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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 10/01/2019 à 10:39
» Dernière mise à jour le 04/04/2019 à 14:33

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 26 : La cité des toiles
« Celui qui oublie ses racines n’atteint jamais sa destination. » Proverbe Philippin.


***


L’aube fragmentait la lumière en de multiples rayons aveuglants, quasiment horizontaux, qui semblaient presque sculpter les ombres des hautes herbes couvertes de rosée. Ève, les yeux cernés et les jambes légèrement tremblantes, suivait le rythme avec très peu d’entrain.

— Cette route n’était pas là la dernière fois, constata Darren.

Lui aussi était fatigué, et c’était bien normal. Par crainte de s’endormir, il avait refusé de prendre la moindre pause dans la nuit. Tirer Lyco derrière lui pendant tout ce temps, à l’aide du brancard, relevait de l’exploit. Ils n’avaient pas avancé très vite, oui, et il ne pesait pas si lourd, mais tout de même. Ève n’aurait jamais trouvé la volonté d’aller si loin, si longtemps, avec un tel fardeau.

Bakrom ne cachait pas sa fatigue non plus. Lui qui d’ordinaire ne montrait pas de signe de faiblesse… c’était assez étrange de le voir dans cet état. Il semblait tout de suite plus fragile que lorsqu’il combattait, épée en main.

La blessure au cou de Darren ne saignait plus ; il était en passe d’être guéri, et ça ne le gênait pas. Ève n’avait par chance rien récolté, donc les seuls à être véritablement en danger en cas d’attaque étaient Lyco et Bakrom. Ce dernier cumulait les lacérations et les bandages. Rien de profond, heureusement. Quant à Lyco… son hémorragie continuait. Sa cheville était seulement foulée, mais sa plaie qui partait de l’épaule jusqu’à son bras semblait s’acharner à ôter toute vie de son corps.

Les bandages n’y changeaient pas grand-chose, ralentissant seulement un peu le processus. Personne n’en parlait, mais en avait conscience : Lyco ne pourrait pas tenir le coup jusqu’au soir sans trouver des soins.

Ève se serait bien proposée pour partir en éclaireur, et amener de l’aide de l’hypothétique cité de toiles… mais elle risquait de se perdre, de faire face à des ennemis trop nombreux, ou simplement de tomber de fatigue avant d’apercevoir le moindre espoir à l’horizon.

La jeune femme trébucha sur des pavés. Elle les regarda avec étonnement. Oui, cette route n’était pas là la dernière fois. C’était bien le signe que des gens vivaient pas loin, non ? La cité des toiles aurait réellement changé de visage ?

— C’est l’ermite qu’on est venu chercher, rappela Ève, anxieuse. Si la cité a grandi… vous pensez qu’il sera resté là ? Alors qu’il cherche la solitude ?

Un silence lui répondit. Darren s’assombrit, haussa les épaules et continua sa route. Ève décida de l’aider en soulevant l’arrière du brancard ; le pauvre Lyco était secoué par les pavés depuis plus d’une minute.

Ils continuèrent sur cette route, emplis de crainte et d’espoir.



***


— Il respire ?
— À peine, répondit Darren.

Le colosse se redressa en maugréant. Il souffla et passa la main sur son front en sueur. Il essayait de ne pas trop chanceler, conservant une part de sa fierté guerrière. Même si, au fond, il était au bord de l’épuisement.

Ils avaient fait quelques pauses, mais il n’avait pas été question de s’arrêter plus de cinq minutes. Le soleil était au plus haut, et la température montait malgré le vent frais qui balayait les collines recouvertes de grandes herbes jaunes.

Bakrom, assis en tailleur sur les pavés, peinait lui aussi à garder les yeux ouverts. Darren le regarda avec inquiétude :

— Tu as assez de forces pour nous suivre ?
— Oui, répondit le garçon en se relevant péniblement.
— On dirait pas, répliqua Ève, à la fois amusée et anxieuse.
— Je vais bien. Faut sauver Lyco, de toute façon.
— La cité des toiles ne devrait pas être très loin. Je ne reconnais pas grand-chose, mais il me semble que le plateau était situé près de ces collines.

Darren acheva sa phrase en soulevant un côté du brancard. Ève prit l’arrière et hocha la tête avec un entrain qu’elle espéra convaincant :

— De toute façon, on n’a qu’à suivre cette route.
— Bizarre qu’on n’ait croisé personne, murmura Bakrom.

