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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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Informations

» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 14/09/2023 à 19:02
» Dernière mise à jour le 19/11/2023 à 23:38

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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En enfer
Le sommeil m’avait subitement quitté à cinq heures du matin.

J’avais donc passé la matinée à explorer la maison, découvrant non sans étonnement ce qu’elle renfermait malgré toutes ces années.

Comme les événements d’hier avait été très éprouvants, Nabil m’avait proposée de rester à la maison pour une grande partie de la journée avant de le rejoindre vers dix-huit heures afin de discuter du fameux Défi des Arènes : Il s’était mis en tête de réussir à convaincre son frère même si je n’attendais pas de miracle.

Des dossiers et cartons jonchés d’affaires familiales étaient étalés au milieu du salon.

Ils provenaient des petits placards environnants sentant la naphtaline. Je constatais, non sans une certaine surprise, que mon père n’avait pas tant gardé de choses. Seuls quelques habits assez désuets lui appartenaient.

J'étais quand même tombée sur quelques effets à maman et moi : revoir ces pulls d’enfants que je détestais enfiler en plein hiver parce qu’ils grattaient horriblement me tirait quelques sourires nostalgiques en souvenir de la petite fille parfois caractérielle que j’étais.

J’avais pris un certain temps à trier les photos aussi, happée dans les filets d’une mémoire bien ensommeillée. Je réalisais alors parmi les innombrables clichés sur le tapis, que je n’avais trouvé aucune photo de maman et papa ensemble. Ca n’aurait pas dû tant m’étonner : je n’avais aucun souvenir qu’il ait existé une véritable relation de couple entre eux. De toute façon, nous en parlions très peu à Kanto.

Dans un petit album, je trouvais encore quelques photos avec nos voisins, Nabil et moi au premier plan. Il était possible de nous voir avec mes jouets de Pokémon dragon dans l’allée qui grimpait vers la maison, imaginant des univers entiers dans un monde dont nous n’étions pas plus conscients que ça de la taille colossale. Il y avait aussi des photographies du jardin de Nabil où nous avions été invités une fois avec ma mère pour un Barbecue. C’était bien le seul moment où nous ressemblions brièvement à une famille.

Comme je l’avais souligné, je n’avais jamais eu l’occasion de connaître le voisinage puisque je ne jouais qu’avec mon voisin direct chez les Dandelions. A un âge aussi infantile, je n’avais jamais essayé de savoir pourquoi. Maman me disait simplement qu’elle voulait me préserver le plus possible du monde extérieur parce que je n’avais pas encore la force de m’y confronter réellement, des mots qu’un enfant saisissait au vol, effrayé par l’étrange connotation qu’ils arboraient mais l’effaçant rapidement d’un revers de pensée pour se dire simplement qu’il n’avait pas le droit.

Mais que penserait-elle de moi aujourd’hui ? Dirait-elle que « tu aurais pu être plus forte que ça ? ».


Soupirant, je rangeai les photos dans les albums. Puis, je triai petit à petit les boites de fichiers trouvés dans les petits placards du salon.

Elles contenaient essentiellement de simples factures d’époque et des abonnements à je ne sais quelle société téléphonique.

Je venais enfin de le remarquer d’ailleurs, mais il n’y avait aucun réseau téléphonique dans la maison. La dernière facture datait de l’année après notre départ. Je concluais simplement que papa avait déjà décidé de partir de Paddoxton au moment où nous-mêmes l’avions quitté pour Kanto. Enfin, il avait quand même pris la peine de financer l’eau courante ainsi que l’électricité durant quatorze longues années mais je ne me posais pas spécialement plus de questions.

Enfin, à par celle-ci : peut-être était-il allé vivre un moment à Ludester, la ville où se trouvait la maison-mère de sa société immobilière ? Je déduisais cette possibilité en étant tombée sur plusieurs documents de son travail au fond d’un carton de photos, contenant des propositions d’appartements (onéreux) appartenant à la Ludester Flat. Les annonces étaient en outre recouvertes de commentaires annotés rapidement au stylo, comme un décryptage des qualités et défauts de chaque appartement avec des « trop près de la gare », « pas assez de pièces » ou « trop en centre-ville ». J’avais la sensation qu’il cherchait la perle rare avec certaines annotations frôlant l’exigence d’un prince. Ce dernier point esquissait un discret sourire sur mes lèvres, imaginant peut-être bien mon propre paternel se comporter comme un véritable bourgeois galarien. Ludester était d’ailleurs la ville de ma naissance mais nous avions déménagé si rapidement à Paddoxton que je n’en gardais aucun souvenir.

Ceci fait, j'ouvris quelques cartons trouvés sous l'escalier.

Je tombai alors sur l’impressionnante collection de serviettes brodées de ma mère. Maintenant que j’y pensais, maman avait continué cette activité délicate à Kanto, un des rares héritages de notre vie à Galar. Elle me disait souvent que ça l’aidait à ne pas trop penser. Sans doute ces innombrables projets scientifiques étaient-ils si anxiogènes qu’elle avait trouvé simplement le moyen de s’en défaire pendant quelques heures, le temps que son esprit reprenne son souffle. Elle brodait pourtant de moins en moins au fil des saisons, rattrapée par son épuisement chronique.

Sur la grande majorité des serviettes étaient brodés divers motifs représentant des Feunards d’Alola. Je me souvenais que maman adorait particulièrement ce Pokémon. Dans notre appartement à Safrania, il n’y avait pas une seule pièce où on ne trouvait pas l’une ou l’autre image de cette créature fantomatique faite de glace vive que l’on rencontrait exclusivement dans la région insulaire située à des années-lumière de Galar. Elles étaient toutes ternies par la poussière et j’avais décidé de secouer l’entier du placard dans le petit jardin, manquant de m’asphyxier dans ce nuage vieux de quatorze années.

