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Effacé de Lief97



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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 06/10/2018 à 17:42
» Dernière mise à jour le 25/12/2018 à 20:44

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 1 : Emprisonné [Arc 1 : L'Arène]
« Le souvenir, c’est la présence invisible. » Victor Hugo.


***


Le garçon ouvrit les yeux en sursautant violemment.

Il se redressa sur les coudes, les paupières lourdes. Il avait l’impression étrange d’avoir dormi des jours durant. Le réveil était rude. Il se sentait ankylosé et un peu nauséeux.

Pendant quelques dizaines de secondes, il resta coit, se demandant où il était ; autour de lui, il n’y avait que des murs de pierre lisse, humides et grisâtres. Une légère odeur de moisi et de renfermé flottait dans l’air. Le garçon observa avec circonspection la porte métallique fermée devant lui. Il était dans une sorte de cellule ?

Il se redressa et inspecta plus en détail son environnement.

Derrière, à ras du plafond, une étroite fenêtre à barreaux laissait filtrer quelques pâles rayons de soleil. Des grains de poussière flottaient tranquillement dans la pièce, comme bercés par une danse mystique. Le sol pierreux, fissuré par endroits, suintait presque.

Le garçon frotta son front. Il souffrait. Il avait un mal de crâne terrible.

Il ne savait pas où il était, et ça l’inquiétait. Il tenta de se rappeler où il se trouvait, avant son réveil. Mais à peine eut-il essayé de se souvenir que ses pensées lui échappèrent, comme si elles étaient liquides. Comme si elles n’étaient pas siennes.

Comme si elles n’existaient pas.

Il comprit avec horreur qu’il ne se souvenait de rien. Il ne savait pas comment il était arrivé là, ni son identité. La peur l’envahit.

Vide. Il avait l’impression d’être vide.

Qui était-il ? Pourquoi était-il dans un endroit aussi étrange ?

Il observa ses mains, tâta son corps. Bizarrement, il avait un certain sentiment rassurant. Ce corps lui était familier. Mais son identité, elle, restait un mystère angoissant.

Il eut comme un flash et tressaillit.

— Lyco… Je m’appelle Lyco.

Oui, il en était sûr. Lyco, c’était lui. Après… Qui était-il précisément, c’était une autre question.

Un violent mal de crâne revînt l’assaillir. Il retomba contre le sol de pierre froid en gémissant de douleur. C’était comme si des gens s’amusaient à taper à l’intérieur de son crâne, le plus fort possible, de manière répétée. Il se recroquevilla, tentant de garder son calme et de contenir la douleur, mais c’était impossible. Il s’agita, cria, se débattit.

La crise cessa quelques minutes après, mais il avait la sensation que ça avait duré plusieurs heures. Il resta immobile, par terre, l’esprit accablé de questions et de souvenirs impossibles à saisir. Quand il entrevoyait quelque chose, sa mémoire s’effilochait et il sentait la douleur remonter doucement à la surface, insidieuse. Il fallait qu’il cesse de réfléchir pour ne plus souffrir. Mais il tenait pourtant à se rappeler de lui !

S’il était en prison, c’était peut-être parce qu’il avait commis un acte terrible ? Ou alors il était un innocent injustement enfermé en cellule ? On allait peut-être le laisser mourir de faim, seul, sans qu’il n’obtienne une seule réponse, un seul indice quant à son identité. Il trouva l’idée injuste et réprima son envie grandissante de se lever et de frapper contre la porte de sa prison ; il devait tenter de conserver son sang-froid. Il devait rester calme.

Lyco sourit. Peut-être qu’il venait de trouver un des aspects de sa personnalité. Il était certainement quelqu’un de posé. Ça lui paraissait normal d’agir ainsi. C’était sûrement une bonne chose, après tout, de se rappeler d’un aspect de sa personnalité.

Peut-être que la mémoire allait lui revenir bientôt ?

Il attendit de longues heures. Bientôt, les rayons du soleil cessèrent de briller dans sa cellule. Le garçon se leva, tenta de sauter pour apercevoir l’extérieur ; il ne réussit à voir qu’un morceau de ciel bleuté, et encore. Son imagination lui jouait peut-être des tours. La fenêtre était haute et très petite. Difficile d’y voir grand-chose.