Les autres l’entendirent mais ne relevèrent pas. C’était anormal, et chacun d’eux l’avait déjà remarqué. Mais c’était déjà assez dur comme ça, donc ils préféraient mettre cette obscure idée de côté. Le découragement n’était pas bien loin, à les titiller.

Ils avancèrent, aussi vite que le leur permettaient leurs muscles fatigués et le poids de Lyco, toujours inconscient. La route avait le mérite de ne pas faire beaucoup de virages ; elle allait tout droit, se contentant de serpenter très légèrement au pied des collines, pour éviter les pentes trop raides. Malgré tout, Ève sentait qu’ils montaient. Petit à petit, le terrain se faisait plus accidenté, le vent se renforçait.

Chaque pas était plus dur que le précédent.

Il suffisait d’un regard en arrière, entre les collines, pour apercevoir, au loin, dans le flou de l’horizon, la scission entre les plaines arides et le début du Vallon du Silence. L’ocre poussiéreux laissait la place à un jaune-vert plus terne, comme une frontière séparant deux mondes différents. Deux mondes qui se battaient pour conserver leur territoire.

Avec ses bras en compote, Ève lâcha plusieurs fois le brancard de fatigue ; le pauvre Lyco était bien secoué, mais ne se réveillait même pas. Sa blessure saignait moins, mais ses vêtements étaient imbibés de sang, sans parler de son teint pâle, presque cadavérique.

— Foutu carmaches, grogna Ève en se penchant pour récupérer le brancard après une énième chute.

Bakrom l’arrêta en posant une main sur son épaule :

— Laisse, je prends la relève.
— T’es blessé, j’te signale.
— C’est rien.

Bakrom souleva le brancard et ils reprirent leur marche, Ève grommelant un remerciement. Darren ne pipait mot, le regard fixé devant lui. On aurait dit qu’il voulait désintégrer les éléments de décor pour apercevoir la cité des toiles, quelque part au loin, devant eux ; Ève l’imagina un instant avec des lasers lui sortant des yeux, et se demanda si c’était possible en lui confiant les pouvoirs d’un Mutant.

La pente se faisait plus raide, le vent forcissait encore. Ève avait l’impression d’avancer dans les dunes du Désert de la Désolation ; comme si le sol faisait tout pour rendre ses pas plus difficiles, pour la faire redescendre de là où elle venait. S’arracher à la gravité devenait un véritable calvaire.

Le brancard vacillait entre les mains de Darren et Bakrom ; ils craignaient que celui-ci ne tombe et ne glisse en bas de la colline malgré le sol irrégulier. Mais ils tinrent bon, s’approchant de plus en plus du sommet.

Sommet bien plus vertigineux qu’il n’y paraissait. Ève n’eut qu’à embrasser l’horizon des yeux pour se rendre compte que cette colline dépassait toutes les autres. Elle continua d’avancer aussi mécaniquement que le souhaitaient ses jambes, et se figea de surprise quand ils parvinrent en haut.

Le plateau. Ils y étaient enfin.

Une vaste plaine terreuse, couverte de roches et de quelques bosquets touffus, agités par une douce brise qui apportait une odeur légèrement salée. Et surtout…

À perte de vue, des tentes, des cabanons surmontés de drapeaux blancs, et des êtres humains qui s’agitaient au loin.

La cité des toiles existait encore.



***


Leur arrivée provoqua une belle agitation.

D’abord pris pour des ennemis par des sentinelles bien trop nerveuses, ils avaient finalement été pris en charge par deux femmes qui avaient accouru en voyant le brancard. Ici, rien n’était comme dans les Forêts de l’Est ; pas de négociations froides, d’insultes proférées ou d’assassins cachés prêts à leur sauter dessus. Non, ici, les gens les accueillirent avec curiosité et sympathie — pour la plupart —, leur offrant un peu d’eau et de quoi manger auprès d’un feu.

Rapidement, on leur expliqua pourquoi les routes étaient désertes : des bandits avaient essayé de les attaquer, à plusieurs reprises, la semaine précédente, les forçant à se replier pour se défendre. D’où la méfiance à leur arrivée.

Lyco et Bakrom furent emmenés dans une tente d’une couleur blanc cassé ; elles étaient visibles de loin et semblaient spécialement conçues pour soigner les malades et blessés. D’après ce qu’on leur dit, plusieurs pokémons dotés de pouvoir de guérison étaient dans le campement. Les soins pouvaient être prodigués, même si ça n’allait peut-être pas être instantané. Les blessures de Lyco étaient graves, après tout.

