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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 13/09/2023 à 14:12
» Dernière mise à jour le 19/11/2023 à 23:21

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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La lettre
** Nous venons de débuter notre descente sur Winscor. Il est actuellement 19:30, heure locale, et la température extérieure est de 22 degrés avec une météo clémente accompagnée de quelques éclaircies. Veuillez garder votre ceinture attachée jusqu’à atterrissage complet de l’appareil. Voici pour vous faire patienter, nos vidéos publicitaires sur la région de Galar. Nous vous souhaitons une agréable fin de voyage en notre compagnie et vous remercions d’avoir choisi AirParmani ! **

Cette voix suave coupa ma somnolence en deux.

Dans le micro, le cri enrhumé du Goélise des stewards, qui s’était déjà bien occupé d'hurler dans mes oreilles à l’embarquement avait fait tressaillir mes nerfs ensommeillés. Mais j’étais sans doute trop fatiguée pour réagir autrement qu’en remuant légèrement sur mon siège, les sourcils froncés. Ma tête cognait un peu aussi. Ça devait être l’altitude.

Sur mon écran personnel, je pouvais observer le chemin parcouru depuis Parmani. Quatorze heures me séparaient de Kanto.

Ma région natale se dessinait sur la carte numérique, pointillée de signaux et de chiffrages colorés. Quatorze années s’interposaient entre nous.

Ma Voltali, elle, continuait de dormir sur le siège à côté, sa tête posée sur mes genoux. Ou plutôt, Voltia : un surnom peut-être pas très bien trouvé mais qu’elle portait avec fierté depuis le jour où elle le recevait, petite évoli bien caractérielle qui rêvait paisiblement devant les zébrures éclatantes des orages pendant ces nuits où le ciel cauchemardait. Elle supportait heureusement très bien les longs voyages au contraire du Zigzaton sur le siège voisin qui avait eu l’idée géniale de faire des crises de panique toutes les trois heures et à en déchirer les tympans d’un Ramboum. J’avais réussi à m’endormir il n’y avait pas si longtemps.

Le soupir un peu sec pour ma poitrine épuisée, je regardais par la fenêtre : le paysage galarien commençait à se dévoiler à travers les couches de nuages grisâtres. Le temps paraissait quand même pluvieux contrairement aux dires de la voix suave. Mais ces quelques fentes dans le firmament émotif laissaient passer des grappes de faisceaux solaires, faisant scintiller les rideaux de gouttes d'eau en milliers d’éclats vifs.

L’écran imbriqué dans le dos du siège devant moi attira finalement mon attention.

Celui-ci s’était mis à annoncer les grandes curiosités de la région. Après des chaînes de publicités que je n’observais pas vraiment, un logo de pokéball rouge et bleu apparaissait dans une animation rapide avant de laisser place à un défilé d’immenses stades de combat ainsi que d'extraits de matchs Pokémon, annonçant un apparent événement sportif du nom de « Défi des Arènes » dont l’inscription saturée de néons prenait toute la place en bas de l’écran.
Je le fixais, légèrement interpellée. C’était pour me souvenir un peu malgré moi qu’à Galar, les combats Pokémon étaient une part indélébile du monde du spectacle et du divertissement, tout ça avant d’être un sport comme dans les autres régions (du moins, à Kanto). Leur très large dimension médiatique était très appréciée des Galariens et des touristes, là où la région kantonienne était plus élitiste et distinguée.

Je n’étais pas étonnée de cette différence culturelle. Quand j’étais enfant, le phénomène Dynamax était déjà très en vogue. La publicité vantait d’ailleurs sans honte ce qui était donc cette grande attraction de la région : des matchs surréalistes où les Pokémon se transformaient en géants galvanisés d'énergie étrange venue apparemment des entrailles de la terre (je n’avais jamais su quel nom ça portait). L’ambiance compétitive galarienne ne pouvait visiblement rien envier aux autres ligues selon les commentaires : les extraits des matchs étaient avares d'éloges terriblement peu objectifs.

En me penchant pour mieux regarder, je sentis encore cette douleur familière presser mes tempes. Une séquelle qui persistait à ne jamais me laisser tranquille.

Je me redressai, me tenant la tête dans un rictus dérangé. Mon mouvement réveilla d’ailleurs Voltia. Elle bailla longuement avant de se lever à son tour en me regardant, interpellée. Je la caressais en souriant sans grande conviction.

