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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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Informations

» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 14/09/2023 à 19:40
» Dernière mise à jour le 28/09/2023 à 02:59

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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L'éveil
Il était cinq heures du matin.

Après avoir pansé la blessure à mon épaule chez Nabil, je l’avais supplié que l’on rejoigne au plus vite Roy et Tarak au centre Pokémon. Malgré l’épuisement, j’étais morte d’inquiétude pour Libégon : depuis notre sortie de la forêt, mon cœur n’arrêtait pas de cogner contre ma poitrine et mes mains piquaient atrocement. A dire vrai, j’avais l’horrible sensation que le Pokémon dragon envoyait désespérément ses appels suffoqués à mon encontre. Mais je n’avais aucune explication. Il fallait seulement que l'on se dépêche.

D’abord hésitant car il avait remarqué mon état d’extrême faiblesse que je ne cachais pas vraiment, nous sortîmes rapidement de chez lui pour rejoindre Brasswick. Nous croisâmes alors son grand-père revenant en sens inverse, qui nous indiqua que les premiers traitements avaient été rapidement administrés : « Mais il respirait très mal quand j’ai pris congé… ». Le Tauros et le Roublenard étaient d’ailleurs avec lui. Ils m’avaient regardé étrangement, comme insistants.

Nous retrouvâmes alors Tarak devant le centre Pokémon, discutant avec une infirmière. Dracaufeu était à ses côtés. Le Maître de Galar croisait les bras en fronçant les sourcils, le regard perdu dans le vide et écoutant attentivement la soignante. Un appel de son petit frère le tira brièvement de sa conversation.

- Nabil ? Leava ? On s’occupe de tout, ne vous inquiétez pas ! Retournez à la maison et essayez de dormir…
- T’es sérieux, frangin ? Avec ce qui s’est passé, y’a pas moyen de trouver le sommeil !

Je perçus la teinte inquiète qui peigna chacun des mots de Tarak.

- Où sont Roy et Libégon ?

Ma question sembla subitement le décontenancer.

- Au laboratoire de Brasswick.
- Quoi ?! Et le centre Pokémon ? Les traitements n’ont pas fonctionné ? S’exclama vivement Nabil.
- Aucun de nos sérums les plus puissants n’ont l’air de faire effet alors que nous avons toujours eu des résultats positifs après seulement quelques minutes... Nous lui avons donné notre traitement le plus lourd mais nous n’avions jamais eu affaire à un tel mal chez un Pokémon ! Ça nous dépasse ! Intervint l’infirmière, soucieuse.
- Et ce n’était pas prudent de le garder ici… Les autres Pokémons ont commencé à avoir peur de Libégon, il était encore pris de convulsions quand nous l’avons emmené dans la salle des urgences. C’est pourquoi j’ai préféré l’installer dans la pièce de repos du laboratoire, termina Tarak en se tournant vers son cadet.

Mon voisin se gratta le dos, désemparé.

- T’as bien fait… Sonya aurait eu la même idée que toi !

Je restais légèrement en retrait, tentant de calmer la tempête d’émotions qui me retournait l’estomac. Voltia jappait doucement à mes jambes. Je savais, sans tenter de le rationnaliser, qu’elle entendait aussi les suffocations désespérées du Pokémon de Roy dans cet appel silencieux.

- Nous avons administré des tranquillisants à Libégon pour qu’il souffre moins, continua l’infirmière. Mais c’est tout ce que nous pouvons faire pour le moment…
- Pour le moment ? Votre travail c’est de soigner les Pokémons ou vous vous contentez juste de les droguer ?!
- Leava ! Tu ne parles pas sur ce ton, s’il te plait !

Je me braquais devant la brutale sévérité de Tarak : les images de la forêt accidentée et du combat contre le Kabutops ne cessaient pas de me tourmenter.

L’infirmière avait légèrement reculé. Son expression désemparée me frustrait encore plus pour d’absurdes raisons.

- En fait, tu ne m’as toujours pas dit ce qui s’est passé avec Libégon… Tu sais ce qui l’a rendu malade ? Demanda subitement Nabil en se tournant vers moi.

Je me tins le front, fiévreuse, avec tous ces mots bloqués au fond de ma gorge. Leur parler de tout ce que j’avais vu dans Sleepwood me paraissait insurmontable.

- Leava ? Prononça alors Tarak en croisant les bras, le ton froid.

