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L'Archange de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 04/02/2021 à 16:51
» Dernière mise à jour le 21/12/2021 à 22:57

» Mots-clés :   Aventure   Famille   Mythologie   Sinnoh   Suspense

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Chapitre 6 – Peur silencieuse
1er août 1819, Bonaugure, région de Sinnoh
Le crépuscule s’achevait. L’aube commençait à poindre, et l’aurore nouvelle dardait ses rayons de soleil sur le petit village de Bonaugure. Pourtant, la bourgade n’était pas prête à se réveiller. Elle resterait assoupie encore quelque temps. Seule une jeune fille, allongée tristement sur une modeste couchette, ne tarderait pas à quitter le doux réconfort du sommeil.

Au contact de la lumière sur ses paupières, la jeune fille qui dormait là remua légèrement sur son matelas, à demi-consciente. Elle luttait contre sa propre conscience, bien résolue à ne pas laisser le soleil l’arracher au monde des rêves.

Au même moment, la porte coulissante de sa chambre s’ouvrit à la volée. Une femme d’un certain âge pénétra alors dans la chambre.

La Doyenne.

Le bruit de la porte qui s’ouvrait, la voix ferme de sa grand-mère qui lui intimait de se réveiller… Malicia les entendit dans un brouillard. La brume des rêves tentait encore vainement de recouvrir de son voile la morne réalité. Lentement, les yeux de la jeune fille quittèrent peu à peu la noirceur des songes pour enfin rallier la blanche lumière du réel.

Enfin réveillée, Malicia acquiesça distraitement. Satisfaite, sa grand-mère se contenta d’ajouter un : « Je t’attends pour le petit-déjeuner. » avant de tourner les talons. Malicia, toujours immobile sur son matelas de fortune, resta quelques secondes à contempler le plafond blafard avant d’enfin se résigner à sortir de son lit.

Elle soupira. La journée n’avait pas encore commencé qu’elle se sentait déjà épuisée. Elle jeta un œil au petit lit de paille de Vérité. Malgré l’irruption de la doyenne, la petite Tarsal dormait encore profondément. Elle avait l’habitude de ces entrées abruptes. « Elle a bien de la chance… » songea la jeune prêtresse avec détresse.

À contrecœur, la jeune fille enfila l’un de ses beaux kimonos et traîna les pieds jusqu’à la cuisine, la mort dans l’âme. Sa grand-mère était en train de dresser la table pour le petit-déjeuner : un bol de riz, une petite ration de baies, et du thé vert. Comme d’habitude. Malicia prit place à table et s’agenouilla sur son petit coussin, face à sa grand-mère. Une fois de plus, le repas commença dans le silence le plus glacial. Grand-mère et petite-fille se comportaient comme des étrangères l’une envers l’autre.

Malicia fixait son bol de riz d’un œil mort, sans bouger.

— Alors, c’est bientôt le grand jour, n’est-ce-pas ?

Le cœur de Malicia rata un battement. Le fragment de chaîne rouge qu’elle portait autour du cou ne lui avait jamais paru aussi lourd à porter. Il pesait contre sa poitrine et se pressait contre son cœur, froid et dur. Elle ne répondit rien. Elle continuait de fixer son maigre repas, le regard perdu dans le vague.

La doyenne ne s’en formalisa pas et continua sur sa lancée :

— Tu auras bientôt seize ans, Malicia. C’est pourquoi il faut veiller à ce que tout soit prêt pour le grand rituel. Ne me dis pas que tu as oublié ?

Plusieurs émotions transpercèrent le cœur de la jeune fille en même temps. L’indignation. La colère. Le mépris. La prêtresse peinait à croire ce qu’elle venait d’entendre. Sa grand-mère s’entendait-elle ? Comment aurait-elle pu oublier l’événement qui allait enfin la libérer de cette sinistre vie ?

« Une vie qui m’a été imposée par toi ! » songea Malicia avec véhémence.

