’étrange sagesse des murs de briques bordeaux aux traits cimentés discuter silencieusement avec le macadam bosselé de cette rue étroite se terminant en cul-de-sac. Un timide voile crépusculaire était en train de caresser l'obscurité pesant sur elle.

Soudain, Sonya se tourna vers moi, la main en avant.

- Voilà, c’est ici que je devais t’emmener !
- Je te demande pardon ?

Elle jeta un œil furtif autour d’elle malgré l’aspect désert de la ruelle avant de me décocher ce sourire malicieux.

- Notre champion de Kickenham m'a confié une mission quand il a appris que tu confirmais ta participation au Défi des Arènes ! Après mon travail au laboratoire, je devais te retrouver au verre de bienvenu puis te faire visiter Motorby en attendant son feu vert, éclaircit alors Sonya sur un ton affirmé.

Je vis alors son Motismart sortir furtivement de sa poche pour tournoyer autour d'elle, visiblement fier d'avoir pris part à cette expédition. J'ignorais quand elle avait eu le temps de le consulter. En revanche, je venais de saisir la raison de cette étrange joie qui avait marqué le visage de la professeure lorsqu’elle avait (heureusement) interrompu ma confrontation avec cet abruti de Fall Embersky. Enfin, je ne savais pas si c’était une bonne nouvelle.

Elle me fit mine de la suivre d’un geste discret de la main. Je choisis alors, sans trop comprendre pourquoi. de lui faire confiance.

L'obscure fin de cette rue condamnée révéla une porte de fer dans le mur à gauche, dont la surface était placardée de quelques affichettes publicitaires où je reconnus le logo de la ligue de Galar. Voltia huma cette entrée de ferraille avant de secouer légèrement la tête, intriguée. Mon air perplexe n’échappa pas non plus à la jeune scientifique.

- Hey ! Ce n’est pas une effraction ! Il sait que tu es là !

Je penchai la tête, encore plus effarouchée.

- Vous êtes sérieux ? Il pouvait pas juste m’attendre dans le hall du stade ?
- Je pense surtout qu’il a préféré à ce que vous ne soyez vraiment que tous les deux sans un troupeau de groupies à vos trousses, se moqua gentiment la jeune scientifique.
- Ha... Il est prévenant.. enfin, je suppose ?

Ma pâleur et mes traits tirés ne semblèrent pas avoir diminué depuis tout à l’heure. Je n’avais qu’à regarder Sonya pour m'en persuader.

- Ca va, d’ailleurs ? Tu m’as fait peur à la gare, j’ai cru que tu faisais un malaise… regretta-t-elle, se tortillant un peu sur ses jambes.
- Ho, te tracasse pas ! Je dois être stressée par la compétition et ça me fait voir des choses, c'est tout !

Elle sembla se contenter de ce mensonge grossier.

J'hésitais pourtant entre fuir le plus loin possible, et disparaître tout de suite dans un trou de Rattata. Finalement, le résultat était le même : je n’avais plus aucune idée de comment avancer dans les plans que j’avais magouillés dans ma tête depuis ce matin. Voltia restait collée à moi, indécise. Nous partagions le même état d’esprit, profondément incapables de raisonner les étranges sentiments qui nous prenaient au ventre depuis quelques minutes.

Soudain, un coup de sonnerie secoua le Motismart de Sonya dans les airs.

- Ils plaisantent !? Ils veulent ce rapport pour demain matin ? Mais j'avais encore deux jours, la flemme !

Elle tempêta contre je ne sais quel niveau de sa hiérarchie. Je me tournai alors vers elle, proposant simplement à ce qu’on se retrouve un peu plus tard. Son teint soucieux laissa entendre qu’elle n’était pas très encline à me laisser seule dans mon état. Je la rassurai du mieux que je pus malgré mes yeux brillants de fatigue. Elle prit alors soin d’embarquer mon sac de viennoiseries afin de me délester un peu, puis s'en alla d'un pas pressé, suivie de Fulgudog qui jappa un "au revoir" joyeux en direction de Voltia. Elle m'avait griffonné son numéro de téléphone sur un bout de papier, aussi. Je me demandais juste comment j’allais pouvoir l’appeler sans Motismart.

Je levai les yeux vers les premières étoiles plafonnant le firmament ensommeillé : il se faufila, discret, dans cette fente étroite formée entre les deux bâtiments. Je crus alors entendre les battements de mon propre cœur rebondir contre les murs de briques. Gênée, j'observai mes mains en les malaxant.

Elles piquaient un peu.

« Ça ne fait pas longtemps mais… »

J’allais revoir Roy, bien loin de son regard se brisant de rancœur sur moi.

Je l'espérais.



***


Je mis toute ma force sur la lourde poignée de métal. La porte répondit avec beaucoup d’enthousiasme à ma volonté.

- Wow !?

Mon corps balança en avant !

Je me redressai aussitôt, mes mains toujours accrochés au poignet de la porte de fer. Un tas de cartons avait visiblement subi ma débandade et gisait maintenant grossièrement devant moi.

Mon regard balaya fébrilement ce couloir feutré qui nous reçûmes. Voltia s’engouffra entre mes jambes d’un pas assuré, humant l’air ambiant avec une curiosité bien à elle. Le corridor, particulièrement petit. était plongé dans une lumière tamisée. La masse étonnante de boites de rangement qui l'obstruait rendait le passage plus étroit encore. Le logo vectorisé d’un Motismart était imprimé sur la plupart des cartons.

Soudain, ma chère guerrière électrique redressa les oreilles, le ronronnement interpellé. Puis, elle piqua une tête dans le capharnaüm.

- Voltaliii !
- Hey, mais attends !?

Le couloir difficile d’accès ne la découragea visiblement pas. Et moi, je renversai d’autres cartons au passage. Puis, Voltia s’arrêta et tourna son œil brillant pour le jeter dans le mien. Elle sembla étrangement excitée. Moi, je me mordis la lèvre. Notre présence était déjà tellement bruyante que je m’attendais à tout instant voir débarquer le propriétaire des lieux pour me dénoncer à la police de Motorby.

Heureusement, rien ne bougea.

Mon regard tomba alors par hasard sur les quelques posters accrochés au mur à côté de moi : l’on pouvait admirer sur la plupart, le stade de Winscor que j’avais déjà remarqué dans les vidéos publicitaires de l’aéroport. Certaines affiches commençaient visiblement à dater puisqu’un autre Maître de Galar figurait sur l'énorme terrain de combat. Ce dernier, paré d'une cape similaire à celle du frère de Nabil, livrait bataille avec un Ekaiser, grand Pokémon dragon longiligne à la cuirasse beige impénétrable ainsi qu’un Shaofouine, élancé Pokémon combat ressemblant à une belette blanche à la tête allongée avec de massives pattes musclées. L’on trouvait aussi sur le mur, des pancartes représentant Tarak encore adolescent. Son Dracaufeu présent à ses côtés n’était pas concerné par l’impact du temps en revanche.

J’arrivais finalement au bout du couloir dont la pénombre se faisait actuellement percer par un carré de lumière chaude. Celle-ci semblait indiquer la présence d’une salle plus grande à ma gauche.

Un couinement très faible parvint discrètement à nos oreilles.

Puis, lorsque le jet lumineux figé nous doucha, Voltia fit la fête à un petit Pokémon : Mucuscule.

Il avait d'abord l'air ensommeillé. Puis, probablement à force d’entendre les jappements joyeux de ma guerrière électrique, se mit à accompagner la cadence en remuant frénétiquement vers elle.

Je soupirai profondément en souriant, laissant mes dernières craintes s’évanouir. Puis, cet autre bruit força mon attention à se pencher entièrement sur la salle en question.

« Hein… ?

Il s’agissait d’un petit salon à la moquette couleur eau de pluie faisant visiblement office d’entrepôt de matériel informatique. La pièce devait probablement donner sur la petite avenue que nous avions traversée pour arriver à la ruelle condamnée à en constater l’agencement des grandes fenêtres. Enfin, il aurait été difficile d'aller le confirmer avec le nombre incalculable d’ordinateurs qui étaient entreposés devant elles. Il y avait quelques meubles de bois à la surface abimée par les caprices du temps. D’autres cartons occupaient un peu tous les recoins aussi. Certains semblaient neufs et bien remplis, tandis que d’autres étaient lamentablement échoués sur le tapis. Je remarquais une autre porte non loin des fenêtres, indiquant très probablement que l’appartement devait compter quelques autres pièces. Un certain nombre de chaises en bois était empilé non loin de là.

Cela dit, j’étais surtout intriguée par le fait que Roy dormait à poings fermés sur le seul divan de ce salon de fortune.

