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MonoChrome Corporation de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 10/07/2023 à 19:09
» Dernière mise à jour le 15/08/2023 à 23:18

» Mots-clés :   Galar   Kanto   Présence de personnages de l'animé   Science fiction   Suspense

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MonoChrome Corporation- Inhibition
- Peter Lance, Maître du conseil 4 au Plateau Indigo et de la ligue argentée à Johto. Et membre de l’institution Pokemon G-Men, aussi. Vous Voyez ? Je sais que vous n’êtes pas n’importe qui !

Il n’avait pas encore compris pourquoi il avait décidé de la suivre.

Mais il avait maintenant le loisir d’observer cette jeune femme inconnue de dos, dans le rayon des grosses lampes sphériques et placardées à égale distance contre les parois : son costume trois pièces était plutôt basique, mariant une jupe relativement longue à discrets carreaux grisés à ce veston couleur obsidienne couvrant la toile volatile d’une chemise blanche. Sa longue chevelure noisette et ondulée aux extrémités, qu’elle avait tendance à recoiffer nerveusement, luisait faiblement dans le clair-obscur. Les marches de ciment fredonnaient sous chacun de ses pas, émis par les talons fins de ses chaussures patinées, tandis qu’elle semblait même ajuster délicatement ses mouvements pour émettre le moins de bruit possible.

Ce détail lui était d’autant plus dérangeant : tout semblait dépourvu de la moindre autre présence que la leur, à fur et à mesure qu’ils descendaient dans les souterrains de la faculté des sciences.

La marche était ouverte par son grand Feunard alolien dont l’allure décidée laissait entendre qu’il connaissait curieusement bien les lieux. Le grand renard de glace et de fourrure chantilly aux neuf queues vaporeuses semblait toutefois soucieux : il observait inlassablement les alentours par-delà la grande rambarde de fer qui longeait les escaliers de pierre, le ronronnement appuyé et les oreilles remuant sans cesse. Quant au Feunard kantonais de la jeune femme, il fermait la marche juste derrière le Grand Dracologue : Peter s’était retourné pour noter brièvement que l’attitude du goupil de flammes et de pelage écrémé n’était pas bien différente de son alter égo insulaire : ses yeux ambrés semblaient sonder la moindre parcelle d’ombre et de lumière, les oreilles bien droites et le museau retroussé.

Le jeune homme se palpa la nuque.

- Hum… Pour quelqu’un qui prétendait ne rien connaître des combats Pokémon, vous semblez bien informé sur moi, mademoiselle… ?

Un soupir furtif amorça sa réponse : alors ils arrivèrent au bout de l’escalier, atterrissant à l’intersection de deux gigantesques couloirs aux parois cimentées. Et puis elle se retourna vers le Grand Dracologue.

Mais c’était seulement pour sortir cette tablette numérique sophistiquée de sa sacoche. Peter observait alors directement cet appareillage étrange et rectangulaire solidement imbriqué dans le petit ordinateur, et qui ressemblait à un ensemble de petits capteurs qu’elle venait déjà d’allumer : des loupiotes de couleur blanche, rouge et bleu s’étaient brièvement manifestées çà et là. Cela dit, c’était dans le faisceau coïncidé d’une sphère électrique que le Maître draconien avait ensuite concentré son attention, où les yeux vermillon de la jeune femme se révélaient à nouveau : une iris bleue, maculée d’une nuance algide, et l’autre imbibée de clair violet, rappelant l’aube ensommeillée. C’était tout ce que ce regard lui avait inspiré dans le bureau, semblant revendiquer en silence sa singularité face à ce monde.






Repoussant quelques longues mèches arrangées de sa chevelure brune et ondulée, la jeune femme reprit parole.

- Elia Rivenflight. Je suis la doctorante de Madame Truegold. Comme tout le monde ici, je me fonds dans les murs mais j’aurais aussi l’air d’une personnalité publique si j’allais me balader dans vos arènes, Monsieur Lance.

Elle était étrangement concentrée sur l’écran, pianotant à une vitesse déconcertante sur les cristaux liquides. Les deux Feunards dont elle avait apparemment la garde s’étaient maintenant rejoints, et avaient commencé une intense conversation de glapissements discrets en observant les vertigineux couloirs de béton. Au passage, Peter remarquait ces chariots de marchandises ainsi que d’autres caisses rangées le long des murs, tandis que de lourdes portes de fer étaient présentes de l’autre côté. Le plafond était quant à lui, couvert de gros conduits en inox, sans doute la ventilation.

Agité, Peter toussota.

- Ce ne sont pas vraiment les miennes, vous savez ? Je suis sous contrat avec l’organisme kantonaise de la Pokemon Champions League.
- Vous m’en direz tant.

Le ton de sa voix se durcissait un peu, mais elle n’avait toujours pas daigné lever la tête de la tablette. Ça suffisait amplement pour que Peter soupire plus bruyamment, passant une main irritée dans ses cheveux carmin.

- J’ai une idée… et si l’on faisait comme si vous ne détestiez pas les champions Pokémon pendant cinq minutes ?

Cette fois, elle redressait ses yeux dualistes : le Grand Dracologue y remarquait sans tarder ce scintillement taillé comme une lame de rasoir cependant, même si l’étrange doctorante faisait preuve d’une antipathie relativement déroutante, elle semblait surtout lutter dans chacun de ses gestes. Peter avait notifié rapidement son visage marqué par une profonde fatigue tandis que sa concentration sur la tablette semblait demander des efforts monstrueux pour rester constante.

De plus, et il n’avait pas pu s’empêcher de le remarquer en les observant s’activer sur l’écran, mais les mains de la jeune femme étaient couvertes d’étranges rougeurs, comme si celles-ci avaient été plongées très longtemps dans de l’eau glacée. D’ailleurs, Elia semblait minutieusement contrôler sa gestuelle comme l’on tentait de maitriser une douleur continue. Néanmoins, aucun gémissement ne sortait de sa bouche : seule quelques pliures discrètement souffreteuses marquaient son front.

Son timbre de voix restait cependant peu agréable.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez ? Je n’ai aucune animosité envers les gens comme vous.
- Elia, je ne suis pas né du dernier Danse-Pluie. Vous ne vouliez pas que j’intervienne à la base. Pourquoi ? Je vous rappelle que j’ai retrouvé sa fille en sang l’autre jour à quelques mètres de la Ligue Indigo. Que vous le vouliez ou non, je suis impliqué dans cette affaire et…

Mais Peter manquait aussitôt de perdre l’équilibre. Il n’avait pas pu faire autrement : il avait reculé un peu vite sous l’impulsion de la jeune doctorante, le doigt en avant et l’œil acéré.

- Ecoutez-moi bien ! J’ai accepté votre aide seulement parce que Madame Truegold me l’a suppliée ! Donc nous allons récupérer ce sérum, nous remonterons au bureau pour le lui administrer et ensuite, vous retournerez à vos affaires de Maître et moi, à mon doctorat ! Compris ?!

Peter n’avait néanmoins pas daigné détourner le regard du sien, le cœur secoué. Le souvenir du visage terrifié de Leava lui avait encore frappé la rétine d’une insoutenable douleur aux tempes. Il n’y pouvait rien : il n’arrivait pas à s’en défaire, profondément angoissé à l’idée de rencontrer entre ces murs, la chose qui lui avait très probablement affligé cette horrible entaille au dos comme cette ascension subite vers la mort l'espace d'un insoutenable instant. Et pour ne rien arranger, il entendait l’écho des paroles du médecin résonner dans ses pensées acculées : « elle n’aurait jamais pu se faire cette blessure toute seule ! ».

Il allait alors répliquer sans la moindre gêne.

Et puis Le Grand Dracologue se tourna subitement vers le fond du couloir, sursautant, l’œil saccadé dans les profondeurs obscures, puis les hauteurs.

Elia l’imita aussitôt.

Les deux Feunards se figèrent.

L’alolien s’avança de quelques pas, le grondement ferme.

Le kantonais jeta ses iris ambre vers la jeune femme aux yeux vermillon, le grognement interpellé.

Là, quelque part dans les souterrains, un rugissement rauque avait surgi.

Profond. Douloureux.

Et il y’en avait plusieurs : les frissons qui remontaient dans sa colonne vertébrale en parlaient, tétanisés.

Peter leva alors la tête, le cœur battant.

Il n’en était pas certain.

Mais un courant chaud semblait provenir de la tuyauterie. Ou peut-être bouillant. En réalité, il avait la sensation insensée qu’une lave en fusion était condensée dans les énormes conduits du plafond depuis quelques secondes.

Il revint alors sur Elia, le souffle court.

- … Qu’est-ce qu’il y a dans ces souterrains ?

