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Merle Grey de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 20/10/2019 à 15:00
» Dernière mise à jour le 12/11/2019 à 19:08

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Famille   Slice of life   Unys

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Chapter 2: Cloud and Mist
Extatique au milieu de la foule de citadins et de touristes pressés, Thea contemplait Donnol, la capitale de Galar, où elle mettrait les pieds pour la toute première fois. Elle n’y avait pas vraiment cru quand l’avion s’était posé. Elle peinait toujours à y croire. La décision qu’elle avait prise seulement une semaine auparavant venait de se concrétiser : elle se trouvait à Galar. Le pays de son ancêtre. Maintenant qu’elle se tenait là, devant un spectacle inconnu, Thea sentit la peur et l’angoisse la saisir : comment avait-elle bien pu prendre une décision aussi rapide et irréfléchie ?

Le brouillard de son esprit s’éclaircit aussitôt la question posée : parce qu’elle n’avait plus rien, et donc plus rien à perdre. Elle sentait à nouveau ses yeux s’embuer, mais elle résista aux larmes. Car si la région de Galar représentait d’un côté son passé et ses origines, elle apparaissait également comme une perspective d’avenir aux yeux de Thea. Une contrée nouvelle, inconnue, à explorer. Cette pensée l’encouragea, la rassura même. Elle avait pris la bonne décision en faisant ses valises et en s’envolant pour Galar.

Un peu rassérénée, elle se mit enfin en marche, suivant les directions de l’aéroport qui menaient jusqu’aux bornes de taxis. Ce n’était guère très loin. Elle se retrouva alors bien vite à attendre, en compagnie d’autres touristes, les taxis noirs qui s’amoncelaient comme autant de nuages orageux dans le petit coin de rue. Le ciré jaune vif de Thea, au milieu de l’océan d’habits noirs et blancs, la faisait ressembler à un minuscule marin perdu dans l’immensité de la mer grise.

Tout le monde semblait pressé, obligé de jouer des coudes – même si cela impliquait de bousculer ses compagnons d’infortune – pour obtenir une place inespérée dans les véhicules sombres. Thea, elle, attendait patiemment, sans bouger, que l’un d’eux veuille bien la prendre pour passagère : à cause du décalage horaire, elle se sentait de toute façon trop fatiguée pour gesticuler ainsi dans tous les sens. Et cela lui donnait également l’occasion d’observer la capitale de Galar à loisir.

Donnol était une ville magnifique. Thea était sous le charme des beaux bâtiments de brique rouge qui se fondaient en une parfaite unité aux côtés des cabines téléphoniques et des bus à deux étages de la même couleur. Ces derniers intriguaient particulièrement Thea, qui avait hâte de s’installer dans l’un d’eux – de préférence, tout en haut. Au vu de ses finances limitées, le taxi était de toute façon un luxe qu’elle ne pourrait pas se payer tous les jours.

Elle leva la tête vers le ciel : gris et nuageux. Elle pouvait même apercevoir, au loin, une légère brume matinale qui enveloppait les habitations écarlates, se mêlant ainsi à la fumée argentée des cheminées. Thea savait qu’elle devrait rapidement s’habituer à ce ciel cotonneux qui constituait le quotidien des Galariens. De côté-là, Unys n’était pas si éloignée de sa cousine galarienne.

« Hé oh, Miss, vous m’entendez ? » appela soudain une voix qui fit sursauter Thea.

Elle redescendit immédiatement sur terre et baissa les yeux vers celui qui l’avait interpellée : il s’agissait d’un petit homme au visage rond et à l’air chaleureux. Une main sur la hanche et l’autre sur le toit de son véhicule noir, il dévisageait la jeune femme.

« Vous attendez pour un taxi, oui ou non ? » reprit-il, bien plus amusé que véritablement impatient.

