Lougaroc finit par pénétrer dans la villa, par la force et la détermination que le lecteur lui connait bien. Il se mit à la recherche de sa proie, reniflant ses empreintes, entrant dans toutes les pièces que Lilie avait visité. Bien sûr, le lecteur ne doit pas se leurrer : Lougaroc suivit son instinct de prédateur et descendit lui aussi dans la cave, affamé.
*****Lilie poussa la porte et entra dans la seconde pièce des sous-sols. Elle trouva sa mère debout, immobile, le regard au loin. L'arrivée de sa fille la tira de sa torpeur. Elle arbora le sourire effrayant que le joueur avait eu l'occasion de lui voir lorsqu'elle avait obéi au désir égoïste d'invoquer des Ultra-Chimères. Ce sourire qui aurait terrorisé n'importe quel être humain ne provoqua aucun sursaut chez la jeune fille.
« Ma chérie, je suis soulagée que tu sois vivante. Tu es coriace, j'aime ça. Tu es bien digne d'être ma fille. Mais que vois-je ? Tu as retrouvé ton petit Goupix ? Je suis désolée, je voulais te l'annoncer autrement que par cette lettre, mais j'ai voulu faire une expérience. Tu connais mes goûts pour les expériences, n'est-ce pas ? »
Son ton badin, sa volubilité, tout cela ne faisait pas soupçonner qu'une femme aussi cruelle pouvait se dissimuler derrière ces propos anodins.
« Eh bien, j'ai échoué. Cette petite chose est morte alors que j'essayais de reproduire un Goupix d'Alola dans le frigo. Tu ne m'en veux pas, hein ? C'est comme s'il est était empaillé. Tu l'auras toujours avec toi, bien obéissant. Pas comme quand il était vivant... »
Son visage s'assombrit, elle devint terrible. Sa mâchoire se crispa, ses lèvres s'écartèrent pour laisser apparaître une dentition parfaite. Son regard s'alluma d'une haine farouche.
« S'il n'était pas venu me réclamer que je laisse tranquille Rocabot -ou plutôt devrais-je dire Lougaroc hihi-, je n'en serais pas venu à une telle extrémité. Il ne m'a pas laissé le choix, tu comprends ? Il avait tout deviné. »
Elle prit un air contrit.
« Il fallait que je continue dans mes plans. Alors je l'ai assommé, je l'ai enfermé dans le congélateur et j'ai verrouillé la porte. Il a bien dormi, à ce que je vois. Regarde-le comme il est beau, maintenant qu'il ferme sa gueule ! »
Elle s'était approché de sa fille qui recula, protégeant son Pokémon des mains vicieuses de sa mère. Cette dernière ne semblait pas le moins du monde atteinte par le geste de dégoût de sa propre fille. Elle détourna son attention un instant.
« Tu sais, ça n'a pas été facile. J'ai même cru que tu allais m'attendrir avec ton attitude de parfaite petite fille ! Tu m'as fait douter d'une chose : qu'on puisse former une famille normale. Mais j'ai tenu bon. Tu ne mérites rien de tout ce qui t'es arrivé, c'est pour ça que je t'ai tout pris. Je suis comme Dieu Arceus, j'ai pris aux mauvais et j'ai donné aux bons. Je me suis occupé de Rocabot, mon cher petit chien...
- Tais-toi ! Tu lui a fais du mal ! »
Elsa-Mina éclata de rire.
« C'est toi, ma pauvre, qui lui a fait du mal en l'abandonnant.
- Je ne l'ai pas abandonné. Il le sait. Mais tu l'a dressé contre moi !
- C'est vrai. J'avais besoin d'un soldat. Comme il était fragile, j'en ai profité. Il est naïf, quand même. Je suis bien contente qu'il ne t'ai pas dévoré, je l'aurai grondé. Il n'y a que moi qui ai le droit de t'éliminer. Après tout ce que tu m'as fait à Alola, je tiens ma revanche. Il n'y plus tes amis, tu es seule. »
Comme si on lui avait arraché ses vêtements, Lilie se sentait nue, vulnérable. En effet, Sun, Tili, son frère Gladio, Euphorbe, Lougaroc, Goupix, Lockpin, Léo... Personne n'était là. La liste des invités manqués lui octroya de l'amertume envers sa mère.
« Le seul soutien que tu pourrais espérer est là. »
Elle lui montra d'un geste de la main Léo, allongé sur un matelas, endormi. Il était ligoté.