Ses yeux dualistes fuyaient eux-mêmes vers les imposants tuyaux en inox, le front plissé : ses mains s’étaient contractées sur la tablette.
Et puis elle se reconcentra sur les cristaux liquides. Quelques mouvements oculaires indiquèrent rapidement au jeune Maître qu’elle sembla surveiller quelque chose de mobile sur l’appareil.
Enfin, elle s’avança de quelques pas, scrutée par ses deux Feunards.

- Vous le verrez bien assez tôt… Ne perdons pas plus de temps.


***

Les rugissements rauques avaient remonté plusieurs fois les conduits couvrant le ciel de ciment. Ils semblaient toujours plus lointains cependant, comme si ces derniers s’éloignaient progressivement de leur position. Peter avait toutefois fini par constater que ces derniers convoquaient des efforts laborieux pour s’exprimer : leur écho faisait gémir le silence.

Elia ouvrait maintenant la marche avec ces deux grands Pokémons de feu et de glace, continuant de scruter très fermement sa tablette numérique : les capteurs toujours bien agencés sur l’appareil émettaient maintenant un son électronique aigu mais discret, indiquant peut-être quelques manipulations particulières de la jeune doctorante.

Soudain, après une avancée qui lui semblait avoir duré l’éternité, ils arrivaient à une grande intersection bien éclairée. Cependant sur la droite, cette dernière ne donnait pas sur un autre couloir bien illuminé comme Peter l’aurait espéré : un large escalier de béton les accueillait plutôt, s’enfonçant dans une masse ténébreuse qui continuait le chemin labyrinthique vers un deuxième sous-sol. Une ampoule emprisonnée dans une sphère de verre imbriquée dans le mur à leur gauche clignotait frénétiquement dans un claquement étouffé, dernière rescapée du système électrique visiblement très endommagé à cet endroit.

Elia approcha un peu des marches, les yeux toujours pendus sur l’écran : il l’imita, mais l’extrême noirceur qui s’amoncelait vers le bas lui provoqua aussitôt un frisson coupant dans la nuque. Il croisa les bras, se détournant des ténèbres abyssales pour observer la jeune femme, nerveux.

Les grondements continuaient toujours de s’élever au loin dans les conduits. Et si la sensation de chaleur intense s’obstinait à couler dans le plafond, Peter n’avait pas pu s’empêcher de noter que cette dernière était irrégulière, comme si elle fuitait pour s’évaporer aussitôt dans l’air fermé. En réalité, elle s’additionnait à l’étrange agonie que revêtaient les rugissements lointains.

Et puis Elia se tournait lentement vers lui, les sourcils froncés et le regard tremblant sur les cristaux liquides.

- C’est insensé…
- De quoi parlez-vous ?
- L’Hybrotronique a changé son itinéraire de surveillance. En ce moment, Il se tient à l’opposé de la salle qu’il était censé garder.
- L’Hybro-quoi ? Attendez, vous suivez cette chose à la trace ?

Elle leva enfin ses yeux vermillon, recoiffant nerveusement quelques mèches ondulées de sa chevelure noisette. Elle sembla d’abord hésitante, cherchant le soutien du vide autour d’elle.

- … L’Hybrotronique. Ce poste de contrôle est connecté à lui. En temps normal, l’on peut désactiver son système central depuis ici mais le programme de réinitialisation ne répond pas.
- Réinitia… !?

Peter dévisageait les clignotements prismatiques des loupiotes de la tablette.

- Elia… Ne me dites pas que, ce qu’il y a dans cette cave, c’est un… ?

La jeune doctorante dévisagea les ténèbres déversées dans le bas des larges escaliers de béton.

- … Non. Le Pokémon qui se trouve dans le deuxième sous-sol est bien vivant… Enfin, d’une certaine manière.
- Qu’est-ce que vous insinuez ?!

Elle remua vers lui, nerveuse.

- Je… ce serait trop long à expliquer ! Alors, sachez juste que cette chose mesure deux mètres de haut, elle court très vite et elle va nous attaquer dès le moment où elle aura réalisé que nous sommes là !
- Vous n’avez aucun talent pour rassurer les gens.
- Et vous n’assumez visiblement pas vos décisions, Monsieur Lance. Si vous ne voulez plus faire le héros, il est encore temps de rebrousser chemin !

Il se massa la nuque, le gémissement un peu bruyant.

- Concentrons-nous, vous le voulez bien ?! Où se trouve le sérum, exactement ?

Elle se redressa légèrement, repoussant sa longue chevelure noisette en arrière.

- Dans la salle 346. Selon Madame Truegold, la boite de supra-sérums devrait avoir été posée sur une table à l’entrée. Mais on y trouvera surtout de grands incubateurs… Bon sang, ces machines devraient déjà se trouver à Alola… C’est devenu n’importe quoi cette société.

La jeune femme avait davantage marmonné sur la fin : des pensées agacées s’étaient aussi bousculées à ses lèvres. Le jeune Maître choisissait pourtant de les ignorer, son esprit happé par un énième rugissement blessé surgissant dans la pénombre aveugle.

Il se frotta le front tout en s’éclaircissant la gorge.

- Et donc, votre Pokémon vivant « d’une certaine manière » garde ses incubateurs, c’est ça ?
- Initialement, oui. Du moins, tant qu’il ne sent pas la présence des sérums. Et c’est ce qui m’inquiète… J’espère qu’il n’a pas encore compris ce qu’il y avait dans la boite thermique…
- « Compris » ? Mais dans quel sens ?

En réponse, elle virevolta sur ses talons, la tablette sous le bras. En la suivant du regard, Peter remarqua aussi cette grande table plaquée contre le mur sur leur gauche. Cette dernière était jonchée de grandes caisses en plastiques remplies de fioles et autres ustensiles de laboratoire dont il ignorait l’utilité réelle.
Quelques blouses blanches étaient également posées çà et là, rangées correctement sur des ceintres, tandis qu’il y avait d’apparents cirés de teinte noirâtre un peu plus loin, surmontés peut-être de grands capuchons. Cela dit, le Grand Dracologue n’avait pas tardé à se concentrer sur les deux massives lampes de poche que la jeune femme avait déjà tirées contre elle. Leur taille, bien qu’adaptée à un usage pratique, semblait tout de même s’apparenter à celle de puissants projecteurs au vu de la circonférence de la sphère qui accueillait l’ampoule. Il y’en avait même d’autres sur la table, si bien qu’il était peu évitable de se poser des questions sur la présence de tels objets dans un sous-sol de faculté.

Enfin, Peter n’en avait pas tellement le temps en réalité : elle lui avait déjà enfoncé un de ces appareillages sophistiqués dans le creux de sa main. Etonnamment, malgré l’apparente masse de cette lampe de poche, celle-ci se révélait assez légère.

Elia venait d’enclencher la sienne, dont le faisceau étrangement blanc comme neige trancha l’atmosphère caverneux en un rayon sec. Tenant alors la tablette avec l’autre main, elle s’était à nouveau avancée vers les escaliers pour y lancer cette gerbe scintillante comme de la glace vive contre la masse noire en contrebas. Celle-ci révélait alors la continuité d’un couloir un peu plus bas de plafond mais visiblement aussi large que ceux du premier sous-sol. Il continuait néanmoins de s’enfoncer dans une pénombre déroutante, où il ne fallait visiblement s’attendre à aucune autre source de lumière.

Cela dit, Peter s’y était déjà préparé : il venait d’activer sa lampe poche, fébrile, lançant alors à son tour le rayon tranchant de froideur dans les tréfonds nocturnes. Depuis bien quelques minutes, il avait la sensation néfaste que la chaleur bouillonnante qui dévalait silencieuse, les conduits au-dessus de leurs têtes avait augmenté au moment même où les grondements avaient semble-t-il diminué, telle une nuée ardente. Et ça ne lui plaisait pas.

Le cœur battant, ce dernier se mettait alors au niveau de la jeune femme, les sourcils froncés et l’œil bien imbriqué dans tout ce que lui montrait les faisceaux des lampes.

- J’ai l’impression qu’il sait déjà que nous sommes ici.
- Et vous êtes mon exemple en termes de personne rassurante ?

Elle avait vaguement marié un ton sympathique à son air sarcastique. Peut-être un vague signe de détente. Du moins, la jeune femme semblait bien essayer de dédramatiser la situation par tous les moyens mais ses yeux fixés sur l’écran de la tablette qu’elle tenait maintenant d’une main restait alertés et brillants.
Peter s’agenouillait lentement, brandissant lentement sa lampe devant lui. Il ne sentait pas nécessairement plus à l’aise. Il savait seulement que rien n’allait le faire reculer maintenant : son cœur battait la chamade mais ses réflexes de dresseur G-Men étaient chargés.

- Très bien… Comment voulez-vous procéder ?