Je restais d’abord immobile, ceci avant d’esquisser un rictus soulagé du poids qui avait tant pesé sur mon conscience depuis le début de la journée. J’ignorais quels efforts avaient mené le champion draconien à se laisser bercer par les plumes de Cresselia mais j’étais contente de ne pas devoir me demander dans la panique si j’allais avoir la voix nécessaire pour lui adresser la parole. Voltia et Mucuscule étaient à mes jambes, probablement aussi attisés de curiosité que moi. Je leur fis mine de ne plus faire le moindre bruit.

Je m’approchai sur la pointe des pieds, respirant si lentement qu’il était étonnant à ce que je n’ai pas encore perdu connaissance.

- Roy ?

Le son de ma voix résonna en chœur avec sa respiration profonde.

Je continuai mes appels furtifs.

Ils se contentèrent de chatouiller l’air enfermé de la pièce.

Pourtant, et pour une raison absurde, je trouvais Roy adorable comme ça. Sa respiration paisible avait posé le curieux effet d’une pommade sur mon esprit encore effarouché par l'agressive vision de tout à l'heure. L’espace d’un instant, j’avais, moi aussi, envie de fermer les yeux et de me laisser emporter dans le royaume du sommeil. J’étais presque amoureuse à l’idée de m’asseoir à côté de lui pour continuer à écouter sa sieste si tranquillisée par je ne sais quel monde onirique. Dans d’autres circonstances, je n'aurais jamais hésité.

Puis, mon regard tomba sur le sol, plus précisément sur un carnet à la couverture brunâtre, fermée par un élastique et frôlée par la main du champion draconien qui pendouillait le long du divan.

Je me baissai prudemment. Roy ne réagit pas. Les paroles de Sonia revinrent comme un jet électrisé dans ma mémoire.

« Wouah... »

Je feuilletais plusieurs fois le recueil, sans vraiment le lire. En fait, je ne savais pas par où commencer. Tout ressemblait à des torrents de mots qui inondaient les surfaces grisées des pages. Il y avait parfois des esquisses de Pokémon en plein combat. Des silhouettes de dresseurs dans le feu de l'action. Des reproductions survolées de ce qui s'apparentait à des Zénith, des Danse-Pluies, et des Tempêtes Sable. Une étrange cascade venue du ciel, pour se jeter dans un océan de textes.

Et puis il y avait ce ruisseau, glissant dans la houle.

(…)


Froid brûlant
Il pleure, je vois
Soleil blanc
Hurlé sans voix
Son éclat blessé
Panse encore

En-dessous, une esquisse de Libégon se levant devant une petite silhouette agenouillée et entourée du crayonné massif d'une explosion de brillance.

Je détournai l’esprit, apeurée. Ma tête cogna. Mes doigts fourmillèrent. Et je sentis cette main gelée se reposer sur mon front.

« Je ne pouvais pas voir cette lumière parce que… »

Dans la chambre d'hôpital, paralysée sur mon lit, elle s'agrippa. J'attrapai son poignet. Je la suppliai en pleurant. Puis, mes mains me firent atrocement mal. Et ces scintillements brûlèrent mes doigts. Alors, je crus apercevoir cette lueur bleue glace étouffer encore le givre lumineux sorti de mes poignets, entre les draps froissés et les perfusions.

Je fixais la scène rapportée au crayon, le cœur en pagaille.

Et je refermai le carnet !

Roy venait de bouger dans son sommeil.

Reposant précipitamment le recueil sur le sol, je repris vaguement contenance avant de m’approcher sans trop savoir pourquoi du divan, sans doute pour m’annoncer en douceur.

Voltia fut moins de cet avis.

- VOLT !
- HEY !?

Aurais-je voulu prier Arceus pour qu’il dorme encore ? Sans doute, comme ça je n’aurais pas eu à croiser ni son regard émeraude bien ouvert sur moi, ni son sourire horriblement satisfait : j'étais allongée de tout mon long et à la verticale sur son torse.

- Tiens ? Une p’tite dragonne !

Je me dégageai aussitôt pour m’aplatir sous un million d’excuses, cachant vainement mon visage dans mes mains.

Tandis que je me tortillai en lui tournant le dos, Roy se mit en position assise à en écouter les craquements du divan. Je me retournai ensuite vers lui sans trop comprendre pourquoi je n'en profitais pas pour fuir à l’autre bout de Galar. J
Il me regarda avec cet air béat que je me détestais à avoir tant voulu revoir depuis l'accident de Sleepwood.

- Sonya a bien suivi mes instructions ! J’suis content… Bailla-t-il, ses yeux perlés de quelques larmes.

Je fis l'expression stupéfaite la moins convaincante du monde.

- Tes instructions ? Je suis entrée comme une voleuse dans cet… endroit !

Je remarquais malgré moi que son carnet avait disparu de la moquette.

Il sourit malicieusement.

- Ca... c’est un peu ta faute !

Avant que je ne réagisse à son accusation faramineuse, Roy se leva, ravivé d’une énergie sensiblement venue de nulle part. Il sortit ensuite une boite blanche de derrière son dos pour me la tendre. Je réalisais alors qu'elle était probablement caché dans un coin de coussin avec lui pendant qu'il piquait sa meilleure sieste sur ce divan de fortune.

Son sourire restait adorablement insolent.

- Bah, prends ! Ça ne mord pas !

J’ignorais si j’avais envisagé que mes excuses se passeraient dans un capharnaüm de cartons mais visiblement, elles allaient devoir attendre : l’étrange affection qui bousculait actuellement mes ventricules était si invasive que je ne savais même plus pourquoi je devais lui demander pardon.

Curieusement, le champion draconien semblait détendu. Son Motismart voltigeait paresseusement autour de lui même s’il ne semblait pas filmer quoi que ce soit. Ça devait être juste une habitude de le laisser planer à son aise dans les airs.

J’évitais alors le plus possible son regard pour ne pas me décontenancer davantage mais je me ratais magistralement en attrapant d’une main fébrile la boite.
Je jetai ensuite un œil rapide vers mon Pokémon qui sembla m’encourager à ouvrir mon étrange cadeau dans tous ses jappements excités. Cela dit, mes gestes étaient si prudents qu’ils dissimulèrent mal mon appréhension.

Mais il n’y avait peut-être pas besoin d’alerter la police internationale : j’observais maintenant, fascinée, ces flocons scintillants creuser la surface lisse de blancheur aseptisée d'un téléphone portable qui épousait un petit coussin de velours immaculé dans la boite. Je le sortis délicatement de sa couchette de princesse, l’observant de tous les côtés comme si je voulais m’assurer qu’il était bien réel.

- C’est un Motismart blanc ! Il est tout blanc !
- Il te plait ?
- IL Y A DES FLOCONS DESSUS !

L’éclat de rire du champion draconien avait l’étrange faculté de panser les écorchures de mes nerfs.

- J’ai bien trop pensé à toi en le voyant en vitrine, l’autre jour ! Et comme ça, tu me voleras plus le mien !

J’écarquillai les yeux vers lui.

- Trop cool ! Merci Roy !

Pour la première fois, je crus discerner une émotion autre que cette habituelle effronterie sur son visage. Mais il tourna la tête, couvrant brièvement sa bouche avec sa main.

- En fait, il te manque que le Motisma qui va avec mais mon pote tarde un peu, là...


Au même moment, un lourd claquement métallique retentit dans le couloir, suivi d’une centaine de grommèlements qui tempêta contre les cartons bouchant le passage. On devina aussi le caquètement très appuyé d’un Pokémon.

- Ha ! Quand on parle du Lougaroc ! S'exclama Roy sur un ton amusé.

Un jeune homme à lunettes et aux cheveux noirs impeccablement coiffés en arrière apparut alors à l’entrée du salon, accompagné d’un Dispareptil, Pokémon lézard fantomatique au crâne rappelant la forme très élancée d’un avion de combat. Il tenait dans ses mains, une pokéball.

- J’ai récupéré le bon Motisma ! J’vous jure, mon patron est tellement tête en l’air : me refiler une pokéball vide, c’est tout lui ça !

Roy éclata de rire.

- T’es presque arrivé avant la nuit, Patxi ! Tu t'améliores !

L’uniforme de sport qui se cachait sous la petite veste de ce jeune homme ressemblait étrangement à celui de Roy.

- Je te présente le secrétaire de mon équipe de lascars avec qui on s’entraine au stade de Kickenham ! Il bosse aussi au magasin Moti-Phone à Motorby ! Bon, c’était tendax pour ton Motismart blanc mais je lui ai forcé un peu la main, quoi… Expliqua le champion draconien non sans dissimuler cette extrême fierté d’avoir obtenu d’après lui, le dernier modèle édition limitée.

Patxi se figea d'abord en m’apercevant. Il me toisa ensuite de haut en bas, remarquant le fameux trésor technologique dans mes mains.

- C’est donc toi, Leava Truegold ? Monsieur Kibana n’arrête pas de me parler de toi depuis ce matin.