Dracaufeu s’approcha alors doucement de moi : c’était pour me pousser très légèrement l’épaule avec son museau.

- Draaa…

Mon regard cendré tomba dans le sien, toujours de ce bleu immaculé qui semblait tant vouloir ajouter sa couleur au tableau brûlé de mon être. Puis, il tourna lentement la tête vers un horizon précis : une grande maison rurale ornée d’une splendide tour dont le toit violacé comme certains murs étaient couvertes de lierre. Tarak avait regardé son Pokémon d’un air un peu vexé, ce qui n’était pas pour me déplaire sur le moment.

Je redressais mon regard vers le dragon de feu, soudainement ravivée par un courage absurde. En lui caressant légèrement le museau, je le remerciais discrètement avant de regarder son maître d'un air déterminé.

- Pardon mais moi, je vais voir Libégon !

Malgré les cris de surprise de Nabil et Tarak, je n’avais pas daigné ralentir mon allure, m’élançant sur le macadam maladroit tâché des jets lumineux tombés depuis les lampadaires.

Voltia bondit avec moi : ses propres frissons répondirent alors aux battements furieux de mon cœur, projetés vers la source de l’appel.


***

J’avais assez facilement trouvé la rue menant au laboratoire.

J’ouvris frénétiquement la porte pour me retrouver dans un hall à l’ambiance feutrée : il donna directement sur un espace probablement convivial en d’autres circonstances, avec une cuisine et une table en bois poli.

Au fond, malgré la faible luminosité, l'on pouvait deviner de nombreuses bibliothèques faisant office de murs, généreusement remplies de livres et autres documents. A ma droite, je voyais succinctement les manifestations lumineuses d’appareils de recherches haut de gamme et autres engins électroniques dédiés probablement à tout un tas d’études Pokémon. La lumière endormie de la lune flagellée par la timide présence diurne rebondissait légèrement sur la vitre translucide d’une verrière au fond sur la gauche.

Seules les lampes de la cuisine étaient allumées.

J’aperçus Roy assis à la table, de dos et sa tête baissée entre ses bras accoudés.

Son Motismart volait lentement autour de lui.

Respirant profondément, je m’approchais de lui.

- Roy ?

Il jeta un œil bref vers moi : je devinais une expression tant marquée par la détresse qu’il en cisailla directement ma poitrine.

- Libégon est sous tranquillisant dans la pièce d’à côté…

- Je dois le voir !

Il se leva en bousculant violemment la table.

J’avais vu ses poings se serrer.

- Et tu crois que tu peux toujours faire ce que tu veux… ?

Il se retourna alors entièrement vers moi, le regard émeraude si claquant de colère que je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Voltia grogna, le museau fortement retroussé.

Roy me fit alors obstacle entre le hall d’entrée et le fond de la salle.

- Qu’est-ce que tu racontes ? J’veux juste voir Libégon !
- Hors de question !

Sa voix tonna d’une émotion enragée. Ma gorge se coupa en deux.

- Tu lui as assez fait de mal comme ça alors tu compliques pas les choses et tu rentres chez toi !
- Parce que c’est MA faute !?

J’avais haussé la voix, posant sèchement la main sur ma poitrine. Mais Roy se pencha subitement vers moi, le muscle tendu et les yeux électrocutés d’accusations.

- Oui, C’est TA faute si mon Pokémon est malade !! Sans tes conneries, jamais Libégon ne se serait battu contre ce… ce truc dans la forêt !
- Parce que tu crois que je t’ai demandé de venir me chercher !? TU as choisi de me suivre !
- Et sans moi, tu y serais restée ! Assume de foutre tout le monde dans la merde juste parce que t’en as rien à claquer des autres !
- TOI, assume d’être un mauvais dresseur ! TU as forcé Libégon à combattre ! Si tu faisais plus attention à lui, il ne serait pas sous perfusion en ce moment, il irait même TRES BIEN !

Son rictus en colère se figea.

- T’as vraiment pas l’air de te rappeler que si j’étais pas arrivé à temps…
- Evidemment ! Je dois tout à monsieur le grand chevalier Roy qui m’a sauvée du robot tueur, c’est ça !?
- Un robot tueur ?

C’était Nabil. Dans notre conversation à sens unique, je n’avais pas surveillé la porte d'entrée. Tarak venait de le rejoindre. Je me retournai alors vers l’entrée, les fixant avec toute la gêne du monde. J’espérais que le Maître de Galar n’avait rien saisi de notre conversation.