La jeune doctorante balayait encore une fois les alentours du couloir en contrebas. Puis, après quelques secondes de silence froissé par les grondements agonisants au loin, elle commençait à descendre une marche, puis une autre. Elle s’arrêtait ensuite, tâtonnait le ciment sous ses talons et poussait un soupir préoccupé. Enfin, elle s’asseyait brièvement sur les marches, posant la tablette et la lampe à côté d’elle. Elle retirait ensuite ses chaussures patinées, ceci avant de les laisser sur les escaliers de béton. Les deux Feunards étaient déjà passés en avant, l’alolien ouvrant la voie comme d’habitude visiblement.
Et puis elle se releva, dépoussiérant vaguement sa jupe carrée avant de jeter une dernière fois son regard vermillon vers le Grand Dracologue, sa propre lampe de poche perçant la masse ténébreuse.

- Commençons par éviter de faire du bruit inutile… et si vous voyez quelque chose bouger, aveuglez-là immédiatement avec votre lampe.

***

Malgré une avancée prudente à percer les ombres autour d’eux, Peter remarquait très rapidement ce vide vertigineux qui comblaient les quelques larges corridors qu’ils venaient d’arpenter, contrastant avec le premier sous-sol. Ils avaient néanmoins croisé quelques grandes portes métalliques, mais aux nominations ne suivant aucune logique numérale apparemment. En réalité, ce sous-sol lui paraissait abstrait et son existence peu cohérente vis-à-vis d’une faculté des sciences. Et ça ne le rassurait pas spécialement.

« Il n’y a pas beaucoup de salles ici… Mais les portes qui les condamnent… Elles sont impressionnantes… »

Ce détail n’avait pas tant pu lui échapper : les rares battants métalliques qu’ils croisaient sur leur route furtive présentaient une taille qui laissait au moins supposer qu’elles servaient à l’entreposage de choses ou de matériel démesurément grands. C’était là son unique déduction. Mais en réalité, rien dans les couloirs ne pouvait l’aider à comprendre ce qui pouvait bien se cacher dans les pièces d’un tel supposé gabarit.

Les deux Feunards étaient restés très concentrés sur leur propre progression. Néanmoins, le Pokémon de glace vaporeuse semblait bien plus décidé que son partenaire kantonais. Ses mouvements étaient affirmés et il avait tendance à prendre un peu plus de vitesse par rapport à Elia. De plus, et ceci transparaissait dans ses mouvements, le grand renard enneigé se focalisait particulièrement sur les murs, balayant visiblement la moindre parcelle de ciment avec ses grands yeux opalins. Son alter-égo de flammes était plus discret, marchant non loin derrière le Grand Dracologue cependant, il avait noté, en jetant un œil au-dessus de son épaule que ce Feunard-ci observait aussi beaucoup le haut des parois, les oreilles agitées.

Au passage, Peter remarquait que le faisceau de leur appareillage émettait une lumière particulièrement forte, parfois même semblait-elle avoir une portée désinfectante sur l’obscurité : au fur et à mesure que leur rayon longeait les murs de ciment, les immenses portes de fer ainsi que le vide ténébreux, ce dernier donnait la sensation de l’éradiquer littéralement. Et quand bien même la masse noire autour d’eux restait constante, Peter avait la sensation curieuse de la nettoyer à l’alcool d’une simple lueur artificielle, repeuplant la noirceur d’ombres pures.

Et ce n’était pas la seule chose qui l’interpellait : il venait seulement de le réaliser mais les rugissements aussi suffocants et caverneux entendus tout au long de leur marche à l’étage s’étaient désormais évanouis. Sans doute aurait-il été intéressant de le prendre comme une bonne nouvelle. C’était précisément son problème : les grondements avaient complètement cessé dès le moment où ils avaient frôlé l’asphalte du deuxième sous-sol.
Peter jetait alors un œil vers Elia qu’il voyait à nouveau de dos, le cœur battant. Elle était restée concentrée sur la tablette numérique, la tête basse et brandissant le puissant faisceau de sa lampe devant elle. Quelques mouvements lui indiquaient néanmoins qu’elle levait parfois les yeux pour observer le couloir.

Soudain, Peter freina son allure.

Il venait d’apercevoir le Feunard alolien s’arrêter net, les oreilles et les neuf queues bien redressées. Elia l’avait tout de suite imité, éclairant alors son Pokémon de gel en fronçant les sourcils dans un « Tu as senti quoi, Geist ? » murmuré prudemment.

Le Grand Dracologue s’avança alors aux côtés de la jeune femme, nerveux. Il n’avait pas pu s’empêcher de sentir chez le grand renard blanc comme nuage de givre, cette étrange tension remontant dans chacun de ses nerfs : ce dernier avait les muscles crampés et le museau bien levé en l’air, ceci avant de jeter à nouveau son œil opalin vers le plafond.

Subitement, il gesticula en poussant quelques grognements, les babines retroussées.

- Feeeun !

Le Feunard kantonais imitait alors son partenaire insulaire : Peter venait seulement de le souligner mais le Pokémon feu se trouvait maintenant à son niveau, sentant la massive présence de sa grande parure de queues touffues remplir le vide à sa gauche. Et puis son glapissement lança un écho bref dans les profondeurs du couloir, lançant lui aussi son regard couleur ambre au-dessus de lui.

Par réflexe, Peter dirigea le faisceau sur le plafond.

C’était avant d’étouffer un cri, les yeux écarquillés.

- Elia… !?

La jeune femme avait aussitôt jeté le rayon blanc de sa lampe au même endroit.

Alors, noyés dans les sphères plates des deux projectiles de lumière, ces masses de givre noires et gangréneuses révélèrent leurs reliefs chaotiques, répandus comme de la lave séchée sur la surface cimentée. En déplaçant légèrement sa lampe, Peter remarquait, le front en sueurs, que l’étrange substance solide avait même englouti plus que ça, si bien que le plafond devenait inexistant à mesure que les masses grossières s’enfonçaient dans le corridor. Le Grand Dracologue croyait alors observer des quantités irrégulières et ahurissantes de ce cristal charbonneux luire faiblement au-dessus de sa tête, tandis que des stalactites très fines s’étaient même formées çà et là et en tas de longues épines disparates. Il avait alors la sensation désagréable, et c’était déraisonné, qu’une coulée volcanique s’était subitement arrêtée à mi-chemin en arpentant les hauteurs.

Il ne pouvait pas s’empêcher de revenir à cette impression de chaleur en fusion dans les conduits au premier sous-sol.

Cette même incandescence colérique semblait gonfler dans l’étrange minéral charbonneux, témoignant de sa présence par de petites étincelles folles et rougeoyantes qui longeaient son intérieur cristallin. Ces dernières avaient peut-être même augmenté leur activité au contact des faisceaux blancs.
Elia avait étouffé un gémissement préoccupé, observant attentivement les masses de cristal noir : elle en balayait depuis quelques minutes la moindre parcelle possiblement visible avec sa lampe.

- Je m’en doutais…
- Mais qu’est-ce que c’est !?
- Ce que vous voyez, c’est de l’énergie corrompue... Ça prend toujours cette apparence à l’air libre.

Peter fixait les masses givrées, le cœur battant, s’avançant prudemment tout en laissant aller son faisceau le long des reliefs tourmentés de braises enfermées et d’ombres lumineuses au-dessus de lui. Mais il avait beau fouiller sa mémoire, ce cristal dont la noirceur pure n’avait certainement rien à envier aux plus sombres capacités ténébreuses des partenaires d’Agatha, ne lui paraissait pas familier. Il n’avait alors aucun point de comparaison avec la moindre roche possiblement existante dans ce monde.

Se sentant légèrement fébrile, il continuait d’avancer malgré lui, imitant Geist qui avait repris sa propre progression, lentement, humant l’air. Au passage, Peter remarquait maintenant que le grand renard de glace fouillait oculairement les parois. Quelques minutes de marches suffirent alors pour découvrir que les masses de givre noir avaient aussi débordés sur certains pans des murs, si bien que certaines portions se trouvaient maintenant à portée de main. Au loin, le Grand Dracologue avait souligné brièvement une intersection.

Mais pour le moment, son attention se fixa sur le cristal couleur sombre dessein.

Il s’approcha alors d’une masse particulièrement polie qui avait englouti une parcelle de la paroi où se trouvaient des tuyaux s’enfonçant dans le béton : les étincelles enfermées continuaient de grouiller activement sous la surface cristalline mais cette fois, la proximité avec le faisceau blanc de sa lampe semblait avoir déclenché quelques toutes petites déflagrations dont le souffle incandescent ressemblait davantage à une agonie qu’un bruit de flamme. Il s’était alors approché un peu plus, aimanté.