Il fit les cent pas dans sa cellule, tentant à la fois de recouvrer sa mémoire perdue et de ne pas trop faire revenir le mal de crâne à la surface. C’était difficile et extrêmement frustrant. Dès qu’il commençait à apercevoir quelque chose, une image mentale, une odeur familière, une sensation particulière, il devait cesser de l’étudier pour éviter d’être assailli par la migraine.

Des bruits de pas provenant de l’autre côté de la porte interrompirent brusquement ses pensées. Il se figea. Au moins, il y avait d’autres personnes dans cet endroit. D’autres humains.

— C’est l’heure de vérifier l’Effacé, les gars ! lança une voix bourrue.

D’autres lui répondirent, leurs voix résonnant un peu plus loin. Une clé tourna bruyamment dans la serrure de la porte. Lyco resta debout, immobile, au centre de la pièce. Un homme large d'épaules, au nez aplati et au crâne très dégarni entra, la main posée sur un long couteau attaché à sa ceinture. Il se tenait bien droit, mais avait un regard mauvais, empreint de méfiance et de dégoût.

— Alors, merdeux ? demanda-t-il d’une voix moqueuse. Bien dormi ?

Deux autres hommes entrèrent dans la cellule, armés eux aussi, et à l'aspect tout aussi inquiétant. L’un avait une épée, l’autre un court fusil au canon recouvert de rouille.

« Ce sont des armes, pensa Lyco. Je les connais. J’en ai déjà vu. »

Les trois hommes étaient vêtus de sortes d’armures noires, mais pas en métal. On aurait dit une sorte de caoutchouc un peu brillant, une matière résistante et souple. Elles étaient bizarres, mais paraissaient à la fois légères et résistantes. Pourquoi étaient-ils équipés ainsi ?

— On va te poser quelques questions, lâcha le chauve d’un air menaçant. Réponds-y vite, sans réfléchir. Sinon tu risques d’avoir un sacré mal de crâne, compris ?

Lyco acquiesça sans rien dire. Il mourrait d’envie de poser des questions, mais il sentait que ces hommes étaient dangereux. Tout chez eux respirait la menace. S’il voulait qu’ils lui accordent un tant soit peu de confiance, il fallait d’abord les contenter.

— Tu sais qui t’es ?
— Je… je suis Lyco.
— Le prénom, c’est bon. Le reste ?
— Euh… non. Je ne me souviens pas.
— « Le Rôdeur », ça te dit quelque chose ?
— Non.
— « Mervald » ?
— Non plus…
— Hmm… « pokémon » ?

Un déclic se produisit dans la tête de Lyco. Les pokémons étaient des animaux aux pouvoirs extraordinaires. Ils étaient parfois des alliés, parfois des ennemis. Ils pouvaient être utiles. Lyco acquiesça. Il ne se souvenait précisément d’aucune de ces bestioles, mais il savait qu’elles existaient.

— Bien, grommela le chauve. Il a bien été effacé. Amenez-le en cellule collective. Je m’occupe de prévenir le patron.

Les deux hommes s’approchèrent de Lyco tandis que le chauve quittait la cellule :

— Les mains dans le dos, ordonna l’un d’eux.

Lyco obéit, surpris. L’un des geôliers lui passa de lourdes menottes aux poignets, avant d’enrouler plusieurs fois ses bras dans des chaînes de fer. Lyco songea qu’il devait être craint par ces hommes, pour l’entraver à ce point.

— Vous savez qui je suis ? demanda Lyco en bafouillant. Pourquoi je suis là ? On est où ?

Aucun des hommes ne répondit. L’un d’eux le poussa vers la sortie.

— Avance.
— Dites-moi qui je suis.

Les soldats ricanèrent. Lyco fut bousculé en avant et n’obtint aucune réponse. Le garçon avança hors de la cellule en sentant la pointe d’une lame dans son dos.

Un des geôliers prit les devants.

Lyco dévora des yeux son environnement ; des couloirs de pierre, des cellules fermées, des portes en bois menant vers des pièces inconnues. Il devait se trouver juste sous le niveau de la terre, dans une vaste galerie souterraine. Une sorte de prison. D’autres soldats les croisaient parfois. Lyco surprit des regards haineux, parfois emplis d’une certaine anxiété.

— Je suis quelqu’un de dangereux ? questionna Lyco au soldat qui le guidait.
— Bon, merdeux. Si tu ne fermes pas ta grande gueule, je vais t’en coller une. Tu feras la causette avec les autres si tu veux… s’ils veulent bien faire connaissance !

Les deux autres soldats éclatèrent de rire et Lyco les laissa faire, sans comprendre ce qu’il y avait de drôle.