« J'ai tenu ma promesse de l'autre jour. Je suis sortie de ma chambre et maintenant je vais me débarrasser de toi. Est-ce que tu veux savoir comment j'ai réussi ? Tu as bien droit de le savoir. »
Elle fit les cent pas, ses talons frappant le sol en rythme. Elle croisa les bras dans le dos, leva la tête, en pleine réflexion. Elle rayonnait, ses cheveux clairs couronnait son regard devenu doux et souverain. Elle était en pays conquis, assurée d'avoir remportée la guerre. Elle paraissait complaisante pour sa fille, minaudant de gentilles paroles.
« Alors... Tout remonte à ce fameux jour. Léo m'a fait part de tes inquiétudes. Tu n'as pas été maligne de te confier à lui, il ne m'a pas fallu très longtemps pour le rassurer sur mon état. Quand j'ai endormi sa méfiance et la tienne, je me suis occupé de Rocabot. C'était le premier à éloigner. Quand tu es partie à Doublonville, la première fois, je l'ai emmené dans la forêt pour l'entraîner. Je voulais qu'il évolue en Lougaroc forme nocturne. Cette forme-là est bien plus intéressante que l'autre. Déjà parce que l'instinct du loup est plus possessive que celle du chien ; il est plus incontrôlable sous les effets de la lune. L'autre forme est trop obéissante, pas assez brutale. En évoluant, les probabilités pour que la forme nocturne oublie son passé, dépassent les quatre-vingt pour cent. Fascinant n'est-ce pas ? »
Lilie écoutait, les sourcils froncés, attentive à l'intelligence et à la perversité ainsi étalée par sa mère.
« Un jour, Goupix vint me trouver. Ce sale renard ne m'a jamais fait confiance. Il était plus malin que vous tous dans cette maison. Il avait surpris notre entraînement dans les bois. Comme je te l'ai dit, j'ai endormi sa méfiance et, profitant d'un moment d'inattention de sa part, je l'ai assommé. Comme je ne savais pas quoi faire de ce déchet, j'ai décidé de faire une pierre deux coups : m'en débarrasser et voir si la forme d'Alola de Goupix fonctionnait si on le mettait dans un congélateur. Mais apparemment, ça n'a pas marché, hahahahaha. Ce n'est pas plus mal. Ensuite, j'ai poussé Rocabot à ses extrémités et il a évolué. Tu es rentrée ; j'ai dit qu'il avait été enlevé par ses compagnons d'entraînements, les Desséliande. Mais il t'attendait. Ah oui, parce qu'en évoluant, il ne se souvenait que de moi, qu'il prenait pour sa mère. Après tout, ne suis-je pas la mère de tous les Pokémon ? Hahahahaha. Ils sont moins ingrats que les enfants humains ! Pendant la nuit, il t'a attiré dans les bois. J'ai réveillé Laporeille pour lui dire que tu étais partie seule et que tu étais en danger. Comme une imbécile, elle t'a suivie. Puis, j'ai rejoint Lougaroc pour mettre en place la dernière phase de mon plan.
- Je t'avais vu avec Lougaroc, fit Lilie, pâle comme la lune.
- Le reste s'est déroulé comme je le souhaitais. En te faisant accompagner par Laporeille, je voulais me débarrasser de ta dernière amie. Comme tu es revenue seule, je suppose que Lougaroc a réussi à se débarrasser d'elle. Puis, je t'ai attendu ici. En rentrant, j'ai décidé de falsifié l'écriture de Léo -tu connais mon talent pour copier n'importe qui-. Je t'ai guidé jusque dans la cave pour que tu découvres ton cher petit Goupix et que tu souffres comme j'ai souffert quand tu m'as volé Cosmog !
- Je l'ai pris avec moi car tu lui faisais du mal ! s'écria Lilie. Doudou...
- Alors, j'ai endormi Léo et je l'ai amené ici, continua Elsa-Mina. J'ai coupé l'électricité pour que tu ne puisses pas appeler ce stupide Euphorbe. Et te voilà ici maintenant.
- Et si j'étais sortie de la villa ? »
Elle ne semblait pas avoir réfléchie à cette possibilité, dans son plan si bien construit. Elle haussa les épaules.
« Tu ne l'as pas fait. Je l'avais prévue. En pleine nuit, une gamine qui appelle à l'aide ? On t'aurait claqué la porte au nez en prétextant que tu as fait un cauchemar.
- Et Lougaroc ?
- Comment ça "et Lougaroc" ?