Ève et Darren n’eurent même pas le temps de faire connaissance ou de retenir des noms. On leur demandait s’ils avaient rencontré des bandits, des soldats ; l’interrogatoire improvisé s’enchaînait aussitôt après sur la présence ou non d’un groupe de triopikeurs destructeurs au sud, et sur celle des buissons à baies framby, qui disparaissaient peu à peu. Quelques questions impertinentes fusèrent, mais furent éventés par le regard foudroyant de Darren.

Outre cela, Ève se sentait au cœur de l’attention. On lui indiqua une tente où aller dormir. Darren insista pour l’y suivre. Il restait méfiant et devait veiller sur leurs affaires dans le cas où certains voudraient les voler.

La cité des toiles tenait plus du bidonville ou du refuge que d’une véritable ville. En soi, pas grand-chose ne le différenciait d’un quartier pauvre d’une cité de Mervald. Tentes, cabanons, routes mal entretenues, tourelles de bois branlantes, drapeaux blancs flottant au vent, débris et montagnes de déchêts en tout genre… on aurait dit un débarras dans lequel les gens s’entassaient pour survivre le plus loin possible des terres du gouverneur.

L’endroit s’était étendu, mais pas tant que ça. Il y avait pas mal de petits pokémons de compagnie, et des enfants. Des enfants amaigris, aux visages émaciés. D’après ce qu’Ève comprit, la cité des toiles comptaient encore et toujours sur leurs chasseurs pour récupérer du gibier. Quelqu’un annonça l’envoi d’éclaireurs pour aller voir cette meute de carmaches ; peut-être pourraient-ils récupérer quelque chose d’utile, avec leur cuir ou leurs crocs. Ou simplement un peu de viande.

Ève partit s’endormir dans la tente, tandis que Darren restait bien éveillé, assis en tailleur devant sa porte de tissu. Des gens lui posèrent d’autres questions, parfois très insistants, mais devant le colosse, ils ne tardèrent pas à abandonner. Finalement, le pillard comprit bien que ces gens voulaient des indications sur ce que contenaient leurs différents sacs. Il prit soin de tenir son arme bien en évidence et de rester les yeux grands ouverts : cela suffit à refroidir la majorité d’entre eux.

Hors de question de leur parler de Frison, des pistolets et couteaux, ni des quelques maigres vivres qui s’y trouvaient encore. Encore moins de la pokéball de Petite Dent, le medhyéna qu'Ève n'avait pas sorti depuis plusieurs jours pour rester discret ; et à raison car il avait toujours une fâcheuse tendance à s'éloigner quand ils avaient le dos tourné.

Darren avait aussi à ses côtés les épées de Bakrom et Lyco, et gardait sa petite hache à la main.

Il allait rester pleinement réveillé jusqu’au retour de Bakrom, et attendrait d’être sûr de la santé de Lyco avant de fermer l’œil. Il en allait de sa réputation de chef du groupe. Hors de question de baisser sa garde dans un endroit aussi bondé.



***


— Ça y est, c’est bon ?

Lyco hocha la tête d’un air gêné.

— Désolé de vous avoir ralenti comme ça…

Darren secoua la tête et invita le garçon à s’asseoir près du feu, juste devant les tentes. Le colosse grommela :

— Pas ta faute.
— Alors tu es totalement soigné, là ? Fais voir ton bras, un peu, demanda Ève.

Le garçon releva sa manche. Une cicatrice à peine visible courait sur son bras, et disparaissait sous ses vêtements pour remonter vers l’épaule. Il s’assit devant les flammes et haussa les épaules :

— Il y avait trois pokémons qui s’occupaient de moi. Ils lançaient des espèces… d’ondes roses. Mais apparemment, je vais garder une cicatrice. Par contre…

Lyco hésita, puis voyant le regard interrogateur d’Ève et Darren, posa la question qui lui brûlait les lèvres :

— Je suis vraiment resté dans cette infirmerie deux jours entiers ?
— Oui, lança Ève en éclatant de rire. Tu as dormi presque tout le temps, pas vrai ?
— Presque, oui… j’ai l’impression d’y avoir passé seulement une heure ou deux. Pour moi, les carmaches, ça date d’hier, à peine.

Lyco regardait partout autour d’eux. Des hommes distribuaient des espèces de pain ronds trop cuits à d’autres, installés dans des tentes de grande taille. Une fumée odorante émanait des nombreux feux de camp installés aux alentours, et de grands drapeaux clairs flottaient au vent, attachés à des poteaux plantés irrégulièrement entre les cabanons.

