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La recherche d'un rival : À l'aube d'un rêve de Moriarty



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Informations

» Auteur : Moriarty - Voir le profil
» Créé le 06/03/2019 à 04:03
» Dernière mise à jour le 06/03/2019 à 04:03

» Mots-clés :   Action   Aventure   Présence de personnages du jeu vidéo   Région inventée   Suspense

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Chapitre 65: Je reviendrai
« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

- McBeth, acte V, scène 5, William Shakespeare




Ils se regardèrent. Moriarty venait de finir son récit, qu'il avait patiemment détaillé, sans émotions même dans les évocations des souvenirs les plus douloureux, et désormais enfin il avait terminé, et, fermant sa bouche, il semblait qu'il se tairait à jamais. Et elle, Céleste, qui toute la nuit l'avait écouté, avec tout autant de patience mais non moins de douleur, venait en la nuit la plus longue de toute sa vie de revivre vingt années où elle n'apparaissait plus, vingt années qui à elle aussi, avaient été volées.
Après cette histoire, ce fût le silence, non pas pesant, mais profond, calme et réparateur, qui marque la fin des histoires, le point final de tout ce que l'on a suivi, de tout ce dans quoi on s'est impliqué, de tout ce à quoi on s'est attaché. C'était l'un de ses silences où l'on se sent profondément vide d'avoir mis une fin à un récit, pour se rendre compte, petit à petit, de tout ce que l'on a gagné à travers lui, et du chemin que l'on a parcouru, l'un à raconter, et l'autre à écouter. Et ce silence était bon, car, pour la première fois depuis si longtemps, tout avait rejailli en Moriarty. Les bons moments comme les mauvais, toute son histoire, racontée en une longue nuit, venait peut-être, par le pouvoir de sa voix et des mots pour la dire, de trouver un sens, ou du moins une existence. Et il souriait, d'avoir pu la raconter, cette histoire. Son histoire. Il venait de goûter de nouveau, enfin, au bonheur.
Et, pour Moriarty, ce bonheur était comme l'un de ces lieux familiers, qui paraissent étrangers lorsqu'on les a quitté depuis longtemps. Pourtant, une fois que l'on a l'occasion de s'y rendre de nouveau, tout semble si naturel, si simple. Chez lui, la soif de bonheur était devenue une habitude à la sécheresse, mais désormais il comprenait de nouveau, instinctivement, ce qu'était cette sensation qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps. Il lui semblait qu'il était en train de gagner un combat. Un combat bien plus important et plus difficile que ceux qu'il avait pu disputer sur une grande poutre de métal à Kanto ou dans un ravin derrière le Château Arrogant. Car c'était l'un de ses combats que l'on mène à l'intérieur de soi, seul, loin du regard ou des préoccupations des autres. Un combat à mener sans pokémon, et sur des durées bien plus importantes, peut-être des années.
Et alors, ils se regardèrent, tous les deux, les yeux dans les yeux, comme ils l'avaient fait jadis, dans des temps plus lointains où tout semblait si facile. Céleste et Moriarty se demandèrent un instant s'ils pourraient être encore Ecella et Bane. S'ils le désiraient tous les deux, comment cela ne pouvait pas être possible, de revivre ces instants des temps jadis où leur vie était encore remplie de sens et de bonheur ? Ils savaient que parler mettrait fin à l'instant magique qu'ils ne pouvaient saisir que dans ce moment précis, mais étaient pourtant incapables de savourer autant qu'ils le méritaient car ils savaient qu'une fois ce temps passé, ils rejoindraient leurs prisons personnelles et leurs souffrances respectives. Alors, comme l'histoire de Moriarty, tout serait fini.
Il n'y avait plus, dans ces regards croisés, la complicité qu'il y avait pu avoir auparavant. Au contraire, par les yeux, chacun cherchait à apprivoiser l'autre, à le connaître de nouveau, à retrouver, en l'autre, cet inconnu, ce personnage si familier qui avait marqué sa vie pendant dix ans. Il existait encore, assurément, mais tout autour de lui et avec lui s'y était accolé un autre personnage entièrement inconnu, argile crée par vingt ans d'absence et façonné par autant d'événements que de souvenirs. Et cet être nouveau en l'autre créait l'angoisse, car il renvoyait à l'être nouveau en soi, et au changement traversé. Plus jamais Moriarty ne serait Bane, et plus jamais Céleste ne serait Ecella. S'ils étaient, tous les deux, dans ce lieu, ce n'était pas pour vivre encore, mais pour accepter de mourir. Mais accepter de mourir n'est pas chose aisée, et regarder l'autre comme ce qu'il est et non comme ce qu'il a été n'est pas sans douleur. Aussi, des larmes coulaient des yeux de Céleste, de ses yeux restés sans défaut, jusqu'à atteindre ses joues, et s'en décoller, lentement, pour continuer leur course et éclater par terre dans une flaque de tristesse. Ce fût elle qui rompit le silence :

