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Sans ét(h)iquette de Eliii



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» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 08/09/2017 à 17:12
» Dernière mise à jour le 15/09/2017 à 12:33

» Mots-clés :   Action   Présence d'armes   Présence de transformations ou de change   Science fiction   Suspense

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2- Cité de l'impossible
« Quand on vous dit « inattendu », à quoi vous penseriez ? Un rhinoféros rose ailé ou un pikachu à trois têtes, peut-être. Ou bien revoir un camarade d'école qui vient squatter chez vous en remettant votre amitié passée et lointaine sur le tapis. Eh bien ça, c'est clairement rien à côté de ce que j'ai vu à ce moment-là... »

Willem Ryan, détective privé.


* * *


Venu de l'est, un vent frais caresse le port et le peu d'êtres vivants qui s'y trouvent, dans une parodie de murmure faisant presque penser à... Non, pas à grand chose, à la vérité. Peut-être à un genre de mélodie, parce que mine de rien la brise a quelque chose de musical. D'apaisant, à tout le moins.

Willem Ryan et son drôle de scorvol n'en savent pas grand chose. La bestiole volante ne se préoccupe de rien, de toute façon, toute occupée qu'elle est à virevolter au-dessus de la mer calme, sans vagues, en poussant deux, trois petits cris d'excitation comme le font souvent les gamins.

Il a toujours été comme ça, ce pokémon, libre comme l'air et pas tourmenté par la moindre chose. On pourrait croire qu'il est un genre de simplet, un peu bête mais pas méchant, qui s'attire des ennuis tout seul sans le vouloir.

Le fait est qu'il sait au contraire faire preuve d'une intelligence peu commune. Et que son seul plaisir dans cette vie minable sous l'égide d'un détective privé bourru et alcoolique, eh bien c'est d'emmerder son monde, parce qu'après tout, on ne vit qu'une fois, n'est-ce pas ? Autant faire usage de son talent quand on en possède un.

Ce qu'il en dit, le grand humain recouvert d'un long manteau brun, un peu usé mais pas tellement abîmé... Ce qu'il en dit, pas grand chose. Il pourrait bien l'abandonner que ça changerait rien, parce que la bête peut très bien chasser et se nourrir toute seule de toute façon.

Mais il se dit à quoi bon ? On n'a pas deux compagnons comme ça dans une vie, et s'en séparer ce serait renoncer à la seule présence stable dans sa vie. Les femmes, la famille, les clients, les collègues, tous font partie du passé, il reste juste une amusante créature violacée aux grands yeux jaunes, brillants comme deux gros diamants.

Quoique maintenant, il y a bien cet autre, ce prétendu docteur sorti de nulle part et qui vient apparemment le tirer de la misère. Là debout, face à la mer, les cheveux bruns secoués par le vent parce qu'il a perdu son dernier chapeau voilà des semaines, il se demande encore s'il est pas en train de rêver.

Il n'est jamais venu sur l'archipel des Sevii avant, alors peut-être que cette image-là, ce sol-là, ces quelques bâtiments-là derrière lui, sont juste la façon dont il a, inconsciemment, toujours imaginé cet endroit isolé.

Ou peut-être que tout autour de lui est bien réel et tangible, et qu'il ne rêve pas, et qu'on est vraiment venu le secourir, lui tendre la main... Il a du mal à y croire, forcément, parce que ce genre de chose ça n'arrive qu'une fois dans une vie sur mille.

Mais les arguments dudit docteur sont plus solides que beaucoup de choses. Que tout ce qu'il possède encore, déjà, et sûrement que ses propres convictions — en a-t-il seulement encore, des convictions ?

Il les a vus, et touchés de ses propres mains, les quarante mille pokédollars en billets qu'on a posé sur son bureau dans un geste presque trop nonchalant. Il les a vus, il a senti le pouvoir que cet argent détient.

Le pouvoir de le faire vivre encore une fois, d'annuler ses erreurs de parcours et de lui faire recommencer les choses à zéro. N'est-ce pas que toutes les portes s'ouvrent une fois qu'on a le portefeuille plein ?

C'est en tout cas la seule chose à laquelle il se rattache, cet homme-là, perdu comme il est. Il ignore tout de son avenir, et a fortiori de son avenir immédiat. Où va-t-il, le bateau amarré un peu plus loin, qui sera prêt à partir dans quelques minutes ?

