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La recherche d'un rival : À l'aube d'un rêve de Moriarty



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Informations

» Auteur : Moriarty - Voir le profil
» Créé le 06/03/2019 à 04:01
» Dernière mise à jour le 06/03/2019 à 04:01

» Mots-clés :   Action   Aventure   Présence de personnages du jeu vidéo   Région inventée   Suspense

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Chapitre 64: Faire la part des choses
La neuvième arène, creusée au sein de la Route Victoire, n'avait jamais été aussi belle. Assis, calmement, en son centre, Shazam faisait face à Moriarty. Ils auraient pu passer toute leur discussion à ne pas parler, comme ils le faisaient lorsqu'ils combattaient, tant la conversation qui allait suivre était déjà presque connue des deux intervenants. Le diable de Simmeroh, après avoir brièvement expliqué à Eyragon et Martin la situation, avait insisté pour s'occuper du chef de la Team Magic personnellement. Et il le tenait désormais, devant lui, en son pouvoir. Quelques années auparavant, il aurait rêvé de ce moment. Mais, puisqu'il se produisait dans ces circonstances, rien ne le rendait plus triste. Ce fût Shazam qui brisa le silence :

« Si le combat qui s'est déroulé avait eu une autre issue, la face de Simmeroh ne serait pas la même. Nous avons profondément façonné l'avenir de cette région, et je sais que tu l'as senti comme moi.
-En effet. répondit sans émotion la voix aigüe du diable de Simmeroh.
-Nous pourrions appeler cet endroit le ravin du destin. Pour que les futures générations, les grands dresseurs et décideurs à venir, sachent tout ce qui s'est joué à cet endroit, à travers un simple combat.
-Nous saurons avec plus de précision ce qui s'est joué à cet endroit lorsque tu auras accepté de répondre à mes questions. rétorqua Moriarty. Et des questions, j'en ai encore.
-Mes pokémon sont hors de combat, et tu as survécu à mon attaque. Je me tiens donc à ton entière disposition pour y répondre. »

Moriarty allait enfin pouvoir obtenir ses réponses.

« Pourquoi ? demanda-t-il simplement. »

Cette question eût le mérite de faire sourire Shazam.

« Même si je crois comprendre ta question, je vais devoir te demander de la préciser...
-À la dernière Conférence Arrogante, je ne connaissais pas encore Shazam. Et cela aurait pu continuer. L'identité du chef de la Team Magic aurait pu rester secrète à jamais, et tu as pris des risques importants en te montrant à moi sous cette identité. Pourquoi t'être présenté pour prendre la place du neuvième champion d'arène ?
-Je vais te répondre ce que je t'ai déjà répondu la première fois que tu m'as rencontré en tant que Shazam, Moriarty. La Ligue Arrogante cherchait un dresseur invincible. J'en suis un. »

Moriarty n'était pas convaincu. Avec un sourire en coin, Shazam éclaircit son propos.

« Te souviens-tu d'une discussion que nous avons eu, il y a quelques années, alors que tu avais fait appel au groupe de la déduction ? Tu m'avais demandé pourquoi, si j'étais si fort, je ne m'étais pas tout simplement attaqué à la ligue pour en devenir le maître. Et je t'avais répondu qu'une fois que tu m'avais rencontré sous mon habit de chef de la Team Magic, tu me reconnaîtrais, quelque soit l'habit que je porte. Voulais-je vérifier si j'avais raison, en me présentant avec tant d'insolence, devant toi ? »

Shazam semblait terriblement mélancolique.

« En vérité, si je n'ai jamais songé à affronter la Ligue Arrogante, c'est pour une raison que tu connais. La Team Magic et la Ligue Arrogante sont condamnées à s'affronter depuis que nous sommes allés trop loin l'un comme l'autre, et j'aurais trahi mes soldats en passant de l'autre côté.
-Parlons de tes soldats. coupa Moriarty. Je sais de source sûre que ma ligue en compte quatre. »

Shazam eût un sourire en coin qui n'effaça pourtant son air mélancolique que quelques secondes avant de le graver sur son visage, bien en place, de nouveau.

« En effet. répondit-il gravement.
-Qui sont-ils ?
-Lorsque ta ligue a été crée, continua Shazam comme s'il n'avait pas entendu la question de son interlocuteur, ces dresseurs se sont présentés à toi car ils savaient que le pouvoir en place devait être renversé. Mais mon organisation, la Team Magic, comptait également renverser ce pouvoir pour instaurer une ligue pokémon. Tu as pu mettre le pouvoir en place en échec et mat avant nous, mais tu es sûrement conscient des excès que tu as eu. Tu as essayé, même pendant un court instant, de faire de Simmeroh un enfer, plus encore que la région ne l'était avant ton arrivée. C'est à ce moment-là que plusieurs membres de ta ligue ont considéré que tu allais trop loin, et ont secrètement rejoint mon mouvement. Je tiens à te dire qu'ils n'ont jamais su que Shazam et le chef de la Team Magic étaient une même personne. Ils se sont contentés de me fournir quelques informations utiles, d'effectuer quelques missions pour moi...
-Donne-moi des noms. demanda Moriarty de nouveau, calmement mais fermement.
-Moriarty, je pourrais te répondre ce que tu me demandes, mais je vais faire mieux. Je vais te répondre ce que tu veux vraiment, et ce n'en sera pas moins vrai.
-Je te laisse me surprendre.
-Ces quatre hommes sont venus me voir, à l'issue de tes voyages à travers le monde pour ton émission. Ils estimaient qu'ils s'étaient manifestement trompés sur ton compte, que tu étais un bon maître, et qu'ils n'avaient aucune raison de ne plus pleinement te soutenir. Ils ne font plus partie de la Team Magic.
-Et qu'ai-je, pour te croire ?
-Ma parole. Crois-moi lorsque je te garantis qu'elle vaut beaucoup. »

Il y eût un court silence, que Shazam, après l'avoir doucement laissé couler, ne manqua pas de rompre.

« Allons, Moriarty, tu sais comme moi que tu ne veux pas réellement savoir qui parmi tes amis, ta nouvelle famille, ont pu faire cette erreur. Ne te sens-tu pas mieux maintenant que tu sais que tu peux faire confiance à chacun d'entre eux, que tu n'as plus à réfléchir avec méfiance lorsque tu t'adresses à eux ? Peut-être, un jour, apprendras-tu leurs noms, par eux ou par toi-même, et peut-être sauras-tu ce qu'ils ont fait. Mais rien n'est plus important que ce que je t'annonce maintenant. Tu as de merveilleux amis au sein de cette ligue, et tu peux leur faire entièrement confiance. »

Moriarty ne remercia pas Shazam, mais il sentait comme si un poids lui avait été ôté de sa conscience, comme si ses épaules étaient soudain moins lourdes.

« Tu me demandais pourquoi j'ai voulu tenter ma chance pour cette neuvième arène... continua le chef de la Team Magic. Peut-être leur renoncement a-t-il joué. Peut-être voulais-je la voir de mes yeux, cette Ligue Arrogante qui, petit à petit, parvenait à convaincre ses opposants, cet obstacle que je traitais comme une force de la nature sans essayer de la comprendre. Alors, j'ai saisi cette occasion comme une main tendue du destin. L'occasion de faire de cette vaste organisation non pas un sombre miroir de celle à laquelle j'appartenais moi-même, mais de la voir comme des humains, des vies. Je voulais que toi, Moriarty, tu ne sois pas un morceau de bois verni posé sur un échiquier, et que mon objectif était d'éliminer froidement, mais une personne. Et j'avoue ne pas avoir regretté ce voyage. Je l'ai vue, l'âme de Simmeroh, en vous, moi qui croyais qu'elle n'existait qu'à travers nous. Et toi, Moriarty, le diable de Simmeroh, dessous tes deux yeux rouges comme le sang et derrière ta peau blanche comme celle d'un cadavre, en y regardant bien, j'ai pu trouver un cœur de ceux qui font les véritables maîtres, et je m'en suis satisfait.
-Que d'éloges. répondit sarcastiquement Moriarty. C'est à se demander quand tu dissoudras la Team Magic, ou bien pourquoi tu essayais encore de me tuer il y a quelques heures. »

Shazam n'osa pas forcer le rire narquois qu'il aurait donné pour toute réponse dans d'autres circonstances.