Son ton châtié fit sourire Thea. Elle n’avait jamais entendu l’accent Galarien jusqu’à présent. De ce qu’elle pouvait remarquer, les Galariens articulaient bien plus les mots que les Unyssiens ; de ce fait, ils parlaient plus lentement. C’était un comble pour des gens qui avaient l’air si pressé ! Elle s’empressa de répondre :

« Ah, oui, merci beaucoup ! »

En entendant sa réponse, le conducteur de taxi sourit à son tour : s’était-il fait une réflexion similaire à la sienne à propos de son propre accent ? Thea aurait été curieuse de le savoir, mais elle n’aurait jamais eu l’audace de poser directement la question. À la place, elle confia sa valise au chauffeur et s’engouffra à l’arrière du véhicule sans demander son reste.

Dans le taxi, le silence fut rapidement brisé par le conducteur, qui semblait aimer faire la causette à ses clients :

« Alors comme ça vous venez d’Unys ? demanda-t-il à la jeune femme.

— Oui, confirma timidement celle-ci. Comment avez-vous deviné ?

— Haha, on ne me la fait pas, à moi. Et vous voyagez toute seule ?

— Oui.

— Même pas accompagnée de vos Pokémon ?

— Eh bien… En fait, je n’ai pas de Pokémon » lui révéla Thea, embarrassée.

Elle n’avait jamais ressenti le besoin d’avoir l’une de ces petites bestioles avec elle en permanence. Enfin, jamais jusqu’à récemment… Avoir un ami à prendre dans ses bras aurait été un soutien souhaitable pour elle ces dernières semaines. Thea ne détestait pas les Pokémon. Mais elle ne les aimait pas infiniment non plus. Elle n’avait simplement jamais trouvé de Pokémon avec lequel elle s’était liée d’amitié au point de s’en faire un compagnon de tous les jours. De manière générale, Thea s’attachait peu.

« Eh bien, c’est surprenant. Ici, à Galar, c’est très rare de croiser des personnes sans Pokémon, commenta simplement le conducteur du taxi.

— Oh, à Unys aussi ! lui assura-t-elle. C’est simplement moi qui suis une originale, je suppose…

— Oh ça oui, je l’ai remarqué dès que je vous ai vue !

— Que voulez-vous dire ? voulut savoir Thea, intriguée par cette réponse.

— Des gens en ciré jaune qui prennent le temps d’admirer le ciel d’un air rêveur alors qu’ils attendent un taxi, il n’y en pas cent ! répondit-il dans un rire.

— Je suppose…

La conversation continua ainsi tout le long du trajet, ponctué des questions curieuses du conducteur et des réponses souvent monosyllabiques de Thea, qui n’était décidément pas très loquace. Une fois arrivés à destination, la jeune femme récupéra sa valise et paya le conducteur du taxi, qui lui adressa un sourire, accompagné de ces ultimes paroles :

« Passez un bon séjour à l’hôtel La Quantos, Miss ! »

*
Thea se trouvait dans sa nouvelle chambre. Et pas n’importe quelle chambre : elle appartenait à l’hôtel où avait travaillé Merle H. Lock-Hoss. La jeune femme balaya la pièce du regard : meubles en bois noir, draps blancs, rideaux gris. En effet, l’hôtel n’était plus le pastiche d’établissement unyssien hors de prix décrit dans le journal de Merle. Il était devenu, avec le temps, un hôtel-restaurant banal et tout à fait ordinaire, ce qui arrangeait bien la jeune femme, qui ne roulait pas sur l’or.

Fatiguée du voyage, elle s’allongea sur le lit, encore tout habillée, et se mit à réfléchir : et maintenant, quoi ? Qu’allait-elle faire dans cette ville inconnue ? Les quelques économies héritées de ses parents lui permettraient probablement de subsister un moment, mais il lui faudrait bien vite trouver un travail. Elle préférait ne pas y penser pour l’instant. En attendant, elle pouvait se livrer entièrement à sa quête : retrouver la trace de Merle. Voilà pourquoi elle était venue dans cet hôtel : elle voulait marcher dans les pas de son ancêtre, vivre là où elle avait vécu.

