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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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Informations

» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 13/09/2023 à 14:54
» Dernière mise à jour le 19/11/2023 à 23:29

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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La réponse
Une nuit étrangement lourde avait assommé mon sommeil.

Voltia, qui n’avait pas demandé son reste avec l’épuisement du voyage, s’était endormie comme une masse sur le tapis touffu de ma chambre. C’était alors sans surprise que nous avions ouvert un œil aux environs de onze heures du matin. J'avais mis aussi un peu de temps à me souvenir que j’étais à Galar.

La maison était d’un calme solennel, ce matin.

Et malgré toutes mes inquiétudes, je me sentais moins étrangère à ses murs en ayant largement squatté ma propre salle de bain dans un naturel réconfortant. Ma fenêtre, grande ouverte, laissait passer le chant des Minisanges au loin tandis que le bêlement frivole des Moumoutons accompagnait leur chanson improvisée.

J’étais en train de descendre les escaliers quand la sonnette de la porte d’entrée retentit. Je vis alors Voltia sauter par la fenêtre mal fermée du hall d’entrée, suffisamment large pour qu’un Pokémon de sa taille puisse s’y faufiler aisément d’ailleurs. Puis je perçus la voix de Nabil la saluer affectueusement.

- Leava ! Petit-déjeuner express ! J’ai aussi de quoi pour ton Voltali !

Nous nous alors étions installés au bar de la cuisine, moi côté plaques, Nabil côté salon. Voltia se régalait des croquettes spécial déjeuner Pokémon pendant que nous déballions notre propre pitance. Je sortais du sac en papier qu’avait apporté mon voisin, des jus d’orange et des petits pains en forme de Concombaffe.

- Hey ! C’était pas ce qu’on avait souvent aux goûters chez toi ? M’étonnai-je, l’œil brillant.
- J’étais sûr que tu reconnaitrais ! Y’a des choses qui n’changeront jamais ! Rit ce dernier avec toujours ce grand sourire un peu naïf.

Un peu surprise puis étrangement apaisée, j’esquissai une expression similaire.

Après nous être régalé de nos petits pains tout en se racontant nos pires bêtises quand nous jouions chez lui, Nabil se redressa en allongeant ses bras sur la table, soudain plus sérieux.

- Bon, c’est pas tout ça mais on a du boulot ! Il faut d’abord remplir ton frigo ! Et pour ça, y’a rien de mieux que le marché de Brasswick !
- Tiens, Moumouton ne t’accompagne pas aujourd’hui ? D’ailleurs, il va mieux ? Remarquai-je.
- Ho, ce n’était pas mon Pokémon ! Je l’ai ramené à la ferme voisine, ce matin ! Et ouaip, sa mésaventure n’est plus qu’un mauvais souvenir ! Mais je te montrerai Moumouflon, il sera ravi de faire ta connaissance ! Là, il est en train de bosser à la ferme de la colline pour aider l’agriculteur… Ses Tauros sont encore en convalescence.

Moumouflon était l’évolution de Moumouton, un Pokémon bouc à la toison très épaisse et aux cornes extrêmement dures. Je me souvenais en avoir aperçu quelques-uns dans les prairies de Paddoxton du haut de mon taxi volant.

Nabil se leva ensuite de sa chaise pour se diriger vers le réfrigérateur. A peine avait-il ouvert la porte dans un son glacé qu’il étouffa ce rire choqué.

- Ha ouaip ! Pire que le néant de Giratina, là-dedans !
- Hey ! Je te rappelle que je suis arrivée hier soir !

Il me décocha un grand sourire amicalement moqueur.

Après avoir rangé le petit-déjeuner puis vérifié que tout était bien fermé, nous nous emparâmes du panier en oseille que ma mère utilisait souvent pour les courses (j'étais surprise de constater qu'il était toujours là). Enfin quoi, nous quittâmes la maison.

Pendant que Nabil descendait plus rapidement notre allée que je ne l’avais jamais fait, je jetai un œil furtif à la forêt de Sleepwood, l’esprit toujours aimanté par sa barrière de conifères bleus. J’eus la brève sensation d’y sentir quelque chose traverser les troncs des sapins embrumés. Mais devant l’absurdité de cette image, j’haussai les épaules et la laissai mourir dans le néant.


