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Effacé de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 17/01/2019 à 10:16
» Dernière mise à jour le 17/01/2019 à 10:16

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 27 : Suivre ses souvenirs
« Il est toujours plus plaisant de suivre que de guider. » Michel de Montaigne.



***


— Vous pouvez soigner ce pokémon ? demanda Ève en esquissant un sourire poli.

Elle tendait la pokéball de Frison à l’une des femmes qui s’était improvisée infirmière dans la cité des toiles. Celle-là même qui avait veillé à ce que Lyco et Bakrom soient guéris par les trois nanméouïes du campement.

La femme, en train de ranger des boîtes pleines de médicaments, se leva. Elles étaient dans un des cabanons tout en longueur qui étaient fabriqués dans le centre de la cité des toiles, et qui servait d’infirmerie. Des lits de camp aux matelas miteux s’alignaient contre le mur jusqu’au fond, où siégeait une vieille machine de soins rouillée et une armoire d’un vert terne.

— Oui, bien sûr. J’ignorais que vous en aviez un.
— On préfère ne pas le répéter à tout le monde.

L’infirmière hocha la tête, compréhensive. Ève avait plutôt confiance en cette femme. De son âge, même pas la trentaine en tout cas, elle avait des cheveux longs et bruns, un peu embroussaillés. Son teint hâlé et ses yeux d’un vert vif la rendait immédiatement reconnaissable. Elle avait des cernes sous les yeux, et était plutôt mince ; signe que même en étant là, au cœur d’une cité de survivants, les conditions de vie n’étaient pas incroyables.

L’infirmière saisit la capsule — ignorant sans doute qu’Ève avait dissimulé celle de Petite Dent dans son sac à dos — et s’éloigna au fond de la pièce, avant de pianoter sur les touches de la machine de soins, qui s’alluma en ronronnant. Ève la suivit lentement, remarquant le blessé au bras cassé qui dormait dans l’un des lits. L’infirmière inséra la pokéball dans un creux prévu à cet effet et appuya sur un bouton. Des lumières se mirent à clignoter en rythme, comme un battement de cœur. Un écran abimé et rayé diffusait des informations. L’infirmière les lut à voix haute :

— Un Frison. Il a des griffures plutôt profondes sur le flanc droit, et les nerfs d’une de ses pattes ont été touchés.
— C’est grave, donc ?
— Oui. Mais cette machine a beau dater du siècle dernier, elle est dotée d’une batterie presque inépuisable, et elle a de la ressource. Il suffira d’attendre une heure ou deux, et ça devrait aller. Vous voulez que j'envoie quelqu'un vous prévenir quand il sera remis ?
— Je ne préfère pas… souffla Ève. Ce serait bête de se le faire voler à cause d’un intermédiaire.

L’infirmière acquiesça et reporta son regard sur l’écran.

— Je comprends. Restez, si ça vous arrange. Je dois aller à l’autre bout de la cité pour distribuer des médicaments aux orphelins des tentes du nord. J’ai mis une alarme pour signaler la fin du soin. Vous n’aurez qu’à récupérer la capsule à ce moment et appuyer sur le bouton rouge. Juste ici.
— Très bien, merci.

L’infirmière s’éloigna en récupérant une grosse boîte et sortit du cabanon ; Ève fut tentée de lui demander son nom, mais elle se ravisa. Ils ne resteraient pas longtemps ici, ça ne servait à rien de créer des liens.

La jeune femme s’assit sur un lit de camp en soupirant, tandis que la machine continuait son travail. Le ronflement du blessé à quelques lits de là résonna, et Ève souffla de plus belle. Attendre une heure, sans rien faire, elle détestait ça.

Elle comprit soudain ce que pouvait bien penser Lyco, à devoir attendre encore une journée entière ici.



***


Lorsque Karyl s’éveilla, il comprit son erreur.

Il faisait nuit. Il avait perdu une journée entière ! Une journée qu’il aurait pu consacrer à la recherche de l’Effacé. Pourquoi s’être endormi aussi soudainement ? Il était vraiment si épuisé que ça ?

