Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Sans ét(h)iquette de Eliii



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 05/09/2017 à 17:33
» Dernière mise à jour le 15/09/2017 à 12:33

» Mots-clés :   Action   Présence d'armes   Présence de transformations ou de change   Science fiction   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
1- Ça commence toujours par une dette
PARTIE I
L'ETRANGER



* * *


« Il y a deux types de gens qui viennent frapper à votre porte quand vous avez des dettes. Soit c'est les créanciers qui viennent avec des gros bras pour faire le sale boulot, soit c'est l'espoir qu'on n'attend plus. Curieusement, les premiers viennent plus souvent que le deuxième. Encore plus curieusement... moi, j'ai eu droit au deuxième. »

Willem Ryan, détective privé.


* * *


Il fait chaud, dans cet habitacle, presque une chaleur étouffante. Ou bien c'est juste dû à la fumée de cigarette omniprésente qui stagne, parce que les fenêtres ne sont plus ouvertes qu'à l'occasion. Le fait est qu'il fait chaud, et qu'il fait noir, aussi.

Encore à cause des fenêtres fermées qui ne laissent filtrer qu'un morceau de lumière solaire, laquelle dessine un rayon droit sur le sol. Chaque mouvement du grand type affalé sur sa chaise, devant son bureau, entraîne à son tour le mouvement de millions de grains de poussière.

De toute évidence, le ménage n'est pas fait souvent ici, entre l'odeur de renfermé, ladite poussière, les paquets de cigarette vides entassés dans un coin de bureau, le cendrier rempli menaçant de tomber de l'autre côté. Un petit calendrier trône sur le meuble, encore à la date d'hier, quinze octobre 1958.

Bientôt la fin de l'année, les fêtes, le faste typiquement unysien des rues à cette époque-là. Pour lui, ça change pas grand chose, de toute façon. Pauvre en janvier, pauvre en avril, pauvre en décembre. Encore un miracle qu'il ne dorme pas dehors, depuis le temps. Ça ne tardera pas, sans doute.

Sur le parquet un peu crasseux, une sphère rouge et blanche cerclée de noir se met à remuer, comme mue par une volonté propre. Après quelques bousculades contre l'un des pieds de la chaise, le bouton blanc au milieu finit par être pressé, et la boule s'ouvre.

Un rayon rouge en jaillit, illuminant quelques instants l'air dominé par la poussière, puis une drôle de créature en lévitation se matérialise à un bon mètre du sol.

De couleur violacée, la bête a une grosse tête pourvue d'yeux jaunes et d'une grande gueule aux crocs brillants. Deux pinces tranchantes terminent ses bras courts et fins, des ailes membraneuses lui permettent de voler. Au bout de sa queue, une sorte de dard se balance en rythme comme un pendule.

Un sourire carnassier au visage, le scorvol roublard se met un instant à gigoter autour de son dresseur assoupi, puis se décide à le réveiller, parce que décidément, il s'ennuie ferme. Pas même un voisin à enquiquiner, parce que les volets sont clos et ça l'empêche de sortir par la fenêtre.

Le pokémon produit un drôle de son strident, un genre de grincement parfaitement désagréable, qui ne manque pas de tirer l'homme du sommeil. Il tombe d'ailleurs de sa chaise, pour se retrouver par terre, pas tout à fait en forme.

Dans une flopée de grommellements, sûrement des jurons quelconques, parce qu'il en est coutumier, l'humain s'accroche au rebord de son bureau pour s'aider à se mettre debout, aussi difficilement qu'un vieillard privé de sa canne.

Au moment où ses prunelles d'une drôle de couleur, un mélange indéfinissable entre bleu et gris, se posent sur la créature volante, il sent son agacement s'envoler, parce que malgré tout ce que ce chenapan peut lui faire subir au quotidien, il y reste trop attaché pour lui en vouloir.

Il y a bien des jours où il le regrette, d'ailleurs, parce qu'elle lui en pose, des problèmes, cette bestiole-là.

« Prochaine fois, je te jette dehors, abruti. »

Cette phrase-là, le pokémon l'a entendue des dizaines de fois, aussi ne s'inquiète-t-il pas à ce propos. Aussi inconstant et imprévisible soit-il, son dresseur — peut-on réellement parler de dresseur, de toute façon ? — n'est pas du genre à laisser tomber un pokémon dans le besoin. Bien que ce scorvol puisse tout à fait subvenir aux siens en chassant dans les ruelles, au fond.

Les prunelles jaunes regardent l'homme se diriger d'un pas mou et lent vers la petite salle de bain au fond de son logement qu'il ne peut même plus payer. D'ici la fin du mois, adieu ce confort relatif, et bonjour les rues sales de Volucité.

L'humain s'appuie contre son lavabo, puis passe de l'eau glaciale sur son visage fatigué et mal rasé. Le miroir poussiéreux ne lui renvoie pas une image très glorieuse ; cernes bien visibles et teint de cadavre, cheveux en désordre, air hagard.