- Ne t’inquiète pas… ça va aller.

Elle avait déjà tout repéré de la part de mensonge dans mes mots : son museau retroussé m’enguirlandait sensiblement. Elle tourna ensuite ses grands yeux sombres vers l’écran où un match Dynamax continuait de défiler.

- Vooolt ?

Nous pouvions d'abord contempler un Dracaufeu dit gigamaxé. Il était assez différent dans sa forme de titan, le ventre criblé de marques rectangulaires incandescentes, les cornes ressemblant à des torches olympiques et les ailes déployées comme des brasiers hurlants. Quant à son adversaire tout aussi gigantesque, il s’agissait d’un Duraludon, redoutable Pokémon dragon fait d’acier, à la forme géométrique dont la version titanesque était époustouflante : un immense gratte-ciel vivant draconien qui semblait menacer à tout moment de s’écraser sur son opposant de feu.

Puis, la caméra zooma sur l’apparent Maître de Galar, ceci avant qu’un montage d’images le représentant dans différents combats ne se mette à bombarder l’écran.

Des picotements dans mes mains me firent détourner le regard, malaxant discrètement mes doigts. Voltia blottit alors sa tête contre ma poitrine. Je la caressai avec affection puis tentai vainement de penser à autre chose. Je le savais pourtant mieux que quiconque : regarder des vidéos de combats finissait toujours par réveiller les douleurs d’une manière ou d’une autre. Comme d’habitude.

Je soupirais : revenir à Galar me semblait à la fois, semblable à une renaissance et à une fin de vie.

Que devais-je faire avec ce sentiment ?






***

Traverser le large terminal ne fut pas une mince affaire, tirant ma valise avec cette énergie presque inexistante dans les bras : en ce début d’été, les aéroports débordaient de voyageurs et de vacanciers. Je croisais même d’apparents Aloliens au teint bronzé avec un Noadkoko au cou gigantesque qui ne cessait plus de se cogner contre les panneaux indicateurs au plafond. Il était parfois regardé de travers par la sécurité et leurs Caninos, ces derniers visiblement effarouchés par la singulière apparence du Pokémon psychotique (je le trouvais déjà assez particulier dans sa forme kantonaise ).

Je regardais, discrète, tous ces vacanciers cherchant à prendre un bon bol d’air frais venu d’ailleurs. Peut-être que je faisais la même chose. Mais mon ailleurs, c’était chez moi. Coupée du monde. Ailleurs. Mais chez moi.

En attendant dans la zone d’atterrissage où une myriade d’autres touristes patientait avec leur Pokémons, je continuais de jeter mes yeux malgré tout curieux autour de moi : Winscor n’avait pas tant changé en quatorze ans. J’avais quand même la sensation étrange que l’architecture était encore plus extraterrestre mais mes souvenirs d’enfant étaient bien trop vagues pour que j'en fasse une comparaison correcte. Je n’étais venue qu’une seule fois ici, lorsque maman et moi avions quitté la maison pour Kanto. Enfin, la ville avait toujours été très contemporaine avec son style urbain translucide à la pointe de la technologie donc, je supposais qu’elle était vouée à évoluer esthétiquement de décennie en décennie. Je réalisais aussi que l’on entendait assez bien depuis ici, les brouhahas des autoroutes qui traversaient la gigantesque métropole galarienne.

Le parking à taxis volants était proche d’une des quelques imposantes entrées de l’aéroport que je venais de franchir. Il m’était possible, au moins pour tuer le temps, d’observer l’écran géant au-dessus des larges portes coulissantes, sur lequel défilaient des publicités diverses dont le prochain fameux « Défi des Arènes » qui ne cessait plus de faire parler de lui sur tous les supports du complexe aérien. On admirait encore une fois le Maître de Galar en action contre son rival de toujours (selon l’écran) et dans un match qui semblait avoir eu lieu la soirée précédente : les médias diffusaient les meilleurs extraits avec des lumineux « meilleur score d’audience enregistré hier soir sur nos réseaux ! » qui inondaient les cristaux liquides. Entre temps, j'avais regardé des annonces aussi singulières que le festival dramaturgique des Lampignons de Corrifey (aucune idée où ça se trouvait), les publicités de bar à Fish&chips de Kickenham (une grande ville que je ne pouvais pas trop situer sur la carte aussi) ainsi que des expositions permanentes du musée d’histoire naturelle de Winscor (ça parlait peut-être de Pokémon préhistoriques).