Il ne constata aucun changement à son bras ; ça fourmillait, ça grattait. Dans la pénombre, impossible de dire si sa peau était toujours brune-verte à cet endroit, mais au toucher, le contact était chaud et un peu humide. Dérangeant, à vrai dire.

Karyl marmonna des insanités et se redressa en s’étirant. Le problème qu’il remarquait de plus en plus avec ses pouvoirs de Mutant – en grande partie issus de pokémons de Type Roche – c’était son manque de souplesse. Il avait gagné en résistance, pris un peu de poids, mais avait perdu son agilité. Il était rapide, certes, mais il devait régulièrement s’étirer pour ne pas avoir l’impression d’être une statue rigide. Sa peau, bien que d’apparence normale, était légèrement rugueuse par endroits. Il continuait de changer. Il craignait de ressembler à un monstre plus que tout.

Une fois sa mission terminée, il aurait à s’expliquer avec Molch à ce sujet. On ne lui avait pas dit qu’il allait changer physiquement à ce point ! Il n’avait pas signé pour ça…

Karyl reprit donc la route, sachant vaguement où était le nord grâce aux étoiles visibles entre les nuages. Le vent s’était calmé, mais il faisait très froid. Du moins, c’était ce que supposait Karyl en voyant des nuages de buée se former à chacune de ses expirations. Il ressentait mal la température.

Il trébucha plusieurs fois dans des craquelures, et se résigna à contourner des pentes qui lui paraissaient trop fatigantes. Il n’allait peut-être pas très vite, mais il se savait assez endurant pour rattraper son retard. Il n’avait qu’à se contenter de petites siestes parfois, et marcher le reste du temps.

Il entendit le lointain hurlement d’une meute de grahyénas. Il se figea, mais entendit d’autres aboiements en réponse. Des démolosses, peut-être ? Deux meutes qui s’affrontaient ? Le son semblait venir de loin, toutefois. Inutile de trop s’inquiéter.

Karyl reprit sa marche, un peu plus soucieux que d’ordinaire.

Il commençait à se demander si devenir un Mutant avait été une si bonne idée que ça.



***


— Alors, il gère ? demanda Ève, curieuse.
— Il s’améliore assez vite.

La réponse de Bakrom, succincte et un peu amère, arracha un sourire narquois à la jeune femme.

— Si peu ? Je vois que tu es déçu.
— ... oui, je l’avoue. J’ai hâte qu’il récupère ses souvenirs. S’il pouvait se rappeler de la façon dont il se battait, ça nous arrangerait tous.
— Ça te fait bizarre d’être plus fort que lui, alors qu’il t’a tout appris ?
— Oui… mais surtout… c’est son caractère.
— Ah, ça, c’est sûr qu’il a changé. C’est ce qui me choquait le plus au début. Mais je me suis habitué à son air naïf et ses questions curieuses ! Il est plus chaleureux comme ça, quand même. Et puis c’est drôle, non ?

Ève jeta un coup d’œil vers l’extérieur de la tente ; le feu faiblissait. Mais l’éclat de la pleine lune permettait d’y voir très clair. Des voix retentissaient non loin, ainsi que quelques rires. Une odeur de viande brûlée flottait dans l’air ; c’était toujours mieux que cette odeur répugnante qui empuantissait les environs, à cause de leurs voisins mal lavés.

On entendait, comme toujours, les drapeaux claquer au vent, les tissus des tentes bruisser, et le lointain chant nocturne d’un pokémon. Ève referma la tente en frissonnant à cause de l’air frais, et se remit à jongler avec la pokéball de Frison.

— Tu ne sors pas Petite Dent ? demanda Bakrom. Si on fermait la tente, il n’irait pas se perdre.
— Ouais, c’est ça, pour qu’il pisse partout à l’intérieur ! répliqua la jeune femme.