- Pourquoi vous vous engueulez encore ? Demanda ce dernier en me regardant tout particulièrement.

Roy ne répondit pas, se contentant de nous tourner le dos en se frottant la nuque. Moi, je soutins le regard profondément interrogateur du Maitre galarien.

- Euh... Pour rien.
- Alors, tu as pu voir Libégon ? Demanda alors Nabil en me regardant.

Mais Roy me refit face en m’électrocutant à nouveau de son regard teinté d’un feu d’émeraudes en combustion.

- Je n’veux PAS qu’elle l’approche !

Je lui décochai aussitôt une expression à la fois frustrée et bien trop interrogatrice, une pointe de détresse habillant très probablement le peu de vitalité qui pouvait encore faire luire mes iris.

Nabil avait sursauté : il n’avait visiblement pas encore perçu la forte tension entre Roy et moi.

- Pourquoi ?! Ça pourrait lui faire du bien de...
- Laisse tomber Nabil, il a besoin d’un coupable...

Mon ami d’enfance se figea alors, interdit.

Le champion draconien était au bord des larmes.

Tarak s’avança alors et lui attrapa doucement le bras. Je l’entendis rassurer du mieux qu’il put son ami tandis que ce dernier souffla des « il est en train de mourir, Tarak ». Un coup de couteaux se planta alors dans ma poitrine.

Puis, ils nous tournèrent le dos juste après un coup d’œil significatif du Maître de Galar à son frère cadet. Nabil m’attrapa le bras à son tour. Et nous sortîmes du laboratoire.


***

Nous approchions des six heures du matin.

Le soleil commençait enfin à s’élever dans les derniers nuages encore ensommeillés, peignant le ciel de teintes à la fois bleutées et rosâtres. On entendait Brasswick émerger doucement, bien loin de se douter de ce qui se passait au laboratoire.

Nabil et moi étions restés assis sur le muret de pierre qui délimitait le petit jardin du laboratoire. On entendait un troupeau de Moumoutons paître au loin, la cloche de Brasswick accompagnant leurs bêlements lorsqu’elle sonnait la première heure de la matinée. Le silence était notre seul sujet de conversation depuis un bon moment.

- Pourquoi tu n’veux pas dire ce qui s’est passé à Tarak, Leava ? Demanda finalement Nabil.

Il était vouté, posant ses bras sur ses jambes et jouant avec ses doigts. Je venais également de remarquer la présence de Moumouflon qui broutait dans un carré d’herbe non loin de nous. Quant à Voltia, elle s’était couchée à mes pieds, somnolente.

- Parce que j’ai l’impression que ça n’est pas une bonne idée qu’il soit au courant… Répondis-je enfin.

Il sembla perplexe : c’était compréhensible.

- Au courant de quoi ?
- De ce qu’on a vu.
- Tu peux développer ?

J’inspirai un grand coup tout en me redressant, des courbatures désagréables tranchant mes lombaires.

- Tu vas sûrement penser que je suis folle… mais tout était réel, d’accord ?

Nabil se concentra alors, en témoignèrent son regard droit fixé sur moi et son expression pour le moins sérieuse.

- Très bien… Quand je cherchais mon chemin… J’ai entendu une voix m’appeler… dans la forêt.
- Roy ?
- Non, quelqu’un d’autre…

Mes yeux se perdirent dans le vide. Et progressivement, les images de cette nuit me revinrent, photogramme par photogramme.

- Cette voix voulait… que je la suive. Alors, je l’ai cherchée et… Voltia et moi, nous sommes tombées dans un fossé.
- Merde ! Heureusement que nous n’aviez rien de cassé !

Je souris légèrement, à la fois apaisée par son empathie et amusée par ce détachement vis-à-vis des choses complètement hors des conformités.

- Et comme il était impossible de remonter… On a pris la seule issue possible et on s’est enfoncé dans la forêt… pour arriver dans un endroit que j’avais… vu en rêve.
- En rêve ? Comment, tu étais déjà allée dans Sleepwood ?
- Jamais…

Il resta interdit.

- Et cette voix, c’est pareil… Je l’ai entendu toutes les nuits depuis que… je suis arrivée à Paddoxton.
- Leava… Mais c’est complètement dingue !

J’hochai la tête, malaisée.

- Mais cet endroit, Nabil… Tout était détruit… les arbres broyés, le sol retourné… Il y avait des morceaux de métal partout ! Et puis… cette épave d’avion…

Je le sentis de plus en plus abasourdi.