« Nous avons déjà eu cette discussion. répondit-il simplement. Dès la création de Simmeroh, nos visions se sont opposées. Une guerre s'est déclarée, des valeurs se sont confrontés, des soldats se sont sacrifiés... Et maintenant, la machine est lancée, bien plus puissante que nous, et je ne peux l'arrêter.
-Peut-être n'en as-tu tout simplement envie. répondit Moriarty.
-Et toi, Moriarty, en as-tu envie ? »

La question prit de court Moriarty, qui ne répondit pas immédiatement, laissant Shazam continuer son raisonnement d'un air mélancolique.

« Nous sommes pris dans une partie d'échecs sans échappatoire, résuma Shazam, et dans laquelle il faut un gagnant et un perdant, quoique nos égos jouent sûrement un rôle au moins aussi important que celui que nous cherchons à donner au destin. Il me suffit pour ma part de savoir que la Team Magic existe et que des gens sont prêts à se battre avec elle, contre toi, pour Simmeroh, pour que j'en reste le chef. Mais je sais désormais que mon adversaire n'est pas si différent de moi et, si cela ne fera aucune différence sur la manière dont la Team Magic mène ses opérations, cela fera une grande différence juste ici. »

Il venait de poser sa main contre son cœur. Moriarty commençait également par être pris dans cette mélancolie de Shazam, ce genre de fatigue contemplative mêlée à une intense réflexion.

« Tu es un excellent stratège, n'est-pas, Shazam ? Tu l'as toujours été.
-Tu me flattes. répondit-il.
-Je me souviendrai toujours de ce piège que nous avions mis en place aux débuts de l'existence de la ligue. J'étais parvenu à te blesser, et Abraka et Dabra étaient sidérés que ton plan ne se soit pas passé parfaitement...
-Je m'en souviens aussi, et j'ai gardé la cicatrice de ton attaque longtemps. Mais, en ce qui concerne mes plans, il faut simplement prendre en compte le fait que mes plans se passent toujours parfaitement, car j'ai un secret très simple pour rendre cela possible.
-Quel est-il ? »

Le temps semblait s'être arrêté autour des deux dresseurs.

« C'est en réalité une chose très simple. Si quelque chose ne se passe pas comme prévu, si je subis une défaite, j'essaie de transformer cette défaite en une victoire, une étape dans un autre plan. Ainsi, la défaite que nous avons subi lorsque la Ligue Arrogante a conquis le pouvoir avant nous sera notre victoire, puisque nous sommes devenus la première force d'opposition, et que nous n'aurons pas à tutoyer les mêmes extrêmes que toi, une fois au pouvoir, lorsqu'il s'agira de faire régner l'ordre.
-Faire de chaque défaite une victoire... répéta Moriarty. J'avoue que c'est pour le moins intéressant.
-Bien que tu l'avoues, tu ne le penses pas. Mais je te conseille de méditer ce secret, car il est peut-être ce qu'il manque à ta vie pour que tu sois enfin heureux. »

Le dresseur misanthrope regarda le visage sans expression de son adversaire, et décida de ne pas relever cette remarque.

« Ta chevalière. continua-t-il plutôt. Elle permettait de contrôler les pokémon sauvages.
-C'était, entre autres, l'une de ses qualités.
-Comment t'es-tu procuré un tel objet ? Je n'en avais jamais entendu parler.
-Je tenais beaucoup à cette chevalière, répondit Shazam sans l'air d'arrogance qui transparaissait habituellement dans ses paroles, et je suis chagriné par sa destruction, car elle représentait beaucoup pour moi.
-Que veux-tu dire ?
-Peu t'importe. rétorqua-t-il non sans une légère pointe d'agressivité. Tu ne pourrais pas comprendre. Il te suffit de considérer qu'elle est désormais inutilisable, et que je ne pourrai plus jamais voyager à travers Simmeroh en usant de sa magie pour embrigader les pokémon affranchis. »

Dans les yeux brillants de Shazam, Moriarty concevait bien une certaine tristesse qu'il ne s'expliquait pas complètement, de la part de son adversaire. Il préféra cependant le laisser regarder au loin avant de reprendre la parole.

« J'aurais pu ne jamais deviner que tu étais le chef de la Team Magic. continua-t-il.
-Tu aurais pu. répéta Shazam. Mais tu l'as fait, tu as deviné. Lorsque je me suis présenté en tant que neuvième champion d'arène, je voulais savoir si ma théorie se vérifierait, si notre lien, à nous, les rois noir et blanc, était si fort que tu me verrais qui que je sois, chef étoilé ou simple dresseur errant. Je croyais que ce lien était si fort que ma mascarade ne durerait guère de temps. Et pourtant...
-Pourtant...
-Je dois préciser, si cela peut te rassurer, que j'ai un autre secret. En toutes circonstances, je fais la part des choses.
-Explique-toi.
-On m'a souvent qualifié de sage, d'éthique, et on a probablement raison. En toute situation, je sais ne pas mélanger les idées, les volontés, les susceptibilités... Alors, lorsque je suis venu à toi, j'ai su faire la part des choses. »

Il se leva de sa chaise, et son lourd habit bleu que Moriarty portait lui-même peu de temps auparavant retomba sur le sol comme le ciel contre la terre. Il plaça son capuchon sur sa tête.

« J'étais tantôt le chef de la Team Magic, le fléau de Simmeroh... »

Il enleva alors son capuchon, révélant de nouveau son visage aux joues creuses.

« Tantôt, Shazam, le futur neuvième champion d'arène. »

Shazam et Moriarty se regardèrent dans les yeux. Ils étaient désormais debout, l'un devant l'autre.

« Faisant la part des choses, j'ai su agir en ta présence non comme le chef de la Team Magic, mais comme Shazam lui-même, le dresseur invincible venu relever le défi de la neuvième arène. Bien sûr, j'ai fait, parfois, quelques minuscules erreurs, qui n'ont pas manqué de t'aiguiller.
-Tu t'es très bien débrouillé. coupa Moriarty. Trop bien, peut-être.
-Il suffirait, pour que tu puisses en faire autant, que tu te concentres. »

Suite à ce conseil, le regard de Shazam devint vide de nouveau.

« Je suis chaque fois plus impressionnée de l'aide que peuvent y apporter quelques feuilles trempées dans de l'eau chaude. Oui, lorsque je prends du thé, je parviens à atteindre un certain état de concentration, c'est une boisson réellement magique. Je ne sens plus que la chaleur du liquide contre mes lèvres, et le parfum enivrant des feuilles. Je me concentre sur moi-même, et... »

Il eût un sourire narquois.

« Oui, lorsque je prends du thé, j'ai l'impression d'être réellement arrogant. »

Et il y eût de nouveau un regard entre les yeux rouges et les yeux d'or. Un regard dans lequel s'échangeaient beaucoup de choses. Le respect, la haine, le désir de connaître l'autre, cet étranger mystérieux, mais aussi de le quitter à tout jamais.

« Et maintenant ? demanda finalement Shazam. »

Moriarty ne montra aucune expression sur son visage. Il voulut se montrer arrogant, mais ne parvint qu'à rester silencieux.

« Que vas-tu faire de moi ? interrogea Shazam. »

Quoi que plus grand que Moriarty, Shazam se montrait dans toute son humilité devant son adversaire.

« Je suis devant toi, et je ne peux pas me défendre. Est-ce que tu vas me tuer ? M'emprisonner ? M'exiler pour mes crimes ? »

Ses yeux montraient à Moriarty qu'il n'en avait aucunement peur.

« Tu as longtemps rêvé de te débarrasser de moi et de ce que je représentais. Tu en as désormais l'occasion. Tu peux faire de moi ce qu'il te plaira, je ne peux plus t'en empêcher. »

Le diable de Simmeroh avait en effet son ennemi à sa portée. Seulement, était-il autant son ennemi qu'il l'était aux balbutiements de la ligue ? Les choses pouvaient-elles en ce jour être encore aussi simples ?

« Regarde cette arène. déclara-t-il alors. Regarde-la, Shazam. »

Et ils la regardèrent tous deux.