Ils arrivèrent dans un large couloir et il écarquilla les yeux de stupeur. À sa droite, des soldats étaient attablés dans une sorte de réfectoire miteux, buvant des bières et jouant aux cartes sur de grandes tables en bois sombres. Ils étaient éclairés par des torches qui diffusaient des lueurs inquiétantes.

De l’autre côté, presque en face d’eux, une large porte d’acier laissait entrevoir, entre les barreaux, une immense cellule, d’au moins trente mètres de profondeur et de largeur. Lyco aperçut des silhouettes à l’intérieur. Il y avait des prisonniers, là-dedans. Beaucoup.

L’homme qui marchait devant le garçon sortit une clé de sa poche pour ouvrir la porte. D’autres soldats s’approchèrent en le voyant ouvrir, la main sur leurs armes.

— Reculez, là-dedans ! Je veux voir personne près de la porte !

La grille s’ouvrit alors qu’on retirait les chaînes et les menottes de Lyco. Le garçon fut brutalement poussé à l’intérieur et tomba sur les genoux. La porte se referma dans son dos avec violence. La clé tourna et Lyco se sentit aussitôt en danger. Il se releva en époussetant ses vêtements et en regardant l’intérieur de l’immense cellule. Il aurait presque pu palper la tension qui flottait dans l'air ambiant ; et même l'odeur rance mêlée à la sueur qui semblait vouloir l'assaillir.

Une trentaine de prisonniers, certains dans un état lamentable et vêtus de haillons, le regardaient avec méfiance. Lyco les dévisagea rapidement, guère rassuré, avant d’observer la cellule.

Tout au fond de la pièce, il semblait y avoir une source d’eau potable qui jaillissait d’un mur. Des toilettes étaient visibles derrière un petit renfoncement dans la roche, offrant un semblant d’intimité. Des matelas usés et des couvertures rapiécées étaient étalés un peu partout. Les gens étaient affalés sur le sol, debout pour certains. Deux feux brûlaient dans la pièce. La fumée était évacuée par un trou dans le plafond, fermé par plusieurs grilles aux épais barreaux.

— Salut, le nouveau, grogna un homme amaigri, adossé à un mur. Bienvenue dans notre belle cellule.

Son ton démentait ses paroles. Il avait un regard hargneux et toisait Lyco avec dégoût. Le garçon l’inspecta des pieds à la tête, se demandant curieusement si des gens d’ici lui étaient familiers.

L’homme surprit son regard.

— Quoi, tu m’cherches ?

Lyco prit conscience de sa réaction inappropriée avec un temps de retard. Il secoua la tête négativement, ne comptant pas se faire un ennemi à peine arrivé.

Une question fusa dans son esprit.

— Qu’est-ce que je fais ici ? demanda Lyco.

L’homme le regarda un moment en silence, puis éclata de rire avant de s’éloigner vers un groupe assis autour d’un feu. Lyco lâcha un soupir agacé. Pourquoi tout le monde riait à ses questions ? Il avait le droit de savoir !

Il se retourna vers la porte et s’approcha des grilles. De l’autre côté, les soldats continuaient à discuter, à boire et à manger, sans se préoccuper des gens à l’état de santé déplorable qui vivaient à quelques mètres d’eux. La nourriture abondait sur leur table. Le garçon se rendit compte qu’il avait faim.

Une voix retentit tout près, derrière lui.

— Alors, petit ? Comme ça, tu ne sais même pas pourquoi tu es là ?

Lyco se retourna vers un vieil homme souriant qui le regardait. Il s’était approché de lui sans faire le moindre bruit. Une barbe sombre recouvrait son menton et ses yeux vifs semblaient à l’affût. Il avait un visage parcheminé, fatigué, et il était maigre. Pourtant, quelque chose dans sa posture poussait le jeune homme à croire que ce vieillard n'était pas si inoffensif qu'il pouvait le laisser paraître. Lyco ignorait pourquoi il savait une telle chose, mais il le pressentait.

— Vous le savez, vous ? rétorqua le garçon, espérant une nouvelle positive.

Le vieillard émit un grognement étouffé, et fronça les sourcils :

— Tu t’appelles ?
— Lyco.
— Moi, c’est Othéus.

