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Sans ét(h)iquette de Eliii



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» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 11/09/2017 à 12:58
» Dernière mise à jour le 11/09/2017 à 16:15

» Mots-clés :   Action   Présence d'armes   Présence de transformations ou de change   Science fiction   Suspense

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3- Tourner en rond
« Qu'on ait de drôles de lubies, je peux bien le comprendre, ça arrive à tout le monde, à un degré plus ou moins varié. Mais de là à construire une ville coupée du monde, et ce pour faire valoir des idéaux et s'émanciper de toute forme de gouvernement corrompu, ça demande quand même un sacré paquet d'imagination. Plus que j'en ai jamais eu, en tout cas. »

Willem Ryan, détective privé.


* * *


« Bienvenue à la cité de l'impossible, monsieur Ryan ! »

Ces quelques mots mis les uns à la suite des autres, l'accent distingué du locuteur, le ton enjoué et le geste solennel du bras, tout ça fait comme partie d'un ensemble. Un ensemble duquel, si l'on retire une pièce, le tout s'effondre et s'effrite et redevient poussière, d'un coup soufflée par le vent marin et dispersée aux quatre vents.

Peu coutumier de ce type de manifestation d'enthousiasme et de théâtralité, le privé est bien obligé de l'admettre en son for intérieur ; ça aurait eu carrément moins de charme, sans le visage séduisant à l'œil unique, avec son grand sourire, pour déclamer ces paroles qu'on aurait pu tirer d'un mauvais film.

S'il était habitué à aller au cinéma, Ryan aurait peut-être pu trouver des similitudes avec quelque navet, mais ses finances lui permettent tout juste de s'acheter à boire et à manger, alors... Mais ça va changer, maintenant qu'il est là, ce cachottier en beau costard.

Ça va changer, et plus jamais, plus une seule fois au cours du temps qui lui reste à vivre, Willem Ryan n'aura à craindre la misère.

Tout du moins, c'est ce qu'il se dit et qu'il espère, parce que malgré les billets qu'il a dans ses bagages et ce qui lui reste à empocher, il n'en sait rien du tout sur la nature de sa mission. Probablement quelque chose de complexe, vu la prime, et puis Clemens lui a bien certifié que ça allait être dangereux...

L'espace d'un instant, les yeux toujours rivés sur l'île citadine qui se rapproche doucement à mesure que le bateau avance, il se demande pourquoi c'est lui, et pas un autre, que ce drôle de docteur est venu voir.

En y réfléchissant, Volucité, ça fait un peu loin des Sevii ; le type aurait pu aller à Kanto, ç'aurait été plus rapide et plus simple pour lui. Ou peut-être était-il de passage à Unys ?

En tout cas, ça semble peu concevable à un homme tel que lui de penser qu'un bourgeois comme celui-là est venu spécialement pour lui. Qui plus est si on prend en compte sa réputation... inexistante au-delà de sa ville de résidence, en fait.

Autant poser la question, ça sera peut-être plus facile. Et visiblement, elle surprend l'autre, parce que l'espace d'un instant il baisse sa garde, et écarquille son œil verdâtre qui prend une couleur encore plus indéfinissable maintenant qu'il fait nuit.

Puis il se ressaisit, récupère cette expression à moitié ironique qu'il paraît arborer sans arrêt, et s'accoude à nouveau au bastingage, désireux de sentir au plus près l'air marin.

« Oh, vous savez... Ça n'a pas d'importance, en réalité. Je cherchais juste un détective privé dans la mouise qui accepterait ce travail en voyant la somme à gagner, et mes recherches m'ont conduit jusqu'à vous. »

Il passe une main dans ses cheveux mi-bruns mi-roux, et observe l'immense étendue d'eau, comme fasciné par ses remous. Accroché au garde-fou à l'aide de sa queue, le scorvol, juste à côté, semble s'amuser comme un enfant.

« J'avoue que... Ç'a été un poil pénible, comme travail de recherche, parce que les gars dans votre genre, il n'en reste plus beaucoup maintenant. Les gens préfèrent fonder des agences, voire carrément se reposer sur la police fédérale, qui commence à gagner de l'importance, maintenant. Vous êtes d'une espèce rare, monsieur Ryan. »

Le concerné, pas le moins du monde intéressé par ces divagations, se contente d'un haussement d'épaules et d'une de ses habituelles remarques sarcastiques :

« C'est bien la seule chose positive qu'on m'ait dite... Enfin, si je suis censé le prendre bien, évidemment.
— C'est à vous de voir, réplique Clemens avec un demi-sourire, une lueur malicieuse au fond de l'œil. On n'est jamais mieux servi que par soi-même, hm ?
— Vous m'auriez pas engagé si c'était le cas. »

Le sourire du docteur s'élargit, et creuse une fossette dans sa joue pâle. Au début, en voyant l'état de son bureau, il s'attendait à un bonhomme grognon au langage fleuri et à la bouteille omniprésente à la main.

Force est de constater qu'il s'est bien trompé, et cette perspective le ravit ; s'il y a bien quelque chose qui lui plaît chez ses congénères, c'est qu'ils le surprennent.