On lui a rien dit, et peut-être qu'on lui dira rien en définitive. Peut-être que c'est un piège, un vulgaire traquenard pour le tuer. Mais à la réflexion qui voudrait tuer un type comme lui, un—

Entendant le bruit d'une canne sur le sol, qui commence à lui devenir familier, le privé se retourne avec un air impassible sur le visage. Le bleu-gris de ses yeux a l'air un peu flou, parce qu'il a passé un moment à regarder en face de lui sans cligner des paupières.

Tranquillement, le beau borgne au costume gris le rejoint, d'un pas sûr, mesuré, d'un pas d'homme à qui le monde appartient, somme toute, malgré sa jambe douloureuse. C'est vrai qu'en le regardant comme ça, avec la lumière du soleil couchant plutôt que l'obscurité répugnante de son appartement...

Il a fière allure, ce drôle de personnage. Un œil en moins, mais toujours un visage raffiné d'un type dans sa trentaine, soigneux et méticuleux. Cheveux bruns-roux impeccables, nœud de cravate parfait, chaussures cirées comme il se doit, tout est étudié.

Peut-être même l'étincelle indescriptible dans son œil verdâtre, qui lui donne l'air plus énigmatique encore. Assurément quelqu'un en face de qui on se sent mal à l'aise, même quand on a dix centimètres de plus et qu'on peut le regarder de haut.

Willem déglutit, le cœur un peu secoué par toutes les incertitudes qui le tourmentent, et coule un regard en coin sur son pokémon. Lequel entreprend, apparemment amusé, d'attraper un écayon qui s'amuse à sauter hors de l'eau et à lui échapper.

Ralph Clemens hausse un sourcil, puis étire ses lèvres fines en un demi-sourire à moitié ironique.

« Le capitaine du bateau est prêt à lever l'ancre, autant ne pas perdre de temps. Vos affaires, le peu que vous avez amené, sont déjà chargées dedans. Prêt ? »

L'autre réprime un haut-le-cœur, sans raison apparente, peut-être parce que tout autour de lui sonne faux et paraît l'avertir d'un danger, mais se contente de hocher la tête, un air déterminé peint sur le visage.

Il se doute que le plus âgé — deux ans de plus, paraît-il, parce qu'il l'a cuisiné un peu sur quelques détails sans obtenir beaucoup de réponses — a bien vu à travers ce masque d'assurance, mais il a le tact de ne rien dire.

Les deux hommes embarquent, suivis de scorvol, et bientôt le véhicule se lance sur les flots. L'écayon espiègle le regarde partir, puis s'enfonce à nouveau sous les eaux.


* * *

« Vous êtes sûr que... Vous êtes sûr de ce que vous faites, Clemens ? »

Mal à l'aise, le détective ne peut s'empêcher de faire part de ses soupçons à voix haute, comme si ça pouvait, en quelque sort, le rassurer, le faire se sentir un peu mieux. Il voit mal le docteur le soutenir comme un bon ami, cela dit.

Le léger tangage du bateau le rend un peu nerveux, mais il reste accroché à la banquette sur laquelle il est assis, prenant garde de ne pas défaillir.

Si l'étrange docteur ne dit rien, il est attentif au moindre mouvement et à chaque mimique de l'Unysien, qui en est parfaitement conscient et tâche de se maîtriser au mieux.

« Sûr de quoi ? souffle finalement le concerné sans se départir de son calme olympien. Qu'on arrivera à bon port bientôt ? »

Hochement de tête affirmatif de la part de Willem ; il n'aime pas beaucoup parler à ce type-là, parce que son langage à lui n'est sûrement pas à la hauteur de ce beau bourgeois au verbe plus élégant.

« A moins qu'on tombe sur un banc de léviator ou qu'une soudaine tempête se déclenche, on arrivera en un seul morceau. Hé, ne vous mettez pas à attendre le pire, c'est souvent comme ça qu'il arrive.
— Je dois bien avouer, je suis pas serein, soupire le privé en passant une main glacée sur son front moite de sueur. Je veux dire, vous m'avez pas dit grand chose, et attendre qu'on soit... Là-bas, où que ce soit, pour avoir enfin des explications, ça me rend un peu nerveux. »

Clemens esquisse une parodie de sourire compatissant, et se met à jouer avec le mouchoir blanc dans sa poche de poitrine. Sûrement de la soie, songe le détective, amer, en pensant à ses propres fringues de qualité moyenne.

« Si ça ne tenait qu'à moi, vous en sauriez déjà un peu plus. Je déteste ignorer des choses, comprenez, alors loin de moi l'idée de faire subir ça à mes congénères. Mais j'ai des... consignes, et je préfère les respecter. Question d'éthique professionnelle, vous devez connaître ? »

Willem se retient de ricaner, parce qu'il vaut mieux marcher dans le sens de ce type, assurément très malin. Il se doute sûrement que son travail de privé ne va pas toujours de pair avec la loi.