Elle se tut, immobilisa sa main qui jonglait distraitement et tendit l’oreille, croyant avoir entendu un éclat de voix au dehors. Elle se redressa un peu et passa ses doigts dans ses mèches blondes et emmêlées.

— Ces négociations sont drôlement longues… lâcha-t-elle. Je me demande si Darren va être assez convaincant.

Le colosse était parti voir les chefs du camp, dans l’espoir de récupérer ou de louer une arme à feu supplémentaire. Il était censé leur annoncer qu’ils allaient quitter la cité des toiles, et une arme de plus pourrait leur être bien utile. Sans compter qu’ils n’avaient pas beaucoup de munitions et qu’ils avaient surtout des armes de petit calibre ; guère utile face à des créatures sauvages et affamées.

— On va vraiment partir de nuit ? s’étonna Bakrom. L’ermite devrait dormir, non ?
— Qu’est-ce qu’on s’en fiche, de réveiller un vieux taré ! rétorqua Ève. Ce qu’on va lui demander est plus important que son petit confort personnel. On nous a dit qu’il arrêtait sa méditation au lever de la pleine lune. Donc au pire il n’a pas fini et on attend l’aube, au mieux on le réveille, et…
— Son Xatu pourrait nous attaquer.
— … pas faux. Mais on n’a pas trop le choix. Faudra juste faire gaffe.

Des bruits de pas et des voix bien connues se firent entendre. Soudain, le pan de toile à l’entrée de la tente fut écarté par la main calleuse de Darren, qui se pencha dans l’ouverture :

— J’ai réussi à dégoter un vieux pistolet à six coups. Pas terrible, mais ils sont durs d’oreille, leurs chefs. Et plutôt méfiants.
— Du coup, on part tout de suite ? questionna Bakrom.
— Oui. Sortez les sacs. Lyco, éteins le feu.

Le garçon, resté dehors, répondit positivement. Les quatre compagnons de route se dépêchèrent de rassembler leurs affaires, enfournant dans leurs sacs des provisions supplémentaires et le petit pistolet qu’avait négocié Darren. Ils quittèrent leur abri provisoire et ne mirent qu’une dizaine de minutes à quitter les tentes oppressantes de la cité des toiles.

Ils passèrent devant des guetteurs qui leur firent des signes de la main ; l’un d’eux leur souhaita bonne route et leur indiqua de se méfier des sévipers et arboks qui sévissaient au nord, dans les ravines. Darren répondit courtoisement et le groupe s’éloigna sans un regard en arrière.

Lyco marchait vite, plus que d’habitude. Les autres notèrent son empressement et s’autorisèrent à augmenter la cadence ; il allait suffire d’une toute petite heure pour rejoindre l’ermite, s’ils ne se perdaient pas en chemin.

Dans une heure, Lyco récupérerait ses souvenirs. Peut-être.



***


La lune les éclairait suffisamment pour ne pas perdre le sentier de vue.

Sentier, qui, contrairement à la route qui avait mené à la cité des toiles, s’amusait à serpenter, monter, descendre, tourner et se retourner, se faufilant entre les éboulis, surmontant parfois une crevasse profonde de plusieurs mètres, avant de longer un ruisseau au débit si faible qu’il en était presque silencieux, sans jamais cesser de surprendre les voyageurs obligés de perdre du temps en détours inutiles.

L’heure était déjà écoulée ; la falaise de l’ermite risquait d’apparaître à tout moment, et chacun ouvrait l’œil avec attention. Ils n’avaient croisé personne, seulement un feuforêve timide, qui, effrayé par leur présence, avait tôt fait de disparaître dans une grotte à flanc de canyon.

Alors que le chemin passait sous une arche de pierre naturelle, recouverte de plantes grimpantes, un virage à angle droit força les quatre compagnons à bifurquer sur la droite. Ici, une pente se dressait devant eux. Sans ralentir, Lyco l’emprunta, les autres lui emboîtant le pas avec un peu moins d’entrain.