Mon air perplexe ne lui avait visiblement pas échappé à en décoder le ton amusé de sa voix. J’ignorais encore si j’étais plus choquée par le fait qu’ils avaient apparemment imploré le ciel de Rayquaza pour me procurer ce Motismart ou tout simplement par le fait d’avoir été un sujet de conversation dans la bouche du champion dragon galarien.

- Ha… Enchanté… Articulai-je dans un rire nerveux.
- C’est cool que tu sois retourné chercher le Motisma, bro ! Sinon, ma surprise tombait dans l’eau des Têtartes ! S’exclama alors Roy.

Ce dernier posa sa main sur mon épaule, exerçant une très légère pression. Etonnamment, je ne me sentis pas encline à détester ça.
Patxi lâcha alors les quelques sacs qui encombraient son poignet dans un coin avant de se tourner vers nous.

- Je te dois bien ça ! J’ai drôlement progressé en stratégie de combat grâce à tes programmes ! C’est un plaisir de combattre en duo avec mes Pokémons maintenant !
- Tu gères comme un chef sur le terrain ! Faut dire, j’ai le chic pour repérer les p’tits génies ! Fit remarquer ensuite Roy, le ton un peu vaniteux.

Patxi gesticula nerveusement, imité aussitôt par son Dispareptil.

- T’exagères ! Je ne suis pas aussi doué… En tout cas, moins que ta petite protégée !

L’assistant me dévisagea.

- Euh… quoi ?
- Je parle de ton combat à Brasswick ! Ça fait longtemps que tu es dresseuse, non ? Ce serait cool de t’avoir dans les équipes de notre stade, mes collègues Laureen et Hitomi t’adoreraient !
- Patxi ! Faudrait penser à libérer Motisma, là ! Il doit être tout nerveux dans sa pokéball !

Ce dernier sembla alors gêné, comme s’il avait abordé un sujet délicat. J’ignorais absolument comment le prendre. Mais aussitôt dit, il sortit la fameuse sphère technologique aux métal rouge et blanc de sa poche de veste.

- J’ai eu un mal de Ponchien à convaincre mon patron de réserver ce téléphone ! Mais quand il a su que c’était pour le champion de Kickenham, il a été plus coopératif sur la fin !

Son Dispareptil acquiesça en poussant des petits cris spectraux.¨

Sur ces mots, il tendit la pokéball devant lui : la synergie du geste activa la petite balle technologique qui généra une onde prismatique, trace de l’énergie corporelle de son occupant. Motisma se matérialisa comme un diablotin dans cet éclat de feu, virevoltant dans tous les recoins du plafond, percutant un tas de cartons, puis un autre et encore un autre avant de venir me contempler comme un inspecteur des travaux finis. C’était un petit Pokémon originaire de Sinnoh, à la forme un peu abstraite mais il avait néanmoins des allures de libellule. Une aura énergétique électrifiée émanait de son corps orangé naturellement chargé.

Il n’en fallut pas plus pour qu’il fonce sur moi, me déséquilibrant légèrement en arrière. Je lâchai mon téléphone immaculé. Et j’atterris brièvement dans les bras de Roy. Son rire étouffé coïncida alors autant avec mes battements plus effrénés que les voltiges enthousiastes du petit Pokémon électrique. Puis, le petit appareil volant se repencha dans ma direction tandis que je me dégageai du champion draconien, résistant à l’envie de me liquéfier.

« Enchanté de te rencontrer, Leava ! Je serai ton Motismart attitré à partir de maintenant ! »

Il atterrit délicatement dans mes mains, la coque s’étant maintenant affublée d’un visage électronique souriant.


***

- Et voilà ! T’es sur Pokégram !

Assis sur le divan de fortune, nous avions passé un long moment à configurer ma nouvelle acquisition. Même si mon fameux compte sur le réseau social le plus en vogue de notre monde était encore complètement vide, je me surprenais à vouloir l’explorer avec beaucoup d’attention en ayant lancé une première recherche : je découvrais alors avec surprise le nombre incalculable de challengers en lice du Défi des Arènes qui possédait un compte.

Je pianotais ensuite sous l’impulsion de Roy les noms des autres champions de Galar qu’il me présentait très brièvement même si j’avais déjà été bien informée par Nabil (il m’en avait parlé dans le train). Nous tombâmes ensuite sur le Pokégram de Rosemary.

- Tiens, elle a posté la photo de ce matin… « Avec le petit trésor du champion des dragons, trop la chance ! Love sur toi, Roy! »

Ce dernier inspecta précipitamment ses propres notifications.

- Hey !? C’était à moi de faire le premier selfie ! J’vais pas la ménager au prochain tournoi des champions, la soeur de Pete !

Je n’arrivais pas à me décider qui de l’ironie ou du sérieux avait habillé sa réaction mais dans les deux cas, je me trouvais ridicule à adorer son air vexé.

Je réalisais alors que le temps avait beaucoup avancé depuis ma fuite du stade : il faisait nuit dehors. Patxi était parti fermer le magasin Moti-Phone en nous laissant son Disrapteril à qui il avait demandé de ranger un peu la pièce. Il s’activait d’ailleurs actuellement avec une extrême rigueur, observant parfois du coin de son œil draconien, Voltia et Mucuscule qui faisaient une sieste sur une petite couverture non loin de nous.

L’atmosphère n’était pas désagréable : pas de tempe qui cognait, pas de mal de cœur ou de brûlures dans les veines. Tout semblait normal si on omettait la chaleur absurde qui voguait dans mes ventricules.

Roy était toujours très concentré à m’expliquer le moindre fonctionnement de Pokégram, comme si c’était d’une importance capitale à ce qu’il fasse de moi, une petite starlette du web. Mon Motismart semblait lui-même ravie de me savoir connectée au monde, en témoignaient ses petits sons saccadés un peu trop enthousiastes. Mais au moins, j’avais quitté la périphérie de ce drôle d’univers. Pour le moment en tout cas.

Même mon œuf de Pokémon, que j’avais gardé sur mes genoux en continuant de configurer mon compte, semblait être attentif à tout ce que nous faisions : je ne le sentais plus bouger depuis un moment.

- Plus qu’une photo de profil à mettre… T’as une idée, p’tite dragonne ? S’amusa Roy en se laissant tomber dans le divan.
- Euh… Et si je faisais un selfie ?
- Va falloir apprendre à sourire, alors !

Je l’entendis pouffer de rire à mon très grand soulagement ou à mon colossal désarroi. Puis un silence bref et cristallin prit place, chatouillé par le ménage très concentré de Disrapteril. Je me tournai légèrement vers Roy, éprise d’étranges angoisses nées dans le lointain de nos souvenirs communs.

- Tu sais…

Il se repencha en avant, plongeant ses yeux émeraude dans les cendres des miens : j’inspirai un grand coup après avoir expérimenté une légère asphyxie passagère.

- Merci… de ne pas me détester.

Ma phrase n’avait vraiment aucun sens.

- Je devrais ?

Il avait parlé avec tellement d’innocence dans sa voix que je n’avais pas m’empêcher de me tourner frénétiquement vers lui.

- Bon sang ! J’ai insinué que tu étais le pire des dresseurs au monde !
- Mais c’était si beau et sincère ce que tu as dit à Libégon ! J’en étais tout retourné !
- Quand même, c’était… COMMENT TU SAIS QUE J’AI… !?

J’avais manqué de lâcher mon Motismart qui rouspéta un peu au passage. Alors, je remarquais dans mes agitations, que Voltia avait émergé des plumes de Cresselia : elle me regarda d’un air perplexe, sans doute avait-elle décodé toute la tempête intérieure qui était en train de me décrocher du divan. Et le rire franc de Roy ne l’arrangea pas le moins du monde.

D’un mouvement calculé, il attrapa son propre Motismart qui avait décidément l’habitude monstrueuse de léviter autour de son propriétaire. Il me présenta l’écran. Et moi, je ne savais toujours pas comment appréhender cette explosion d’éclats de poudreuse dans la salle de repos. Je constatais seulement que ce pouvoir voguait dans ma mémoire comme une plume blanche glissant sur la parure d’un champ couvert de neige aveuglante. Cette image était stupide.

Roy esquissa un sourire aussi agaçant qu’adorable.

- T’as manqué de vigilance… J’avais demandé à mon Motismart de surveiller Libégon !

Et ce dernier s’était appliqué à filmer le moindre plan possiblement capturable de l’événement impossible que j’avais provoqué au laboratoire de Brasswick. Je ne pouvais plus m’empêcher de repenser aux vers mystérieux qu’il avait écrit dans son réceptacle de pensées.