« … Qui est-ce ? »

Peter n’en était pas certain.
Mais il croyait avoir entendu gémir le long des reliefs enténébrés.
Furtif.
Les gémissements continuaient.
Mais trop éloignés, ceux-ci se contentaient de ressembler à un chuchotement étouffé.
Ou presque.
Car il tendit la main, l’esprit aveuglé par l’ombre polie du cristal.
Il voulait la toucher, attraper ce qui appelait, emprisonné.
Parce qu’au-delà des mots brouillés.
Dans leur souffrance sonorisée d’une voix unique.
Il avait entendu son nom.
Voguant au fil d'un courant curieux.

Pulsatif.

(…)
- Qu’est-ce que vous faîtes !?!

Peter recula brutalement.

La jeune doctorante était près de lui, les yeux écarquillés : elle avait plaqué la tablette contre sa poitrine.

- Ne touchez ça sous aucun prétexte !
- Du calme ! Pourquoi vous vous alarmez comme ça ?!

Elle repoussa quelques mèches ondulées de sa chevelure noisette, faisant quelques pas dans le couloir.

- En ce moment, il y a l’équivalent de tout le courant électrique du deuxième sous-sol engorgé dans ces masses ! On a beaucoup de chance que ça ne soit pas allé plus haut !
- Comment !?

Elle se tourna vers le Grand Dracologue : dans le clair-obscur, ses yeux vermillon montraient des scintillements fébriles.

- Désolée, je… ce cristal noir a la manie d’absorber la moindre source électrique non loin de lui. Mais ça ne fait pas très longtemps que cette particularité a été identifiée alors… J’ignore même si l’éradiquer selon le protocole classique permettrait de remettre le courant !

Peter soupira bruyamment en passant nerveusement la main dans les cheveux carmin.

- S’il vous plait, Elia… est-ce qu’il y a autre chose de ce genre dont je devrais être mis au courant ?!


La jeune femme piétina un peu le sol, préoccupée. Elle avait à nouveau fixé son attention sur la tablette numérique. Au passage, Peter remarquait les quelques clignotements plus agités des petites loupiotes. Les deux Feunards étaient, semble-t-il, davantage du côté du Grand Dracologue : ils glapissaient vers leur maitresse, insistants, tandis que les remous de leur esprit singulier murmuraient étrangement des convictions brumeuses à celui de Peter. En réponse, le jeune homme croisa les bras, dévisageant Elia.

Enfin, cette dernière releva la tête, une expression plus ferme dans les traits de son visage : après un léger soupir qui fit trembler sa poitrine, elle se tourna vers Peter.

- Très bien… L’énergie corrompue que vous voyez sur ce plafond s’est échappée de l’Hybrotronique, d’accord ? Or, elle provient de ce qu’on appelle le Cœur Nerveux. Il s’agit d’une pierre qui anime le corps du Pokémon par synergie. C’est là que se condense le principal moteur de sa conscience.

Peter observa simultanément la jeune femme et les masses cristallins teinte nocturne, interloqué.

- C’est donc ça que vous sous-entendiez… « vivant d’une certaine manière » ?
- Oui. Mais la synergie de ce Cœur Nerveux est fondamentalement bionique. C’est elle qui assure l’harmonie entre la base de données ainsi que la propriété tangible de l’Hybrotronique. Ces deux pôles sont considérés comme des formes de proto-conscience par la pierre, qui les fusionne ainsi pour faire ressortir une entité abstraite capable de libre arbitre. Elle a été nommée Troisième Conscience et c’est précisément son énergie qui fuit en ce moment même et qui crée ce… cristal noir.

Peter se figea, incrédule : En une fraction de secondes, il revoyait ce sombre rapport académique retrouvé dans l’appartement de Leava. Et quand bien même il venait enfin d’avoir l’éclaircissement qui lui manquait tant, ça ne l’avait pas tant soulagé de cette tension dans les tempes. En réalité, celle-ci venait d’augmenter.

- J’avais cru comprendre que les expériences de cette Troisième Conscience échouaient l’une après l’autre il y a une dizaine d’années…

Elia pencha d’abord la tête, les sourcils froncés.

- Comment pouvez-vous être au courant de… Ho, et puis peu importe… comme vous pouvez le constater, les recherches en vie bionique ont connu des progrès significatifs… Le Pokémon qui se trouve dans ces couloirs est une merveille du génie humain comme diraient certains chercheurs de ma connaissance, capable d’appréhender émotionnellement le monde avec sa part de vivant, mais également capable de l’appliquer avec sa part machinique, au cœur d’équations qui dépassent de loin le cerveau humain.

Elia avait soupiré un peu en observant les masses de givre noir : le ton de sa voix semblait avoir convoqué des efforts insoutenables pour paraître s’en réjouir. Peter laissait alors son regard revenir sur les coulées figées du minéral charbonneux, pensif. Il croyait toujours entendre des plaintes longer la surface cristalline et quand bien même il en avait plus ou moins l’explication, des frissons lui coupaient encore la colonne vertébrale depuis bien quelques longues minutes.

- Génie humain, peut-être… Mais quand ça déraille, vous n’avez qu’une petite tablette numérique.

Il venait de se tourner vers elle, contemplant alors ce faciès agacé dans le clair-obscur.

- Contrairement à ce vous pensez vous autres, dresseurs, la science Pokémon n’a pas la prétention d’affirmer que ses expériences ne puissent pas lui faire faux bond de temps en temps ! Lâcha-t-elle alors en s’avançant nerveusement dans le couloir.

- Oui, enfin… Nos « faux bonds » seraient d’appliquer une mauvaise stratégie de combat… Le vôtre se trouve actuellement hors de contrôle sous une université, Elia.

Elle s’arrêta sèchement, observant à nouveau l’écran de son petit ordinateur tout en agitant la main en l’air.

- Gardez vos reproches pour vous ! De toute façon, le processus de liquéfaction devrait bientôt prendre fin à en juger par la quantité d’énergie rejetée… Vous n’aurez même pas besoin d’appliquer vos stratégies de combat, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, Monsieur Lance !

Peter se gratta le dos, désemparé : son angoisse prenait peut-être un peu trop possession de ces lèvres.

- Je ne voulais pas vous offenser… Mais si vous me dites que ce Pokémon a une conscience alors… nous pourrions peut-être tenter de sympathiser avec lui ?

La jeune doctorante se tourna alors à nouveau vers lui : ses yeux s’étaient mis à trembler.

- Dans le fond, vous pourriez avoir raison. Dans les faits, c’est pratiquement impossible.
- Comment ça ?
- Bien… Si ce que l’on nomme le Protocole de Compréhension des Phénomènes de Réalité a été respecté, cette troisième conscience sera structurée et il nous sera possible d’interagir avec elle. En revanche, si les étapes ont été bâclées ou si le Cœur Nerveux a été fortement endommagé, la synergie entre dans une phase de décompensation et toutes les connexions bioniques se font progressivement détruire. L’Hybrotronique n’est alors plus capable de réponse proportionnée et absolument tout deviendra une menace pour lui, humains comme Pokémons.

La jeune femme avait relevé les yeux vers les masses chaotiques du givre noir : en l’imitant, Peter refixait malgré lui les légères incandescences couleur lave s’exciter sous le cristal ombré.

- … Depuis combien de temps cette chose rôde-t-elle sous la faculté des sciences ?

Elia sembla d’abord hésiter à répondre.

- … 48 heures environ.

Peter se renfrognait, le cœur battant : il y a deux jours, il découvrait Leava blessé à mort dans le blizzard, tremblante, à peine révélée par le seul lampadaire allumé du parking. Mais le souvenir restait bref. C’était de bon augure : la jeune doctorante avait marié un ton alerte à sa voix.

- Et c’est bien ce qui m’interpelle ! Le processus de liquéfaction est censé se terminer en à peine une journée… C’est exceptionnel que le Cœur Nerveux résiste aussi longtemps.
- Ça signifie aussi que notre adversaire va particulièrement se défendre, Elia.
- Vous êtes perspicace.
- Je n’avais pas fini : ce Pokémon est en train de mourir. Sa part de « vivant » n’aura aucune pitié.

Et puis un claquement sourd agressa le silence !

Le Grand Dracologue se tourna violemment vers le fond du corridor, jetant sèchement son faisceau dans les ténèbres étouffés. Et dans son habituel réflexe de Pokemon G-men, s’interposait devant la jeune femme et les deux Feunards.

L’écho de la soudaine manifestation sonore assommait encore l’atmosphère : il en percevait des grésillements étranges parcourir les masses de cristal noir collées au plafond, comme refroidies.