« Oui. »

Elle se permit un espoir du passé, et un sourire.

« Oui, Bane. Je serai ta femme. »

Et les larmes coulèrent de plus belle. Son interlocuteur, quant à lui, la regardait toujours de ses yeux rouges et froids, sans émotion montrer, sans de l'arrogance se passer. De toute sa vie, ce n'était finalement pas ni en accédant à la puissance ultime par le pouvoir des dragons, ni en affichant un sourire en coin en enchaînant les victoires, ni même en causant accidentellement la mort d'un enfant, qu'il ressemblait le plus à un diable. C'était en cet instant précis.

« Penses-tu qu'il suffit d'une si simple réponse pour effacer vingt années ? répondit-il.
-Je...
-Ma proposition n'est plus d'actualité. Et ce n'était pas la mienne, mais celle de Bane. Tu peux être son épouse, cela m'est indifférent.
-Toi ou Bane... Quelle différence cela fait-il ?
-Bane n'existe plus. Je suis Moriarty.
-Je sais qu'il existe encore.
-Il n'a jamais existé. Il n'y a jamais eu de Bane. Cet enfant n'était qu'une illusion, une carapace de chair et d'esprit qui n'attendait qu'un souffle pour s'accomplir. J'ai cru que tu pouvais être ce souffle. Mais je comprends désormais que tu n'aurais jamais pu l'être.
-Ne dis pas ça, je t'en prie... Tu ne peux pas.
-Je peux. Nous avons passé l'un comme l'autre de belles années, mais elles ne sont rien de plus que des années aussi vides que notre bonheur y a été éphémère.
-Je t'aimais.
-Je t'aimais aussi. Plus que tout autre personne. Il fût un temps où je n'étais qu'amour, et cet amour était plus brillant que le soleil lui-même. Mais maintenant, je peux te regarder, et ne rien ressentir. C'est fini. Tu n'es plus ce qui me met en mouvement, si encore tu l'as jamais été. »

Les mots de Moriarty blessaient Céleste comme autant de lames.

« Embrasse-moi. le supplia-t-elle.
-Je refuse.
-Embrasse-moi ! insista-t-elle. Comme avant. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Ecella, de la part du Bane qui est encore en toi, je t'en prie. Fais-le parce que je n'ai jamais cessé de t'aimer, toi, sous une forme ou une autre, pendant vingt ans. Parce que j'ai voulu mourir, mais que, par amour, j'ai préféré vivre pour toi et porter ton idéal.
-Non. »

La réponse de Moriarty était glaciale et sans appel.

« Si tu refuses, conjectura Céleste avec un sourire timide au milieu de ses larmes, c'est que tu m'aimes encore, et que tu as peur de retomber en m'embrassant. Tu ne veux pas prendre ce risque.
-J'ai peur que ce soit tout le contraire, Céleste. Si je refuse, c'est que je ne t'aime plus. Tu m'es désormais complètement indifférente. Cet amour que j'ai eu pour toi existe encore en moi, comme existent les dix années que nous avons passées ensemble. Au sein de souvenirs, dont je peux me rappeler la douceur, mais que je ne ressens plus. Laisse le passé derrière toi, cela te fera du bien.
-Comment puis-je le laisser ? Je ne vis que pour lui. Je ne vis que pour Bane, et pour son histoire d'amour avec Ecella, depuis que j'ai dix ans.
-Bane est mort. Ecella est morte. Maintenant, c'est à nous de vivre. »

Moriarty tendit sa main vers Céleste pour attraper la sienne.

