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Effacé de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 13/12/2018 à 11:29
» Dernière mise à jour le 04/04/2019 à 14:31

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 18 : Ce qu'est devenu le monde
« L'enfer, c'est d'avoir perdu l'espoir. » Archibald Joseph Cronin.


***


Ils s’enfoncèrent dans la forêt en silence.

Lyco eut aussitôt l’impression de redécouvrir le monde. Un trop-plein de sensations fit fourmiller son esprit et titilla ses sens. Tout semblait familier… et c’était assez rassurant.

L’odeur douce et sucrée des végétaux, la fraîcheur de l’ombre des arbres, le bruissement des feuilles, les lointains cris d’insectes. Il sentait que son esprit se souvenait, soudain, de toutes ces choses si simples qu’il avait oublié. Ces choses qui, dans l’Arène, n’avaient même pas de consistance dans sa mémoire. Il ne s’en serait jamais souvenu s’il n’avait pas fui cet endroit ; et il aurait fini par mourir en combattant, sans savoir ce que la nature offrait, de l’autre côté du mur.

Oubliant presque qu’ils suivaient les pillards récalcitrants à les emmener avec eux, Lyco dévorait des yeux l’intégralité de ce qui lui était accessible autour d’eux, et au-dessus. Il laissait le bourrinos le mener devant sans plus se soucier s’il suivait bien Lacrya.

Le bruit des feuilles mortes sous les semelles. Les couleurs vives de certaines fleurs. Le pollen qui virevoltait et jouait avec les rais de lumière. Le doux son d’un ruisseau. L’appel lointain d’un rapace. Le roulement des cailloux sous les sabots.

Comment avait-il pu oublier tout ça ?

D’un côté, il était effrayé que Molch ait pu effacer autant de données dans sa mémoire. Mais de l’autre côté, se souvenir de tout ceci lui permettait de se rendre compte de l’importance de détails aussi insignifiants. C’était un peu comme si les autres, qui avançaient presque tête baissée, étaient aveugles face à leur environnement. Lyco se sentait presque privilégié d’appréhender les choses d’une façon différente.

En observant rapidement Lacrya, il constata cependant qu’elle aussi semblait absorbée par le spectacle des arbres ; elle avait évoqué les Forêts de l’Est mais n’y avait sans doute pas mis les pieds depuis longtemps… ou jamais. Il se promit de penser à lui demander, plus tard.

Peu à peu, le garçon remarqua que la forêt s’obscurcissait. Un coup d’œil lancé vers les pillards lui apprit qu’ils étaient aux aguets. Peut-être avaient-ils atteint une zone un peu plus dangereuse ? La végétation s’épaississait autour des marcheurs, les arbres se faisaient plus haut et touffus. Lyco se baissa pour éviter de justesse la branche d’un arbuste.

— Enfin une route, souffla Bakrom.

Le groupe s’arrêta, suivant du regard ce que désignait du doigt le garçon. Sur leur droite, à une trentaine de mètres entre les troncs, ils apercevaient une fine ligne pâle. Un chemin, probablement très malmené.

Darren se retourna et parla, pas trop fort, comme s’il craignait d’être entendu :

— Notre but premier est de nous emparer de montures. Ensuite, on se consacrera pleinement à rejoindre notre ancien repaire.

Le colosse aux yeux bleus pointa Lyco du doigt.

— Descends de ce pokémon. On va en avoir besoin.
— Pourquoi ? se défendit aussitôt Lacrya.

Les autres parurent surpris, et en même temps outrés qu’elle ose se dresser aussi sèchement face à Darren. Le chef des pillards, toujours aussi calme et imperturbable, répondit sans détour.

— On vous le rendra. Il nous faut juste un appât le temps de détrousser les prochains qui passeront sur cette route.

Lyco descendit de monture et laissa le colosse attirer le bourrinos derrière lui, droit vers le chemin. Il lança par-dessus son épaule :

— Bakrom et Ève, avec moi. Les autres, attendez ici et restez silencieux. On risque d’attendre plusieurs heures, alors n’hésitez pas à en profiter pour dormir.

Les trois pillards s’éclipsèrent vers le chemin. Sceptique, Lyco s’assit au pied d’un arbre auprès de Lacrya. Bien qu’encore en colère de n’avoir rien pu répliquer à Darren, elle paraissait exténuée.

Les autres pillards s’assirent à leur tour, sans échanger plus de quelques mots en chuchotant.

Lyco ignora les regards méfiants dirigés vers Lacrya et lui, et s’autorisa à somnoler contre le tronc.