Il revoyait alors l’intersection s’annoncer, inerte, entre deux pans de clair-obscur. Cela dit, Peter apercevait surtout les traits rectangulaires de deux grands battants métalliques dont le faisceau de sa lampe faisait ressortir la lourde structure d’acier. Des roches irrégulières de l’énergie corrompue couvraient alors chaque côté de l’imposante porte de cave, si bien que les parois de ciment semblaient même ne plus exister. Enfin, à cette courte distance, le Grand Dracologue avait la sensation que la profondeur du plafond avait augmenté, faisant en réalité de l’intersection, une connexion vers un couloir sensiblement plus grand que celui-ci.

Elia murmura alors un ton assez peu assuré, ceci après avoir analysé plusieurs fois la tablette numérique.

- C’est la salle 346… Nous l’avons déjà atteinte.

Le claquement n’était pas revenu.

D’autres questions se bousculèrent alors dans l’esprit du Grand Dracologue. Mais trop nerveux pour y donner suite, il décida plutôt de reprendre son avancée, le pas prudent mais le faisceau blanc toujours bien jeté sur les massifs d’obsidiennes de la gangrène qui engloutissait le plafond. Le Feunard alolien poussa quelques légers jappements avant d’imiter fermement le jeune homme, continuant néanmoins de garder un œil sur le givre charbonneux.
Il entendait alors Elia le suivre à petits pas, tout comme le Pokémon de feu et de pelage crème qui avait lui-même laissé échapper quelques grognements soucieux.

Cette fois, et malgré lui, Peter se trouvait en tête de la marche, en compagnie du grand renard de glace à l’œil opalin.

***

Les portes de fer s’étaient avérées effroyablement difficiles à ouvrir : les masses de givre charbonneux qui les encerclaient les avaient tant entravés que la jeune femme avait même invité ses deux Feunards à pousser avec eux.

Le Grand Dracologue entra alors le premier dans la salle, par réflexe peut-être : à dire vrai, ses nerfs étaient sur le qui-vive maintenant, froissés par la moindre manifestation sonore. Le grincement des battants métalliques, dont l’écho avait tambouriné un peu trop fermement le vide à son goût, lui avait fait l’effet de quelques cisaillements sous la peau.

Comme il s’y attendait, la pièce était sombre comme de l’encre.

Alors, dans le faisceau tranchant de sa lampe de poche, il aperçut d’abord l’ombre arrondie et envahissante de grandes cloches de verre se jeter contre les parois de ciment sur sa gauche.

En les balayant ensuite, prudent, le jeune homme aux cheveux carmin découvrait toute la machinerie complexe qui y était intégrée, aux multiples tableaux de commandes et aux tubes de plastique qui parcouraient çà et là les côtés comme l’intérieur des couveuses. Un dispositif électronisé était aussi installé sur le sommet des cloches, dont l’énorme ampoule plate et extrêmement patinée reflétait vivement la lumière enneigée.

Après avoir parcouru l’ensemble de la salle qui s’avérait plus petite que prévue, Peter comptait en tout trois grandes machines de laboratoire. Ces dernières étaient entreposées sur de massifs supports en bois couverts d’une bâche en plastique. D’ailleurs, la taille de celle-ci laissait supposer qu’il recouvrait initialement les machines, et qu’elle avait été simplement dépliée pour vérifier leur état.

Dans sa contemplation, Peter ne sentit pas directement Elia s’approcher.

- Ces incubateurs… Ils sont toujours là ?

Sa voix avait trahi une singulière surprise.

- Comme prévu… Vous les aviez mentionnés tout à l’heure.

Mais il avait parlé un peu vite : le jeune Maître avait cru sentir la nervosité ambiante de la doctorante grandir d’un cran dans son gémissement. A dire vrai, Peter l’avait déjà détecté au moment où ils avaient atteint les portes métalliques, en observant ensuite simultanément ce nouveau couloir situé au fin fond d’une cave douteuse de faculté des sciences.

La sensation qui lui avait happé les sens se confirmait alors à lui, en constatant la profondeur du plafond : comparé à tous les autres corridors du deuxième sous-sol, celui-ci semblait même atteindre le niveau du premier souterrain pour l’une ou l’autre raison. Et si sur sa gauche, il avait pu constater que cet étonnant couloir se terminait par un cul-de-sac où étaient rangés quelques chariots adaptés à des chargements lourds, la droite s’enfonçait quant à elle dans une noirceur encore plus angoissante, soulignant peut-être que cette cave-ci s’avérait exceptionnellement étalée sous la surface.

Mais la nervosité d’Elia avait réellement débuté lorsqu’elle fouillait avec sa lampe, les masses de givre noir qui continuaient leur grossière amoncelage dans cette direction : malgré la distance plus élevée depuis le sol, la portée du faisceau se montrait étonnamment capable d’éclairer les roches cristallines tapies là-haut dans l’obscurité, révélant la quantité ahurissante qui y avait élu domicile. En dirigeant sa propre lampe sur les parois, Peter avait ensuite souligné sans tarder, la présence encore plus importante de givre un peu plus loin sur les murs, couvrant ces derniers comme des rideaux très mal ajustés.

La jeune doctorante avait ensuite analysé l’écran de sa tablette en marmonnant plus ou moins discrètement. Mais quand bien même la tension devenait à chaque seconde passée, de moins en moins supportable au cœur d’une cave de faculté de moins en moins accueillante, Peter n’avait pas osé prendre la parole. En tout cas, pas tout de suite. Il l’avait laissée déverrouiller les battants avant de la regarder tenter d’actionner les lourdes poignées de fer à la seule force de ses mains dans un premier temps. Et à deux puis à quatre, ils forçaient les lourdes portes métalliques à s’ouvrir dans un écho troublant, si bien que par réflexe, Peter n’avait pas hésité à rejeter un œil dans l’obscure droite du couloir. Et si rien ne semblait avoir bougé, les gémissements du cristal noir continuaient d’agiter leurs mots dans son esprit.

Soudain, Elia se rendit vers le premier incubateur, montant délicatement sur le support en bois : ses pieds se firent alors brièvement maculer par la grande bâche, froissée dans des dizaines de grésillements plastifiés. Elle éclaira ensuite plusieurs endroits du dispositif d’incubation, parfois invisibles depuis la position du jeune Maître.

Ses marmonnements avaient encore augmenté. Et Peter n’osait toujours pas intervenir.

Et puis elle revint sur le sol bétonné, avant d’observer soudainement autour d’elle en jetant le faisceau blanc de sa lampe vers les parois, puis les hauteurs. Ses deux Feunards l’imitèrent alors, jappant ici et là, nerveux à leur tour mais en observant surtout le plafond.

Enfin, Elia se rapprocha à nouveau du Grand Dracologue, toujours concentrée sur environ tout sauf lui : ça lui suffit pour retrouver l’usage de ses lèvres.

- Hum… Nous devrions nous dépêcher avant que la merveille du génie humain ne nous repère, non ?

Elle se tournait vers lui : son visage, qui avait visiblement tout ignoré de son sarcasme, se fixait sur la tablette, le faisceau bien imbriqué dessus.

- Finalement, ce sera très peu probable… J’ai constaté tout à l’heure que les détecteurs de mouvements intégrés dans l’Hybrotronique sont inactifs sur l’analyse autonome. J’ai déjà vu ce cas de figure lors d’un Bêta-test et l’Anima-Sentinelle s’était même retrouvé incapable de localiser les scientifiques qui se tenaient à côté de lui.

Le Grand Dracologue se tournait à nouveau vers les incubateurs, fronçant les yeux sur eux.

- Et ces détecteurs font partie de ses connexions bioniques, je suppose ?
- C'est exact. Ceux-ci sont d’ailleurs hautement performants. La Troisième Conscience les utilise pour appréhender son environnement et les objets qui s’y trouvent selon un périmètre très vaste. Ça expliquerait pourquoi malgré notre présence, ce Pokémon n’a pas bougé de sa position sur la carte mais…

Elle dirigeait alors ses yeux vers l’entrée de la salle, le faisceau bien dirigé dessus : sa voix semblait avoir sur la fin, peiné à dissimuler la moitié des inquiétudes qui avaient filé, sourds, entre ses mots.

- Je me demande…

La jeune doctorante revint sur ses pas. Elle referma ensuite entièrement les battants métalliques, puis déverrouilla à l’aide de son trousseau de clefs, une portière de fer incrustée dans le béton à droite et révélée furtivement par sa lampe. Cette dernière dissimulait un panneau électrique assez simple, munie d’une vingtaine de clapets ainsi qu’une grande manette en fer actuellement levée.

La concentration de la jeune doctorante égalait probablement son anxiété ambiante. Mais à dire vrai, Peter n’avait pas non plus tardé à noter ce détail : En étant lui aussi revenu vers l’entrée, il avait bien compris ce que la jeune femme investiguait actuellement.