- C'était aussi dans ton plan qu'il encercle la villa ? »
Sa mère resta figée un moment, comme si elle entendait un bruit lointain et qu'elle voulait l'identifier.
Visiblement, le contrôle du loup lui avait échappé. Ses doigts frémirent mais elle fit taire les questions qui la tourmentait. L'ancienne directrice d'Aether affecta l'indifférence.
Lilie s'était approchée de sa mère au fur et à mesure du récit, jusqu'à lui faire face. Pendant que cette dernière gardait son esprit fixé sur ce que lui avait dit sa fille, la jeune assistante la gifla. Le bourreau qui l'avait plongé en enfer reçut le coup sans broncher. Elle lui concédait ce geste parce qu'elle n'avait pas d'autres moyens de se défendre.
« J'espère qu'on t'arrêtera pour tout ce que tu m'as fait, pour le mal que tu as causé à tous ces innocents ! Tout ça pour m'avoir moi ! Il t'aurais suffit de me tuer ce jour-là !
- Tu ne comprends pas ?! répondit Elsa-Mina en se jetant sur sa fille qu'elle agrippa violemment. Je veux que tu souffres ! A cause de tes caprices, j'ai tout perdu ! Mes rêves, mes enfants...
- Mes caprices ? Et te venger, ce n'en est pas un, de caprice ? Et tes enfants, tu ne les avais pas perdu jusqu'à aujourd'hui. Mais je peux t'annoncer que tu n'as plus de fille. Pas après ce que tu as fait.
- Ma fille est morte il y a quatre ans. Depuis, tu as pris sa place, tu as usurpé sa mémoire, tu as été mon bourreau ! »
La mère et la fille se secouaient mutuellement sous les cris de rancœur qui sortaient comme l'eau qui s'écoule d'une fontaine. Elles ne s'arrêtaient plus. Léo ne remuait pas.
« Cela ne sert à rien de discuter avec toi. Dès que je me serais débarrassée de toi, je retournerais à Alola. »
Lilie songea alors aux valises et à la proposition de voyage.
« Tu étais sérieuse quand tu m'as ordonné qu'on reparte ensemble à Alola ?
- Bien sûr que non ! Qui voudrait d'un déchet comme toi, voyons ! Je voulais provoquer une dispute pour que tu te retrouves seule et que tu ne puisses pas me soupçonner d'avoir tout manigancer. Et aussi pour ne pas que tu viennes me supplier de venir avec toi dans la forêt. Grâce aux dossiers que j'ai trouvé dans les affaires de Léo, j'ai trouvé un moyen de rouvrir des Ultra-Brèches. Ton frère ne pourra rien faire, il me croira morte. J'ai déjà tout prévu. Tu ne seras plus là pour me gêner.
- Ils t'empêcheront de recommencer ! Sun, Tili, Gladio, Euphorbe, les doyens, tous !
- Tais-toi ! Vas-tu te taire ! »
Ce fut au tour de la mère de souffleter la fille. Lilie laissa tomber Goupix sous le choc. Elle passa une main sur sa joue qui avait retrouvé des couleurs. A cet instant, la mère et la fille avaient le même regard.
Le combat final...Elsa-Mina s'éloigna de sa fille. Une fois à l'autre bout de la pièce, elle haussa les épaules en ricanant.
« Je suppose que tu n'as pas de Pokémon ? C'est dommage. Cela ne m'aurait pas déplu de livrer un match avec ma petite fille chérie... Mais que sont donc devenus tes Pokémon ? Hahahahahaha. »
La provocation fit crisper les poings de Lilie. Si ses amis avaient assisté à la discussion, ils auraient été étonnés de la voir perdre son sang-froid. Mais tout ce qui lui était arrivé, comme le lecteur seul le sait, l'avait affecté au plus profond de son âme.
L'ancienne directrice d'Ather fit appel aux Pokémon qu'elle avait subtilement dérobé à la méfiance d'Euphorbe. Mais avant de lancer ses Pokéball, un hurlement souffla la poussière qui s'était accumulée dans la cave. Elsa-Mina parut satisfaite d'avoir un sbire en plus dans son équipe. Lougaroc fit son entrée ; une entrée fracassante. Il se posta devant Lilie qu'il avait enfin retrouvé. Il ne fit aucune démonstration d'affection pour la femme qui l'avait dressé, il était seulement concentré sur sa proie.