***


Darren connaissait bien la région. Cette route, bien qu’en sale état, permettait de relier le sud des Forêts de l’Est au Vallon du Silence, plus loin au nord. C’était un axe stratégique pour les commerçants et les nomades. Les attaques de bandits sur ces routes étaient nombreuses, mais les voyageurs n’avaient pas souvent le choix de prendre une autre voie ; c’était soit cette route, soit un détour des Forêts par l’ouest — ce qui signifiait longer le Désert de la Désolation — ce qui était plus dangereux que de rencontrer une bande de brigands. Couper à travers bois était une autre solution, mais rares étaient ceux à s’y risquer sans armes. Avec des hordes de pillards amassés dans certaines zones, et des pokémons sauvages plus dangereux les uns que les autres, ce n’était pas la voie la plus empruntée…

Darren était donc certain que quelqu’un allait passer là dans les heures qui suivaient. Les nomades étaient nombreux et bougeaient sans cesse, de peur d’être trouvés et délogés par des personnes pourvues de mauvaises intentions. C’était devenu la clé de la survie dans ces terres.

Et un voyageur avait toujours une monture ou une charrette. Toujours.

Darren s’accroupit derrière un arbre épais :

— Bakrom, tu penses pouvoir demander à ce bourrinos de combattre ?

Le jeune garçon aux cheveux noirs caressa la bête et acquiesça après une hésitation :

— Il m’a tout l’air d’avoir déjà combattu plusieurs fois. Je devrai pouvoir me faire comprendre.
— Tant mieux. On va d’abord essayer, Ève et moi, d’intimider les prochains qui passeront. Si ça ne fonctionne pas, provoque un séisme avec lui, quelque chose dans le genre. Pas trop puissant, juste assez pour qu’on les attaque par surprise.
— Compris.

Postés sur le bord de la route, ils restèrent un moment muets comme des tombes. Seul le pokémon, qui renâclait ou mâchait une touffe d’herbes, rompait parfois le silence ambiant.

Ève, impatiente, n’attendit que cinq minutes avant de montrer les premiers signes d’agacement.

— On va attendre d’avoir des montures pour tout le monde, vraiment ? Ça va être long ! Nous sommes plus de dix.

Darren ne parut pas surpris de l’entendre se plaindre. Il la regarda avec lassitude et lui offrit une réponse qu’il avait sans doute déjà préparée pour ce moment précis.

— Une charrette suffira à transporter la moitié d’entre nous, et ce bourrinos peut déjà transporter deux personnes. Ce ne sera pas si long. Et de toute façon, on n’a pas le choix. Une fois au repaire, on aura besoin de pokémons rapidement. Depuis qu’on a été capturé, ça a sûrement changé là-bas. Je suppose que tout ce qu’on gardait dans nos grottes a été volé. Peut-être même qu’elles sont occupées par d’autres.
— J’comprends. Il va nous falloir de quoi les éliminer, donc… marmonna Ève.

Ils ne possédaient que quelques armes issues de l’Arène ; rien d’incroyable donc. Des pokémons étaient sans doute des armes de luxe en comparaison.

— Maintenant, silence, ordonna Darren. On bloque le chemin dès qu’il y a du mouvement.
— Oui, chef, soupira Ève en lui tirant la langue.



***


Lyco bailla, et Lacrya fut vite contaminée par son geste elle aussi. Darren leur avait dit de se reposer, mais aucun d’eux n’était assez tranquille pour oser fermer complètement l’œil, même quelques minutes. Quelques pillards somnolaient, récupérant de la fatigue accumulée par deux longues semaines passées en cellule, et surtout par le trajet de retour dans le désert.

Au loin, entre les arbres, la jeune fille apercevait encore la route, et aussi la silhouette du bourrinos, abrité entre plusieurs fourrés épais. Darren, Ève et Bakrom devaient être tapis non loin, prêts pour une embuscade. Lacrya soupira. Ça risquait d’être long…

Amelis se leva, à quelques pas de là. Lacrya la regarda avec une pointe de méfiance. Cette fille avait l’air sympathique, comparé aux autres, et elle les avait défendus. Cependant, Lacrya ne pouvait pas s’empêcher de douter de tout le monde. Avec ses yeux noisette et ses cheveux ondulés, couleur châtain, elle tranchait beaucoup avec la mode des cheveux courts que semblaient avoir adopté les autres pillards ; mais bizarrement, elle était aussi celle qui paraissait la plus accessible.

Amelis s’installa à côté de Lacrya et Lyco en souriant.