D'ailleurs, j’étais passée plusieurs fois devant la chambre de mes parents durant mon rangement : j’avais refusé de la nettoyer l’autre jour avec Nabil.

La grande majorité de ma journée s’était donc déroulée sur le tapis du salon, une assiette de légumes coupés à mes côtés ainsi que du thé glacé. Je triais encore et dans une concentration nostalgique, quelques derniers grands cartons usés remplis de vieilles factures. De la télévision s’élevait de la musique classique (je laissais tourner une chaîne musicale) afin de m’accompagner dans mon ménage personnel. C’était visiblement le seul appareil connecté de la maison mais le nombre de choix de chaînes était un peu dérisoire.

Les serviettes bien pliées, je sortis les derniers classeurs d'un petit placard dans le salon.

Je trouvais ainsi avec surprise les ordonnances médicales comme les factures des frais d'hôpital de maman. Je découvris dans une once d’étonnement qu’elle se faisait déjà traiter alors que j’avais à peine quelques années. Le nombre de médicaments ainsi que le coût des soins firent émerger quelques profonds souvenirs de son hospitalisation à Kanto. Mais je ne cherchai pas à lire minutieusement chaque bout de papier, me contentant de tout garder dans un même classeur sans doute par respect pour ces temps éloignés où elle se battait contre la maladie.

Maman et moi n’avions jamais été réellement proches. Mais elle était souvent très inquiète pour moi. Mais le souvenir du jour où j’avais perdu contre un étudiant sur le campus de l’université de Safrania rallumait constamment ce regretté désir de relation que j’aurais aimé créer plus tôt avec elle : j’avais accouru à la maison avec Voltia dans mes bras, alors toute jeune Evoli et blessée par les attaques agressives du Rattatac de mon adversaire. J’en avais trop demandé à mon Pokémon, si têtue et inexpérimentée, et elle avait subi bien plus de dégâts qu’elle n’aurait dû en encaisser. Pour la énième fois dans ma vie, j’étais convaincue de n’être à la hauteur de rien, et même pas des matchs Pokémon, blottie contre maman en pleurs sur le canapé, suffocante : « d’autres combats t’attendront, Leava. Bientôt, tu donneras toutes les raisons à tes ennemis de craindre cette lueur qui se cache en toi… crois en son pouvoir… et tu croiras en le tien », me disait-elle avec sa voix douce. Et à mes côtés, Voltia se réveillait, remise de ses blessures sous mes yeux ébahis.

A partir de ce jour, j’avais pris ma formation de dresseuse plus au sérieux : je m’entrainais d’arrache-pied avec Voltia dans les environs de l’université, affrontant d’innombrables étudiants chevronnés et développant mes propres stratégies de combat. Puis, quelques semaines après le départ de maman, je démarrais le Tour des Arènes de Kanto, formant petit à petit ma propre équipe, affrontant les champions et grimpant vers le sommet, imperturbable. Mais une fois devant les portes de la Ligue, cette volonté indestructible avait subitement fini en morceaux. Quel projectile avait pu la frapper ? Les fragments étaient restés muets devant mon armistice. Ils ne me laissèrent que cette tranchée vide en guise de douleur à laquelle nous nous habituons, faute de pouvoir la soulager. Mais à quoi bon trouver une excuse aujourd'hui ? Maman n'était plus là. J’avais choisi d'abandonner.

Et personne n'était venu me le reprocher.

La cloche de la petite chapelle de Paddoxton me tira de mes pensées.

Voltia vint se frotter à moi, le ronronnement doux. Je la caressai en souriant puis rangeai les dernières factures d’hôpitaux dans le classeur. Je me levai pour m’étirer ensuite, un peu ankylosée.

Je repensais alors au match Pokémon d’hier, le premier que j’avais livré depuis mon accident (théoriquement le deuxième mais Dusk avait eu le mérite de me rappeler la différence entre le match amical et le pugilat) : J’y avais ressenti tellement d’émotions à la fois si familières et fondamentalement inconnues que je me demandais encore si je n’avais pas simplement rêvé cet affrontement dénué de tout sens logique. Pourtant, si Dusk venait à débarquer dans mon salon pour me défier une nouvelle fois, aussi absurde que cela puisse paraître, il était probable à ce que je ne dise pas non. A cet imprévu s’ajoutaient tous mes ressentis bien plus réceptifs depuis que j’étais à Galar.

Mais surtout, j’avais encore discerné sa présence parmi les fulminées énergies du combat. Oui, je connaissais cette chaleur. Elle s’était s’échappée, déjà, par le couloir de la maison. Et sous couvert du bruit de la serrure, elle se posait sur l’hiver qui vivait en moi. J'avais alors entendu sa neige apaisante grésiller sur mes douleurs.

Ça n'avait aucun sens.



***



Voltia couina doucement.

- Hey ? Je me sens bien… Te fais pas de souci.

Mais j’avais le défaut principal d’être malhonnête envers moi. J’y avais donc beaucoup pensé durant mon exploration de la maison : si déjà, j’étais capable de ne pas refuser un deuxième combat Pokémon contre Dusk, étais-je vraiment disposée à décliner la possibilité de continuer dans cette voie en tentant ce fameux Défi des Arènes ? Me retrouver à Galar aurait dû servir à m’éloigner des traumatismes de Kanto. C’était donc le comble de l’absurdité, mais j’y avais même réfléchi toute la soirée précédente tandis que nous avions finalement participé tous ensemble au barbecue public à Brasswick. Nabil, toujours enthousiaste, m’avait affirmé qu’il connaissait des lieux « complètement oufs » qu’il ne manquerait pas de me faire découvrir et j’admettais maintenant avoir été plutôt encline à répondre à sa passion de guide touristique.