« Écarte-toi. Elle est à moi ! » cria la mère, voyant que Lilie reculait d'effroi face au loup qui montrait des signes d'attaques imminentes.
Il se jeta sur elle ; Lilie roula sur le côté. Elsa-Mina hurla des ordres à son soldat qui ne répondait plus. L'instinct bestial reprenait le dessus, effaçant l'obéissance qu'aurait dû avoir le Pokémon pour celle qu'il prenait pour sa mère.
Elle tenait sa vengeance et n'avait pas l'intention qu'un Pokémon la lui vole au tout dernier moment ! Pourtant, un regain maternel la paralysa au moment de faire appel à ses Pokémon. Chelours n'aurait fait qu'un pâté de fourrure du canidé.
Lilie esquivait les attaques ; elle pouvait s'estimer heureuse de ne pas avoir été blessée par les griffes acérées de son ancien Pokémon.
Elsa-Mina laissa échapper un cri qui trahit sa peur.
« Lilie, attention ! »
La jeune fille s'était jetée sur Goupix que Lougaroc menaçait d'écraser. Comme elle ne bougeait plus, attendant qu'il la frappe, il leva la patte en l'air, tranchant l'air jusqu'à atteindre sa proie. Elsa-Mina regardait la scène, les yeux grands ouverts.
Un bruit de métal interrompit l'attaque. Lorsque Lilie releva la tête, la gueule ouverte d'un Mysdibule saisissait les griffes du prédateur. Elsa-Mina, reprenant ses esprits, appela son Chelours.
« Écrase-moi Lilie, viiiite ! Avant que Lougaroc ne la touche ! Elle est à moi, à moi, à moi ! »
De l'autre côté de la pièce avait bondi l'ours rose et noir, poing en avant. Mysdibule, trop occupé à repousser Lougaroc, ne faisait pas attention à l'adversaire qui se présentait à elle. Elsa-Mina avait retrouvé tout son aplomb, le poing levé dans la victoire. Le cri que le lecteur avait entendu n'était pas un cri de désespoir -du moins, il ne m'est pas permit de sonder le cœur des personnages, peut-être était-elle apeurée par la mort de sa fille, que sais-je ?- mais on peut supposer que c'était un cri de rage parce que sa fille risquait de rendre l'âme sous les coups d'un autre.
Elsa-Mina avait ordonné à son Pokémon d'éliminé sa fille. Cette dernière jeta un regard suppliant à Mysdibule. Le choc du Marto-Poing dispersa tout le monde aux quatre coins de la pièce. Lilie se retrouva seule, sans protection, tandis que Lougaroc et Mysdibule continuaient leur duel inégal. Il va sans dire que le Pokémon fée dominait.
Constatant que son rival avait laissé sa fille tranquille et qu'il risquait de bientôt s'écrouler de fatigue, Elsa-Mina en profita pour se précipiter sur Lilie, encore sonnée par le choc du Marto-Poing. Elle la plaqua au sol, porta les mains à sa gorge et la comprima. Lilie ouvrit les yeux, fronça les sourcils, jetant un regard de surprise et de douleur. Elle se débattait mais la poigne de sa mère était diablement efficace. La jeune fille sentit des larmes monter. Elsa-Mina continuait de sourire, de son sourire tranquille et indéfinissable. Les bruits se faisaient de plus en plus lointain ; Lilie avait de plus en plus de mal à respirer. Des flash lumineux l'aveuglaient. Elle chercha dans sa poche le couteau, le serra dans sa main, incapable de le brandir pour frapper sa mère.
Des larmes coulèrent, non pas parce qu'elle allait mourir, mais parce qu'elle devait s'excuser auprès de Goupix. Elle ramassa le renard gelé qui reposait près d'elle et frappa à la tête celle qui l'étranglait. Elsa-Mina lâcha prise en poussant un cri terrible. Avant qu'elle ai pu reprendre ses esprits, Lilie rampait vers la sortie. Elsa-Mina l'attrapa par la jambe, la ramena vers elle. Alors qu'elle plaquait ses mains sur ses paupières, un nouveau cri de sa mère la fit rouvrir les yeux.
Une attaque Météores l'avait frappé. Lilie se retourna et vit le secours qu'elle n'imaginait pas trouver. Valériane tenait entre deux doigts la plume de son sautoir. Lilie baissa les yeux sur son collier et comprit que cette plume venait de la sauver. La championne de Kalos, grâce à deux ordres donné à sa Mysdibule, mit K.O Lougaroc malgré la rage qu'il avait de vouloir mettre la griffe sur Lilie.