Comme chaque jour, toilette rapide, changement de vêtements, quand bien même il ne sortira sûrement pas et ne recevra pas de visite non plus, parce que ça fait bien des semaines qu'il n'a pas vu l'ombre d'un client.

Peut-être parce que ce fichu pokémon leur fait peur, ils ne reviennent plus et colportent des ragots peu avantageux sur lui, et du coup son bureau est déserté. Bah, ce n'est pas comme s'il ne se voyait pas déjà au fond d'une ruelle, habitant dans un carton, de toute façon.

Il sait bien que ça arrivera, mais au fond il espère que le temps qui le sépare de cette déchéance est encore long. En attendant, eh bien...

Au moment où le scorvol tend l'oreille et va se coller à la porte, l'homme, intrigué, hausse un sourcil, faute de pouvoir mieux exprimer son étonnement. Les comportements bizarres de son pokémon l'ont habitué à un tas de choses, comme se faire engueuler par le voisin dont on a mangé les fleurs, mais ça, c'est nouveau.

« Hé, tu me fais quoi, là ? Tu veux sortir ? »

La bête, qui comprend parfaitement le langage humain, secoue la tête pour signifier que non, mais ne se décolle pas pour autant de l'entrée de l'appartement. Pour un peu, cette drôle d'attitude pourrait lui faire croire qu'il a de la visite—

Un coup contre la porte. Les yeux s'écarquillent et le cœur se met à battre un peu plus rapidement dans la poitrine. C'est pas ce fichu pokémon qui fait une blague en donnant des coups de pince, au moins ?

Sur son ordre, la bête violacée s'éloigne, et puis il attend, et puis finalement on frappe de nouveau. La réalité le rattrape. Un client. Un client pour la première fois depuis des semaines, un peu d'argent pour retarder son expulsion...

Ce constat amer lui fait à nouveau prendre conscience de la vie misérable qu'il mène, de son absence totale d'ambition. Trente-quatre ans, et déjà il n'espère plus rien du monde. Mais pour l'instant il y a cette personne derrière la porte, et peut-être...

D'un pas lourd il s'en approche, rajuste presque machinalement sa cravate noire, et ouvre le battant qui grince un peu sur ses gonds. Une silhouette élégante, en beau costume gris et chapeau, s'avance et entre dans l'habitacle poussiéreux.

Un tel personnage contraste tellement avec l'appartement, et même cet immeuble-là, que l'occupant des lieux se demande un instant s'il n'est pas en train de rêver. Le type marche à l'aide d'une canne en bois poli, finement ouvragée, à cause d'une jambe droite douloureuse.

Son œil droit, aussi, a dû l'être fut un temps, parce qu'il est maintenant recouvert d'un cache-œil noir, le genre que les pirates se mettaient dans les récits qu'il passait son temps à lire étant gamin. L'infirme borgne claudique jusqu'à une chaise et s'y pose, sans prêter attention à la propreté. Pas un riche comme les autres, celui-là.

Tranquillement il retire son chapeau et le pose sur ses genoux, puis de son œil valide à la drôle de couleur, lui lance un regard sans éloquence. Vraiment une teinte spéciale, ce vert, très clair et presque translucide. Ça mettrait presque l'occupant mal à l'aise.

« Monsieur Ryan, j'aurais un travail pour vous, et je suppose, vu l'état de votre bureau et votre air désabusé, que vous n'allez pas dire non ? »

Le susnommé hausse un sourcil, interloqué. D'habitude, les clients en viennent rarement au fait aussi rapidement, et préfèrent passer leur temps à se présenter et à refiler des cartes de visite pour qu'on vienne les voir. Combien il en a jetées, maintenant...

Willem Ryan s'installe à son bureau poussiéreux, et considère son vis-à-vis avec intérêt. Bien sûr, il a raison, refuser un travail serait se précipiter encore plus dans la misère, mais en même temps, si ce contrat est louche...

« Vous êtes qui, déjà ? Faut que je prenne votre nom si vous m'engagez. »

Il croit que l'autre va s'offenser ou quelque chose, parce que c'est bien le propre des bourges habillés comme lui, mais non, il lui décoche plutôt un sourire sympathique, qui aurait même quelque chose de charmant sans ce cache-œil déstabilisant.

« Docteur Ralph Clemens, enchanté.
— Docteur, hein ? En médecine ? »

Nouveau sourire, plus amusé, de la part de Clemens.

« Entre autres. Mais ces détails ne vous intéressent pas, monsieur Ryan, vous êtes là pour enquêter pour moi, pas sur moi.
— Un point pour vous », grommelle le détective privé.

A bien y réfléchir, Ryan ne l'aime pas des masses, ce type-là. Affable, aimable, mais il a quelque chose de hautain. Sûrement qu'il vient de la haute, ou quelque chose, et que ça lui donne le droit de se considérer au-dessus d'un pauvre con comme lui.

Bah, il a sûrement raison de le penser, d'ailleurs, songe, amer, l'occupant du bureau.