***


- Tu savais que le marché de Brasswick est connu pour ses baies et ses légumes ? Il y a toujours beaucoup de monde parce que les habitants des villages voisins viennent aussi y faire leurs petits achats ! On a même parfois des gens venus tout droit de Motorby !

Pendant que Nabil me déblatérait une présentation complète sur les richesses culinaires du coin, je réfléchissais sans trop savoir pourquoi à la conversation d’hier.

- Dis… Ca fait longtemps que ton frère est Maître de Galar ?

Nabil sembla s’illuminer à ma question.

- Ha ça ! Le frangin est devenu maître quand il avait 10 ans, et lors du tout premier Défi des Arènes ! Après quoi, il est resté invaincu jusqu’à aujourd’hui ! Quand vous êtes parties, ta maman et toi, il fêtait sa cinquième année déjà !
- Je vois…

Je soupirai un peu. Mon voisin le remarqua à mon grand désarroi.

- J’ai dit quelque chose ?
- Heu… non ! J’étais juste curieuse !

Il leva alors la tête vers le ciel.

- Tu sais, il est le modèle de beaucoup de gens à Galar… Le frangin travaille à fond pour faire de notre région, une réserve de super-dresseurs ! Il y a quelques années, il a créé la tour de combat à Winscor, où des challengers qui veulent tenter le Défi des Arènes viennent s’entrainer comme des fous pour se surpasser. Je suis méga fier de lui et je travaille aussi dur que lui pour devenir un professeur pokémon respectable !

Ses mots me rendirent étrangement pensive : puis, le brouhaha de la foire remplaça le son de sa voix.

Nous eûmes premièrement de la peine à nous faufiler sur la grande place noire de monde pour atteindre les stands de légumes. Voltia slaloma plutôt à son aise entre les jambes des passants, tandis que je m’efforçai fréquemment de garder un œil sur elle. Après quoi, nous allâmes acheter le reste des commissions au supermarché où la douce fraicheur de la climatisation fut la bienvenue en cette journée estivale. Je ne fis pas vraiment attention au temps qui passa dans notre escapade à but mercantile, si bien que sans crier gare nous nous retrouvâmes à boire quelque chose au petit bar du village.

J’avais pris un grand thé glacé tandis que Nabil sirotait une bière de Winscor (apparemment très sucrée). Quant à Voltia, elle buvait goulûment la gamelle d’eau que le serveur avait gentiment proposé de lui donner.

Nabil s’était alors lancé dans un véritable exposé des exploits de Tarak avec la description très exacte de chaque trophée qu’il avait remporté : j’apprenais alors que bien avant de fonder le Défi des Arènes, la ligue de Galar était constituée principalement de petits championnats isolés, souvent coorganisés par des associations indépendantes, tandis que la ligue gérait les PokéMasters qui avaient lieu chaque année au milieu de l’été, apothéose du sport national galarien. Malgré leur indépendance, ces petits championnats locaux avaient un contrat irrévocable avec la ligue, celui de leur envoyer leurs vainqueurs afin que ces dresseurs-ci prennent automatiquement part aux Pokémasters. Fonder un tournoi principal avait néanmoins permis de régler un certain nombre de conflits au sein de ces administrations parfois élitistes. Et puis un accès relativement plus ouvert aux PokéMasters avait ensuite permis de révéler de nombreuses personnalités galariennes.

Néanmoins, certains tournois étaient restés dissociés de la ligue, n’empêchant toutefois pas Tarak de rafler tous les podiums durant ces concours isolés après sa qualification en tant que Maître. C'était une manière de promouvoir son nouveau statut dans le cadre d’autres événements sportifs certes plus petits mais très appréciés également à Galar (et ça expliquait sans doute la montagne de trophées chez mon voisin ). Ainsi, pendant ces années d’études, Tarak ne manquait aucune occasion de remporter le moindre défi que quiconque lui lançait tandis qu’il revenait aussi vainqueur du Grand Tournoi Universitaire, l’événement sportif le plus connu après le Défi des Arènes puisqu’il prenait place au sein de la célèbre faculté des sciences Pokémon à Winscor.