« Et nos vies seront belles, si nous le voulons. Cela, je peux te le promettre, et cette promesse que je te fais vaut mieux que tous les baisers. »

Il pressa la main de son ancienne amie pendant quelques secondes, avant de la lâcher et de s'enfoncer plus profondément encore, dans son siège.

« Derrière ces velours, demanda à moitié Céleste en pointant du doigt un endroit de la pièce, se trouve mon portrait, n'est-ce pas ?
-En effet. Ton portrait, comme autant d'objets qui se trouvent dans la pièce, sont autant de trophées à la mémoire de ce qu'a été ma vie.
-Alors, pendant tout ce temps, c'est à moi que tu as pensé, comme j'ai pensé à toi.
-Pendant un temps, oui. Puis est venu le temps où j'ai pensé à toi comme un élément de mon passé, certes agréable, mais qui ne colle plus maintenant à mon présent. Je t'ai aimé. Je t'aime peut-être encore, et je t'aimerai sûrement toujours. Mais ce ne sera plus comme ça l'a été. »

Les larmes rougissaient les yeux de Céleste, qui prenaient la même couleur que ceux de Moriarty.

« Quel sera mon avenir, ma vie, à moi ? demanda-t-elle.
-Dans ton avenir immédiat, j'imagine que tu devrais répondre d'une intrusion par effraction dans le Château Arrogant. Mais cela, je t'en fais grâce. Pour le reste, tu devras simplement apprendre à être toi-même, et vivre.
-Mais je suis moi-même. J'ai été moi-même lorsque je suis tombé amoureuse de toi, de Moriarty ! Et je sais encore qui tu es, au fond de toi. Je sais que tu n'es ni Moriarty, ni Bane. Tu es un autre être, au-delà de tout ça, et c'est cet être que j'aime. Rappelle-toi la falaise, et cette chanson que tu chantais en regardant l'horizon. Ta chanson. »

Les pleurs de Céleste laissèrent place à une voix qui était resté pure, et qui chanta de tout son cœur :

« Je marche sur les routes de la région
Sans regarder derrière moi...
 »

Moriarty ne réagit pas.

« Chante ! le conjura-t-elle. Je sais qu'elle existe encore en toi, cette chanson. »

Elle la chanta, de nouveau :

« Je marche sur les routes de la région... »

Mais, voyant le regard froid et indifférent de Moriarty, elle ne pût continuer. Les larmes se firent plus fortes, comme un torrent.

« Permets-moi de rester avec toi. demanda Céleste.
-Ce n'est pas une bonne idée. répondit Moriarty. Ni pour toi, ni pour moi. Retourne à Vaguelone, prends soin de tes pokémon. Vis.
-Je ne pourrai pas vivre sans toi. Je ne veux pas te perdre une deuxième fois.
-C'est aussi ce que je pensais de toi. Mais j'ai changé.
-Comment as-tu fait ? »

Moriarty regardait celle qu'il avait aimé dans les yeux.

« Je suis devenu arrogant. répondit-il simplement. Ne pense qu'à ta victoire, à ta vie, à ton destin, et qu'aucune émotion ne vienne t'en dévier. Il faut que tu fermes ton esprit. »

Et Céleste ferma les yeux. Petit à petit, ses pleurs se calmèrent, ses larmes séchèrent contre son visage. Ses muscles se raidirent, puis se relâchèrent complètement. Son visage était devenu entièrement placide. La reine avait glacé les larmes contre ses joues, comme autant d'éclats de cristal à la gloire de sa fierté nouvelle. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle avait mis en application les conseils de son ancien amant.

« Je retournerai à Vaguelone. murmura-t-elle calmement.
-C'est une sage décision.
-Mais tu n'en auras pas fini avec moi. Tu as raison lorsque tu dis que l'amour de Bane pour Ecella n'existe plus. Mais rien n'empêche Moriarty de tomber amoureux de Céleste. De là où je serai, je t'enverrai des lettres. Je ne t'oblige pas à y répondre, mais je t'ordonne de les lire toutes. Alors, un jour, tu m'aimeras. Toi, Moriarty, et moi, Céleste. »

Elle avait prononcé tout cela sans montrer une seule émotion.