« Et c'est quel genre de boulot, que vous auriez à me proposer ? Un skitty perdu dans un arbre ? »

Des contrats comme ça, il en a reçu beaucoup, dans sa carrière. Les bonnes femmes du coin qui ne sont pas fichues d'aller récupérer leur chat en prenant une échelle pour monter dans un arbre, c'est bien parce que c'est facile à régler, mais la paie est proportionnelle, et forcément...

Parfois, on a envie de tomber sur mieux, c'est normal. Alors il espère en silence que ce « docteur » aura de quoi lui payer au moins un mois de loyer supplémentaire.

« Rien qui soit aussi ennuyeux, si ça peut vous rassurer. A vrai dire, c'est un travail bien payé, mais...
— Mais ? Suis-je bête, y a toujours un « mais » ! ironise le détective.
— Certains détails sont confidentiels, et ne pourront vous être révélés que si vous acceptez le contrat, souffle l'autre sans relever la moquerie. Oui, ça paraît louche et vous avez raison, mais j'ai reçu des ordres et mon employeur est catégorique. Vous dites « oui », et vous aurez les infos et l'argent. Vous dites « non », je vous laisse tranquille et vous n'entendrez plus jamais mon nom. »

Suite à ce discours, somme toute plutôt convaincant, Ryan est forcé de se montrer dubitatif. Non pas qu'il ait des remords en acceptant des contrats louches, non, ça ne le dérange pas tellement de travailler pour des parrains de la mafia ou quels que soient les employeurs peu recommandables qu'il a pu côtoyer.

Ce qui sonne faux, c'est cette promesse de travail bien payé sans la moindre information. Pour de l'argent, peut-on risquer de tomber sur un os ? En bon capitaliste convaincu, il aurait tendance à dire oui.

Du coin de l'œil, il jette un regard à scorvol, comme pour le consulter, mais la bestiole se contente de fureter à droite à gauche comme si elle visitait les lieux pour la première fois. Le docteur Clemens, amusé, suit ses gestes, sa prunelle verdâtre pétillante d'intérêt.

« J'adore les pokémons, monsieur Ryan, et encore plus ceux originaires de Sinnoh. Les scorvols sont une espèce très intéressante, et votre spécimen paraît prometteur. Il vous sera utile si vous acceptez le travail.
— Vous allez un peu vite en besogne, on dirait, commente le détective en croisant les bras sur sa poitrine, contrarié par l'attitude trop confiante de ce beau diable en costume chic. J'ai pas encore accepté, vos arguments sont un peu faibles.
— Un point pour vous », réplique Clemens, ironique.

Décidément, son comportement et ses manières ne plaisent pas beaucoup à Ryan, et celui-ci, s'il ne craignait pas de laisser filer une jolie petite somme, ne se priverait pas de renvoyer ce bourgeois d'où il vient.

Finalement, à court d'autres idées, le curieux visiteur tire de la poche intérieure de sa veste une épaisse liasse de billets de banque. Tous des billets de deux cents pokédollars, et il y en a un bon paquet.

« Quarante mille. Une avance sur votre salaire total, qui s'élève à, voyons... Deux millions, si vous faites bien votre boulot. »

Ryan manque de s'étrangler à l'entente du chiffre. Deux millions ! Que voilà une somme colossale, qui pourrait le tirer de ce trou à rats, lui offrir une maison et une vie tranquille pendant un bon moment.

Deux millions, c'est sûrement assez pour accepter un contrat mystère sans remords, non ?

En tout cas, l'idée de serrer la main blanche et impeccable de ce richard borgne est vraiment tentante. Après tout, personne n'est là pour lui dire que ce n'est pas le bon choix. Personne ne le retient ici, pas de famille, pas d'amis, pas d'enfants, pas d'amante, rien du tout, il est seul.

Seul, et son unique espoir, c'est un drôle de type qui se prétend docteur, qui lui pose quarante mille pokédollars sur la table, et qui ne donne aucune information sur son contrat.

Et pourtant, c'est l'espoir le plus alléchant qu'il ait vu de toute sa vie. Aussi sa main finit-elle par être tendue en direction du brun-roux, qui accueille cette réponse avec un sourire satisfait. Cependant, Ryan ne lâche pas immédiatement sa main.

« Juste une question, avant de m'embarquer dans cette drôle d'affaire, Clemens. »

Le sourcil de l'intéressé est haussé en signe d'intérêt et d'interrogation ; de toute évidence il l'écoute.

« Est-ce que c'est dangereux, ce boulot ? »

Ralph Clemens remet son chapeau sur son crâne, légèrement incliné selon un angle savamment étudié, saisit sa canne et se remet debout.

« Je vous mentirais, en vous disant non. Allez, suivez-moi. »

Le détective, s'il est encore réticent à l'idée de lui faire confiance, serait idiot de ne pas saisir cet espoir. Alors il ferme la porte derrière lui et suit ce drôle d'infirme dans les rues de Volucité.