« Les meilleurs architectes et artisans de Simmeroh se sont attelés à en faire un joyau. Pendant ce temps, le Sénat n'a cessé de reprocher à la ligue le montant exorbitant qui a été utilisé. Mais j'ai estimé que ce montant était nécessaire pour que le défi du neuvième champion d'arène soit aussi important et attrayant que celui de la ligue. S'il n'y avait pas de neuvième champion d'arène, notre ligue ne résisterait pas à cette honte, à cet assaut du Sénat. Si je te tuais, si je t'emprisonnais, qui serait le neuvième champion d'arène ? »

Il commençait à exposer à voix haute ce qu'il redoutait depuis qu'il avait découvert que Shazam était le chef de la Team Magic.

« Et, si l'on révélait à Simmeroh que le neuvième champion d'arène, celui que l'on a choisi pour cette mission, était en réalité le chef de la Team Magic, la honte ferait écrouler la ligue sur elle-même, n'est-ce pas, Shazam ? Tu sais déjà que je ne peux te tuer, ni t'emprisonner, ni même révéler ton identité à qui que ce soit. Il est trop tard, à moins qu'un autre dresseur invincible ne nous rejoigne dès maintenant. T'empêcher d'occuper ce poste, faire de toi un martyr, est impossible. »

Après une longue expiration, Moriarty se résigna.

« Malgré tout ce que tu as pu faire, malgré tout ce que tu es et ce que tu représentes, Shazam, tu es le neuvième champion d'arène de Simmeroh. Et tu le resteras. »

Shazam eût un sourire en coin.

« Voilà ce que j'appelle transformer une défaite en victoire, Moriarty. Car, si mon plan a échoué, regarde ce que je récolte. »

Il était, à ce moment, terriblement arrogant.

« Je pourrai continuer à faire vivre la Team Magic, juste sous le nez du créateur de la Ligue Arrogante, et ce dernier ne pourra ni rien dire ni rien faire... Je suis le neuvième champion d'arène, mais je suis également le chef de la Team Magic, et désormais mon organisation est plus forte qu'elle ne l'a jamais été... »

Moriarty ne répondit pas, et laissa Shazam s'en retourner dans ses appartements, derrière un large mur en verre semi-transparent.

« Moriarty. laissa échapper une voix grave, et plus fragile qu'il ne l'avait jamais entendu. »

Le diable de Simmeroh pointa sa tête en direction du mur sans visage.

« Tu as fait preuve d'une grande ingéniosité en découvrant mon identité, déclara-t-il solennellement mais non sans un ton de voix profondément intime et chaleureux, et d'une intelligence rare témoignant d'une arrogance sans faille, bien à la hauteur du talent hébergé dans les murs de cette arène. Et puis, tu as livré contre moi un combat exceptionnel. Tu as fait preuve d'un réel talent dans le dressage de tes pokémon, et je n'ai pas réussi à te vaincre. J'ai vécu un combat très agréable, et peut-être chaque instant de ma vie sera-t-il un peu plus triste maintenant que cette expérience impossible à renouveler est derrière moi. Alors, je voudrais te faire un cadeau... »

Par l'action d'un bouton, une petite boîte métallique s'ouvrit, d'où Moriarty tira un petit objet poli sur de l'or et de l'argent, dans lequel ne se reflétait ni le visage du diable de Simmeroh ni celui d'un dresseur triste et faible, mais celui d'un dresseur victorieux. Le badge ultime.

« Tu l'as amplement mérité. annonça simplement Shazam. Félicitations. Je crois que tu le convoites depuis longtemps.
-Je le convoite depuis que j'ai dix ans. répondit simplement Moriarty, perdu dans ses pensées, en refermant contre son poing, qu'il plaça ensuite contre son cœur, ce petit morceau de métal qui voulait tant dire pour lui. »

Shazam se tenait derrière une vaste cage en verre semi-transparent. Désormais, s'il pouvait voir Moriarty, ce dernier était incapable de lui rendre la pareille. Le neuvième champion d'arène était prêt à prendre ses fonctions, avec toute l'arrogance du monde.

« Une dernière chose. lança-t-il à Moriarty. Tu as oublié quelque chose ici. »

Un autre boîte métallique s'ouvrit, contenant une pokéball.

« C'est l'Alakazam de Matt. précisa Shazam pendant que Moriarty prenait la pokéball dans sa main. Le seul pokémon que tu as amené lorsque tu m'as présenté tes déductions.
-Oui... J'ai failli l'oublier. »

D'un geste mécanique, Moriarty attrapa la pokéball, puis l'actionna. L'Alakazam chromatique qui en sortit était similaire à celui du Shazam, mais l'aura qu'il dégageait était bien différente.

« Alakazam. ordonna calmement Moriarty. Utilise Mur Lumière. »

De ses mains, l'Alakazam utilisa toute la lumière présente autour de lui, et se concentra, longtemps, pour créer un cube de verre tout autour des appartements de Shazam.

« Que fais-tu ? demanda ce dernier.
-Tu connais déjà la réponse, n'est-ce pas ? »

Moriarty n'eût pourtant pas de sourire narquois, il semblait agir comme une machine.

« Le Mur Lumière de Matt est une attaque très spéciale. En utilisant presque toute son énergie, Alakazam manipule la lumière aux alentours pour créer une protection qui ne dure que quelques instants lors d'un combat pokémon. »

Les mots sortaient de la bouche d'un Moriarty qui ne prenait curieusement aucun plaisir à les prononcer.

« Mais, en-dehors du contexte d'un combat, si aucun pokémon en état de combattre n'est présent pendant toute une journée, il devient indestructible. »

Moriarty s'approcha de la vitre semi-transparente qui le séparait de Shazam. Il pût toucher le mur psychique de ses propres mains.

« Comme je te l'ai déjà expliqué, nous avons conçu cette arène de sorte à ce qu'il soit possible d'y vivre toute une vie sans avoir recours au monde extérieur. Et c'est exactement ce qu'il se passera pour toi Shazam, cette arène sera ta prison.
-Mes pokémon sont hors de combat, répondit le neuvième champion d'arène, mais rappelle-toi que le professeur Sapin m'a remis, comme à toi, une machine permettant de soigner les pokémon hors de combat en quelques secondes.
-Tu ferais mieux de regarder avec plus d'attention. »

La machine se trouvait de l'autre côté du mur de lumière. Shazam ne pouvait l'atteindre.

« Pour soigner tes pokémon, après un combat de cette intensité, il te faudra bien davantage qu'une journée. Et, pendant ce laps de temps, je veillerai personnellement à ce que personne ne ramène des pokémon ici. Le chef de la Team Magic est mort. »

Il y eût un silence durant lequel Shazam semblait réfléchir à toutes les possibilités qui s'offraient à lui pour ne pas être banni à jamais dans une arène dont il ne pourrait jamais sortir. Mais, après plusieurs instants, il dût se rendre à l'évidence, et, de l'autre côté de son appartement, Moriarty entendit un rire.

« Tu penses me réduire à néant... déclara-t-il avec colère, orgueil, arrogance. Mais le chef de la Team Magic n'est pas mort, au contraire. Il est plus puissant que jamais ! Tu t'es peut-être débarrassé de ma puissance de dressage, ma reine, mais le roi, ma vie, mon existence, tu ne pourras par la même occasion jamais le mettre en danger. En me bannissant dans cette arène, tu as abandonné l'idée de gagner la partie. Je continuerai, depuis cette arène, de mener les opérations de la Team Magic malgré tout, pendant que tu es encore vulnérable. Et un jour... Un jour, cette misérable prison ne me retiendra plus, et je reviendrai plus fort, un jour où tu seras si faible, et la Team Magic triomphera finalement ! Car si je ne suis prisonnier que d'un lieu, mais toi, tu es et resteras entièrement prisonnier d'une geôle que tu t'es crée tout autour de toi, et tu ne seras jamais libre ! En créant cette prison, tu as en réalité crée une autre défaite qu'il me sera aisé de transformer en victoire ! »

Malgré l'arrogance du discours de Shazam, Moriarty ne semblait pas très impressionné, et répondit très simplement.

« Peut-être... Peut-être que ce que tu viens de m'expliquer est vrai. »

Ses mains continuaient de parcourir le mur invisible.

« Mais je sais que désormais le chef de la Team Magic ne se déplacera plus dans Simmeroh. Je sais qu'une ère est finie, qu'une page se tourne. Je sais que, désormais, Shazam, tu n'es plus le plus puissant dresseur de Simmeroh. Tu n'es plus que le plus puissant dresseur de cette arène. »

Il ferma les yeux.