J’avais au préalable souvent jeté un œil vers Roy : s’il avait enfin daigné lâcher son Motismart, il ne s’était jamais tourné dans ma direction. Plus concrètement, il m’avait ignoré toute la soirée, discutant avec Tarak, les parents et le grand-père de Nabil, ou encore Nabil lui-même. Une chose m’était claire, il avait l’air de s’en battre royalement les Noadkokos de ma participation plausible au plus grand événement sportif de Galar, lui, le champion draconien, meilleur ennemi de Tarak (excusez du peu !) et accessoirement starlette du net qui passait plus de temps à lustrer son sourire que ses pokéballs.

Nabil m’avait cependant empêchée de me lamenter sur mes attentes abracadabrantes. Je l’entendais encore me dire que la région de Galar était connue pour ses nombreuses légendes provenant de temps immémoriaux, habitées par les héros et les princes les plus respectables et courageux de la région, comme par les plus grands mystères encore irrésolus de nos jours, énigmatiques créatures inconnues et trésors insoupçonnés cachés au cœur du folklore galarien.

Et je l’entendais toujours d’ailleurs.

Mais cette fois, il ne parlait pas des héros de Jadis : il tambourinait à ma porte en hurlant mon nom !

Voltia surréagit aussitôt dans plusieurs aboiements pressés vers le hall d’entrée, sa fourrure soudainement titillée par des petits jets électriques. Je bondis hors de mes pensées et fonça lui ouvrir, le cœur battant.

Il était essoufflé sur le seuil, le regard écarquillé, les muscles tendus, la peau en sueur.

- LEAVA !

Il aligna ses mots comme un mauvais joueur de dominos. Après s’être retrouvé au milieu du salon, mon voisin reprit quand même son souffle pour se retourner vers moi. J’avais entre temps posé un tas de questions dans le vide.

- Bon, tu me dis ce qu’il se passe !? Un incendie ? Une attaque nucléaire ? L’autre champion de Kickatruc a supprimé son Pokégram !?
- Pire que tout ça ! Regarde !

Il tendit son Motismart, le bras tremblant.

Je m’empressai de le lui prendre.

Et je pâlis.

Sur l’écran, la vidéo de mon combat contre Dusk tournait en boucle, filmé de tous les côtés, probablement par un autre Motismart.

En dessous, le nombre vertigineux de vues qu’elle engendrait.

Au-dessus, le nombre colossal de pages où la vidéo avait été partagée.

Un peu plus en dessous encore, le nombre effrayant de commentaires qu’elle supportait.

J’affichais les pages des réseaux sociaux, une par une sans voir un seul changement dans l’effervescence.

- Qu’est-ce que ça veut dire !?

Mon combat avait traversé la région entière, à la vitesse d’un Strido-son.

Tout le monde était galvanisé par ce match de campagne qui avait servi à ouvrir une séance de dédicaces.

Ce même monde qui nous proclamait favorites du Défi des Arènes commençant dans quelques jours.



***


Je me laissa tomber dans le divan, fixant le Motismart que j’avais posé sur mes genoux. Nabil m’imita. Et nous restâmes silencieux, essoufflés face à la déferlante des vues qui s’additionnait par millions sur le compteur.

- J’ai d’abord tilté que ça avait été partagé sur le compte Pokégram de la Ligue ! Puis, ça s’est propagé comme des Cotovols ! M’expliqua Nabil entre deux respirations.

Je continuais de fixer l’écran, hagarde.

- Tout le monde pense que tu vas faire le Défi des Arènes avec Dusk ! Apparemment, il y a déjà des fans clubs qui se forment pour les challengers et ton nom est déjà ressorti plein de fois ! Je suis vraiment désolé, Leava ! C’est la cata !

Mon voisin rangea sa tête entre ses bras accompagné d’un profond soupir désespéré. Quant à moi, les angles de vues du Motismart m’interpellèrent.

- Tu ne trouves pas que c’est vraiment bien filmé ?
- Toi aussi ? On arrive vraiment bien à suivre le combat. Ç’est sûrement un pro de la caméra ! Acquiesça Nabil en relevant les yeux vers moi.

Nous replongeâmes à nouveau dans un silence réflexif. Voltia, qui reconnut sensiblement les sons dans la vidéo, jappa vers moi en remuant vivement les oreilles.

J’observais encore les angles de vue : Ils se concentraient particulièrement sur nous, et à des moments où l’effervescence atteignait son maximum. Je me voyais, l’œil brûlant, le corps dressé et l’âme en avant, ne me préoccupant que des énergies hurlées dans mon combat. Voltia brillait par sa force de volonté, s’élançant comme un jet de lumière dans l’affrontement, grimpant dans le ciel et paraissant déployer des ailes électrifiées à chaque rebond galvanisé sur les roches.

Mais la vidéo ne minimisait pas non plus la présence de Dusk : son regard furieux, ses muscles tendus et son esprit affuté par la rage étaient remarquablement valorisés par le Motismart inconnu. On entendait l’air se faire embraser par le souffle de lave de son Démolosse.

Ses images me firent prendre conscience à quel point notre match avait été agressif. Je décortiquais aussitôt mes souvenirs de la fête, étrangement persuadée d’avoir croisé au moins une fois à mon insu, l’auteur de ce projet.

- On dirait que quelqu’un veut que tu fasses le Défi… Ha ! Je te promets que c’est pas mon frangin, il t’en aurait parlé ! S’alarma Nabil en gesticulant.
- Non, ça n’est sûrement pas Tarak…

Brutalement, un instant précis réapparut dans ma mémoire : et j'entendis cette voix défier la moindre veine bouillonnante de mon esprit, alors que son propriétaire me retenait prisonnière en appuyant tout son poids sur mon épaule.

Je me levai violemment, lâchant le Motismart.

Voltia se mit à trottiner vers moi, le grognement atterré : et moi, je manquai d’exploser la porte du hall d’entrée.

Au même moment, mon voisin me suivit en plaçant entre chaque respiration haletante, « Leava ! Mais attends-moi ! Tu sais qui c’est ? ». tandis que je pressai le pas sur le sentier pentu, me repassant sans cesse la scène dans ma tête fumante de colère.