Mon taxi volant arriva : un Corvaillus, imposant Pokémon corbeau galarien à l’armure plumeuse et luisante d’ébène posa délicatement la cage de transport, le battement lourd de ces ailes envoyant des jets d’air sur le sol.

Voltia hérissa alors sa fourrure tout en tempêtant vers le Pokémon acier, décontenancée. Je m’agenouillai vers elle, le ton calme.

- Hey, hey... il ne te fera rien ! Ce Pokémon va nous ramener à la maison de Papa.

Je l’avais peut-être dit instinctivement.

Après avoir échangé avec le pilote je m’installai dans le compartiment, suivie d’un coup de pattes rapide de Voltia qui se montra soudainement excitée à l’idée de s’envoler dans le ciel. Je ne perdis alors pas de temps à sortir les documents relatifs à ce qui allait être paradoxalement mon nouveau lieu de vie : une petite maison de campagne à Paddoxton, un village minuscule situé dans les collines herbeuses du paysage rural de Galar, à quelques très bonnes heures de Winscor et à dix minutes à pied d’une autre bourgade, Brasswick. C’était ma maison d’enfance, achetée par mes parents à l’époque, quand tout allait bien. Si le divorce avait forcé ma mère à retourner à Kanto, je savais que nous avions gardé les droits sur la demeure car mon père avait souhaité nous laisser ce foyer au cas où la vie nous abattrait « de terribles épreuves ».

C’étaient ses mots.

Mais je n’avais pas mesuré leur portée avant de recevoir sa lettre, il y a un mois.



***






Le temps semblait s’être arrêté à Paddoxton.

Il y avait ces mêmes Moumoutons qui paissaient dans ces mêmes champs fertiles, ces Papillusions identiques qui butinaient avec plaisir les tournesols au loin tandis que l'on retrouvait aussi ces fidèles Minisanges posés paresseusement sur les clôtures blanches qui délimitaient les prés des fermes. Les maisons n’avaient pas pris une ride malgré leur aspect rustique. Un tel paysage familier suffisait déjà à me tirer un sourire tandis que Voltia humait l’air pur de la campagne, l’œil luisant et le jappement curieux.

Le taxi volant me posa à quelques mètres de la maison, vers le bas du sentier qui menait vers les escaliers de bois et de terre creusés dans le chemin. On pouvait aisément croire qu’elle était toujours habitée tant le jardin était propre, les murs encore seins et les fenêtres éternellement claires. Au-delà de ça, le fait qu’elle soit plutôt isolée des autres habitations lui donnait l’aspect d’une mauvaise projection. Le Corvaillus sembla curieusement entendre les remous de mon état intérieur, poussant un son grave en frottant son gros bec d’acier à mon épaule. Je le comprenais : j’avais peut-être fixé un peu trop longtemps la demeure de mon enfance, l’esprit à la fois très curieux comme profondément agité.

Le pilote s'amusa d'ailleurs du comportement de son Pokémon volant, tandis qu’il était en train de sortir ma valise de la cage de transport.

- Ho ! Il est rarement amical avec les gens qu’il ne connait pas, vous avez de la chance ! S’exclama ce dernier.
- C’est un très beau Pokémon que vous avez là, en tout cas !
- Vous êtes de la région ? D’habitude, les touristes sont impressionnés la première fois qu’ils croisent un Corvaillus !

Je dégageai une mèche de cheveux.

- Je suis née à Galar mais j’ai déménagé à Kanto quand j’avais dix ans.
- Ho, il me semblait bien que vous aviez un petit accent du pays ! ça doit vous faire quelque chose de revenir ici, dit-il en posant ma valise devant moi.
- Euh… J’imagine.
- En tout cas, vous arrivez à point nommé ! Dans une semaine débute le plus grand évènement sportif de Galar, le célèbre Défi des Arènes ! Je vous conseille d’y assister, ce serait une bonne manière de renouer avec la région si ça fait longtemps que vous êtes partie ! Voilà vingt ans que ce tournoi existe et que notre champion local, Tarak, a remporté son titre de Maître de Galar ! Ce sera une édition très particulière, je vous l’dis !

Corvaillus battit soudainement des ailes en croassant, rappelant probablement son pilote à l’ordre. Je pris congé de lui et le regarda chevaucher l’immense Pokémon d’acier dans le ciel légèrement rosé par la fin de journée.