— Vous avez l’air fatigués. Vous ne voulez pas dormir ?
— Non merci, lâcha Lacrya sur un ton plus sec qu’elle l’aurait voulu.

Lyco ne répondit pas, signe qu’il hésitait. Amelis désigna la route au loin, du menton.

— On devrait avoir des montures dans la journée, vous savez. Cette route est assez animée. Mais on peut en profiter pour discuter, non ?

Lacrya haussa les épaules. Elle décida de titiller un peu la pillarde :

— Lyco et toi, vous étiez ensemble avant qu’il soit effacé, pas vrai ?

Amelis rougit, surprise et gênée. Lacrya se retint de faire un petit sourire satisfait ; sa curiosité était un peu assouvie à ce sujet. La réponse était maintenant évidente. Amelis tripota nerveusement un pli de son pantalon.

— Oui…

Lyco sembla — enfin — comprendre la situation. Mais, vaguement gêné lui aussi, il n’osa rien dire ou demander. Amelis sembla se reprendre assez vite et changea de sujet avec habileté.

— Vu qu’on a du temps, on pourrait peut-être parler à Lyco de… l’état dans lequel est ce monde ? Vu qu’il a l’air d’être intéressé par la question.
— J’aimerais bien, oui, répondit-il avec grand intérêt.

Il s’était redressé presque d’un bond, comme s’il avait oublié qu’il voulait évoquer le sujet. Lacrya grommela intérieurement, avant de marmonner, l’air sombre :

— Alors, vas-y, raconte-lui. Je n’ai plus le courage d’expliquer tout ça…

Amelis esquissa un sourire contrit, comme si elle comprenait les raisons de la jeune fille, puis se tourna vers Lyco.

— Hm, par où commencer…

Elle hésita quelques secondes, plongée dans ses pensées. Lacrya tendait l’oreille, attentive malgré elle, et tentant d’ignorer l’air d’ahuri que tirait un Lyco excité au possible. Amelis toussota et son visage s’illumina un peu. Elle se lança.

— Avant, on dit qu’il existait plus d’un millier de pokémons différents dans le monde entier. De petits pays se partageaient les ressources entre eux. La plupart des gens, appelés « dresseurs de pokémons », avaient toujours sur eux des compagnons, souvent domestiques, mais ils s’en servaient aussi pour voyager ou pour combattre en compétition. Le monde n’était pas totalement en paix, mais en le comparant à celui d’aujourd’hui, c’est ce qu’on pourrait penser. Il n’y avait pas de guerre, pas de pillage. Les gens travaillaient, gagnaient de l’argent, s’achetaient des maisons, des véhicules… bref, ils vivaient bien mieux qu’aujourd’hui. J’ai
entendu dire qu’ils avaient même de l’eau potable qui sortaient directement chez eux, à volonté. Et il y avait l’électricité, à l’époque. Ça permettait d’allumer la lumière même la nuit, chez soi.

Lyco, étonné, voulut l’interrompre mais se ravisa. Amelis marqua une pause, cherchant à orienter son histoire vers ce qui semblait être un sujet d’importance.

— Mais un jour, il y a un peu plus de cent ans, il y a eu un grand conflit mondial. Ça a bouleversé pas mal de choses ; et même s’il a pris fin assez rapidement, une autre guerre opposant deux pays, Hoenn et Unys, a éclaté. C’est à partir de là que tout a commencé à très mal tourner. On raconte qu’elle a duré vingt ans, que la moitié de la population humaine a été décimée par des armes surpuissantes, et que beaucoup de pokémons ont totalement disparus de la planète. Même si personnellement, je sais peu de choses sur cette guerre, tout le monde sait que c’est à cause d’elle que le monde est devenu comme ça. Le Désert de la Désolation, par exemple. Celui qui entoure Méranéa. Ce n’était pas un désert, avant. Beaucoup disent que c’était une zone située dans l’ancienne région de Kanto. C’est à cause de la guerre que tout est devenu aride.

Lyco, sans voix, était au bord de ses lèvres. Il craignait de l’interrompre ou de perdre le fil, et absorbait ces nouvelles informations comme l’aurait fait une éponge.

Lacrya, elle, étendit ses jambes endoloris devant elle, pensive. Elle était amusée de voir à quel point Lyco était en train d’écouter la conteuse. Il était vrai qu’elle savait bien résumer les choses, cette Amelis. Au vu de son vocabulaire, soit elle récitait quelque chose qu’elle avait lu, soit elle avait reçu une assez bonne éducation. Ça expliquerait sans doute son allure assez altière par rapport aux autres pillards.