J’arrivais alors vers le portail de sa maison, me tenant à la lisière.

- Où est-il ?!
- Euh… où est qui ?
- Le machin rival de ton frère !
- Ha ! Tu parles de Roy ! Il est parti s’entrainer avec Tarak mais…
- C’est lui qui a posté la vidéo !

Mon ami d’enfance me dévisagea.

- Hein ? Pourquoi il aurait fait ça ? J’veux bien qu’il soit addict à son Motismart mais il t’en aurait quand même parlé !
- Bien sûr que non parce que… !

Je m’arrêtai, détournant le regard.

- Hier, nous avons eu une altercation et j’étais déjà fâchée contre lui et… ok, j’ai pas été très polie donc il a essayé de se venger puis…

Mes explications n’avaient aucun sens : Nabil ne tarda pas à me le prouver en me regardant de travers.

- Vous êtes fâchés ? Ça explique pourquoi vous ne vous adressiez pas la parole hier soir ?

- Oui ! Enfin, non ! Mais je n’savais pas comment lui parler après que… !

- Fallait le dire Leava ! Roy est super cool mais il intimide souvent les filles !

Je ne perdis pas de temps à tempêter qu’il ne voyait définitivement pas où je voulais en venir. Mais je n’arrivais même pas à expliquer pourquoi j’étais en colère, cette frustration mélangée à la gêne parasitant mes pensées.

Le regard profondément décontenancé de Nabil était bien collé sur moi. Et ironie du sort, Tarak et Roy arrivaient justement à ce moment-là ; ils étaient à peine plus bas sur le chemin principal et avec des linges posés sur leurs épaules.

Voltia fut la première à réagir en jappant fortement vers eux. Alors, je vis le Maître de Galar lever la main vers nous d’un air relâché.

- Hey, les jeunes ! Leava, on voulait justement te voir avec Roy pour parler de…
- TU T’ES BIEN FOUTU DE MOI !

Tarak se stoppa net : mais je ne le regardais déjà plus, m’étant sèchement avancé vers Roy en bousculant Nabil au passage. Ce dernier avait peut-être bien tenté de me retenir, criant mon nom à la négative. Mais la simple vue du champion draconien suffit à me faire sortir de mes gonds.

Le Maître de Galar se tourna vers son rival.

- Euh… Est-ce que tout va bien entre vous ?

Roy restait silencieux, évidemment. Cela dit, il ne décochait pas son regard émeraude des flammes qui embrasaient actuellement le mien.

Nabil s'interposa, posant ses mains sur mes épaules.

- Du calme, Leava ! On peut arranger ça !
- Ho oui, on peut ! En l’obligeant à effacer cette saleté de vidéo !

J’avais directement pointé le doigt vers Roy, le fusillant si bien du regard qu’il aurait pu se plier sous l’impact. Entre-temps, Tarak plongea dans une profonde perplexité.

- De quoi parles-t-elle, Nabil ?
- En fait, le combat d’hier tourne en boucle sur les réseaux sociaux ! Ça fait un buzz de malade !
- Sérieux ? Voilà une sacrée belle publicité pour la ligue ! Y’a vraiment un problème avec ça ? Sourit-il alors naïvement.

Nabil gesticula un peu plus.

- Et il est de taille, frangin ! Les gens prennent ça pour une annonce officielle de la ligue de Galar concernant la prochaine édition ! Il y a même le logo qui a été inséré dans la vidéo ! Leava et Dusk sont devenues genre les favorites du Défi des Arènes et il y a déjà leur fans clubs qui existent sur les réseaux ! Bon sang, tout le monde va les attendre à Motorby dans quelques jours, t’imagines !?
- Une annonce officielle ? Impossible, le Maître est toujours le premier au courant de ce genre de choses !
- Mais tu sais très bien ce que ça signifie… Leava n’aura pas le choix, elle devra s’inscrire au risque d’accuser les organisateurs de faire des canulars chelous ou je n’sais pas quelle autre connerie ! Ça mettrait aussi ta réputation, comme celle de Macro-Cosmos à mal ! Je te rappelle que ça fait pas si longtemps qu’elle s’est rachetée face aux galariens ! avoua alors Nabil en se tenant la tête, décomposé.

Tarak afficha enfin un air soucieux.

- Ha… J’avais pas vu les choses sous cet angle… Mais vous savez qui aurait… ?

Sur ses dernières paroles, Nabil tourna les yeux vers le champion draconien. Ce dernier affichait un léger sourire narquois. Il devait l’avoir depuis plusieurs minutes, certainement. Moi, je tremblais tellement que je laissais mes poings serrés recevoir le sang brûlé de ma fureur. Nabil avait au moins touché un point sensible : j’étais emprisonnée par les événements.

Roy me toisa alors de haut en bas. Je faisais tout mon possible pour ne pas exploser devant lui, laissant les larmes me monter aux yeux et me mordant les lèvres.

Puis, je devinai son Motismart dans sa main gauche.

- Donne-moi ton téléphone !

Roy recula légèrement en fronçant les sourcils.

- DONNE-LE OU… !
- Ce n’est pas si grave Leava ! On va trouver une solution ! Tenta alors de me rassurer Tarak.

Ce dernier n’avait pas manqué de me fixer, réalisant enfin que j’étais au bord de l’explosion intérieure. Après quelques vaines tentatives à justifier ma colère, je détournai le regard en me tenant la tête. Puis, je respirai profondément.

Après un court silence, je revins vers Roy.

- Bon.

Il leva un sourcil : j’imaginais sans peine qu’il devait s’étonner que je me calme aussi vite, tandis que je devinais les traits du visage de Tarak se détendre un peu. Puis, je me penchai un peu sur le côté en croisant mes bras d’un air las.