« On dirait qu’il n’y a aucune trace de cette matière noire ici… »

Il avait encore rebalayé les parois non loin de lui, révélant un ciment grisé et étonnamment propre.

Soudain, un claquement retentit, suivi d’un fort son électrisé !

Et en quelques secondes, les puissants néons de la salle placardés contre l’extrémité des murs vers le haut s’éclaboussèrent d’une intense lumière blanche, avant d’émettre un très léger ronronnement sous tension. La salle se révéla alors tout à eux, pourvue de son courant.

Comme pressenti, elle n’était pas très grande, et surtout vide de tout autre entreposage que les couveuses présentes. D’ailleurs, ainsi inondées de clarté artificielle, celles-ci exposaient plus limpidement leurs appareillages complexes.

Alors, Peter soulignait directement leur aspect bien plus détérioré que prévu.

« … Des marques de brûlures ? »

Et elles étaient étonnamment importantes, tandis que certains endroits fortement abimés, parfois même fondus, laissaient supposer que ces trois incubateurs partaient davantage à la casse que dans un centre de recherche. Il venait aussi de réaliser, et sans doute l’obscurité n’avait-elle pas aidé, que la cloche de verre de la troisième machine était couverte de grandes craquelures. En réalité, les trois couveuses semblaient avoir subi de très violentes déprédations.

Le Grand Dracologue leva ensuite les yeux.

Mais il n’aperçut pas plus de givre noir au plafond.

Il sentait alors Elia revenir vers lui. Cette dernière rangeait sa lampe à l’horizontale dans sa sacoche tout en observant elle-même les trois machines, le front plissé et le silence bruyant.

Il croisait les bras, feignant l’ignorance.

- Dîtes moi, est-ce que ce type de machine vaut cher sur le marché des infrastructures de laboratoire ?

Elle avait peut-être hoché à la tête : mais Peter remarquait surtout son froncement de sourcils.

- Ts ! Le prix d’une couveuse pour Pokémons représente probablement le budget que vous mettez dans l’entretien de vos cinq arènes sur dix années consécutives, Monsieur Lance.
- Ce n’était pas où je voulais en venir…

Le Grand Dracologue hésitait encore un peu. Et puis finalement, il se résignait à titiller davantage les pensées dissimulées de la jeune doctorante, se retournant pour fouiller à son tour cette salle de cave un peu trop douteuse à son goût.

Il apercevait alors, tout à droite et plaquée contre le mur, quelques grands containers recouverts eux-mêmes d’une bâche sombre et montée d’armatures métalliques. A côté se trouvait une table assez longue ou trônait la tour et l’écran plat d’un ordinateur ainsi que quelques gros documents mal rangés ici et là.
Et puis il y avait cette boite. Elle était placée à l’autre bout de la table, isolée, et luisait d’une profonde teinte patinée d’argent. Un système de verrouillage monté d’armatures métalliques semblait solidement la condamner.

- Elia !

Elle se tourna vivement. Puis, dans un léger « Ha… parfait ! » soupiré, se précipita vers la table.

Lorsque le Grand Dracologue arrivait à ses côtés, la jeune doctorante s’était déjà empressée d’ouvrir la boite. Alors, il vit ces mêmes fioles remplies de ce même liquide rouge feu aux étranges reflets noirâtres et parfaitement rangées dans des ceinturettes de cuir. Il en comptait rapidement quatre dans le compartiment, et encapsulées également dans un solide alliage d’acier. Juste au-dessous était emboitée dans une autre ceinturette plus large, une seringue propre et luisante qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle trouvée dans l’appartement.

Cela dit, Peter n’avait pas le temps d’en voir plus : la jeune doctorante refermait aussitôt la boite thermique avec une aisance assez troublante. Elle rangeait ensuite très délicatement les sérums dans sa sacoche, ceci avant d’attraper sa tablette qu’elle avait posée sur la table. Et pendant qu’elle pianotait dessus, Peter éteignait (enfin) sa lampe de poche en soupirant à son tour.

Les deux Feunards avaient observé les moindres mouvements de leur maitresse, assis et agitant paresseusement chacun et chacune, leurs neuf queues voluptueuses. Du moins, c’était ce que Peter avait noté : mais Geist, le Feunard alolien, semblait parfois le dévisager pour l’une ou l’autre raison. Il devait certainement détecter les remous qui martelaient un peu trop les nerfs du jeune homme aux cheveux carmin, en témoignaient ses ronronnements à son égard, penchant parfois la tête d’un air concerné vers lui.

Peter n’y pouvait rien : la doctorante n’était clairement pas tranquille depuis leur arrivée à la salle 346. Et ce n’était pas tant la présence d’un Pokémon pseudo-vivant aux attributs robotiques dans les couloirs qui semblait être véritablement la source de son stress. Autre chose la tracassait : quelque chose qui semblait contredire tout ce qui se passait dans cette cave. Et ça ne lui plaisait pas.

- Nous devrions revenir au rez- de chaussée…

Elle le regardait, l’œil tremblotant : elle semblait alors prise au dépourvue.

- Attendez, j’aimerais vérifier quelque chose avant de...

Au même moment, des sons disgracieux surgirent de l’appareil !

Elle revint sur la tablette, ses yeux dualistes figés sur l’écran : des ronronnements massifs soulevèrent alors le silence, avant que des sifflements aigus ne le flagellent en continu. Passant d’une nervosité latente à une crise de panique, la jeune doctorante se mit à taper frénétiquement la tablette dans un « non, NON ! Pas maintenant ! » emporté. Après quelques secousses visiblement sans résultat, Peter attrapa l’appareil dans un élan plus ou moins agacé, arrachant malgré lui le petit ordinateur des mains de la jeune femme.

- Mais arrêtez !? Vous allez la… !

Et il se figea à son tour.

L’écran en question était en train de sauter frénétiquement, brouillant si furieusement les images que le Grand Dracologue peinait au moins à reconnaître les couloirs numérisés d’une apparente cartographie du sous-sol, aux détails singulièrement précis.

Mais ce n’était pas ce qui le stupéfiait dans un premier temps.

« On dirait des interférences ?! »

Puis, après quelques secondes à s’interloquer sur les sautillements brillants, le pilote d’affichage sembla plus ou moins se stabiliser. Brièvement peut-être. Au contact de l’appareil, Peter sentit cette surchauffe préoccupante voguer dans les circuits de la tablette.

Cela dit, si certaines parcelles de l’écran continuaient de trembler dans quelques sons étouffés, la carte redevenait déjà plus lisible.
L’esprit confus, il se concentra dessus malgré lui.

« Ce serait… ? »

La première chose qu’il remarquait était la position de la salle 346 : cette dernière, de taille moyenne et en forme de carré, était indiquée par une colorisation jaunâtre et pâle, parcourue de mouvements vaporeux. En jetant un œil aux indices qui déterminaient tous les attributs visuels de la carte, le Grand Dracologue soulignait rapidement que cette teinte se rapportait à l’activité électrique des environs captés par l’ordinateur. Cela dit, c’était surtout pour comprendre, le souffle court, que cette masse disharmonieuse et colorisée de la même manière, s’allongeant comme un glissement de terrain tout au long des corridors vectorisés pour frôler la pièce dans laquelle ils se trouvaient n’était autre que la représentation de l’énigmatique cristal noir qui engorgeait actuellement le deuxième sous-sol.

Son cœur venait de rater un battement.

« Cette matière a vraiment absorbé tout le courant ! »

Il avait suivi des yeux l’étrange parcours du givre noir : si ce dernier avait bien envahi la moitié du couloir qu’ils traversaient quelques minutes plus tôt, la manière dont il couvrait les autres corridors vectorisés avait titillé davantage cette appréhension dans son esprit : ce qu’il craignait depuis quelques secondes semblait se confirmer sur la carte numérique.

« On dirait que ça part précisément depuis… ? »

Et puis il y avait cet objet lumineux, tout à l’opposé d’ici, marquant la présence d’une entité sur la cartographie.

Elle était essentiellement marquée par cette similaire intensité jaunâtre, renforçant l’apparente grande taille de l’objet détecté. Celle-ci présentait aussi de curieuses zones rougeoyantes, de même esthétique que celles qui remuaient paresseusement dans l’indice lumineux du givre noir. Enfin, La chose semblait se tenir devant une salle qui faisait bien le triple de la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Et à cet endroit, la masse de givre noire semblait simplement colossale.
En laissant lentement tomber ses yeux tremblants, Peter remarqua la présence de quatre bandes vectorisées sous la carte numérisée, rapportant actuellement ce qui semblait traduire des formes de rythmes cardiaques reliées à l’entité, ou d’autres mesures similaires. Cela dit, il n’essayait pas vraiment d’analyser ce que ces bandes relevaient. Il voyait surtout tous ces gros calculs négatifs qui défilaient à côté, soulignant la diminution alarmante de la stabilité de chacun des quatre rythmes identifiés.