Le haut de la montée les fit parvenir au sommet d’un à-pic magnifique, au-delà duquel s’étendait des plaines sèches baignées dans la pénombre, et, au loin, une surface miroitante.

Lyco se figea, bouche bée.

— C’est…
— … la mer, je suppose, termina Ève avec émerveillement.
— On doit être arrivés, donc, lâcha Darren, essoufflé.

Même s’il ne le montrait pas, voir l’océan au loin, brillant au clair de lune, le rendait admiratif. Il avait beau avoir voyagé dans cette région autrefois, il n’était jamais allé plus au nord que la cité des toiles, et la mer n’avait toujours été pour lui qu’un mystère qu’il ne verrait jamais de ses propres yeux.

En réalité, ce n’était rien de plus qu’un grand lac… même s’il ne l’avait pas imaginé vaste à ce point. Et ils n’en voyaient pas le bout, nulle part. Bakrom regarda le paysage en silence, les yeux brillants.

Puis, soudain, un toussotement sur leur droite les fit tous sursauter.

Là, dans l’ombre d’un grand rocher à la base légèrement creusée, un vieil homme était installé sur une simple planche en bois posée sur deux pierres taillées, de forme cubique. Appuyé sur une canne à l’air fragile, il les regardait avec une lueur de surprise et de curiosité dans les yeux.

Darren nota la présence de quelques vêtements et couvertures entassées près du banc de fortune, et aussi d’un paravent qui avait étendu son ombre sur l’ermite, le cachant un peu à leur vue. Une bassine d’eau trônait à l’écart, ainsi que les braises d’un feu éteint moins d’une heure plus tôt.

— Je devine que vous êtes venus pour moi, voyageurs ?

L’ermite n’avait rien d’impressionnant ; âgé, incroyablement ridé, il se tenait courbé, presque bossu. Il était borgne ; son œil droit était un trou béant qu’une cicatrice traversait de haut en bas, vestige d’une vieille blessure. Son autre œil, empli d’une lueur de malice, les dévisageait avec un intérêt non feint.

— En effet, répondit Darren après un temps d’hésitation. Nous avons besoin de votre aide.
— Les visiteurs viennent rarement pour me tenir compagnie, grommela le vieil homme.

Il désigna le sol, devant lui :

— Je vous en prie, asseyez-vous. Ce n’est pas le grand luxe, je ne peux pas vous offrir de chaise, j’en suis navré. Et mon pauvre dos ne supporterait pas que je m’assoie par terre avec vous.
— Ce n’est rien, répondit Ève en souriant.
— Xatu, rallume le feu, que je vois mieux nos invités.

Les flammes se ravivèrent soudain d’elle-même, faisant sursauter une fois de plus les quatre compagnons. Un coup d’œil en l’air leur suffit à voir que le pokémon les dominait, perché sur le rocher à plus de trois mètres de là.

L’oiseau, immobile et d’un vert sombre dans la pénombre, dardait sur eux deux yeux mordorés et vigilants. Son bec recourbé et ses ailes écartées le rendaient assez impressionnant, et une aura intimidante se dégageait de lui. Comme l’ermite ne semblait pas avoir d’arme, le pokémon devait être habitué à combattre. Mieux valais se montrer courtois.

— Alors, qu’est-ce qui amène des voyageurs tels que vous ici ?

Le feu éclairait son visage creusé, y dessinant des ombres agitées, et donnant l’impression que sa peau parcheminée pouvait s’effriter au moindre contact. Ses sourcils froncés et ses traits durs le faisaient ressembler à une statue de pierre taillée. Pas de doute, cet homme était resté loin de toute civilisation pendant longtemps. Il avait certainement vécu plus de choses que n’importe lequel d’entre eux.