Je toisai discrètement son bras gauche pendant le long de son corps. Après un très court instant, je jetai mon regard au loin derrière lui, le ton naïf.

- Il court vite, ton Mucuscule.
- MUCUSCULE !?

Il se retourna vivement.

Et je me jetai violemment sur sa main, arrachant gratuitement le Motismart !

Dans la bousculade, il trébucha en avant et manqua probablement de se casser la figure. Cela dit, je ne pris pas la peine de m’en soucier : je fonçai déjà en direction de la maison !

J'entendis quelques secondes après, le champion draconien se jeter à mes trousses en hurlant à pleins poumons ! Je perçus aussi, mais brièvement, les égosillements stupéfaits de Nabil et Tarak.

Voltia galopa frénétiquement avec moi, aboyant avec force. J'ignorais si elle s’amusait ou si elle était galvanisée par la panique mais dans tous les cas, elle accompagna parfaitement la cadence de ma drôle de répartie. Alors, je regardai vite fait derrière moi.

Je réalisais qu’il avait de très bonnes jambes.

Je pris aussi conscience que je venais de faire une grosse bêtise.

- QUE... !?

Son sourire béat avait laissé place à une expression de colère à en glacer le sang.

Brutalement, ce flash prismatique explosa littéralement devant nous, bloquant mes foulées !

« Hein !? »

Il avait balancé cette pokéball au-dessus de moi avec un peu trop de vigueur à mon goût.

Voltia aboya plus fort encore, s’interposant entre ce qui était apparu sur notre chemin et moi-même : cet impressionnant Pokémon dragon nous entrava la route vers la maison, voltigeant en l'air avec ses ailes en forme de losange qui hurlèrent des vibrations sèches. Il avait de longues antennes courbées ainsi que des yeux couleur ébène et emprisonnés dans une sphère rose translucide. Ses écailles couleur pomme se mariaient sans problème avec les teintes de la campagne environnante.

C’était un Libégon, le premier que je voyais en vrai. Je constatais qu’ils étaient définitivement bien plus grands que dans les encyclopédies.

Voltia s’égosilla contre notre adversaire qui ne se laissa visiblement pas intimider, faisant vibrer plus bruyamment encore ses énormes ailes.

- LIBEGON ! ARRETE-LA !

Mon cœur bondit dans ma poitrine : le Libégon se mit aussitôt en position dans un grognement rauque, les mouvements devenus plus menaçants. Je me tournai vivement pour voir un champion draconien complètement enragé m’arriver dessus. Dans l’action toujours plus absurde de cette confrontation, je ne me fis pas prier.

- VOLTIA ! COUD’KRANE !

Voltia s’élança sur mon dos au moment même où je m’agenouillai : elle percuta de plein fouet le puissant Pokémon Dragon dont je devinai le corps déstabilisé reculer violemment.

Puis je virevoltai vers son maître : il n’était plus qu’à quelques mètres de moi.

- JET DE SABLE !

Voltia s’exécuta à une vitesse qui défia le son lui-même. Si cette attaque était dérisoire dans bien des combats, elle avait au moins le mérite de faire gagner du temps quand on volait le téléphone de quelqu’un sans réfléchir.

Roy se ramassa une bonne dose de terre dans le visage et le vis entre deux giclées, se protéger la tête avec ses bras. Je l’entendis aussi jurer mais je ne m’amusai pas à écouter ces doux mots qui m’étaient adressée.

Soudain, je tournai les yeux vers le petit chemin qui s’engouffrait dans la forêt embrumée : J’avais tardé à réaliser que j’étais à la hauteur de l’enclos qui séparait le sentier pentu et l’entrée de Sleepwood.

Je ne pouvais plus entrer chez moi.

Alors, je m’élançai hors du chemin principal, sautai la barrière avec une aisance qui ne me laissait même pas songeuse tandis que Voltia franchit l’enclos avec autant de facilité que moi.

Et je courus.

Je courus.

Sans savoir.

Que je courais vers l'enfer.



***


Mon corps réceptionna dans une sensation paralysante, les vibrations enragées du Libégon : elles fendirent l’air entre les arbres bleutés.

Voltia gardait un œil sur le Pokémon dragon dans sa course en jappant furieusement dans sa direction. Moi, j’apercevais la créature entre les troncs, se calquant avec une facilité déconcertante sur notre cadence endiablée et évitant avec justesse les imposantes branches d’arbres ainsi que les troncs colossaux des sapins.

Je ne pouvais pas dire où j’allais. Je ne pensais qu’à fuir, bondissant entre les fourrés, bousculant les fougères, sautant par-dessus les roches, le plus loin possible !

Violemment, le Pokémon dragon cracha une rafale qui fit éclater mes tympans. La force de son souffle brisa alors, et littéralement en deux, un imposant sapin sur ma droite ! L’énorme conifère tomba à la renverse et nous coupa la route dans un séisme assourdissant, détruisant environ tous les arbustes et buissons alentours tandis que des branches d’arbres voisins volèrent en éclats !

J’avais manqué de me rompre les jambes en freinant : j’ignorais si Libégon agissait de son propre chef ou si Roy avait au préalable ordonné cette capacité mais dans les deux cas, j’étais tétanisée.

Le Pokémon draconien se posa lourdement sur le tronc arraché qui entravait désormais notre fuite. Il me toisa ensuite de son regard brûlant de violence, faisant encore tonner le vrombissement effrayant de ses ailes. Voltia éjecta des toiles électrifiées de sa fourrure dans sa direction, prête à se jeter sur le Dragon-libellule.

J’avais le cœur au bord du gouffre.

Alors un bruissement lourd attira vivement mon attention : derrière moi se tint Roy, soufflant bruyamment, la main posée sur sa poitrine et le regard émeraude électrocuté par la colère.

- Maintenant… tu me rends… mon téléphone…

Mes iris furent foudroyées à leur tour.