La jeune femme se mit à bâiller : le décalage horaire commençait vraiment à se faire ressentir. Il avait beau n’être que dix-huit heures, Thea décida tout de même d’aller se coucher, éreintée. Elle enfila en vitesse son pyjama avant de se glisser sous les draps glacials. Pour s’endormir, elle commença à relire les aventures de son ancêtre détective. Son esprit s’égara cependant rapidement du récit pour se complaire à imaginer quelle vie avait bien pu mener Merle entre ces murs.

Puis, dans l’esprit de Thea, les divagations laissèrent bien vite place à une brume nuageuse : le monde des rêves.

Thea se réveilla aux aurores. Évidemment. Rien d’étonnant à cela, étant donné l’heure peu orthodoxe à laquelle elle s’était couchée. Elle resta une ou deux heures à somnoler dans son nouveau lit avant d’enfin se résigner à se lever, le ventre tenaillé par la faim. Elle n’avait rien mangé depuis un long moment. Elle pourrait chercher une épicerie où s’acheter un en-cas. Ou bien… elle pourrait prendre le petit-déjeuner au restaurant de l’hôtel.

Elle savait bien que ce n’était pas raisonnable. Mais après tout, elle restait en quelque sorte en vacances à Galar. Il n’y avait pas de mal à se faire plaisir et prendre un peu de soin de soi. D’autant plus qu’elle en avait désespérément besoin. Même si le choc de la mort de ses parents s’atténuait peu à peu, le deuil tapissait encore nettement son âme.

Elle sentit le puissant vide revenir. Un précipice insoutenable. Un inexorable néant qui l’attirait dans ses ténèbres afin qu’elle l’emplisse de ses larmes. Elle lutta pour ne pas sombrer. Elle se redressa sur le lit, comme s’il risquait de l’engloutir à tout moment. Puis elle se prépara rapidement et quitta la chambre qui l’oppressait en poussant un soupir de soulagement. Son dernier regard alla droit sur le journal de Merle H. Lock-Hoss.

*
Tandis qu’elle savourait son petit-déjeuner typiquement galarien, composé de toasts à la marmelade, d’œufs au plat, de bacon de Grotichon et, bien sûr, d’une incontournable tasse de thé, – la serveuse lui avait proposé des haricots blancs à la sauce tomate en plus, mais elle avait décliné l’offre – Thea réfléchissait à la manière dont elle pourrait en apprendre plus sur Merle, son ancêtre indéchiffrable.

La détective avait beau avoir travaillé en ces lieux, cette information n’aidait guère Thea, étant donné que cette époque était révolue depuis plus de deux cents ans. Fait plus étrange encore, Thea n’avait absolument rien trouvé sur Internet concernant Merle H. Lock-Hoss, ce qui l’intriguait au plus haut point : comment une détective aussi géniale pouvait-elle ainsi dans l’oubli ? Voilà qui méritait de plus amples recherches.

Pour cela, rien de mieux que les archives. Thea était persuadée qu’au milieu des vieux documents administratifs poussiéreux se cachaient les réponses à ses interrogations. Sa prochaine destination était donc toute trouvée : les archives de la mairie de Donnol.

Cette pensée la revitalisa : elle était impatiente d’apprendre le fin mot de l’histoire concernant son ancêtre galarienne. Elle termina son repas avec entrain, entrain qui fut quelque peu atténué par le règlement de l’addition – un peu trop salée à son goût. C’était bien la première et la dernière fois qu’elle faisait une telle folie.

« À partir de maintenant, il va falloir être vraiment raisonnable » pensa-t-elle tristement alors qu’elle se rendait à nouveau dans sa chambre.