J’entendais également que le Défi des Arènes ainsi que ce Tournoi Universitaire existaient essentiellement grâce au vaste et puissant conglomérat énergétique Macro-Cosmos dont la maison-mère était située dans la capitale galarienne : cette société avait en l’espace de quelques années à peine, agrandi son hégémonie sur l’exploitation des énergies à Galar et permis sensiblement l’amélioration du confort de vie. Son président actuel, Shehroz Chairman, travaillait d’arrache-pied pour harmoniser régulièrement les multiples utilisations des ressources naturelles dans la région tout en prenant bien soin de la relation fragile qu’entreprenait l’Homme avec la Nature. Ces derniers temps, des projets de protection de l’environnement voyaient davantage le jour, tous financés par Macro-Cosmos. Et son président, « un vrai galarian gentleman » selon Nabil était au même titre que Tarak, une personnalité appréciée de tous et le genre de modèle dont on se souvient du visage comme de son propre nom.

- La ligue de Galar et Macro-Cosmos sont bien plus liés qu’il n’y parait : notre principale source d’énergie, les Galarions, nous sert à la fois pour la vie de tous les jours et pour les matchs Pokémon grâce au Dynamax. Comme ça, on valorise à la fois la culture des combats et nos ressources principales qui sont la grande fierté des Galariens. On sensibilise la population tout en mettant les pouvoirs de la Nature en scène, c’est l’top du top ! Continuait avec enthousiasme, mon voisin Nabil.

Je faisais paresseusement tournoyer la paille dans mon thé.

- Donc, le Défi des Arènes, c’est pas juste accumuler des badges comme à Kanto ?
- A Galar, un seul principe : le spectacle ! C’est pas pour rien que la finale du championnat mondial a toujours lieu à Winscor par-exemple ! On passe à la télé, tout le monde parle de nous, on signe des autographes… D’ailleurs, tous les challengers se créent un compte Pokégram pour que leurs supporters puissent les soutenir durant tout l’événement ! C’est hyper à la mode sur les réseaux sociaux, les clubs de fans !

J’étais assez persuadée que toute la terrasse écoutait son discours.

- Le Défi des Arènes est connu pour propulser les dresseurs sur un piédestal ! Dis-toi que tous les champions de Galar actuels sont devenus champions d’arènes grâce de ce tournoi, c’est dire combien les challengers qui s’inscrivent ont beaucoup d’attentes à chaque édition ! Ils veulent tous atteindre la crème de la crème, et devenir le Ceribou sur le Charmilly ! S’emportait toujours plus mon voisin dans une poussée d’euphorie.

Il avala une rapide gorgée de sa bière avant de jeter son regard sur la terrasse du tea-room.

- Moi aussi, j’étais à fond il y a 10 ans ! Je rêvais de battre mon frère mais finalement, j’ai obtenu plus que ça : les gens qui t’admirent et qui te prennent pour modèle, la joie de faire partie d’un gigantesque spectacle où tu vas contribuer aux frissons du public quand ils vont sentir toutes les secousses du Dynamax et le souffle des attaques de tes Pokémons ! C’est pas juste une histoire de victoire ou d’échec, Leava : on devient des héros pour les gens ! Et rien que pour ça, je suis fier d’avoir posé ma petite pierre dans l’édifice de la ligue même si je serais toujours loin d’égaler mon frangin !

Je n’étais pas très sûre de reconnaître le sentiment qui faisait battre sa poitrine en ce moment. D’un autre côté, j’avais ce malheur d’être assez têtue pour vouloir le décrypter. après tout, j’avais bien remarqué que tout le monde reconnaissait Nabil à travers le village, petites salutations par-ci, grands sourires lumineux par-là, telle la coqueluche du coin.

- Alors, Tarak est un héros de notre temps ?

Nabil tourna son regard doré vers moi.

- Un super-héros même ! Pour lui, la vraie victoire, c’est le cœur du public ! Si tu l’entendais parler de la culture des matchs galariens, tu serais captivée !

J’ignorais quelles théories il me manquait pour acquiescer à ses paroles.

- J'ai hâte que tu le rencontres enfin ! C’est le mieux placé pour en parler, continua finalement Nabil non sans avoir probablement remarqué mon air sombrement nostalgique.

Je redressai mon œil cendré.

- Ho ? Tu te débrouilles pas mal, aussi ! J’ai presque envie de dynamaxer Voltia maintenant !

La principale concernée leva son museau trempé d’eau dans ma direction, soudainement captivée. Nabil ne manqua pas d’éclater de rire.