- D’abord, tu m’avoues que c’est TOI qui as balancé mon combat sur Internet !

Voltia et moi étions dos à dos, l’une comme l’autre tenant tête à son opposant. Les vibrations de Libégon faisaient trembler l’air. Voltia y répondait par des grognements appuyés tandis que je fixais le champion draconien.

Ce dernier sembla subitement désemparé, se grattant le dos.

- C’est vraiment pas ce que tu penses…
- T’es sérieux !? Tu crois que je n’avais pas remarqué que tu parlais avec tout le monde SAUF avec moi, hier soir ? Je dois te rappeler qui est dans la vidéo, peut-être ?!

Roy afficha soudainement ce rictus moqueur.

- Attends ? Qu’est-ce qui te dérange ?
- De quoi tu parles !?
- Le problème, c’est que ton match soit sur le net ou que j’ai fait semblant de t’ignorer ?

Ses mots résonnèrent brutalement dans ma tête. Et pas agréablement. Roy arbora alors ce sourire satisfait me donnant envie d’hurler n'importe quoi à plein poumons.

Mais à la place, Libégon poussa un rugissement alerté !

Au même instant, nous entendîmes un ensemble de battement d’ailes fendre la forêt au loin !

Et subitement, cette nuée sombre de Minisanges se jeta du haut du ciel brumeux sur le Pokémon Dragon ! Surpris, il se mit à rugir en faisant fouetter sa queue dans tous les sens, fortement déconcentré ! Certains Minisanges foncèrent même dans notre direction. Jrle profitai déjà de la débandade, fuyant brusquement sur un autre chemin plus ou moins dessiné entre les millions de fougères qui tapissaient la forêt !

Voltia prit peut-être quelques secondes de plus avant de me suivre dans ma course tandis que je perçus encore les cris de Libégon tentant de se défaire de ses attaquants. Il avait probablement détruit le mauvais arbre pour ma plus grande chance !

Loin derrière, j’entendis aussi le champion draconien hurler : mais ces mots devinrent inaudibles dans ma course effrénée.

Sous l’effet de l’adrénaline, j’avais redoublé de vitesse, traversant d’innombrables feuillages et des arbustes tordus en slalomant entre les troncs couleur glacée. La brume densifia son intensité à certains endroits mais je n’y faisais pas plus attention que ça. C’était comme si quelque chose m’empêchait viscéralement de ralentir. Et soudain, je me jetai dans un buisson dense en prenant ma guerrière électrique dans mes bras tout en me gardant de lâcher le Motismart. Il avait arrêté de vibrer, semblant soudain se connecter à mon extrême volonté de ne plus faire aucun bruit.

Nous nous tassâmes alors dans les branches, dissimulées du moindre regard par la sombre couleur des feuilles et la densité de leur couronne.

Puis, le silence princier de la forêt domina brutalement l’atmosphère boisée. Il se joua des cris lointains et inconnus, des bruissements furtifs et de la conversation étrange du vent et de la brume. Je crus entendre le Libégon au loin, grognant et battant violemment des ailes. Ceci dura quelques minutes ou peut-être l’éternité, je n’arrivai pas à trancher. La forêt tout entière sembla se jouer de mes perceptions.

Puis, plus rien.

Mes muscles étaient électrifiés par des crampes. Mon cœur battait à tout rompre.

Voltia respirait très lentement aussi, humant l’air et tendant ses longues oreilles, attentive.

Nous attendîmes.

Puis, elle me regarda en jappant doucement.

Cette fois, nous étions seules.

Je décidais alors de jeter un œil au Motismart : celui-ci restait calme pour ma plus grande chance. Je m’empressais donc de fouiller ses fichiers et albums dans l’espoir de retrouver la vidéo du match. Puis, je ralentis la cadence de mes doigts. Je ne voulais pas vraiment me l’avouer, mais je dépensais toute cette énergie pour absolument rien. Voltia l’avait même compris bien avant moi : elle poussait ses petits grognements accablés, déployant ce fabuleux : « tu te rends compte de l’ampleur que ça a pris ? » dans la lueur accusatrice de son regard d’ébène. Et moi, dans la pénombre bien dissimulée du buisson et protégée par le vent, je tentais vainement de trouver un signe dans le téléphone, quelque chose qui pouvait me faire admettre que j’avais eu raison. C’était peine perdue.

Paresseusement, je faisais défiler les innombrables photos de ses albums, blasée : beaucoup (trop) de selfies, des stades, des combats Pokémon figés dans l’instant, des événements auxquels je ne prêtais aucune attention, le moindre détail photogénique du quotidien de Roy, des paysages divers, bref tout ce que l’on pouvait trouver dans le téléphone d’un addict.

Et puis, il y avait cette photo.

On me voyait sur la place de Brasswick au coucher de soleil, agenouillée près de cette petite fille à la peluche d’Evoli. Voltia était juste à côté de moi. Même si j’étais assez loin de l’objectif, l'on pouvait facilement deviner les traits mon sourire apaisé tandis que l’enfant affichait une expression de joie intense, rigolant sous les léchouilles de Voltia. Puis, une autre photo, l’instant d’après où elle me regardait droit dans les yeux avec sa petite admiration pétillante pour cette dresseuse à qui elle voulait tant ressembler plus tard. Les dorures du ciel somnolent se reproduisaient parfaitement dans les cristaux liquides, rappelant mes souvenirs à l’ordre, comme revitalisés entre les zébrures froides de ma cachette.

J’étais figée de stupeur, pourtant je ne pouvais plus m’empêcher de sourire, la main devant la bouche. Voltia, qui avait aussi remarqué les photos, jappait tout doucement vers le Motismart.