— Je n’aurais jamais pensé qu’il y aurait autant de monde, s’émerveillait le garçon.

Darren fronça les sourcils :

— Méfie-toi. Ceux qui nous ont accueillis ont été généreux, à nous offrir de la nourriture et nous soigner, mais… j’ai dû assommer un visiteur la nuit dernière. Il avait cru pouvoir se faufiler dans la tente pendant mon sommeil pour voler nos sacs. Un jeune, en plus. Je crois qu’il a perdu une dent.
— Oui, ça a beau être un refuge contre Mervald et la chaleur du désert, cet endroit reste dangereux, renchérit Ève. Certains ne sont là que pour profiter du fait que la nourriture y soit accessible. Mais ils ont des problèmes pour l’eau, apparemment… et l’hygiène. Regarde les vêtements de nos voisins, à droite… Ils sont là depuis plus d’un an, et je crois qu’il n’ont pas changé d’habits depuis !

Ève gloussa, et Lyco nota du coin de l’œil que les haillons de leurs voisins de tentes, non seulement étaient déchiquetés, mais recouverts de taches sombres à l’origine douteuse. Une odeur dérangeante semblait presque émaner d’eux et de la pile de déchets divers qu’ils faisaient brûler.

— Au moins, l’endroit est protégé par quelques dresseurs, qui montent toujours la garde, les rassura Darren. Ils sont peut-être même les derniers dans le pays.
Et ils sont bien armés. Une vraie petite milice.

— Et l’ermite ? questionna Lyco abruptement.

Le jeune homme n’avait pas l’air de vouloir s’éterniser dans la cité des toiles ; ou alors était-il pressé de rejoindre l’ermite, difficile à dire. Peut-être un mélange des deux.

Les autres s’assombrirent. Même Bakrom, reste silencieux et impassible à l’entrée de sa tente, grimaça. Lyco s’inquiéta :

— Quoi, il n’est plus là ?
— Si, soupira Ève. Il vit au sommet d’une falaise, à une dizaine de kilomètres à l’ouest. Pas loin de la mer, d’après ce que j’ai entendu.
— Il y a la mer, pas loin ?
— Oui. Tu ne sens pas cet air marin, quand le vent tourne ?
— Si, mais je croyais que c’était à cause de tous ces feux, partout.
— Non, il y a l’océan, au nord. Ou en tout cas, une sorte de grande baie.
— Et pourquoi c’est un problème, de rejoindre l’ermite là-bas ?

Darren attisa les flammes en y ajoutant une bûche et en agitant les braises avec un bâton :

— Parce qu’il est dans une phase de méditation importante, un truc comme ça. Les fondateurs de la cité nous l’ont dit quand Ève est allée se renseigner auprès d’eux hier. Il ne faut pas le déranger avant la nuit de pleine lune, sinon son Xatu risque de nous attaquer à vue.
— La nuit de pleine lune ? C’est quand ?

Devant l’air impatient de Lyco, Ève haussa les sourcils.

— Dis donc, c’est que t’as l’air vraiment excité. Calme-toi, il nous faudra attendre deux jours de plus. Bakrom avait pensé t’entraîner lui-même, si ça te va, et si tu te sens en forme. Il faudrait que tu ne perdes pas trop tes réflexes si on devait encore tomber sur des carmaches. Apparemment, ils sont plutôt communs dans le coin…
— Ça me va…

« Deux jours, encore, songea Lyco avec amertume. Ça va être long… »



***


— Tu as de la force, et tu es rapide. Mais tu manques de technique.

Jamais Lyco n’avait entendu Bakrom parler autant.

Ils s’étaient éloignés de la cité des toiles pour se positionner à l’écart des tentes et de la route qui y menait ; abrités près d’un rocher recouvert de buissons épineux, ils portaient chacun une épée en main. Bakrom avait déjà commencé à s’entraîner avec Lyco.

Les étirements avaient déjà été douloureux, sans parler des nombreux et intensifs exercices visant à s’échauffer les muscles. Et les trois duels qui avaient suivis rendaient déjà Lyco essoufflé. Bakrom, lui, semblait à peine peiner.

— Je crois que j’ai gardé mes réflexes d’avant, mais pas grand-chose d’autre, expliqua Lyco avec gêne.
— Ça se voit, oui, hésita Bakrom. Et pourtant, il me semblait que tu étais différent dans l’Arène.
— Moi aussi… je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression d’avoir régressé…

Peut-être était-ce dû aux nombreuses blessures accumulées ces derniers temps : en fuyant l’Arène, par exemple, ou après l’attaque de la meute des
carchacroks… mais malgré tout, Lyco trouvait ça étrange. Il devait y avoir une autre raison derrière ça.