Le vieillard regarda les soldats par-dessus l’épaule de Lyco. Il tira le jeune homme légèrement à l’écart de la porte et dit plus bas :

— Si tu es là, c’est que tu as fait quelque chose qui leur a déplu, forcément. T’es quoi ? Un rebelle ? Tu as insulté un garde ? Volé quelque chose ? Tu as profité d’une fille ?
— Je… Je ne sais pas. Je ne me souviens pas.

Othéus sembla intrigué. Puis un éclair traversa ses yeux. Il saisit le bras de Lyco et l’observa de plus près.

— Tu ne te souviens de rien… ? souffla le vieux, éberlué.
— Tout ce que je sais, c’est que je m’appelle Lyco, et… et c’est tout… je crois.

Le vieil homme resta silencieux. Il recula d’un pas en se grattant la barbe. Il avait l’air hésitant, et soudain plus méfiant.

— Vous savez quelque chose, c’est ça ? Dites-moi !
— C’est parce que tu es un Effacé, petit, déclara-t-il sombrement. On t’a effacé la mémoire. Tu dois être un sacré numéro, pour avoir subi un traitement pareil... et tu vas nous attirer des ennuis…

Othéus s’éloigna en maugréant. Lyco voulut lui emboîter le pas, mais le vieux se retourna avec une vivacité étonnante. Ses pupilles n’étaient plus seulement agitées par la prudence, mais aussi par la peur et la colère. Lyco se sentit blessé par ce regard.

— Ne t’approche pas de moi, petit.

Les bras de Lyco retombèrent, ballants, le long de son corps. Le vieil homme rejoignit l’opposé de la salle et s’assit sur un vieux matelas, avant de se mettre à murmurer des choses à un maigrichon et à une jeune fille assise à même le sol de pierre. Il semblait protégé par un cercle de prisonniers proches de lui.

Lyco sentit des regards le fixer. Personne ne semblait avoir clairement entendu la conversation avec le dénommé Othéus. Il n’y avait pas eu de réaction aussi extrême que la sienne, en tout cas. Si Lyco voulait avoir le moindre espoir de se lier à quelqu’un pour en apprendre plus sur lui ou cet endroit, il devait probablement éviter de parler de son cas. Ça semblait être quelque chose de mauvais, d’être un Effacé.

Lyco s’assit contre un mur, silencieux, légèrement à l’écart des autres groupes. Une dernière œillade vers les prisonniers lui fit comprendre qu’il serait difficile de s’intégrer.

Ceux qui étaient installés en groupe près des feux semblaient très avantagés ; matelas plus épais, couvertures. Les autres, qui comme lui, semblaient seuls et isolés, étaient assis à même le sol, même du côté des toilettes d’où provenaient des odeurs dérangeantes. Hors de question d’aller là-bas.

Lyco ferma les yeux en passant les bras autour de ses genoux, pensif. La vie semblait rude ici. Mais le pire, c’était qu’il n’avait aucun souvenir. Pas le moindre.

Il resta immobile, attentif aux murmures autour de lui, aux craquements du feu, et à l’écoulement de la source au fond de la pièce.



***


Lyco fut réveillé par des vociférations et des protestations. Il rouvrit ses paupières lourdes, et étira ses membres ankylosés. La pierre n’était pas très confortable. Ses articulations gémirent quand il se redressa.

Les prisonniers, presque tous debout, étaient en colère. Ils s’adressaient tous en même temps à des soldats restés derrière la porte de la cellule. Lyco se releva sans comprendre le brouhaha infernal qui retentissait entre les murs de la prison. Le garçon repéra le vieil homme, Othéus, resté assis à sa place, l’air sombre.

— Vous n’avez pas à vous plaindre, merdeux ! rétorqua le chef chauve des soldats, celui qui avait amené le garçon dans la cellule. L’ordre vient du gouverneur Mervald ! Vous n’aurez rien à manger avant demain matin ! Et un tournoi d’Arène aura lieu juste ensuite, alors préparez-vous à crever !

Les prisonniers continuèrent à se plaindre, à râler, à montrer leur mécontentement. Mais cela ne dura pas longtemps. Comme les soldats étaient partis, les prisonniers retournèrent à leur place, visiblement habitués à ce genre de scène.

« Un tournoi d’Arène… pensa Lyco en se rasseyant contre le mur. Qu’est-ce que ça signifie ? »

Il aurait bien voulu demander à quelqu’un de le renseigner, mais vu l’accueil qu’on lui avait réservé et les regards souvent orientés dans sa direction, une simple discussion risquait de vite dégénérer en pugilat. Et Lyco, même s’il n’était pas aussi affaibli que certains par la faim et les conditions de vie, savait pertinemment qu’il n’était pas taillé pour le combat à mains nues. Il était plutôt mince. Et après tout, qu’est-ce qui lui prouvait qu’il s’était déjà battu auparavant ?