« Et cela me suffit. »

De l'autre côté du verre semi-transparent, Shazam colla sa main contre le verre en face de l'endroit où Moriarty avait posé la sienne. Ils étaient désormais séparés par un mur physique et un mur psychique.

« Moriarty... déclara finalement Shazam. Je suis conscient que le combat de la Ligue Arrogante et de la Team Magic est un combat d'une grande ampleur, et je sais que cela devrait faire de nous des ennemis jurés. Mais, comme je te l'ai exposé, je mets un point d'honneur à toujours faire la part des choses, et je sais les qualités, les points communs qui nous lient, et que je sois le chef de la Team Magic ou non n'ôte rien à la sincérité des échanges que nous avons déjà eus. »

Moriarty ne répondit pas.

« Même si tu es mon pire ennemi, conclut Shazam, je te considère comme mon meilleur ami.
-Moi aussi. »

Moriarty avait répondu cela mécaniquement, avant de quitter l'arène. Mais le pensait-il seulement ? Était-il capable de penser de cette manière ? Lui qui avait été trahi par son amour, son collègue, et maintenant son ami proche, devait-il la chercher en cela la solution, en cette arrogance qui lui permettait de garder toute la substance de ses amitiés et de ses émotions fortes sans que ni les trahisons ni les autres jeux du destin ne leur ôtent rien ? S'il parvenait, réellement, à se considérer comme le meilleur ami de Shazam comme Shazam se considérait comme son meilleur ami, malgré la Ligue Arrogante ou la Team Magic, la neuvième arène ou son emprisonnement à vie, peut-être serait-il capable de poser un nouveau regard sur sa vie. Peut-être même était-ce réellement le regard qu'il cherchait depuis toujours.
Car il ne le connaissait que trop, le destin, et les tragiques jeux du sort qui s'était abattus sur lui, les uns après les autres. Mais être capable d'exister au-delà d'eux, des amitiés, des amours voulus et consentis, n'était-ce pas une manière de s'épanouir réellement, de voir, pour Moriarty, derrière le chaos et l'aléatoire des événements qui avaient parsemé son existence, sa propre vie, son propre destin, et la manière dont sa propre personne et son propre épanouissement lui permettaient d'ajouter de la couleur à un tout ?
La journée qui venait de s'écouler avait été celle des révélations, de la trahison, de l'application par un destin aveugle de la fatalité de l'avenir de Simmeroh. Mais peut-être, grâce à un sourire, à des propos réellement échangés, à une partie d'échecs, à un simple badge qui récompensait l'un de ses plus beaux combats, peut-être cette journée pouvait devenir celle de l'amitié. Et, serrant, dans la doublure de sa cape, un parchemin gravé d'un œil, Moriarty pensait à tout cela, et se trouvait plus convaincu encore qu'en faisant tant de voyages à Hoenn, il s'accomplissait.
Lorsqu'il franchit le seuil des appartements privés du Château Arrogant, l'ambiance fût glaciale. Armand, dos à lui, assis sur une chaise et ne portant plus son masque, contemplait une photographie enfermée dans un petit cadre. Il entendit son ancien maître arriver, se leva, lui fit face, et le regarda longtemps en silence, sans être capable de soutenir son regard bien longtemps.

« Je suis désolé. admit-il finalement d'une petite voix. J'ai été stupide.
-Tu l'as été, en effet.
-Je croyais réellement que j'étais capable de tirer ce mystère au clair, j'ai largement surestimé mes capacités.
-Qui est-ce ? »

Moriarty venait de s'avancer vers Armand, et pointait de son doigt le cadre que ce dernier tenait dans la main.

« Le fantôme de Kanto original. répondit Armand. »

On y voyait un homme, aux cheveux très noirs et aux yeux d'un bleu profond, souriant de face.

« Aucune affaire ne lui était impossible à résoudre. ajouta-t-il. »

Puis, il se tût de nouveau, et regarda par terre, incapable de parler à Moriarty après l'humiliation qu'il lui avait fait subir devant toute la Ligue Arrogante.

« Armand... finit par déclarer le diable de Simmeroh. Je pense qu'il y a bien longtemps que nous devons nous entraîner ensemble, et je voulais te proposer de le faire au retour de mon prochain voyage. »

Armand releva la tête.

« Moriarty... Est-ce que... Est-ce que tu en es sûr ?
-J'en suis sûr. Et je pense que, pour me pardonner du délai d'attente, je te ramènerai d'Hoenn quelques Lava Cookie, je crois que tu en es particulièrement friand. »

Armand semblait sincèrement étonné.

« Alors... conclut-il. Tu ne m'en veux pas...
-Si, je t'en veux. répondit-il sèchement. Je t'en veux bien plus que tu ne peux l'imaginer, et je t'en voudrai toujours, de ces humiliations que tu m'as fait subir, et de ma confiance que tu as trahie. »

Il apposa sa main sur l'épaule d'Armand.

« Mais j'ai appris une grande leçon sur l'arrogance aujourd'hui. continua-t-il. J'ai appris qu'il fallait, parfois, faire la part des choses. Alors, toute cette haine, cette colère que j'ai contre toi, je la garderai pour arracher une victoire lors de notre prochain combat. En ce qui me concerne, loin des tournois, mon courroux t'épargnera, et tu peux vivre sans crainte. »

Spontanément, Armand tomba dans les bras de Moriarty, et ce dernier sentit des larmes couler contre son habit.

« Merci... répétait Armand entre quelques sanglots. »

Et Moriarty s'en retourna dans ses appartements, remettre l'habit qu'il portait du temps où il était maître dans une vitrine, et que Shazam avait porté lui-même lors de son combat contre lui. Un jour, peut-être, il le mériterait de nouveau. En attendant, ni Guilhem ni Brynne n'avaient prétendu à le porter. Perdu dans ses pensées, Moriarty remarqua à peine son pokématos en train de sonner.

« Je suis si fier de toi... »

Après son appel, il s'était rendu dans l'hôpital dont personne d'autre, sinon Shazam, n'était au courant de l'existence. Rudolphe se tenait devant lui, le corps encore couvert de plâtres et de bandages, mais capable de tenir debout suffisamment longtemps pour regarder son maître avec fierté.

« Je vous avais bien signifié que tout était une affaire de volonté dans cette convalescence. expliqua l'infirmière avec un sourire. Depuis votre dernière visite, il a fait d'immenses progrès, et ne se sépare plus du ballon que votre ami lui a donné.
-Oui, c'est un ami très spécial. ajouta Moriarty avec un sourire narquois.
-Laissez-lui encore quelques temps, beaucoup de repos, et il sera prêt à combattre comme avant.
-Mais j'y compte bien. C'est qu'il m'a fait une promesse, un jour. »

Moriarty apposa sa main blanchâtre sur l'épaule de son pokémon.

« Et jusqu'à aujourd'hui, il la tient à la perfection... »

Le pokémon et son maître s'échangèrent un regard de respect.

« Allez... conclut-il d'une voix doucereuse. Un jour, je reviendrai, et tu combattras pour moi de nouveau. »

Et il s'en retourna au Château Arrogant, en prenant bien soin d'y dormir le moins possible. Il attendit, longtemps, que le sommeil vienne le prendre, sournoisement, par courtes siestes nocturnes sans rêves, jusqu'à ce que le jour, enfin, se lève. De toute la région, les champions vinrent alors se rendre jusqu'au château. Ce jour était la veille de la Conférence Arrogante, et toute la ligue, sinon sa plus récente recrue, se rencontrerait dans la salle de la fraternité. Moriarty rendit son pokémon à Matt en lui assurant en avoir fait bon usage.
Et, dans la salle aux sièges tournoyants, l'ambiance était morose. Tous, dans cette pièce, champions comme membres du conseil des quatre, avaient cru que Moriarty était le chef de la Team Magic. Tous l'avaient mal jugé, confondu, humilié. Et tous se retrouvaient alors devant lui, le diable de Simmeroh qui fût jadis le maître de la région, lui sans qui ils ne seraient rien, indignes de sa confiance. Le suspect de toute la ligue avait arrêté lui-même le vrai coupable, l'avait emprisonné et chacun des douze autres dresseurs n'osaient même pas regarder le quatrième membre du conseil des quatre dans les yeux.
Les conséquences des terribles attaques des Mammochon sur la région furent longuement et tristement abordées. Si les pertes civiles étaient très limitées, les dégâts matériels étaient énormes. Du côté d'Espité ou de Graterrité qui étaient les villes les plus touchées, des quartiers entiers étaient à reconstruire. À Acité, le Sénat été resté sur pied, car les Mammochon s'étaient concentrés entièrement sur la prison de la ville, ce qui avait eu pour effet de permettre l'évasion de grands noms de la Team Magic, parmi lesquels Abraka et Dabra, les généraux. La Team Magic sortait donc grandie de cette opération, par laquelle elle avait récupéré ses membres parmi les plus dangereux, mais également montré à Simmeroh toute sa puissance à l'heure où la Ligue Arrogante tentait de faire passer les quelques coups d'éclat d'Armand comme sonnant la fin de l'organisation. Qui plus est, le silence et l'inactivité de Brynne, mais aussi du fondateur même de la ligue, Moriarty, durant l'urgence, avait été très mal vu par la population, même si dans l'ensemble les champions et membres du conseil des quatre s'étaient montrés fort réactifs.