Mais elle ne dit rien. Elle continua à se taire, tête basse, et enfouit son amertume au plus profond d’elle-même. Comme toujours. Aucune compassion. Pas une once d’empathie. La Prêtresse des Émotions n’avait pas le droit à l’humanité. C’était risible, quand on y pensait.

— Il faudra que tu prennes grand soin du magatama. C’est une relique ancienne très précieuse, tu sais, poursuivit la doyenne.

Malicia avait envie d’hurler : « Oui, je sais ! Bien sûr que je sais ! Tu me le répètes depuis ma naissance ! “Le magatama est l’une des trois reliques sacrées du Grand Guerrier, il faut que tu en prennes soin“ ! Qu’est-ce que tu crois ? Que tu es la seule à savoir ? Que ta petite-fille est trop stupide pour retenir ce qu’on lui répète depuis qu’elle est venue au monde ? »

Mais elle ne dit rien. Elle se tut, encore et toujours, le regard vide.

Voyant que Malicia ne réagissait pas, la doyenne soupira :

— Tu sais, c’est pour toi que je dis cela. Si tu ne te prépares pas correctement, tu seras la risée des trois Prêtresses. Les deux autres risquent de se moquer de toi, lui rappela-t-elle d’un ton sévère. Et que pensera-t-on alors de notre famille ?

Cette dernière remarque eut un effet dévastateur sur Malicia. Sa grand-mère ne croyait pas en elle. Pas le moins du monde. Elle ne se souciait que de leur réputation. Non, de sa réputation. Sentant qu’elle allait étouffer si elle restait une minute de plus dans cette maison, Malicia se leva brutalement et déclara d’une traite, sans relever la tête :

— Je n’ai pas faim. Je pars méditer.

Sous les yeux ébahis de sa grand-mère, la jeune prêtresse quitta le foyer. À peine Malicia eut-elle refermé la porte derrière elle qu’elle sentit des larmes perler au coin de ses yeux. Elle décida de les laisser couler. À quoi bon les retenir, après tout ? En cet instant, plus rien n’avait d’importance. Désemparée, Malicia se mit à courir en direction du Lac Vérité. L’ambiance était si pesante dans sa propre maison que l’idée de méditer quatre heures en silence lui paraissait presque agréable.

S’isoler quelque temps, seule, loin de tout… Oui, peut-être que pour une fois, cela pourrait lui être bénéfique. Ainsi, elle pourrait réfléchir. Elle ne pouvait rien faire d’autre, de toute façon. Oui, elle resterait là jusqu’au zénith, et plus longtemps si nécessaire. Au moins jusqu’à ce que la cloche sonne midi. Mais elle ne comptait pas déjeuner. Plutôt mourir de faim que de revoir déjà la doyenne.

Déterminée, Malicia atteignit bien vite les rives du lac, et emprunta sans tarder la barque qui lui permettait d’accéder à l’antre situé en son centre. Une fois dans la caverne, elle s’assit en tailleur sur le carré de soie prévu à cet effet et commença sa séance de méditation. Tandis qu’elle méditait, les pensées se bousculaient dans son esprit. Son tourbillon d’émotions intérieur la consumait de plus en plus, jour après jour. Sans Elio et son journal, elle aurait probablement déjà perdu la raison.

Les heures défilèrent à une vitesse folle. Malicia n’avait jamais été aussi déçue qu’une séance de méditation se termine. Lorsqu’elle entendit le son cristallin de la cloche du village résonner au loin, elle ouvrit les yeux avec stupeur : « Déjà ? » songea-t-elle avec dépit. « Enfin, au moins j’ai encore une heure de répit avant qu’il vienne me chercher… » pensa-t-elle en essayant d’être optimiste.