— Les pokémons les plus résistants ont mieux supportés tout ça. Alors que les type eau et glace sont devenus très rares, les type acier, roche ou sol, eux, en ont bien profité. C’est aussi pour ça que Mervald utilise beaucoup de bestioles dans ce genre pour ses combats. Certains sont plus difficiles à trouver aujourd’hui.
— Et c’est comme ça que ça c’est fini ? s’étonna Lyco. Pourtant, tu as dit que c’était il y a cent ans. Ça ne s’est toujours pas amélioré depuis ?
— La guerre s’est finie il y a quatre-vingt ans, rectifia Amelis.
— Et non, ça ne s’est pas amélioré depuis, intervînt Lacrya. Non, c’est plutôt comme ça que ça a commencé. Laisse-la finir si tu veux comprendre.

Lyco acquiesça énergiquement et Amelis esquissa un sourire amusé. Elle jeta un bref coup d’œil vers la route, où attendaient toujours les autres, et reprit.

— Les conséquences de la guerre ont touché à la fois les pokémons et les humains. En plus de détraquer la nature, il y a eu des épidémies. Et surtout une épidémie. Elle était très contagieuse, et souvent mortelle. Au mieux, on s’en sortait avec des séquelles à vie, pour te donner une idée. Ça a même fait muté certains pokémons et fait apparaître un nouveau type chez eux, ce qu’on appelle les « Corrosifs ». Ils sont assez rares aujourd’hui, parce qu’ils ont été décimés pour les empêcher de répandre le virus…
— Combien de temps a duré cette épidémie ? demanda Lyco.

Amelis n’eut pas besoin de compter ou d’y réfléchir.

— Elle sévit encore dans certaines parties du monde. C’est à cause de l’Épidémie que l’humanité est bloquée à ce stade. Les gens vivent en petits groupes ; se rassembler en trop grand nombre dans des villes est devenu dangereux. Mervald est l’un des rares à avoir créé quelques cités-bidonvilles dans la région où nous nous trouvons. Mais il est prudent avec l’Épidémie, c’est quelque chose qu’on ne peut pas lui enlever. Les soldats ont ordre de tuer le moindre infecté.
— Et comment peuvent-ils savoir qui est infecté ?
— C’est facile, lâcha Lacrya. Si tu vois un gars avec des yeux rouge sang et qui semble vouloir te croquer, cours.

Lyco se tourna vers elle et la fixa, croyant à une plaisanterie. Il avait encore du mal à la cerner, apparemment.

— Vraiment ?
— C’est ainsi que se passe la première phase chez les infectés, oui, répondit Amelis. Généralement, ils ne survivent pas deux mois. Mais dans le coin, t’en trouveras aucun. Nous sommes dans une région assez isolée. Il y a peu de risques que l’Épidémie se propage jusqu’à nous.

Lyco sembla pensif un moment. Lacrya soupira :

— Je t’avais dit que c’était pas joyeux-joyeux…
— Et Mervald ? Il a créé plusieurs cités, tu as dit ?
— Oui. La capitale, c’est celle où nous étions, avec l’Arène. « Méranéa ». Un nom à l’image du sien. Mais il y a d’autres villes éparpillées aux alentours du Désert. Psyhéxa, au nord des Forêts de l’Est, est la plus importante.

Lyco se rendit compte qu’il ignorait encore trop de choses sur le monde ; mais il savait que ces révélations géographiques mériteraient qu’il s’y attarde plus en détail plus tard. Une autre chose le turlupinait.

— On sait qui est vraiment Mervald ? Et ce qu’est son but ?
— Il profite de la misère des gens pour vivre tranquillement, c’est tout, rétorqua Lacrya.

Amelis haussa les épaules, n’en sachant pas plus.

— Il est devenu gouverneur il y a des années, quand il a lancé la construction de Méranéa en plein désert. Il s’est fait connaître aussi parce qu’il était bien entouré, par des gens qu’il avait convaincu de l’aider à rassembler l’humanité. Il a du charisme d’après les rumeurs, ça l’a sûrement aidé. Mais je sais aussi que depuis quelques temps, depuis la construction de l’Arène en fait, il a commencé à abandonner l’idée de faire d’autres villes ailleurs. Sa milice recrute difficilement à cause des rumeurs, et il manque de moyens. On entend souvent parler des esclaves qu’il emploie dans ses plantations ou dans petit palais, et aussi de ces laboratoires et de ces expériences de mutation sur des humains. Les Trois Mutants et le Condamné en sont des preuves, finalement…
— Il faudrait le tuer, conclut Lyco.