« C’est vrai que l'on dirait un soleil blanc… Et des flocons en feu… »

Et soudain, je retrouvais toute mes sensations de ce matin étrange, cette expérience froide et chaude, piquante et lisse, galvanisant comme emmitouflant mon esprit meurtri dans une tendre couverture. Mais surtout, j'avais entendu cette voix profonde murmurer parmi les grésillements. Elle avait lancé des mots suppliants dans ma direction, sans succès encore, mais dans l’espoir qu’ils auraient pu m’atteindre avec un peu plus d’élan. Mon ami d’enfance ne m’en avait pas parlé. Roy l’avait écrit dans un poème adressé au néant.

« Il pleure, je vois ? Ça voudrait dire qu'il a entendu cette voix… Mais Nabil, non ? »

Soudain le champion draconien afficha un air plus sérieux, laissant à nouveau son Motismart vaquer à ses occupations.

- J’peux vraiment pas détester la personne qui a sauvé la vie de mon Pokémon ! Alors, te fais plus du mouron comme ça, ok ?

Un silence bref fut de bon augure pour m’aider à calmer l’ouragan émotionnel qui détrônait mon sang-froid. C’était pour réaliser que j’avais penché mon visage un peu trop proche du sien. A peine avais-je plongé mes iris de cendre dans ses yeux qu’il me sourit simplement dans son habituel béatitude. Je me dégageai, sentant mes remparts se fendre en deux.

- Finalement, c’est bien que tu aies posté cette vidéo ! Je ne me rendais pas compte à quel point les matchs Pokémon me manquaient avant mon combat contre Dusk ! Riai-je maladroitement.
- Je suis méga content pour toi même si j’y suis pas complètement pour quelque chose !

Mon regard devait s’étrangler à en lire l’amusement insolent dans celui du champion draconien.

- T’as oublié que la séance de dédicaces était organisée officiellement par la ligue, non ?
- Euh… un peu mais quel rapport ?
- Bah… La politique de la maison est de médiatiser le moindre combat qui se déroule dans le cadre de leurs événements, ça fait partie de la culture du coin ! Quand les mecs du staff ont su que vous alliez faire un match en notre honneur, ils ont sauté sur l’occaz ! J’ai juste partagé la vidéo sur mon Pokégram mais ça traverse toujours la toile à la vitesse de Rayquaza avec moi !

J’étais encore sur le point de m’asphyxier : ce que j’avais pris pour des agents municipaux avec leurs Caninos étaient très probablement les employés de la Ligue venu encadrer l’événement. Maintenant que j’y pensais, leur combinaison noire et blanche, leur casquette fièrement portée et leurs lunettes noires juraient un peu avec l’identité rurale de Brasswick.

J’aurais pu probablement m’outrer de cette utilisation de mon image à mon insu. Mais la culture régionale connue de tous, sauf de moi, l’aurait vu d’un mauvais œil.

- Mais pourquoi tu n’as rien dit !?
- C’était trop mignon de te voir en colère, j’ai pas osé tout de suite !
- Et Tarak ? Nabil ?
- Eux, ils avaient complètement zappé ce détail vu qu’aucun match officiel était noté sur nos programmes. Mais c’est vrai qu’on ne pouvait pas prévoir les réactions donc heureusement que tu as accepté de t’inscrire sinon, on était effectivement assez mal pour la réputation !

Ses excuses étaient d’une absurdité qui me désarçonnait autant qu’elle aurait pu me faire mourir de rire.

- Mais alors, pourquoi tu m’as ignoré après le combat ?

Il attrapa à nouveau son Motismart, pianota rapidement sur l’écran tactile puis me présenta une masse de texte.

- Ho, j’étais juste très concentré sur le machin qui permet de t’inscrire au Défi !
- Sérieux, tu n’pouvais pas attendre d’être tout seul pour écrire cette lettre de recommandation ?
- Ouaip mais à tête reposée, ça aurait eu moins de Milobellus !

J’hésitais entre considérer sa réaction comme une bêtise monumentale ou comme une flatterie exceptionnelle.

- Mais compris, je te préviendrai la prochaine fois ! Ça t’évitera de choper mon Motismart pour aller te mettre en danger de mort dans une forêt cheloue avec une machine infernale !
- Il n’y a pas grand-chose qui va dans ta phrase mais c’est une sage idée !

J’expérimentai ensuite une prise de conscience un peu piquante.

- Attends… si tu as écrit cette lettre juste après le combat…
- Ouaip ! T’as livré un match comme on n’en voit pas des masses chez les futurs challengers ! J’en ai parlé direct avec Tarak pendant que t’étais dans les Verpom !
- Et… il a bien réagi ?

Roy sembla étonné.

- Il était plutôt content ! Mais j’ai bataillé un peu pour qu’il ne marque pas ton nom sur sa liste de Noctunoir ! Il n’a pas spécialement kiffé ta crise de nerfs et ton idée géniale d’aller te perdre dans Sleepwood !

Ce que je craignais semblait se confirmer non sans me laisser un mauvais pressentiment. Pourtant, j’espérais que c’était là, l’unique raison de l'antipathie de Tarak envers ma participation au Défi des Arènes.

Roy se tourna ensuite légèrement vers moi, le visage paisible. Et puis, son petit air audacieux finit par m’offrir le réconfort que j’avais ardemment souhaité depuis mon arrivée à Motorby.

- T’inquiète, p’tite dragonne… ton petit secret qui brille est bien resté au chaud !

Mon très long soupir accompagna cet éboulement émotif qui se déversa dans ma poitrine.

- Hey, je te rappelle que je suis le gardien de la salle des reliques à Kickenham, je sais garder les trucs importants !
- Je ne peux pas m’en rappeler, je n’savais pas !
- Bah maintenant, t’es au courant de l’importance du champion qui te recommande ! Termina-t-il en me tapotant légèrement le sommet du crâne avant de crisper sa main vers moi, imitant des griffes invisibles au bout de ses doigts.

Je me dégageai en riant avec une authenticité rare, à la fois gênée et profondément soulagée. Roy libéra à nouveau son Motismart puis laissa ses yeux émeraude se perdre dans l’atmosphère ambiante baignée des lumières blanches du salon. Au même moment, Disrapteril revint vers nous, piaillant de fierté d’avoir remis l’entrepôt de fortune en ordre en digne assistant de magasin de Motismarts.

Puis, le visage de Roy se para de pensées plus sérieuses.

- Tu sais, je crois bien que j’me reconnais un peu en toi : t’as l’air intéressé par rien mais sur le terrain, wow ! Quelle rage ! Un vrai ouragan !

Mucuscule, Voltia et Disrapteril s’étaient posés devant nous à la manière d’enfants qui écoutaient une histoire. Et moi, j’hésitais entre la fausse vexation et la frustration bancale de voir à quel point il avait raison.

- Parce que rien ne t’intéresse, toi aussi ?

Il observa à nouveau le salon, les mains croisées et posées sur ses genoux.

- Quand nous sommes arrivés à Brasswick, j‘étais en froid avec Tarak : Il m’a reproché quelques jours avant la dédicace que je m’en contrecarrais de la réputation de Galar et que j’pensais qu’à mon obsession de le vaincre en combat officiel. C’est vrai qu’on n’a pas forcément les mêmes objectifs mais ça me soûlait sévère qu’il en soit arrivé à me sortir ça…. J’avais l’impression qu’il s’imaginait que j’étais insensible juste parce que j’recommande pas facilement des challengers.

Mon étrange attirance pour les éclats d’ombres de son esprit me poussa à me concentrer sur la moindre parcelle de ses syllabes.

- En vrai, je suis inquiet pour lui : ces derniers temps, plein de décisions bizarres sur la ligue ont été prises depuis l'annonce d'un partenariat hyper important. Mais l'administration nous informait jamais vraiment. En fait, on était toujours mis devant le fait accompli mais ça n'avait jamais l'air de déranger Tarak. Moi, je trouvais qu'il faisait n'imp mais quand j’ai essayé de lui en parler, il l'a super mal pris. Il pensait que je lui faisais plus confiance. Moi j’me pose juste des questions sur mon meilleur pote… Il a changé depuis une année. Cet air inquiet qu’il a toujours, comme si le monde allait s’écrouler... ça lui ressemble pas.

Voltia s’était particulièrement rapprochée du champion draconien, posant sa tête sur son genou. Ce dernier se mettait alors à la caresser tout en continuant d’armer sa voix de confidences.

- Quand nous sommes arrivés à Paddoxton, je suis allé prendre une douche pour m’éclaircir les idées. J’ai ensuite téléphoné à Peterson, le frangin de Rosemary, tu sais ? fallait que j’vide mon sac de Cadoizo parce qu’on n’arrivait plus à aligner trois mots avec Tarak sans que ça parte en vrille… J’étais prêt à lâcher la dédicace pour rentrer à Kickenham tellement J’avais zéro motivation ! Tu vois le problème ?