De mauvaise grâce, la jeune prêtresse s’extirpa de la cavité rocheuse pour de nouveau se retrouver à l’air libre. Si l’air était libre, elle ne l’était en revanche pas du tout. Assaillie de pensées négatives, la jeune fille ferma les yeux, et huma ce même air, la tête inclinée vers le ciel. Il faisait chaud en ce début d’août. Le soleil lui caressait doucement la peau. Malicia s’étira, imitant les rayons de l’astre brillant. Une éphémère sérénité s’empara alors d’elle. Elle goûta la moindre seconde avec délectation.

Comme un beau rêve qui prendrait fin, elle rouvrit finalement les yeux, et avisa la barque usée. « Allez, il est temps de revenir sur terre… » se résigna-t-elle en prenant place dans l’embarcation. Mais, alors qu’elle s’apprêtait à détacher la barque de son piquet d’amarrage, Malicia chancela, et tomba en arrière. Son corps retomba alors lourdement sur le bois dur de la barque.

Lorsque la jeune prêtresse revint à elle, la première chose qu’elle vit fut le ciel. Un océan de ciel bleu, inondé de lumière. C’était la plus belle chose qu’elle n’avait jamais vue. Malicia tendit une main vers ce ciel, comme pour essayer de l’atteindre. Puis elle l’abaissa et ferma de nouveau les yeux. La douce chaleur des rayons de soleil qui chatouillaient ses paupières… C’était également ainsi que cette journée catastrophique avait commencé. Mais la sensation était autrement plus agréable en cet instant.

Une douleur lancinante lui parcourait le crâne, et pourtant, Malicia rayonnait de bonheur. Elle était convaincue que cette chute était l’œuvre d’Arceus : au prix d’un mal fugace, il accordait à la jeune prêtresse un instant de bien-être total. Et elle comptait bien le savourer. Bercée par les ridules du lac, les rayons du soleil et les soupirs du vent, Malicia murmura doucement :

« Merci, mon dieu Arceus… »

Puis elle s’assoupit, baignée dans la lumière céleste.

— Prêtresse ! Réveillez-vous, je vous en supplie !

— Licia, ouvre les yeux !

— Malicia, réveille-toi, enfin !

Les éclats de voix se répercutaient avec violence dans le crâne de Malicia, tel un écho sonore. Lorsque ses prunelles brunes s’ouvrirent enfin, la jeune fille aperçut trois paires d’yeux qui la fixaient. Là, penchés sur elle, se trouvaient M. Kleyne, son fils Elio… et sa grand-mère. Malicia se redressa avec difficulté sur le sol – pour une raison qu’elle ignorait, elle ne se trouvait plus dans la barque.

— Malicia ! J’ai eu si peur ! s’écria l’une des trois voix.

Il s’agissait de celle d’Elio, qui vint immédiatement enlacer sa meilleure amie, les larmes aux yeux. M. Kleyne fronça les sourcils, mais ne fit rien pour empêcher l’embrassade : tout bourru qu’il était, il ne pouvait pas en vouloir à son fils de s’être inquiété pour la petite Malicia. Lui-même avait eu une sacrée frayeur, lorsqu’il avait extirpé sa protégée de la barque :

— Content de voir que vous allez bien, Prêtresse. Que s’est-il passé ? s’enquit-il.

Malicia porta la main à son crâne et répondit, sonnée :

— Je crois que… J’allais détacher la barque quand soudain, j’ai trébuché, expliqua-t-elle d’une voix confuse.

— Trébuché ? répéta la doyenne, perplexe. Dans une barque ? Comment cela, jeune fille ? demanda-t-elle ensuite d’un ton sévère.

— Je… je ne sais pas. Je ne devais pas faire attention… répondit la prêtresse, penaude.

Malicia était complètement déboussolée. Mais, même confuse, elle savait qu’elle ne disait pas toute la vérité. Sa grand-mère semblait avoir du mal à la croire : avait-elle deviné son mensonge ?

— Vous vous êtes donc évanouie dans la barque ? demanda M. Kleyne.

La jeune fille hocha la tête. Elle était épuisée, et étourdie.