Je baillai un peu, avant de regarder ma Voltia se promener çà et là dans quelques hautes herbes. C'était avant que cette dernière ne se mette à trottiner vers la demeure familiale en haut du petit chemin. Au passage, je jetai un rapide coup d’œil vers la forêt qui nous frôlait: il y avait toujours ce petit sentier étroit et mal défini qui y menait par le biais du chemin campagnard conduisant à la maison. Enfin, je constatai surtout que ce dernier était toujours condamné par cette éternelle barrière boisée. Apparemment, l’accès à Sleepwood était resté interdit depuis tout ce temps. Et comme quatorze ans en arrière, je me demandais quelle sorte de raison valable pouvait pousser quiconque à franchir l’entrave qui tentait d’isoler cette étrange forêt brumeuse du reste du monde.

Soudain, quelques hululements semblèrent converser au loin, hors du temps et de l’espace. La vue des conifères densifiant la forêt comme une paroi impénétrable me fit alors légèrement frissonner. Un vol brutal de Pokémons vint percer le calme photographique des cimes, et quelques douleurs picotèrent mes tempes. Confuse, je chassai ces sensations d’un revers de pensé pour me tourner à nouveau vers Voltia.

Elle était déjà sur le pas de la porte, tout en haut du chemin terreux.

- Hey, attends-moi !

J’attrapai ma valise et courus sans panache sur le sentier pentu.

Voltia grattait la porte d’entrée, toujours de cette couleur verte qui n’avait même pas tant vieilli curieusement. Quant au potager situé à côté, il ne donnait plus rien mais je remarquais qu’il était relativement propre, sans mauvaise herbe apparente. Est-ce que Papa avait vraiment entretenu cette demeure depuis notre départ ? J’imaginais naïvement ouvrir la porte et tomber sur lui, comme un souvenir lointain où je rentrais de mes après-midis de jeux pour le trouver dans le salon à me tendre les bras, visite surprise entre deux voyages d’affaire depuis Galar jusqu’à des régions dont le nom ne me revenait pas. Ces rares moments d’affection avaient malgré tout façonné le souvenir d’un père aimant.

Je tournai fébrilement la clef dans la serrure, celle que j’avais trouvée dans les documents immobiliers. Un bref courant libéré du hall de l’entrée posa brièvement ses mains glacées sur ma nuque.

Je cherchai aussitôt y voir plus clair en baladant ma main sur le mur à côté de moi.

En un geste, la familière lumière blanche des ampoules crépita avant d’inonder l’intérieur de son voile éblouissant, du hall jusqu’au salon.

J’étais alors surprise de voir que tout était resté entièrement meublé et malgré la poussière, sensiblement rangé. J’étais rentrée assez naturellement dans le salon, avec ces mêmes divans anciens couleur rubis, ces meubles kalosiens un peu désuets mais élégants et ce tapis teinte bordeaux avec une représentation symbolique du dieu Pokémon Arceus au centre. Après quelques minutes, je m’approchai d’une crédence, attirée rapidement par les reflets scintillants d’une photo.

Encore une fois, j’y reconnaissais le Maître de Galar, accompagné de son Dracaufeu au beau milieu d’un magnifique stade de combat. La photographie était marquée d’un gribouillage illisible.

« Papa était fan de Tarak ? »

En vérité, je n’avais jamais vu ses Pokémon. Comme il s’agissait de ses « employés », ils restaient apparemment à Ludester où se situait la maison-mère de sa société afin d’éviter qu’ils ne soient distraits par je ne sais quel environnement autre que le professionnel. C’était ce que disait maman. Mais Papa ne parlait jamais non plus de relation amicale avec les Pokémon. Il aurait été probablement la dernière personne à s’intéresser aux combats, même à Galar. D’ailleurs, nous n’avions jamais eu de Pokémon dans la famille quand nous vivions à Paddoxton.

Pensive, je la reposai délicatement pour me tourner vers la cuisine.

Elle était toujours aussi claire et spacieuse et malgré la désuétude des plaques, tout semblait en état de marche. En revanche, elle était toujours aussi peu décorée, tout juste un pot de fausses fleurs posé sur la table haute tentait vainement de l'embellir. Les placards en bois de chêne avaient, quant à eux, assez vieilli avec quelques craquelures dispersées çà et là. Je fixais la table surélevée, le sourire nostalgique : Je prenais toujours mes céréales en forme de Pikachu accoudée là tandis que maman m’aidait chaque matin à grimper sur la chaise (même si je tempêtais à chaque fois que j’allais y arriver toute seule).