- Arrête de me charrier ! T’es une dresseuse, tu n’refuserais pas un combat Pokémon dans un stade de Galar, quand même !

Mais il ne perdit pas non plus de temps à se rendre compte que ce sujet m’épinait la tête comme on se blesse avec des orties. J’en avais brusqué l’éclat naturel de son visage.

Et puis les orties s’accommodèrent de plusieurs visages. Trois jeunes femmes d’une vingtaine d’années nous accostèrent à notre table.

Et elles juraient directement avec le paysage rural dans leur style de poupée sophistiquée, à l’exception peut-être de la troisième qui avait plutôt l’air de sortir d’une rue mal famée. Les deux premières avaient des Sucroquins en guise de compagnon, des espèces de gerbilles sans queue à deux pattes, la fourrure sucrée et blanche et la langue qui pendouillait toujours au coin de leur gueule. Celle du milieu était suivie d’un Démolosse, Pokémon ténèbres et feu ressemblant à un grand chien noir avec des cornes.

Sans trop savoir pourquoi, j’avais littéralement fixé la troisième fille du gang : elle avait les cheveux sombre mauve attachés en queue de cheval, la frange plus ou moins droite mais désordonnée et des mèches raides qui colmataient un faciès percé par son regard acier. Son visage, lissé en apparence par des traits qui auraient pu être doux dans d’autres circonstances était trahi par un sourire narquois qui lui donnait quand même un sale air de cheffe de meute. Et pour ne rien arranger, les Sucroquins s’étaient mis à couiner pour aucune raison.

Alors, une voix horripilante sortit de sa bouche.

- Pardon de te déranger mais… tu n’serais pas Nabil, toi ? Le p’tit frère de Tarak ?

Nabil échoua visiblement à paraître confiant.

- Heu… Bah oui, c’est moi…
- J’en étais sûre ! On l’a trouvé, les meufs !

Les deux couineuses se mirent à chacasser avec leur Motismart en main (un téléphone portable où a élu domicile un Motisma) comme si elles venaient littéralement de remporter une attaque jackpot au loto de Céladopole. La cheffe de meute demanda alors subitement une photo en digne groupie qu’elle avait l’air d’incarner prodigieusement. Nabil balbutia une réponse incompréhensible qu’elles ne s’empressèrent même pas de décoder, se mettant en position pour un selfie aussi ridicule que leur pose. Le Démolosse et les Sucroquins suivirent la cadence, sous l’œil atterré de Voltia. Après quoi, elles se remirent à chacasser entre elles en se lançant des défis de qui aurait le plus de "Likes" sur Pokégram, la cheffe de meute monopolisant toute la conversation.

Nabil masquait inutilement sa gêne sous quelques rires en me lançant un regard désespéré. Ma chère guerrière électrique l’avait visiblement aussi senti, fronçant son museau tout en agitant ses oreilles, et particulièrement vers le Démolosse d’ailleurs.

Après avoir suffisamment couiné leurs bêtises, la cheffe de meute se retourna vers Nabil.

- Merci, mec ! C’est pas tous les jours qu’on a la chance de croiser un ancien finaliste du Défi des Arènes ! Je t’ai aussi tagué sur mon Pokégram ! Ça m’fait plaisir ! dit-elle sur ce ton qui me faisait détester le maquillage.

Elle se pencha légèrement sur la table : son regard acier croisa alors celui de mon voisin, dépourvu de tous ses moyens. Il sembla même rassembler tout son courage pour agir plus ou moins naturellement, en témoigna son « c’est cool, merci… » désastreusement dérangé.

- Dis, Tarak est dans l’coin, déjà ? J’aurais besoin de le voir ! tu serais bien mignon de m’indiquer où il se trouve. Ce serait aussi super cool pour mes copines qui l’ont loupé avec Roy la semaine dernière à Winscor ! Déblatéra cette dernière dans un sourire abusivement fier de je ne sais quel exploit. Son Démolosse jappa fermement, accompagnant les gesticulations impérieuses de sa dresseuse.

- Euh non, ils arriveront demain… Réussit à sortir Nabil, définitivement désarçonné.

- Ho ! Tu n’pourrais pas leur demander si on peut être les premières dans la file, du coup ?! J’ai vraiment besoin de faire signer mon t-shirt des Pokémasters ! En plus, ils vont distribuer le dernier magasine de "Hey Galarian Girl" avec l’interview exclusif de Roy et Tarak avec le super poster géant dédicacé ! S’exclama la deuxième poupée sophistiquée à la voix encore plus insupportable.