Et à mesure que les équations rapportaient des altérations effroyables, les traçages pulsatifs intensifiaient leurs mouvements chaotiques.

(…)

- Bon, ça suffit !?

Il lâcha subitement la tablette !

Elia l’avait reprise non sans la moindre délicatesse, à charge de revanche sans doute. Elle s’était déjà retournée, remuant nerveusement, une main agrippée dans sa chevelure noisette et marmonnant des choses incompréhensibles. Peter dressait alors la tête vers la jeune doctorante, les yeux écarquillés.

- Attendez ! Ce que j’ai vu, c’est… !
- Plus tard ! Je dois vérifier la…

Mais il entendit aussitôt les mêmes sifflements aigus revenir brutaliser la tablette.

Cette fois-ci, Peter se rapprocha rapidement de la jeune femme, le cœur battant. Il aperçut alors une cinquantaine de lignes noirâtres trancher sèchement les cristaux liquides, tandis que la carte disparaissait progressivement dans un brouillard de neige. Un grondement sourd surgit alors parmi les sifflements, tambourinant ensuite les circuits dans quelques implosions internes.

Mais à dire vrai, ce n’était pas ce qui inquiétait le Grand Dracologue.

« On dirait que quelque chose essaye de nous… ! »

La jeune femme avait contracté une de ses mains sur le petit ordinateur, le gémissement atterré et son regard balayant frénétiquement la tablette devenue folle. Elle n’essayait plus de frapper l’écran, et encore moins de le toucher.

Et puis soudain, une étincelle cisailla un des capteurs !

Il sentit alors la jeune femme le bousculer subitement en reculant violemment, étouffant un cri ! Au même moment, la tablette se fracassa sur le ciment dans une implosion plus sèche encore, et flagellée de toiles électrisés qui dansèrent encore quelques secondes sur le sol.

Peter ne perdait pas de temps à observer le résultat : dans sa chute, l’écran s’était fendu en deux. Des serpentins de fumée discrète sortaient encore ici et là des circuits, accompagnés d’une forte odeur de brûlé.

Mais surtout, il était devenu noir comme de l’encre

Cela dit, le Grand Dracologue avait à peine le temps de reprendre son souffle : la jeune doctorante se jetait sur la tablette, effondrée. Elle le frôlait ensuite des doigts à plusieurs reprises sans pouvoir réellement la prendre à pleine main, marmonnant ses lamentations à la chaîne. il s’avançait alors, le cœur battant et le regard bien froncé sur elle.

Et dans le silence paralysé d’effroi, il venait de comprendre ce qu’il aurait apprécié ne jamais saisir entre les murs de cette cave.

- Elia... Soyez honnête avec moi.

Elle était de dos toujours, agenouillée sur le sol à ramasser enfin le cadavre de la tablette. Ses gémissements s’étaient plus ou moins calmés. Le Grand Dracologue sentait alors, les nerfs tendus, qu’elle s’était mise à l’écouter malgré elle.

Il laissait alors ses yeux la dévisager.

- Les informations que l’on vous a données à propos de cet endroit se résument à cet ordinateur.

La jeune doctorante gardait le silence, immobile. Elle avait peut-être légèrement tourné la tête. Alors, dans ce silence pénible, il laissait le ton de sa voix s’assombrir.

- … En fait, vous ne savez presque rien de ce qui s’est passé ici.

Peter croisait ensuite les bras, feignant plus ou moins l’assurance qu’il essayait de conserver depuis leur arrivée ici.

Enfin, elle faisait revenir son regard dualiste sur lui, luisant d’un profond désarroi : c’était apparemment la seule réponse qu’elle lui donnait sur le moment, se relevant lentement en tenant la tablette numérique encore fumante au bout de sa main droite.

Cela dit, Peter n’était pas tant satisfait. Il s’était retourné vers les incubateurs, les bras toujours bien croisés et contractant sa main sur le manche de sa lampe. Il avait ensuite rejeté son œil vers la jeune femme : cette dernière avait baissé la tête maintenant, cherchant le soutien du vide autour d’elle. Cela dit, le Grand Dracologue n’attendait pas directement d’excuses, choisissant de marcher vers les couveuses, les pensées sur le qui-vive.

- Ces incubateurs… ils ne sont plus en état de marche. De plus, je dirais que la majorité des pièces internes est probablement irrécupérable avec toutes ces marques de brûlures et ces parties fortement accidentées.

Il fit ensuite quelques pas sur le côté, fixant consciencieusement les trois couveuses.

- … Je ne suis qu’un « simple » Maître de conseil 4 qui utilise dix années de budget d’une couveuse pour entretenir quatre arènes. Mais d’après moi, ces machines n’ont plus aucune valeur, ni financière ni pratique. C’est donc absurde qu’on ait pu programmer un garde-fou comme ce… Pokémon de laboratoire pour les protéger. Vous n’avez d’ailleurs pas caché votre étonnement en les voyant… Parce que vous savez pour quelle réelle raison elles sont ici, n’est-ce-pas ?

ll sentait le regard dualiste de la jeune femme lui brûler le dos. Alors, Peter se tournait entièrement vers Elia, les bras toujours fermement croisés : comme il l’avait deviné, elle le fixait, les yeux froncés dans quelques balbutiements luisant dans ses iris d’aube et d’azure.

Les deux Feunards se tenaient autour d’elle, attentifs. Geist s’approchait alors de sa maitresse, ceci pour cogner le dos de sa main avec son museau. Elia s’était tourné vers le grand Pokémon de glace, d’abord légèrement surprise avant de pousser un long soupir tremblotant. Le Feunard kantonais, quant à lui, poussa un léger ronronnement averti, renchérissant sans doute le mouvement encourageant de son alter-égo insulaire.

Elle s’avança alors de quelques pas, reprenant vaguement contenance dans son allure plus droite.

- … Ces trois couveuses viennent d’un laboratoire à Galar qui a été accidenté il y a une… quinzaine d’années environ. Elles ont été ensuite ramenées à Kanto dans l’espoir de les réparer mais les circuits avaient reçu beaucoup trop de dégâts. Alors, ils les ont laissées à l’abandon dans cette cave. Je pensais que depuis, elles avaient été démontées.

Peter ne tardait pas à remarquer l’étrange rictus anxieux sur ses lèvres.

- Ces couveuses sont ici depuis des années ?
- Probablement. Elles étaient déjà là quand j’ai commencé à travailler à l’université de Safrania, il y a deux ans.

Elia se tournait ensuite vers les grands battants métalliques, le regard brillant.

- Cependant… Le rapport enregistré sur l’ordinateur stipule que cet Hybrotronique a été programmé afin de garder dans cette salle, trois incubateurs en attente de livraison pour leurs laboratoires dans la région d’Alola… j’ai pensé d’abord qu’il s’agissait des derniers modèles qui, eux, valent une petite fortune mais….
- « Leurs » laboratoires ? Attendez, mais qui vous a donné cette tablette ?

La jeune femme hochait nerveusement la tête, les yeux perdus au sol et la main agitée en l’air.

- C’est inutile que vous le sachiez, Monsieur Lance ! Ça ne résout pas la problématique de cet endroit !

Et puis, Elle redressa ses iris dualistes sur lui : le scintillement qui les tranchait ne le rassurait pas.

- … Car la personne qui me l’a confiée l’a trouvée ici même dans ce sous-sol, il y a deux jours.
- Quoi ?!

Il regarda autour de lui, stupéfait.

- Donc, vous n’avez pas la moindre idée de qui a amené cette chose, ici ?!

La jeune femme brandit aussitôt le petit ordinateur en piteux état devant elle, le ton plus sec.

- Je voulais justement vérifier la provenance de la tablette ! Elles sont uniques à chaque Anima-Sentinelle et leur numéro de série est lié au laboratoire où le Pokémon a été créé. En remontant l’origine, j’aurais peut-être pu le savoir mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus maintenant, voyez-vous !?

Elle balayait alors l’entier de la salle, poussant un soupir nerveux : Peter soulignait rapidement qu’elle observait les longs néons ronronnant de lumière blanche.

- … Vous l’avez aussi remarqué, le courant de cette pièce n’a pas été touchée par la perte d’énergie de l’Hybrotronique. Ça signifie donc non seulement que son Cœur Nerveux a été percé ailleurs ! Mais surtout, son…
- … itinéraire de surveillance n’a jamais changé.

Il avait terminé sa phrase avec un certain aplomb : elle revenait précipitamment vers lui, agitée.

- C’est précisément ce qui n’a aucun sens ! Pourquoi avoir falsifié ce document ?! Il n’y a rien ici qui peut justifier un tel dispositif !