Thea secoua la tête et se concentra sur le positif : son enquête. Elle aimait désigner ainsi les recherches qu’elle faisait sur son aïeule : cela lui donnait l’impression de l’imiter, et de devenir détective à son tour. C’était une idée qui lui plaisait beaucoup. Elle avait l’impression de s’adonner à une chasse au trésor grandeur nature, dont la récompense était autrement plus précieuse qu’un simple bien matériel. Même si elle ne savait pas encore elle-même quelle forme prendrait ce fabuleux prix.

Elle passa seulement en coup de vent dans sa sinistre chambre, le temps de récupérer sa sacoche et d’y fourrer l’essentiel, et en particulier son outil le plus précieux : le journal de Merle. Juste avant de quitter la pièce, elle croisa son propre regard dans le miroir accroché au mur de l’entrée : ses cheveux blonds emmêlés, rassemblés en un chignon brouillon, n’étaient pas en grande forme, d’autant plus que les mèches sauvages encadraient des yeux cernés, pas encore habitués au décalage horaire.

« Mon dieu Arceus, quelle tête ! Il faudrait peut-être cacher un minimum ce désastre… » songea-t-elle en son for intérieur.

Elle avisa sa valise ouverte par terre, au pied du lit : la moitié de son contenu était déversé sur le sol. Le regard de Thea fut attiré par un tissu vert avocat. La casquette à boutons que lui avait offert son père des années plus tôt. Elle était assortie à un imperméable de la même couleur, que Thea avait, quant à lui, reçu de sa mère. Celui-là même qu’elle portait en ce moment.

« Parfait. Comme ça, Papa et Maman seront tous les deux avec moi… »

Elle fit un effort surhumain pour ne pas se laisser gagner par ses états d’âme et elle enfila la casquette, qui cachait plutôt efficacement sa tignasse indomptée. Puis elle se précipita hors de la chambre d’hôtel, emplie d’une énergie nouvelle.

*
« Vous voulez consulter les archives de la ville ? » répéta la fonctionnaire de la mairie, incrédule face à la demande de Thea.

« Hm, eh bien, oui… Cela pose-t-il un problème ? » s’inquiéta soudainement Thea.

Elle avait honte d’admettre qu’elle ne savait même pas si elle était en droit de consulter les archives de la ville, en tant que touriste. Elle s’était rendue à la mairie de Donnol comme elle s’était rendue à Galar : sur un coup de tête. Il avait suffi d’un plan et de l’aimable aide du réceptionniste de l’hôtel, et la voilà qui se trouvait dans l’hôtel de ville, à seulement neuf heures du matin, face à une employée qui était visiblement ennuyée qu’on ait interrompu sa séance de manucure matinale.

« Euh non, non… » la rassura la dame de l’accueil, toujours aussi stupéfaite. Apparemment, l’idée de vouloir remuer des vieux documents aussi tôt dans la matinée lui paraissait complètement aberrante.

Elle reprit :

« Par contre, Noah, notre agent de sécurité, va devoir vous accompagner et veiller sur vous pendant que vous consultez les archives. C’est la procédure standard de protection des documents administratifs. Ne vous en faites pas, il sera simplement là pour vérifier que vous n’abîmez rien. »

Elle débitait son texte d’une voix monocorde, tel un robot. On sentait bien qu’elle l’avait déjà prononcé des milliers de fois. Alors que Thea hochait timidement de la tête pour acquiescer, l’employée passait un rapide coup de fil à son collègue, du bout des doigts, pour ne pas souiller ses ongles vernis. Une minute plus tard, un jeune homme aux cheveux noirs vêtu d’un uniforme arriva, sourire aux lèvres.

« Bonjour et enchanté ! Je suis Noah, votre humble serviteur et pot de colle attitré, j’en ai bien peur. J’espère que vous parviendrez à me supporter !

— Je m’appelle Thea. Tout le plaisir est pour moi » sourit-elle en retour.

Le jeune homme la mettait déjà à l’aise. Heureusement, sinon les heures de recherche s’en seraient retrouvées fort désagréables. Le jeune agent de sécurité guida Thea jusqu’au sous-sol de la grande et spacieuse mairie. Là où reposaient les archives. Des montagnes de dossiers qui n’intéressaient quasiment personne. Personne, sauf Thea : elle avait pour ainsi dire, les archives pour elle toute seule en cette matinée.