- Bah, je sais pas trop…

- S’il te plait ! J’veux pas repartir sans ma dédicace de Roy, moi ! Y’aura forcément plein d’enfants super relous ! C’est à cause de ça qu’on les a loupés, à Winscor ! C’est nul ! Couina plus fort encore, l’autre groupie en faisant mine de pleurnicher.

La cheffe de meute semblait étrangement bien plus détachée de toutes ces choses futiles non sans se débarrasser de ce sourire narquois. Elle fixait Nabil avec une curieuse affirmation, comme si elle était la plus familière avec le Maître de Galar, ici même.

- Il hésitera moins que toi en me voyant, chéri ! Je te retrouve ici, demain à la première heure et on s’organise un verre avec Tarak et Roy, deal ?
- HEY !

Les couineuses se retournèrent en chœur vers moi. La cheffe de meute avait davantage pris son temps avant de me toiser de son regard acier.

Mais je n’y pouvais rien : j’avais perdu patience, ignorée depuis le début de ce chantage grotesque. Voltia, comme je l’avais dit, était très sensible à mes états d’âme et grognait particulièrement vers le Démolosse qui ne se montrait pas moins amical, grattant le sol de ses grosses pattes.

- Ce qu’il essaye de vous dire c’est que vous ferez la queue comme tout le monde pour avoir vos bouts de papiers griffonnés, ok !?

Pendant que les deux cadettes gesticulèrent en s’outrant de ma présence, la cheffe de meute me décocha des éclairs oculaires.

- D’où tu me parles comme ça, toi ?

Nabil s’empressa de répondre.

- Mon amie a raison, je ne pourrai pas vous privilégier ! On a prévu de faire passer les jeunes fans du village en premier, comme ça ils pourront avoir facilement les cartes de ligue rares et les éditions spéciales des magazines…

La cheffe de meute secoua son Motismart avec véhémence.

- Qu’est-ce que j’en ai à faire ? Tu devrais pas prendre soin des efforts de tous tes supporters, plutôt !? J’en ai le dos éclaté à force d’être restée assise pendant quatre heures dans ce fichu train pour un patelin perdu !

J’étouffai sans discrétion un rire nerveux.

- Et ça te fait marrer, l’fantôme !?

Ce fut alors à mon tour de la fusiller du regard.

- … J’te demande pardon ?
- Tu sais, j’ai déjà vu ta dégaine quelque part… ouaip, dans les films de série B bons à récurer l’parquet qui passent à la télé ! Ils t’ont pris parce que t’avais pas besoin de maquillage, non ?

Je jetai un œil vers le chef d’œuvre capillaire de la cheffe de meute : La profondeur de sa teinte mauve aux reflets d’ébène ainsi que la découpe pratiquement parfaite des pointes laissaient supposer qu’elle passait beaucoup trop de temps chez le coiffeur. Moi, j’étais née avec cette étrange couleur cendrée très pâle, de même que ma peau et mes yeux si curieusement clairs, principale source des brimades que je subissais durant ma courte scolarité. Ces mauvais moments encastrés dans ma tête n’avaient été tant ravis de se faire réveiller de la sorte.

- Ok… tu vois, j’avais au moins la délicatesse... de ne pas te faire remarquer que tes grimaces démontrent un besoin constant de compenser quelque chose !

Les deux couineuses s’épouvantèrent de mes paroles. Voltia grogna davantage contre le Démolosse, lui-même décontenancé par sa témérité. Nabil me supplia par mille gestes de calmer le jeu.

Mon opposante fit alors trémousser ses lèvres dans une vexation passagère : son regard acier bien chargé tira à bout portant.

- Toi… J’te défie encore d’utiliser ta p’tite langue après un combat Pokémon où je te l’aurai arraché dans les règles de mon art !

- On parie que tu bégayes la première ?

- Deux pokédollars que t’entendras rien vu comment tu seras occupée à écouter les larmes chouiner dans tes jolies yeux, chérie !