« Acceptes-tu de me laisser une chance de te séduire ? demanda-t-elle.
-Je l'accepte. répondit Moriarty sans plus d'émotions que son interlocutrice.
-Dans ce cas, je peux m'en aller en paix. »

Et elle se leva.

« Par ailleurs, ajouta-t-elle avec un sourire en coin, tu paieras bien entendu pour les soins de mon Carchakrok.
-Bien entendu. »

La princesse de glace aux larmes séchées lâcha un dernier regard au diable de Simmeroh. Puis, sans un mot de plus, sans demander son avis, elle déposa un baiser sur son front blanc. Il n'opposa pas de résistance. Alors, sans lui adresser un au revoir, elle se dirigea vers la porte, et l'ouvrit. Avant de la passer, ses lèvres désormais dépourvues d'émotions prononcèrent ces dernières paroles :

« Je vois comme tu la regardes. Tu l'admires, et tu l'aimes. Comme je voudrais être la lune... Oui, je serai ta lune, un jour. Alors, je reviendrai à Simmeroh, pour t'éclairer comme elle, encore, au milieu de la nuit. »

Et elle franchit la porte, quitta le Château Arrogant, puis Simmeroh. Mais, dans son fauteuil, le dresseur misanthrope ne se retourna pas, et ne la vit pas partir. Et, alors qu'il avait passé la nuit entière à raconter son histoire à Céleste, il vit, à travers les fenêtres du château, rentrer les premières lueurs de l'aube, belles et douces. Le signe qu'elle était passée, la nuit, enfin, et que désormais viendrait le matin. Le renouveau, enfin, pour Moriarty, était arrivé sous la forme d'un jour nouveau. La nuit avait été longue, et il n'avait pas dormi. Ses paupières rongées par les cernes devinrent lourdes, et ses yeux rouges se fermèrent.
Ses yeux se fermèrent et, doucement, il se mit à marcher, entre les mondes, dans un lieu de vide et de matière, où tout était blanc et noir, lumière et ombre, le long d'une route. Il lui semblait que, pour une fois, il savait réellement où il était. Ce jour-là, le sommeil ne serait pas son ennemi. Alors, il marcha, doucement, lentement, sur la route aux arbres noirs et au sol à moitié inexistant. Et la route était grande, comme son esprit, comme ce monde. Il était perdu dans son propre esprit, et marchait, doucement, vers sa peur de toujours, qu'il affronterait, cette fois, dignement. Puis, enfin, il la vit, devant lui.
Il y avait, au bout de la route, sur le sol sombre, une balançoire, sur laquelle était assise une très jeune fille vêtue d'une robe blanche. Elle se balançait sans remarquer Moriarty lorsque, soudain, ses oscillations se firent de moins en moins amples. Et, lorsque la balançoire s'arrêta, elle retourna sa tête vers Moriarty, et ses yeux noirs lui lancèrent un regard terrible.

« Qui est-tu, mon enfant ? demanda-t-elle. »

Et Moriarty, pour la première fois, n'eût pas peur d'affronter son regard, pas plus que de lui répondre.

« Qui suis-je... répéta-t-il. »

Il fit un pas vers la petite fille.

« Une grande question, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il. Cela ne m'étonne pas, que ce soit ma plus grande peur. Suis-je Bane l'orphelin, ou Bane le dresseur ? Moriarty Haritori ou Moriarty du Bourg-Venteux ? La rose de la Team Rocket ou le diable de Simmeroh ? Oui, la voilà, la grande question, cette angoisse terrible qui a toujours été en moi. »

Il fit un deuxième pas, plus ferme, en direction de la balançoire.

« Pour beaucoup, ma vie n'a été qu'une suite d'événements, de mésaventures, de trahisons, et je ne suis peut-être qu'une réaction à tout cela. Peut-être ne suis-je que la conséquence des histoires des autres, sans avoir la mienne. Peut-être n'ai-je pas de destin. Peut-être ne suis-je personne. Toutes ces péripéties à traverser, et tous ces surnoms obtenus, comment savoir si cela relève de moi, de mon essence, ou du hasard ? Qui peut dire ce qui appartient à mon destin et ce qui appartient au destin des autres ? Qu'est-ce qui est vraiment, profondément, ma vie ? »

Il fit un troisième pas.