« Voilà pourquoi personne ne doit savoir qui il est. conclut Moriarty. Ce secret sera entre vous et moi, et lui pourra continuer d'être le rempart ultime contre les dresseurs de tous les horizons, un défi aussi alléchant que celui de la ligue elle-même. »

Quoiqu'en d'autres circonstances, le reste de la ligue aurait pu avoir des objections à cette décision de Moriarty plus que discutable, personne n'osa ouvrir la bouche. Le secret du neuvième champion d'arène serait gardé par chacun d'entre eux. La discussion s'orienta alors, la tension toujours palpable, vers des sujets ayant trait au Sénat ou aux derniers crimes de la Team Magic, derrière lesquels les plus braves membres de la ligue osaient enfin mettre le nom de Shazam. L'économie et les lois furent passés en revue, les événements distillés, les discours et la communication de la ligue élaborés.
Puis, alors que tout semblait fini, une voix aigüe qui semblait s'être tue depuis longtemps prit de nouveau la parole :

« Je voudrais savoir, demanda la voix doucereuse et faussement naïve, avec quelques précisions, la manière dont les dresseurs mineurs participant à la Conférence Arrogante sont sélectionnés.
-Que veux-tu dire ? demanda Eyragon avec tout le respect du monde, et en prenant bien soin d'éviter son regard.
-Un dresseur de moins de dix-huit ans est-il autant capable de participer à ce tournoi que n'importe qui d'autre ?
-Bien sûr. répondit le dracologue. Il en a toujours été ainsi. »

Prenant un faux air de réflexion, Moriarty marqua une pause.

« Ce n'est pas très responsable de laisser des enfants participer à un tel tournoi sans les avoir bien encadré au préalable, ne pensez-vous pas ? »

La région de Simmeroh était déjà une région où il n'était pas rare de voir des enfants d'une dizaine d'années à peine s'aventurer à travers les routes en quête de gloire, ce qui était bien plus dangereux qu'un simple tournoi, mais personne n'osa le faire remarquer à celui que tous avaient humilié, à celui qui venait de bannir à jamais le chef de la Team Magic dans sa propre arène.

« Oui... continua-t-il. Je pense qu'il serait plus sage de mettre en place un système encadrant les meilleurs dresseurs mineurs en possession des huit badges d'arène pour s'assurer qu'ils ont la maturité et les compétences nécessaires pour participer à la Conférence Arrogante.
-Moriarty... demanda doucement Martin. Qu'essaies-tu de faire ?
-J'essaie de mettre en place un système encadrant les meilleurs dresseurs mineurs en possession des huit badges d'arène pour s'assurer qu'ils ont la maturité et les compétences nécessaires pour participer à la Conférence Arrogante. répondit-il tout aussi doucement. »

Et Martin comprit qu'il n'aurait pas d'autre réponse. Voltim et Voltom, qui eux-mêmes étaient mineurs lors de la création de la ligue, n'osèrent pas ouvrir la bouche.

« Il est vrai que l'on voit de plus en plus de mineurs participant à la Conférence Arrogante avec les badges de leurs parents... lança Night pour aider Moriarty plus que par réelle conviction. Il pourrait être souhaitable de s'attaquer à ce problème. Alors que proposes-tu, Moriarty ?
-Je pense qu'une sorte de camp des dresseurs mineurs est absolument nécessaire, et qu'il devrait être mis en place d'ici à la vingtième édition, de sorte à être effectif pour trier les dresseurs mineurs participant à la vingt-et-unième Conférence Arrogante. Vous, les champions, et nous, le conseil des quatre, pourrons alors appliquer nos propres critères pour juger qui est apte à y participer, et faire un premier tri des dresseurs, que nous pourrions ainsi apprendre à mieux connaître. Après tout, la jeunesse est l'avenir de Simmeroh, n'est-ce pas, mes amis ? »

Et, sans plus d'investigation, sans plus de questions ni d'objections, et avec le seul poids de la culpabilité comme motivation, tous acceptèrent cette soudaine lubie de Moriarty dont personne ne comprenait réellement les raisons profondes.

« Magirêve ! »

D'une attaque Balle Ombre, le pokémon se débarrassa de son ennemi, et Moriarty venait de gagner la dix-neuvième Conférence Arrogante. Il n'avait pris aucun goût à ce combat, car son adversaire n'était pas Shazam, et qu'il avait le sentiment d'avoir déjà disputé la finale du tournoi une poignée de jour auparavant. Victorieux une fois de plus, il alla chercher son prix, et s'en retourna, dans les rues de Simmeroh, affrontant le regard haineux, apeuré, des passants. Même les plus puissants dresseurs de la région le prenaient pour une sorte de monstre mystique tout droit échappé de leurs récits d'enfance, tous avaient peur de voir leur vie prendre fin en croisant le regard de celui que l'on aurait pu confondre avec un vampire. Il fût donc un tantinet surpris lorsqu'il entendit, quelques rues après le stade, une voix l'interpeller.

« Vous êtes Moriarty du Bourg-Venteux. »

La voix était grave. Lorsque Moriarty se retourna, il vit pourtant devant lui un enfant aux cheveux blonds, habillé d'une robe traditionnelle, et un grand bâton sur son dos, sur lequel étaient accrochées des pokéball.

« C'est à lui que tu t'adresses. répondit Moriarty d'une voix lasse. Quatrième membre du conseil des quatre et maître à titre honorifique de la Ligue Arrogante. Le dresseur misanthrope, le diable de Simmeroh, le vainqueur de tous les tournois de la ligue jusqu'au dix-neuvième, et probablement de tous ceux auxquels je participerai à l'avenir. J'ai sûrement d'autres surnoms, mais la couverture de ma biographie est peut-être déjà assez garnie, et je ne sais pas quel est mon surnom à la mode en ce moment. Ravi d'avoir fait la connaissance, mon enfant, de quelqu'un qui ne soit pas effrayé par ma vision. Mais, si tu veux jouer au jeu des autographes, j'ai peur que ce soit à quelqu'un comme Armand que tu ne doives demander.
-Vous êtes fort. »

Derrière la mèche de cheveux du garçon, Moriarty pouvait apercevoir de grands yeux verts.

« J'imagine qu'on peut présenter les choses de la sorte. admit Moriarty. Veux-tu que je t'aide à retrouver tes parents ? Tu me sembles perdu.
-Je ne suis pas perdu. répondit gravement le garçon. Je vous ai vu dresser. »

Moriarty ne comprenait pas où le garçon voulait en venir.

« Dans moins d'un an, continua-t-il, je reviendrai à Simmeroh, car je sais qu'alors le jeune Atuko sera revenu de son entraînement. Je pensais qu'il était le seul dresseur suffisamment étincelant et puissant pour m'infliger une défaite qui ait du sens, mais, après vous avoir vu, je pense que, même si je parviens à le vaincre, vous serez un obstacle à ma hauteur. »

Moriarty eût un sourire en coin.