Voltia huma l’air boisée de la cuisine puis fit aussitôt mine de vouloir fouiller l’intérieur des placards. J’ouvris le réfrigérateur. J’avais heureusement pris soin d’acheter quelques petites choses à l’aéroport, pensée qui me faisait presque soupirer en admirant son néant vertigineux. L’air réfrigéré m’indiqua du moins qu’il fonctionnait parfaitement. Voltia vint alors fourrer son museau dans le frigo. Je la repoussai légèrement, soulignant qu’il n’était pas encore tout à fait l’heure de manger.

Ma chère guerrière électrique grogna un peu puis soudain, détourna son attention vers les escaliers en bois qui se trouvaient entre le salon et la cuisine. Elle se désintéressa alors du frigo et se rua sur les marches, faisant grincer le bois. Je la suivis en étouffant un petit rire, amusée par cette familiarité curieuse qu’elle nourrissait à l’égard de cette maison qu’elle n’avait jamais vue.


***

L’étage était constitué d’un long couloir avec trois pièces : une salle de bain relativement grande, la chambre de mes parents et la mienne.

A l’époque, je faisais souvent des cauchemars et je dormais donc la plupart des nuits dans la chambre de maman. Elle me racontait pour m'apaiser, les histoires de Pokémons fabuleux et brillants, faites de couleurs magiques, entités rarissimes parmi tous les Pokémons qui avaient ce pouvoir étrange de soigner tous les maux et veillant sur les âmes égarées lorsque les ténèbres frappaient la terre chaque nuit. J’y croyais dur comme fer du haut de mes quatre ans à l’époque, persuadée qu’un jour j’allais forcément avoir la chance d’en rencontrer un.

Enfin, pour le moment J’avais surtout le souvenir d’un couloir dégoulinant de lumière du soleil, faisant disparaître les cadres et les plantes placés tout au long dans un léger souci d’ameublement. Petite, il me paraissait interminable : je courais à travers le plus vite possible afin de battre je ne sais quel record imaginaire.

Aujourd'hui, je l'enjambais comme l'on évitait une branche d’arbre.

La salle de bain n’avait probablement pas changé. J’y avais tout juste jeté un œil dans le jet de lumière qui avait embrasé brièvement la salle d’eau. Le miroir était toujours aussi spacieux. A l’époque, je voyais à peine mon front. Maintenant, c’était le reflet d’une jeune femme de vingt-quatre ans, très fatiguée par quatorze heures de voyage. Mes longs cheveux blanc cendrés, un peu emmêlés d’ailleurs, avaient bien besoin d’un shampooing tandis que mon regard particulièrement devenu livide de blancheur dans les faisceaux des leds clignotait d’un grand manque de sommeil. Je vérifiais déjà qu’il y avait l’eau courante puis je sortis pour renouer avec ce que j’appréhendais le plus, ma chambre.

Voltia était déjà campée devant la porte, frottant le seuil avec ses pattes. Je lui souris sans rien dire puis, d’une main tremblante, actionnai le poignet.

Pour une raison ou une autre, ma couleur préférée était le blanc immaculé qui me donnait l’impression curieuse d’avoir toujours le contrôle inné sur absolument tout depuis que j’étais toute petite, comme si sa clarté pouvait choisir d’être ce qu’elle veut sans subir le dictat des personnalités. C’était une raison suffisante pour avoir des rideaux d’une blancheur transparente, un tapis claquant de pureté, des jouets de Pokémon dragon couleur neige, des draps avec des nuages. Et tout ceci avait grandi en même temps que moi. Le lit pouvait accueillir un adulte maintenant. Les meubles étaient plus matures, d’un teint beige un peu vieilli mais encore solide. Le tapis avait pris la poussière mais il se battait vaillamment pour ne pas ternir son humeur de colombe. Les jouets en bois étaient toujours là, tous représentant des Pokémons dragon. Ils s’alignaient sur le meuble de rangement le plus imposant de la chambre, et sculptés dans un souci du détail qui n’avait pas à rougir devant l’artisanat des badges d’arènes.