L’endroit était absolument immense. Une unique salle aux murs gris noircis par les ans – et la saleté – qui présentait des rangées à n’en plus finir de casiers métalliques. Casiers qui, eux non plus, n’étaient pas tous neufs : la rouille avait envahi la plupart d’entre eux. Le carrelage blanc semblait avoir connu des jours meilleurs. Les tables et chaises en bois sombre donnaient l’impression qu’elles pouvaient s’écrouler à tout moment. De plus, la pièce se situant au sous-sol, l’endroit prenait la poussière encore plus facilement.

Thea était étonnée de voir à quel point cet endroit tranchait avec le reste de l’hôtel de ville, si moderne et luxueux. Les archives constituaient décidément le cadet des soucis de tout le monde, apparemment.

« Bon eh bien, je vous laisse à vos recherches ! N’hésitez pas à m’appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit, je ne suis jamais loin. Après tout, je suis là pour “vous surveiller“, même si je préfère dire que je suis là pour “veiller sur vous“ ! » déclara Noah en lui faisant un clin d’œil. Il semblait très fier de son petit jeu de mots.

Thea esquissa un léger sourire en guise de réponse, et le regarda s’éloigner pour se poster à quelques mètres de là. Elle s’efforça du mieux qu’elle put d’oublier sa présence et entama ses recherches :

« Allez, au travail ! À nous deux, Merle H. Lock-Hoss ! » pensa-t-elle.

Thea remua les vieux dossiers pendant des heures, examinant de près absolument tout ce qu’elle pouvait trouver sur les Donnoliens qui avaient jadis porté le nom de famille de Merle : registres de naissances, acte de décès, et surtout, arbres généalogiques. Il s’avéra alors rapidement que le nom « Lock-Hoss » – en grande partie parce qu’il s’agissait d’un nom composé – était extrêmement rare, et ne comportait que quelques dizaines d’occurrences, tout au plus.

Quelques heures suffirent donc à Thea pour passer en revue l’intégralité de ce qui était intéressant à glaner sur tous les Lock-Hoss qui avaient vécu.

Et le constat était sans appel : aucun document ne mentionnait l’existence d’une femme qui se serait appelée Merle H. Lock-Hoss. D’autant plus que tous les arbres généalogiques de ces personnes étaient détaillés, et aucun ne paraissait croiser celui de la famille Watson.

Thea ne comprenait pas comment cela pouvait être possible. Elle sortit alors le journal de Merle de son sac et le posa sur la table. Elle se mit à le fixer intensément au travers des verres de ses lunettes, comme si elle essayait d’en percer les mystères par un simple regard. Elle n’aurait jamais cru qu’une innocente fouille dans les archives de Donnol la confronterait à une telle énigme.

Son enquête la rendait de plus en plus curieuse : et maintenant qu’elle avait ouvert le dossier, elle ne comptait pas le refermer tant qu’elle n’aurait pas le fin mot de l’histoire. Elle se mit à réfléchir intensément, mains sur les tempes.

« Euh, Mademoiselle Thea ? » surgit soudain une voix qui la fit sursauter sur sa chaise branlante.

« Oh je suis vraiment désolé de vous avoir fait peur, ce n’était pas intentionnel ! Enfin, peut-être un petit peu… Vous aviez l’air si concentrée, c’était trop tentant. »

Noah affichait un air amusé, et la tête surprise de Thea n’y était sans doute pas pour rien. Elle rougit immédiatement de honte. Pour cacher son embarras pourtant évident, elle demanda :

« Que se passe-t-il ?