L’étrange attitude du Maître de Galar me revint brièvement en mémoire : si son éclair d’accusations s’était bien abattu sur moi à Brasswick, j’avais bel et bien détecté un étrange regret habiller son regard doré devant la souffrance de Roy.

- Et puis quand j’ai compris que tu m’connaissais pas plus que ça, j’ai eu envie de me lâcher… C’était facile avec toi, j’avais plus rien à défendre !
- Euh… Je t’en prie ?

Il étouffa un rire en subtil mélange de gêne et d’amusement.

- Ok j’me suis un peu défoulée… Mais quand je t’ai vu dans ton match à te battre comme un dragon en furie… A ce moment-là, j’étais tellement jaloux…
- Jaloux !? C’est moi qui devrais dire ça, Roy ! Dans la forêt, tu m’as impressionnée ! Tu faisais qu’un avec Libégon, c’est comme si tu savais exactement ce qu’il ressentait !

Il se figea.

- Ce combat, justement… ! J’comprends pas trop ce qui s’est passé mais…
- C’est pas seulement ça ! Quand Libégon est tombé malade, j’ai bien vu combien tu étais désespéré ! Il aurait tout fait pour aller mieux, rien que pour toi !

Je ne retins plus rien.

- Je suis désolée pour tout ce que je t’ai dit ! Tu n’es pas un mauvais dresseur ! Toi, tu ne m’as pas abandonné et je… Je n’sais pas quoi faire pour te remercier mais si tout à coup tu as trop de choses dans la tête, on pourra en parler ! Tu pourras toujours tout laisser tomber sur moi dès que tu te sentiras mal, promis !

Je réalisais après quelques secondes que Roy me dévisageait, largement désarçonné.

Je me décomposai brutalement sous cette impulsion de sincérité sauvage. Ces pensées à la fois familières et nouvelles m’avaient traversée de part et d’autre comme une Lame D’air. Ça n’avait pas dû lui échapper puisqu’il étouffa un rire adorable, soufflant un « merci » dont la sincérité aurait détruit tous les artifices.

Et puis ses yeux tombèrent vers mes genoux.

- Tes mains… !?

Mes yeux effarés se firent aussi assiéger par cette luminescence blanche comme poudreuse nouvelle. Sa chaleur enveloppa mes poignets. Et puis l’étrange lueur parvint à mes doigts, vivifiant l’abstrait sentiment anciennement endormi dans mes veines. Ce dernier s’accrocha solidement au présent, tandis que l'énergie réchauffa encore les engelures de mon esprit.

J’emmitoufla instinctivement l’œuf de Pokémon dans mes bras. Alors, la poudreuse éclatante devint de plus en plus dense, s’apparentant à un nuage pétillant avec une telle force que l’on pouvait entendre des crépitements sourds en émaner.

Puis, un craquement cria. Un autre suivit. Et ne soudaine activité lumineuse d’un bleu surnaturel s’ajouta à l’éclat de poudreuse qui ne cessait plus de grandir. Elle en éclaira si aveuglement le salon que l’on ne distingua plus les murs pendant un instant.

Alors, je sentis l’œuf trembler. Des fissures de plus en plus larges frappèrent sa surface. Puis, de son éclosion furieuse émana cette flamme trempée d’une pureté étrangère aux maux de la réalité.

Tout redevint normal.

A peu de choses près.

- Sala ?

Il s’agita sur mes genoux, ayant tourné son grand regard d’un bleu éclatant vers moi. Dans sa contemplation, il babilla en m’attrapant quelques mèches de mes cheveux cendrés : j’avais à peine remarqué que mes veines s’étaient déjà « éteintes ».

Voltia et les autres Pokémons le fixèrent alors, ahuris, lui et la flamme au bout de sa queue reptilienne qui avait soif de vivre. Roy l’observa minutieusement, immobile.

- Un Salamèche… doré ?

Je devais avouer que sa couleur, d’un étrange jaune luisant parsemé de reflets orangés ajouté à ses grands iris couleur mer turquoise, aurait perturbé n’importe qui.

Ce dernier suivit la voix stupéfaite du champion draconien et hocha sa petite tête vers lui. Il le toisa pendant quelques secondes avant de s’intéresser au salon lui-même. Grognant d’une extrême curiosité, il quitta subitement mes genoux, tandis que j’étais encore dominée par le choc dans mon cri à peine étouffé.

Le jeune Pokémon s’approcha alors de Voltia qui jappa vers lui en guise de bienvenue. Le Salamèche lui répondit avec ferveur avant de saluer dans des grognements amicaux, les deux autres Pokémon. Dispareptil se montra un peu plus méfiant, cela dit.

J’essayais de reprendre contenance.

- T’inquiète pas, va ! Je crois qu’il ne te fera rien du tout ! Riai-je alors en me levant vers eux.

Mais alors que je m’apprêtais à caresser simplement le Pokémon dragon fantomatique, ce dernier fit brutalement mine de la mordre. Mais il réalisa aussitôt son geste agressif et piailla d’excuses dans ma direction.

- Ho, pardon ! J’ai dû te faire...

Et le Salamèche doré se jeta sur le Pokémon dragon ! Moi, je perdis l’équilibre sur le tapis. Mais je me redressais à peine de ma chute que je vis le Dispareptil, tétanisé, fuir précipitamment à travers le salon en détruisant tout son ménage au passage, poursuivi par mon nouveau partenaire devenu boule de rage !

- VOUS DEUX, NE FAITES PAS…

Trop tard. Ils percutèrent en chœur tous les cartons, firent dégringoler un million d’ordinateurs puis atteignirent les grandes fenêtres du salon ! Disrapteril siffla alors hostilement vers le jeune pokémon de feu tandis que ce dernier fit claquer sa queue enflammée dans un sec élan de colère.

- Laisse-le tranquille, le Salamèche qui brille ! Grondais-je dans un décontenancement très affirmé.
- Wow, quelle autorité !

J’ignorais quand Roy s’était levé du divan. Mais je l’avais brièvement fusillé du regard en l’incitant à faire mieux avant qu’un claquement très significatif ne nous provoque les premiers symptômes d’une syncope.

Dispareptil était maintenant de l'autre côté de la fenêtre, tirant radicalement la langue à Salamèche. Ça ne plut visiblement pas à ce dernier qui, brutalement, cracha une attaque Flammèche bien trop maitrisée pour un nouveau-né !

La petite boule de feu percuta de plein fouet la vitre ! Et Disrapteril la ramassa en plein dans la tête !

Nous le vîmes alors tomber lamentablement à la renverse, assommé par le choc. Un cri en chœur accompagna le tout, mais probablement pas à cause de ça.

- NON, TU VAS PAS… !

Mais Salamèche sauta sur les cartons, atteignit la fenêtre à moitié fendu et s’offrit aussitôt une virée dans la rue.

J’attrapai mon sac en bandoulière avant de dégager le passage avec une extrême violence pour prendre la même porte de sortie, suivie directement par Voltia et mon Motismart voltigeant.


***

Roy et moi courrions à travers la longue rue étroite, revenant petit à petit vers les limites du canal ainsi que les escaliers métalliques qui remontaient vers la ville nouvelle. J’avais principalement suivi le champion draconien qui connaissait visiblement bien les bas quartiers, Mucuscule bien cramponné à son épaule droite. Voltia ouvrait la course : ayant un très bon flair, elle suivait dans une concentration extrême, la piste de Salamèche. Les fêtes du Défi des Arènes continuaient de battre leur plein au loin. Nous les entendions au fur et à mesure que l’on remontait les larges escaliers qui léchaient de grands murs bordeaux.

Soudain, Voltia s’arrêta net ! Et dans un jappement solide, elle se cramponna à la rambarde basse.

Salamèche était sur un muret de l’autre côté. Le canal nous séparait de sa position tandis qu’il s’amusait à grimper petit à petit sur une longue poutre métallique qui reliait les deux côtés. Dispareptil voltigeait autour de lui en le narguant de sifflements aigus.

- Salamèche ! Reviens tout de suite ! Tu vas tomber dans l’eau !

Il s’était retourné vers moi avant de faire mine de perdre l’équilibre. Une syncope plus tard, il continuait tranquillement son escalade sur la poutre.

Sans plus attendre, je me mis à grimper moi-même sur la cage d’escalier sous le cri surpris de Roy qui me somma d’arrêter de me prendre pour un Simiabraz. Voltia et Mucuscule couinèrent avec insistance mais j’étais bien trop occupée à jouer avec ma vie pour revenir à la raison.

Je n’avais jamais vraiment vérifié si j’avais le vertige.

- Bordel, c’est super haut…

Me retrouver au-dessus du canal à une hauteur relativement impressionnante créa un tourniquet léger dans la tête. Je me repris au moment où Salamèche parcourut la moitié de la grande poutre tandis que Roy grimpa sur la cage d’escalier pour me hurler de revenir vers lui.