Instinctivement, je pris délicatement la plus grande statuette dans la main : c’était un Dracaufeu remarquablement taillé dans un beau morceau de cerisier.

Je l’observais, amusée par des souvenirs passagers : même si je savais pertinemment que son espèce n’était pas assimilée au type dragon, je l’avais toujours considérée comme tel. Le meilleur Dragon possible, le roi des Dragons. Je jouais tout le temps avec au plus grand dam de mon père qui le voyait plutôt comme une pièce de collection car apparemment créé de mains de maitre par un sculpteur très douée de la région. Je ne l’avais cependant jamais abimée. C’était mon jouet préféré. Même la gigantesque peluche de Dracolosse assise à côté de l’armoire boisée ne lui arrivait pas à la cheville. Moi, j’avais toujours dit dans mes mots d’enfant qu’un jour, j’aurai un Dracaufeu incroyable et unique pour ami, le genre de Dracaufeu qu’on ne croisait qu’une fois dans sa vie. Et pourtant, je ne faisais pas partie de ces gens qui adoptaient presque solennellement un Pokémon à l’âge de dix ans. Moi, je n’avais rencontré Voltia qu’au tout début de ma vie d’adulte, deux mois avant le décès de maman. Très peu de temps après, je commençais cette carrière de dresseuse dont je n’étais plus que le spectre lointain. De toute façon, entraîner des Pokémons n’était pas une ambition familiale et mon père, qui était davantage un promoteur qu’autre chose dans le milieu de l’immobilier, n’y avait probablement jamais songé.

Alors, malgré une année entière à y travailler désespérément, la sensation du terrain ne m’était jamais revenue. Et aucun Salamèche brillant ne s’était annoncé pour me la réapprendre.

- Vooolta ?

Voltia venait de bondir sur le lit, le jappement perplexe. Elle ressentait probablement la tempête silencieuse dans ma mémoire et me décochait un air assez agacé : elle n’aimait pas quand j’allais trop loin dans le passé.

Je reposai le Dracaufeu en bois pour aller m’asseoir auprès d’elle.

- Désolée, tu dois me trouver un peu bizarre !

Elle ronronna de plaisir en se blottissant dans mes bras. Puis, je balayai la chambre du regard, pensive : elle avait été réaménagée, comme si d’une certaine manière, papa savait que j’allais revenir. Elle était à la fois, fidèle à ma mémoire et étrangère à ma vie. Seul le blanc pansait les failles dans le temps qui me séparait si bien de cette autre moi. Je me demandais alors ce que je pouvais bien répondre s’il venait à vouloir savoir mon ressenti. Lui dirais-je merci ? Ça me paraissait absurde. Il avait juste changé des meubles. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher d’être soulagée que mon lit d’enfant puisse accueillir quatorze ans d’écart.

Une luminosité particulière attira mes yeux vers la tête de mon lit.

C’étaient des lettres découpées dans du papier brillant, accrochées au mur en guise de guirlande chatoyante. L’ensemble formait une phrase.

« Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder des trésors ? »

Je clignai des yeux : ils tombèrent alors sur la table de nuit.

Il y avait ce livre posé sous la vieille lampe, à la couverture rugueuse et brunâtre. Les enluminures dorées de son titre luisaient moins que sa version en guise de guirlande de fête au-dessus de l'oreiller. Je me penchai sur le lit, et l'attrapai délicatement.

- Il est resté là tout ce temps... ?

J'avais murmuré, par crainte de briser les fragiles écailles de cuir qui couvraient le conte que ma mère me racontait tous les soirs. Après quelques secondes, je sortis la lettre de ma poche. Et j'observai, silencieuse, ma vie antérieure et ma vie actuelle l'une à côté de l'autre, un rire épuisé chatouillant ma gorge. Les mots de mon père redonnant signe de vie me léguaient cet autre passé. C'était ironique. J'étais venue pour fuir celui de Kanto.

- Ts... Le dragon et a princesse...

Paresseusement, je feuilletai le vieux livre poussiéreux, laissant lentement le récit de mon enfance se raconter par vagues dans ma tête en commençant par une vieille iconographie d'époque qui l'amorçait comme un courant d'air.


***






Jadis, les terres de Galar étaient gouvernées par de grandes familles princières dont l’influence et la renommée avaient façonné dans la région, le règne d’une grande monarchie. Dans cette région souveraine, les Pokémons et les hommes vivaient en parfaite harmonie, s’entraidant dans leur quotidien mutuel et participant de concert à entretenir le blason galarien dont la réputation resplendissait d’or à travers le monde.