« Écoute, petit, je n'ai aucune idée de qui est cet Atuko, quoi que le nom me soit légèrement familier pour une raison qui ne me revient pas. Alors, si j'étais toi, j'irais raconter toutes les histoires dans ta tête à une personne que cela intéresse, car j'ai beaucoup à faire. Tu devrais par ailleurs peut-être être à l'école aujourd'hui, et tu pourrais en profiter pour faire soigner cette vilaine blessure que tu as à la joue.
-Que savez-vous de la douleur ? le coupa l'enfant.
-Sûrement plus qu'un grand enfant qui essaie d'aggraver sa voix pour ressembler à son héros de télévision favori. La douleur et moi sommes bons amis, j'ai l'impression, surtout en ce moment. Si te la prêter pouvait me garantir un peu de tranquillité, je te la confierais sans aucun problème.
-En ce cas, nous nous reverrons.
-C'est cela. N'oublie pas de regarder des deux côtés de la route avant te traverser, sans quoi tu risquerais de te faire renverser par un camion.
-Alors ce serait au camion d'avoir peur. conclut l'enfant. »

Et, fort de cette rencontre atypique qu'il ne tarda pas à oublier, Moriarty prépara ses affaires pour un prochain voyage, et se rendit au port de la région, non sans passer par Acité où il alla rendre visite au champion de la ville.

« Je te félicite pour ta victoire. déclara Méthane.
-Une victoire d'une originalité sans nom. rétorqua le dresseur misanthrope. J'ignore s'il y a encore des instituts de jeu prêts à parier contre moi.
-Oui, je crois me douter que c'est un tout autre dresseur que tu te préparais à affronter... »

Moriarty sentit un pincement au cœur.

« Nous avions fait construire une cage en verre semi-transparent pour qu'il puisse participer au tournoi sans que les gens ne puissent voir le visage du neuvième champion. lâcha finalement Moriarty d'un air faussement détaché.
-Et qu'allez-vous en faire ?
-Je ne me fais pas de soucis. répondit Moriarty, perdu dans ses pensées. Je suis sûr que nous trouverons un moyen de la rentabiliser... »

Il y eût un silence.

« Je suis désolé. ajouta Méthane.
-De quoi parles-tu ?
-Je t'ai conseillé de fréquenter Shazam. Je t'ai fait miroiter toutes ces choses que je pensais qu'il pouvait t'apporter... Toutes ces choses dont je pensais que tu pouvais avoir besoin. Et finalement, il était celui qui complotait contre toi, depuis le début.
-Méthane...
-Armand a convaincu la ligue entière que tu étais coupable de tous les crimes de l'univers. Et tous l'ont cru. Je l'ai cru. Et si nous n'avions pas été fascinés par Shazam, par tous ses talents, par son arrogance... Si nous t'étions resté fidèles, sans nous laisser entraîner par cet autre dresseur qui se prétendait comme toi... Peut-être que...
-Méthane. Tu as eu raison. »

Méthane cessa soudainement de parler.

« Tu as eu raison. répéta-t-il. Et je te remercie. Pas seulement pour Shazam. Pour tout.
-Moriarty, je...
-Non. Je dois m'en aller dès maintenant pour Hoenn. Si tu veux continuer cette discussion, je ne m'y opposerai pas, mais tu devras attendre mon retour.
-D'ordinaire, lors de ces moments difficiles, tu entames souvent un voyage...
-Oui, et ce jour n'échappera pas à la règle. Je prévois par ailleurs un détour par Sinnoh pour mon retour. Au revoir, Méthane. »

Et, tournant les talons, le quatrième membre du conseil des quatre prit un bateau pour Hoenn. Quant au champion d'Acité, il passa le reste de sa journée à accepter les défis des dresseurs se croyant suffisamment puissants pour le vaincre. Et le bateau voguait, jusqu'à Hoenn, tandis que la nuit tombait sur la région de Simmeroh, et sur sa nouvelle attraction, son nouveau défi, ce nouvel avatar de l'arrogance, sur les routes menants au Château Arrogant. Ce soir, une arène brillait encore plus que celle du champion d'Acité, et davantage que toutes les autres arènes. Son atmosphère était plus incroyable encore que celle de tout le Château Arrogant, qu'elle éclipsait complètement.

« Je te défie, neuvième champion d'arène ! criait un dresseur devant le verre semi-transparent pour se donner du courage.
-Et j'accepte ton défi. répondit un voix grave, immatérielle. »

Le dresseur eût alors un mouvement de recul. Peut-être espérait-il que le neuvième champion, le dresseur qu'on racontait invincible, aussi fort que le diable de Simmeroh, plus fort que toute la Ligue Arrogante, n'était qu'une vaste supercherie. Mais la voix qu'il entendait ne le rendait que trop réel. Il ne pouvait plus reculer.

« Je vois depuis ce matin des gens se précipiter des quatre coins de la région pour venir à vous. continua le dresseur d'une voix plus douce. Vous faites de l'ombre au conseil des quatre, et peut-être même au maître. J'ai entendu que vous étiez si fort que vous n'aviez jamais connu la défaite... Ce sera un honneur de vous affronter. »

Plus le dresseur parlait, plus sa conviction s'amenuisait. Il avait envie de poser une question au champion, mais s'était avisé jusque-là. Pourtant, son envie finit par prendre le dessus.

« Qu'est-ce que cela vous fait, demanda-t-il, d'être le meilleur atout de la Ligue Arrogante ? »

Pendant un temps, il n'entendit pas de réponse.

« Moi... répondit finalement une voix grave et froide. Moi, je suis le meilleur atout de la Ligue Arrogante... »

Puis, un rire puant de tristesse traversa le verre semi-transparent.

« Permets-moi de te demander, dresseur, comment est la lune ce soir. »

Le dresseur ne comprit pas l'intérêt de la question, mais répondit aussitôt.

« Ce soir est un soir de pleine lune.
-Bien entendu... répondit le champion. Elle brille tant, ce soir, la lune, et elle brillera toute la nuit. Son éclat est si fort que dans le ciel, on perçoit à peine les étoiles, n'est-ce pas ? Je suis condamné à la nuit éternelle, mais un jour... Un jour le soleil se lèvera de nouveau. »

Le dresseur ne savait pas quoi répondre.

« Allez... lança finalement le neuvième champion d'arène de Simmeroh. J'espère que tu n'es pas mauvais et que tu tiendras longtemps, car j'ai tout le temps du monde. Je dois également te prévenir que j'ai disputé il y a peu un combat de haute volée, alors tâche de ne pas être trop fade en comparaison. En garde ! »

Et le bateau voguait, doucement, sur les flots, tandis que les yeux rouges dévisageaient cette pleine lune, ce ciel, que le champion était condamné à ne plus jamais voir. Et, dans la neuvième arène, au Château Arrogant, et dans tout Simmeroh, d'autres nuits passèrent, les unes après les autres, tandis que tous les astres du ciel de la région semblaient se pencher sur les deux grands absents, introuvables. Le diable de Simmeroh et le chef de la Team Magic n'arpentaient plus la région, et formaient comme une sorte de vide que le temps ne pouvait combler.
Puis, au cours d'une nuit qui semblait infinie à qui la vivait, ce fût comme si toute la ville d'Acité avait su au fond d'elle, sans oser en parler, qu'était revenu celui que nombreux étaient à considérer comme l'esprit du mal. Une température refroidie, un morceau de lourde cape tournant rapidement dans une allée sombre, des yeux rouges brillant dans la nuit donnant des idées noires à qui les approchait, un croissant de lune se transformant en un sourire malsain... Toute la ville semblait avoir su au même moment que Moriarty était de retour.
Ainsi, les appartements du champion de la ville s'ouvrirent à la volée pour l'accueillir. Il était trempé, ses cheveux violets gonflés d'eau, ses yeux rouges semblant pleurer les larmes des nuages, ses bottes trempées et dégoulinant de boue.

« Je vais faire un feu. lança précipitamment et presque automatiquement Méthane.
-Méthane. annonça gravement Moriarty. Je l'ai vue. »

Méthane ne comprit pas immédiatement ce que voulait dire son ami, mais, à bien regarder son visage, il comprit que quelque chose d'anormal se passait. Il n'y avait plus, sur sa peau blanchâtre, cette trace de haine immense, cette arrogance se traduisant par un sourire en coin de supériorité, plus de masque pour séparer les émotions du reste du monde.

« Qui as-tu vu ? demanda le champion du type Acier en craignant à moitié la réponse.
-Elle. répondit alors simplement le diable de Simmeroh. »

Méthane comprit alors qu'un feu était inutile, qu'il devait simplement faire asseoir son ami trempé sur un fauteuil et se placer à ses côtés pour l'écouter, ce qu'il fit.