Je me redressai de ma chaise, l’esprit violenté par un accès de colère. Voltia, qui était aussi motivée que moi à ne s’imposer aucune limite, commença déjà à manifester de l’électricité statique dans sa fourrure. Cela dit, le Démolosse n’était pas en reste non plus dans ses babines bavant des petits jets de flammes

Puis, mes tempes me titillèrent sous quelques à-coups cisaillés. Un léger rictus de douleur arracha brièvement mes sens et mon courage parti trop tôt affaiblit subitement mes jambes. Je me rassis en silence, la tête basse.

Ça ne m’avait pourtant pas empêché de remarquer le sourire narquois et distingué de mon opposante me toiser de son iris acier insupportablement vaniteux.

- C’est bien ce que je pensais !

Cette fois, ce fut Nabil qui décolla de sa chaise.

- Tu perds rien pour attendre ! Leava, elle va te montrer de quoi elle est capable et crois-moi, tu vas bien regretter de l’avoir provoquée !

- Nabil, arrête…

- Regretter ? Mec, j’ai plus flippé en me battant contre un Insolourdo ! Mais t’inquiète pas pour ta pote, les mauvais dresseurs, ça existe pour qu’on sache reconnaître les meilleurs donc, elle n’est pas franchement inutile !

- C’est se battre qui est inutile… !

- Pas du tout, Leava ! Rendez-vous demain à quatorze heures sur la place publique juste avant la séance de dédicaces pour vous départager ! Et évidemment sous l’œil du champion draconien et le Maître de Galar ! Y’aura rien de mieux pour ouvrir les festivités du village ! Et Ceribou sur le Charmilly, la gagnante obtiendra un moment privilégié avec nos super champions ! Partantes !?

Les deux sous-fifres bondirent comme des Ptitards survoltés, imitées par leurs Sucroquins. La cheffe de meute ricana doucement, à peine inquiétée. Et pour ne rien arranger, la foule sur la terrasse qui avait suivi l’altercation depuis le début se mit, elle aussi, à approuver l’annonce presque solennel de mon ami d'enfance.

La cheffe de meute se tourna légèrement vers ses sbires, non sans me jeter des regards condescendants.

- Préparez-vous bien, les meufs ! On fera le plein de selfies avec Roy et Tarak puisque ce combat, ce sera du gâteau de Pomdrapy !

En faisant mine de partir, elle jeta un dernier œil tout particulièrement orgueilleux vers moi en me pointant très fermement du doigt.

- En fait, l’fantôme ! Moi, c’est Dusk Lockon ! Comme ça, tu te sentiras pas trop larguée quand tu entendras ce nom partout, demain !

Ses deux sous-fifres rirent dans un choeur de couinements suralimentés. Le Démolosse aboya vers Voltia qui lui répondit sur le même ton. Et enfin elles s’en allèrent, fières comme des Galopas de Galar.

J’entendais des murmures s’élever autour de moi, les uns impatients d’assister à ce combat tombé de nulle part, les autres curieux de voir à l’œuvre, deux types de dresseuses qu’ils n’avaient probablement jamais rencontrés autrement dans ce village paisible. Nabil écoutait aussi, et visiblement avec joie, les discrets débats alentours.

Moi, j’avais baissé la tête entre les bras, dissimulant misérablement mon visage dans mes cheveux cendrés.

J’ignorais qui du désespoir ou de la détresse m’allaient le mieux actuellement.


***


Nous rangions lentement les courses dans le frigo et les placards.

Depuis bien dix minutes, je sentais les regards lourds d’incompréhensions de Nabil peser sur mes épaules. Mes gestes très fuyants contribuaient probablement à la densifier leur poids. Je le comprenais, cela dit : le retour à la maison s’était fait dans le silence complet.

Puis soudain, il posa brutalement le sac de carottes sur la table haute, dont le fracas désordonné avait certainement résonné jusqu’au bout du jardin.

- Bon ! On doit parler de ce qui s’est passé !

Je me retournai, maussade.

- Y’a rien à dire… Ce match ne se fera pas. Mieux que ça, je me ferai passer pour malade. On va dire que ça compensera l’humiliation.
- Quoi !?

Ma proposition ne lui convenait visiblement pas.

- Leava ! On ne refuse jamais une proposition de combat comme ça ! C’est hyper commun, les dresseurs qui se défient à Galar ! Mais c’était peut-être différent à Kanto ?
- Pas du tout…
- Alors, pourquoi tu n’veux pas te battre ? C’est juste une vantarde cette Dusk machin, t’es au-dessus de ça !
- Ça n’a rien à voir, Nabil ! J’avais rien demandé moi, d’accord !?