Le petit Pokémon de flammes finit par abandonner son combat de rue avec Dispareptil et se mit à sagement me rejoindre. Je n’avais jamais été aussi soulagée de le reprendre dans mes bras.

- Il va falloir que je t’éduque un peu ! Quelle idée de jouer au justicier !

Ce dernier se blottit contre moi, grognant d’affection. Je vis alors Dispareptil revenir vers les escaliers métalliques où Roy me lança encore de quitter rapidement mon perchoir de fortune. Je perçus un début de crise cardiaque dans sa voix si affirmée d’habitude.

J’essayais alors tant bien que mal de réfléchir à comment me hisser en arrière.

C’était avant de sentir la poutre violemment trembler.

- Wow !?

Mon regard croisa plusieurs fois les remous vertigineux du vide qui donnait sur le canal artificiel. Je m’accrochai de justesse en basculant en avant, Salamèche resté bien cramponné contre moi et faisant de son mieux pour ne pas dégringoler par-delà la poutre.

- Hey ! Tu arrêtes tout de suite ! Hurla alors le champion draconien.

Je levai instinctivement la tête.

Un Betochef, gros Pokémon combat humanoïde armé de muscles était en train de prendre possession de la poutre métallique, la soulevant aisément pour espérer sans aucune raison nous faire tomber de son précieux matériel. Il grogna de mécontentement, me prévenant au moins qu’il n’allait pas lâcher l’affaire.
Le Salamèche se dégagea rapidement de mes bras pour foncer sur le Pokémon combat. Ses grondements auraient largement pu faire froid dans le dos si on ignorait sa petite tête de bébé Pokémon.

- NON, TU REVIENS… !

Et il lança une attaque griffe bien placée, percutant de plein fouet le Betochef.

- BETO !?

Le gros Pokémon combat trébucha légèrement, avant d’étouffer un rire de gros bourru. Visiblement frustré, Salamèche grogna avec plus d’insistance avant de cracher une autre attaque flammèche aussi étrangement puissante que la première. Cette fois-ci, Betochef s’en accommoda beaucoup moins, lâchant brutalement la poutre. Il se frotta le visage, révélant ses grandes veines violacées où semblait couler toute son énergie.

- On va se calmer, ok ?! Commençais-je d’une voix très peu assurée.

Mais Betochef releva brutalement la tête : ses yeux brûlèrent de colère, fusillant avec mépris mon nouveau Pokémon. Il souleva agressivement la poutre, renversant Salamèche en arrière. Ce dernier atterrit si violemment contre moi que je perdis l’équilibre, basculant sur la gauche. Dans un hurlement strident, je m’accrochai vainement à la poutre, à moitié suspendue dans le vide. Salamèche s’accrocha à ma veste, rugissant de sa petite voix de nouveau-né vers le Betochef. Ce dernier rigola à gorge déployé en nous toisant de son grand regard sombre.

- LEAVA ! Entendis-je s’égosiller Roy, suivi des jappements tétanisés de Voltia et des couinements hâtifs de Mucuscule.

Le Pokémon combat continua de faire secouer la poutre métallique, visiblement très enclin à nous faire plonger dans le canal. Je tins fermement Salamèche d’un bras pendant que l’autre convoqua des efforts colossaux pour ne pas lâcher.

Seulement, la douleur dans mon muscle remporta aisément le combat contre la tension et je sentis le vide me happer. Enfin, l’eau me parut étrangement moelleuse et un peu déséquilibrante.

- GROOODR !?

Je baissai les yeux, fortement secouée tandis que Salamèche remonta vers le centre de mes bras en piaillant de surprise.

- Euh… Bonjour ?

Un Grodrive, grand Pokémon sphérique ressemblant à une montgolfière violette avait réceptionné notre chute bien malgré lui. Chacune de ses espèces de palmes jaunes en guise de bras portait un sac semblant abondamment plein. Il penchait légèrement de travers sous notre poids-surprise.

Le gros Pokémon ballon répondit à la douceur intimidée de ma voix, et dans un son grave qui me donna l’impression qu’il s’essoufflait un peu. Ça devait être habituel puisqu’il ne parut pas spécialement agacé. Il augmenta même son allure, nous entrainant avec lui dans sa mission de coursier. Je me cramponnai à l’étrange fourrure cotonneuse qui coiffait le sommet de sa tête tandis que Salamèche se tourna pour narguer le Betochef dans un grognement amusé.

Je me penchai légèrement en direction de Roy qui me fixait depuis la cage d’escaliers, pendant que je grimpais vers le ciel sur ma monture insoupçonnée. Il reprit soudain la montée des escaliers en continuant de nous regarder nous envoler.

- Accroche-toi, on se retrouve là-haut !


***



Grodrive continuait son envolée paisible, arrivant à une hauteur où les mélopées des fêtes de la citée épousaient chaleureusement la nuit estivale.

La ville était gigantesque. Je ne l’avais pas clairement réalisé malgré ma visite touristique de cet après-midi. Et je pouvais sans peine m’imaginer l’éclat de fascination qui habillait le beau regard bleu de Salamèche. Il avait osé se dégager de mes bras pour observer le monde d’en bas avant de pousser un rugissement puissant malgré sa petite taille, appelant je ne sais quelle entité à nous rejoindre. Ses cris percutèrent à la fois le vide et les rayons colorés des bouquets d’artifices énergisant le ciel à peine endormi par les étoiles.

- Et ben ! Pas étonnant que je t’ai entendu m’appeler dans la forêt ! Riai-je sans vraiment réaliser à quelle altitude nous nous trouvions.

Salamèche se tourna vers moi, jappant avec curiosité. Alors, une étrange sensation traversa alors ma tête.

- Hey, je sais… Et si je te nommais Call ? Ça te plait ?

Le crépitement joyeux qui s’illumina dans sa voix reptilienne me parut tout à fait convainquant.

Je venais aussi de réaliser que mon Motismart m’avait accompagné tout au long de ma mésaventure bizarre. Je l’attrapai pour réaliser un cliché du panorama de la ville industrielle alors paré à nouveau des lueurs vivantes des feux d’artifice. Call parut lui-même vouloir prendre des photos, s’amusant à attraper le Motismart qui grommela dans un son saccadé.

- En plus d’être un garde de corps fabuleux, tu es photographe ? M’amusai-je en élevant la main.

Il babilla, attisé très probablement par l’atmosphère chaleureuse des fêtes Motorbyiennes. Motismart se dégagea ensuite pour continuer son petit numéro de voltige, peu enclin à se laisser manipuler par le jeune Salamèche.

Je me penchai un peu plus vers lui, attrapant ses petites pattes reptiliennes.

- Pour tout à l’heure, tu voulais simplement me protéger n’est-ce-pas ? Dispareptil ne m’aurait rien fait mais c’était gentil ! Tu vas être un redoutable combattant ! M’exclamai-je doucement en lui caressant la tête.

Call poussa un cri affirmé en fronçant le museau. Sa flamme gigota alors avec énergie.

- Mais il va falloir être plus obéissant que ça ! Qu’en dis-tu ? Prêt à nous suivre dans le Défi des Arènes, Voltia et moi ?
- Salaaamèche !
- C’est la réponse que j’attendais !

Un autre crépitement puissant nous firent tourner les yeux vers une explosion de couleurs.

Les feux d’artifices continuaient leur cortège de flammes multicolores tandis que la musique battait son plein en contrebas. Je me surprenais même à vouloir plonger comme un Lanturn dans cette ambiance électrisante. Call m’aurait probablement suivi sans rechigner car il se pencha déjà avec insistance vers les reliefs de la grande citée industrielle. Je le retins pour ensuite le ramener vers moi.

Alors, j’entendis ce vrombissement familier.

- Libégon !

Je n’avais jamais été aussi heureuse de le revoir.

Le grand pokémon dragon venait d’apparaître furtivement dans l’éclat aveuglant des feux couleur chaleur. Roy était à son bord, accompagné de Mucuscule et Voltia. Disrapteril flottait aisément à ses côtés.

- Pas trop le vertige ? Plaisanta ce dernier d’un éclat de voix adorable.

Je ne pus retenir un sourire à la fois gênée et excité par cette drôle d’expérience, même si j’évitais quand même de regarder directement dans le vide. Libégon rugit lui-même de plaisir dans ma direction : je pouvais contempler les éclats enflammés des fêtes en contrebas se refléter dans les sphères translucides qui ornaient ses grands yeux.

Voltia profita de notre proximité pour s’élancer vers moi. Je la rattrapai de justesse, bousculant au passage le Pokémon montgolfière qui grommela un peu. Quant à Call, il salua affectueusement mon Pokémon électrique venu se blottir également contre nous.