— Je vais t’apprendre des techniques simples pour l’instant, proposa Bakrom après un court silence. On va les répéter le plus souvent possible. Il faut que tu reprennes un bon niveau. Mais d’abord, reprends un peu ton souffle.

Bakrom attrapa une gourde posée au sol et la lui lança. Le gratifiant d’un remerciement, Lyco attrapa la gourde avant d’en vider le contenu d’une traite. C’était si éprouvant, comme exercice !

Alors que Bakrom s’adossait au rocher, pensif, Lyco lança :

— Comment ça se fait, que tu saches si bien te battre ? Qui t’a appris ?
— Un spécialiste.
— Oui, c’est ce que j’ai entendu. Mais qui est-il, exactement ?

Lyco sentait une gêne naître chez Bakrom. Il était rare de le voir mal à l’aise, et son air n’augurait rien de bon. Quoi, c’était si dur à avouer ?

— C’était… c’était toi, Lyco, lâcha-t-il d’un air dépité.
— … quoi ?

Lyco resta bouche bée, tentant d’assimiler l’information.

— J’ai été élevé par des bandits, reprit Bakrom. J’ai su manier les couteaux très jeune… mais c’est avec toi que je me suis vraiment perfectionné à l’épée.
— On s’est connus avant que je rejoigne le groupe des pillards ?
— Non, non. Mais on est rapidement devenus amis lorsque tu es arrivé. Et… tu étais incroyable, avec une épée ou un sabre entre les mains. Tu bougeais si vite. C’était à se demander si tu n’étais pas toi-même un Mutant avec des pouvoirs.

Lyco resta silencieux, songeur. Il était un peu déstabilisé d’avoir été une sorte de mentor pour Bakrom. Mais ça expliquait certaines choses chez lui ; sa tendance à éviter de lui parler d’habitude, et son envie soudaine de lui réapprendre à se battre. Lyco l’avait très certainement déçu, à être devenu seulement l’ombre du combattant de jadis.

— J’étais si doué que ça ? s’étonna Lyco.
— Je n’ai jamais vu personne gagner contre toi en duel, répondit Bakrom d’un air pensif. Et même si tu étais très secret, les rumeurs disaient que tu avais grandi comme chasseur, ou quelque chose comme ça... un milieu où il vaut mieux apprendre à manier l’épée très jeune.

Il marqua un silence, et reprit, plus bas :

— Tu voulais toujours mettre des bâtons dans les roues de Mervald. Tu attaquais des laboratoires, tu sabotais ses trafics d’armes… tu savais préparer des plans ingénieux avant d’attaquer.

Lyco lut l’admiration dans la voix de Bakrom ; il sembla s’en rendre compte et s’interrompit brièvement, avant de reprendre, en évitant le regard de son interlocuteur.

— Sans toi, notre groupe n’aurait pas été très loin. On a mis la main sur des choses qui nous ont aidé à survivre et à nous installer dans les Forêts de l’Est. Et… je suis l’un des seuls à penser que ta trahison… avait un sens.

Lyco ne trouva pas quoi dire, il préféra donc se taire. Bakrom semblait avoir besoin de parler, et il craignait de le déranger plus qu’autre chose en l’interrompant. En plus, qu’aurait-il pu dire ? Il avait oublié tout ça.

La trahison qui avait coûté la vie à des pillards, et causé l’emprisonnement des autres, ainsi que le sien… aurait un sens ?

— Tous les autres ne savent pas pourquoi tu as fait ça, continuait Bakrom en regardant obstinément le sol à ses pieds. Même moi, je ne comprends pas... mais je sais que tu ne nous aurais pas trahi. Si tu as fait ça, c’était forcément pour une bonne raison. Tu ne savais peut-être même pas que ça ferait autant de dégâts, d’ailleurs.

Bakrom le regarda enfin, et ce fut Lyco qui détourna les yeux :

— Je suis désolé. J’aimerais te dire pourquoi, mais… j’ai l’impression que tu parles de quelqu’un d’autre. J’aimerais me souvenir…
— Je sais, Lyco. De toute façon, on est là pour que tu retrouves la mémoire. Et si on reprenait l’entraînement ? Un duel rapide, pour commencer. Après je te montrerai des mouvements.

Lyco saisit son épée et se mit en garde haute, comme le lui avait appris le garçon. L’entraînement reprit, plus intensif et acharné encore.