Amelis et Lacrya le regardèrent avec surprise :

— Quoi ? dirent-elles en cœur.

Lyco n’eut pas le loisir d’ajouter quelque chose. Des bruits de voix et de sabots résonnèrent entre les arbres. Le bras de Darren se leva par-dessus des buissons, leur ordonnant un silence total.

Au loin, sur le chemin, une charrette tirée par un imposant frison approchait.



***


Darren et Ève se tendirent en entendant les voyageurs. Ils se postèrent au bord de la route, dans la pénombre octroyée par les arbres. Le colossal pillard tendit l’oreille et estima qu’il y avait au moins quatre personnes différentes qui discutaient. Et une charrette en approche.

Il fallut patienter encore deux minutes avant d’apercevoir le petit convoi.

Un frison tirait une charrette. Il y avait un homme sur la banquette avant, trois silhouettes assises à l’arrière, et… un peu plus loin, suivant le groupe avec une dizaine de mètres de retard, un autre homme chevauchant un tauros, avec une selle adaptée.

Darren savait que ça suffirait amplement pour tout le groupe. Il fallait à tout prix s’emparer des biens de ces passants.

Ève avait déjà compté les armes visibles :

— Ils peuvent se battre. Surtout l’autre, sur le tauros. Celui qui pilote la charrette a une épée. Pour les autres, je ne sais pas trop, mais ils m’ont l’air trop calmes pour des gens qui ne savent pas combattre.
— Changement de plan.

Darren pivota vers l’obscurité derrière lui. Il ne savait pas où était exactement Bakrom mais il savait que le garçon allait l’entendre :

— Oublie le séisme du bourrinos. Va mettre celui de derrière hors de combat. Tout de suite.

Des bruits de pas étouffés, presque inaudibles, firent comprendre à Darren que Bakrom avait déjà filé.

— Pourquoi ? s’étonna Ève dans un murmure.

Darren observa l’homme chevauchant le tauros. Il dégageait quelque chose. Ce n’était pas un homme du groupe. C’était un mercenaire, payé pour défendre les voyageurs des attaques de bandit. Il fallait l’éliminer en priorité. Bakrom était le meilleur pour ça.

Il fallait bien reconnaître un avantage à Lyco : avant qu’il ne perde la mémoire, il avait permis au garçon de prendre confiance en lui, et lui avait appris le maniement des armes comme personne. Darren ignorait même s’il serait capable de vaincre Lyco en un contre un aujourd’hui. Même si le garçon avait fait preuve d’adresse dans l’Arène, il n’avait suffi que de quelques secondes à Darren pour se rendre compte que l’Effacé n’était pas au mieux de sa forme. Le régime alimentaire de l’Arène et la perte de ses souvenirs devaient y être pour quelque chose.

Bakrom, lui, avait conservé tous ses talents, et sans eux, Darren doutait de ses propres capacités en tant que chef du groupe.

Un cri d’alerte retentit.

Bakrom venait de se jeter sur le mercenaire, forcé de sauter de son tauros et de dégainer son arme. Aussitôt, le pilote de la charrette, comprenant le piège, élança son frison en avant pour fuir les lieux au plus vite.

Darren, avec sa hache en main, lui barra la route.

Le frison hésita, mais s’arrêta net en meuglant avec effroi. Ève bondit sur la banquette avant et assomma le pilote d’un coup de genou en plein visage, avant qu’il n’ait eu le temps de dégainer ses couteaux.

Darren lança :

— Inutile de combattre, rendez-vous !

Les silhouettes à l’arrière de la charrette se levèrent, mais quand Ève les menaça de ses dagues, ils levèrent les mains. Suivant les indications de Darren, ils mirent pied à terre et restèrent immobiles, mains sur la tête, au bord de la route.

Le mercenaire, blessé à plusieurs endroits, fut bien obligé d’abandonner à son tour quand Ève s’approcha pour venir en aide au garçon. Il avait beau être un combattant de choix, il savait se reconnaître vaincu.

Darren siffla pour attirer son groupe, sans cesser de surveiller les voyageurs. Au fond de lui, il éprouva une certaine satisfaction.

Ils avaient trouvé de quoi voyager facilement. Et ils n’avaient tué personne pour y parvenir.

Autrefois, il n’aurait pas hésité à aller plus loin.

Il fallait aussi reconnaître un certain autre — et sans doute dernier — talent à Lyco : son arrivée dans le groupe, presque une année plus tôt, avait permis à tout le monde de changer. Et, assez souvent, en mieux.