Quand Elsa-Mina se releva, on pouvait lire sur ses traits la colère avec une pointe de jalousie.
« Qui est cette femme ? Ton ange-gardien ?
- Ma mère de substitution, répondit la jeune fille avec un aplomb qui blessa la quarantenaire. »
Il ne faut pas au lecteur très longtemps pour comprendre que l'ancienne directrice d'Aether était en difficulté. Pour intimider Valériane, elle appela Fragilady et Magirêve. La spécialiste du type fée avait amené avec elle Nymphali et Mysdibule, ainsi que Mr.Mime qu'elle gardait dans sa capsule.
« Vous feriez mieux de vous rendre. Vous avez fait assez de dégâts. »
Valériane regardait Léo avec un vif intérêt. Elsa-Mina intercepta les regards et comprit que le chercheur était lié intimement à elle. Elle s'approcha alors de son otage, brandissant le couteau que Lilie avait malencontreusement laissé tomber.
« Sa vie contre celle de ma fille. »
Lilie résolut de se rendre, incapable d'envisager la mort nouvelle d'un de ses proches. Valériane examina la situation sans trouver d'échappatoire. Pour la première fois depuis longtemps, la championne perdit son sang-froid. En tant que dresseur d'élite, elle avait toujours les choses en mains, notamment pendant les affrontements qu'elle disputait au sein de son arène. Cependant, on était loin d'un combat classique. Ses stratégies qui avaient été mises à mal plusieurs fois durant sa carrière ne s'appliquaient aucunement à la situation actuelle. L'impuissance face au bourreau qui avait martyrisée autant de vies la terrassa. Elle voulut paraître forte aux côtés de celle qu'elle considérait comme sa protégée mais savoir que la vie de Léo balançait dans la main armée d'une telle femme la fit déglutir. Pour la première fois, elle eut la crainte de perdre plus qu'un badge.
Elsa-Mina souriait de son coup de génie. Sa main gauche pointait la lame vers la gorge endormie de Léo, qu'elle tenait debout par la force de sa seule main droite. Elle s'adressa à Valériane, ignorant la présence de sa fille, qu'elle estimait indésirable :
« Soyez raisonnable. Léo ne mérite pas de mourir pour Lilie. Il a tant a apporté au monde tandis que ma fille n'a apporté que le désastre autour d'elle. Vous me remercierez quand j'aurais débarassé le monde de ce déchet. Allez ! »
En même temps que le cri, elle approcha le couteau, mesurant l'effet de son geste auprès de son public. Lilie n'arrivait plus à tenir. Elle fit un pas ; Valériane n'eut pas le courage ni le temps de lui barrer la route qui l'amenait vers Elsa-Mina. Celle-ci ne se départit pas de sa méfiance, observant sa progéniture d'un air inquisiteur.
Ce qui arriva ensuite est inexplicable. Lilie, mue par la fougue de son jeune âge et l'inconscience qui entraînait son tempérament et son geste, se jeta sur l'arme. Une courte lutte suivit. Mue par le désir de préserver la vie de son ami au détriment de la sienne, la jeune assistante ignora les risques auxquels elle s'exposait. Valériane fit un geste vers Lilie pour la protéger mais c'était trop tard. La lame avait plongé dans le corps d'une des deux. Leurs figures n'exprimaient aucune douleur. Seule Lilie avait davantage pâli, s'il eût été possible. Le sourire qui avait marqué le visage d'Elsa-Mina s'estompa.
Il était impossible aux deux corps de se séparer. Elles se tenaient embrassées, comme pendant une étreinte. Une flaque de sang coula au sol ; le clapotement d'une pluie de gouttes ne les alarma pas. Le visage de Lilie se crispa au moment où, enfin, elle se détacha du corps chaud de sa mère. Comme à regret, elle perdit toutes ses forces, éclata en sanglots pendant que le visage impassible d'Elsa-Mina la fixait. Comme étonnée par l'incompréhension devant les larmes, la mère questionna d'un simple regard la souffrance de sa fille.
« C'est tout ? Est-ce bien la fin ? » voulait dire ce regard.
Elsa-Mina chuta en arrière, la lame du couteau plantée dans le ventre. Valériane se précipita pour prendre dans ses bras la jeune fille qui ne quittait pas des yeux le corps blanc comme neige de sa mère. Le sang continuait de colorer la robe tandis que les paupières se fermaient sur un visage enfin en paix.