« Si je n'étais pas tombé de cette falaise, si j'avais connu mes parents, si je n'avais pas rejoint Simmeroh, si je n'avais pas perdu ma place de maître, aurais-je été différent ? Si tel est le cas, si des événements aussi accidentels et aléatoires peuvent changer ma nature, peut-être n'ai-je pas d'histoire, peut-être suis-je un accident du destin. Peut-être... Peut-être que je ne suis personne. Voilà pourquoi il est si dur de répondre à ta question. Voilà pourquoi j'ai peur de répondre. Car te répondre pourrait vouloir dire que j'accepte de ne jamais être que ce que les événements extérieurs ont fait de moi, sans jamais être, profondément, au fond de moi, quelqu'un. Oui, tu es, plus que tout le reste, ma plus grande peur. »

Un quatrième pas le rapprocha de la jeune fille aux yeux noirs.

« Les hommes changent en permanence. Je ne suis plus le même que j'étais il y a vingt ans, mais je ne suis pas non plus le même que j'étais il y a quelques secondes. Nous sommes en perpétuelle évolution, et tout au long de notre vie, nous sommes campés par plusieurs personnages. Je suis bien placé pour en parler, tant ils ont été nombreux, les personnages que j'ai été. Bane, la rose séchée, le diable de Simmeroh... J'imagine que lui me dirait de faire la part des choses entre tous ces personnages. Mais faire la part des choses, c'est savoir, au fond de soi, qu'il existe entre tous ces personnages quelque chose qui ne bouge pas. Une identité, un destin, fixe, qui permet de concilier, de rassembler toutes ces versions de nous. Mais, si je ne l'ai pas, cette identité, cette personne entre les personnages, alors je ne suis rien. »

Au cinquième pas, il pouvait voir chaque détail des yeux de la jeune fille.

« Mais je ne suis pas rien. J'en ai désormais l'intime conviction. Je viens de voir une femme qui m'a aimé lorsque j'étais Bane et qui m'aime encore maintenant, alors que je suis Moriarty. Son amour pour moi ne dépend d'aucun personnage, il dépend de ma personne. La voilà, la preuve que je suis quelqu'un, et cet amour qu'elle me porte est plus fort que la peur. J'avais la conviction que je pouvais répondre à ta question. Maintenant, j'en ai la certitude. Je suis. »

Au sixième pas, il était devant elle, dans toute son immensité, et sa splendeur.

« Et je sais comment le prouver. Cela fait des mois, depuis que je t'ai rencontrée, depuis que tu me hantes, que je cherches à savoir qui je suis, au fond, et quel est mon destin. Et je t'annonce fièrement que je suis parvenu à obtenir la réponse à cette question impossible. Bientôt, tout cela apparaîtra, et mon plan réussira. Bientôt, je pourrai te dire avec précision qui je suis. Mais, en attendant, tu devras te contenter de cette réponse qui, j'en suis sûr, te satisfera. Je suis. Et je n'ai plus peur de toi. »

C'était désormais le regard rouge de Moriarty qui transperçait le regard noir de la fillette. Vaincue, elle baissa les yeux, un instant. Puis, d'une voix faible et incroyablement triste, elle s'adressa à Moriarty :

« Je vais mourir, maintenant... »

Elle le regarda de nouveau, lui qui l'avait vaincu.