Nous restâmes de longues minutes à contempler les feux d’artifices dans leur danse embrasée, ne faisant plus qu’un avec les pas rythmés de la voie lactée.

Je laissais petit à petit la nuit panser mes dernières inquiétudes. Des Minisanges accompagnés de Papillusions s’amusaient à traverser le firmament de la ville aux rouages à vapeur, s’enivrant des lueurs énergiques de cette soirée sans sommeil. La fine poudreuse qui se détachait de leurs délicates ailes de soie venaient converser avec les sourires incandescents dans les teintes chaudes des feux. Le vent était léger, provoquant quelques frissons dans les effluves chaleureuses du panorama.

Libégon rejoignait lentement les côtés de Grodrive pour planer ensuite paisiblement, grognant d’excitation tout en prenant une grande bouffée d’air de fête. Roy me jetait des regards presque attendrissants si on omettait ce petit sourire moqueur de me voir perchée à des kilomètres au-dessus du sol.

Soudain, Libégon prit un peu plus de hauteur. Il tenta d’attirer affectueusement mon attention en s’avançant un peu vers ma tête. D’un geste fébrile, je tendis le bras vers son grand museau reptilien. Ce contact me ramena l’espace d’un furtif souvenir à la salle de repos, où son grand regard malade de rougeur me parut si lointain. Son vol stationnaire me redessina toute sa magnificence, au moment même où il revenait à la vie devant moi.

Enfin, il fit vrombir ses ailes avant de se remettre à mon niveau avec agilité. Roy me tendit la main à son tour, amusé.

- Laissons ce brave Grodrive bosser, tu veux bien ?

Résistant à l’envie de souligner toute mon incapacité à résister à son expression insolente, j'allais me redresser. Brutalement, Call grimpa aisément sur Voltia qui, d’un bond prodigieux, rejoignit le dos de Libégon. Déséquilibrée, j’aggripai brutalement le bras entier du champion draconien qui me tira puissamment en avant. Je plongeai dans le creux de son poitrail. Puis, nous regardâmes brièvement Grodrive engager sa descente vers sa prochaine destination. Dispareptil piailla rapidement vers nous en guise d’au revoir en narguant amicalement Call. Ce dernier répondit dans un petit rugissement de rivalité non sans vraiment le marquer d’animosité. Puis, le petit dragon fantômatique suivit habilement le grand Pokémon montgolfière, allant très probablement rejoindre son dresseur au magasin.

Je m’accrochais fébrilement à la veste du champion draconien. Call était blotti entre nous tandis que Voltia avait rejoint l’avant, jappant joyeusement vers la grande tête du Pokémon dragon. Libégon bronchait d'ailleurs à peine sous le poids de ses nombreux passagers, continuant de voler avec une aisance impressionnante. Désormais, les feux d’artifices murmuraient d’ultimes promesses aux étoiles.

Roy amorça un rire emballé d’ivresse tout en dirigeant Libégon vers l’hôtel Rozbouton d’or dont on pouvait admirer l’enseigne vert pomme parlementer avec les échos lumineux des feux.

- Décidément, on ne s’ennuie pas avec toi, p’tite dragonne ! Après avoir visité une forêt maudite et affronté une machine, tu pars admirer Motorby de haut ! Je dois m’attendre à quoi la prochaine fois ?

J’étais maintenant convaincue que notre relation serait toujours absurde.

J’étais moins persuadée de détester ça.


***


L’heure tardive expliqua aisément le vide qui régnait dans le hall de l’hôtel.

Mais il ne fallut pas longtemps pour qu’il se remplisse de la voix paniquée de Nabil. Il venait de sortir de l’ascenseur en hâte, suivi de Moumouflon. A peine lui avais-je écrit avec mon nouveau Motismart qu’il ne s’était apparemment pas écoulé deux minutes entre lui dans sa chambre et lui dans le hall.

- Leava ! bon sang, te revoilà !

Sonya et Tarak le suivaient d’un pas plus calme. La professeure ne manqua pas de me faire un rapide clin d’œil que j’aurais dû être la seule à comprendre probablement. Mon voisin allait engager un interrogatoire quand il remarqua enfin les quelques changements entre moi au stade et moi, maintenant.

- Du coup, t’as un Motismart !? Et ton œuf a… MAIS C’EST UN CHROMATIQUE !?

Il contempla la moindre écaille de Call en me déballant toutes les théories possibles sur l’existence de ces mystérieux Pokémons aux couleurs différentes et nacrées. J’étouffai un rire avant de m’agenouiller vers le jeune Salamèche doré.

- C’est bien ce que je pensais ! Tu es un Pokémon brillant ! Ma mère me racontait leur légende quand j’étais gamine ! M’exclamai-je avec enthousiasme.

Nabil rejoignit aussitôt ma position.

- Ho, la fameuse histoire des Pokémons protecteurs ! Les chromatiques sont tellement rares qu’on leur prête des pouvoirs fabuleux, c’est peut-être vrai si ça se trouve ? Son regard est tellement bleu ! Et regarde un peu sa flamme !

Call se blottit nerveusement contre mes jambes sous l’impulsion oculaire de mon voisin.

- Tu lui fais peur, Nabil ! Il est encore tout jeune, ne sois pas aussi insistant ! Prévint Sonya d’une voix amusée.

Je levai un sourcil vers cette dernière.

- Enfin, pour un nouveau-né, il est quand même drôlement énergique !
- C’est vrai qu’il a l’air déjà très éveillé : œil vif, flamme dense, corps bien musclé… Il pourrait déjà se lancer dans un match pokémon sans problème, souligna la jeune femme au regard turquoise.

Elle venait de se mettre au niveau du petit Pokémon feu.

- C’est clairement son intention, Sonia ! La prophétie voulait qu’il participe au Défi des Arènes ! Renchéris-je alors en riant un peu.

Voltia salua mes propos dans ses jappements tout en s’approchant de Call. Ce dernier renchérit avec des grognements très affirmés. Puis, malgré ses petits pas hésitants, il finit par se laisser caresser par la professeure.

- Mais ce n’est pas un peu tôt ? Fit soudainement Tarak en croisant les bras.

Il s’était avancé plus timidement que les autres. Je n’étais même plus frustrée de croiser son regard perplexe à chaque fois qu’il s’intéressait accidentellement à moi.

- Tu rigoles frangin, regarde ce Salamèche ! Ce serait top si Leava arrivait à la finale des PokéMasters avec son futur Dracaufeu pour affronter le tien ! Ce serait légendaire ! S’exclama toujours plus Nabil en se relevant subitement.
- Hey, ne me vois pas déjà là-bas ! Je n’ai même pas mis le pied sur une pelouse de stade, encore ! Réagis-je aussitôt.

Tarak esquissa une légère expression amusée mais ne répondit pas davantage à l’excitation de son petit frère. J’ignorais si j’en était réellement vexée ou juste habituée à son antipathie pas trop prononcée mais un peu quand même à mon égard. J’aurais juré avoir entendu le rire très étouffé de Roy répondre furtivement à ma gêne par ailleurs.

Soudain, Call s’avança vers Tarak en grognant étrangement. Je l'observai, inquiète : les remous électriques que j’avais détectés dans son esprit suffisaient à me dire qu’il avait compris à qui il avait affaire. Le petit Salamèche dorée fit ensuite claquer énergiquement sa flamme. L’expression si étonnée du Maître de Galar se transforma petit à petit en un sourire bienveillant, s’agenouillant vers Call. Je me raidis alors un peu, craignant à ce que mes Pokémons prennent la fâcheuse habitude de mordre Tarak.

Call n’eut pourtant pas l’air de se montrer très agressif, accompagnée de Voltia qui remua joyeusement sa fourrure tout en se frottant contre les jambes du Maître de Galar. Je n’exagérais probablement pas si je disais qu’il en était lui-même décontenancé.

Tarak lui tendit une main qu’elle lécha affectueusement. Même Call se laissait caresser le crâne en babillant.

Alors, Je crus discerner une curieuse nostalgie dans la voix posée de Tarak.

- Ça me rappelle mon Salamèche quand il est sorti de son œuf il y a des années… Il a tout de suite été mon partenaire pour mon premier Défi des Arènes.

Voltia faisait des allers-retours oculaires entre moi et Tarak, l’oreille attentive.

- Dracaufeu était ton tout premier pokémon ? Demandais-je, poussée par la curiosité.

Il redressa son regard doré vers moi. Je n’en étais pas sûre mais ma question semblait momentanément l’attrister.

- Ouaip… on a tout traversé ensemble !

C’était plus fort que moi : son sourire était imparfait et j’accusais le silence forcé d’en être la cause. Peut-être avais-je encore trop d’appréhensions à sympathiser avec le Maître de Galar, comme intouchable ? Je me surprenais pourtant à lui adresser paisiblement la parole.