— Hé, l’nouveau, lâcha une voix sifflante.

Lyco redressa la tête. Un homme d’une trentaine d’années, avec des cheveux sombres et gras qui lui arrivaient dans le cou et des yeux d’un gris terne, s’avançait vers lui. Ses traits émaciés étaient étirés en une façade grimaçante, probablement vouée à l’intimider.

Il avait les poings serrés et semblait de bien mauvaise humeur, peut-être à cause de la récente nouvelle des soldats à propos du repas reporté.

Lyco ne le trouvait pas effrayant, car il n’avait pas l’air très costaud. Mais les quatre hommes qui l’encadraient, eux, étaient musclés et taillés pour se battre.

Le garçon sentit que les choses allaient mal se passer. Il se releva et tenta de conserver son calme :

— Oui ?
— J’m’appelle Karyl, grogna l’homme en repoussant d’un doigt une mèche de cheveux retombée devant ses yeux. Ça, c’est mes potes. Je sais pas qui t’es, et j’m’en fous. Mais demain matin, t’as tout intérêt à nous filer ta part de bouffe, compris ? Prends ça comme une taxe de bienvenue… t’as pigé ?

Lyco fronça les sourcils. Cet individu ne lui plaisait définitivement pas. Pourtant, il semblait gérer pas mal de choses dans cette cellule. Les autres prisonniers semblaient le regarder avec une certaine crainte. D’ailleurs, la plupart d’entre eux le fixaient en ce moment-même. Un de ses hommes fit craquer les jointures de doigts d’un air sinistre.

— Tu réponds, l’nouveau ?
— Pourquoi je devrais vous donner à manger ?

Karyl regarda Lyco avec surprise, comme s’il avait affaire à un fou.

— Parce que je l’ai décidé, p’tit con !
—Demande ça à quelqu’un d’autre…

Karyl secoua la tête, décontenancé.

— Tu l’auras cherché !

L’homme lança son poing droit vers le visage de Lyco. Le garçon reçut le coup en pleine figure sans réagir. Des ondes de douleur traversèrent son visage. Il vacilla et se heurta au mur dans son dos, en sentant un liquide chaud couler de son nez. Karyl voulut enchaîner avec un second coup de poing, mais quelque chose se produisit dans la tête du garçon.

Une sensation familière fourmilla dans ses doigts, dans ses bras, dans son corps. Soudain, quelque chose le foudroya mentalement. Il s’était déjà battu. Il le savait.

C’était soudain clair comme le cristal.

Son esprit analysa rapidement la posture de Karyl, sa vitesse, son angle d’attaque. Et il ordonna à son corps de réagir en conséquence.

Lyco évita le coup de poing qui lui paraissait pourtant inévitable ; il se sentit rassuré d’être capable de se mouvoir si vite. Rassuré et heureux. Il se souvenait de quelque chose !

Pourtant, son soulagement fut de courte durée. La sensation familière disparut aussitôt. Le troisième coup de poing l’atteignit en plein thorax, lui coupa le souffle et le jeta à terre. Karyl lui donna trois coups de pieds dans les côtes avant de ricaner sournoisement.

— Tu bouges vite, l’nouveau, mais c’est pas assez ! File-moi ma bouffe demain, ou tu risques de subir un sort pire que celui-là. C’est clair ?

Sans attendre de réponse, Karyl et sa bande de brutes firent demi-tour, rejoignant leur feu situé près de la source d’eau. Lyco resta immobile au sol tandis que son nez saignait. Il avait mal au torse et sentait à peine son visage. Heureusement, Karyl ne semblait pas avoir cassé quoi que ce soit chez lui. Il avait peut-être retenu ses coups. C’était pour l’intimider, sûrement.

Lyco se mit à genoux ; les autres prisonniers avaient déjà repris leurs discussions ou leur sieste comme si rien ne s’était passé. Pourtant, le garçon se sentait dévisagé.

Ses yeux tombèrent sur Othéus, le vieil homme, situé près du deuxième feu. La fille installée près de lui fixait Lyco avec un drôle d’air.

Le garçon les ignora avant de leur tourner le dos, tentant de contenir le sang qui coulait de son nez avec la manche de sa veste.