Peter s’avançait, nerveux : il avait contracté ses poignets, les bras toujours croisés.

- Vous vous posez vraiment la question ? C’est évident que dans cette cave, quelque chose a été cachée… Une chose qui nécessitait non seulement ce dispositif comme vous dites, mais qui visiblement, poserait un sérieux problème d’ordre légale si quelqu’un avait le malheur de tomber dessus.
- Que prétendez-vous, Monsieur Lance ? Auriez-vous oublié qu’il s’agit d’une université de renom dans le monde académique !?

Le Grand Dracologue sentait ses nerfs se contracter dans ses tempes.

- Je ne prétends rien, Elia ! Je constate juste qu’il y a deux jours, Leava était dans ce sous-sol et qu’elle en est ressortie gravement blessée. Et maintenant, vous me parlez d’un Pokémon à moitié vivant et à moitié-machine qui rôde dans cette cave, qui va attaquer tout ce qui bouge, et dont vous n’avez pas la moindre idée du pourquoi de sa présence sous un campus rempli de civils !
- Je viens de vous préciser que ses détecteurs de mouvement sont inactifs ! L’Hybrotronique n’a pas pu comprendre que nous sommes là, d’accord !?

Soudain, un clignotement.

Peter leva la tête.

Ce long néon devant lui, au-dessus de la table, poussa des flashs souffreteux.

Une fois.
Deux fois
Trois fois.

Un claquement furtif le poignarda alors.
Et il mourut.

La jeune femme se retourna vivement: elle le fixa, le souffle court.

Subitement, un deuxième clignotement.

Cette fois, un néon au fond de la salle, tout à droite: il crissa, et plusieurs fois de suite.

La jeune doctorante s’avança frénétiquement, lâchant la tablette cadavérique sur le sol.

- C’est pas possible… !

L’appareil percuta le sol.

Il expulsa des morceaux de verre.

Bruissement sec.

Peter le fixa, pétrifié.

c'était avant de se plier violemment en deux, attaqué de douleurs.

Une explosion étouffée agressa ses oreilles.

Et il entendit l’expiration du deuxième néon trancher le vide.

La salle à moitié abyssale.

- Monsieur Lance !?

Il l’avait entendue s’approcher de lui, peut-être.

Sa voix emportée par l’angoisse.

Seulement, des crocs venaient de lui mordre l’estomac.

Incendiés.

- Qu’est-ce qui vous arrive !? Monsieur Lance !

Il voulut résister, le gémissement bruyant.

Mais un étau de feu lui bloqua aussitôt la nuque.

Et ses yeux refusèrent de se redresser.

Asphyxiés.

Et puis ce troisième clignotement surgit, Furieux.

Un bruit foudroyant dans le néon tout à gauche, au fond.

Il força son regard fiévreux à l’apercevoir, noyé dans les noires profondeurs, hurlant et emporté.

Avant que sa lumière ne succombe à son tour.

Les deux Feunards grognèrent alors, vindicatifs.

Vers la surface.

- On doit sortir ! Tout de suite !

Il tituba, frappé par une autre morsure de feu dans ses entrailles.

Peter se sentit vaciller sur le côté, avant de sentir la froide structure d’acier d’une couveuse le rattraper de justesse. Mais ses jambes se dérobèrent aussitôt et il se laissa glisser le long de la machine, suffoquant, les yeux plongés en avant. Alors, bloqué par l’étrange étau bouillant qui appuyait sur sa nuque, il se tenait les tempes, douloureux, incapable toujours de lever la tête.

Le coeur piégé par cette voix gémissante, qui avait déployé tant d’efforts pour le pénétrer, battait alors au rythme de l’autre pulsation qui venait de l’atteindre comme une déflagration.

« Qui... es-tu !? »

Ces gémissements assourdissants qu’il avait entendus, furtifs, dans le givre noir, venaient de trouver ce passage qu’il avait tant craint tout à l’heure : ils fissuraient maintenant son dos. Ils craquelaient dans sa tête. Ils fêlaient sa poitrine. Et quand bien même leurs indignations restaient cacophoniques, Peter ne pouvait plus ignorer les deux seules choses qu’il avait compris dès le moment où elles s’étaient adressées à lui, violentées par du feu en colère.
Et soudain, des grésillements glaçants surgirent.

Et dans ce soudain élan, il redressa enfin les yeux.

Perlés de larmes.

Fiévreux.

Sur Elia.

Elle était de dos, pétrifiée.

Devant les deux portes de métal.
Vomissant des gangrènes de cristal noirâtre.
Fumant d’étincelles rouges.

Alors, il convoqua toutes ses forces pour marcher vers elle, perçant la lumière survivante à sa droite, brassant l’ombre morte à sa gauche.

- Non… Elia… ! Eloignez… vous… !

Sa voix n’avait plus d’air. Mais il continuait d’avancer. Poussé par l’urgence.

Les deux Feunards aboyèrent, terrorisés.

La gangrène s’épaissit.

Les craquelures redoublèrent.

La fureur volcanique hurla dans le givre sombre comme de l’encre.

Et subitement, les gémissements se jetèrent sur les portes.

Fous de rage.

- A TERRE !






Geist et le Feunard kantonais sautèrent violemment sur la jeune femme, l’emportant sur la gauche !

Peter aperçut alors les deux Pokémons de crème et de givre et leur maitresse disparaitre alors brièvement dans les ombres, avant qu’il ne plonge de l’autre côté, tombant vers le premier incubateur ! Au même instant, des milliers d’éclats de verre explosèrent juste au-dessus de sa tête, tourbillonnant dans deux violentes rafales !

Il se plia d’abord en deux par réflexe, résistant au choc du sol pierreux qui avait rencontré sa chute salvatrice.

Cela dit, Peter ne perdait pas de temps à relever la tête, essoufflé, les jambes et les bras en miettes, les muscles en feu mais le cœur chargé d’adrénaline : il constata d’abord les restes cadavériques de la grande cloche en verre de la couveuse, accompagnés de monstrueuses déchirures emplies de câbles et d’armatures électroniques tout autour du plateau central de la machine. En observant vaguement l’asphalte devant lui, il remarquait aussi tous ces petits morceaux de givre noir d’où s’échappait une étrange fumée blanchâtre à peine visible à l’œil nu. Il se relevait alors, les sens emplis d’une force dirigée par l’instant présent.

D’abord, il se tourna vers le fond de la salle.

Et son sang se glaça.

Là-bas gisaient les deux massifs battants métalliques de la porte. Leur passage avait peut-être épargné les deux autres incubateurs. Seulement, le premier était effroyablement plié en deux. Le deuxième se trouvait à côté, tordu comme du vulgaire papier. Et surtout, de massives parcelles chaotiques du cristal noirâtre semblaient bouillir autour d’eux, et toujours dans cette émanation étrangement lactée.

Mais ce n’était pas pour ça que son cœur s’arrêtait subitement de battre.

Quelque chose venait d’écraser le silence à côté de lui, crachant une chaleur insoutenable.

Il se tourna lentement, les yeux tremblants dans le clair-obscur.

Les deux néons survivants crachèrent alors des saccades de lueurs affolées sur ces plumes brunâtres hirsutes et brûlées, sur ces puissantes pattes reptiliennes à la peau écailleuse qui crissaient d’effroyables sons mécaniques et sur ces serres d’acier assombries par de brûlures à vif.

Il leva la tête, lentement, les nerfs pétrifiés un par un.

Les néons poussèrent d’effroyables cris d’agonie sur ses trois larges têtes bestiales portées à l’extrémité de trois cous criblés de cerceaux de fer d’où pendaient des morceaux de peau en latex. Chacun de leur colossale bec couvert d’écorchures laissait entrevoir sous une épaisse couche de couleur crème, la nature froide du métal qui les façonnait. Les deux vastes plumes d’ébène qui coiffaient leur crâne n’étaient plus que des feuilles squelettiques, dévastées par les braises. Les deux têtes latérales fixaient le vide avec leurs deux billes rougeâtres, apathiques.

La tête centrale le fusillait avec deux énormes points de fusion enragées, par saccades, mouvements qui n’avaient assurément rien imité de la Nature.

Une partie de son crane était fracassé, tranchant même ses yeux embrasés de deux grosses fissures. Et une aura violemment rouge s’échappait de sa blessure, par filets enfumés, imprégnant la pénombre de nuances ensanglantées.

Ce Dodrio géant n’avait rien d’une merveille humaine.

Tout en lui provenait de l’enfer

Le Grand Dracologue se paralysa alors sous le regard de l’animatronique aliéné, agressé à nouveau par cette voix rauque dans sa tête.

Et si étrangement familière.

(…)

- VOUS VOILÂ … PETER LANCE.


***