Désemparée, je me tins le front : à quel moment avais-je perdu le contrôle ? Pendant que je me maudissais d’avoir cru un instant ne rien signifier pour les autres, Roy me prenait en photo à un moment où, ce qui me faisait tant défaut dans cette existence sans queue ni tête, se faisait piéger par sa propre maladresse pour rééclairer une vieille promesse. Oui, d’aussi loin que je pouvais me souvenir, j’avais toujours voulu faire partie des esprits capables d’insuffler cette énergie si particulière aux lumières intérieures trop souvent asphyxiées par les aléas acerbes de ce monde.

Parce que j’en connaissais que trop bien la douleur.

- C’est pas vrai, Voltia ! Tu crois qu’un jour j’arrêterai d’être aussi stupide !?

Son museau humide tapota alors légèrement mon bras. Mais ce n’était pas tant pour renchérir à ma question rhétorique : en réalité, elle grelottait un peu trop dans les feuillages, me faisant prendre conscience que j’étais aussi congelée par l’air frigorifiée de la forêt, curieux en ce mois estival d’ailleurs.

Alors, prudemment, nous sortîmes du buisson. Je me redressai ensuite, me frottant les épaules puis les bras pour retirer feuilles et petits branchages brisés. Voltia secoua sa fourrure en restant directement aux aguets, ses sens fortement aiguisés par la tension. Elle sembla néanmoins un peu plus calme. Pour ma part, je ne ressentis pas l’envie de fuir.

- Roy !?

Ma voix percuta le silence de la forêt.

- C’est bon, j’ai compris ! Je te rends ton téléphone ! Je suis désolée, vraiment !

Pas de réponse.

Je levai la tête : on ne voyait pas le ciel entre la brume et les couronnes écrasantes des conifères. Il me sembla alors, mais je n’en étais pas si sûre, que ce brouillard bleuté avait redoublé.

J’indiquais à Voltia de me suivre.

Je ne savais pas encore comment j’allais me racheter mais au moins, je n’allais pas laisser Roy détruire la forêt avec son Libégon pour me débusquer dans un buisson. Il allait certainement me refaire son petit chantage digne de son insolence presque adorable. Je n’avais qu’à ravaler ma fierté pour une fois.

Mais il y avait un problème : je ne reconnaissais rien du chemin inverse. Après peut-être quinze minutes de vadrouille, je m’arrêtai à nouveau pour balayer les alentours de mon regard effaré. Mes jambes fléchirent légèrement, et je sentis mon cœur repartir en pagaille.


J'écoutais attentivement. Tous les bruits étaient lointains, les cimes, isolées, les arbres, perdus. La forêt entière, égarée. Et moi dedans.

- C'est impossible… on n’a pas pu aller aussi loin ?





Voltia se mit à renifler le sol un peu partout, grattant la terre et humant l’air boisé, le grognement inquiet. Puis, elle me regardai en jappant des sons aigus, éprise d’inquiétude. Elle-même n’arriva pas à se repérer malgré ses sens plus fins que les miens.
Le brouhaha du silence de Sleepwood pesa sur mon esprit désorienté : les hululements au loin semblèrent à la fois appartenir à des Pokémon bien vivants et à des entités non identifiables. La brume devint même plus épaisse mais peut-être était-ce mon imagination qui partait au galop.

Je l’espérais.



***


Voltia se colla à mes jambes.

Elle n’aimait pas ce lieu : je le sentais au plus profond de mes entrailles.

- On va retrouver le chemin, t’inquiète pas…

Je me remis alors à crier. Peut-être que Libégon et Roy finiraient par m’entendre : même s’ils avaient essayé au préalable de nous tuer il y a quelques minutes, j’aurais été vraiment soulagée de les revoir en cet instant précis. Mais brutalement, j’étais frappée d’effroi : et s’ils étaient revenus à Paddoxton sans se soucier de nous ?

Je criai encore et encore, le ventre broyé, imitée aussitôt par Voltia qui aboya plus fort !

Mais la forêt jouait au répondeur téléphonique.

Après quelques instants à nous égosiller, je me laissai légèrement partir en avant, la gorge brûlante. J’étais épuisée.

Puis, un éclair de pensée vint me faire espérer que le Motismart de Roy ne servait pas juste à prendre des selfies. Je le pris dans mes deux mains, le cœur battant. Mais le signal de la moindre connexion avec le monde civilisé ne sembla pas vouloir atteindre les tréfonds de Sleepwood.

- C’est ça, la technologie de Galar ? Je croyais les Motismas plus doués que ça !?

Le Motismart se dégagea soudainement de mon emprise pour voltiger furieusement dans l’air. Il se mit alors à cogner ma tête, et plusieurs fois de suite, avec cette énergie de représailles que je méritais sûrement un peu. Je protégeai mon crâne et l’incitant fortement à arrêter, avant de le voir se calmer un peu, continuant ses rebonds dans les airs autour de moi.

- C’est bon ! C’était débile de ma part ! On s’entraide maintenant ? Grognai-je contre le petit Motisma.

Il sembla brièvement accepter mes excuses dans un son électronique strident. Puis, dans un concert de bruits dysfonctionnels, il m’afficha après quelques secondes, l’image numérique de ce qui sembla représenter une zone assez vaste mais néanmoins identifiable.

C’était la carte de la forêt. Une petite flèche brillante indiquait visiblement ma position.

Mais une telle prouesse dans un lieu aussi éloigné et étrange demandait sensiblement un effort considérable au Motismart de Roy : il émettait déjà des sons rauques de plus en plus graves. Le temps m’était compté. Je soufflai alors un « merci » soulagé au Motismart qui se montrait au moins plus coopératif que son propriétaire.

Sans plus attendre, je repris le chemin en suivant le GPS improvisé sur l’écran du téléphone, laissant Motisma ouvrir la marche. Voltia continua de se coller à moi, son souffle saccadé et ses oreilles frémissantes trahissant son malaise.

La durée de notre marche me semblait comparable à l’éternité. La forêt devenait de plus en plus sombre et l’air froid prenait le pas sur la chaleur de la journée. Ma guerrière électrique continuait de japper très faiblement : elle était fatiguée. Et la nuit tombait.