- Tu... Tu veux dire qu’un avion s’est écrasé dans Sleepwood sans que personne ne le remarque !?

J’hochai encore la tête, mais dans un mouvement saccadé cette fois.

- Cette voix voulait justement m’emmener… au cœur de cette épave… Car elle provenait… de l’œuf que nous avons laissé chez toi.

Il se décomposa, la bouche grande ouverte.

- ... Et ensuite ?

Moumouflon s’était approché de nous, semblant aussi écouter attentivement notre conversation. Voltia l’avait imité, s’étant levée de sa couchette d’herbe pour s’asseoir juste devant moi, l’œil brillant.

- Ensuite, c’est devenu surnaturel… J’ai été attaqué par un Kabutops.
- Un Kabutops ?! Mais y’en a pas dans Sleepwood !

Je levai la main.

- Flash info ! C’était un robot mais je ne m’en suis rendue compte que lorsque Roy a débarqué ! Le pire, c’est que dans mes rêves, cette machine était là… bon, c’était plutôt abstrait mais...
- Le fameux… Robot tueur !? Dans la forêt ?!

Je marquai une très courte pause en haussant les épaules.

- Et donc, Libégon s’est battu contre ce… euh… ?

Mon voisin talonna mes prochaines paroles, en témoigna le ton averti de sa voix. Je me figeai légèrement.

- Tout le problème est là, Nabil ! Libégon a encaissé une attaque très violente, comme une déflagration bizarre qui a pris la forme de grandes griffes ou un truc du genre… avec une couleur rouge vraiment étrange... Ça avait l’air fait d’une énergie très mauvaise, frissonnai-je.

Mon voisin se tint soudainement la nuque, rentrant sa tête entre ses bras sur un ton lamenté.

- Merde, c’est pas bon du tout… ! Si ça sort d’une machine, ça ne peut qu’être un truc ultra chimique complètement déglingué que Libégon a ingéré ! Ça expliquerait pourquoi les sérums ordinaires ne fonctionnent pas !

Je me tournai légèrement vers lui.

- Tout ce que je viens de te dire, tu dois le garder pour toi, compris !?

Il me jeta un regard à la fois inquiet et volontaire.

- J’aurais vraiment envie de prévenir le frangin là.… commença-t-il.

J’insistai par la seule force de mes yeux apeurés, le cœur battant : c’était pour le voir se lever dans un mouvement presque affirmé tout en s’étirant longuement.

- Mais on verra ça, plus tard ! Libégon est la priorité !

Puis, il se frotta le menton.

- Zacian et Zamazenta… Y’a forcément une raison qu’ils soient venus à toi !

Je me redressai à mon tour, soudainement happée de stupeur : il venait de se tourner vers moi, esquissant un sourire déterminé.

- Reprenons ! Ils t’ont dit quoi, déjà ?

Je marmonnai alors la phrase à peine hululée dans ma tête : « sauve-le ».

- C’est peut-être la clef, Leava ! Toi seule peut secourir Libégon si les Pokémons gardiens te l’ont dit ! S’exclama alors mon voisin en levant le poing en signe d’une victoire même pas acquise.
- Ouaip bon, Ils ont visiblement oublié de me fournir le mode d’emploi, hein ?

Il sembla légèrement décontenancé, revenant s’asseoir sur le muret. Nous restâmes à nouveau longuement silencieux.

- De toute façon, Roy m’interdit d’aller voir Libégon…
- Leava… Tu sais, l’amour qu’il voue à ses Pokémons est très fort. Il agit sous le coup de l’émotion…

Je ne répondis pas, posant mes deux mains sur mon visage : je réalisais enfin que j’avais sorti beaucoup trop de mots horribles au champion draconien, lui qui m’avait sauvé la vie et moi, qui ne trouvais rien de mieux pour le remercier que de le blesser. Je constatais que je peinais toujours autant à maitriser mon hypersensibilité, préférant hurler que de me poser avec toutes mes émotions brûlées pour leur parler plus gentiment. Et pourtant, j’avais ressenti dans une talonnade nerveuse remontant dans mes veines, toute la souffrance qui broyait si bien son âme tout à l’heure.

- En tout cas, si tu fais des rêves prémonitoires, que tu entends des voix, et que Zacian et Zamazenta t’ont dit que tu peux sauver Libégon… Alors, c’est que ma voisine est un Pokémon fabuleux, je n’ai pas d’autre explication !
- T’es trop bête ! Ris-je légèrement en lui poussant l’épaule.