— Allons, Malicia, relève-toi. Nos concitoyens attendent que tu leur prodigues tes précieux conseils. Tu as déjà pris un retard considérable à cause de ce regrettable incident, dit fermement la doyenne, d’un ton sans appel.

À ces mots, Malicia leva instinctivement les yeux vers le ciel ensoleillé : quelle heure pouvait-il bien être ? Elle n’en avait aucune idée. Avant même qu’elle ne puisse répondre quoi que ce soit, Elio intervint :

— Mais, Doyenne… Malicia a l’air très fatiguée… Peut-être vaudrait-il mieux…

— Elio ! le coupa abruptement son père. On ne conteste pas les paroles de la doyenne. Je vais aider Malicia – enfin, je veux dire, la prêtresse – à se relever et nous irons de ce pas commencer la séance de conseil. Est-ce que c’est bien compris ?

Le jeune homme voulut protester, mais le regard ferme de son paternel l’en dissuada. Il baissa la tête et déclara finalement, vaincu :

— Oui, Père.

— Bien. Prêtresse, si vous voulez bien, dit M. Kleyne à Malicia, la main tendue vers la jeune fille afin de l’aider à se relever.

La jeune prêtresse se saisit maladroitement du bras de M. Kleyne et se redressa avec difficulté. Avoir cet homme bourru comme protecteur assigné pouvait parfois s’avérer utile. En effet, tous les prêtres et prêtresses devaient disposer d’un garde du corps, afin qu’il ne leur arrive rien. Ces protecteurs étaient choisis par l’Église, parmi les volontaires. Bien sûr, il s’agissait d’une fonction rémunérée. Ainsi, lorsque Malicia avait été choisie pour devenir prêtresse, le père d’Elio s’était proposé. Au vu de ses liens étroits avec Malicia et de sa carrure imposante, le poste lui avait été accordé immédiatement. Et il s’en acquittait avec rigueur depuis maintenant sept longues années.

Le quinquagénaire musculeux accompagna donc Malicia jusque chez elle, afin de commencer la séance de conseils. La séance de conseils était le lot quotidien de la jeune fille. Chaque jour, durant l’après-midi, les villageois venaient lui demander conseil quant à leurs choix de vie : devrais-je épouser untel ? Ma meilleure amie mérite-t-elle vraiment ma confiance ? Devrions-nous faire un autre enfant ? Tant de questions auxquelles une jeune adolescente comme Malicia n’avait pas la réponse. Mais elle y répondait tout de même, du mieux qu’elle pouvait, car il s’agissait là de son devoir de prêtresse.

Son fardeau de prêtresse.

Cet après-midi fut, comme tous les autres, éprouvant. M. Kleyne commença d’abord par s’excuser de leur retard, et expliqua ce qu’il s’était passé aux villageois qui se pressaient devant la demeure Yasakani. Malicia fut légèrement réconfortée par les visages inquiets et compatissants de tous ces braves gens. Mais cela ne dura guère qu’un instant. L’empathie laissa bien vite la place à l’égocentrisme. Chacun était préoccupé par son petit univers, obnubilé par ses propres intérêts. Malicia n’était de toute façon pas une personne à leurs yeux. Pour eux, elle n’était que le réceptacle d’un prétendu oracle prophétique. Pire même, ils la craignaient.

Enfin… Pas tout le monde.

Agenouillée sur un coussin tandis qu’elle attendait patiemment son prochain interlocuteur dans le salon, ce dernier fit irruption dans la pièce. La jeune fille releva la tête et écarquilla les yeux à la vue de celui qui venait d’entrer :

— Elio ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Je suis en pleine séance…

Elio se tenait la tête basse, les yeux rivés sur son kimono usé. Sans la regarder, il répondit :

— Je sais. C’est justement pour ça que je suis là.