« Je l'ai remarquée, par hasard, lors d'un tournoi amateur à Sinnoh. Ses cheveux blonds demeurent les mêmes, et son visage, et ses yeux...
-Est-ce qu'elle t'a reconnu ?
-Lorsque je suis revenu à Simmeroh, tu ne m'as pas reconnu. Je ne me serais pas reconnu moi-même, tant j'ai changé physiquement. »

Méthane écoutait calmement son ami parler tandis que le froid emplissait la pièce, et quoique la journée ne fût pas particulièrement glaciale, le cœur du dresseur misanthrope semblait plus que jamais être constitué de glace.

« À quel point a-t-elle refait sa vie ? demanda le champion.
-Elle n'a plus jamais eu de compagnon depuis Bane, si j'en crois les murmures populaires. Pas beaucoup d'amis, une réputation glaciale. C'est du reste une dresseuse relativement douée.
-Et qu'as-tu fait ?
-Je ne l'ai vue que très tardivement, peu avant que notre combat commence. »

Il semblait perdu dans ses souvenirs, à rejouer de nouveau dans sa tête cette scène qu'il ne cessait d'analyser, encore et encore, depuis qu'elle s'était déroulée devant lui.

« Pendant un simple instant, un minuscule moment, ce fût comme si les vingts dernières années de ma vie n'avaient jamais existé. J'aurais couru vers elle, je lui aurais souri comme je lui souriais jadis, et j'aurais terminé la demande que je n'ai jamais pu finir, en mettant un point d'interrogation final à cette question qui aurait pu sceller nos vies. Oui, un bref instant, ce fût comme si toute ma vie n'avait été qu'une immense pause depuis la falaise à laquelle nous nous rencontrions, comme si cette pause prenait fin. Et je sais qu'une partie de moi le souhaite réellement. Mais c'est impossible. Vingt ans se sont écoulés, et je suis désormais Moriarty du Bourg-Venteux.
-Alors... Lui as-tu expliqué que...
-Non. Je ne lui ai parlé de rien. Car après ce bref instant d'absence, cette douce illusion d'un bonheur qui semblait si facile à cueillir, c'est la haine, qui, plus que jamais, s'est emparée de moi. J'ai revu ces moments où, me laissant pour mort, elle n'a jamais chercher à me retrouver. J'ai survécu à la mort et, lorsque je suis revenu, lorsque j'ai pensé qu'enfin, nous pourrions vivre ensemble, elle n'était plus là, elle avait disparu. Si je suis sur ce fauteuil, à te parler, à ressembler à un cadavre que l'on aurait ramené à la vie par quelque rituel, haï par la région qu'il a relevé de ses cendres, c'est en partie à cause d'elle, et ce constat terrible ma consumé. Alors, plus que jamais, lors de ce combat, j'ai été le diable de Simmeroh. Moi qui avais sur moi toute mon équipe originale et ne comptais utiliser que deux ou trois pokémon pour gagner le tournoi, j'ai pris soin d'en utiliser chacun d'entre eux, et je voyais mon sourire de haine lui faire peur, ma puissance la plonger dans l'incompréhension. Je voyais comment elle était devant moi impuissante, comme elle souffrait du carnage que je lui infligeais, elle qui, après tout ce temps, devenait enfin rien d'autre qu'une poupée de chair dont je pouvais disposer à loisir, et cela m'a plu. La haine rayonnait entièrement en moi. »

Et, en effet, les yeux de Moriarty rayonnaient d'une haine que Méthane ne lui avait connu que dans les moments les plus difficiles de sa vie.

« Je savais qu'elle garderait son dernier pokémon, son Carchakrok, pour la fin. Et je savais que contre lui, je ne pouvais qu'envoyer Drattak, qui n'avait, il y a bien longtemps, pas pu me protéger. C'est à ce pokémon en particulier que je dois ma condition actuelle. Mais je suis désormais bien plus fort, si fort... Alors j'ai laissé Drattak le massacrer, j'ai laissé mon pokémon prendre sa revanche sur un combat vieux de vingt ans, et je l'ai laissé ce délecter d'un terrible carnage. Et, pendant qu'il enfonçait ses griffes toujours plus profondément dans la peau d'un pokémon déjà hors d'état de combattre depuis longtemps, je voyais celle que j'avais aimé pleurer. Et ses pleurs, qui étaient pour son pokémon comme je ne les avais jamais vus pour moi, ont attisé ma haine, et je me sentais plus puissant que jamais. Je voulais l'entendre me supplier à jamais d'arrêter... »

Les yeux de Moriarty devinrent alors soudain aussi mélancoliques qu'à leur habitude.

« Mais mon arrogance n'a pas de place pour des sautes d'humeur pareilles. Elle n'a de place que pour se concentrer entièrement sur un sentiment pour en tirer la force nécessaire au combat, pas pour se laisser consumer par ma passion. Il s'agit d'utiliser la haine, et non pas de laisser la haine m'utiliser. Alors, j'ai fermé mon esprit, et j'ai compris la vanité de ce combat. J'avais montré à cette femme que j'étais plus fort qu'elle. Et alors ? Aurais-je dû tuer son pokémon ? Aurais-je dû la tuer ? Aurais-je dû lui montrer d'autres preuves irréfutables de toute la puissance que je pouvais exercer sur elle ? Cela ne m'aurait rien apporté. Aussi décidai-je d'être arrogant, comme je l'ai toujours été. J'ai ordonné à Drattak de cesser sa boucherie, et il a laissé le dragon adverse retomber sur le sol, à peine vivant, complètement inconscient. J'avais remporté le combat, et mon adversaire n'était alors plus Ecella, la femme que j'aimais. Elle était devenue une étrangère à mes yeux comme à ses yeux j'étais devenu un étranger pour elle. »

Méthane avait en cet instant une sympathie extraordinaire pour son ami, qui était redevenu à ses yeux le Bane qu'il avait connu, bien des années auparavant, dans tout ce qu'il avait de plus humain.

« Moriarty... lui murmura-t-il.
-Il fût un temps où je suppliais tout l'univers entier de pouvoir seulement lui manquer, d'avoir existé pour elle. Je n'ai jamais eu autant besoin d'exister que lorsque je me suis réveillé, dans une grotte, après vingt ans d'existence, pour me rendre compte que je n'étais rien. Méthane, suis-je toujours rien ?
-Tu ne l'as jamais été.
-Et pourtant... Pourtant, peut-être Bane n'existe-t-il plus pour elle. Et s'il n'existe plus, c'est qu'il n'a jamais réellement existé, puisque le destin n'a pas jugé bon de s'en souvenir.
-Je comprends que tu puisses te poser ces questions. Mais pour moi, Bane existe encore, quelque part au milieu de ce que tu es devenu.
-Encore faut-il que ce que je suis devenu existe. »

Le diable de Simmeroh contemplait un horizon lointain et noir, de la fenêtre de Méthane.

« Tu sais... susurra-t-il alors. Je l'ai longtemps tenue pour responsable de tout ce qui m'était arrivé. De Simmeroh, de Moriarty, de tout ce que je suis devenu, de toutes ces mauvaises décisions que j'ai du prendre. Mais elle aussi, elle n'est qu'une autre pièce sur le grand échiquier du destin. Et ce n'est pas la seule.
-Je ne te suis plus. avoua Méthane.
-Je sais. Et c'est pour ça que nous ne pouvons plus nous comprendre.
-Je peux au moins essayer.
-Alors essaie de comprendre ce que je vais te dire. J'ai encore de nombreux souvenirs, à de nombreux instants de ma vie, qui restent en moi comme autant de fantômes de mon passé. Parfois, j'ai l'impression que ces fantômes me visitent, et qu'ils prennent possession de moi pour s'incarner en un souvenir. Mon combat contre la Légende Vivante et l'immense sensation de bien-être liée à mon pouvoir d'alors, ou ma destitution de mon rôle de maître avec cette immense colère mêlée à de nombreux questionnements, tout cela, je m'en souviens. Mais j'ai beau chercher, dans mes souvenirs, à revivre ce que j'ai pu vivre avec elle, je n'y arrive pas. Je sais pourtant que nous avons passé plusieurs années ensemble. Je sais ce dont nous avons parlé, ce que nous avons fait, mais je ne parviens plus à vivre tout cela encore, sinon comme un spectateur qui verrait se dérouler devant lui l'histoire d'une vie dont il n'est plus l'acteur. J'ai beau chercher, tout au fond de moi, il n'y a plus rien. Plus d'émotion, simplement de l'arrogance. »

Ses yeux rouges se perdaient dans la nuit, et son Ectoplasma avait disparu dans son obscurité.