***


— Reculez ! Mains sur la tête, merdeux !

C’était le matin, à en juger par les timides rayons de soleil qu’on apercevait dans la seule et unique fenêtre à barreaux de la cellule, située au-dessus de la source d’eau, et du feu de Karyl. Un mince rai de lumière perçait au-dessus des matelas troués. Les soldats avaient ouvert la grille un instant plus tôt. Une dizaine d’entre eux, armés de lances, de couteaux ou de pistolets entrèrent dans la salle.

Tous les prisonniers attendaient, leurs mains sur leurs têtes. Un soldat s’occupa, non sans prudence, de jeter un petit sac de toile devant chaque prisonnier. La distribution dura à peine une minute, puis les soldats se retirèrent avant de refermer la cellule. Lyco ouvrit son sac et regarda à l’intérieur.

Il y trouva une sorte de pain rond à la croûte noircie. Une odeur de brûlé s’en dégageait, mais il semblait mangeable. Une sorte de fruit rond et vert accompagnait le pain, de belle taille, mais tout flétri. L’odeur sucrée fit saliver Lyco, mais ne remonta aucun souvenir à la surface. Il s’empara du fruit et mordit dedans à pleine dents. Le jus fruité qui s’en échappa lui donna le sourire. Jamais il n’avait mangé une chose aussi délicieuse. En tout cas, il ne s’en rappelait pas !

Pourtant, les prisonniers semblaient manger du bout des dents, comme si ce repas était une calamité. Lyco sursauta quand Karyl et sa bande s’approchèrent de lui. Il les avait presque oubliés, eux. Il avait mal dormi, mais surtout à cause du peu de confort et des ronflements des autres prisonniers. Pas à cause de la crainte qu’il aurait dû ressentir pour Karyl.

— Allez, l’nouveau. Donne-moi ça.

Lyco se releva et hésita. Karyl lui lança un regard noir et avança d’un pas, prêt à frapper. Mais une voix l’interrompit dans son mouvement.

— Je ferais pas ça, à ta place, intervînt quelqu’un avec nonchalance.

Karyl se figea et se retourna. Lyco se tut, stupéfait. C’était la fille qui restait toujours près du feu d’Othéus. Elle était debout, au centre de la cellule, à quelques pas de Karyl. Un demi-sourire était suspendu sur ses lèvres. Lyco prit le temps de la dévisager.

Elle semblait avoir son âge, soit à peine la vingtaine. Elle avait de longs cheveux noirs, et un regard tout aussi profond. Pas si grande, plutôt fine, elle semblait assez athlétique, mais comme la plupart des prisonniers, elle était sûrement mal-nourrie.

Lyco se demanda pourquoi elle prenait sa défense, alors que jusque-là personne ne lui avait adressé la parole, ou presque.

— Je crois pas que ça te concerne, Lacrya, se moqua Karyl en riant.
— Regarde-le, grommela-t-elle.

Karyl se tourna vers Lyco :

— Quoi ?

Karyl, sans comprendre, se retourna vers Lacrya en haussant les épaules. Elle soupira et, d’un air négligent, lança :

— T’as pas encore compris ? Ce type est un Effacé !

Aussitôt, un silence de plomb s’abattit sur la cellule. Les regards se firent insistants. Lyco les vit s’emplir de crainte.

Karyl et ses hommes, stupéfaits, reculèrent comme un seul homme.

— Merde… laissa-t-il échapper.

On aurait dit qu’il venait de dépasser une limite à ne jamais franchir, et qu’il regrettait son choix. Avec ses hommes, il retourna à sa place sans rien dire, abasourdi.

Lyco croisa le regard de Lacrya, qui se rasseyait tranquillement près d’Othéus. Le vieil homme lui avait-il demandé d’intervenir ? Et pourquoi avoir fait ça ?

Le jeune homme, agacé, se demanda si ces deux-là lui voulaient du mal. Lacrya avait certes empêché Lyco de se faire tabasser, mais elle avait révélé aux autres qu’il n’avait aucun souvenir. Pour se faire des alliés, c’était fichu ; tout le monde le regardait comme s’il était d’un tueur. Peut-être en était-il un.

Une fois de plus, il n’eut pas le temps de se remettre de ses émotions. Des soldats tambourinèrent à la porte de la cellule :

— Tous les prisonniers debout en file indienne ! Vous allez sortir une petite heure et à la fin de la promenade, on fera un tirage au sort pour les inscrits au tournoi d’Arène !