— Nous arrivons à l’heure du déjeuner, ce qui signifie que la mairie va fermer pendant deux heures. Je suis vraiment désolé de vous brusquer ainsi, je vois bien que vous étiez en pleine réflexion, malheureusement je ne peux pas faire d’exception. Mais vous pouvez revenir cet après-midi, ou demain… Nous serions ravis de vous accueillir à nouveau ! déclara-t-il avec un sourire chaleureux.

— Oh je reviendrai, c’est certain » affirma Thea avec détermination.

Elle était loin d’avoir dit son dernier mot en ce qui concernait toute cette affaire.

*
Cela faisait maintenant plusieurs jours que Thea se rendait assidûment à la mairie de Donnol pour enquêter dans les archives. La réceptionniste et Noah s’étaient tous les deux habitués à la voir arriver tôt, et repartir tard. Quant à Thea, même si elle appréciait beaucoup tous ces bons moments passés à fouiller dans les archives en compagnie de l’agent de sécurité fort sympathique, elle commençait vraiment à désespérer.

En effet, ses recherches semblaient toutes vaines jusqu’ici, alors que ses économies fondaient comme neige au soleil. Merle H. Lock-Hoss ne lui était jamais apparue plus inaccessible. Mais elle ne perdait pas espoir : Noah lui avait récemment donné une piste qu’elle explorait depuis maintenant deux jours, et elle s’accrochait à cette seule idée pour ne pas sombrer dans le découragement.

Noah avait commencé à véritablement l’aider dans ses recherches à peine seulement ou trois jours plus tôt. Ils se parlaient désormais de façon plus amicale, tant le courant passait bien entre eux :

« Je me suis retenu de te poser la question jusqu’ici, mais je suis vraiment trop curieux : qu’est-ce que tu viens chercher ici tous les jours ? Parce que ça doit être sacrément important pour que tu y consacres autant de temps ! » lui avait-il dit alors qu’il la raccompagnait jusqu’à l’entrée de la mairie.

« Ça l’est, avait-elle confirmé. Je cherche la trace d’une de mes ancêtres. Mais jusqu’ici, je n’ai absolument rien trouvé. C’est comme si elle n’existait pas !

— Ah oui, je comprends mieux d’un coup. C’est bizarre. Mais cette ancêtre, d’où tu la connais ?

— Son journal se trouvait dans le grenier de ma maison. Il date d’il y a plus de deux cents ans. Tout porte à croire que je suis liée à cette femme. Et pourtant… On dirait qu’il n’existe absolument personne qui réponde à ce nom.

— Hm… Peut-être qu’elle n’a pas utilisé son vrai nom alors, dans ce fameux journal, avait suggéré Noah.

— Hein ? Mais pourquoi ? Je ne vois pas du tout l’intérêt de mentir sur son identité dans un journal qui n’est de toute façon censé être lu que par son ou sa propriétaire.

— « Censé » est le mot-clé ici. Un journal est en effet censé n’être lu que par la personne qui l’écrit, mais il y a toujours des curieux pour braver l’interdit. Comme toi.

— Mais moi ce n’est pas pareil ! s’était écriée Thea en guise de protestation.

— Non, c’est vrai, mais ça n’empêche que, quand elle l’a écrit, elle a pu vouloir être prudente et utiliser un pseudonyme pour ne pas qu’on connaisse sa véritable identité, surtout à l’époque. Il est possible qu’elle l’ait fait non pas pour se protéger à court terme – de ses proches, par exemple – mais à long terme, pour qu’on ne sache pas qui elle était précisément si jamais le journal venait à être retrouvé par quelqu’un. Une descendante trop curieuse, par exemple… l’avait taquinée Noah.

— En d’autres termes, puisque son nom peut être tout et n’importe quoi, je ne retrouverai jamais sa trace…

— Pas forcément. Parfois, les gens ne font que modifier une partie de leur nom lorsqu’ils se trouvent un pseudonyme. Surtout lorsqu’il est de moindre importance comme ici. Et bien souvent, les gens modifient leur nom de famille en priorité, car il est bien plus reconnaissable qu’un simple prénom.