Darren, qui s’assit en tailleur face à l’ermite en faisant preuve de peu de souplesse, se lança :

— Il se trouve que ça fait presque deux semaines que nous sommes à votre recherche ; Lyco, ce garçon, a été effacé par Mervald. Il a perdu tous ses souv…
— Je sais ce qu’est un Effacé, oui, l’interrompit l’ermite.
— Que… s’étonna Lyco. Je croyais que les Effacés n’étaient connus que dans Méranéa.
— Oh que non, mon garçon, détrompe-toi. Il y a plus d’Effacés qu’on le pense en liberté. Et Mervald ne les a pas créés, loin de là. Les…

L’ermite hésita une seconde, puis reprit d’un air presque conspirateur :

— Les sérums, ses expériences sur le virus de la Némélia… datent du siècle dernier. De la guerre qui a ravagé ce monde. Il n’a fait que récupérer ce qui était récupérable, améliorer les choses comme il le pouvait, avant de s’en attribuer tous les mérites. C’est facile de gouverner un pays, quand il n’y a plus personne pour se souvenir de son passé. Mervald n’est pas un scientifique ni un précurseur. Simplement un profiteur des vestiges de l’avant-guerre.

Un bref silence retomba, seulement interrompu par de lointains bruits d’Insectes.

— Pratique, d’avoir un Xatu doté de pouvoirs de vision, n’est-ce pas ? sourit l’ermite. J’en sais beaucoup sur ce monde que d’aucuns ignorent ou n’osent imaginer.

N’attendant aucune réponse de la part de ses quatre invités trop surpris pour trouver leurs mots, il soupira.

— Tu veux récupérer tes souvenirs, je suppose ?
— Oui, répondit Lyco. C’est possible ?
— Bien sûr. Mais c’est parfois douloureux… et tu ne retrouveras pas l’intégralité de ta mémoire. Les souvenirs les plus vivaces, les plus marquants, seront les premiers à te revenir. Ton enfance restera certainement très floue… et tu risques d’avoir du mal à replacer tes souvenirs chronologiquement. En fait, cela dépend des Effacés. J’ai connu des cas très différents les uns des autres.

Un silence stupéfait lui répondit, troublé uniquement par le craquement du feu.

— Vous avez déjà permis à des Effacés de retrouver la mémoire ? demanda subitement Darren.
— Oui, quelques fois. La dernière remonte à loin. Plus de cinq ans, je dirais.

L’ermite leva les yeux au ciel :

— Xatu, descends ici.

Le pokémon s’exécuta sans un bruit ; il se laissa tomber avec lenteur, sans se soucier de la gravité, juste à côté du vieillard. Il n’était pas si grand que ça, vu de près, mais Lyco put mieux voir la beauté de la palette des couleurs qui formaient de jolis symboles sur son corps. L’oiseau rabattit ses ailes, cela lui conférant soudain un air plus sage et attentif.

— Tu sais ce qu’il te reste à faire, Xatu ? Ce petit veut retrouver la mémoire. Débloque-la.
— Attendez ! intervînt Ève avec brutalité. Vous ne demandez rien en échange ?
— Et de quoi aurai-je besoin ?
— Je ne sais pas… des armes, de l’eau, de la nourriture… des vêtements ?
— Inutile. Xatu chasse pour moi et il y a une source d’eau, juste derrière ce rocher. Les vêtements, je les fabrique moi-même, et j’ai déjà un stock conséquent de peaux et de fourrures. De toute façon, je n’agis plus par intérêt, moi.

La remarque, qui pouvait s’apparenter à un reproche, refroidit un peu Ève qui préféra garder le silence plutôt que d’agacer le vieil homme ; il aurait été bête qu’il refuse de les aider après coup.

— Bon, mon garçon… ferme les yeux. Tu vas avoir d’étranges sensations, mais c’est normal. L’esprit de Xatu va te sonder de l’intérieur, en quelque sorte. C’est dérangeant, effrayant, mais ne panique pas et laisse-le faire, surtout. Ne le bloque pas, ça rendrait les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà. Il a beau être puissant, même pour lui, c’est compliqué.
— Je… je vois.