Ce genre de boutade ne lui vaudra en tout cas pas plus de sympathie de la part du concerné. Ça aussi, il doit le savoir.

« Mais puisque nous arrivons bientôt, je peux déjà vous briefer sur notre destination, ce sera ça de moins à faire sur place », admet le docteur, l'œil rivé sur son vis-à-vis.

Le grand brun ignore s'il doit le remercier ou non, alors il ne dit rien, et attend que vienne la suite. Clemens n'en a probablement pas grand chose à faire, des remerciements, de toute façon. Pas le genre d'homme à rechercher la gratitude, de ce qu'il a pu observer jusque-là.

« C'est assez difficile à expliquer par des mots, vous savez... Enfin, vous comprendrez mieux quand l'île sera en vue, bien sûr.
— Alors on va sur une île ? J'imagine qu'elle est habitée, si vous m'emmenez faire un boulot là-bas...
— Habitée, c'est le moins qu'on puisse dire, oui. Population presque équivalente à celle de Méanville, qui est quand même la troisième en terme de monde, chez vous. »

Willem ignore s'il a bien entendu ou non, parce que près de deux millions d'habitants sur une île, ça lui paraît un peu surréaliste. Deux millions de personnes qui vivent loin de tout, dans un endroit apparemment inconnu et bien gardé ?

Il songe une seconde à l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'un pénitencier de haute sécurité, mais qui diable pourrait avoir besoin de lui dans un endroit de ce genre ? D'autant plus que le gouvernement, duquel le système carcéral dépend, n'engagerait jamais quelqu'un d'extérieur...

Il y a quelque chose de vraiment bizarre, dans cette histoire.

« Okay, okay, attendez une minute. Votre île, là, elle appartient à quel pays ? 'Doit bien être annexée à quelque chose. »

Le sourire de Clemens s'élargit un peu plus. A croire que ça l'amuse, malgré ses dires, de voir le privé patauger dans sa propre ignorance. Ou bien s'amuse-t-il de ses réactions, tout simplement.

« A la vérité, c'est une île... indépendante, monsieur Ryan. Elle ne dépend d'aucun gouvernement, sinon du sien propre. C'est une ville libre, si vous voulez, une grande cité qui n'est pas sous le joug d'une puissance plus imposante. Il faut bien qu'un endroit sur terre, un... « paradis » destiné à accueillir les plus méritants d'entre nous, existe, vous ne croyez pas ?
— J'avoue ne pas tout comprendre... » lâche l'Unysien, déstabilisé.

Et pour cause, ce genre de discours est un peu difficile à croire, surtout pour quelqu'un de pragmatique comme lui. C'est comme les pokémons légendaires, impossible pour lui d'y croire sans en avoir vu un de ses propres yeux.

Soudain le bateau ralentit un peu, et un soubresaut secoue le détective, qui manque de tomber à la renverse sur le plancher de la cabine. Le capitaine, de l'autre côté de l'embarcation, ne dit rien ; ça doit être normal, alors.

Avec un juron — tant pis pour les oreilles délicates de ce maudit bourge —, il se redresse et époussette son pantalon de costume inutilement, geste machinal qui contribue à le tranquilliser un peu.

Ralph, lui, semble tout à fait serein. En tout cas, son expression est toujours la même ; un sourire indulgent au bout des lèvres, et le sourcil haussé qui lui donne un air légèrement condescendant.

L'infirme se lève en prenant appui sur sa canne, et ouvre la porte qui coupe la cabine de l'extérieur. Aussitôt une brise et une odeur de mer persistante s'engouffrent dans l'habitacle, de même que scorvol, qui daigne remuer un peu au lieu de rester affalé sur le pont comme il l'a été pendant une bonne partie du trajet.

Les deux hommes sortent, et s'accoudent tous les deux au bastingage, appréciant la caresse du vent sur leur visage et dans leurs cheveux. Au loin, de drôles de lumières attirent le regard de l'Unysien, dont les yeux s'écarquillent.

Sur la mer, et malgré la nuit tombée, il parvient à distinguer les silhouettes sombres de multiples immeubles qui se découpent sur le ciel noir, et des centaines et des milliers de points lumineux, peut-être des fenêtres, des enseignes, des néons, qu'en sait-il.

Instinctivement, il tourne son visage vers celui de Clemens, qui lui sourit, un éclat d'allégresse au fond de son œil vert clair.

« Bienvenue à la cité de l'impossible, monsieur Ryan ! »