Il était si déterminé que même son père n’avait pas réussi à l’empêcher d’entrer. En effet, quelques instants plus tôt, il s’était présenté à son père devant la maison de Malicia. Il faisait la queue depuis plusieurs minutes, et c’était enfin son tour. Son père lui avait alors dit d’un ton ferme :

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ? La Prêtresse est en séance, tu ne peux pas la voir maintenant.

Elio avait alors fait ce qu’il n’avait encore jamais fait de sa vie : défier son père.

— J’ai fait la queue exprès pour ça, tout comme mes concitoyens. Pourquoi n’aurais-je pas moi aussi le droit de demander conseil à la Prêtresse ? avait-il demandé d’un ton plus ferme encore.

À ces mots, le reste des villageois qui attendaient leur tour avaient approuvé les dires d’Elio. Puisqu’il avait sagement attendu comme tout le monde, il leur semblait juste que le jeune garçon puisse voir Malicia Yasakani, non pas en tant que sa meilleure amie, mais bien en tant que Prêtresse des Émotions. Devant toutes ces réclamations, M. Kleyne n’eut d’autre choix que de céder, et il finit par laisser passer son fils unique, l’air furibond. Elio savait qu’un sermon l’attendrait sans aucun doute à la maison. Mais il s’en moquait éperdument. Parce qu’il se tenait enfin face à Malicia la Prêtresse.

Il leva la tête pour enfin la regarder. Elle était assise à la table. Comme d’habitude, son amie était vêtue d’un luxueux kimono rose. Sa tignasse auburn avait été domptée en un chignon d’où dépassaient quelques boucles rebelles. Les imperfections de son visage s’étaient atténuées avec le soleil, mais sa peau, elle, demeurait toujours très pâle. Elle paraissait épuisée. Cette fatigue qui la prenait au corps semblait de plus en plus récurrente. Il avait hâte que cette torture se finisse, pour qu’elle puisse enfin se reposer. Mais, d’un autre côté, il redoutait ce moment plus que tout. Car la fin du service de Malicia signifiait aussi son départ du village.

Pour toujours.

Il vivait actuellement ses derniers jours avec sa meilleure amie. Il ne pouvait se faire à cette idée. Ils avaient toujours vécu ensemble… Comment l’Église osait-elle les séparer ? Le jeune homme ne comprenait pas. Cette idée lui semblait absurde. Le désespoir le guettait. Sans même qu’il s’en rende compte, des larmes commencèrent à couler sur ses joues.

— Elio, tu pleures ? s’enquit soudainement son amie, inquiète.

Elle tendit les bras vers lui, prête à se lever, mais il fit un geste pour l’en dissuader, et vint s’asseoir à table en face d’elle. Il baissa à nouveau le regard, les yeux emplis de larmes.

— Alors voilà, Prêtresse, je viens vous voir car… commença-t-il, avant d’étouffer un sanglot.

— Elio…

La voix de son amie était douce et compatissante. Mais elle semblait déjà très lointaine, comme si Malicia était déjà partie. Elle posa les mains sur les siennes, mais il les retira aussitôt pour s’essuyer les yeux.

— Je viens vous voir car ma meilleure amie va bientôt partir loin de moi et… J’aimerais savoir… Comment surmonter cette épreuve, demanda-t-il en pleurant.

Cette fois-ci, ce fut Malicia qui baissa la tête.

— Oh, Elio, je… Je ne sais pas… Je ne sais pas ! s’écria-elle alors que ses yeux bruns s’emplissaient eux aussi de larmes. Mais je sais très bien que… tu vas lui manquer terriblement aussi…

L’échange ne se poursuivit pas. Les deux amis pleurèrent en silence pendant encore quelques instants, jusqu’à ce qu’Elio se lève subitement et dise, le regard perdu dans le vague :

— Merci de m’avoir accordé un peu de votre temps, Prêtresse.

Puis il s’en fut, sous les yeux de Malicia, encore bouleversée. Et elle n’était pas la seule à l’être.