Et puis j’entendis mon nom.

Je me retournai, le cœur rompant ma poitrine. J’appelai à nouveau Roy, persuadée que c’était lui.

Mais cette voix à peine audible me sembla ensuite trop souffrante pour lui appartenir. J’eus l’étrange sensation de l’avoir rêvée. Mais elle revint, plus forte encore, volatile et traversant ma tête.

Je sursautai.

- Qui est là ?!

L’habituel silence de Sleepwood prit la peine de me répondre.

J’écoutais, le cœur tendu. Seuls quelques hululements lointains continuaient leur conversation privée. Une brise fraiche se leva alors, fredonnant à travers les arbres frigorifiés par la solitude qu’ils inspiraient à eux seuls.

Pourtant, c’était comme si je l’avais déjà entendu.

Soudain, le GPS du Motismart s'affola.

- Non ! Tiens le coup !

Mais il émit des sons si claquants qu’ils me cognèrent instantanément les tympans. Puis soudain, l’écran me montra espace très large ressemblant à un chemin sur la carte numérique.

Enfin, je n’observais pas vraiment : j’espérais juste qu’il s’agissait peut-être de la route pédestre qui traversait Sleepwood. Alors, cette voix pourrait être tout simplement celle de Nabil ou toute autre personne de Paddoxton qui me chercherait !

Je me mis à courir, talonnée par Voltia ! Et en poussant brutalement les larges branches feuillues des arbustes, mon espoir s’évanouit dans la froideur forestière.

C’était un bosquet : l’herbe touffue y’était bleutée et humide à en deviner les gouttelettes luisantes qui faisait scintiller faiblement les brindilles. Les arbres alentours étaient, eux, si denses qu’ils me donnaient l’impression de cerner ce lieu comme un sanctuaire. La délimitation des conifères formait alors une espèce de sentier devant nous.

- Euh… c'est pas trop Paddoxton ici, rigolai-je nerveusement en me tournant vers le téléphone de Roy.

Ce dernier gesticula férocement, désemparé.

- Qu’est-ce que tu as encore ?

Il continua de rebondir dans les airs, plus nerveux encore. En fait, et c’était complètement absurde, il me donna la sensation de ne pas avoir eu le choix.

Je me tournais à nouveau vers le bosquet : une lumière endormie l’ambiançait dans une bulle feutrée, peut-être celle de la lune. Le silence était différent ici, comme conscient de sa condition d’absence de la parole. Il murmurait seulement, et avec tous les efforts du monde, des filets de brise qui chatouillaient les feuillages congelés de bleu grisé.

Je m’avançai alors, poussée brutalement par des émotions familières. Un vif souvenir vint me dépeindre une ombre lointaine, gigantesque, baissée sur moi et soufflant cette chaleur éprise de flocons tombant dans mes veines et ses picotements glissant dans mes doigts. Voltia se rapprocha alors de moi, les jappements interpellés et ressentant dans ses os le vent qui balaya mon esprit confus comme un océan dépareillé de son manteau de glace.

Je baissai les yeux sur elle.

- Voltia… Cet endroit, je le connais.

La forêt de Sleepwood avait déjà été interdite lors de mes premières années à Galar, principalement à cause de sa dangerosité naturelle. Elle m’était complètement inconnue.

- Il était dans mes rêves.

Je me mis à appeler à travers le bosquet. L’écho y fit rebondir mes cris. Et pourtant, je ressentais de plus en plus sa présence.

Là, dans les profondeurs de cet endroit obscur, la voix continuait de murmurer mon nom. Mon esprit perdu fit alors mentir mes yeux à plusieurs reprises : je crus pendant un instant furtif que des arbres déchiquetés nous encerclaient, qu’une lame me coupait les jambes, qu’une carcasse énorme gisait sur un sol lourdement accidenté et que l’effroi d’un être emprisonné dans un œuf gelé par la brume entrait dans mon corps. Voltia secoua les oreilles, le jappement blessé et sa fourrure tremblante comme une feuille, observant scrupuleusement le bosquet comme si elle arrivait elle-même à percevoir toutes ces manifestations.

Nous écoutions toujours laborieusement cette voix s’élever dans les ombres bleutées, trop loin pour l’identifier correctement mais trop proche pour qu’on puisse l’ignorer.

- Est-ce que c’est toi… ?

Je n’en étais pas certaine : mais il me semblait qu’elle avait légèrement redoublé de volume. Oui, mon nom continuait de retentir discrètement dans le silence de plus en plus pesant du bosquet.

Ce bruit strident me tira violemment de mon observation : le Motismart de Roy se mit alors à faire clignoter son écran dans plusieurs brouillards dysfonctionnels avant de perdre subitement la connexion. Et il se reposa dans mes mains, les vibrations bruyantes, toussotant encore quelques claquements rauques très peu rassurants.

- Concentre-toi ! Pitié !?

Mais nous étions probablement dans une zone trop difficile d’accès pour lui : il avait déjà abandonné. Je tins fermement le petit appareil dans mes mains, tremblante à la fois de peur et de froid.

- Et merde… qu’est-ce qu’on fait maintenant !?

Alors, Voltia poussa cet aboiement violent !

Et je la vis, immobilisée, le muscle tendu et grognant vers quelque chose d’invisible sur le sol.

Je m’apprêtai à m’avancer vers elle pour la rassurer, faisant peser tout mon poids sur le tapis herbeux.

Je réalisai alors qu’il était devenu étrangement moelleux.

- QUE… !?

Un son lourd de percussions de roches et de branches retentit violemment dans l’air fermé du bosquet !

En un instant, le sol se déroba sous nos pieds.

En un instant, nous chutâmes dans le néant, hurlant à pleins poumons.

En un instant, l’écho nous répondit, s’arrachant les cordes vocales à son tour.


***