Cependant, l'on avait aussi appris à ce blason à cacher ses tares.


- ... Car si les Pokémons et les hommes vivaient bel et bien ensemble... il existait une espèce qui avait été volontairement isolée par la société galarienne : les Pokémon dragons...


Leur mauvaise réputation provenait de la sombre époque où ils étaient les terrifiants partenaires de grands mercenaires étrangers qui avaient mis Galar à feu et à sang afin d’y asseoir pendant des années, un climat de barbarie et de cruauté basé sur la peur. Leurs Pokémons terrorisaient le peuple et kidnappaient sur ordre de leurs maîtres, les enfants des familles qui n’arrivaient pas à payer les impôts frauduleux qu’ils leur imposaient.

Néanmoins, dans l’ombre de cette hégémonie, les familles bourgeoises originaires de la fière terre de Galar préparaient leur révolte : elles provoquèrent le soulèvement qui allait mettre un terme à la monarchie infernale des mercenaires et invitèrent le peuple et leurs Pokémons à se révolter à coup de conflits, fondant après une grande période de bouleversements majeurs, l’Ancien Galar telle que les livres la relataient : cette grande période historique où les familles bourgeoises devinrent les Grands Princes guerriers encensés dans la littérature, effaça les mercenaires de son histoire en les exilant à jamais au-delà des mers qui touchaient les terres nordiques du pays.

Leurs Pokémons dragons, eux, restèrent à Galar où il avait été décidé qu’ils serviraient les princes. Mais ces derniers n’arrivèrent jamais vraiment à contrôler le caractère profondément émotif de ces puissantes créatures et au fur et à mesure que la société se reconstruisit, les princes finirent par jeter leur dévolu sur d’autres espèces plus dociles et les Pokémons dragons furent isolés dans les grandes montagnes du Nord en guise de punition. Ainsi éloignés de la civilisation, on finit par prêter à Leurs grands pouvoirs météorologiques, leur puissante aura et leur incapacité à contrôler leurs émotions, l’image d’une créature sournoise et imprévisible qui ferait preuve de trahison dès le moment opportun, comme le firent jadis les mercenaires.


Je tournai plusieurs pages à la fois.


- ... Bien des décennies plus tard, au nord du pays....


Naquit une princesse du nom de Luo Realta.

La jeune souveraine nourrissait une fascination et une attirance particulière pour les Pokémons dragons depuis sa plus tendre enfance. Ayant la chance de vivre non loin des grandes montagnes où ces créatures avaient été exilées, Luo étudiait leur existence parmi les anciennes littératures avant de partir quotidiennement à leur rencontre dans les forêts qui tapissaient les massifs. Son père, gouverneur Realtien du royaume nordique de Galar, reproduisait au grand malheur de sa fille la mentalité des familles princières en persécutant les Pokémons dragons qui sortaient parfois des périmètres des montagnes pour approcher les villages.

De nombreux conflits surgissaient alors entre Luo et son père.

- ... L’un souhaitant éradiquer l’existence de ces puissantes créatures, l’autre étant persuadée que les Hommes ne faisaient que répondre à d’anciennes peurs irrationnelles...


Je sautai une dizaine de pages.


Un jour où leur désaccord fut le plus violent, Luo partit se réfugier dans les forêts enneigées. Alors, en marchant dans un bosquet, une voix désincarnée la guida jusqu’à des Fantyrms, petites salamandres fantomatiques persécutées alors par une affreuse chimère inconnue. C’est alors qu’un redoutable dragon vint à sa rescousse, mit en fuite l’attaquant mais se blessa aussi au cours de la bataille.

Luo et les Fantyrms restèrent alors au chevet du majestueux pokémon draconien, prenant soin de lui dans une cachette de fortune aux confins des bois. Une fois ses blessures guéries, l’étonnante créature aux yeux orangés sembla pourtant vouloir rester dans les forêts montagneuses, et contrairement à la méfiance qu’exprimaient les autres Pokémons dragon vis-à-vis des êtres humains, celle-ci revenait quotidiennement à la rencontre de Luo lors de leurs rendez-vous nocturnes.


Je feuilletai un peu.