« Est-ce que tu peux rester avec moi ?
-Je resterai jusqu'au bout. répondit Moriarty de sa voix douce et froide. »

Et il prit place, à côté de la jeune fille. Et ils se balancèrent, longtemps, l'un à côté de l'autre, tandis qu'elle perdait, petit à petit, la vie. Et tout autour d'eux deux, il semblait que ce monde d'angoisse et de peur, de noir et de tristesse, laissait place, enfin, à la lumière. La fillette, triste, se balançait sans entrain, et Moriarty, muet, l'aidait par sa présence. Elle s'illuminait, petit à petit, et semblait souffrir terriblement, mais avec une dignité infinie. Son honneur face à la mort impressionnait le diable de Simmeroh.
Puis, les rayons lumineux coulèrent de tout son corps, et ils surent que sa mort était imminente. Alors, ils arrêtèrent de se balancer, et le visage brillant de la jeune fille ne devint que souffrance, tandis qu'il brillait de plus en plus, semblant éclater de lumière de l'intérieur. Elle regarda Moriarty, une dernière fois, dans les yeux.

« Qui es-tu, mon enfant ? »

Elle avait posé la question d'une voix beaucoup plus faible, beaucoup plus douce, et ses yeux noirs suppliaient Moriarty de lui répondre, comme une dernière faveur.

« Je suis Moriarty, répondit-il avec assurance. Je suis ton enfant. »

Et la jeune fille, devenue un être de lumière, posa alors sa main glacée et brillante sur la joue de Moriarty, et sourit une dernière fois avant de lui délivrer une ultime parole :

« Non. Tu es un homme. »

Et la lumière de la mort envahit cette terrible dimension. Moriarty se réveilla, la lumière du jour ayant traversé les fenêtres du château pour illuminer son visage, sa chaleur et sa clarté toujours plus étincelante, le jour toujours rayonnant, le soleil peut-être enfin aussi fort que la lune. Alors, le diable de Simmeroh se leva, et contempla la pièce dans laquelle il se trouvait, et tout ce qu'elle recelait, de ce qui pourrait être des objets de son essence, de sa réelle nature, comme autant d'histoires accidentelles sans intérêt.
Ses mains tirèrent des rideaux de velours pour révéler un portrait très ressemblant, mais infiniment différent, de celle qui avait quitté cette pièce plus tôt dans la journée. Il regarda longtemps le visage peint, puis se tourna vers un objet bien plus petit, un minuscule émetteur rouge qui était tout autant une trace de son passé, mais peut-être pas de son identité. Son identité, elle n'était pas plus celle de ces deux corps sans têtes, de ces deux figures sans âmes, plaqués contre une photographie déchirée. Ils étaient, lui avait-on raconté, parmi les plus puissants dresseurs de leurs temps. Ils auraient tout aussi bien pu être de parfaits inconnus. Et cette autre photographie de ce jeune homme, qui donnait, plus que tout autre, l'impression de faire partie de son histoire, de vivre pleinement son identité. Voilà ce qui avait impressionné Moriarty, qu'un pareil enfant puisse savoir, intimement, au fond de lui, que son destin était de rendre fier son grand-père et d'affronter son rival en devenant le maître de la Ligue Indigo. Mais la rencontre de Moriarty avec ce jeune garçon, et leur discussion sur ce qu'était la rivalité, tout cela faisait-il partie de l'histoire de Moriarty, ou n'en était-ce qu'un épisode dépourvu d'intérêt ?
Et puis, il y avait ce ruban, qui récompensait l'impossible. Le Ruban Légende. Il le contempla longtemps, semblant interroger sur le sens de sa vie ce qui n'était rien de plus qu'un simple morceau de tissu. Sa signification, s'il en avait une, Moriarty ignorait s'il devait la chercher. Peut-être certains mystères valaient mieux ne pas être révélés, et peut-être le destin de certains dresseurs devaient rester leur destin, leur histoire, sans que l'on essaye de leur accoler celle des autres. Et à côté de ce ruban, un simple badge. Le Badge Ultime. En le regardant, Moriarty sentait son histoire, son destin. Il savait ce que cela représentait, pour lui, de l'avoir mérité. Le Badge Ultime était pour Moriarty ce que le Ruban Légende n'avait pas pu être. Un trophée récompensant un combat au sommet qu'il n'avait pu gagner, mais dans lequel il avait accompli son destin, au cours duquel il avait vécu son histoire.
Enfin, plus loin, deux objets technologiques. Un système de gestion permettant à Moriarty de jongler entre tous ses pokémon, et une machine révolutionnaire, comme il n'en existait que deux à Simmeroh, permettant de soigner ses pokémon en un temps record. Ainsi était l'antre du quatrième membre du conseil des quatre de la Ligue Arrogante. Les objets, les choses, étaient autant de vies qu'il avait pu vivre ou non.