Il avait visiblement peur de n’avoir pas tout compris, et les autres ne paraissaient pas plus rassurés. Mais l’ermite ne s’en soucia pas et fit un signe de menton vers Xatu. Le pokémon se tourna vers Lyco, écarta très légèrement ses magnifiques ailes… et un bref flash lumineux jaillit de son corps pour se figer devant le front du jeune homme.

La bille lumineuse en suspension resta immobile une ou deux secondes, puis disparut dans le front de Lyco.



***


Il eut la sensation soudaine de tomber dans le vide. Lyco savait pourtant qu’il était toujours assis par terre ; il sentait son corps, ses muscles raides, son souffle frais. Il sentait encore l’odeur du feu. Mais il percevait aussi plein d’autres choses étranges. Comme s’il était à deux endroits à la fois.

La sensation de chute s’arrêta. Il eut l’impression qu’une aiguille ou une lame acérée raclait contre son front. Il lâcha un grognement de douleur ; elle était bien réelle.

Se rappelant qu’il fallait laisser Xatu agir, il essaya de se détendre un peu. La lame se fit moins acérée, et soudain une immense chaleur l’envahit. Une chaleur difficile à décrire, comme douée de vie ; agitée, rude… mais dont Lyco pressentait qu’elle n’était pas pourvue de mauvaises intentions. En fait, ce n’était pas que de la chaleur, plutôt… une présence. Une présence puissante.

Soudain, une douleur sourde se répandit dans sa tête, et ses tympans vibrèrent. Il ne put se retenir de lâcher cri. Il se sentit vaciller, une main lui attrapa l’épaule pour l’empêcher de tomber, des voix lui parlèrent, mais il n’écoutait plus, ne regardait plus.

Entièrement concentré sur cette présence en lui qui semblait l’attirer dans les méandres de ses pensées, il ne pouvait plus retourner auprès du feu de camp…


Suis-moi…

Une voix, limpide, résonna. Lyco se calma soudainement. Impossible de dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme, tant elle était déformée… mais elle était douce, agréable. C’était certainement Xatu.

Lyco était maintenant sur un chemin obscur. Une silhouette lumineuse, vague, lui permettait de distinguer une route. Une route grise qui lui paraissait familière, sans qu’il ne sache pourquoi.


Suis-moi… Plus loin…

Il emboîta le pas à la silhouette de lumière. Il se rendit compte alors qu’il n’avait pas de jambes. Il flottait dans le néant ; comme un spectre. La sensation le rendit euphorique, bizarrement. Que c’était bon, de se sentir si léger, si libre ! Un corps, c’était si encombrant que ça ?

Soudain, des formes apparurent de chaque côté de la route, s’éclairant, se précisant peu à peu.

Le garçon aperçut une sorte de champ où poussait de hautes tiges. Des tiges de… oui, de maïs. Une chose qu’il avait oublié, et qui pourtant coulait de source dans sa mémoire.

Des gens étaient penchés, en train de creuser le sol, de s’occuper des plantations. Au loin, un fouet claqua, et un ricanement lui titilla l’esprit… qu’est-ce que c’était, déjà ? Cet endroit…

…soudain, tout se mit à brûler. Des coups de feu retentirent, des appels à l’aide, des cris.

— Lyco, qu’est-ce que tu as fait ?
— Espèce d’enfoiré ! Traître !

Les voix, il les reconnut aussitôt. La première était celle d’Ève, la seconde celle de Boralf. Ces paroles… étaient celles qu’il lui arrivait d’entendre dans ses rêves, parfois. Des rêves brouillés, qu’il avait pris pour de simples cauchemars et dont les détails ne s’étaient jamais gravés dans son esprit au réveil. Pas de manière aussi nette, en tout cas.

Les visions s’éteignirent. La silhouette lumineuse, pleine de chaleur, se tourna vers Lyco. Il parvint à discerner le bec de Xatu dans l’amas lumineux. Deux yeux bienveillants le fixèrent avec insistance.


Suis-moi… Plus loin…