Voltia jappa alors joyeusement. Je lui caressai la tête, soulagée d’au moins la voir bien mieux remise que moi. Puis soudain, Nabil se pencha un peu vers elle : son mouvement attira mon attention et mes yeux tombèrent sur une expression profondément réflexive.

- Et ben…
- Quoi ?
- Bah, pour un Pokémon qui a passé toute la nuit dans une forêt sans dormir ni manger, elle est drôlement en forme ta Voltali !

J’accompagnai son étonnement.

- C’est vrai… Même après avoir combattu ce Kabutops-robot…

J’observais alors Voltia : je ne l’avais pas tout de suite remarqué, mais son poil hérissé était brillant de vitalité tandis que son œil profondément sombre luisait avec ferveur. Pourtant, j’avais encore le souvenir de la blessure mentale que m’affligeait son état d’extrême fatigue, ses multiples blessures, sa fourrure tachée par la boue et son incapacité à contrer les premières attaques de l’animatronique fou. La peur de la voir mourir me retraversa brièvement les boyaux, laissant un vertige flageller mes tempes.

- Ha, je me souviens ! Elle était vraiment mal au point mais ça allait mieux quand…

Et j’écarquillai les yeux sur mes mains.

- J’ai fait…

Elles étaient tout à fait banales.

Mais seulement lorsqu’elles ne luisaient pas de ce voile blanchâtre translucide qui m’avaient tranché les sens dans la forêt, les doigts fourmillant de picotements et les veines brûlant comme des points de chaleur au cœur d’un feu doux.

Et soudain, je revis les écorchures de Voltia se résorber sous l’impulsion ensorcelée de cet aura couleur de neige, scintillant comme une poudreuse nouvelle en prodiguant aussi ce soin étrange aux pulsations effrayées de l’œuf de Pokémon que je sauvais des lames tranchantes du Kabutops. Je ressentis à nouveau toutes les sensations que me prodigua cette chaleur de givre si familière, à la fois douces et piquantes, congelées et incendiés, et toujours accompagnées de ce sentiment d’apaisement qui rendait tout si simple et surmontable.

Une migraine atroce tambourina mes tempes. Mais je me gardai de me laisser ficeler par la douleur des coups de marteaux.

Nabil, quant à lui, saisit aussitôt mon malaise dans sa voix emportée.

- Ça va ?

Je me levai brutalement, mes mains bien déployées devant mes yeux !

- Je suis vraiment trop stupide ! Pourquoi je ne m’en rends compte que maintenant !?

Je m’apprêtai déjà à rejoindre la porte d’entrée du laboratoire : et je sentis la poigne de mon ami d’enfance sur mon bras.

- Mais attends ?! Tu parles de quoi !?
- Nabil ! Je crois que je suis vraiment un Pokémon fabuleux !
- Hein !? Mais je blaguais !
- Non, tu n’comprends pas ! Si Voltia est en forme, c’est parce que dans la forêt j’ai fait un truc qui l’a guéri ! Ça sortait de mes mains ! C’était tout blanc et ça brillait ! Puis, ça se transférait sur elle, comme ça ! Et puis tout à coup, elle allait super bien ! Je n’sais pas comment j’ai fait mais je l’ai fait et je dois le refaire sur Libégon ! C’est ça que voulaient dire Zacian et Zamazenta !

J’avais complètement perdu mon voisin, visiblement : il avait le visage figé, la bouche entrouverte, les yeux tombés dans les miens.

- Leava… T’es en train de me dire que tu as… un genre de pouvoir qui soigne les Pokémons ?!

Je balançai mon regard dans tous les sens, désemparée.

- Oui mais... J’oublie tout le temps !
- Ok ! Admettons ! Tu pourrais guérir Libégon ?
- Je crois.

Je n’avais aucune idée de quoi je parlais.

Essoufflée, je me tenais la poitrine : mon cœur était en passe de rompre ma poitrine. Pourtant, il devait en dire long sur ma soudaine volonté ravivée : j’ignorais si c’était juste du désespoir ultime ou une conviction naissante mais dans tous les cas, je n’en pouvais plus de rester là, à ne rien faire.

Nabil sembla chercher ses mots. Puis, il me lâcha le bras, une expression déterminée brisant les traits habituellement doux de son visage.

- Ok, Leava ! J’te fais confiance !