« Je participerai à la prochaine Conférence Arrogante. »

Moriarty était entré dans les appartements d'Eyragon.

« Mon équipe est mieux entraînée qu'elle ne l'a jamais été. ajouta le dracologue. Tu as du soucis à te faire. Quels pokémon utiliseras-tu ?
-Je ne veux pas m'avancer. répondit le dresseur misanthrope. Mais, si celui auquel je pense pratique bien sa rééducation, j'ai déjà une petite idée...
-Alors, tu vas passer les prochains jours à t'entraîner.
-Non. Je vais partir.
-Mais... Que vas-tu faire de ton entraînement ? Et de la ligue ? Et de Céleste ?
-Tout cela n'a pas beaucoup d'importance. Pas à côté de ce qui m'attend. Je pars. »

Le regard d'Eyragon aurait été désapprobateur s'il ne connaissait pas aussi bien Moriarty. Mais il était, en cet instant, rempli d'admiration.

« Alors... conclut-il. Je te souhaite bon voyage, et t'adresse un au revoir.
-Quant à moi, répondit Moriarty, c'est un adieu que je t'adresse.
-Que veux-tu dire ? s'inquiéta Eyragon. »

Le visage pâle d'arrogance ne montra aucune expression.

« Reviendras-tu ? insista Eyragon.
-J'ai peur de ne pas pouvoir répondre à ta question. Pas tant que tu n'auras pas précisé qui est ce Je qui doit te répondre. »

Et, laissant Eyragon sur cette phrase qu'il ne pouvait pas comprendre, il retourna préparer ses pokémon dans ses appartements, puis traversa la salle du maître, sans lui adresser un regard, pour sortir. Un ravin immense se tenait devant lui. C'était là tout ce que Moriarty voulait voir, et il fit demi-tour, sa cape de voyage bien en place, et ses pokémon sur lui. Il marcha, et quitta le Château Arrogant. Comme une ombre se faufile dans l'obscurité, il traversa la Route Victoire. Et, lorsque la roche laissa place au marbre, l'eau boueuse aux perles, la terre à l'or, il sût où il était arrivé. Là où les plus courageux dresseurs de la région rêvaient de se rendre.
Moriarty regarda le verre semi-transparent devant lui, longtemps, mais ce dernier resta muet. Aucun son ne sortit des tréfonds de cette arène, et Moriarty décida qu'il en serait de même avec sa propre bouche lorsqu'il reprit la route. Son ombre se déplaça de ville en ville, jusqu'au port, sans qu'il ne croise le chemin de personne, immatériel qu'il était. Son cœur ne battait pas. Ses paumes ne suaient pas.
Arrivé à Johto, il ne visita pas les villes, et ne combattit pas les dresseurs sur les routes. Il n'admira pas les paysages, et n'explora pas les montagnes. Il ne parcourût pas, n'entraîna pas. Il marcha, simplement, jusqu'aux Bois au chênes, et jusqu'à un autel bien précis où il comptait se concerter avec un pokémon bien précis. Son entretien dura le temps qu'il devait durer, pas un instant de plus et pas un instant de moi. Moriarty prit son temps sans le perdre. Puis, comme sortant d'un rêve, il prit congé de la forêt, et marcha, loin. Au loin, il apercevait une gigantesque montagne enneigée, séparant les régions de Johto et de Kanto. Un jour, il s'y rendrait.
Puis, il partit, en direction d'Hoenn. Son bateau arrivé, il marcha jusqu'à loin, hors des routes et des villes. Hors du temps, loin des hommes. Mais il savait ce qu'il cherchait, et il savait que cela lui prendrait longtemps. Son parchemin gravé d'un œil indiquait un chemin à suivre, et il le suivit, un pas après l'autre. Il n'était pas pressé. Il avait déjà attendu bien des années. Les indications du parchemin l'emmenèrent dans les herbes et dans le désert, dans les grottes et dans les montagnes mais toujours il marchait, et jamais il ne désespérait.
Un jour, il trouva enfin une montagne, et une falaise escarpée. Il accrocha une main à la terre friable de la paroi, et ses ongles y pénétrèrent. Ses bottes se fixaient, ses mains se suspendaient, et Moriarty grimpait. Puis, arrivé sur un plateau en hauteur loin des humains et des pokémon sauvages, il vit l'entrée d'une grotte. Il sût alors qu'il était arrivé.
Alors, il furent tous à ses côtés. La mort et son sac en papier, la haine et son trône, la bête hideuse et ses chemins, et tous ceux qui avaient été avec lui jusqu'alors. Bane, Émilie, Ecella, Lambda, Corbeau, Red, Blue, Giovanni, Shazam... Et tous les autres. Les champions et les pokémon. Les membres du conseil des quatre et ceux des organisations criminelles. Les vies, sous tous leurs angles, et les voyages. Dans un silence total et respectueux, ils se réunirent tout autour de Moriarty. Et Moriarty les regarda tous, eux, leurs visages graves et leurs sourires tristes. Un par un, sans prononcer un seul mot, il mesura leur importance. Et, lorsqu'il eût fini, il ferma les yeux, et entra dans la grotte, enfin.
Au fond, contre la roche, était gravé un symbole. Un œil. Le symbole du pokémon légendaire d'Hoenn, Jirachi, le faiseur de vœux. Jirachi, le pokémon mythique dont on raconte qu'il n'exauce les souhaits qu'une fois par millénaire, et dont une partie de l'essence profonde aurait été enfermée, longtemps, dans une grotte. Moriarty l'avait longtemps cherchée, cette essence, ce faiseur de vœux, ce miracle. Et il l'avait trouvée.
Il posa sa main contre la pierre, et parla :