Aucune littérature ne lui avait parlé de ce Pokémon dragon. Il était doué de parole et avait, dit-on, traversé des mondes entiers pour arriver jusqu’à Galar. Et dans une confiance mutuelle, l’étrange entité finissait par lui révéler la raison de sa présence.


- ... Elle se donnait pour quête d’y trouver ses sentinelles, des esprits capables de recevoir les étranges pouvoirs que la majestueuse créature avait le devoir de récolter entre les réalités...


Elle expliquait à Luo que ces pouvoirs étaient jadis des énergies très sauvages, délaissées dans les rainures des espace-temps et qui avaient fini par y prendre l’apparence d’entités agressives. Mais une fois entrées en symbiose avec des âmes disposées à les recevoir, elles se transformaient en des dons capables de choses extraordinaires, guérissant les maux et ramenant l’ordre et la beauté dans les cœurs abimés. Si le grand dragon fabuleux pouvait absorber ses énergies sauvages puis les contenir au creux de son être, il avait besoin de réceptacles pour reproduire leur synergie parfaite.

Au fil du temps, le grand Pokémon inconnu avait pris conscience que les facultés façonnées par ces synergies pouvaient aider les êtres à devenir meilleurs et il s’était mis en tête de trouver ses sentinelles parmi les Humains. Une étrange conviction le poussa à placer toute sa confiance en Luo qui discerna alors l’opportunité inespérée de rapprocher les Pokémons dragon de son propre peuple. Elle se dévoua immédiatement à l’aider dans sa mission.


- ... En retour, le dragon lui fit la promesse de protéger Galar du malheur en répandant une énergie magique capable « de préserver l’ordre et la vérité, tels qu'ils étaient, sont et seront demain » ...


J'avançai un peu dans le livre.


La grande entité draconienne utilisait ses pouvoirs pour prodiguer aux humains et aux Pokémons, de curieuses énergies qui leur permettaient de comprendre les profonds sentiments des uns et des autres. Mais les facultés de cette puissante entité inconnue ne s’arrêtaient pas là : elle avait la possibilité comme promis, de protéger le peuple de la misère en apportant par sa seule présence, une fertilité fabuleuse aux terres, abolissant la pauvreté qui sévissait depuis trop longtemps en dehors des grandes villes abondantes de richesses. Petit à petit, les galariens commencèrent à cohabiter avec les Pokémons dragons, et acceptant même l’existence de cette étrange créature fantastique parmi eux.

- ... Mais les princes de l’Ancien Galar prirent rapidement le grand Pokémon dragon inconnu en grippe... !

L’accusant d’être la cause de tous les dérèglements climatiques qui frappaient la région depuis quelques temps. Leur argument ne pouvait que mettre l’étrange créature en porte-à-faux : en effet, elle connaissait l’existence des étoiles vœux en n’étant pas natif de ce monde, petites comètes d’énergie extra-terrestre tombées des cieux sur la région, il y avait des millénaires de ça et qui composaient la source des biens culturels les plus précieux de la société galarienne. Luo fit tout son possible pour tordre le cou aux rumeurs seulement, les Princes manipulèrent bien trop aisément les angoisses de leur peuple et une partie de la population se mit de leur côté, débusquant le mystérieux Pokémon draconien et provoquant ainsi ses immenses pouvoirs.

Un violent conflit éclata sur les terres galariennes. Mais les Princes perdirent rapidement la guerre, incapables de contrer la puissante armée de sentinelles de l’entité draconienne, aidée alors par Luo Realta. Les tares de l’Ancien Galar furent alors abolies et les Pokémons dragons s’intégrèrent définitivement à la civilisation galarienne. Une tête de dragon construite en pierre à l’entrée de la ville de Kickenham fut ensuite érigée peu de temps après la guerre, afin de célébrer à jamais ce lien nouveau qui allait perdurer entre humains et Pokémons dragons.

Ayant accompli son devoir, l’entité fabuleuse, quitta ce monde par le ciel durant une journée d’hiver où la neige tomba à foison. Il laissa en guise de cadeau éternel, une part de son plus grand pouvoir à la princesse de la lignée Realta : l’on raconte encore aujourd’hui que cette curieuse énergie réparatrice confiée à la jeune souveraine, a traversé de nombreuses générations, avant de mystérieusement disparaître quelques siècles avant l’époque contemporaine...


Je fermai le livre.


- ... Mais posant à jamais sa pierre angulaire dans l'histoire de Galar... et la mienne.


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