Call fit à nouveau claquer énergiquement sa queue enflammée. Tarak afficha à nouveau cette perplexité singulière.

- C’est curieux, mon Salamèche faisait pareil…
- Bah, tous les Salamèches se ressemblent, non ? lâcha Roy, amusé.

Il venait enfin de lâcher son Motismart.

- Pas tout à fait ! Certains individus possèdent des aptitudes remarquables ! En fait, les Pokémons avec des statistiques plus hautes que la moyenne ont des tics de ce genre-là ! Expliqua Sonya.

Call avait bien saisi qu’il était devenu le centre de l’attention, en témoignait son petit œil brillant et sa posture emplie de fierté. Je me rappelais sans peine de l’attaque flammèche superbement maitrisée qu’il avait lancé à peine quelques minutes après l’éclosion. Je restais pourtant sceptique : c’était moins par le fait que mon Salamèche était de couleur dorée que par la réaction bizarre de Tarak.

- Et alors, quoi ? Il va devenir un super Dracaufeu ? Plaisanta Roy tandis que je le regardais de travers, un peu frustrée par son manque d’intérêt.
- Ça devrait te plaire pourtant que ta protégée possède un Pokémon pareil ! Je te ferais remarquer qu’elle va forcément affronter les challengers recommandés par le Maître en personne ! Ria Sonya en lui tapant fortement l’épaule.

Ce dernier parut l’espace d’un instant désemparé. Il reprit néanmoins si vite contenance que j’eus du mal à croire qu’il fut réellement capable de se sentir démuni.

- J’ai pas spécialement dit le contraire ! Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle n’arrive aux PokéMasters ! Vous croyez que moi, je recommande n’importe qui ou quoi ?

Son regard disait beaucoup trop de choses pour que j’arrive à tout appréhender d’un seul coup. Enfin, la dernière pique du champion draconien semblait plutôt se destiner au Maître de Galar.

- Ça c’est du Roy tout craché ! Il va faire chaud sur le terrain ! S’exclama Nabil tout sourire en croisant ses bras derrière sa nuque.

Je me tournai un peu malgré moi vers Tarak. Il ne répondit pas tout de suite, continuant d’observer Call avec un regard étrange. Puis, il se releva pour se remettre dans sa posture habituelle de grand dresseur galarien. Je réalisais que je l'observais beaucoup depuis que j'étais dans le hall. Ce n’était pas de la fascination. Dans ce cas précis, j’aurais affiché un sourire comblé.

Tarak effaça enfin toute cette étrange nostalgie passagère d’un éclat de voix comme à son éternelle habitude : il se tourna vers son rival en croisant les bras.

- Méfie-toi, Roy ! Mes challengers ont un gros potentiel, vous pourriez vous faire surprendre !
- On verra si tu dis toujours ça quand Leava les aura démontés sur la pelouse de Winscor !

Tarak ne manqua pas de faire claquer sa voix dans un rire franc, ensuite.

- Tu te montres confiant mais j’aime ça ! Et sinon, quel climat me réserves-tu aux Pokémasters cette année ?
- Le meilleur champion de Galar, c’est-à-dire moi, ne révèle jamais ses secrets comme ça, tu crois quoi ? Mais j’suis cool, voilà un bon conseil : lèves bien la tête au stade de Winscor pour réceptionner le ciel sans trop de casse !

J’avais toutes les peines du monde à saisir qui du sérieux hostile ou de la gentille moquerie avait pu se marier au ton de leur conversation. Je réalisais simplement que la notion de rivalité continuait de m’échapper.

Je repensais alors au conseil de Sonia : sympathiser avec Dusk me semblait être du même gabarit que de tenter de gravir une montagne à mains nues. Je ne pensais pas que c'était impossible mais ça relevait quand même de la folie. Pourtant, je me surprenais à y croire pour des raisons probablement absurdes. Du moins, j’étais rassurée de constater que leur relation semblait à peu près normale malgré les inquiétudes de Roy. J'avais aussi remarqué que Sonya souriait toujours tendrement vers Tarak, me laissant penser qu’elle avait l’habitude ces étranges querelles amicales.

Je m’imaginais alors à quoi pouvait bien ressembler une rivalité avec Dusk : nos derniers échanges étaient si électriques que j’abandonnais déjà la possibilité que ça puisse avoir l'air d'une belle compétition commerciale comme entre Tarak et Roy.

Nabil vint couper court à ce semblant de confrontation en proposant au champion draconien de découvrir les fameux aromates qu’il lui avait promis depuis déjà une bonne semaine. J’avais moi-même complètement évincé ce détail.

Ils s’éloignèrent alors vers le bar de l’hôtel, suivis de Sonya qui sembla elle-même emportée par le sujet. J’avais du mal à croire que des petits sacs d’encens pouvaient autant monopoliser l’attention. En plus, ils avaient le mérite désagréable de me laisser seule avec Tarak.

Call et Voltia s’étaient lancés en quêtes d’explorations intéressantes dans le hall, accompagnés directement de Moumouflon.

J’étais donc encore plus isolée devant lui.

Ce dernier semblait toujours peu enclin à communiquer même si son grand sourire de papier glacé avait la capacité de tout maquille. Je remarquais alors le bandage impeccable sur sa main gauche.

- Hum… Désolée pour la morsure… Finis-je enfin par dire.

Je brillais vraiment par mon manque d’arguments.

- Ça ? T’inquiète, je suis solide ! Et on a vite ramené le calme dans le hall avec Nabil et Dracaufeu !

Il avait éclaté de rire en secouant la main en question comme s’il portait un vulgaire gant.

Il se tourna ensuite pour appeler Voltia. Cette dernière, bien éveillée à son environnement, vint alors à sa rencontre. Après quoi, Tarak s’agenouilla encore vers elle pour lui gratter la tête. Elle se montra si apaisée que je finis par me demander si ce n’était pas simplement moi qui lui transmettais toute mon inquiétude dans tout ça.

Après quoi, Tarak se releva après avoir susurré ses amitiés à mon Pokémon. Il fit ensuite quelques pas dans le hall, les bras croisés.

- J’ai cru comprendre que tu as fait un peu de tourisme avec Sonya cet après-midi ! La ville te plait ? Demanda-t-il comme si c’était d’une importance capitale qu’il soit au courant de mes goûts en matière d’urbanisme.

- Ha… oui, c’est sympa, Motorby…

Cette conversation était déjà bancale. J’étais d’autant plus gênée qu’elle dissimulait clairement d’autres pensées. Son ton de voix sonnait mal. Ma disparition ne l’avait pas laissé indifférent. Mais je me redressais enfin, piquée par une brutale nervosité.

- Ecoute… Ce qui s’est passé à Paddoxton… !
- Roy m’a tout raconté, c’est bon !

Je me figeai avant de lui demander ce qu'il savait très exactement. J’aurais pu paraître moins suspecte après réflexion : Il sembla détecter toute ma perplexité.

- Libégon avait mangé une baie toxique quand Roy te cherchait dans la forêt. Il s’est senti tellement responsable de l’avoir laissé faire qu’il s’en est ensuite pris à toi au laboratoire sous le coup de l’émotion… Il s’en voulait vraiment beaucoup mais d’après ce que je vois, ça va mieux entre vous ! Tu sais, c’est tellement rare de le voir autant en colère que j’étais moi-même complètement défait !

J’avais du mal à sortir de ma léthargie. Et Tarak choisissait de continuer à remplir le vide de sa voix affirmée qui me sortait tant d’absurdités.

- En réalité, je voulais te remercier : j’étais tellement perturbé par la détresse de mon meilleur ami que je n’ai pas pris le temps de bien réfléchir à la situation… Heureusement que Roy a fini par te faire confiance en te laissant aller voir Libégon.

J’étais à deux doigt de sombrer dans une syncope, moins par le fait que Tarak ignorait tout de la réalité que par l’histoire abracadabrante de Roy.

- Tu te souviens du sérum que tu lui as donné, d’ailleurs ?

Il avait décidé d’en rajouter une couche.

- Bah… Tout est allé si vite… J’ai pas pris le temps de retenir le nom.

Je n’avais aucun talent pour le mensonge.

- Je vois… Ce n’est pas grave, l’essentiel est que Libégon ait pu guérir de son empoisonnement, n’est-ce-pas ?
- Ça, c’est sur… !

Il lança à nouveau ce sourire vitrifié, son meilleur atout pour couper court aux conversations houleuses. J’hochai maladroitement la tête, le sourire malaisé. Et puis il m’invita simplement à rejoindre les autres pour un dernier verre de soirée.

(…)

Il y a des silences bruyants.

Et puis un jour, ceux-ci se taisent. A ce moment-là seulement, vous les comprenez. Alors, Je me suis demandée ce qui aurait pu changer si nous avions été tous les deux honnêtes, ce soir-là ?

(...)

Probablement tout.


***