Je secouai légèrement la tête puis me dirigeai rapidement vers la porte : alors, celle-ci s’ouvrit subitement et je reculai sans aucune délicatesse.

Tarak apparut sur le seuil, me coupant la route avec ce regard sévère qui se mariait bien mal avec son visage. Ça me glaça pourtant tous les sens.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Je résistai à son ton gelé.

- … Je dois voir Libégon !

Il me décocha un « hors de question » dévastateur qui freina au moins ma grande volonté suicidaire pendant un bref instant.

- Tu restes là ! Roy ne veut pas que tu l’approches ! Tu peux au moins respecter ça !

Nabil vint à ma rescousse.

- Frangin ! Ça pourrait peut-être…
- Vous ne faîtes rien tant que Sonya n’est pas revenue de Motorby ! Je vais l’appeler pour lui dire de prendre les sérums les plus puissants qu’elle pourra trouver au laboratoire de la ville !
- Mais je t’assure que… !
- Ça suffit, Nabil ! Vous ne bougez pas d’ici et tu empêches ta copine d’entrer dans le laboratoire ! Coupa-t-il sévèrement en décochant particulièrement son ton énervé sur moi.

Tarak venait de sortir son Motismart, commençant déjà à entrer un numéro sur l’écran. Il nous tourna le dos ensuite pour s’en aller, plaquant le téléphone contre son oreille. On le fixa, attendant qu’il disparaisse de notre champ de vision.

Même si la colère faisait trembler mes poignets, je n’arrivais pas lui en vouloir : le Pokémon de son meilleur ami frôlait actuellement la mort. Nabil se résiliait quant à lui mais je pouvais l’entendre se mordre les lèvres : il semblait incapable de tenir tête à son grand frère quand ce dernier était dans cet état.

Puis, mon ami d’enfance se tourna vers moi, se grattant le dos tout en grommelant.

- Qui est Sonya ? Demandai-je tout de même.

- La professeure du laboratoire et accessoirement sa petite amie… elle m’avait pris comme apprenti à l’époque avant de devenir son second. Elle est justement en colloque toute la semaine à Motorby, ça tombe mal… ! Répondit-il, désespéré.
- Si on attend sur elle, Libégon aura le temps de prendre dix allers simples pour l’au-delà !

Il se tint d’abord la tête en soupirant longuement. C’était avant d’un éclat étrange ne se faufile dans ses iris ambrées : il regarda une dernière fois vers le chemin de pavé où Tarak avait disparu, puis il se pencha légèrement vers moi, discret. Voltia et Moumouflon semblèrent aussi nous écouter attentivement.

- Bon, écoute-moi bien… Roy ne te laissera même pas poser un pied dans la salle de repos mais hier soir, je suis passé chercher des trucs au labo et j’ai laissé la fenêtre du fond ouverte… Tu verras, la vitre est légèrement fissurée…


***

Il était maintenant sept heures du matin.

J’avais contourné le laboratoire Pokémon aux briques couleur pluie. Voltia me suivait, faisant de tout petits pas sur le gravier.

Nous atteignîmes assez rapidement l’arrière, dissimulé par les buissons et le muret construit à une hauteur plus importante, séparant largement la propriété des autres présentes dans le quartier brasswickien.

Après un balayage visuel très minutieux, je repérai sans peine la fameuse vitre légèrement marquée par la fameuse fissure. Voltia jappa doucement, humant fréquemment l’air. Moi, J’avais le ventre broyé et les muscles si tendus qu’ils me courbaturaient douloureusement depuis ma sortie de la forêt. Mais je marchai, voûtée, en longeant le mur de pierre, sur la pointe des pieds et le souffle court.

Enfin, j’arrivai à la hauteur de la fenêtre.

Elle était effectivement très légèrement entrouverte.

Je jetai alors un œil à l’intérieur.

On distinguait assez mal la pièce en elle-même mais j’aperçus très rapidement Libégon.

Il semblait être allongé sur une couchette de fortune. On l’avait couvert de grandes couvertures aussi. Deux ou trois perfusions étaient posées sur des tringles métalliques à ses côtés, sans doute les tranquillisants dont parlaient l’infirmière et Roy. Malgré la distance, j’avais la sensation nette d’entendre sa respiration malade fuiter dans l’atmosphère obscure. Le champion draconien était à ses côtés. Il lui caressait la tête, le regard lourd de chagrin.