« Je fais le souhait de voir ce qu'aurait été ma vie, si j'avais été né à Simmeroh. »

Moriarty se tût, alors, et quitta la grotte, pour ne jamais y revenir. En sortant, il était seul. Tous avaient disparu, et ils ne reviendraient jamais. Mais, à leur place, une atmosphère très douce flottait dans l'air, que des parfums d'autrefois embaumaient. Les paysages alentours étaient beaux, et de chaleureux rayons de soleil réchauffaient le sol tandis qu'ils coloraient le ciel de couleurs réjouissantes. Il faisait bon de vivre cet instant.
Jadis, à un autre endroit, à une autre époque, une autre personne vivait ces moments de douceur avec délectation. Un enfant à la crinière de cheveux bruns et aux yeux d'or, regardant tous les jours le soleil depuis une falaise, se faisant chaque jour la promesse de toujours apprécier combien il était bon de vivre. Un enfant aux teint vermeil et aux regard pétillant, que Moriarty avait été. Cette histoire a commencé par un détail insignifiant. Mais, lorsqu'elle prendra fin, tout aura un sens.
Il s'assit, dans l'herbe. Il respirait, doucement, et appréciait la tendresse du moment. Alors qu'il fermait, doucement, les yeux, ses lèvres s'ouvrirent, et murmurèrent pour lui-même comme il chantait pour le monde :


« Je marche sur les routes de la région
Sans regarder derrière moi
Je marche dans les herbes sauvages
Je marche dans les forêts
Je marche sur les montagnes et les grottes, encore
les déserts, les cavernes, encore
Les mers, les océans, encore
Les villes et les villages, encore
Mon cœur contre les astres, encore
La nature pour chez moi, encore
Je marche sur les routes de la région
Je me retourne, j'ai perdu mon chemin
Mais je sais que tu es là
Alors je marche, encore...
 »


Moriarty avait entamé cette chanson, mais ne l'avait pas chanté seul. Loin d'ici, l'enfant aux yeux d'or chantait comme lui, alors qu'un destin venait de s'abattre. Alors, il n'y avait plus que l'herbe légèrement mouillée sous le pied qui valait la peine d'être appréciée, et cet air, et ce temps. Et un sourire, enfin.

« Enfin... »

Une chose se finit, une autre commence.

« Enfin, je vais pouvoir vérifier cet adage. »

Moriarty reviendra.

« Que l'on soit soleil ou lune, notre destin reste inchangé. »

Fin