Mon ami d’enfance ne se laissait décidément pas décourager.

- J’ai proposé ce match car j’ai senti que t’en avais envie ! Je t’ai bien regardé ! T’allais l’accepter, ce défi !

J’arrêtais un vif instant de ranger toutes ces boites de conserves. Mes tempes lancinaient à nouveau sous la tension.

- Hier, je t’avais demandée si tu étais devenue dresseuse mais… tu ne m’as pas répondu.

Il fit une courte pause.

- Qu’est-ce qui s’est passé à Kanto ?

Il avait posé la question piège.

Je soupirai nerveusement. Voltia était proche de moi, manifestant son éternel soutien à mes tempêtes intérieurs. Après avoir tenté un choix entre l’envie de fuir et l’autre d’hurler, je préférais finalement la confidence.

- Il y a un an… j’ai eu un très grave accident... Et je suis restée alitée plusieurs mois à l’hôpital.

Il écoutait attentivement.

- Tu t’es blessée durant un match ou quelque chose comme ça ?
- C’est compliqué…

Ma gorge se noua.

- … Toujours est-il que je n’ai plus livré de combats après ça.

Nabil n’en démordit pas.

- Mais tu as déjà retenté ? Je veux dire, depuis ton accident ?

Je pris un bref instant de silence pour répondre, acculée.

- C’est pas ça, le problème ! De toute façon, si deux champions de Galar assisteront à ce combat, je préfère abdiquer, point barre !

- Je ne suis pas d’accord ! Si tu n’essayes pas, tu ne peux pas savoir !

Mon cher voisin avait décidé d’éternellement me contredire. Mon silence gêné sembla presque lui faire plaisir.

- Tu vois ? Je parie que tu mourrais d’envie de la remettre à sa place ! Ta Voltali était prête à en découdre !

Voltia jappa vigoureusement aux paroles de Nabil à mon grand désarroi.

- Alors ? Tu n’voulais vraiment pas combattre ?

Mon cœur avait obtempéré plus vite que mes lèvres.

- … Oui, j’avais envie ! Voilà, t’es content ?!

Il sourit dans une fierté qui m’agaça autant qu’elle m’arracha un rire maladroit. Je m’accoudai en même temps au dos d’une chaise devant moi, subitement épuisée par cette conversation bien trop bizarre. Je laissai ensuite tomber ma tête entre mes bras dans un soupir très allongé.

- Tu diras ce que tu veux mais j’pense que t’es toujours une bonne dresseuse, Leava ! Finit par lâcher Nabil sur un ton très affirmé.

Je levai des sourcils perplexes vers mon voisin à sang chaud.

- Crois-moi, je m’y connais là-dedans ! Ta Voltali, elle aurait tout de suite remporté ce match haut la patte, rien que pour toi ! Ouaip, tu vas la remettre à sa place, Cette Dusk Lockton !

- Lockon…

- C’est pareil !

Il l’avait dit avec tant de fougue qu’après la surprise que me suscitèrent ses convictions, je me mis à rire nerveusement, chose qu’il imita aussitôt.
Voltia poussa alors d’excités jappements de son côté tout en gigotant énergiquement entre mes jambes. Je m’agenouillai vers mon Pokémon pour la serrer dans mes bras, m’excusant bien mille fois en fourrant mon visage dans sa fourrure tandis qu’elle me témoigna son éternelle affection dans ses léchouilles intempestives sur mon visage.

Nabil m’avait maintenant rejoint en s’asseyant sur le carrelage de la cuisine.

Et nous nous retrouvâmes sur le parquet comme deux meurtris de la vie, à nous remettre de toutes ses émotions altérées.

- Alors, je te verrai combattre demain ?
- Peut-être...
- Je t’aiderai à te préparer !

Sa gentillesse était si touchante que je lui souris avec une tendresse probablement retrouvée à l’autre bout de ma mémoire fendue en deux. Voltia alla se frotter affectueusement contre mon ami d’enfance, comme si elle était soulagée qu’une autre personne me témoigne également beaucoup de soutien.

Puis, dans une atmosphère bien plus légère, nous nous relevâmes puis finîmes de ranger les courses, avant que ne suive le ménage complet de la maison pour le reste de la journée.



***