— Donc tu veux dire que…

— Oui. Il est possible qu’elle n’ait pas changé son prénom. En dernier recours, si tu ne sais vraiment plus quoi faire, tu peux toujours essayer de creuser cette piste-là… Je ne sais pas ce que ça vaut, mais je n’ai rien de mieux à te proposer, désolé…

— Tu plaisantes ? C’est mieux que tout ce que j’ai déjà essayé ! »

Ce fut donc suite à cette conversation que Thea s’était mise à éplucher les documents concernant toutes les femmes appelées Merle qui avaient vécu à la même période que son ancêtre fantôme. Thea se concentrait tout particulièrement sur les femmes dont l’arbre généalogique était manquant ou incomplet. Il s’agissait d’un travail de longue haleine. Heureusement, Thea pouvait compter sur le soutien de Noah.

Elle arriva ce jour-là aux environs de neuf heures du matin, comme d’habitude. Noah, qui était devenu son surveillant attitré, l’attendait déjà dans la salle des archives. Il salua avec entrain la jeune femme lorsqu’il la vit arriver :

« Salut Thea ! Pile à l’heure ! J’ai déjà déposé sur la table des documents qui pourraient t’intéresser » l’informa-t-il.

« Oh merci c’est trop gentil ! Je cours voir ça ! »

Elle joignit l’acte à la parole et se plongea aussitôt dans les papiers plastifiés éparpillés sur la table. De prime abord, rien d’anormal. Que des femmes à la vie ordinaire, bien rangée. On était bien loin de la détective fantasque qu’elle recherchait. Puis une femme attira son attention : un Merle blanc parmi les Merle noirs.

Merle Grey.

C’était ainsi que s’appelait la femme à l’air triste et aux cheveux en couronne, dévisageant Thea à travers la photographie en noir et blanc qui ornait son dossier. Thea sentit un frisson la parcourir. Cette femme l’intriguait au plus haut point. Non seulement sa descendance semblait plus que nébuleuse, mais elle possédait un Polthégeist. Le même Pokémon que Lock-Hoss. Ainsi que le même prénom.

Pourtant, leurs vies paraissaient très différentes : Lock-Hoss était détective, Grey était gérante d’une boutique de thé. Mais cette dernière n’avait pas pour autant eu une vie exemplaire, comme en témoignaient les très brèves coupures de journal qui évoquaient la mort tragique de Merle Grey.

La pauvre femme s’était suicidée. En ingérant du poison. Un poison qu’elle avait préparé elle-même. Apparemment, Grey était une savante chimiste qui avait trouvé le moyen d’isoler la molécule nocive du thé noir qui composait le corps des Polthégeist, et qui, à petite dose, provoquait des maux de ventres. Elle avait ensuite, à partir de cette molécule, créé de nombreux poisons très virulents qu’elle avait revendu au marché noir à des prix exorbitants. Elle s’était donné la mort dans sa boutique peu de temps après.

Interdite, Thea relut de nombreuses fois les minuscules rubriques nécrologiques de Grey pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas. Et non, en effet, elle ne rêvait pas.

C’était la coïncidence de trop.

Ce qu’elle venait de lire était l’exact déroulement de la dernière aventure de Merle H. Lock-Hoss, telle qu’elle la décrivait dans son journal. Dans cette ultime enquête, la détective démantelait un réseau de criminels qui synthétisait du poison à partir du thé de Polthégeist et qui le revendait au marché noir à des prix démentiels. Exactement comme Merle Grey. La dernière scène décrite par le journal était le suicide poignant du chef du groupe de trafiquants. Exactement comme Merle Grey.

Désormais il n’y avait plus de doute.

Merle Grey et Merle H. Lock-Hoss étaient bel et bien liées. Peut-être même s’agissait-il de la même personne.

Thea ignorait encore la vérité. Mais elle ne comptait certainement pas s’arrêter en si bon chemin.

« Il est temps de rendre une visite à Lady Grey… »