« Vous avez de l'esprit, monsieur Ryan.
— Il paraît que c'est préférable quand on veut enquêter, ouais. »

Ricanement léger et maîtrisé de la part du docteur, qui continue à regarder les gesticulations désordonnées du pokémon.

« Ça tombe bien, j'adore ça ! »


* * *

Lorsque le navire s'arrête, Ryan distingue plus facilement le tangage du bateau, qui jusque-là lui était obscurci par la discussion et puis le vent contre son visage. Il garde une main accrochée au bastingage pour éviter de tomber, et d'un pas rapide se dirige vers la petite passerelle improvisée installée là par le capitaine.

Lequel ne quitte pas le bateau avec eux, prétextant avoir une ronde nocturne à assurer ; une fois les deux hommes descendus sur le ponton, le véhicule fait demi-tour et finit par s'enfoncer dans la nuit noire, la lueur des lampes comme seuls indices de sa présence au loin.

Remarquant la température fraîche des environs, le privé se félicite d'avoir gardé son manteau sur lui, malgré la chaleur de l'archipel Sevii — sûrement à cause du volcan local. Et encore plus en entendant l'autre se plaindre du froid et se maudire de n'avoir pas fait la même chose.

C'est agaçant pour l'Unysien, de suivre son étrange comparse, parce que du fait de son infirmité il ne marche pas aussi vite que lui. Alors il faut ralentir, puisqu'il ne connaît pas les lieux et qu'il n'a pas d'autre choix que celui de suivre le prétendu docteur.

Autour d'eux, il n'y a pas grand chose d'intéressant. Le ponton se poursuit jusqu'au semblant de plage, qui débouche sur une terre dure et quelque peu boueuse, sûrement à cause de pluies récentes. Une odeur végétale règne partout alentour, les enveloppant dans une sorte de bulle à l'écart du monde. Ça change du bateau et des odeurs marines !

Scorvol, lui, passe son temps à virevolter entre les plantes pour choper des baies au passage, qu'il enfourne dans sa gueule sans la moindre délicatesse. Ses solides mâchoires font le travail, et en quelques secondes le fruit a fait son chemin dans l'estomac de la créature joviale.

Au moins, songe Ryan avec un mélange d'appréhension et de soulagement, il y en a un qui ne s'ennuie pas, ici. En y réfléchissant, il aurait eu du mal à tenir sans embarquer son compagnon dans cette drôle d'aventure.

Chose étrange, le bavard bourgeois ne prononce pas un mot sur le chemin. On n'entend que le cliquetis de sa canne contre le sol, et puis les cris de quelques pokémons sauvages cachés dans les feuillages.

Le détective ne peut s'empêcher de s'interroger au sujet de ce chemin mal entretenu, qui contraste beaucoup trop avec les lumières vives de la ville qu'il a aperçues depuis le pont du bateau. Au loin, on distingue bien quelques sources lumineuses, mais la densité de la végétation est impressionnante.

Finalement, comme sortie de nulle part, la voix de Clemens finit par trouer un instant le silence :

« Surtout, restez bien derrière moi, d'accord ? Ce serait dommage qu'il vous arrive malheur juste en arrivant ici. »

L'Unysien ne répond rien, mais raffermit sa prise sur sa grande valise en vieux cuir, comme pour se rassurer. Là-dedans, il y a son pistolet, et c'est bien sa seule consolation, parce qu'il n'est pas doué en combat de pokémons. Du reste, même s'il l'était...

En voyant une espèce de cabane en bois entre deux grands arbres, il écarquille les yeux, et résiste à l'envie de se les frotter bien fort pour s'assurer qu'il ne rêve pas. Probablement que non ; depuis l'arrivée du borgne, de toute façon, les choses bizarres s'enchaînent, alors pas si étonnant...

Il manque de pousser un hoquet de surprise en voyant sortir deux types de la baraque, armés de lampes torches. Plutôt costauds et vêtus de ce qui ressemble un peu à des uniformes de sécurité, avec tout un tas de trucs pendouillant à la ceinture, ils lui rappellent un peu les gros bras qui virent les indésirables dans les casinos de chez lui.

L'un d'entre eux, le chauve, retourne immédiatement dans la cabane pour, apparemment, actionner un genre de mécanisme ; par la parodie de fenêtre, le privé peut le voir pousser un genre de levier.

Une impression bizarre s'ensuit ; quelque chose a changé, mais quoi ? Il ne saurait dire. Une drôle de lueur lui est apparue l'espace d'un instant, dans la direction de la ville. Comme un éclair qui déchire l'espace, ou quelque chose du même acabit.

Cette fois il se frotte vraiment les yeux, mais ne peut rien en tirer. Il y a toujours la cabane et l'autre type, qui lui demande de pouvoir jeter un œil à sa valise. Sentant le regard pesant de Clemens, il obéit et la lui ouvre.