Cette vision m’arracha un souffle de douleur dans la poitrine : je peinais pourtant à voir son visage depuis mon poste d’observation de fortune, mais l’éclat de détresse qui abimait actuellement ses yeux émeraudes perçait sans aucun effort la pénombre. Même les luminosités saturées des machines n’avaient pas la force de se montrer parmi les ombres feutrées.

Voltia jappa encore : je lui demandai, furtive, d’être la plus silencieuse possible.

Soudain, la porte du fond s’ouvrit dans un jet timide de lumière. Comme convenu, Nabil entra et s’approcha doucement de Roy.

Notre plan était le suivant : retenir le champion draconien dans le hall pour une raison ou une autre afin que je puisse être tranquille avec Libégon, et surtout avec mon apparent « pouvoir ». Enfin, en théorie : j’ignorais totalement comment j’allais m’y prendre vu que je ne savais absolument rien de ce don. Je n’étais même pas certaine d’avoir vraiment compris ce qui s'était passé dans la forêt. En réalité, j’étais complètement pétrifiée par l’éventualité de n’arriver à rien avec Libégon, et de me faire haïr pour de bon par son maître. Les cognements de mon cœur aimaient bien rappeler cette inquiétude vertigineuse à mon esprit tendu par l’urgence, aussi.

Le stratagème semblait néanmoins fonctionner : Roy s’était redressé et suivait Nabil d’un pas lent. J’ignorais totalement ce que mon voisin avait pu inventer pour l’attirer hors de la salle de repos mais la deuxième étape du plan s’enclenchait maintenant !

Je poussai la fenêtre.

Celle-ci s’ouvrit dans un grincement léger. Je grimpai sur le rebord non sans difficulté, ankylosée par mon épaule encore très douloureuse. Voltia bondit plus aisément, arrivant finalement la première dans la salle.

Seule une grande lampe était allumée au centre de la pièce. Son ampoule feutrée éclairait faiblement Libégon. Il ne bougeait pas, complètement anesthésié.
J’avançais prudemment, me gardant du mieux que je pouvais de répondre aux battements saccadés dans ma poitrine. Voltia était un peu plus loin devant moi.
Elle continua d’humer l’air poussiéreux. Puis, elle se tourna et ronronna tout doucement, me faisant comprendre que nous étions tranquilles.

J’arrivai enfin vers le Pokémon dragon. Sa respiration lourde semblait talonner les douleurs qu’il était en train de combattre dans son organisme. Je m’agenouillai alors vers sa grande tête reptilienne, posée sur un coussin.

- Hey… mon grand.

Il ouvrit difficilement ses yeux draconiens : son regard était toujours explosé de rougeurs.

En posant ma main sur son crâne, je sentis une fièvre affreuse lui brûler les veines. Je ressentis tant et si bien sa faiblesse qu’un vertige sec venait d’arracher mes tempes.

Voltia s’assied à côté de moi, grognant amicalement vers son nouvel ami. Libégon sembla alors étonnamment la reconnaitre, en témoigna une soudaine réponse brève provenant du fond de sa gorge. Mais le mal qui rongeait son corps accomplissait des efforts colossaux pour l’anéantir. C’était insupportable à regarder.

Mon cœur cogna plus fort : je me mis alors à caresser lentement son crâne.

Même si Libégon semblait tolérer ma présence, il ne montrait aucun vrai signe de communication pour le moment. En fait, il évitait mon regard. Moi, j’avais juste l’insurmontable impression que les tranquillisants ne faisaient que ralentir la fatalité : son état second ne s’était pas amélioré depuis la sortie de la forêt.

- Libégon…

J’inspirai un grand coup.

- Tu as été tellement brave dans la forêt… je… merci… de nous avoir sauvées.

Ma voix résonna dans le néant de la salle. Voltia se colla à moi, les oreilles en avant.

- Tu sais… Quand ton dresseur a dit que je suis responsable si tu es malade…

Libégon jetait parfois son regard rougi par la maladie dans ma direction.

- Je crois… qu’il a raison.

Sa respiration s’était peut-être légèrement radoucie.

- Je n’ai pas voulu l’écouter…

Ses frissons s’étaient peut-être calmés.

- Je veux dire… Je ne réfléchis jamais à ce que je fais et… à cause de ça, les autres se mettent en danger pour moi et… ça n’a pas changé.

Je l’avais presque dit instinctivement.

Libégon avait légèrement redressé la tête.