« Pourtant, continua-t-il, il existait bien, cet amour, et je suis convaincu qu'il existe encore, en moi, quelque part, prêt à être libéré. Et, s'il est libéré un jour, alors, pour la première fois depuis longtemps, très longtemps, je pourrai ressentir le bonheur. »

Silencieusement, Méthane finit d'écouter son ami, et prit la parole calmement :

« Penses-tu qu'elle reviendra ?
-C'est une possibilité que je n'exclus pas. Peut-être viendra-t-elle prendre sa revanche sur un dresseur qui l'a humilié.
-Et que feras-tu, dans ce cas ? Chercheras-tu à l'humilier de nouveau ?
-Je ferai la part des choses. »

Moriarty eût un léger sourire.

« Je me comporterai avec elle en tant que Moriarty, comme si je n'avais jamais été Bane, comme si je ne la connaissais pas avant ce tournoi. Je tâcherai de faire au mieux pour avoir été, par le passé, Bane aux yeux d'or, et, désormais, Moriarty, le diable de Simmeroh. Si elle recherche ma compagnie, donc, je ne lui refuserai pas. Si elle est trop insistante, je donnerai certaines instructions au reste de la ligue. Et s'il apparaît de nouveau, cet être d'amour en moi, alors...
-Alors, que se passera-t-il ? »

Moriarty parût un instant très pensif.

« Nous verrons. répondit-il alors d'un air aussi serein qu'énigmatique. »

Et les deux hommes se regardèrent. Mais Méthane ne parvenait pas à soutenir le regard du diable de Simmeroh.

« Moriarty... Je suis tellement désolé.
-Qu'y a-t-il ? Je croyais t'avoir rassuré concernant ces derniers mois.
-J'ai toujours été désolé. Pas seulement ces derniers mois. »

Moriarty lança un regard interrogateur à son ami.

« Je suis désolé de ne pas avoir été l'ami dont tu avais besoin. expliqua-t-il. J'aurais du être plus proche de toi, et j'aurais dû être au conseil des quatre... La première personne de la ligue que j'ai eu à affronter était Eyragon, et j'ai gagné. Je pensais donc avoir les épaules pour faire partie du conseil des quatre, mais il n'avait pas utilisé son Dracolosse... En réalité, je ne suis guère qu'un champion pas beaucoup meilleur que les autres champions. »

Puisqu'il racontait à présent tout ce qu'il avait sur le cœur, il regardait désormais Moriarty dans les yeux.

« Et je suis sûr qu'Armand, Eyragon et Martin t'apportent beaucoup, à leur manière. Mais il y a une chose qu'ils ne savent pas. Ils ignorent que derrière le Moriarty qu'ils connaissent, il y a un enfant aux yeux orangés tirant sur le doré, sans parents, ni but dans la vie, et qui n'a longtemps été rien que cela. Un enfant qui pendant vingt ans de sa vie, n'a été qu'amour et guidé que par l'amour, avant de le perdre, et d'arriver à Simmeroh sans rien ni personne. De toute la ligue, il n'y a que moi qui sache cela, et cela fait que je te comprends, si ce n'est plus, du moins à travers une approche bien différente de tous les autres. Et j'aurais dû être avec toi durant toutes tes épreuves. Parce que je savais, au fond, que lorsque, revenant de tes voyages avec Armand, tu as décidé de choisir la voie de l'amour de nouveau, tu n'avais pas évolué, mais que tu tentais seulement de revivre un passé que tu avais laissé derrière toi. Et je savais ce que tu allais revivre après la trahison de Guilhem. Tout cela, je le savais. Et je n'ai rien fait parce que je n'ai rien pu faire, parce que je ne suis pas l'ami que tu mérites.
-Méthane...
-Non, je veux que tu me laisses finir. »

Le champion était rouge de honte et de colère.

« Lorsque tu es venu à Simmeroh, sans rien ni personne, j'étais là, et j'aurais dû continuer à l'être. Si j'avais eu le niveau, je t'aurais accompagné à Kanto, et tu ne serais pas revenu ainsi. Et toute cette haine en puissance en toi, j'aurais trouvé le moyen de te la retirer avant qu'elle n'explose. Mais je n'étais pas assez puissant pour m'attaquer à toute la Ligue Indigo alors, et j'ignore si je le suis aujourd'hui. J'aurais également pu t'accompagner lors de ton émission, lors de tes voyages... »

Méthane ne laissait même pas Moriarty répondre. Il semblait avoir cette conversation en tête depuis bien longtemps.

« Tu as passé tellement de temps à chercher un rival, un sens à ta vie. Et j'aurais pu, si seulement j'avais eu les épaules, en être un. Alors, tu serais différent, heureux, et Simmeroh le serait également. Si seulement je pouvais mettre dans tes yeux de la peur et de l'admiration comme sont capables de le faire la Légende Vivante et Shazam, alors tu ne serais pas allé chercher tant de déceptions, tant de combats vains, tant de tristesse, de trahison et de peur de leur côté. J'aurais voulu avoir une place dans cette vie qui est devenue la tienne, plutôt que de la voir se dérouler devant mes yeux sans pouvoir rien faire, sans en être à la hauteur.
-Tu es bien dur avec toi même. susurra simplement Moriarty qui était enfin parvenu à parler. »

Méthane se calma alors.

« C'est possible. répondit-il simplement. Je ne sais pas.
-Je suis le seul à pouvoir donner un sens à toute mon histoire, Méthane. Ni toi, ni qui que ce soit d'autre, ne peut y prétendre. J'ai changé, c'est vrai, et en mal, pour moi et pour les autres, parfois. Et peut-être aurait-il pu être autrement. »

Moriarty regarda l'horizon de nouveau.

« Mais peut-être pas. ajouta-t-il. »

Méthane ne semblait pas convaincu.

« Comment savoir ? demanda-t-il.
-Oui... Comment savoir ? »

Méthane semblait perdu. Puis il parût comprendre un motif d'insinuations chez Moriarty.

« Il n'y a que toi qui peut le savoir, n'est-ce pas ? Et tu comptes bien le savoir.
-Méthane, peut-être n'as-tu pas pu être à mes côtés en permanence, mais tu as fait ce que tu as pu, et tes intentions ont toujours été les meilleures envers moi. Maintenant, quant à savoir ce que doit réellement être ma vie, et ce qu'elle aurait pu être, je compte en effet m'en charger moi-même.
-Alors... Tous ces voyages que tu fais, ces absences que tu n'expliques à personne, et qui ne servent à ramener ici que des vieux parchemins d'Hoenn... Et le neuvième champion d'arène, et ta proposition d'établir un camp pour les dresseurs mineurs. Tout cela fait partie d'un tout, n'est-ce pas ? »

Moriarty regarda avec bienveillance son ami.

« En effet. répondit-il.
-Et Ecella, quelle place peut-elle avoir, au sein de ce tout ?
-Ce sera à elle de voir. Mais elle peut s'y insérer joliment, je le crois. Si tu pouvais me tenir au courant si elle venait à voyager vers Simmeroh, je t'en serais infiniment reconnaissant. »

Moriarty se hâta alors vers la porte, car il commençait à faire tard.

« Du reste, nous avons eu une bien jolie discussion, en ce soir, et je suis touché bien plus que tu ne peux le croire par tout ce que tu m'as exposé. Malheureusement, je ne peux pas te décerner le titre de meilleur ami, car j'ai peur de l'avoir déjà remis à quelqu'un d'autre. Mais tu es mon premier et mon plus vieil ami, Méthane, et crois-moi lorsque je t'assure que ce n'est pas rien.
-Je te remercie. »

Et Moriarty s'en alla. Et Méthane resta seul, à réfléchir, dans ses appartements, après avoir eu avec Moriarty la discussion qu'il rêvait d'avoir depuis des années. Il se sentait étrangement bien, pendant que Moriarty partait de nouveau, répandant sans le vouloir le froid et la peur dans les rues d'Acité. Alors, Méthane regardait la lune, haute dans le ciel.

« Oui, je te souhaite qu'Ecella revienne, Moriarty. Car si je ne peux être à tes côtés, et s'il n'y a que toi qui peux donner du sens à ta vie, je pense qu'elle est la seule personne capable de te faire ressentir du bonheur. Et cela, tu en as besoin depuis tellement longtemps... »