Le grand gaillard s'interroge quelques secondes au sujet du pistolet chargé au fond d'une pochette, mais le docteur lui assure aimablement qu'il s'en porte garant et que le permis de port d'arme est parfaitement à jour. Probablement d'un rang subalterne au sein dans cette drôle de « colonie », le vigile ne conteste pas et les laisse passer sur le sentier qui se poursuit.

« C'est quoi, cette cabane au juste ? J'ai vu le type dedans actionner un mécanisme... » soupire Ryan une fois qu'ils sont à une dizaine de mètres de ladite cabane.

Clemens ne s'arrête pas, mais daigne lui lancer un regard. Pas le moindre sourire cette fois, non, juste une œillade des plus sérieuses qui lui paraît impliquer quelque chose de grave.

« Le point de passage obligé pour quiconque veut entrer dans cette ville, tout simplement. Sinon, c'est la désintégration pure et simple. Comme ça, aucun étranger ne peut entrer là-dedans impunément.
— La « désintégration » ? répète le détective, interloqué. C'est quoi, ce délire ?
— Écoutez, ce n'est pas que toutes ces considérations scientifiques m'ennuient, mais on n'a pas le temps d'en discuter maintenant. Pour faire court, la ville est protégée par un champ de force, je n'en sais pas grand chose à la vérité, qui empêche les intrusions en... désintégrant les êtres qui le touchent. »

Même s'il a envie de répliquer quelque chose, n'importe quoi, le privé n'en est pas capable ; les mots restent comme bloqués dans sa gorge. Au fond, il n'a peut-être pas envie d'en savoir plus. Surtout si ce principe fonctionne en sens inverse ; les habitants ne peuvent peut-être pas s'enfuir non plus...

Depuis le début, ce concept de ville coupée du monde, avec son système de gouvernement propre, ne lui inspire pas tellement confiance. D'ailleurs, il s'étonne qu'un type apparemment rationnel et intelligent comme ce Clemens fasse partie de ce genre de société. Sûrement qu'il faut bien toutes sortes de gens pour faire marcher un monde...

Au fur et à mesure de leur marche, la végétation commence à se faire moins dense, et les lumières de la ville brillent plus vivement. Quelques façades d'immeubles, au loin, apparaissent aux yeux intrigués de l'Unysien, qui paraît presque découvrir l'existence de la civilisation.

Lorsqu'ils débouchent tous deux dans une étendue verdoyante avec un étang plein de pokémons de type eau, probablement un genre de jardin public, le cliquetis de la canne s'arrête enfin, et avec le même genre de sourire qu'il lui a adressé sur le bateau, l'homme en beau costume le regarde avec intensité.

« Je vous présente Etheria, monsieur Ryan. Libre des contraintes du monde extérieur, et pleine d'êtres tout aussi libres... Ma foi, pas le temps pour le blabla, venez. »

Et il se remet en marche aussi soudainement qu'il s'est arrêté, de son pas presque conquérant, sans regarder en arrière. Voyant que scorvol le suit déjà, le détective s'empresse de hâter le pas lui aussi.

Il n'ose poser aucun question, parce qu'il sait bien que l'autre n'y répondra pas de toute façon, ou tout du moins pas directement ; il arrive à les sentir, ces choses-là, depuis qu'interroger des gens est devenu son boulot.

Une longue marche dans les rues de la ville l'instruisent un peu sur le mode de vie de ces gens-là, au moins, et il se rend compte avec intérêt que c'est un peu comme chez lui, finalement. Des gens qui sortent du travail, qui rentrent chez eux, qui s'installent en terrasse pour commander à boire, et des pokémons qui traînent un peu partout en évitant soigneusement la route et ses voitures.

Oui, finalement cette ville, c'est comme Volucité, mais au milieu de l'océan.

Il peut enfin prendre un moment de répit, lorsque Clemens s'arrête devant la grille d'un immeuble pour composer une sorte de code. Après un « bip » sonore un peu trop bruyant, la porte finit par s'ouvrir, et ils entrent tous les deux sur le parking plein de voitures rutilantes et colorées.

L'ascenseur n'arrivant pas, ils s'engagent dans la cage d'escalier pour aller jusqu'au deuxième étage. Si le docteur souffre de cet effort physique éreintant pour sa jambe, il n'en dit pas un mot. Il essuie cependant la sueur de son front à l'aide du mouchoir dans sa poche de poitrine, histoire de faire bonne figure.

Puis enfin, frappe à la porte ornée du numéro « 202 », dont les chiffres sont finement ouvragés dans une matière dorée, probablement du métal peint. Sûrement pas de l'or, quand même, ça semblerait exagéré.

Lorsque le battant s'ouvre, Ralph l'invite à entrer d'un geste désinvolte. Le détective inspecte le vestibule avec méfiance, ainsi que la femme qui se trouve à l'intérieur, et se tourne vers l'autre, qui reste sur le palier.

« Quoi, vous venez pas ? C'est là que je vais crécher ?
— Non, non. On se reverra demain, mais en attendant, vous allez discuter un peu avec mademoiselle, qui vous renseignera. Passez une bonne première nuit ici, monsieur Ryan. »

Et la porte se referme. On entend un instant la canne frapper le sol, et puis plus rien.