- Mais… il faut que je te montre que je peux t’aider…

Voltia ronronna doucement, frottant sa tête contre le grand crâne du Pokémon dragon.

- C’est peut-être trop tard mais... Je dois essayer de tout réparer.

Un sanglot incontrôlable trancha ma voix en deux. Voltia continua ses petits ronronnements, me toisant de son regard sombre profondément luisant quand Libégon tourna un peu plus la tête dans ma direction.

Il semblait plus attentif à moi : son grognement était plus vif.

- Tu crois que Roy pourrait me pardonner ? Je sais qu’on vient de se rencontrer mais… ça me fait peur qu’il me déteste… c’est bizarre, hein ?

A ma grande surprise, Libégon leva son imposante tête non sans difficulté puis la posa très délicatement sur mes genoux endoloris. Je continuai de le caresser d’un geste lent et délicat : malgré la pâleur de sa peau infectée par le mal qui le torturait, il me donna la sensation de beaucoup mieux respirer.

Libégon cherchait maintenant mon contact. J'étais happée par les étranges familiarités voguant au fond de moi.

- L’autre jour, j’ai mené un match pokémon… le premier depuis mon accident… J’avais plus du tout confiance en moi et j’avais très peur. Moi, je voulais déjà abandonner…

Je marquai une courte pause. Libégon sembla progressivement s’apaiser en ressentant la chaleur de mon corps.

- Bon, d’accord ! Ton maître m’avait vraiment mise en colère mais… je dois l’admettre, Il a réveillé cette petite voix qui me pousse à aller sur le terrain. Peut-être qu’il fait aussi parti de ces gens qui me donnent envie de me battre... comme Nabil ! qu’est-ce que j’aurais fait sans mon ami d’enfance, aussi ? Tu sais, il est la première personne que j’ai retrouvée ici et il m’a tirée en avant tout de suite… Il transmet si facilement sa détermination… Je crois que je suis un peu jalouse.

Un énième brin de silence poussa un instant sur ma voix de plus en plus fatiguée. J'entendis Libégon respirer profondément.

- Oui, tous ces gens… me donnent envie de réessayer… C’est comme ça, il y a des âmes qui nous forcent à nous dépasser.

Le Pokémon dragon leva plus souvent ses yeux vers moi. Malgré les rougeurs qui les ensanglantaient, je crus y percevoir un soudain regain de vitalité.

- Alors… pourquoi je suis toujours en colère ? Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ?

Voltia jappa un peu plus fort. Libégon répondit par un grognement plus soutenu.

- Alors, je suis venue ici… pour essayer de guérir… Ca fait un an que je me bats.

Le grand Pokémon dragon secoua légèrement la tête. Son regard était déjà plus clair.

- Et je sais comme c’est injuste… quand les autres subissent cette colère.

Je marquai une pause, laissant encore le silence bavarder avec nos émotions tempétueuses. Je laissais toujours ma main caresser inlassablement le crâne lisse de Libégon. Ses yeux se remirent alors, faisceau par faisceau, à arborer le signe de sa volonté de vivre rappelée à l’ordre.

- J’ai dit des choses horribles à Roy… Mais tout ça, je ne le pensais pas… Je connais trop bien… cette peur de perdre quelqu’un que l’on aime…

Ma voix s'étouffa dans un souvenir sans image.

- Et s’en vouloir parce qu’on est tellement impuissant…

Quelques larmes s’échappèrent malgré elles de mes yeux assiégés à la fois par le sommeil et un passé brutalement trop présent. Je les laissai paresseusement tremper mes joues.

Libégon redressa toujours plus la tête, trouvant dans un élan net d’énergie, la force naturelle de la maintenir vers mon visage. Alors, il posa très délicatement son large front reptilien contre le mien. Et mon regard plongea dans ses yeux revitalisés.

- Je te le promets… Maintenant, Je serai plus forte.

Libégon grogna affectueusement.

Puis, ses ailes vrombirent.

Il se redressa de tout son long.

Il se dégagea des couvertures.

Les perfusions sautèrent une par une.

Et ses yeux s’énergisèrent d’un intense éclat de vie.

Alors, un poids colossal vint peser sur mes épaules endolories.

Mon corps dégringola dans le néant.

Et mes yeux s’alourdirent.

Alors au dernier moment, je regardais vers le Pokémon Dragon débordant de vigueur, comme si tout ceci n’avait jamais été qu’un mauvais rêve.

- Mais… plus tard…

Et la lumière s’éteignit.


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