De l’autre côté du mur, une certaine doyenne avait écouté avec attention cette conversation privée. Elle n’était pourtant pas censée assister aux séances de conseil. Ces dernières devaient s’effectuer dans le plus grand secret. Cependant, la doyenne aimait s’assurer que Malicia ne racontait pas n’importe quoi aux membres du village. Mais cette fois-ci, ce fut la première fois qu’elle se sentit réellement coupable d’avoir espionné sa petite-fille. Une minuscule larme perla au coin de son œil. Elle l’écrasa bien vite, et alla s’enfermer dans sa chambre.

Pour la grand-mère comme pour la petite-fille Yasakani, l’après-midi s’évapora comme dans un flottement. Ni l’une ni l’autre ne prêtait vraiment attention à ce qu’elle faisait. Elles semblaient toutes deux captives de leurs pensées. Le soir venu, elles dînèrent dans le silence le plus total, comme à l’accoutumée. Mais ce silence-là était différent. Il n’était pas glacial, mais presque réconfortant : elles avaient toutes deux compris – peut-être inconsciemment – que l’autre ne souhaitait pas être dérangée.

Le dîner achevé, Malicia fila dans sa chambre sans demander son reste, talonnée par la petite Vérité. Il lui tardait d’écrire sans son journal pour soulager un peu sa conscience. Et de dormir aussi. Alors qu’elle se saisissait de son matériel d’écriture, la jeune fille entendit des éclats de voix au-dehors. Ils provenaient du jardin. Inquiète, Malicia remit immédiatement ses affaires dans leur cachette et se précipita dehors. Arrivée à la hauteur de la porte qui menait au jardin, la jeune fille s’arrêta. La porte était entrouverte. Malicia jeta alors un œil dans le jardin, à la fois inquiète et curieuse.

Ce fut alors qu’une scène complètement délirante s’offrit à ses yeux.

Sa grand-mère faisait face à Elio, dont les yeux étaient emplis de larmes. Son ami était quasiment en train d’hurler :

— Mais enfin, vous êtes la doyenne du village, et sa grand-mère ! Comment pouvez-vous ne pas savoir ? lui demanda-t-il d’une voix désespérée, mêlée d’une étrange colère.

La jeune fille se raidit à ces mots. « “Sa grand-mère“ ? Il parle de moi ! Mais enfin qu’est-ce qu’il se passe ici ? ». Malicia ne comprenait rien. Elle s’attendait à ce que sa grand-mère décoche une réplique cinglante face à l’impertinence d’Elio. Mais il n’en fut rien :

— Je… balbutia la doyenne.

Le choc de cette discussion semblait l’avoir laissée sans voix.

— Ça me tue chaque jour un peu plus de ne pas savoir ce qu’il adviendra de Malicia quand elle sera partie ! Et vous, la doyenne, sa propre grand-mère, vous me dites que vous n’en savez rien non plus ? Pourquoi on ne pourra plus la contacter ? Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de venir nous voir ? POURQUOI ? hurla-t-il, en pleurs.

Malicia accusa le coup. C’était donc cela qui tracassait Elio ? Elle ne l’avait pas compris. Elle n’avait compris qu’il n’était pas seulement triste à l’idée de ne plus jamais la voir. Il s’inquiétait aussi de ce qu’il pourrait lui arriver une fois qu’elle ne serait plus prêtresse. Pourtant, elle-même ne s’était jamais posé cette question. Elle ne la comprenait même pas. Pourquoi quelque chose devrait lui arriver ? Elle allait finir son service de prêtresse, puis elle redeviendrait libre… N’est-ce pas…?

« Mais… et si ce n’était pas le cas ? » murmura une petite voix en son for intérieur. La voix du doute.

Cette pensée la terrifia au plus haut point.

« Grand-mère ! Rassure-le ! » implora-t-elle silencieusement.

Mais le visage de la sévère doyenne afficha à la place des émotions que Malicia ne lui connaissait pas.

Le doute.

L’inquiétude.

La peur ?